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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

D’abord le ciel, d’un bleu clair presque blanc éclatant qui me brûle la rétine. Puis les odeurs, de fumée, de fer, de sel et de sable. Ensuite la sensation que mon sang coule sur mon visage - d’où l’odeur de fer - et que tous les muscles de mon corps sont ankylosés.

Les bruits viennent après. Les vagues, les oiseaux et le tonnerres sont largement masqués par les cris. Ce sont eux qui me ramènent à moi, comme une piqûre d’adrénaline, et je me redresse maladroitement en prenant appui sur mes poignets douloureux. Je crache du sang, encore le sang, et ma tête me tourne alors que je me redresse peut-être trop violemment, et finalement, lorsque j’arrive à entrouvrir les yeux, ils ne se posent pas sur l’épave Boeing, au peu plus loin au large, ils ne se posent pas sur les différents débris ni ne cherchent à analyser l’endroit où je me trouve.

Non, ils se posent sur les cadavres, témoins de l’accident dont nous avons été victimes, gardiens de la tragédie. Certains corps bougent, à l’instar du mien, mais d’autres sont immobiles à jamais. Peu, trop peu semblent avoir survécus. Je n’ai aucune empathie à l’égard de mes semblables, mais l’idée d’être seule me prend à la gorge et me paralyse un instant, avant que je n’arrive à rassembler le peu de forces qu’il me reste pour me traîner un peu plus loin, loin de l’eau glaciale qui a tué la majorité des vacanciers, loin des corps, à moitié à l’abris sous un immense cocotier. Je tremble, je sanglote nerveusement, je liste toutes les parties de mon corps qui me font souffrir le martyr et, sans faire attention, je heurte le cadavre d’une jeune femme blonde. Sauf qu’une fois l’effroi passé, je réalise qu’il bouge ce cadavre, qu’il gémit, et si je n’ai ni la force ni l’envie de la traîner avec moi à l’abris de l’orage, je la secoue mollement. « Réveille toi. » C’est elle qui s’est trouvée sur mon chemin, ça aurait pu être quelqu’un d’autre mais c’est elle, et dans la situation dans laquelle je me trouve chaque détail peut sembler être un signe du destin. J’ai l’impression d’être prisonnière d’un cauchemar mais, sans trop comprendre grâce à quoi, je m’anime pour ma propre survie, pour ne pas être engloutie par la montée des eaux. A quelques mètres de nous, d’autres survivants commencent à tenter de s’éloigner de la plage. « Bouge toi, j’ai jamais vu l’eau monter aussi vite. » Et si elle veut se noyer, je la laisserai le faire seule.

 

Tout est noir, tout est douloureux, tout est trempé et je ne comprends rien à ce qu’il est en train de se passer. Je n’ouvre pas les yeux tant j’ai l’impression d’être loin de mon propre corps. La douleur est sourde et constante, je la sens du bout de mes orteils à mon crâne qui semble être sur le point d’exploser. Je ne bouge pas d’un seul centimètre, le temps s’est arrêté et je ne me souviens de rien. La seule chose qui me revient en mémoire, c’est quand je suis montée dans cet avion pour l’autre bout du monde. Ce n’était pas un jet privé et ça m’a brisé le coeur, j’ai dû m’asseoir à côté d’un inconnu, même en première classe, et ça m’a écoeuré. Puis, c’est le trou noir. Des minutes, des heures, des jours ? Je n’en ai aucune idée. La seule chose que je sais c’est que je me laisse porter au loin, comme si tout allait être bien plus tranquille pour moi si je finissais par enfin lâcher prise.

Une voix, une secousse et je reviens à moi peu à peu. La douleur et les sons deviennent de plus en plus fort et je soupire. Ma cage thoracique explosera certainement au même moment que ma tête, je ne peux pas dire lequel de l’un ou de l’autre me fait le plus mal. J’aurais dû me laisser partir et ne pas écouter cette blonde qui se tient au dessus de moi. Je ne comprends qu’un mot sur deux, j’ai l’impression de fonctionner au ralenti quand tout ce qui est autour de moi a l’air d’aller beaucoup trop vite. J’ouvre lentement les yeux quand j’entends parler d’eau qui monte. Ca n’a aucun sens, comment je peux me retrouver là après être montée dans un avion ? J’essaie de réfléchir mais ma tête tourne et tout résonne bien trop fort.

