En m’arrachant des bras d’Amos ce matin je n’ai pas dit où j’allais. S’il m’avait posé la question je le lui aurait expliqué, mais nous ne sommes pas de ces couples qui ressentent le besoin de s’interroger sur le programme de leur journée ou sur ce qu’il ont mangé à midi. Nul doute que j’aurais la sensation d’étouffer le cas contraire, et je sais que mon amant déteste trop l’idée de me savoir avec les plus pourceaux de mes fournisseurs pour que je le tienne au courant de mon emploi du temps sans qu’il ne me le demande. Pourtant j’apprends, je compose, et avant lui jamais je n’aurais pensé me tirer du lit en m’assurant avoir embrassé l’homme qui dort à mes côtés, pas plus que de dormir avec le même toutes les nuit.

Pourtant, je sais qu’il désapprouverait mon programme du jour. Pas parce que nuir à Lou Aberline m’obsède : de toute évidence il ne connait pas la jeune femme et il a embrassé la part la plus sombre de ma personnalité : je doute qu’il s’offusquerait de savoir que j’ai ordonné le passage à tabac de son petit ami, dommage collatéral dans toute cette histoire. Cela ne lui déplairait pas non plus que j’agisse sans prévenir Mitchell, puisqu’il n’a pas la même confiance en lui que moi, et que je sens qu’il aimerait que je m’en émancipe parfois. Non, c’est l’identité de mon interlocuteur qui lui déplairait et si Loris Baumann et moi ne nous vautrons plus dans les même draps que j’ai appris son identité, si notre relation n’a plus rien à voir avec ça, je ne doute pas que la jalousie de mon amant le pousserait à voir rouge.

Mais j’ai besoin de Loris pour ce qu’il est : une parfaite petite marionnette qui attend sagement que je le siffle pour s’exécuter, ou en tout cas c’est ainsi que je vois les choses. Lorsque j’ai compris qu’il appartenait au service des stupéfiant j’ai d’abord craint être la cible d’une quelconque enquête ou en tout cas que l’on tente de nuir au Club à travers moi, avant de comprendre que le jeune homme n’était qu’un pauvre paumé accro au opioïdes et forcé de flirter avec tout ce qu’il déteste et ceux contre qui il est censé de se battre pour servir ses addictions. Je détiens sur lui des informations qui pourraient ruiner sa carrière, et aujourd’hui j’ai décidé de les mettre à profit en en faisant mon nouveau pion de ma lutte contre Aberline et sa petite petite organisation concurrente, niche, ruche ou poulailler. J’ai volontairement choisi un lieu de rendez vous où il y aura du monde, qui n’est pas mon appartement pour des raisons évidente mais où le brouhaha environnant empêchera quiconque d’entendre notre conversation. Mon choix s’est porté sur la course de voitures de collection organisée par la ville, et j’ai envoyé un message au brun sans m’épancher en détails : il viendra, il a plutôt intérêt, et en t'attendant, je me suis accoudée à la balustrade des gradins sur lesquels je suis installée pour observer les pilotes se préparant avec un désintérêt certain.


@Loris Baumann

Il fut un temps où rencontrer Raelyn Blackwell était source d’un plaisir mitigé et d’un soulagement écrasant. Je m’engouffrais dans son immeuble et, plus tard, dans son appartement et dans son lit, à reculons jusqu’à ce que j’embarque en long courrier sur les lignes aériennes du plaisir. Lui, il m’autorisait à oublier aussi longtemps que durait l’ébat que j’étais la monnaie d’échange pour obtenir sans frais ce que je désirais plus ardemment que son corps. Lui, il tenait fermement la main à ma satisfaction d’effacer de ma vie les douleurs résiduelles de mon accident. Lui, il arrivait également à me convaincre que l’arrangement n’était pas aussi dégradant que l’imaginaire commun laissait sous-entendre. Sauf que mon métier a aboli l’accord. Le contrat est désormais caduque, si bien qu’il est né en mon sein une profonde angoisse lorsqu’elle m’a convoqué sur l’événement organisé à Brisbane. Je n’ai pas envie de la voir. En bon lâche, je redoute sa réaction lorsqu’elle apprendra que son chantage n’a pas suffit à me mettre en branle. Lou Aberline n’est pas mon dossier. Je n’ai pas envie de me pencher sur ses activités autrement que pour rendre justice aux camés qui crèvent à cause de la came frelatée qu’elle distribue à tous les coins de rue. Je le ferai, un jour. Lorsque l’organisation prendra plus d’ampleur, je travaillerai sur ce cas avec l’acharnement des passionnées de justice. Mais pas maintenant. Pas dans ces conditions. Et si, jusqu’ici, j’ai considéré cette rébellion comme un acte de courage, je reverrais presque mon jugement aujourd’hui. Je ne renoncerai pas, mais quelles seront les conséquences de mon insubordination ? Va-t-elle balancé que je participe à l’enrichissemennt des femmes dans son genre ? Va-t-elle ruiner ma carrière ? Foutre en l’air tout ce que j’ai construit durant toutes ces années ? Elle en est capable. Je la connais peu, mais je lis efficacement dans le regard des gens de son espèce. Elle ne plaisantait pas. Dès lors, tandis que je la rejoins dans les gradins, alors que je l’aperçois appuyée sur la balustrade, mon coeur est noué par la peur. Pour peu, j’aurais opéré une marche arrière fissa, sans hésiter, pour fuir loin, aussi loin que mes jambes pourront me porter. Mais pourrais-je à nouveau affronter mon reflet dans un miroir ? J’en doute. Alors, je m’avance, je m’adosse à la rambarde et, faisant fi de toute bienséance, je me suis annoncé : « Si je m’attendais… » A quoi, Loris ? Au lieu de rendez-vous ? A ce qu’elle me contacte aussi rapidement après notre dernière entrevue ? A priori, feindre l’innocence ne me vaut pas grand chose. Je suis moins convaincant dans mon rôle - quel est-il d’ailleurs ? - que la lettre d’un analphabète. “ « Je ne savais pas que tu aimais les belles mécaniques. Tu as choisi un lieu qui me plairait parce que tu as changé d’avis ? Tu es prête à reprendre notre accord là où tu l’as laissé ? » ai-je tenté, sans le convoiter autrement que pour ma tranquilité d’esprit.

