14 août 2020

Chère Heïana,

J'aurais pu t'envoyer un message sur ton téléphone mais est-ce qu'utiliser ce genre de moyens de communication nous ressemblent vraiment? Les lettres ont été le début de ce que nous avons construit ensemble et j'ai pensé que cela te ferait aussi plaisir que moi d'en retrouver une en rentrant d'une longue journée de travail.

On s'était promis un soir rien que tous les deux, pour voir où cette nouvelle euphorie nous amènerait alors, serais-tu prête pour que ce fameux soir se trouve vendredi prochain? Je pourrais passer te prendre à dix neuf heures et bien entendu, je te laisse la surprise du lieu où nous nous rendrons. J'espère sincèrement que passer ce court moment en ma compagnie te plaira.

Je n'ai jamais été très doué pour ce genre de facéties et au final, je n'ai pas beaucoup d'expérience en la matière mais cette fois, ma tendre Heïana, j'ai une petite idée derrière la tête pour qu'on puisse se retrouver ensemble, sans le moindre drame pour nous empêcher de sourire.

Par ailleurs, je me rappelle t'avoir mentionné les gardénias lors de notre toute première danse tous les deux, peut être alors que le collier que je joins à ce colis happera ton attention. Bien sûr, tu n'es pas obligée de le porter ce soir prochain s'il n'est pas à ton goût, je ne serais jamais vexé. Je l'ai juste vu en passant devant une boutique en allant au travail l'autre jour et j'ai tout de suite pensé à toi alors, je l'ai acheté.

Je souhaite que tu passes une excellente semaine et j'espère te trouver à dix neuf heures sur le pas de ta porte. J'ai si hâte de te revoir après notre moment tous les deux la dernière fois. Merci encore d'avoir été là. Je t'embrasse, avec toute mon affection.

Ton doux jardinier,

Tim

Était-il nerveux? Certainement puisque Timothy réajustait sa belle chemise bleue pour la cinquième fois en moins d'une minute. Bien entendu, il n'avait aucun moyen de savoir si c'était le fait d'avoir laissé les jumeaux pour la nuit à une tierce personne, lui qui ne les avait pas perdus de vue depuis l'abandon de Charlie. En tant que père, il ne pouvait qu'être fébrile de passer ce cap mais ce n'était vraisemblablement pas l'unique raison: après tout, les enfants avaient dormi énormément de fois loin de lui lorsqu'ils étaient chez leur mère durant les premiers mois et Decastel ne s'était pas senti si perdu. Non, la raison était toute autre, elle résidait assurément dans l'enjeu de la soirée qu'il avait planifié pour ce doux rendez-vous aux côtés de Heïana. L'ancien soldat n'avait clairement pas anticipé tout ce qui s'était passé entre eux lors de leur dernière entrevue mais en y réfléchissant plus avant, avec plus de recul en tout cas, Tim avait compris que tout cela aurait fini par arriver un jour ou l'autre. Il y avait toujours eu cette tendresse et cette étincelle entre eux, leur inexpérience les forçant sûrement à se mettre de côté par peur de se faire des films sur ce qui était réel ou non. Désormais, tout cela ne pouvait plus être tu parce qu'ils avaient franchi la ligne, que Tim avait proposé cette soirée ensemble et qu'il en était heureux autant que nerveux, fatalement. Pourtant, à dix neuf heures tapantes, après une course effrénée pour amener les enfants chez le babysitter de la nuit, il sonnait enfin à l'appartement de la belle tahitienne. Decastel reprit sa respiration, époussetant à nouveau sa tenue, passant tout aussi fébrilement une main dans sa chevelure bouclée en bataille, ne souhaitant qu'une seule et unique chose... Que Heïana lui ouvre la porte et qu'elle apaise la moindre de ses appréhensions, ce qui était si facile à réaliser pour elle tant l'évidence frappait au coeur du grand brun. Il n'y avait aucun doute, la magie opérerait à nouveau car, entre eux, il n'y avait plus aucune autre alternative, à part celle de rêver d'un amour qui pourrait bien au delà de tout ce que Tim avait pu vivre jusqu'ici.

16 août 2020

Merveilleux Timothy,

C'est une superbe idée que tu as eu là. Je ne m'y attendais pas du tout, et découvrir ta lettre alors que je revenais effectivement d'une nuit de garde a été une véritable surprise ! Merci beaucoup. Ton écrit rejoint ses comparses, précieusement conservées depuis 2019. Tu te rends compte ? Déjà un an depuis ma venue à Kapooka ! Et nous voilà bien avancés dans nos vies.

L'ensemble de tes mots m'a tout autant fait sourire. Tu me surprends de jour en jour, avec toujours plus d'attentions et de petites touches de ta personne en toute chose que tu fais. Je suis disponible vendredi soir; j'ai déjà hâte d'y être. Je t'attendrai pour dix-neuf heures, sans faute.

Je ne doute pas de ta capacité à être inventif ; après tout, ne l'as-tu pas sans cesse été avec moi ? Depuis notre rencontre, tu as toujours su trouver les mots justes, l'anecdote qui fait sourire, la douceur dont je peux avoir besoin, l'amusement aussi. Alors, j'irai même à l'endroit auquel tu penses les yeux bandés si tu me le demandais !

... Que dire, à part te remercier, une fois de plus ? Ce collier est magnifique. Merci merci merci ! Tu es adorable. Je ne sais qu'ajouter. Peut-être, seulement, ces quelques gousses de vanille. Ce n'est trois fois rien, mais je les ai ramenées de mon dernier passage à Tahiti, et elles ont le mérite d'être aussi odorantes que bonnes à faire infuser ! Je te souhaite de bien en profiter.

Ma semaine sera sans aucun doute bonne, grâce à toi; j'espère que la tienne le sera tout autant, et que les jumeaux te laisseront un peu de répit. Embrasse-les pour moi. Je t'avoue ne pas m'être encore tout à fait remise de notre dernière soirée ensemble; cela me semble presque trop féerique pour être vrai. Et pourtant ! Ta lettre ne fait que rendre cet instant un peu plus réel encore. Prends soin de toi.

Une Tahitienne en manque d'un certain jardinier,

Heïana

Un dernier coup d'oeil dans le miroir. Était-elle vraiment prête ? Dire qu'Heïana fut nerveuse aurait été un euphémisme. Depuis vingt minutes, elle ne cessait de tourner et voler dans sa propre maison, toujours à la recherche d'une brosse égarée, d'un mascara posé ailleurs qu'à sa juste place, d'un fer à repasser pour une retouche de dernière minute... La jeune femme voulait réussir le pari d'être aussi simple qu'élégante, le tout en raccordant sa tenue au thème de la lettre de Timothy. Son choix s'était porté sur une robe légère, au tissu si vaporeux qu'il flotterait à chacun de ses pas. Tombant mi-cuisses, le vêtement était orné de petites manches bouffantes aux épaules, et d'un joli - bien que sage - décolleté qui mettait en valeur le superbe collier que le brun lui avait offert. De base blanche, la robe était ornée en son étoffe de milliers de petites fleurs, aux couleurs aussi délicates qu'intense: du jaune vanille, du bleu roi, du vert feuille, du rose aurore... De simple escarpins terminaient la tenue. Quant à ses cheveux, Heïana les avait ramenés en un chignon lâche, qui laissait quelques mèches encadrer son visage. Un petit peu de mascara, un baume hydratant posé sur ses lèvres une heure avant leur rendez-vous, et une douce odeur de monoï parfumant sa peau. La sonnette retentit, faisant sursauter la brune.

Voilà venue l'heure. Heïana jeta un autre dernier coup d'oeil dans le miroir. Une grande inspiration. Allez, tu as connu plus angoissant que cela, non ? murmura-t-elle pour son propre cerveau. Oh oui, elle avait vécu des situations bien plus stressantes, que celle-ci, qui n'était finalement que positive. Il s'agissait probablement plus d'adrénaline qu'autre chose, au final. Son estomac était un peu noué. La spontanéité de leur tendresse, l'autre nuit, n'empêchait pas le trac de ce premier rendez-vous. Prenant son sac à main à la volée, la brune se dirigea finalement vers la porte d'entrée, ne pouvant se permettre de faire attendre Timothy. Elle sourit en le voyant; il semblait au moins aussi concerné qu'elle par cette soirée. Heïana décida de rompre aussitôt la moindre gêne qui pourrait s'installer. Elle franchit le seuil, s'approcha de l'homme. Bonsoir, Tim. Après une seconde de latence, ultime hésitation, elle leva plus le menton pour atteindre les lèvres du brun.

Se lancer dans une relation amoureuse n'était pas un exercice aisé, Tim ne l'avait réalisé qu'une seule fois auparavant, aux côtés de Freya et il ne savait même pas s'il avait franchement excellé lors des premiers rendez-vous. Il se devait de rester naturel, il le savait assurément puisque Heïana et lui se connaissaient depuis plusieurs années maintenant et qu'ils n'avaient absolument plus rien à se prouver, si ce n'était qu'il y avait des émotions réelles et tangibles entre eux. Voilà ce que Decastel se devait de lui montrer désormais, qu'elle pouvait lui faire confiance pour tout ressentir en sa compagnie puisqu'il la comprenait, il était dans la même position qu'elle. Après tout, c'était lui qui avait lancé le sujet la dernière fois, lui qui avait osé à quelques reprises lui signifier qu'elle était jolie, qu'elle lui plaisait et qu'il y avait quelque chose entre eux qu'il ne pouvait pas réellement définir. Maintenant que les affaires étaient dites, il ne restait plus donc qu'à les vivre et cette soirée existait pour cette raison. Decastel avait donc donné le maximum pour mettre en place une atmosphère chaleureuse, réservant sa surprise à Heïana en espérant qu'elle se trouve à son aise avec lui. Il y avait donc une légère appréhension au moment de sonner à la porte de la jolie sage femme mais celle-ci s'effaça bien vite lorsqu'il l'aperçut. Elle était magnifique, comme à l'accoutumée bien sûr mais cette robe mettait en valeur ses yeux si verts et si perçants. Tim ne put donc que la détailler, un sourire s'alignant sur ses traits alors que l'émotion le gagnait en voyant le collier qui entourait son cou. Elle était parfaite et son coeur s'arrêta quelques secondes au moment où les lèvres de Heïana s'approchèrent des siennes, le libraire posant les siennes par dessus pour accueillir cette nouvelle rencontre. Sceller à nouveau l'évidence alors qu'il tenta de retrouver sa contenance après ce baiser furtif. "Heïana, tu es... Resplendissante. Et je suppose que mon cadeau t'a plu, il te va à ravir, vraiment." Il ne pouvait que balader ses yeux sur elle, réaliser à quel point il pouvait être chanceux qu'une femme comme elle s'intéresse à lui. Il lui tendit la main, toujours aussi joyeux, oubliant tout de suite la moindre incertitude maintenant qu'il l'avait retrouvée. "Tu es prête? Cinq minutes de voiture ne te pose pas de problèmes?" Timothy attendit qu'elle ferme sa maison avant de l'entraîner à sa suite pour leurs aventures à venir. Il trépignait d'avance, forcément, parce que c'était quelque chose d'important pour lui qu'il allait présenter à Heïana. Il invita la jeune femme à entrer dans son véhicule et bien vite, il entra à son tour démarrant pour se diriger vers le lieu du rendez-vous qu'il avait préparé. "Le reste de ta semaine s'est bien déroulée j'espère? J'ai bien eu ta lettre et j'ai utilisé ton cadeau, tu verras..." En quelques minutes, la voiture s'arrêta à côté d'une multitude de champs. A nouveau, Tim invita la belle Brook à sortir, avant d'aller chercher le panier du pique nique qu'il avait préparé pour l'occasion. Marcher quelques mètres, sortir les clés et ouvrir, permettant d'entrer dans une petite serre, remplie de fleurs de toutes espèces alors que trônait au milieu une petite table bien décorée, tout ce que Tim avait mis en place pour l'occasion. "Bienvenue dans mon nouveau local d'horticulteur! Je voulais que tu sois la première au courant et que tu profites des odeurs et de la décoration en première, après tout ce que tu as fait pour que je me lance... Ça te va pour ce soir?" Timothy la regarda avec un air concerné, posant le panier sur la table, époussetant encore et toujours sa chemise avant de se tourner vers elle et de la percer de ses yeux bleutés. Elle méritait le meilleur, assurément, et Tim espérait simplement qu'il avait été un tant soit peu à la hauteur de l'événement pour sa jolie tahitienne.