Elle ne mentait pas la blonde, l’eau arrive à mon niveau alors que je peine à me lever. Je me retiens à celle qui a décidé de me réveiller sans lui demander son avis, je la suivrai aussi certainement sans qu’elle ait donné son accord. Mes jambes ne me tiennent plus correctement mais l’instinct de survie prend le dessus et mes pieds prennent le contrôle sans que je sois en capacité de décider de quoi que ce soit. “On est où ?” Question bête, je n’ai pas la réponse et elle ne l’a pas non plus, parce qu’au fond, j’ai très bien compris ce qui c’était passé. Les gens crient et je reste silencieuse, ils perdent une énergie précieuse à gémir et se plaindre alors qu’ils devraient se concentrer sur leur survie. “Il faut s’éloigner du monde.”

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Je n’ai pas l’intention d’attacher à ma cheville un boulet en fonte. Si je secoue la jeune femme blonde plutôt que de l’abandonner à son triste sort sans réfléchir, c’est de savoir que j’aurais du mal à survivre seule et parce que je suis paniquée de l’être. Ce vol était censé n’être qu’une formalité, une qui me ramènerait à Amos après plusieurs semaines sans se voir, et tout semble avoir à présenter tourné au cauchemar. Où sommes nous exactement ? Je me suis endormie pendant le trajet - supposé durer douze heures - et j’ignore combien de temps nous avons volé avant de nous écraser. Au delà de ça, impossible de savoir si l’avion a suivi sa trajectoire normale ou ce qu’il s’est tout bonnement passé puisque j’étais assommée par les calmants pour le mal de l’air que j’ai pris au décollage. A cause d’eux, je suis encore un peu groggy. A moins que ce soit imputable au crash, l’avion qui s’écrase en pleine mer, l’habitacle qui se rempli d’eau pendant que les rares survivant s'extirpent de l’appareil pour plonger dans les eaux glaciale du… Pacifique ? Océan indien ? De l’Atlantique ? Je m’anime uniquement grâce à mon instinct de survie et si le sien ne se réveille pas, je l’abandonnerais là. « On est où ? » « Dans un hôtel quatre étoiles. Je voulais simplement savoir à quelle heure vous vouliez planifier votre massage à quatre mains. » Je lève les yeux au ciel avant de tirer sur son bras une dernière fois et de la lâcher.

M’a-t-elle prise pour une guide touristique ou quoi ? Elle s’accroche à moi comme à un canot de sauvetage alors que je tente de m’éloigner et moi je l’attrape par l’épaule pour la relever mettre sur ses deux jambes sans la moindre délicatesse. « Marche. Je suis pas porteuse. » J’aurais dû la laisser là où elle était, maintenant elles semble incapable de se décrocher de moi. Les gens hurlent et moi je panique, même si je tente de ne pas trop le laisser paraître. « Il faut s’éloigner du monde. » J’ignore si c’est une bonne idée et de toute façon je tranche. « Il faut s’éloigner de la bordure d’océan en tout cas. Et trouver un endroit où se mettre à l’abri. » L’orage continue de nous arroser et je suis frigorifiée. Nous n’avons pas de quoi faire un feu pour nous réchauffer, mais je me contenterais d’un endroit sec.

Je ne sais pas où je suis, je ne comprends pas vraiment pourquoi je suis au sol et à l’extérieur. Je ne me souviens pas être sortie de l’avion, et je comprends petit à petit que je ne suis pas sortie, et que j’ai juste de la chance d’être encore en vie. Le vol n’était pas long, je n’allais pas loin, et pourtant on se retrouve au beau milieu de nul part et je commencerai à paniquer quand je serai vraiment éveillée et que je ne me poserai pas mille questions à la seconde. Une femme blonde me réveille, elle me secoue et j’ai l’impression d’avoir la tête lourde. Je me lève avec beaucoup de mal, elle s’accroche à moi autant que je m’accroche à elle et je me demande si c’est une bonne idée d’avancer avec une iconnue. Je ne lui fais pas confiance, je ne fais confiance à personne, et je pense que je vais être encore pire sur cette île. Je ne connaissais personne dans cet avion, et ce n’était pas mon but de me faire un ami pendant le trajet. On devait en avoir pour quelques heures, là, on en a peut-être pour des jours, ou même des semaines. Là je commence à paniquer et j’essaie d’oublier la douleur qui me broie la jambe. Je marche et je boite légèrement, j’essaierai de comprendre plus tard pourquoi j’ai mal. Elle est cynique la blonde et je grogne en grimaçant.