Il apparaît dans ma vision périphérique le brun et je me tourne dans sa direction en m'accoudant à la balustrade et en le dévisageant d’un air conquérant. J’ai sifflé, il a accouru comme un chien obéit à son maître et je jubile de cette situation, puisqu’elle flatte les traits les plus abjects de ma personnalité, ceux qui aiment dominer, ceux qui aiment avoir l’ascendant et écraser autrui sous le talon de mes chaussures hors de prix. Il n’a pas l’air ravi de me voir, c’est le moins que l’on puisse dire, mais je garde mon sourire accroché à mes lèvres, provocatrice et consciente d’avoir le dessus dans cette conversation. Il ne peut me faire plonger sans couler avec moi, quand l’inverse reste largement possible. « Si je m’attendais… » Je relève mes lunettes de soleil avant de reposer mes coudes contre la balustrade. « A quoi, à ce que je sois plus belle encore de jour en jour ? C'est téléphoné ça comme approche Baumann. » Mon sourire s’étire et finalement, j’éclate d’un rire bref avant de me retourner pour observer la piste, le laissant prendre place à mes côtés.

« Je ne savais pas que tu aimais les belles mécaniques. Tu as choisi un lieu qui me plairait parce que tu as changé d’avis ? Tu es prête à reprendre notre accord là où tu l’as laissé ? » La vérité c’est que je me fous des voitures en elle même, mais j’ai pris goût aux courses il y a des années aux côtés de mon ancien compagnon. Si je fréquente les champs de courses - plus souvent illégales - de façon sporadique aujourd’hui, j’ai tout de suite aimé ça. Parce qu’entre les supporters survoltés qui prennent les paris et les pilotes qui ne se font aucun cadeau – parce qu’ici les limites sont rares, l’ambiance est bien plus survoltée que dans un stade de football Australien. Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai assisté à un accident, à une collision entre deux voitures. La main d’Aaron s’était rabattue sur mon visage comme pour me protéger du spectacle mais je l’avais repoussée, fascinée par ce qui se déroulait sous mes yeux. « Je savais pas qu’on avait un accord. Il disait quoi ? » Je décrirais plus notre relation comme une rapport de force en ma faveur. « Mais je fais rien pour faire plaisir, tu devrais le savoir. » Si je suis ici, c’est que moi j’y ai quelque chose à gagner.



@Loris Baumann

Motivé par son assurance, je l’observe et je réalise que jamais je ne me suis demandé si je la trouvais ou non, la trafiquante de haut vol. Aujourd’hui, je statue en tentant d’être objectif comme si ça avait une quelconque importance, comme si c’était l’urgence alors que – n’ayons pas peur des mots – elle me tient littérairement par les couilles. Suis-je donc un gars futile, autant que l’on peut se l’imaginer lorsqu’on pose les yeux sur mon sourire perpétuellement béat ? Face à n’importe qui d’autre, j’aurais juré que non. Devant cette femme, j’ai trop vite tendance à me démonter. « Ce n’était pas une approche destinée à te flatter, Raelyn. » Que du contraire : je l’ai en horreur à présent. Elle recommence son petit jeu de dupe qui consiste à… à quoi d’ailleurs ? A me faire danser comme elle chante ? A me faire croire qu’elle n’est pas mon ennemie quand je suis le sien ? Je suis flic. C’est une criminelle. Le calcul est vite fait. «  Je suis surpris que tu m’aies contacté. Je pensais que c’était à moi à le faire, quand j’aurais de quoi le faire. Du coup, je me demande ce que tu me veux. » ai-je lancé en me retournant pour fixer du regard ce qui semble l’intéresser. Je commente l’endroit qu’elle a choisi. Je m’étonne de son inclination pour la mécanique, mais ce n’est que conjecture. Mon cœur rate un battement alors qu’elle annonce la couleur de cet entretien. Je suis là parce qu’elle veut obtenir ce qu’elle a exigé et sur lequel je n’ai pas travaillé. Je ne le ferai pas d’ailleurs. C’est un pacte que j’ai conclu avec moi-même. « Il disait : échange de bon procédé, mais tu avais l’air de t’encombrer de truc à la con… » Mon job par exemple. Comme s’il me définissait. N’est-ce pas stupide ? « C’est tout ce que j’ai à offrir, Raelyn. je n’ai rien d’autre et je n’aurai jamais rien d’autres pour toi. » Malgré les menaces qu’elle mettra sans doute à exécution. Je ferai jouer mon assermentation pour me défendre. Je me tiendrai à carreau durant des jours au cas où je serais soumis à un test urinaire ou sanguin. J’ai des solutions et, si j’ai peur, je fais mine de ne pas y penser. Je refoule ma crainte d’elle parce qu’elle me fait honte. « Je suppose qu’on en a déjà terminé dans ce cas. Que je peux m’en aller. » Réalisant que, présenté de cette manière, je donne l’impression d’attendre son assentiment. J’ai tourné les talons en lui souhaitant : « Bonne journée. Un plaisir de t’avoir revu. »