Merci, rougit la brune face au compliment de son alter-ego. Elle recula de quelques centimètres pour pouvoir mieux le contempler. Il avait pris tout autant de soin qu'elle à se vêtir pour cette soirée en tête-à-tête. La chemise bleue qu'il arborait rehaussait à merveille l'azur de ses yeux - comme si ces prunelles envoûtantes en avaient un quelconque besoin - tandis que son pantalon noir donnait une touche de solennité à l'ensemble. Timothy dégageait une certaine assurance, une aura de joie et de confiance. Tu n'es pas en reste, répondit la jeune femme dans une litote qui n'avait rien à envier à n'importe quel cours de français. Elle passa une main dans les cheveux du libraire, remarquant une différence certaine, bien qu'elle l'eut déjà entre-aperçu lorsqu'elle avait ouvert la porte. Tu es passé chez le coiffeur ? Ses boucles quasi-noires étaient plus courtes, de quelques centimètres. Qu'importait leur longueur, il restait toujours aussi agréable d'y glisser ses doigts, qu'elle finit par faire redescendre le long de son propre corps. Ses yeux brillaient d'enchantement, lorsque le brun témoigna de sa satisfaction de la voir porter le collier qu'il lui avait offert quelques jours plus tôt. Ce pendentif est parfait. Merci encore, Tim ! La demoiselle se détourna un instant pour fermer la porte à clef, et ranger celle-ci dans son sac à main. Aucun soucis ! répondit-elle d'un sourire, alors qu'elle glissait sa paume contre celle de Decastel. Elle ne savait pas, jusque-là, qu'il possédait le permis et une voiture. Elle-même n'avait pas de voiture, après tout; ayant toujours vécu soit à Brisbane, où tout est à portée, soit à Tahiti, dans un petit coin ne nécessitant pas de prendre la voiture au quotidien - du moins, selon ses propres choix de vie - elle n'avait jamais vu vraiment l'intérêt d'en avoir une. Elle demandait, quand elle vivait dans les îles avec sa soeur, à un ami de leur prêter sa voiture, comme ça avait pu être le cas pour son plein de courses mensuelles quand elle vivait en Polynésie française. Le reste du temps, le marché du coin leur avait bien suffit. Au pire des cas, elle faisait appel à un professionnel pour l'amener d'un point A à un point B. En plus, avec la phobie de Moana pour la voiture depuis leur accident, le véhicule n'aurait servi qu'à elle-même. Or, il avait été rare, pendant leur sept ans passés à Tahiti, qu'Heïana se promène sans sa soeur. Il fallait cependant bien avouer que, dans la circonstance, c'était pas mal, qu'au moins l'un d'eux ait la capacité de conduire, sans dépendre d'un taxi ou des transports en commun. Ne croyant pas en avoir déjà parlé au brun, Heïana lui demanda d'un ton léger : Tu utilises beaucoup la voiture, au quotidien ? Sans doute qu'avec l'arrivée des jumeaux, ce devait être bien plus pratique ainsi.

La semaine s'est très bien déroulée, répondit la brune. Ça a même été assez calme, au pôle maternité. J'ai même pu quitter le travail en avance, un soir. Et pour toi, tout s'est bien passé ? Elle jeta un coup d'oeil à la route qui défilait autour d'eux, curieuse de savoir ce que Timothy avait bien pu leur prévoir. La métisse fut ravie d'entendre que l'homme avait utilisé la vanille qu'elle lui avait envoyée. Elle sentait bon, n'est-ce-pas ? On considère qu'une gousse de vanille tahitienne en vaut deux de Madagascar, au niveau de la puissance de l'arôme. D'un clin d'oeil complice, elle ajouta, faisant référence à l'une de leur discussion sur le pays qu'ils avaient en commun : Et tu vois, ceci par exemple; c'est du patrimoine français. Rebondissant là-dessus, la jeune femme décida de les lancer dans un petit exercice de prononciation. Elle se retourna vraiment vers le brun, et dit : Répète après moi : Vanille, dit-elle en exacerbant bien le côté vibrant du double "l" de cette version française du mot, bien moins ronde que son équivalent "vanilla".

Les deux amis parvinrent finalement au lieu décidé par Timothy. Celui-ci ouvrit la porte à la brune, qui ne pouvait être que sensible à sa galanterie, qui n'avait pourtant rien de superficielle. Elle le suivit sur le petit chemin les menant à un petit bâtiment. Autour d'eux, sur ce qui semblait être des kilomètres, s'étendaient des champs de vigne. Nous sommes donc à Bayside, devina la jeune femme à voix haute, alors que le jeune papa tournait son jeu de clefs dans la serrure. Ce qu'elle vit ne pouvait qu'être qualifié de superbe. Même si les plantes de la serre, les dizaines de fleurs, herbes, arbres et arbustes de toutes sortes pouvaient encore largement s'épanouir, grandir et se développer, l'ensemble était somme toute magnifique. Un océan de parfums déferla sur la demoiselle, qui se sentit subjuguée par l'endroit que Timothy lui présentait. C'est... incroyable, souffla-t-elle avec une émotion certaine, très sensible à la beauté de l'endroit, et à l'ambiance si paisible qui y régnait. Depuis combien de temps travailles-tu ici ? Ça a dû te prendre une éternité de tout faire pousser ! Elle se rapprocha de la table de fer forgé où le brun venait de poser le panier de pique-nique, un sourire ne pouvant plus quitter ses lèvres. J'ai l'impression de me trouver dans un rêve ! On dirait le jardin d'Eden dont ma mère me parlait, parfois. La métisse eut une seconde de nostalgie à la pensée de la défunte Poehina, et posa sa main sur les phalanges de l'horticulteur aux doigts magiques, les serrant un bref instant. Merci, Timothy. De l'avoir invitée en avant-première pour découvrir ce Nirvana. Pour se découvrir ainsi, face à elle, lui révélant l'un de ses projets les plus intimes. De lui avoir permis de ressentir une telle délectation visuelle et olfactive juste grâce à des fleurs. Elle recula de quelques pas, et tourna sur elle-même pour profiter d'un panorama rapide et total des lieux, ses talons résonnant sur le sol de la serre et sa robe volant autour d'elle, dans une légèreté des plus harmonieuses avec ce jardin fleuri.

Heïana était magique, c'était la seule raison valable pour que Tim demeure si enchanté face à elle comme il ne l'avait que rarement été, voire simplement jamais. Ce n'était pas si difficile à imaginer puisqu'il connaissait la jeune femme depuis longtemps désormais, qu'il avait eu clairement le temps de prendre part à son existence, de constater sa douceur et toute l'affection qu'elle était en mesure de donner aux autres. Ce qui l'avait tué récemment, c'était le fait qu'on ne lui rende pas la moitié de tout ce qu'elle pouvait offrir, notamment dans cette histoire de mariage qui avait fini en fiasco le plus total. Decastel avait eu le temps de réfléchir à toute cette affaire, notamment depuis leur randonnée dans la forêt, à tout ce qu'il pouvait ressentir lorsque Heïana n'était plus aussi proche de lui et à chaque fois, cela avait correspondu à des moments de grande détresse pour lui parce que sa présence avait toujours rendu sa vie plus belle et maintenant, il le savait mieux que personne. Il avait envie de la voir presque tous les jours, de capter son regard et ses sourires, d'en être l'instigateur était un cadeau qu'il n'osait même pas demander tant il pouvait vénérer la moindre vision d'elle. Ses sentiments allaient bien au delà de tout ce que le grand brun avait pu rencontrer et il ne savait pas s'il avait été bien préparé à tout cela avec ses expériences passées: il avait seulement conscience qu'il n'avait qu'un seul désir, rendre Heïana la plus heureuse du monde, au moins pour cette soirée. Là encore, il n'oserait pas rêver de plus que cela parce qu'il restait un humble garçon, Tim et qu'il n'était pas capable de parfaitement estimer ce qu'elle ressentait pour lui. Il captait juste son regard brillant alors qu'elle passait sa main dans ses boucles en le complimentant sur sa tenue à son tour, comme quoi cette femme était capable d'assassiner son rythme cardiaque en moins de deux phrases. "Tu vois tout, dis moi. Hier midi, c'était un peu le foutoir là-haut, je voulais être un peu plus beau pour ce soir." Est-ce qu'il avait réussi? C'était une toute autre question et Tim ne se la posait pas le moins du monde dès l'instant où ses yeux azur s'étaient posés sur le collier de gardénia de la belle Brook. Il en sourit instantanément car le tout lui allait à ravir, elle était juste parfaite en tous points, naturelle comme il l'appréciait, Heïana dans toute sa splendeur. Il ne pouvait rien dire de plus que ce qu'il avait déjà conté parce qu'il avait peur que l'émotion ne devienne trop palpable tout de suite tant il pouvait être sensible dans ses meilleurs moments. Le libraire se contenta donc de la suivre du regard avec cette intensité toute particulière jusqu'à la voiture. "J'ai investi avant la naissance des jumeaux. Sans ça, je sais pas comment j'auras géré ces derniers mois, c'est un peu plus pratique mais je l'utilise pas tant, au final." Il pensait surtout à la sécurité des enfants et avant qu'ils ne soient de ce monde, Decastel n'était pas trop porté sur les véhicules, il appréciait prendre le bus pour aller jusqu'au cimetière mais quelque part, il évoluait lui aussi, le cours des choses l'amenant vers de toutes nouvelles routes. Comme celle qu'il était en train de faire croiser avec celle de Heïana et qui le rendait si troublé. Elle parlait et il ne pouvait que l'écouter, s'abreuvant toujours des multiples histoires qu'elle pouvait avoir concernant sa Polynésie natale. "Une semaine lambda pour moi. J'ai juste fait la cuisine cet après midi et je crois, effectivement, que l'odeur de vanille ne quitte pas mes narines depuis. Tu ne lésines pas sur la qualité." Il fit en sorte de croiser son regard quelques secondes avant de recoller ses yeux sur la route, voyant bien qu'elle désirait partager avec lui une partie de leurs racines, même si Tim était né en métropole. Il fit un effort surhumain pour prononcer le mot à la française correctement, ses joues rosies une fois qu'il eut tenté l'expérience. "Peut mieux faire, hein?" Il n'était pas un excellent français, définitivement trop australien depuis l'abandon de son géniteur mais il espérait pouvoir changer tout cela dans un avenir plus ou moins proche. En attendant, le jeune homme gara le véhicule et les tourtereaux se trouvèrent bien vite face à la serre que Timothy avait acquis sur ses économies. En un sens, heureusement qu'il ne dépensait pas un sou lorsqu'il travaillait au cimetière sinon, il n'aurait certainement jamais eu cette opportunité. Bien vite, il ouvrit la porte et laissa Heïana le retrouver à l'intérieur, quelque peu nerveux de capter sa réaction de se trouver dans un tel endroit. "C'est vrai, ça te plait? J'ai acheté la serre il y a quelques semaines, j'essaie d'y passer un maximum de temps quand je peux depuis. Je sais pas si c'est le jardin d'Eden mais... J'espère pouvoir faire en sorte que ça soit à moitié aussi beau. Et aussi agréable à sentir, aussi." Il sentit les doigts de Heïana se poser sur les siens et le sourire de Tim s'élargit jusqu'à ses oreilles avant qu'elle ne s'éloigne pour pouvoir tout observer comme il se devait. Le brun la regarda tournoyer, ses yeux ne la quittant pas un seul instant tant le spectacle l'émouvait, tant il la trouvait belle et tant son coeur pouvait battre pour elle. Tim était frappé par ce constat, tout était si fort, beaucoup plus fort que Charlie, que Freya, que n'importe qui d'autre et si cela aurait pu l'effrayer par le passé, il en ressortait galvanisé aujourd'hui. "C'est moi qui te remercie... Je me sens si chanceux, si tu savais. D'avoir réussi à attirer ton regard." Il avait murmuré les derniers mots, l'émotion occupant apparemment ses cordes vocales un instant, le jeune homme se reprenant pourtant bien vite pour inviter Heïana à s'asseoir alors qu'il dévoilait les quelques met préparés. "J'ai refait un pancake pour toi. Et il y a un gâteau à la vanille aussi. Je savais pas trop ce que tu préférais alors, dans le doute, j'ai fait les deux." L'indécision avait clairement fait partie de sa journée, ses yeux bleutés voyageant sur le moindre trait du visage de la brune alors qu'il servait un peu de nourriture à chacun, sans la moindre prétention. "Je savais pas si tu... Enfin si tu avais déjà été à un rendez-vous avec... Ton ex-mari ou quiconque d'autre. Dans tous les cas, je voulais marquer le coup pour que tu saches que... J'ai vraiment envie d'être ici, avec toi." Tim ne pouvait pas être plus franc, ni plus sensible vu l'intensité du regard qu'il posait sur elle parce qu'à ce moment précis, il lui hurlait dans le silence le plus total à quel point il la trouvait belle. A quel point il ne pensait qu'à elle ces derniers jours.