On marche sur des cadavre, et j’essaie de les ignorer. Il y en a bien trop, et je me dis qu’on était vraiment nombreux dans cet avion, et qu’on est peu à avoir survécu. Je me détache légèrement d’elle, elle a l’air d’être chiante et j’hésite une seconde à partir seule. Mais je déteste être seule, je ne survivrai pas une seule nuit ici si je n’avais pas une présence à mes côtés. “Toi décroche toi et je pourrai m’éloigner.” Elle est aussi paniquée que moi j’en suis certaine.

Je cherche des yeux un abris, et je remarque que là on est d’accord sur un point, on doit s’abriter et éviter le monde pour cette nuit, et jusqu’à ce qu’on nous retrouve. “Je sais pas construire une cabane.” Je sais pas faire grand chose de ce style, je n’ai jamais eu besoin d’apprendre à faire ça. “C’est dangereux la forêt non ?” Des restes de films, de documentaires que j’ai jamais vraiment regardé, et c’est tout sauf rassurant. On va mourir sous l’eau ou dévoré par une bête sauvage dans les bois, c’est tout ce que j’arrive à me dire pour le moment.

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« Toi décroche toi et je pourrai m’éloigner. » C’est la meilleure. Je lève les yeux au ciel en lâchant son petit bras maigre et faible. La seule chose que j’ai tenté de faire c’est l’aider - j’ignore quelle mouche m’a piquée - et elle est celle qui s’agrippe à moi comme si sa vie en dépendait. Peut-être que c’est le cas après tout, je l’observe rapidement de bas en haut et je me fait la réflexion qu’elle n’a pas l’air d’avoir ce qu’il faut pour survivre sur une île qui m’a tout l’air hostile et déserte. J’analyse difficilement la situation et j’essaye de prendre chaque chose après l’autre : d’abord, quitter la plage et s’en éloigner le plus possible. Ensuite, pallier au problème de l’orage qui nous trempe les os et qui me donne l’impression que je suis en train de geler de l’intérieur. Ensuite seulement je traiterai les autres informations vitales transmises par mon cerveau. Fonctionner par ordre de priorité, ça me semble être la seule bonne chose à faire. « Voilà je t’ai lâchée tu te débrouille. » Sauf qu’une part de moi a pas envie qu’elle s’éloigne parce qu’on ne marche que sur des cadavres et que je n’ai pas envie d’être seule ici. « Je sais pas construire une cabane. » « Je m’en serais doutée. » Parce que même déchiré, tâché de sang et trempé je sais reconnaître un tailleur Yves Saint Laurent et des stilettos Jimmy Choo, et que ça me parait sacrément incompatible avec un diplôme d’ébéniste.

La cabane, c’est pas la première étape. La première étape c’est de quitter la plage et alors qu’on arrive à l’orée des arbres je sens barbie qui s’arrête et qui hésite. « C’est dangereux la forêt non ? » « Pas plus dangereux qu’un crash d’avion. » Pas plus dangereux non plus que la perspective de finir noyées et gelée et c’est ce qui nous attend si on ne bouge pas d’ici et fissa. « J’ai l’air d’un guide forestier ? » Mon jean est déchiré lui aussi, ma blouse griffée pleine de sang, le mien et celui des autres passagers, et mes mocassins Hermès ne me mèneront pas très loin non plus sur l’île. « Si t’as mieux à faire, je t’en prie. Moi je vais essayer de trouver un endroit où m’abriter. » Parce qu’il n’a jamais été question de construire une cabane là, maintenant, tout de suite.

