La nuit est en train de tomber et je me prépare à passer une énième soirée, seul avec les jumeaux. Depuis le rendez-vous chez le pédiatre, je n’ai pas revu Jill qui semble s’obstiner dans son silence. Désormais, elle passe par le biais de sa sœur pour voir les enfants et c’est quelque chose qui m’attriste autant que cela me met en rogne. Elle trouve toutes les excuses du monde la benjamine McGrath pour ne vexer personne quand en réalité, je ne sais pas ce que l’on ferait sans sa présence tant elle agite le drapeau blanc de toutes ses forces. Ce n’est pas à elle de réparer les pots cassés, mais je ne me sens pas la force de faire le premier pas quant à mes yeux, c’est à Jill de revenir. Je me torture l’esprit avec cela. Toutes les nuits, je remets en question dix ans d’une relation jonchée de problèmes, de disputes et de rancœur, mais rythmer par un amour plus fort que tout. Épuisé depuis plus d’un mois, il m’est arrivé d’en vouloir aux enfants, alors qu’ils n’ont jamais rien demandé dans cette histoire. C’était il y a trois jours, depuis je ne ferme plus l’œil tant je ne cesse de me flageller avec cela. Même hier lorsqu’ils ont passé la journée avec leur mère, je n’ai fait qu’une sieste de deux heures avant de me réveiller plus angoissé que jamais à la suite d’un cauchemar terrible où Tracy disait me détester et Bowie suivait sa sœur sans un mot. Petit à petit, je sombre, mais ne laisse rien transparaître aux autres. C’est Jill qui devrait voir, elle seule qui devrait comprendre, mais elle n’est pas là et c’est probablement ce qui est en train de me perdre. Son absence est comme un écho dans cette maison trop vide. Et ce soir, j’ai la sensation de ne plus savoir quoi faire pour apaiser Bowie qui ne cesse de pleurer. Monsieur n’a pas voulu faire sa sieste de l’après-midi, trouvant cela bien plus sympa de fixer Logan qui faisait l’idiot dans le jardin et de baver sur ses peluches à foison. Il est épuisé et ses pleurs ne sont que le résultat d’une décharge émotionnelle provoquant alors la mienne. Je me sens comme un con, assis au milieu du salon, mon fils dans les bras, larmes silencieuses qui coulent sur mes joues alors qu’à son tour Tracy enclenche la machine. « Je suis désolé, ça va aller. » que je ne cesse de répéter en boucle alors que je me perds dans ce que je dois faire. L’angoisse monte au fur et à mesure que leurs pleurs augmentent, je tente de les prendre tous les deux dans mes bras, mais Tracy s’agite et je manque de la faire tomber dans son berceau. Elle hurle si fort que je voudrais tout s’arrête, qu’elle se taise pour de bons. J’agite un doudou sous ses yeux et voilà qu’elle sanglote un peu moins. Bowie ne se calme pas. Ils sont fatigués et moi aussi. Pourtant, je sais qu’il y a bien une chose qui fonctionne quand ils sont comme cela : faire un tour en voiture.

Je prends cinq minutes pour me calmer, avant de monter chercher des fringues potables, une paire de chaussures et des vêtements un peu plus chaud pour mes deux bébés. L’étape de la préparation semble déjà un peu les apaiser même si les sanglots sont encore bien présents. « On va aller faire un tour dans la voiture de papa. » que je blablate tant pour me rassurer que pour leur montrer que papa prends la situation en main. Chaque bébé installé dans son siège, j’ordonne à Logan de rester dans le salon et me dirige vers la voiture. Mes gestes sont automatiques. Enclencher la coque sur le socle, bien boucler la ceinture. Vérifier une fois, puis deux. Faire la même chose avec le deuxième. Donner les doudous. Un bisou sur le front de chacun. Grimper derrière le volant. Démarrer.

Tout est trop fait par automatisme, le tour du quartier à une vitesse normale, éviter les feux rouges et les stops pour qu’ils s’endorment paisiblement. Tracy sanglote à coup de hoquet, Bowie babille un peu. Ils sont calmes, mais ne dorment toujours pas. Alors, je vais un peu plus loin. Malgré la fatigue, malgré mes yeux qui deviennent de plus en plus lourd. Je roule sans savoir où je vais, par habitude, je connais le quartier par cœur. La musique que j’ai balancée en douceur m’apaise également. Du coin de l’œil, je les vois lutter contre le sommeil. Encore un tour et ça ira. Juste un tour, pour être sûr.

Et c’est au rythme de mes enfants que mon corps s’apaise peu à peu, qu’il lâche prise. En quelques secondes, le besoin de sommeil prime sur tout le reste. Mes yeux se ferment juste une demie seconde et je me reprends. Je me redresse, j’accélère légèrement pour rentrer plus vite. Mais ce n’est pas suffisant. À nouveau mon corps lâche prise, mes yeux se ferment et cette fois-ci, je m’endors. Au volant, dans cette voiture en mouvement… Dans ce quartier vide, dans cette descente qui me mène tout droit dans un mur.