Heïana rit lorsque le brun déclara qu'il avait voulu remettre un peu d'ordre dans le bazar de ses boucles épaisses, les taillant un peu pour ce faire. Ta nouvelle coupe te va très bien, abonda-t-elle, mais nuançant son propos d'un regard espiègle : Mais dans tous les cas, tu aurais été beau... Remarquant son audace soudaine, qui devenait cependant de plus en plus naturelle, elle termina sa phrase, même si elle devait en rougir, en la ponctuant d'un sourire sincère : Parce que tu es toi. Que dire de plus ? Seule la sincérité avait parlé en cet instant. Que le brun porte les cheveux plutôt courts, quoi qu'avec un minimum d'épaisseur, comme ce soir, ou plus longs, quitte à ce qu'ils arrivent jusqu'à sa gorge, il serait toujours aussi charmant aux yeux de la Tahitienne. La seule différence fondamentale résiderait en la possibilité de jouer d'une manière ou d'une autre avec, rien de plus. Les cheveux courts dégageaient son visage, ce qui était appréciable, tandis que la coupe plus longue lui donnait des airs de poète, voire même de prince, dans un sens. Tu sais, il y a très longtemps, en France, les premiers rois portaient les cheveux longs. C'était une fierté et une obligation pour eux; ils étaient synonyme de force, comme pour Samson dans la Bible. Le tout était dit sur le ton de l'anecdote, qui en était une, revenue à la mémoire d'Heïana de ses vieux cours d'Histoire. Puis cela s'est perdu, au fur et à mesure des siècles, et la mode a été aux cheveux courts. Comme le fait qu'à la base, les talons aux chaussures étaient portées par les hommes. C'est drôle, comme les choses évoluent ! La jeune femme haussa un sourcil intrigué lorsqu'il lui dit qu'il avait passé son après-midi à cuisiner, et notamment avec la vanille. Sans aucun doute, il avait dû préparer des mets délicieux. Elle ne ferait pas preuve de précipitation cependant, et attendrait bien sagement de découvrir son repas surprise. Quant à la qualité... Autant en profiter, je vais là-bas au moins une fois par an, nota Heïana avec un sourire satisfait. Généralement, que je vive en Australie ou à Tahiti, je fais le plein des victuailles du pays où je n'habite pas sur le moment quand j'y passe ! Ils passèrent juste après sur l'exercice de prononciation, et à plusieurs reprises, la métisse reprit le mot "vanille" pour bien le faire entendre et intégrer à Timothy, qui avait bien de la peine à le prononcer correctement... Attisant le rire de la maïeuticienne, qui n'en pouvait plus de le voir se dépatouiller comme possible. Son coeur de guimauve fondait de voir ce beau jeune homme faire tant d'efforts pour se rapprocher d'une once de sa culture paternelle comme pour lui faire plaisir. Et son accent était si adorable ! De quoi faire tomber d'émoi les nonnes de tout un couvent. Lorsqu'il demanda un bilan d'une grimace un peu dubitative, Heïana, de la meilleure des humeurs, répondit : Tu feras mieux un jour ! Mais je dois avouer que ton accent est lovely. Les françaises se pâmeraient en t'entendant. Et encore, elle disait cela en marquant elle-même d'une manière bien particulière ses intonations et les "r" de ses phrases françaises. Ayant grandi majoritairement en Australie, puis en Polynésie, elle avait beau être bilingue grâce à l'intelligence qu'avait eu sa mère de toujours lui parler ainsi, Heïana gardait le parlé des Îles sous le Vent.

Après l'amusement, vint l'émotion. Celle liée à l'un des plaisirs des plus simples, celui des yeux, face à la beauté de la nature aménagée de la plus délicate des façons. Ce petit coin de paradis était des plus précieux; peu pouvaient se targuer d'en avoir de même dans le coin, et encore moins entretenu par leurs propres soins. C'est vraiment très réussi, et d'autant plus depuis le peu de temps que tu l'as achetée. Époustouflant, murmura la brune alors qu'elle allait à la découverte des fleurs, sautillante et dansante. Si elle n'avait pas été de nature aussi joyeuse et ouverte, Heïana en aurait sûrement été béate d'admiration, elle n'aurait pas pipé mot, mais aurait tout autant contemplé cet endroit. Sauf que son essence était de ressentir la joie, et de la répandre autour d'elle, que ce soit volontaire ou non. Alors, comment ne pas avoir envie de danser, de tournoyer pour voir ces mille et une nuances de couleurs défiler ? Ce fut ainsi qu'elle se retrouva à tourner sur elle-même quelques secondes, après avoir eu le temps de contempler quelques fleurs de manière isolée, ici et là. Une myriade de teintes visuelles et olfactives vinrent jusqu'à elle, la comblant de sensations. Elle n'entendit pas ce que Timothy murmurait à son égard, mais quand elle en eut fini avec sa ronde improvisée, elle revint vers lui... un peu chancelante. Elle passa une main derrière son chignon, prise comme une enfant en faute, et tira la langue, m-amusée mi-gênée, s'arrêtant une seconde. Oups. J'ai un peu trop tourné, rit-elle. Il était bon de pouvoir se décontracter totalement face à un autre que soi, et de se montrer telle quelle. Une fois le trouble passé, elle se rapprocha de la table, et s'assit sur l'invitation du libraire. Là, il dévoila bien des plats qui feraient succomber Heïana au péché capital de la gourmandise sans aucun problème. Des bâtonnets de légumes divers avec des sauces pour les accompagner, du garlic bread, une salade composée... Et en dessert, le fameux pancake spécial Tim, et ce qui semblait être un délicieux gâteau, qu'il précisa avoir été cuisiné avec la vanille tahitienne. Il avait même amené une bouteille de vin ! Tu me gâtes, déclara la jeune femme avec un rictus conquis et amusé. Tout cela a l'air délicieux. Alors que le brun les servait avec des petites portions de tout, Heïana se permit de prendre les allumettes posées sur un coin de la table. Meuble très joliment décoré par ailleurs, d'une simple nappe blanche mais dont le centre de table, avec une composition florale sans aucun doute élaborée par Tim, rehaussait la beauté. Deux bougies flottant dans des verres, que la jeune femme alluma donc, alors que le soleil était quasiment couché. L'ambiance et le décor étaient juste divins. L'aînée des Brook souffla sur l'allumette encore vivace, et la déposa sur la boîte, pour ne rien tâcher. Elle leva les yeux vers le jeune homme, qui avait repris la parole. Je n'ai jamais... eu de rendez-vous, avoua la brune d'un air un peu confus. Cela avait été du registre du café offert, tout au plus, pour le peu qu'elle avait connu. Sa lune de miel avec Elwyn ne comptait pas; après tout, même si ça avait été de bons moments, il n'y avait jamais eu ce cœur battant à la chamade avec lui. En plus, rien que par la nuit qu'ils avaient passée à dormir ensemble, Timothy et Heïana étaient déjà allés plus loin qu'elle n'en avait eu l'occasion dans son drôle de mariage. La demoiselle tendit une main pour la glisser dans celle de son comparse, reprenant la parole, alors que ses yeux tenaient son regard si intense : Ce que tu as préparé là est... parfait. Je suis heureuse d'être ici, avec toi. Ils se perdirent, comme cela, une seconde ou deux, à nouveau, dans les tons colorés de leurs iris. Le bleu puissant ne surplombant pas le vif vert feuille, mais chacun observant l'autre avec autant de tension que d'apaisement. Timothy finit par servir leurs verres de vin, et ils les levèrent d'un geste synchrone pour trinquer. Ce fut Heïana qui proposa. ... A nous ? Son expression était aussi heureuse que timide, comme si elle n'osait croire que cette situation faisait partie de sa réalité. Pourtant, elle en avait rêvé, et en particulier ces derniers temps. S'ils avaient pu s'échanger quelques baisers et des caresses tendres, avec des millions de désirs et de sous-entendus, les deux alter ego n'avaient pas dit clairement comment ils se définissaient, l'un envers l'autre, l'un avec l'autre. Il était temps de porter cette question au clair, et de l'acter. Le choix, le soin que Timothy avait apporté à cette soirée en était une première pierre. L'attention qu'Heïana avait porté à sa tenue en était la deuxième. Il ne manquait plus que la troisième, qui serait portée par les mots, pour confirmer leur volonté d'être une entité à part entière dans ce vaste monde.