Elle me fait chier la blonde. Elle parle et elle est agressive, comme si tout ça était de ma faute et je la déteste. C’est de sa faute si je suis réveillée. Elle aurait pu me laisser mourir, mais non. Madame est trop égoïste pour se débrouiller toute seule dans une forêt hostile et inconnue. Je grogne encore une fois, et je suis de mauvaise humeur. Je me demande comment on va trouver à manger et où est ce qu’on va bien pouvoir dormir. Je sais que je ne vais pas pouvoir faire ma princesse mais c’est dans ma nature. On ne peut pas dire que je sois du genre à dormir au sol ou à ne pas manger pendant plusieurs jours d’affilé. Elle me lâche et je suis déséquilibrée, je sens qu’on ne va pas vraiment bien s’entendre toutes les deux. “Pourquoi t’es venue me chercher si c’est pour être aussi chiante ?” Je pose la question qui tourne dans ma tête depuis qu’elle a commencé à parler au moment où j’ai ouvert les yeux. Ma tenue est bousillée, et j’imagine que ma valise est dans un état aussi lamentable que l’avion. “T’as pas l’air d’être de celles qui savent se débrouiller seule dans une forêt non plus.” Je siffle entre mes dents, elle n’est pas aussi classe ni bien habillée que moi mais elle n’a pas l’air d’être une aventurière.

“Très bien on a déjà survécu au premier.” Contrairement à un grand nombre de personne qui les accompagnait. Les morts sont bien trop nombreux, et les survivants s’éloignent le plus vite possible de la plage. Je vois un groupe s’éloigner d’un côté pendant que nous on part de l’autre. Ils sont nombreux, et nous sommes deux. On verra bien qui a pris la meilleure décision. Je me tourne et la regarde de haut en bas. “Peut-être bien.” Si elle cherche à s’engueuler j’ai certainement encore assez d’énergie pour lui envoyer deux ou trois piques avant de me lasser de son manque de répartie. “Fais pas comme si c’était toi qui avais eu l’idée en première !” Une enfant, une vraie qui veut juste avoir raison et être la meilleure dans tous les domaines, même dans ceux qu’elle ne maîtrise absolument pas. “On devrait pas chercher de quoi manger avant ? Ou au moins regarder dans l’épave si il reste pas des trucs qui pourraient nous servir ?” On pourrait presque croire que je sais de quoi je parle.

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« Pourquoi t’es venue me chercher si c’est pour être aussi chiante ? » Alors celle là c’est la meilleure. Je lève les yeux au ciel, fatiguée et excédée de me traîner un tel boulet accroché à ma cheville. Survivre à un crash aérien était pas vraiment dans ma bucket list, mais le faire à ses côtés ça en devient carrément un cauchemar. « Je suis pas venue te chercher. T’avais décidé de crever sur mon chemin. » Peut-être que j’aurais dû la laisser là d’ailleurs, son cadavre aurait été mon désagréable. « T’as pas l’air d’être de celles qui savent se débrouiller seule dans une forêt non plus. » Elle jette un oeil à mes escarpins, je jette un oeil à mes escarpins et je prends sur moi pour ne pas perdre mon calme. « Faut pas croire ce qu’on voit, c’est la collection perdue en pleine jungle 2021 ça. » Bien sûr que non et d’ailleurs, je les retire pour en briser le talon. Je le renfile, elles sont bien moins glamour comme ça mais beaucoup plus pratique.

« Très bien on a déjà survécu au premier. » A l’heure actuelle je sais pas si on peut réellement considérer que c’est très bien et si on souhaitera pas que ça n’ait pas été le cas d’ici quelques heures mais si elle veut voir le verre à moitié plein grand bien lui fasse. « Fais pas comme si c’était toi qui avais eu l’idée en première ! » Je lève les yeux au ciel. « Je me fiche de qui a eu l’idée en première Blanche Neige. » Quoi que Casse noisette lui va certainement mieux. « Tais toi et marche. » On se disputera plus tard si c’est ce qu’elle veut, là elle me fatigue.

Sauf qu’elle sait pas la fermer Casse Noisette. On a pas fait dix pas qu’elle reprend. « On devrait pas chercher de quoi manger avant ? Ou au moins regarder dans l’épave si il reste pas des trucs qui pourraient nous servir ? » « Tu sais quoi, toi tu vas voir l’épave qui se trouve actuellement en pleine mer dans une eau glacée et moi je cherche un endroit où m'abriter de l’orage, et on voit qui survit le plus longtemps. » Quand j’ai une idée en tête on me l’enlève pas, et là je suis actuellement persuadée qu’on mourra d’hypothermie avant de mourir de faim ou de quoi que ce soit d’autre, j’ai déjà l’impression que mon sang se glace.

On a à peine atteint l'orée de la forêt et j’ai déjà envie de l’étrangler. C’est pas gagné.