« Ce n’était pas une approche destinée à te flatter, Raelyn. » Je n’ai pas besoin de lui pour me flatter, je n’ai besoin de personne et si j’y suis toutefois sensible, je ne pourrais pas moins m’intéresser à ce qu’il pense Loris. Oh, nul doute qu’il me déteste. Qu’il doit me haïr de toute fibre de son être d’être celle qui mène la danse sans qu’il n’ait d’autre choix que de se taire, puisque je ne le tiens quand lui n’a aucune prise sur moi. Mon sourire radieux toujours accroché aux lèvres, je me contente de hausser les épaules avant de changer de position de sorte à pouvoir observer la course. « Je suis surpris que tu m’aies contacté. Je pensais que c’était à moi à le faire, quand j’aurais de quoi le faire. Du coup, je me demande ce que tu me veux. » Je m’impatiente. Je veux m’assurer que le message soit bien passé et surtout lui rappeler les risques qu’il prend à tenter de se défaire de ce qu’il appelle un accord et que je nomme rapport de force ou chantage, s’il veut employer les grands mots.

« Il disait : échange de bon procédé, mais tu avais l’air de t’encombrer de truc à la con… » « Ah, ça. » Oui, ça ce n’est plus d’actualité. Il n’est plus question de le fournir pour le plaisir de sa compagnie, et pas uniquement puisque je ne suis plus disponible et donc plus du tout intéressée. Non, j’ai mis fin à ça à l’instant où j’ai compris comment il gagnait sa vie, ayant toujours voué une haine sans nom à tout ce qu’il représente. « C’est tout ce que j’ai à offrir, Raelyn. je n’ai rien d’autre et je n’aurai jamais rien d’autres pour toi.  » Je fronce les sourcils : la tournure que prend la discussion ne me plait pas. Alors c’est ça ? Il pense pouvoir taper du poing sur la table et se sortir de notre accord tel un enfant capricieux ? « Je suppose qu’on en a déjà terminé dans ce cas. Que je peux m’en aller. » Mon sourire s’efface, mais mon visage reste neutre : il doit comprendre qu’il ne m’impression guère et qu’il ne m’atteint certainement pas. « Bonne journée. Un plaisir de t’avoir revu.» Je le regarde tourner les talons, et je le laisse faire trois pas avant de reprendre, d’un ton froid. « Tu crois que tu n’as rien à perdre ? » J’attends un signe qu’il m’écoute : qu’il s’arrête ou se retourne. « Je pensais que tu tenais à ton boulot. » Celui qu’il perdra si notre échange de bons procédés venait à se savoir. « Mais si c’est pas le cas, essaye tout de même de voir la chose d’un plus grand angle. » J’esquisse un sourire en abattant ma nouvelle carte. « Ils diront quoi, Luke, Leah et le reste de ta famille quand ils apprendront qui t’es vraiment ? » Et l’avantage c’est qu’il n’est pas le seul Baumann que je connaisse, et que je n’ai pas eu à chercher bien loin.



@Loris Baumann

Chaque pas qui m’a rapproché d’elle a fait gonfler mon angoisse, si bien qu’au moment où je l’ai hélé, où elle m’a chargé de sa prétention et où j’ai été forcé de me défendre en jouant les imbéciles – je ne le suis pas vraiment – elle était à son comble. Je déteste me faire passer pour un con, mais je n’ai pas vraiment d’autres options à disposition. Si elle me considère malin, je n’arriverai pas à me défaire de cet odieux chantage. Et ça me fait peur, évidemment. Je n’ai pas envie que ma vie toute entière soit régie par cette femme parce que j’aurai accepté de devenir sa marionnette. Dès lors, je lui rappelle notre accord de départ, le seul qui vaille de mon point de vue. Ce qu’elle attend par rapport à la Ruche, je ne peux ni ne veux le lui offrir, parce que je chargerai son ardoise. Elle aurait trop de cartouches pour arriver au même résultat, autrement dit, détruire ma vie et mettre à mal mon équilibre. « Oui, ça ! » ai-je répété, trouvant la situation fondamentalement injuste finalement. Il y a peu, je me suis senti soulagé d’être débouté de mon rôle de gigolo. Aujourd’hui, je prierais pour le retrouver. Il était moins dangereux. Malheureusement, je pressens que ça n’arrivera jamais plus. Alors, je tente une autre approche : je prends congé. Je tourne les talons non sans m’être embarrassé au préalable de bienséance. Va-t-elle se contenter de ça, cette harpie ? J’en doute et je presse le pas. Peut-être que la surprise la ralentira et qu’elle n’aura pas le temps de me rattraper. J’y gagnerai quelques jours de répit pour établir un nouveau plan d’attaque. Quel con. Je n’ai pas le temps d’arriver à l’angle entre la sortie et les derniers sièges qu’elle m’a assommé d’un coup de poing. Elle n’a même pas eu besoin de bouger une jambe pour que j’interrompe ma course et que j’opère un retour brusque à la case départ. Mes bras m’en sont tombés, j’ai soupiré et je suis resté muet un long moment en la toisant de par-dessus mon épaule. « J’y tiens, c’est vrai, mais moins qu’à ma liberté. » Je ne parlerai pas d’honneur bien entendu. C’est une notion abstraite pour moi. Ce que j’essaie de sauver, c’est mon droit d’exister sans avoir la peur au ventre. « Pour moi, c’est plié. Tu peux faire ce que tu veux. Balance-moi. Je m’en tape, aurais-je pu enchérir, même si c’est faux, même si c’est absurde en réalité. Je crèverais d’être privé de ma passion. Mais, je prends le risque. Tout du moins étais-je prêt à le prendre jusqu’à ce qu’elle invite ma famille à prendre part à la conversation. Mon sang s’est glacé et j’ai retrouvé ma place contrer la balustrade. « Et qui je suis ? Qu’est-ce que tu crois pouvoir leur apprendre qu’ils ne savent pas déjà à ton avis ? » Ils ne savent rien, mais quoique je sois déstabilisé, je fais mine de ne pas la craindre. « Ils sont ma famille. Il n’y a rien que je leur cache. Mais tu ne comprends pas ça, toi… est-ce que tu sais ce que c’est la complicité et la confiance ? »