Être avec Heïana lui procurait tant de sensations qui lui étaient encore beaucoup trop étrangères mais Tim ne pouvait le nier, il y prendrait goût beaucoup trop vite. Sentir son coeur battre la chamade, perdre un peu plus de son souffle en la regardant interagir avec le monde, ne pas pouvoir s'empêcher de sourire lorsqu'il entendait la douceur de son accent, absolument tout ce qui constituait la jeune femme l'invitait à prendre part à une ribambelle d'émotions au fond de son palpitant. Il suffisait de quelques mots, de la manière dont la jeune femme captait les imperceptibles changements chez lui, comme cette fine coupe de cheveux qui n'avait pas éliminé toutes ses boucles, fort heureusement. Brook en avait instantanément conscience et elle lui offrait le compliment le plus doux et le plus intense pour un garçon comme lui. C'était clairement rare pour Timothy de sentir une vague d'amour quelconque venir de personnes de son entourage: on l'appréciait peut être mais on ne venait pas lui dire, jamais en des termes si élogieux. Il était vrai que le grand Decastel avait longtemps eu du mal à composer avec son physique, un sacré tort assurément en vue des qualités charmantes que ses traits mettaient en avant mais, le pauvre garçon qu'il avait été n'arrivait pas à convenir à ses parents alors a fortiori, il ne pouvait pas se plaire non plus. Cette fois, Heïana lui narrait à quel point elle le trouvait beau, ce n'était pas seulement pour ses beaux yeux ou ses boucles ébène sauvages, non, c'était aussi pour ce qu'il était apparemment. Parce qu'il était lui, comme Heïana était elle, ce qui convenait parfaitement à l'amoureux des fleurs. Il ne put rien dire en guise de réponse, juste le regarder avec ses yeux brillants et lui communiquer mille émotions dans ce simple échange, Tim était bien meilleur à cela, lui qui n'avait jamais eu d'interlocuteur durant ses treize premières années de vie. "Je pensais les laisser pousser un peu justement, loin de moins l'idée de faire plus royal mais je sais pas, une envie soudaine." A croire qu'il aimait retourner dans l'ancien temps, enfin, il n'irait pas mettre des talons par contre, ce souvenir lui rappellerait beaucoup trop les clichés infâmes que sa mère avait nourris et qui avait rendus Tim si renfermé. Non, il préférait rester dans la simplicité, dans son coin mais il désirait peut être avoir l'avis de Heïana sur la question, comme quoi il avait quand même envie de lui plaire. "Tu compte ramener quoi de là-bas la prochaine fois? Et je te signale que... Mon lovely accent est exclusif à une seule française depuis un moment déjà." Il n'avait en effet jamais rencontré quiconque d'autre qui venait de son pays natal, même si Heïana venait des îles, ce qui était encore plus spécifique. N'empêchait que Timothy ne souhaitait pas franchement user de ce genre de charmes auprès d'une quelconque autre française, est-ce qu'il se devait de le signifier plus nettement? Le brun ne savait pas tellement comment s'y prendre en réalité mais le rendez-vous battit son plein ensuite et Decastel oublia bien vite ce genre de questionnements, bien trop concentré qu'il était sur la vision que lui renvoyait la belle tahitienne. Il mit un moment à retrouver la terre ferme de son côté pour l'inviter à s'asseoir, constatant à quel point elle était radieuse de se trouver ici et de constater tout ce qu'il avait pu préparer dans le plus grand des secrets. "Quand les fleurs se sentent aimées, ça va tout seul." Peut être que c'était la même chose avec les êtres humains, Tim n'aurait pas pu le savoir en vue de ses piètres expériences en la matière. Les personnes qu'il avait rencontrées n'avaient jamais vraiment eu envie de rester apparemment et le bouclé avait toujours fini profondément blessé. Ce ne pourrait être le cas avec Heïana, pas quand il sentit sa main se poser contre la sienne, Tim joignant leurs doigts bien rapidement, caressant les phalanges de sa comparse par pur instinct, regrettant encore et toujours le temps qu'ils avaient perdu en tergiversation futiles avant d'en arriver à cette conclusion fort plaisante. "Espérons que c'en est pas que l'air..." Clairement, Tim y avait mis du coeur dans toutes ses préparations et il attendait le verdict de Brook avant de sauter au plafond de satisfaction pour cet après midi de travail réussi. Il allait rester nerveux en attendant, osant toutefois demander subtilement à Heïana ce qu'elle avait déjà pu vivre en la matière, si jamais d'autres garçons avaient osé l'inviter à un rendez-vous. Ce n'était apparemment pas le cas, quelle bande d'idiots ils faisaient tous mais Tim n'était franchement pas mécontent de pouvoir en profiter pour eux parce que le sourire de la jolie polynésienne irradiait toute une pièce sans aucun souci et par extension, son pauvre coeur tout abîmé. Tim se sentait bien, parfaitement à sa place en laissant ses yeux bleus se poser sur elle avec un air plus tendre que jamais. "On va faire en sorte que le premier soit mémorable dans ce cas." Il ne pouvait pas l'affirmer parce que Tim ne se sentait pas meilleur qu'un autre mais il allait continuer à faire tous les efforts du monde pour que Heïana se sente en confiance et s'épanouisse dans ce nouveau pan de son existence. Un verre de vin fut servi de part et d'autre, la sage-femme souleva le sien, Timothy y percevant un questionnement bien plus profond qu'une simple formule de politesse et comme il ne désirait pas louper le coche, pas une seule fois, il prit le temps de venir baiser le dessus de la main de la jeune femme avant de répondre en faisant taper son verre contre le sien. "A nous." Il y avait de la conviction dans le timbre de sa voix, preuve que Decastel avait pris le temps de grandir au cours de l'année écoulée, lui qui osait lancer les sujets de conversation sans trop appréhender, du moins sans trop rougir. "Quand je pense à tout ce qu'on a partagé, toi et moi, toutes les peines, les rires aussi à l'église, lors de notre balade, je me dis que... On a peut être perdu du temps sur le papier mais je crois qu'on en a gagné tellement finalement. On se connait, on se fait confiance et on... J'ai ces sentiments là, au fond de moi, qui demandaient qu'à s'exprimer après tout ça." Après l'enfer, après les retours en arrière, les pleurs, les angoisses, il y avait forcément le beau temps. Parfois, il se matérialisait plus vivement que jamais, sous la forme d'une femme qu'on pensait connaître par coeur mais qu'on découvrait sous un jour nouveau alors que la confiance se muait en quelque chose de plus fou encore, de plus merveilleux pour sûr. "Je crois que je t'ai attendu pour une raison. Et je crois que je t'attendrai encore longtemps si tu me le demandais." Il lui souriait avec cet air si adorable. "Est-ce que tu es heureuse, Heïana? " Elle avait tout supporté si jeune, la disparition de ses parents, l'éducation de sa petite soeur et peut être que Tim ne l'avait pas assez épaulée vis à vis de tout cela, il le regrettait en tout cas quand son bonheur était quelque chose qu'il avait toujours voulu. Aujourd'hui, il lui prouvait avec un regard attentionné vissé à elle, ce qu'elle ressentait devenait sa priorité parce qu'il était ainsi, le brun, il donnait tout pour les gens qui comptaient et Heïana était bien plus que cela. Elle serait plus encore à l'avenir, si elle lui offrait cette place de choix à ses côtés.

Eh bien... A nouveau de la vanille, forcément, sourit la jeune femme, en se disant que ses réserves finiraient bien par être à sec. Du monoï, également. C'est mon seul "produit beauté" incontournable, expliqua la demoiselle. D'ailleurs, cette huile est produite à partir d'une fleur, la Tiare ! Peut-être que Timothy serait intéressé pour en cultiver ? Elle ne savait pas si le climat australien serait assez favorable pour cette fleur délicate, mais ça ne coûtait rien de proposer, ni d'essayer. Tu voudrais que je t'en ramène quelques plants ? lui demanda-t-elle donc, voulant pouvoir contribuer à sa manière à la passion de son ami pour le monde floral, dont il lui parlait fréquemment. La demoiselle rougit tout en riant un peu lorsque le beau brun lui dit que son "lovely accent" lui était réservé, et ce depuis toujours. Ses doigts entrelacés dans ceux de Timothy alors qu'ils avançaient vers la destination qu'il leur avait prévu, la métisse remercia Dieu et tous les astres à nouveau pour la chance qui lui était donnée. L'homme à ses côtés était juste... parfait. Peut-être étaient-ce les premiers émois de son cœur qui lui soufflaient cela, mais la brune ne pouvait croire qu'il ne s'agissait que de cela. Non, vraiment. Pour avoir eu une expérience ratée quelques temps auparavant, elle pouvait cette fois le penser avec bien plus de certitude : le libraire lui plaisait véritablement, totalement. Sa douceur, ses attentions, son côté responsable, son amour pour la nature, la maturité qu'il avait gagné... Vraiment, le tout. Alors, que dire lorsqu'il lui fit découvrir sa serre, acquise et développée peu avant leur rendez-vous ? Toute la bonté d'âme de Timothy se retrouvait dans ce paradis aux fleurs, qui jouissaient de l'amour de leur propriétaire. Quand elle fut remise de son ébahissement devant tant de beauté, Heïana revint auprès du brun pour s'asseoir à la même table que lui. Effectivement, il faut que je te ramène des fleurs de Tiaré, déclara-t-elle d'un ton décidé. Au vu de l'épanouissement des cultures ici présentes, nul doute que le brun saurait faire pousser de même les plants originaires des Îles sous le Vent. La brune répliqua, sans aucune hésitation quant au côté mémorable de leur soirée : Elle le sera. Elle l'est déjà, en fait. Alors qu'elle observait Timothy leur servir un verre d'alcool, elle ajouta : Tu es avec moi, nous nous trouvons dans un cadre magnifique et d'autant plus spécial pour toi, avec un repas fait maison et du vin... Que demander de plus ? Si elle ressentait, par instant, le besoin d'être rassurée et confortée dans l'idée d'une nouvelle relation naissante entre eux, n'ayant absolument pas l'expérience de ce genre de choses, la Tahitienne ne doutait pas qu'il en fut pareil pour le brun. Alors, chacun prenant soin de l'autre, ils se rappelaient à tour de rôle à quel point ils se sentaient bien, ici et maintenant.

Serait-elle tombée sur le parfait gentleman ? Alors qu'elle levait son verre pour porter un toast, avec pour seul vœu eux-mêmes, Timothy la surprit. Ne levant pas immédiatement le sien, il porta plus haut la main de la maïeuticienne entrelacée avec la sienne. Jusqu'à atteindre ses lèvres, qui déposèrent un délicat baiser sur la peau caramel, ses paupières se fermant un instant lors de cet interlude. Un frisson traversa l'échine d'Heïana. Heureusement que le coeur de la Tahitienne était bien accroché; elle crut bien qu'elle allait défaillir devant tant d'attention, et elle remercia sa peau mâte, qui camoufleraient un peu mieux ses rougeurs que si elle avait été aussi pâle que sa benjamine ! Timothy rouvrit ses yeux bleus si intenses alors qu'il quittait de ses lippes la main d'Heïana, et que finalement, il venait trinquer avec elle. La solennité de son ton conclut cette pause dans l'espace-temps, et la Polynésienne ne put que le remercier de cette bulle qu'il leur avait créé, le temps d'un instant, par un sourire de connivence, avant de porter le verre à ses lèvres. Elle s'amusa à penser qu'il n'était pas à moitié français pour rien, même si elle ne se permettrait pas de le dire à l'instant; la demoiselle savait le jeune homme sensible sur le sujet de son père, et elle ne souhaitait pas le ramener sur des considérations douloureuses; elle n'en prendrait pas le risque, même s'il ne s'élevait qu'à un pour cent. A la place, elle savoura le liquide rond et puissant qui traversait ses papilles. Timothy reprit la parole, et la métisse ne put qu'y agréer. Je suis d'accord avec toi. On a eu le temps d'apprendre à se connaître, à s'apprécier avant d'envisager autre chose. Et, de ce que j'ai pu en avoir, l'année passée a été riche en événements et rebondissements dans nos vies respectives... Heïana sourit un court instant, des centaines de souvenirs lui traversant l'esprit en une fraction de seconde. ... Ce qui, je n'en doute pas, nous aura poussé vers le meilleur de nous-même au final. Quelles qu'aient pu être les difficultés, les déceptions, les obstacles et autres embûches semées par la Vie sur leurs chemins, ils étaient encore là, non ? Même plus encore; renforcés par les épreuves, ils avaient tracé leurs routes en parallèle, pas bien loin l'un de l'autre, et avaient mené le Destin jusqu'à faire se rencontrer leurs voies.