Je soupire, elle me fatigue alors que je dois la connaître depuis maximum 10 minutes. Pourquoi elle ne m’a pas enjambé comme elle le fait pour tous les autres corps ? Elle était seule, et elle a paniqué, j’en suis certaine. “Là aussi t’en as des dizaines qui ont décidé de crever sur ton chemin.” Je hoche la tête, et j’espère qu’elle n’essaiera de sauver personne d’autre parce que je n’en ai ni le temps ni la motivation. Elle est assez difficile à supporter toute seule, alors on ne va pas se rajouter des boulets sur les bras parce que madame aurait décidé de vouloir sauver la veuve et l’orphelin. Elle brise les talons de ses escarpins quand mes yeux s’arrêtent dessus, une marque que je ne reconnais pas, parce que c’est certainement pas assez cher pour que je puisse savoir d’où ils viennent.

On a survécu au crash mais on ne tiendra peut-être pas une nuit entière. Dieu seul sait ce qui peut bien se trouver dans cette forêt. On s’enfonce, et je sens déjà qu’on sera incapable de retrouver notre chemin dans les heures qui suivent. Le soleil entame sa descente et on voit de moins en moins bien. Je vais vraiment devoir dormir au beau milieu de la forêt ? Elle m’appelle Blanche Neige et je me demande pourquoi. Je n’ai pas les cheveux noirs, je n’ai pas non plus une tête à passant le balais en chantant et en parlant à des oiseaux, elle a fumé quoi celle là ? Donc je préfère prendre le côté princesse, et je trouve que ce genre de surnom me va bien. “Faut bien que je ralentisse pour pas te perdre.” Je ne sais pas comment ni pourquoi je suis un peu plus devant elle, mais autant l’utiliser pour lui expliquer que c’est elle le boulet du duo.

“On aurait pu être plus efficace avant si t’avais pas paniqué.” Elle sent la peur à des kilomètres, et c’est certainement mon cas aussi. “Une qui meurt noyée et l’autre bouffée par un animal sauvage. Un partout égalité.” Parce que partir d’un côté ou de l’autre, c’est risqué et dangereux. Je continue d’avancer en oubliant l’idée d’essayer de retrouver l’épave, je ne sais pas comment on va bien pouvoir sortir vivante d’ici.

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« Là aussi t’en as des dizaines qui ont décidé de crever sur ton chemin. » Comment quelqu’un d’aussi petit peut-il être aussi désagréable ? Est-ce là la question que tout le monde se pose sur moi aussi ? Elle a l’air de penser qu’elle peut tout se permettre et continuer à me coller au cul, alors que j’avancerais tout aussi bien sans elle si elle se décide à vraiment me pousser à bout. « Parfait. Toi tu joues les babysitter, moi je me mets à l’abri. » Pourtant elle continue à me suivre, pourtant elle prend même les devants quand moi je m’arrête pour casser le talon aiguille des mes stilettos, pourtant, j’entends encore le son de sa voix et ça m’agace.

« Faut bien que je ralentisse pour pas te perdre. » « Tu parles encore ? C’est fatiguant. » Pourquoi j’ai pas trébuché sur quelqu’un d’autre ? Est-ce la façon que le destin a trouvé pour me renvoyer mon karma peu reluisant au visage ? Je décide de me concentrer sur des choses plus importante que sa voix haut perchée, de me poser les bonnes questions.

Où sommes nous ? Pas prioritaire. Où trouverons nous abri ? Pas sur la plage en tout cas, et la forêt dissimule les reste de l’île. Alors j’observe le relief : l’île est relativement grande et à plusieurs kilomètres de la plage sur laquelle nous nous trouvons se tient un volcan. Trop loin. L’est de l’île lui semble être escarpé, terrain de falaise et d'éboulis dangereux. L’île est-elle déserte où le relief nous dissimule t-il un village, une population ? Je l’ignore, mais ça non plus, ce n’est pas la priorité. « On aurait pu être plus efficace avant si t’avais pas paniqué. » Elle parle encore, elle parle et je commence à développer la faculté singulière de la transformer en simple bruit de fond. C’est peut-être ça finalement, l’évolution. « Une qui meurt noyée et l’autre bouffée par un animal sauvage. Un partout égalité. » « Noyée ? T’es optimiste, c’est pas ton jaccuzzi, l’eau est pas chauffée. » Je l’ignore jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce qu’elle me donne l’opportunité de me foutre de sa gueule, finalement.