Je l’observe s’éloigner et, dans un sourire, je me demande si il croit réellement qu’il est tiré d’affaire et que je fais le laisser s’en tirer aussi facilement. Si je le laisse espérer c’est uniquement pour que la chute n’en soit plus dure quand je le conduirais à l'abattoir. S’il avait été un flic lambda qui n’avait que peu tenu à sa carrière, peut-être que sa stratégie aurait marchée. Sauf qu’il n’a pas de chance, parce que son nom de famille je le connais et je l’ai reconnu. J’ai fouillé les réseaux sociaux de mon ancienne amie ou connaissance pour en avoir la confirmation et une photo de famille mièvre à mourir m’a confirmé qu’il était le frère de Leah. Je la connais assez pour savoir qu’elle n’approuverait jamais la moindre consommation de drogue par rapport à son propre passé à notre frasque de trop qui a coûté la vie de son prétendant du moment, pas plus qu’elle n’approuverait qu’il s’acoquine avec moi. Elle me déteste Leah, elle me l’a fait comprendre lorsque nous nous sommes recroisées l’an dernier après sept ans de silence.

Ma menace déguisée est efficace en tout cas puisqu’il se retourne dès que je le hèle. « J’y tiens, c’est vrai, mais moins qu’à ma liberté. Pour moi, c’est plié. Tu peux faire ce que tu veux. » Je l’observe, les coudes appuyés contre la balustrade. « Je t’ai déjà dit que tu mentais mal Loris. » Et je suis plutôt douée pour lire et deviner les gens. « Et je sais que t’es pas prêt à tout perdre. Sinon tu serais pas venu me trouver à la base. » Pour combattre la douleur, pense-t-il que je ne l’ai jamais vu grimacer lorsque mes doigts s’accrochaient à son épaule ? « Elle te fait toujours souffrir ton épaule ? » Provocatrice, je vais jusqu’à poser ma main dessus, délicatement et sans forcer, plus pour le mettre mal à l’aise que pour lui tirer une grimace de douleur.

J’abats ma dernière carte, celle que je gardais jalousement en vue du moment où il penserait qu’il peut se rebiffer, et je le fais sans perdre mon sourire.
« Et qui je suis ? Qu’est-ce que tu crois pouvoir leur apprendre qu’ils ne savent pas déjà à ton avis ? »
« Je pense oui. »
« Ils sont ma famille. Il n’y a rien que je leur cacher. Mais tu ne comprends pas ça, toi… est-ce que tu sais ce que c’est la complicité et la confiance ? » J’en sais plus qu’il ne le croit, mais du reste ce ne sont pas ses oignons.
« Joue pas à ça avec moi. Je les connais pas tous, mais je connais Leah. » Et elle sait qui je suis aussi. « Et je crois pas qu’elle approuverait. Comment elle va d’ailleurs, elle rêve toujours du prince charmant ou elle a enfin abandonné ? »