Un franc sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'en conclusion de sa réflexion, Decastel lui demandait si elle était heureuse. Heïana posa son verre sur la nappe. Son regard se fit joueur. Elle se leva. Heureuse ? Hmm.. Loin d'elle l'idée de vouloir faire stresser le brun; d'ailleurs, elle se rapprochait de lui, doucement, laissant ses doigts frôler le tissu posé sur la table. Osant bien plus qu'elle ne l'aurait jamais fait jusqu'alors, elle fit reculer Timothy d'un petit mètre derrière la table, toujours assis dans sa chaise. La brune vint alors devant lui. D'un doigt, elle accompagna le menton de l'homme pour ancrer leurs regards, quoi qu'elle n'eut pas à forcer; déjà, il l'observait. D'un geste lent, elle le rejoignit, s'installant sur ses genoux, son index quittant la mâchoire de Tim, ses yeux vert pétillant d'une lueur jusqu'alors tue, par timidité sans doute. Elle lui faisait face, désormais, assise sur les jambes de l'ancien soldat. Enfin, elle vint déposer un baiser sur ses lèvres. Bien qu'encore sage, seules leurs lèvres se caressant, l'échange fut plus intense que ceux qu'ils avaient pu échanger jusque-là; comme si elle lui transmettait, par ce moyen qui laissait percevoir une fièvre encore réservée et contenue, sa réponse. Qu'elle souffla l'instant suivant. Maintenant, oui.

Heïana était tout ce qu'il n'avait jamais pensé mériter, la belle brune au grand coeur qui était si douce qu'elle avait toujours réussi à apaiser le moindre de ses maux. Tim n'était pas le meilleur juge lorsqu'il était question de sa personne, il avait même plutôt tendance à dénigrer son importance dans la vie d'autrui mais il comprenait désormais beaucoup mieux l'impact que sa rencontre avec la tahitienne avait pu avoir. Ils s'étaient apportés le meilleur par la force des choses parce que l'attraction entre eux avait toujours existé, présente dès les premiers instants, à ce moment béni où Tim avait posé sa main sur l'épaule d'une Heïana endeuillée et son sourire était né le plus naturellement du monde lorsqu'il avait croisé ses grands yeux verts. Certainement qu'à ce moment là, son coeur avait cessé tout battement, dans une seconde imperceptible qu'il avait fait mine d'oublier durant quelques années parce qu'il n'était pas grand chose sur cette planète et qu'il n'avait rien à offrir à une femme comme elle, n'est-ce pas? Pourtant, ce jour-là, il lui avait offert un peu de réconfort et depuis, il avait toujours tout fait pour la voir sourire ou même rire parce que c'était important pour Decastel que la polynésienne demeure heureuse. Peu importait s'ils n'en étaient pas au même point, si lui était devenu un papa célibataire et lui une femme divorcée en mal d'amour, ils avaient trouvé l'équilibre parfait lors d'une simple soirée qui aurait pu basculer dans n'importe quel sens... Le meilleur avait été choisi, les sentiments s'étaient exprimés sans que Tim ne les commande et il ne portait depuis aucun regret sur cette spontanéité dont son coeur avait fait preuve dans un instant de faiblesse et de fatigue car tout ce qu'il lui arrivait désormais, c'était bel et bien les instants les plus heureux de son existence. Heïana était en face de lui, elle restait douce et fidèle à elle-même, la plus belle au milieu de millions de fleurs que Tim ne pourrait jamais chérir autant que la brune parce qu'elle comptait tant. Il ne pouvait pas lui dire ainsi, pas maintenant, mais il pouvait lui sourire alors qu'elle mentionnait sa terre natale et le grand brun hocha la tête car il serait décidément honoré de faire pousser les fleurs tahitiennes dans sa petite serre sans prétention. Timothy n'y connaissait rien concernant cette espèce mais il ne portait aucun doute qu'Heïana lui proposerait les clés pour réussir cette entreprise. Il n'était que sourire alors que la soirée se poursuivait, qu'ils trinquaient ensemble pour le meilleur à venir, les gestes tendres de Tim faisant naître tant d'émotions dans le coeur de Heïana sans qu'il ne le réalise mais il l'espérait. Silencieusement. "Absolument rien. Tu as raison, tout est parfait." Elle l'était pour lui en vue de l'émotion lisible dans ses prunelles bleutées et tout cela ne constituait que de courts prémisses. Leur lien n'était encore qu'un balbutiement puisqu'ils avaient été de très bons amis, des âmes en peine voyageant côte à côté mais qu'ils ne s'étaient jamais connus ainsi, pas comme des amoureux capables de tout offrir pour leur alter ego. Decastel voulait entrer dans ce rôle en tout cas, c'était ce qu'il montrait en baisant la main de la belle brune en face de lui, maintenant qu'ils faisaient tous les deux le constat que le désespoir état derrière eux. Comme quoi cette année n'avait pas été vaine en tous points: quelque part, elle les avait forgés pour qu'ils donnent le meilleur de ce qu'ils étaient et surtout, pour qu'ils osent. Ensemble. "On a mis ça sur notre chemin pour qu'on en arrive là, je suis convaincu et ça veut sûrement dire que... Le meilleur est à venir, ensemble." Il sentit ses joues rougir mais Tim n'en tint pas rigueur très longtemps. Le moment était clairement important et il ne voulait pas se perdre dans des balbutiements comme il en avait eu si souvent l'occasion par le passé. A vrai dire, le brun était beaucoup plus sûr de lui désormais et c'était sûrement une bonne chose parce que cela lui permettait d'interroger la jolie Brook sur ce qu'elle traversait, sur ce qu'elle ressentait maintenant, en espérant que le bonheur, oui, fasse partie de l'équation. Il attendit la réponse, sentant sa gorge se serrer alors que rien ne venait, sauf une Heïana qui semblait perdue dans ses réflexions. Etait-ce bon signe? Peut être pas mais la jeune femme se leva doucement, s'approchant de Tim alors que le regard bleuté ne la quittait pas une seule seconde. Il pouvait s'y perdre avec une facilité déconcertante, sur ce doux visage, dans ces merveilleux iris verts alors qu'il sentait la chaise reculer quelque peu. Tim ne bougeait pas, sentant l'index de Brook sur sa mâchoire, l'intensité de son regard ne la lâchant que lorsqu'elle s'assit sur ses genoux et que son coeur se déroba à l'intérieur de lui. Elle était proche, plus proche qu'elle ne l'avait jamais été et surtout, elle vint l'embrasser. Ils ne se touchaient nulle part ailleurs, juste leurs lèvres qui passèrent de quelque chose de doux à une danse plus lascive, créant une tornade à l'intérieur du corps de Tim. Il était si ému au moment où Heïana souffla les deux mots qui servaient de conclusion à sa question de tantôt. Elle était heureuse avec lui, voilà ce qu'elle venait de lui narrer alors que les mains de Tim se posèrent sur ses cuisses, sans aucune autre intention que de la garder contre lui, que de venir l'embrasser à nouveau avec une douceur extrême, peut être trop furtivement pour qu'il ne fut rassasié. "C'est la meilleure chose que t'aurais pu me dire, Heï." Il lui sourit, son nez caressant le sien alors qu'une teinte joueuse refit son apparition au beau milieu du bleu de ses prunelles. "Tu sais que la dernière fois qu'on s'est plus ou moins trouvés dans cette position, c'était pour une bataille de chatouilles?" Il ne pouvait que sourire face à ce souvenir, lors de cette soirée où il avait dansé avec elle, où il avait pensé à un gardénia pour la première fois d'une longue série vis à vis de Heïana, c'était sûrement ce qui avait tout changé. "Je t'ai demandé de me voir et c'et moi qui me suis perdu en te voyant... A ce moment là, je suppose que je savais déjà." Il l'avait senti au fond de lui, ses lèvres venant glisser contre la joue de la sage-femme puis contre sa mâchoire pour atterrir au creux de son cou, tout cela pour qu'une de ses mains vienne attraper un bout du fameux gâteau qu'il avait préparé, Tim souriant en reculant sa tête de quelques centimètres, tout cela pour venir proposer aux lèvres de sa douce tahitienne la vanille qu'elle avait ramené de chez elle. "J'espère que ce sera aussi bon que ça en a l'air, je voudrais pas que ta vanille soit une perte. Pas ce soir." Il la toisait du regard avec cet air joueur, la senteur de la vanille montant jusqu'à ses narines jusqu'à ce que Heïana ose la croquer, l'autre main de Tim montant jusqu'à un de ses flancs pour qu'elle garde l'équilibre. Il aimait vraiment la trouver là, il le prouvait d'un regard, d'une caresse sur ses flancs, d'un bout de gâteau entre ses doigts, d'un coeur qui battait la chamade uniquement et perpétuellement pour elle ces derniers temps.

Timothy semblait être la perfection incarnée. Comment un tel être de lumière pouvait être si peu sûr de lui et tant se dévaloriser ? Bien sûr, il avait fait d'énormes progrès là-dessus, mais la brune ne pouvait s'empêcher de se sentir un peu peinée pour lui, car il méritait le meilleur, tout simplement parce qu'il l'était. La douceur, l'altruisme, l'empathie, la bienveillance, tout autant de synonymes qui constituaient l'essence même du brun qui lui faisait face. Aux yeux d'Heïana, il rayonnait; voir une délicate aura aux teintes bleutées, couleur de rêverie, de spiritualité et de candeur, flotter autour de lui n'aurait même pas été étonnant au vu de sa personnalité si pure. Bien sûr qu'il ne restait qu'un être humain, avec certes ses qualités, mais aussi des défauts. Evidemment. Pour autant, cela n'entachait en rien la vision qu'avait la demoiselle de lui en cet instant. De toute façon, elle n'avait rien de moins humain que lui. Seul lui importait ce soir le sourire de Decastel, voir ses yeux bleus pétiller de plaisir, ses fossettes ressortir lorsque ses traits exprimaient la joie... Le reste n'était plus que détails, au moins pour ces quelques heures seuls. La maïeuticienne sourit lorsqu'il lui dit donc que le meilleur était à venir, avec ce "ensemble" qui résonna si agréablement à ses oreilles. Cela me semble être un bel horizon à contempler, approuva la jeune femme avec un large sourire.

Puis, elle se leva pour le rejoindre, alors qu'il lui posait une question d'importance. C'était presque bête qu'il la pose, car si Heïana n'était pas heureuse en cet instant, comment pourrait-elle l'être ? Pourquoi ce soin à sa tenue, ce sourire permanent sur ses lèvres, ses yeux se plissant ou s'écarquillant de ravissement, cet enthousiasme l'englobant et jaillissant d'elle, telles les vives couleurs d'un maître peintre ? Pourtant, elle ne le jugerait pas, quoi qu'il puisse jamais lui demander; car sur cela, les deux âmes étaient que par trop semblables, et s'il n'avait pas été le premier à poser cette interrogation, elle aurait sûrement franchi les lippes de la Polynésienne, tôt ou tard. Celles-ci même qui vinrent se poser sur leurs jumelles, alors que la brune s'était installée sur les genoux de son alter-ego, seul contact en dehors du sceau de leur baiser. Leurs lèvres se frôlèrent de nouveau, alors qu'il reprenait la parole. Chaque seconde semblait une éternité, de celles dont on espère qu'elles existent. La réponse a simplement été à la hauteur de la question, déclara-t-elle d'un air taquin. Au souvenir de la fameuse bataille de chatouilles, la sage-femme rit et répliqua : Si je me rappelle bien, tu ne portais pas une si belle chemise. En vérité, il était torse-nu quand ils avaient joué à une guerre des plus amicales, s'étant un peu brûlé à cause d'un sournois petit-pot pour bébé. Heïana se permit d'aller poser sa main le long de la mâchoire du libraire, son pouce caressant tendrement le bas de sa joue. Tu avais été d'un soutien incroyable, ce soir-là, murmura-t-elle en le fixant avec intensité. Toute la force de Timothy résidait dans sa douceur, et ce même s'il ne s'en rendait pas toujours compte. Merci, conclut-elle d'un baiser, retirant sa main pour la poser sur l'épaule de l'ancien soldat. Même si l'épisode en question datait de plusieurs mois en arrière, la Tahitienne lui était toujours aussi reconnaissante pour son aide, et ne cesserait de l'en remercier quand le sujet reviendrait dans la conversation. Elle, si habituée à tenir la barre du navire contre vents et marées, avait vraiment eu besoin de cette épaule sur laquelle pleurer, de cet ami qui saurait autant la réconforter que la faire rire. Et Timothy avait été là. Doux, patient, drôle.