En nous enfonçant dans la forêt nous tombons finalement au pied d’une montée rocailleuse. Les pierres ont l’air glissantes, l’orage et l’averse n’arrangent rien, mais je distingue quelques promontoires dans la montée qui nous protégeraient du déluge. « Tu vas pas réussir à monter avec tes talons aiguilles chérie. » Sans vérifier si elle me suit, je m’engage finalement, escaladant difficilement la montée, glissant sur chaque pierre instable.
 

“Dans tes rêves.” Je lève les yeux au ciel, comme si j’allais la laisser survivre à ma place. Il vaut mieux pour le monde que ce soit moi qui tienne le coup plutôt qu’elle. Elle est insupportable, et je me demande bien pourquoi elle a décidé de me réveiller si c’était pour jouer à qui sera la plus chiante. Elle n’a aucune chance contre moi alors elle devrait se taire et me laisser toute la place dont j’ai besoin. “Je t’emmerde.” Je ne pense pas à la classe de mes mots ni à ce qu’elle peut bien penser de moi ou de ce que je dis. Elle me fait chier, et je lui fais savoir. Je parle si je veux et autant que je le veux, elle n’avait qu’à pas s’approcher de moi si elle n’est pas contente. Elle m’a aidé à survivre et elle n’a qu’à assumer sa connerie aujourd’hui et jusqu’à ce que l’une des deux meurt sur cette île.

“T’as eu le temps pour une petite baignade entre deux crashs ?” Elle continue de chercher la petite bête, de me prendre pour une idiote et je déteste ça. Je n’ai pas envie de le concentrer sur elle et je me dis qu’elle va bien finir par se taire si je l’ignore. Je passe devant elle et j’avance à l’aveugle. La forêt se fait de plus en plus dense et boueuse et l’orage gronde au loin. Pitié faites qu’il ne pleuve pas, il ne manquerait plus que ça. S’il pleut c’est sûr que l’on va finir par mourir de froid sous un arbre.

On va devoir escalader et je grogne assez fort. Comme si je n’étais pas déjà assez pourrie avec tout ça, il va aussi falloir que je ruine chacun de mes muscles en essayant de grimper. Et je vais le faire, encore plus vite que la blonde qui est à mes côtés pour un temps incertain. “Je vais monter chérie, et encore plus vite que toi regarde bien.” Et je ne vais pas casser mes talons juste pour lui prouver que je suis meilleure qu’elle dans n’importe quelle situation avec n’importe quelle garde robe.

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« Dans tes rêves. » Bon et bien on semble d’accord, les autres survivants ne font pas partie de la liste des priorités. Au moins, plus ça va, plus on arrive à trouver des terrains d’entente il semblerait. Alors pourquoi continue-t-elle à me chercher des poux ? Je la soupçonne, comme moi, je se rebiffer parce que se pendre le bec lui donne au moins l’impression d’être vivante, le sentiment d’une normalité qui n’exsite plus que dans notre esprit, mais qui permet de le berner. Sans ça, nous aurions toutes les deux déjà craqué et pété les plombs et, si nous voulons survivre, peut-être que de nous disputer a du bon. « Je t’emmerde. » « Ouais, en effet. » Je prends l’insulte comme une déclaration et je confirme : elle m’emmerde. Comment quelqu’un qui s’habille avec des vêtements hors de prix et qui semble prendre soin d’elle à l’excès peut-il être aussi vulgaire ? C’est un mystère, mais elle a pas l’air d’une lumière la blonde, alors je ne m’y attarde pas.

« T’as eu le temps pour une petite baignade entre deux crashs ? » Je lève les yeux au ciel, à présent, sa voix est comme une sorte de litanie dans mon dos : j’y porte une attention distraite mais au moins, elle me tient éveillée et alerte. « Y’a de l’eau sur la plage Barbie. » Et je sais pas elle, mais nous nous sommes écrasés dans l’eau et si je me souviens à peine de la chute, je me souviens de la morsure de l’eau froide. Un peu plus sérieusement, je déclace. « Et si on trouve pas de quoi se réchauffer, c’est pas la faim qui nous tueras. » Mes vêtements sont gorgées d’une eau glaciale est mes lèvres certainement déjà violettes. « Je vais monter chérie, et encore plus vite que toi regarde bien. » Elle commence son ascension et - évidemment - elle va pas plus vite que moi avec ses chaussures griffées. Mais elle ne se plaint pas - pour une fois - et elle s’obstine, je dois bien reconnaître ça. Je prends la tête de notre petit convoi de bras cassés, et finalement, je pointe une cavité dans la roche au loin. « Là bas. On sera à l’abri de l’orage. » Il arrive, je sens déjà les premières gouttes de pluie.