@Loris Baumann

Moi ? Mauvais menteur ? De la bouche d’une autre, j’aurais appréhendé cette remarque tel un compliment. Dans la sienne, c’est un reproche ou une manœuvre pour attirer mon attention, une façon de bluffer, comme je le fais, à la différence que c’est elle qui tient les rênes et uniquement par ma faute. Au moment où elle m’a confronté à mon métier, j’aurais dû être moins pleutre. J’aurais dû prétendre que j’étais en couverture. En toute franchise, même si j’aime la vie de tout mon cœur, ça m’aurait davantage convenu que cette servitude envers cette garce. J’aurais presque préféré qu’elle ordonne mon exécution pour ne pas vivre dans la peur constante d’être démasqué et dévoué part mes pairs. Alors, évidemment, je me retourne. Bien sûr que je me concentre sur elle. Bien entendu que je sue à grosses gouttes, que ça me dégouline le long de la nuque, que je souffre de sueur froide lorsqu’elle a évoqué les membres de ma famille, en particulier Leah. Elle en a trop vu que pour être la victime de mes frasques. Dès lors, je rejoins à nouveau le corbeau et je me défends, comme je peux, sans panache mais avec bravoure. « Tu penses quoi ? Que tu sais qui je suis ? » ai-je craché, incapable de faire semblant que je ne suis pas heurté par sa menace. « Et si c’était moi qui balançait ce que je sais à mon boss ? Tu y as pensé ? Je tente de renverser la vapeur, mais je sais que c’est trop tard. J’aurais dû y venir plus tôt, pas quand elle vient de sortir un as de sa manche. «Toi, ne joue pas à ce jeu-là avec moi. Tu ne sais rien d’elle. Tu as trouvé quoi ? Une photo sur instagram ? Et quoi ? Tu ne prends pas beaucoup de risque, Raelyn. Pourquoi elle te croirait ? » Frustré, j’évalue mes chances de me tirer de cette merde sans trop de dommage. Elles me semblent minces. « Tu bluffes. Tu le feras pas où tu l’aurais déjà fait, juste pour t’amuser.» Je ponctue en haussant les épaules et je renchéris. « Je peux y aller maintenant ? De toute façon, je ne peux rien faire pour toi. Je n’ai pas ce que tu veux. La ruche, comme tu l’appelles, est trop jeune pour que j’ai des infos et je n’en ai pas assez pour faire ouvrir une enquête. Faudra patienter jusqu’à ce qu’elle fasse une erreur, comme vous. » Et, par ce “vous“, je pense à elle, Mitchell, le Club.

« Tu penses quoi ? Que tu sais qui je suis ? »
« Bien sûr que je sais qui t’es. Des gars comme toi j’en ai connu des centaines. »

D’abord grisés par le nouveau monde qu’ils touchent du doigt, puis mortifié d’en découvrir les méandres avec, dans le lot, l’angoisse d’être découvert, le sentiment de se brader au nom de la drogue et tout un tas de considération plus désagréables les unes que les autres. Il n’y rien d’exceptionnel Loris et, sans chercher plus loin, je l’ai casé dans la casé des types comme les autres. « Et si c’était moi qui balançait ce que je sais à mon boss ? Tu y as pensé ? » « T’as plus à perdre que moi Loris. Et je me sortirais de ça. Je m’en sors toujours. » Je plonge ma main dans la poche de ma veste pour en tirer mon paquet de cigarettes. J’en sors une que j’allume sans proposer au brun de se servir. « Et tu serais obligé d’admettre ce que t’as fait et avec qui tu l’as fait. Tu bluffes et je le sais. » Je le point du doigt avant d’attraper ma cigarette pour expirer mon air.

J’ai attendu le bon moment pour sortir ma carte maîtresse et, s’il commence à faire le difficile, je me dis que c’est le moment. Il aimerait que je bluffe lui aussi, et j’en suis capable, sauf que cette fois ci je n’en ai même pas besoin. « Toi, ne joue pas à ce jeu-là avec moi. Tu ne sais rien d’elle. Tu as trouvé quoi ? Une photo sur instagram ? Et quoi ? Tu ne prends pas beaucoup de risque, Raelyn. Pourquoi elle te croirait ? » Un sourire suffisant étire mes lèvres et, à aucune moment, mon regard ne s’illumine de l’éclat discret du doute. Je respire l’assurance. « Tu bluffes. Tu le feras pas où tu l’aurais déjà fait, juste pour t’amuser. » Un rire discret s’échappe de mes lèvres et je l’observe, ma petite abeille coincée sur un verre qui se débat pour s’en sortir sans avoir la moindre chance. « Je peux y aller maintenant ? De toute façon, je ne peux rien faire pour toi. Je n’ai pas ce que tu veux. La ruche, comme tu l’appelles, est trop jeune pour que j’ai des infos et je n’en ai pas assez pour faire ouvrir une enquête. Faudra patienter jusqu’à ce qu’elle fasse une erreur, comme vous. » « T’aimerais que je bluffe. Et j’admets que j’aurais pensé la même chose que toi. » Je suspends ma cigarette au bout de mes doigts et, sans le quitter des yeux, je m’amuse à l’y faire tourner. « Je vais pas perdre mon temps à te raconter comment j’ai rencontré une petite étudiante de l’université de Brisbane en 2012 qui passait plus de temps en soirée qu’en cours. Je te dirais pas non plus la façon dont elle était fascinée par Raelyn Blackwell et tellement facile à manipuler. » Je savoure mon effet, je savoure le doute sur le visage de Loris. « J’y ai presque pas cru quand j’ai appris ton nom de famille. Faut croire que vous aimez ça les Baumann, graviter autour de moi. » Veut-il toujours partir ? « Du reste c’est pas mon problème. Les erreurs, ça se crée. Tu demanderas à Leah. »