Nous étions deux, alors, chuchota la demoiselle comme une confidence, lorsqu'il lui avoua que dès ce fameux soir, il avait su l'attirance qu'il avait pour elle. L'inverse ne pouvait être moins vrai, seulement plus caché par le fait que le coeur d'Heïana avait été malmené ce soir là, et que ses sentiments de surface pour Elwyn, plus dus à la convention du mariage arrangé et à ses espoirs d'adolescente, avaient masqué ceux qu'elle développait pour Timothy. Celui-ci la prit d'ailleurs par surprise, ses lèvres descendant en multiples baisers jusqu'à sa gorge. La brune ressentit un frisson lui parcourir l'échine, alors qu'elle rougissait de ce contact, le plus intime qu'elle n'ait jamais connu. Pourtant, elle n'était pas véritablement gênée, plus... Troublée. Par les papillons que cela créait dans son ventre, par la chaleur qui l'envahissait sans brusquerie, par la sensation de bien-être qui découlait de ce contact des plus appréciables. Timothy recula alors, un bout de gâteau en main. La jeune femme rit, et répliqua : Vu ton talent pour les pancakes, je doute que tu sois moins bon à faire des gâteaux. Elle n'eut même pas vraiment à approcher sa bouche de la portion, juste à ouvrir les lèvres et à mordre dans la pâte moelleuse et aérée, prenant garde à ne pas toucher les doigts de l'homme par la même occasion. Ses mains posées assez basses sur les épaules du brun, elle avait largement de quoi être soutenue, lui la soutenant au niveau de sa hanche droite. Une lueur de gourmandise passa dans les yeux verts. C'est délicieux ! On sent vraiment bien la vanille, bravo. Heïana alla attraper délicatement, seulement avec les lèvres cette fois, le reste du gâteau des doigts de Tim, tirant légèrement pour qu'il le relâche totalement. Elle sécurisa sa prise d'une main tendue quelques centimètres en dessous. Il y avait de quoi prendre un petit croc chacun, sur ce morceau-là. Alors, au moins aussi joueuse que lui, elle s'approcha des lèvres de Timothy, pour qu'il vienne chercher son dû.

Rien de tel qu'un instant heureux à partager à deux pour réaliser à quel point le temps s'était joué de leur duo si unique. Timothy n'avait clairement rien vu venir, lui qui se pensait en parfaite maîtrise de ses émotions depuis le début de l'année, au moins pour tout ce qui concernait sa vie sentimentale après le désastre avec Freya et Charlie mais il s'avérait qu'il avait une nouvelle fois tort. Heïana avait réussi le miracle qu'aucune autre n'aurait pu essayer d'obtenir, lui voler son coeur sans qu'il n'y prenne garde, entre deux sourires, deux conversations amicales et quelques batailles d'eau ou de chatouilles loin des regards les plus indiscrets. Avec la brune, Timothy avait appris à retrouver son insouciance, se laisser guider simplement par son instinct sans avoir la moindre peur du jugement de l'autre. Brook avait toujours mis en avant cette qualité qu'elle avait tout particulièrement, celle de se sentir proche des autres tout en acceptant leurs pires défauts. Elle l'avait fait avec Tim à plusieurs reprises et le jeune homme n'avait pas pris le temps de comprendre l'importance qu'un tel fait avait eu ses sentiments. Ceux-là n'avaient fait que croître ces dernières semaines, le débordement de son coeur menaçant à tout moment, jusqu'à cette seconde fatidique où les mot s'étaient échappés d'eux-mêmes, enfin libérés du carcan de la peur. C'était ce que Tim avait toujours redouté, cette fichue appréhension qui l'empêchait d'avancer mais pour cette fois, au moins, il l'avait vaincue pour attraper la plus belle opportunité que la vie lui offrait, celle de partager de nouveaux instants en compagnie de Heïana, cette fois pour qu'ils puissent se laisser aller à la valse douce et chaleureuse de leurs deux coeurs. Oui, à l'unisson, c'était ce qu'ils étaient depuis que Tim avait dormi en sa compagnie, un sourire infatigable sur ses lèvres depuis cette nuit-là. Il était encore et toujours là bien des nuits plus tard, parce qu'il était obnubilé par ce que la jeune femme lui montrait, de cette belle silhouette dans cette robe pleine de fleurs, comme si elle l'avait choisie expressément pour lui plaire. Timothy n'avait clairement pas besoin de cela pour sentir son coeur s'envoler en la regardant, il n'arrivait même plus réellement à trouver ses mots en coinçant son regard dans le sien, sentant l'intensité du moment lui échapper totalement. "Et tu te rappelles de ce genre de détails, toi? Ça m'avait complètement échappé de mon côté, tiens..." Pourtant, elle avait raison, ils avaient été particulièrement proches lors de cette soirée-là, se laissant aller à un chagrin contenu depuis beaucoup trop longtemps pour Heïana et à une affection qui menaçait d'imploser du côté de Decastel. Le tout s'était allié à merveille et l'amoureux des fleurs en gardait un excellent souvenir, tout comme la belle sage-femme apparemment. Celle-ci le remercia à nouveau de sa présence dans un moment de doutes dans sa vie mais ses yeux étaient si intenses que Tim ne trouva rien à dire, juste à fermer les siens pour accepter son tendre baiser. Il ne trouverait peut être jamais les mots adéquats pour lui faire comprendre à quel point le moindre de ses mots pouvait le toucher, le moindre geste également. La trouver sur ses genoux, sentir sa chaleur sous sa paume malgré le tissu qui la séparait de lui, Timothy sentait tout beaucoup plus fort parce que c'était Heïana, qu'elle souriait et qu'il sentait sa respiration plu vive avant d'aller chercher le gâteau qu'il avait concocté spécialement pour l'occasion, non sans parsemer sa peau de baisers parce que, comme elle venait de le suggérer, ils avaient été deux à tout ressentir plus fortement ce qui leur arrivait. Tout comme ils étaient deux ce soir à se découvrir d'une toute nouvelle manière. La leur. "On sait jamais, j'aurais pu perdre la tête à un moment de la recette en passant à ce soir... Et pouf, plus de bonne vanille." Il avait certainement pensé plusieurs fois à Heïana au cours de la journée, pris entre l'angoisse et l'impatience parce que cela faisait des jours entiers qu'il préparait cette petite surprise pour elle et qu'il avait peur qu'elle ne la trouve pas à son goût. Clairement, il n'avait pas à s'inquiéter vu le bonheur qu'elle affichait, celui-là même qu'elle lui avait narré quelques secondes auparavant, alors qu'elle croquait dans un bout du gâteau, le regard de Tim se bloquant dans le sien si profondément. Il arrêta de respirer jusqu'à obtenir son verdict, clairement heureux de voir que le tout était à son goût. "Alors, je suis content... Je voulais que tu te régales." Ne rien pouvoir prononcer de plus, voilà ce que la jolie Brook soutira de lui puisqu'elle venait d'attraper le reste de la pâtisserie entre ses lèvres, s'approchant des siennes, déjà entrouvertes pour venir mordre dans la pâte quelque peu friable. Il crut défaillir au moment de se débarrasser des restes qui voyageaient de son côté, ses lippes mourant contre celles de Heïana dès lors que le gâteau disparut totalement chez l'un et l'autre. La main de Tim grimpa sur le long du flanc de la métisse, tout en douceur jusqu'à venir glisser contre sa joue puis dans sa chevelure attachée. Il ne respira plus durant ces quelques secondes emplies d'une nouvelle chaleur au sein de cette pièce déjà calfeutrée par la présence de toutes ces fleurs. "On joue pas à arme égale si tu fais ça, Heïana..." Il avait tellement envie de l'embrasser encore et encore, faire descendre ses lippes contre son cou et s'y perdre, il ne pouvait penser qu'à cela mais Timothy savait également qu'il n'avait que le bien être de Heïana en ligne de compte, ses désirs passant franchement au second plan dans ce genre de circonstances. "Et je veux pas que tu te sentes brusquée avec moi, d'accord? On a tout le temps..." Il reposa sa main contre sa joue dans un sourire délicat, reprenant son souffle avec plus ou moins de difficulté. "On fera ce que tu voudras ce soir, tout est possible au milieu des plantes." Il lui fit un clin d'oeil parce que c'était une réalité: ils pouvaient hurler, danser, jouer, chanter, rire, manger et se perdre dans la contemplation l'un de l'autre. Personne ne viendrait les déloger de là, Tim, en tout cas, posait son regard azur si pénétrant sur chaque trait du visage de la tahitienne, lui indiquant que tous les choix étaient siens, qu'il était un choix parmi tant d'autres pour elle mais qu'il ne pouvait pas être plus ravi qu'elle ait accepté de lui offrir cette si belle chance d'évoluer en sa compagnie.

Forcément, que je me souviens de ce genre de détails, pensa la brune avec autant d'amusement que de gêne. Elle transcrit sa pensée en quelques mots évocateurs, sur le ton de la plaisanterie : Disons que je n'ai pas eu pour habitude d'être sur les genoux d'un homme, à fortiori torse-nu. Routine qui semblait promise à évolution, au vu de leur position actuelle. Tout cela incluait bien des nouveautés pour Heïana, qui en dehors d'un ou deux petits copains au lycée, avec qui le flirt n'avait jamais duré plus d'une semaine et n'était jamais allé plus loin qu'un rapide bisou, n'avait jamais connu de relation amoureuse. Avec son ex-mari - quelle étrangeté de penser à lui en ces termes, et pourtant, ils ne se connaissaient pas avant - non plus, il n'y avait pas eu de grandes effusions émotionnelles, ni de contact physique particulier; tout au plus, un câlin maladroit ici, et une bise par là. Leur relation, en tant qu'amis, aurait pu être bonne; en revanche, l'idée de former un couple semblait absurde aujourd'hui. Les pourcentages de compatibilité vendus par l'émission se devaient d'être revus, sans aucun doute. Alors qu'avec Tim, tout était si... naturel ! De leurs simples discussions à leurs baisers, rien ne s'était fait avec une hésitation due à un doute. Les seuls temps de suspens qu'ils avaient pu connaître étaient dus à une appréhension sur la réaction de l'autre, rien de plus. Heïana n'aurait pas invité n'importe qui, et ce même après qu'il l'ait embrassée, à dormir avec elle; sa maison était assez grande, les canapés aussi. Pourtant, elle n'avait pu qu'amener le brun avec elle jusqu'à sa chambre, le tenant par la main et lui proposant de partager les mêmes draps. A moins que tu ne la noies sous du sel, la vanille serait restée délicieuse, argumenta la jeune femme. D'un sourire malicieux, elle demanda : Penser à ce soir pouvait potentiellement te faire perdre la tête, donc ? Elle ponctua d'un clin d'oeil complice, tirant le bout de la langue dans une attitude des plus chipies. Femme-enfant, Heïana pouvait être aussi mignonne que séductrice. Soit l'un, soit l'autre, et même les deux à la fois, sans même s'en rendre réellement compte.