J’avance, on ne s’arrête plus de marcher. Le terrain est boueux et les arbres s’enchaînent et se ressemblent. Je regarde devant moi, on ne sait pas où on va et on ne cesse de se chamaîller sur la route comme si parler et nous envoyer des piques était la seule chose qui nous maintenait en vie. C’est peut-être la vérité après tout. Parler nous donne de l’énergie et je sens que la seule chose qui me tient debout est l’adrénaline, si je m’assois, je ne suis pas sûre de pouvoir me relever un jour. Je n’ai aucun souvenir du crash, je me souviens seulement d’avoir été réveillé par cette blonde, complètement trempée. Plus les minutes passent plus je sens le froid mordre ma peau. On est sûrement toute les deux en hypothermie, parler est donc la seule chose qui nous aide à penser à autre chose j’en suis certaine. “On a même pas de quoi faire un feu.” La pluie et la nuit vont avoir raison de nous et de nos vies si nous ne trouvons ni à manger ni de feu.

Je grimpe, et elle grimpe plus vite que moi alors je grogne. Je n’ai pas quitté mes chaussures et je suis arrivée au bout du chemin. Et - oh - j’ai perdu une chaussure dans l’ascension. J’enlève la deuxième et je me demande bien comment je vais pouvoir survivre sans chaussures. Plus le temps passe et plus nos chances de voir un nouveau levé de soleil semblent mince. Elle pointe une sorte de caverne sombre et les gouttes d’eau commencent à tomber du ciel. “On a pas le choix de toute façon.” Je soupire et m’avance le plus rapidement possible vers la grotte. Déjà, il fait un peu plus chaud, mais on est toujours trempé et il va falloir trouver un moyen de se sécher. La grotte est grande, et je m’enfonce un peu à l’intérieur tant que la lumière du soleil nous permet encore d’y voir clair.    

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« On a même pas de quoi faire un feu. » Sa remarque me faire réfléchir et, sans hésiter, je plonge ma main dans la poche de mon jean. Il est là mon briquet, il doit être trempé et je doute qu’il marche pour l’instant mais, une fois sec, il nous permettra peut-être de faire du feu. Pour l’instant je ne dis rien, je ne partage pas ma trouvaille avec la blonde d’une part parce que je ne lui fais pas particulièrement confiance, et d’autre parce que je ne suis sure de rien pour l’instant : il peut aussi bien être complètement foutu, percé, et le réservoir rempli d’eau. Je regarderais ça plus tard.

Une cavité dans la roche se dégage, un abri et moi je vois ça comme un cadeau tombé du ciel. Elle visiblement, elle s’attendait plus à un hotêl noté quatre étoiles sur Yelp. « On a pas le choix de toute façon. » « Désolée princesse, on trouvera pas de Hilton de toute façon sur cette île si tu veux mon avis. » Alors suck it up « Allez, fais pas cette tête, peut-être qu’ils offrent quand même les chaussons et les peignoirs de bain. » Je continue sans vérifier qu’elle me suit, sans faire attention à son rythme et à ses joues qui prennent une teinte rouge : elle doit pas souvent voir l’intérieur d’une salle de sport la blonde.

Mais je suis une bonne âme. Arrivée en haut je l’attends, et je grimace même en voyant ses pieds nus. J’ai beau me foutre de sa gueule dès que l’occasion se présente, ça doit pas être agréable de marcher sur les pierres saillantes comme ça. « On ira fouiller en bas quand tout sera calmé, on te trouvera des pompes. » Et pour moi aussi. Je précise pas que, en bas, c’est sur les cadavres, on le sait toutes les deux et j’ai du mal à me résoudre à le dire à l’oral. L’orage se déchaîne à l’instant où on atteint la caverne : il était temps. Ca ne paie pas de mine mais, comme je le fais remarquer, « On est au sec au moins. Faut voir le bon côté des choses. » Je me laisse tomber dans un coin et je fixe le dehors, la pluie qui se déchaîne.