@Loris Baumann

Des centaines… je ne suis pas surpris ni envahi par la certitude qu’elle exagère. Sa débauche transpire de sa chevelure peroxydée. Elle sait trop bien y faire avec un homme pour être débutante. Jusqu’il y a peu, ça m’arrangeait beaucoup. Face à elle, je me dis qu’à sa place, elle n’a pas de quoi être fière. A sa place – attendu que je sois une femme – je ne me vanterais. Je ne l’utiliserais pas non plus comme argument. Dieu que je suis déçu de moi qu’il fonctionne. C’est une amorce intéressante au vu de ce qui arrive par la suite. Luke. Leah. A priori, elle connait la seconde. Aurait-elle couché avec le premier ? En toute franchise, ça ne m’étonnerait pas plus que le décompte de ces amants. Alors, je n’ajoute rien. Je prends conscience qu’à force de me débattre, les sables mouvants vont m’engloutir plus vite. Je suis ridicule, en outre. J’ai perdu. Elle lit en moi parce que je suis prévisible, parce que je suis le cliché des flics passionnés, le stéréotype du frère aimant, le fruit des diktats des mecs trop beaux et, par conséquent, un soupçon trop sûr d’eux. Je ne supporte pas l’idée qu’elle me tienne en échec. Pourtant, je dois abdiquer, maintenant, parce que c’est bien ma cadette qu’elle décrit. Elle ne bluffe pas et voit clairement dans mon jeu. Dire que je me décompose est un euphémisme. Dans un dessin animé, des gouttes me tomberais du front en torrent. Je suis à l’étroit dans mon corps, mal à l’aise dans mes vêtements. Je trouve la température intenable alors que l’été est derrière nous. Je m’agite. Je gigote. Je ne sais plus sur quel pied m’appuyer et, conscient de la médiocrité du spectacle, je soupire et capitule. « Allez, réjouis-toi. Tape des mains ; Tu as gagné. Qu’est-ce que tu veux, Blackwell.» Je n’use plus de son prénom, car je ne ressens plus pour elle que du mépris, de la haine presque injustifiée alors que je suis le seul coupable dans cette histoire. C’est moi qui ai frappé à sa porte. C’est moi qui me suis sciemment jeté dans la gueule du loup. « Quelle erreur tu veux que je créée pour pouvoir faire l’ouvrir l’enquête et coller dans les pattes de la ruche des flics ? Balance.» A-t-elle au moins un échantillon de produits que je pourrais déposer sur une scène de « crime » ? Au contraire, je ne peux pas la fabriquer. Je ne peux pas la dénicher moi-même non plus. Qu’elles sont les chances pour que je sois reçu par le gros bonnet à la tête de son organisation concurrente ?

Je sens qu’il cède, que sa volonté se morcèle et moi j’exulte. Il n’y a, j’en suis persuadée, que peu de sentiments plus agréables et jouissif que celui de la victoire, que d’arriver à faire ployer un étalon rebelle. Il ploie Loris, je le sais avant même qu’il ne me confirme puisque je lis sur son visage qu’il a reconnu sa soeur à travers ma brève description. Dommage, j’aurais adoré developper. J’aurais adoré lui expliquer comment un soir, pour m’amuser et qu’elle se décoince, j’ai glissé un cachet d’XTC dans son verre. J’aurais adoré lui parler des effets que la drogue a eu sur elle, comment elle l’a poussée à s’ouvrir à ce type qui lui faisait du charme depuis des mois, comment elle a continué à boire plus tard dans la soirée une fois rentrés au loft et comment, pendant la nuit, le brun est mort d’une overdose tout contre elle. J’aurais aimé lui dire que j’ai gardé des preuves de tout ça au cas ou Blanche Neige se rendrait compte un jour qu’elle n’est pas capable de tenir sa langue je lui expliquer comment je compte m’en servir pour continuer à l’exploiter.


Parce qu’au delà du dégoût viscéral que j’ai ressenti en apprenant qui il était, j’ai appris à le voir comme un atout Loris. Comme une carte dans mon jeu que j’ai gardée bien au chaud avant de lui trouver une utiliser. La tentative de rebellion d’Aberline en a été une toute trouvée, mais il a fallu qu’il tente de se rebiffer et qu’il nous renvoie deux cases en arrière, cet idiot. « Allez, réjouis-toi. Tape des mains ; Tu as gagné. Qu’est-ce que tu veux, Blackwell. » « On aurait pu commencer par là. » L’humilier est un sport que je pratique avec un plaisir coupable, mais comme je le lui répète, « J’aime pas perdre mon temps, tu le sais en plus. » J’écrase ma cigarette contre la rambarde, avant de la jeter d’un le vide d’un mouvement sec. « T’as compris cette fois ci, c’est bon ? Tu me referas plus de scènes du genre ? » Je lève un sourcil, tentant d’évaluer à quel point il se fout de ma gueule cette fois ci. Ce serait dommage, d’avoir ce genre d’information sur sa jeune soeur et de ne pouvoir les utiliser. « Quelle erreur tu veux que je créée pour pouvoir faire l’ouvrir l’enquête et coller dans les pattes de la ruche des flics ? Balance. » « Sois créatif, c’est pas moi qui suis flic. » Je meurs d’envie d’allumer une seconde cigarette mais je me retiens. Foutu macho, il aurait au moins pu aller me chercher un verre. « Je veux de quoi lui faire passer un message. Lui faire comprendre qu’elle marchera pas sur mes plates-bandes impunément. Pas de quoi l’enterrer tout de suite. » Non, je veux voir ce qu’elle a dans le ventre la gamine qui n’en n’est plus tout à fait une.