Que Decastel ne s'inquiète pas, la demoiselle se régalait, autant par ses papilles que par tous ses autres sens. Son ouïe appréciait le calme nocturne, seulement troublé par les oiseaux alentours chantant alors que le soleil se couchait. Sa vue était réjouie par les parterres de fleurs aux mille couleurs, que les derniers rayons de l'astre souvent comparé à un dieu flattaient de la plus belle des manières. Son nez en trompette ne pouvait qu'adorer les parfums floraux contenus dans cette serre, tout en humant à leur juste valeur les différentes odeurs de leur repas. Quant au toucher... De quoi pourrait-elle se plaindre, les hanches flattées par les mains de Timothy, ses propres doigts jouant dans la nuque du brun, avec quelques-unes de ses mèches ? Plus besoin de mots, pour lui prouver sa joie d'être ici. Une petite pique joueuse, osée de sa part, serait tout aussi parlante. Alors, Heïana s'empara du reste du gâteau du bout des lèvres, et vint le proposer à son alter-ego, le fixant jusqu'à ce qu'il s'approche un peu plus pour saisir le cadeau qui lui était fait. Tentant d'en perdre le moins possible, leurs lèvres se baladèrent les unes contre les autres quelques secondes, et pourtant, quelques miettes connurent leur chute sur la robe de la Tahitienne, qui ne le remarqua même pas. Cela n'avait aucune importance. En revanche, ce qui en avait, c'était les doigts de Timothy, qui remontèrent lentement le long de son corps, jusqu'à venir caresser sa nuque. Ils se perdirent dans ses cheveux épais, attachés en chignon, alors que le baiser qu'ils venaient d'échanger semblait les avoir confondus autant l'un que l'autre. La serre semblait gagner en chaleur, à moins que ce ne soit son imagination ?

La demoiselle rit lorsque le brun osa parler d'armes égales. Quelques années plus tôt, elle aurait été véritablement ingénue, et si elle avait osé un tel geste, elle n'en aurait pas saisi toute la portée. A vingt-six ans révolus, avec des amis ayant eu des expériences amoureuses diverses et depuis bien plus longtemps qu'elle, la Polynésienne avait les clefs pour comprendre les mots de Tim. Sans oublier d'ailleurs son travail de sage-femme qui avait pu l'amener à connaître des anecdotes assez... croustillantes. Une fausse moue contrite se dessina, ses lèvres closes mais relevées en un sourire mutin, et ses yeux verts plus qu'expressifs pétillants d'une fausse excuse, révélant plus d'espièglerie qu'autre chose. C'est toi qui a commencé, affirma-t-elle en se dédouanant d'une parade très - trop - facile. Ramenant ses mains sur le torse de Timothy, elle les posa simplement dessus, laissant son cœur résonner dans ses paumes. Et je peux t'assurer que tu es au moins aussi armé que moi, souffla-t-elle avec cette fois, de petites rougeurs s'installant sur ses joues mates. Le fait qu'elle trouve le brun attirant ne pouvait être un secret, pas alors qu'elle avait l'impression d'être une petite abeille voletant auprès de la plus belle des fleurs. Heïana posa sa main sur celle que Timothy venait lui-même de mettre sur sa joue, profitant de ce nouveau contact en fermant les yeux un instant. Elle finit par les rouvrir, pour lui répondre : Comme si tu allais me brusquer. Un sourire attendri lui fut donné. Tu as toute ma confiance. Une manière de dire qu'elle se sentait bien avec lui, et qu'elle ne doutait pas un instant de sa sollicitude envers elle. Lorsqu'il lui dit qu'ils feraient bien tout ce qu'ils désireraient ici, la jeune femme répliqua : Oui ! Et d'ailleurs, nous n'avons délaissé cet excellent vin que tu nous as trouvé que depuis trop longtemps. Usant de sa souplesse naturelle - et travaillée grâce à la danse tahitienne - la brune se renversa délicatement en arrière, prenant garde à ne pas toucher la table de sa coiffure. Étendant les bras, elle attrapa les deux verres et se redressa comme si de rien n'était. Elle donna à Timothy son verre, sirotant quelques gorgées du sien. La brune regarda autour d'elle, profitant à nouveau de la vue offerte par la serre. Je reste bluffée par ton travail ici... En si peu de temps, avec les petits et ton travail à la librairie, c'est vraiment super d'avoir pu tout installer ! La jeune femme se leva, piqua un bâtonnet de carotte qu'elle trempa dans du houmous et le grignota tout en contemplant l'effusion florale autour d'eux. Et si tu me présentais tes variétés de fleurs ? J'en connais, mais je suis loin d'être aussi savante que toi sur le sujet.

Auparavant, il se serait confondu en excuses et en balbutiements car Tim n'était pas un grand séducteur, bien au contraire. Il n'avait jamais eu une gigantesque confiance en ses atouts, il ne pensait pas même en posséder à vrai dire alors qu'il était franchement aveugle sur la question. Avec ses beaux yeux bleus, son sourire d'ange et ses boucles en bataille, Decastel avait de quoi faire tomber amoureux n'importe qui mais ce n'était pas quelque chose qui l'intéressait grandement. Ce qu'il avait toujours voulu, lui, c'était happer l'attention d'une seule et unique personne, pas besoin d'avoir cent individus à ses pieds pour se sentir plus à l'aise dans ses baskets, il n'avait de toute façon pas cette prétention là. Être aimé une fois, juste cela, c'était un fait suffisant pour lui. Jusque là, ce n'était pas arrivé de la bonne manière: il y avait eu plus de coups et de douleurs que de rires et de bonheur mais peut être que la vie lui offrait une jolie chance de changer ce simple fait parce que ce n'était pas rien avec Heïana. L'ancien soldat n'aurait clairement pas risqué leur longue amitié si ce n'était qu'une passade sans importance, il avait toujours pris le temps et le soin de conserver ce genre de liens justement parce qu'il savait à quel point ils pouvaient être précieux, à une échelle différente qu'un amour dévorant. Non, ce qui le reliait à Heïana était d'une autre nature, avec une bien plu grande envergure puisque les deux individus se connaissaient bien, qu'ils avaient eu le temps d'évoquer bon nombre de secrets à l'autre sans forcément se forger des milliards d'espoirs sur ce qui adviendrait de leur union un jour prochain. Au final, tout était arrivé simplement, sans qu'aucun ne puisse le contrôler, sans qu'aucun ne donne l'impression de l'avoir voulu ou prémédité et c'était ce qui faisait sentir à Tim à quel point le tout était important à ses yeux. Il avait effectivement sorti le grand jeu ce soir-là, apeuré à l'idée d'être complètement à côté de l'essence d'un premier rendez-vous parce que le brun ne pouvait pas mentir, il n'était pas un grand spécialiste de l'exercice. Ce n'était pas si essentiel car Heïana était avec lui et qu'ils n'avaient pas besoin de la perfection pour se sentir à l'aise l'un avec l'autre. Tim était parfaitement à sa place ici, la jeune femme sur ses genoux alors qu'il captait les joues légèrement rosies de sa partenaire, ce qui apporta un plus large sourire sur ses traits si délicats. "J'espère que c'était une première fois agréable, alors." Il en jouait autant qu'elle parce qu'il n'était plus tout à fait le garçon que la belle Brook avait rencontré au détour d'un cimetière, celui incapable d'aligner deux mots sans avoir envie de se cacher derrière une stèle, voire carrément dans une fosse. Tim avait pris un peu de gallon de par ses expériences, même si elles avaient été malencontreuses et qu'elles l'avaient également énormément blessé. Il savait désormais qu'il pouvait oser plus et que rien ne lui arriverait en étant totalement lui-même, surtout auprès de la tahitienne. "J'ai pas peur d'assumer que oui. Je savais pas ce que tu allais me réserver, tu vois..." Et il posa son regard sur son visage, ses doigts glissant doucement contre le collier qu'il lui avait offert, signe clair qu'il avait défailli lorsqu'il l'avait aperçue derrière la porte. Timothy ne pouvait décidément pas lui cacher une telle évidence, pas alors que l'instant se réchauffait encore plus sous la fièvre d'un baiser renouvelé, de quelques attentions plus torrides qu'à l'accoutumée, même si Decastel conserva cette légère distance après coup parce qu'il était hors de question qu'il fasse fuir la belle métisse pour quelque chose auquel elle n'était pas prête. Il retrouva donc le flot continu de sa respiration, libérant ses pensées du moindre trouble pour se concentrer sur les mots de sa partenaire de jeu. Forcément, il ne put que faire une mine outrée en entendant sa répartie, aussi taquine que lui sur ce genre de points. "Moi? J'aurais plutôt dit que c'est toi avec ce gâteau là... Et ce sourire, et ces yeux, tu t'en sortiras pas comme ça!" Il étouffa un petit rire parce qu'il était évident qu'ils seraient toujours tous les deux fautifs en la matière, a priori incapables de résister aux appels de l'autre dans de telles conditions, ou au moins aussi intimes que celles qu'ils partageaient ce soir-là. "Ah bon? J'étais pas au courant de ça, Heïana..." Non, Tim n'usait pas du tout d'armes particulières en la dévorant du regard de la sorte, ses doigts caressant lentement sa joue alors qu'il hochait la tête, clairement heureux de constater que la jeune Brook lui faisait autant confiance. "Tant mieux." Il en serait ému une autre fois car le vin revenait entre leurs mains et déjà, Heïana s'évadait pour aller visiter plus avant la serre pour découvrir toutes les espèces que Tim essayait d'y faire pousser depuis plusieurs semaines. Il accourut auprès d'elle, terminant son verre de vin en un rien de temps avant de l'entraîner d'une main tendre vers les quelques allées qui cachaient les meilleurs plants. "C'est pas tant de travail... Il suffit juste de semer et venir arroser quand on peut. Et les petits m'ont aidé." Il les avait parfois amenés entre deux journées de travail à la librairie, cette serre avait en tout cas permis à Decastel de se vider la tête et d'aller de l'avant, quelque chose qui l'avait assurément sauvé d'un nouveau désespoir. "J'ai pas fait dans l'original, j'attendrai tes fleurs de Tiare pour ça... Tu vois, là, il y a quelques anémones, des dahlias, un peu d'eucalyptus de l'autre côté. Quelques variétés d'hortensias aussi et bien sûr, j'ai pas oublié les gardénias, je comptais t'en faire un bouquet mais elles sont pas tout à fait prêtes. D'où le collier. Il fanera pas, lui, cela dit." Il sourit en venant sentir les quelques bourgeons qui germaient doucement. Tim était heureux de tout ce qui poussait, sentant le potentiel qu'il pourrait obtenir d'ici quelques mois, juste avec un peu de patience. "Je sais pas ce que je peux te montrer d'autre, tu dois connaître plus ou moins tout ce qu'il y a mais je vais essayer de m'étendre vers l'exotique quand j'aurais bien géré les premiers plants." Il verrait à l'avenir alors qu'il faisait avancer Heïana vers le lieu où étaient bien sortis de terre les hibiscus. Timothy retira une des plus belle fleurs qui étaient prêtes à se retrouver ailleurs qu'au beau milieu de la serre, la présentant instinctivement à la brune face à lui. "Il paraît qu'en Polynésie, l'hibiscus a une signification particulière selon si tu la portes à ton oreille gauche ou droite. C'est vrai?" Allez savoir s'il lui demandait de la porter à son tour mais si la jolie Brook le faisait finalement, Timothy espérait sincèrement qu'elle la mettrait à gauche. Dans tous les cas, il en souriait parce qu'il adorait quand elle lui narrait ses aventures outre océan, c'était ce qui rendait Heïana si unique à ses yeux, elle et sa beauté si onirique.