@Loris Baumann

C’est un prédateur, cette femme et je suis l’oiseau de proie. Elle me castre d’un rien, à l’aide d’une allusion à ma sœur et je plie le genou devant cet animal qui se repaît de ma peur. Evidemment, je l’ai entendue prétendre qu’elle détenait sur Leah des secrets bien gardés. J’ai perçu dans son timbre son désir avide de me le révéler. Or, si je brûle de curiosité, je ne creuse pas, pour différentes raisons. La première, c’est que je redoute la teneur de sa révélation. Ma cadette est l’adulte – je n’en suis pas tout à fait un – que j’ai pris en exemple pour sa détermination et sa droiture et je refuse que cette langue fourchue ne la salisse. La seconde, c’est que je me détesterais de lui offrir le plaisir d’altérer mon jugement. Finalement, je suis trop concentré à m’observer le nombril et à me débattre dans la fange de mes emmerdes pour m’en inquiéter directement. Ce qui m’intéresse, ce qui nourrit l’angoisse qui m’a gagnée dès qu’elle m’a appelé, c’est la faveur qu’elle me réclame. Alors, à présent que j’ai abdiqué, je n’ai qu’une hâte : qu’elle en vienne au fait. Qu’elle déblatère les conditions de son odieux chantage sans plus jouer avec moi comme un chat avec une souris. Cette position me débecte. Je me débecte. Il n’y a plus de défiance de mon regard, juste de l’effroi et j’ai honte. « Nous y sommes, c’est le principal. Allez, crache le morceau. J’ai compris. » Pour peu, je battrais la queue comme un chien et je lui lècherais les pieds pour son indulgence et ça non plus, ce n’a rien de glorieux. Rien qui ne me poursuivra pas la nuit. Rien qui ne m’empêchera pas de chérir mon reflet dans un miroir. Rien !!! Et a priori, bien qu’elle soit fière d’elle, elle n’a pas d’idées lumineuses pour me faciliter la tâche et ça me sidère. Ai-je le droit d’en rire ? De me moquer ? Probablement, non ! Pourtant, je m’y colle. « Une grande stratège comme toi. Tu n’a pas même un soupçon d’idées sur la marche à suivre ? » Je prends un air faussement déçu : je n’attendais rien d’elle, si ce n’est la paix. « Je suis pas Copperfield, je suis flic. Je peux rien faire apparaître si tu me donnes pas de quoi faire. Tu as même pas un échantillon de leur came ? » ai-je demandé alors qu’il dessine l’esquisse d’un plan dans mon esprit agité. « C’est encore la meilleure façon de leur adresser ce fichu message. » La façon la plus légale, car il est hors de question que je me transforme en criminel pour voler dans les ailes des abeilles. Je ne suis pas non plus assez stupide pour attaquer leur ruche sans soutien. Autrement dit, il faudra en donner plus que ça, Blackwell.

« Nous y sommes, c’est le principal. Allez, crache le morceau. J’ai compris. » Il manque d’humour Loris, et il récolte un roulement agacé et théâtral de mes yeux de biche. « Qu’est qu’il y a, t’es pressée ? T’aimes pas les courses de voiture ? » Il y a quelques minutes j’avançais ne pas aimer perdre mon temps, et à présent je lui reproche l’inverse. Tout est bon pour le plaisir de le houspiller voir de carrément me foutre de sa gueule, et je ne m’en prive pas. « Tu vois c’est ça ton problème Loris. Toujours droit au but, pas de fioritures, alors que parfois… Il faut savoir prendre son temps. » Evidemment, je parle autant à sa part macho qu’à ton son être, certainement répugné de s’être abaissé à me toucher pour avoir sa dose. Je n’ai pas souvenir d’avoir eu à me plaindre de nos intermèdes, mais le sous-entendre m’amuse puisque je sais qu’il prendra la mouche, au fond.

« Une grande stratège comme toi. Tu n’a pas même un soupçon d’idées sur la marche à suivre ? » Des idées j’en ai plein, mais la plupart se concrétisent par la tête d’Aberline au bout d’une pique et je doute que, même pour protéger ses petits secrets et ceux de sa famille, il soit prêt à de tels extrêmes. « Tu te plains quand je te donnes des ordres et tu te plains quand je t’en donne pas. Faut savoir ce que tu veux. » Je pousse un soupir avant de reprendre. « Tout ce que je veux c’est que ton service s’intéresse à elle, et qu’elle le sache. » Pour voir de quel bois elle est faite, la petite junkie recueillie par le Club il y a six ans. Pour voir si elle constitue une adversaire digne de mon intérêt et surtout, si elle est dangereuse ou fait surtout beaucoup de bruit. « Je suis pas Copperfield, je suis flic. Je peux rien faire apparaître si tu me donnes pas de quoi faire. Tu as même pas un échantillon de leur came ? C’est encore la meilleure façon de leur adresser ce fichu message. » « Tu me prends pour quoi ? » Je lève un sourcil. « J’en ai pas sur moi, mais bien sûr que je peux mettre la main sur un peu de sa came de merde. » Je l’observe de la tête aux pieds, comme pour le jauger. « Te l’enfile pas par contre celle là, paraît qu’elle est coupée avec de la merde et qu’elle fait des ravages. Tu vois finalement que je suis la gentille de l’histoire ? » Ma came à moi au moins, il peut attester de sa qualité.



@Loris Baumann

Son audace ne souffre donc d’aucune limite ? Elle me tient par les bijoux de famille. Qu’espère-t-elle ? Que je vais rire à gorge déployée à chaque trait d’esprit ? Que je vais l’applaudir parce qu’elle brille de son humour malsain ? De qui se moque-t-elle exactement ? Je tombe des nues et c’est à mon tour d’être agacé, à la différence que je le manifeste en pianotant la rambarde des gradins. « Oh, si, mais quand je suis là pour ça. Arrête de jouer, Blackwell. Je suis sûr que tu as des tas de gens à menacer. Alors pourquoi tu n’accouches pas une bonne fois pour toute ? » Cela me permettrait de fuir rapidement et d’oublier ses sous-entendus à propos de ma sœur. Est-ce grave ? Et si elle la faisait chanter elle aussi ? Et si elle nous entraînait tous les deux dans ce cauchemar de tout perdre ? Y a-t-elle songé ? Je n’en doute pas. Elle est retorse, cette blonde. « Mon problème ? C’est toi qui tournes autour du pot. On ne t’a jamais dit que le temps c’était de l’argent ? » Que lui ont-ils donc appris ses parents ? « Tu parles beaucoup trop, tu me fatigues. » J’en tiens pour preuve mon agitation, mon envie de la secouer comme un prunier. Le pourrais-je que je les lui arracherais, les mots qu’elle a collés sur sa langue. « Tu t’es jamais plainte, en plus.» Je ne peux pas jouer les innocents plus longtemps. Il est évident qu’elle tente de me piquer au vif en s’attaquant à ma virilité et moi, je saute à pieds joints dans son piège : je m’offusque. « Ce que je veux, c’est rentrer chez moi. Ce que je veux, c’est que tu me donnes un objectif. Sauf que tu ne sais pas ce que tu veux… c’est ça, ton problème. Tu veux tout et tu ne sais pas comment l’atteindre. Tu attends que les autres fassent les choses à ta place. Pourquoi tu ne vas pas lui adresser toi-même ton putain de message à la reine des abeilles. Est-ce qu’elle te ferait peur, Blackwell ? Tu trembles la nuit en pensant à elle ? » Cette remarque, acerbe à souhait, je risque de la regrette si tant est qu’elle soit susceptible – ce dont je doute, elle est trop sûre d’elle et ça n’a rien d’une façade – ou si j’ai appuyé bêtement sur le mauvais bouton. Dans l’expectative, je la détaille et je lui explique que son désir n’est pas réalisable si elle ne me fournit pas quelque chose. Ce que je récupère ? Une pique aiguisée qui me heure de plein fouet, mais également, une information intéressante, une qui réveille le flic en moi et non la victime du corbeau. « Coupée ? Avec quoi ? Tu sais ? Si je dois pas me l’enfiler, c’est qu’elle abîme vite ? Comment ? Quand ? Et, comment tu le sais ? »  

« Tu parles beaucoup trop, tu me fatigues. » On y vient, en plus d’être fatigué d’avoir à subir les attaques que je porte à son égo, Loris est vexé, je le devine sans mal. « Tu t’es jamais plainte, en plus. » Bingo. L’avantage avec les types comme lui, c’est qu’ils sont prévisibles à pleurer. « Je suis polie. J’aime pas vexer les gens. » Consciente qu’il s’agit purement de provocation, je hausse les épaules d’un air innocent et distrait.

Mais il n’a pas tort, le temps c’est de l’argent, le mien certainement plus que le sien, et je n’ai pas que ça à faire de bavasser avec un addict. Surtout : je ne suis pas là pour ça mais pour une bonne raison : Aberline et son zoo de gueules cassées. « Ce que je veux, c’est rentrer chez moi. Ce que je veux, c’est que tu me donnes un objectif. Sauf que tu ne sais pas ce que tu veux… c’est ça, ton problème. Tu veux tout et tu ne sais pas comment l’atteindre. Tu attends les autres fassent les choses à ta place. Pourquoi tu ne vas pas lui adresser toi-même ton putain de messages à la reine des abeilles. Est-ce qu’elle te ferait peur, Blackwell ? Tu trembles la nuit en pensant à elle ? » Mon sourire disparaît et je lève un sourcil. Cherche-t-il à me vexer ? A blesser mon amour propre en visant mon égo comme j’ai blessé le sien avec mes remarques à peine déguisées quand à ses performances sexuelles ? Il vise mal dans ce cas : je déteste la gamine de toute mon âme, mais elle ne me fait pas peur. Au contraire, gorgée de confiance en moi, je m’estime capable de l’écarte d’une pichenette ou de l’écraser sous ma chaussure si elle devient réellement dérangeante. « En tout cas je tremble pas en pensant à toi. » L’air narquois et insolent, je m’appuie sur la rambarde en le détaillant. Son souci à Loris, c’est que sa nervosité transpire par tous ses pores et l’empêche d’être réellement convainquant. « Et t’en fais pas, elle l’a reçu mon message à moi. » Sous la forme de son petit ami défiguré par les coups et surtout informé de son passé et de ses activités illégales. « J’aime juste varier les plaisirs. » Un peu de sérieux, il recentre la conversation en me demandant quelque chose que je suis en mesure de lui dégoter. « Coupée ? Avec quoi ? Tu sais ? Si je dois pas me l’enfiler, c’est qu’elle abîme vite ? Comment ? Quand ? Et, comment tu le sais ? » « Ca en fait des questions pour quelqu’un que ça intéressait pas y’a deux minutes. » Se pourrait-il qu’il ait une conscience, notre flic addict ? « Coupée avec du fentanyl. Une merde qui tue à tour de bras en Asie parce que vendue pour de l’héroïne mais cinq cent fois plus forte. C’est addictif à crever et parfaitement toxique. » Et Aberline fout ça dans ses cachets : j’aime bosser avec de la came propre mais pour peu, je serais presque impressionnée. « Et comment je le sais, c'est mon problème. »


@Loris Baumann