Pas au courant ? La jeune femme arqua un instant un sourcil dubitatif. Était-il sérieux ou bien le brun se jouait-il d'elle ? Si la première option était celle à cocher, alors elle le travaillerait au corps (oups) pour qu'il perçoive à quel point, tant dans sa personnalité que dans son apparence, il pouvait être un bijou. Pas seulement à ses yeux à elle, mais tout simplement par lui-même. S'il s'amusait à ses dépends... Au vu de l'étincelle présente dans ses yeux bleus, ce devait être le cas; la probabilité se rapprochait bien plus du cent pour cent qu'autre chose. Pour la peine, la brune lui piqua un bisou. Innocent les mains pleines va. Rires. L'un comme l'autre étaient aussi coupables des méfaits qu'ils s'imputaient mutuellement. Par chance, leurs crimes n'étaient pas bien lourds, et pouvaient se résumer aux faits suivants : sourires, regards intenses, gestes lascifs et baisers volés. Leur sentence ? Sans aucun doute l'obligation de recommencer, encore et encore. Ils l'accepteraient avec un plaisir non dissimulé, et s'en donneraient à cœur joie. D'ailleurs, leur activité varia et de nouveau, les deux furent debout pour flâner à l'intérieur de la serre, l'horticulteur présentant ses petits bijoux floraux à sa belle. Tu dis qu'il suffit de les arroser, mais je sais que c'est plus que ça, réfléchit Heïana. Pour elle-même avoir trois-quatre plantes chez elle et passer au potager collectif de Toowong une fois par mois, deux quand elle le pouvait, elle savait qu'il s'agissait de plus que cela. Tu dois désherber, retirer les boutures fanées, les gourmandes... Cela prend quand même pas mal de temps ! Mais une passion, cela ne se commandait pas, et la Tahitienne ne faisait là nul reproche, s'extasiant simplement sur tout ce travail abattu par Timothy. Lorsqu'il lui dit que les petits avaient pu l'aider, il lui arracha un rictus. Je n'en doute pas. Viendra le jour où ils tiendront eux-mêmes de petits arrosoirs. Ce sera si mignon ! La Polynésienne se créa l'image mentale du trentenaire, dans cette serre, avec les deux petits bouts de choux, à un âge où ils sauraient gambader par eux-mêmes. En soi, cela serait vite venu. D'ici deux ans, ils seraient sûrement assez autonomes pour se promener ici sous l'oeil attentif de leur père. La demoiselle écouta d'une oreille attentive les différentes présentations de Tim, reconnaissant d'ailleurs les fleurs au fur et à mesure qu'il les lui désignait. Elle sourit lorsqu'au final, pour clore leur petit parcours, il lui présenta une fleur d'Hibiscus, tout juste cueillie. Tu es bien renseigné, répondit simplement Heïana en prenant la fleur qu'il lui tendait. Elle prit un instant pour en humer le parfum, d'une délicatesse incomparable; puis, elle la déposa dans le creux de son oreille gauche, comme de coutume dans les îles dont la moitié d'elle provenait. Si les mots avaient déjà pu tracer les contours de leur nouvelle relation, dans le coeur d'Heïana, cette fleur tombait à pic et ancrait par sa symbolique le lien qui se tissait entre eux. Elle sourit et déclara avec un brin d'humour : Entre cette fleur, celle de mon collier et ma robe, je me fonds plutôt bien dans le paysage, non ? Les deux amants retournèrent quelques instants plus tard vers la table car après tout, ils n'avaient fait que se partager un bout de gâteau et un verre de vin. Cela aurait été dommage de gâcher les préparations faites tout l'après-midi par l'hôte de la soirée. Ils se resservirent d'ailleurs un deuxième verre, qui serait le dernier; Timothy parce qu'il conduisait et Heïana parce que, buvant rarement, sentait déjà l'alcool amener son petit effet décontractant. En fille raisonnable, elle connaissait peu ou prou ses limites, et ne les avait d'ailleurs jamais dépassées. La jeune femme eut soudainement une idée : Et si nous sortions un peu ? Les étoiles doivent être hautes dans le ciel, désormais. Ainsi, avec une assiette où ils avaient mis en commun des petites choses à grignoter et leurs deux verres, les deux âmes sortirent profiter du ciel nocturne, illuminé d'étoiles et paré d'une superbe pleine lune. La brune s'assit dans l'herbe fraîche, ramenant ses genoux vers sa poitrine, posant ses mains légèrement derrière elle, à même la terre. Tu sais que la rumeur comme quoi il y a deux fois plus de naissances les soirs de pleine lune est vraie ? s'amusa Heïana, faisant partager au brun une anecdote de travail. J'en ai fait l'expérience, commenta-t-elle, les yeux rêveurs. Son regard se portait tantôt sur le magnifique panorama qui leur était offert, tantôt sur l'homme à ses côtés, dont elle ne se lassait ni de la présence, ni de sa proximité, et encore moins de sa discussion. Il était là, tel un rêve devenu réalité. Comme une évidence qui s'imposait à elle, au plus profond de sa poitrine. Elle laissa glisser une de ses mains jusqu'à celle de Timothy, la passant sous la paume jumelle, bien que sensiblement plus grande que la sienne. Dis, Tim. La brune expira, hésitante. Tu penses que ça ne posera pas souci, le fait qu'on soit... ensemble ? Je veux dire, vis-à-vis des enfants, ou de Charlie. La fameuse. Celle avec qui elle aurait espéré être amie, mais dont le parcours ne l'avait pas permis. Celle qui avait charmé Timothy, dont elle était tombée enceinte. Celle qu'Heïana avait accouché, étant désormais marraine de l'un de ses enfants. La brune craignait que la situation ne créée de difficultés à celui pour qui son coeur battait, dernière chose qu'elle souhaiterait.

Il était forcément entouré de fleurs, c'était une évidence, un quotidien qui avait paru morne pendant si longtemps mais qui lui avait promis tant de rêves par la suite. Sans toutes ces plantes, Timothy ne se serait pas retrouvé là ce soir, à partager ce doux moment en compagnie de Heïana parce que son amour des compositions florales était née au beau milieu d'un cimetière qui paraissait tout aussi triste qu'un autre mais c'était ce parcours précis qui l'avait amené vers la belle brune. Il n'avait jamais rien souhaité d'autre que d'en arriver là, à la plus belle conclusion d'une si triste histoire de prime abord parce que l'enfant qu'il avait été n'avait pas pu observer le bonheur d'aussi près. Il aurait pu le regretter, c'était d'ailleurs ce qu'il avait fait durant une longue période mais désormais, Tim apprenait à vivre avec, à se dire que ce n'était pas si grave parce qu'il avait l'instant présent, que celui-là était magique et qu'il ne changerait les choses pour rien au monde si cela voulait dire perdre cette relation si tangible avec la tahitienne. Oui, il recevrait les punitions corporelles et psychologiques de sa génitrice sans hésiter si c'était pour sacrifier cette nouvelle vie qui s'offrait à lui ces derniers mois: Decastel avait tant attendu un bonheur de cet acabit, un sourire aussi franc sur ses lèvres alors qu'il se jouait de la sage-femme et qu'elle le savait, lui rendait la monnaie de sa pièce sans la moindre hésitation. Il ne mentait pourtant pas sur ce sujet, il ne comprenait pas nécessairement ce que la jeune femme pouvait lui trouver parce que Tim s'était souvent regardé dans le miroir mais il n'avait pas trouvé grand chose à aimer de son côté, une véritable tragédie née d'un passé troublé. Il apprendrait, il irait mieux et comprendrait aussi ce qu'il avait de beau pour le reste du monde: en attendant, il riait et souriait en laissant les lèvres de Heïana conquérir délicatement les siennes à nouveau. Le temps était le leur et Tim désirait le croquer à pleines dents, un peu comme il avait pu le faire avec le gâteau quelques minutes plus tôt mais le duo était déjà passé à une nouvelle étape, à de nouveaux mots d'affection au milieu des fleurs. "C'est vrai, c'est beaucoup de patience mais le résultat est si joli et... Rappelle moi de leur acheter un arrosoir chacun dès qu'ils marcheront." Au fond, Tim ne savait pas si un des jumeaux aimerait le jardinage, il n'essaierait même pas de les initier à vrai dire parce que le brun était convaincu qu'une passion naissait d'elle-même, sans la moindre force extérieure pour la raviver. En tout cas, c'était ce que les yeux bleus de Tim communiquaient en se posant sur le moindre plant qui poussait à merveille, jusqu'à ce que ceux-ci toment sur la belle fleur d'hibiscus qui lui tendait les bras. La donner à Heïana, attendre qu'elle la porte jusqu'au côté gauche de sa chevelure et sourire comme il ne l'avait jamais fait jusque auparavant. Il y avait quelque chose de solennel dans ce simple geste, quelque chose qui leur ressemblait aussi, plutôt que des mots, toujours des fleurs. "Au contraire, tu ressors clairement du décor tant tu es... Belle." Il n'utilisait que peu ce mot, sûrement parce qu'il n'était pas assez fort en comparaison de ce qu'il pouvait réellement penser mais Tim n'en avait aucun autre sous la main. Il ferait avec, suivant la jeune femme jusqu'à la table pour qu'ils préparent un joyeux pique nique à aller grignoter dans l'herbe juste devant la serre alors que les étoles brillaient bien haut dans le ciel et que les vignobles laissaient leur senteur parvenir jusqu'à eux. Il y avait le silence autour d'eux, si on excluait les bruissements de quelques coups de vents dans les arbres non loin de là et Tim se laissa choir vers l'arrière pour s'allonger dans l'herbe, sa paume épousant celle de Heïana avec un naturel déconcertant. "C'était la pleine lune pour les jumeaux?" Timothy n'avait pas le souvenir de tout cela parce que ce n'était pas le genre de détails qu'il avait pris le temps d'observer dans une telle situation d'urgence. Tout était si paisible maintenant, du moins jusqu'à ce que le libraire capte un émoi réel du côté de Heïana. Il se releva donc légèrement sur ses coudes avant d'amener ses phalanges jusqu'à ses lèvres pour les embrasser. "Viens." Il l'attira contre lui, se reculant à nouveau jusqu'à s'allonger confortablement dans l'herbe, son bras entourant la belle Brook alors que sa main restait fermement ancrée dans la sienne. "Les enfants t'adorent, je vois pas ce qui pourrait leur poser problème, t'es absolument parfaite avec eux." Il lui fit un sourire adorable en venant déposer un baiser sur le bout de son nez. "Quant à Charlie, elle a absolument pas son mot à dire sur nous deux. Je veux pas que tu te sentes mal vis à vis d'elle, ou de ce qui s'est passé parce que c'est fini, elle et moi, définitivement. Que je suis avec toi et que le reste n'a pas la moindre importance. Qu'elle essaie de te blesser en mettant le moindre mensonge sur la table et elle aura affaire à moi parce que c'est nous, Heïana, d'accord? Toi et moi." Il ne savait pas si un tel discours suffisait à la rassurer mais ses yeux lui hurlaient en tout cas, alors que ses doigts jouaient avec les siens, Tim ne voulait pas la relâcher des yeux, de peur qu'elle ne s'envole, pas maintenant. Il fallait qu'elle le croie, qu'ici et maintenant, il scellait son coeur au sien et que Decastel ne reviendrait pas sur sa parole, il n'y avait qu'elle.