Le bruit de l’impact déchire le silence de la nuit alors que mon corps se soulève, que ma tête frappe le pare-brise, que mes côtes heurtent le volant et que tout deviens noir à l’instant même où mes enfants se mettent à hurler.


@jill mcgrath-fitzgerald

Un appel au milieu de la nuit. Un seul appel et elle se retrouve à l’hôpital à faire des allers retour dans les couloirs. Elle est apparemment toujours le numéro à contacter en cas d’urgence dans le téléphone de Bailey. Lui et les jumeaux ont eu un accident de voiture, et elle s’inquiète la McGrath. Elle doit s’assurer que Bailey va bien, et que ses enfants vont bien aussi. Elle respire calmement mais ne tient pas en place. Posant des questions à chaque médecin qui a le malheur de croiser son chemin. Toujours les même réponses, ils ne peuvent rien lui dire et il faut qu’elle attende. Elle n’a pas de preuve d’être la mère des petits ni la femme de Bailey. Elle ferme les yeux quelques secondes avant de tourner la tête vers le couloir où sa famille se trouve. Elle regrette de ne pas avoir été là, et maintenant elle est terrifiée à l’idée de les perdre tous les trois. Il a fallu un accident et le risque qu’ils meurent tous pour qu’elle se rende compte qu’elle ne veut pas les perdre pour toujours. Elle aime Bailey de tout son coeur, elle n’en a jamais vraiment douté, et elle a besoin de ses enfants dans sa vie. Mais elle a fait des tas de conneries depuis plus d’un mois, et elle ne sait pas si c’est possible qu’elle arrive à se racheter aux yeux de son mari.

Elle ne sait pas pourquoi ils ont eu cet accident, ni pourquoi ils étaient en voiture au beau milieu de la nuit. Elle croise les bras et cherche un moyen d’entrer dans la chambre du brun. Elle ne sait pas où il est, mais elle sait qu’elle pourrait faire 10 fois le tour de l’hôpital pour le retrouver. Elle se décale, et elle passe derrière une porte qui se referme dans son dos. Elle regarde, ouvre plusieurs portes avant de se retrouver devant la bonne. Elle ouvre et l’observe, endormi. Elle a autant envie de lui hurler dessus que de le prendre dans ses bras mais elle continue de garder ses distances pendant de longues minutes. Personne ne vient la sortir de la chambre et c’est mieux comme ça. Elle referme la porte et finit par s’asseoir sur le bord du lit en laissant glisser ses doigts entre ceux de Bailey. Elle observe un de ses poignet qui a l’air endommagé, et la plaie qui occupe une grande place sur son front. La choc a dû être rude et elle se retient de sortir pour demander au premier médecin qu’elle croisera comment vont ses enfants. Au lieu de ça, elle garde ses yeux posés sur Bailey en laissant glisser son pouce sur sa main jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux. “Hey…” Elle sourit et parle le plus doucement qu’elle le peut. “Bouge pas il faut que tu te reposes.” Elle appuie sur le bouton pour appeler le personnel médical, sachant très bien qu’elle n’a normalement pas le droit d’être là.

Je ne me souviens de rien.

Mon corps semble lourd, bien trop lourd. Je lutte, mais cette sensation de ne pas pouvoir ouvrir les yeux me collent à la peau. Quelque chose ne va pas, je le sens dans chaque fibre de mon être et je suis incapable de bouger. J’entends des bips et des gens qui parlent autour de moi. Des gens inquiets. On me manipule la tête, j’ai mal, mais je ne peux pas crier. Je ne peux rien dire. Je me sens comme coincé dans mon propre corps et la sensation semble durer des heures et des heures. Tout est comme dans un mauvais rêve, le genre dont on voudrait ne jamais se souvenir. Une piqûre sur mon bras et me voilà comme envelopper dans du coton avant de sombrer pour de bons.

***

Les bips sont de nouveau là lorsque je semble émerger à nouveau. La douleur bien plus présente également. Ce n’est qu’un mauvais rêve. Je vais ouvrir les yeux et je serais à la maison avec les jumeaux. Je me suis probablement assoupi sur le canapé, ce n’est rien de grave.

Il me faudra quelques minutes pour finir par ouvrir mes paupières. Quelques secondes supplémentaires pour apercevoir Jill et son air inquiet. Un temps supplémentaire pour comprendre ce qu’elle est en train de me dire. « Bouge pas, il faut que tu te reposes. » « Ça va. » Bien sûr que ça va, c’est devenu mon refrain favori depuis plus d’un mois désormais. Enfin… Ça allait. Jusqu’à ce que je réalise que je ne suis pas sur mon canapé, que tout mon corps me fait mal et que je suis en réalité dans une chambre d’hôpital. Je ne suis pas à la maison, les jumeaux ne sont pas avec moi. Mon sang ne fait qu’un tour alors que je me souviens enfin… On est parti en voiture. Je voulais faire le tour du quartier pour les endormir. Autour de moi, les machines s’emballent en même temps que mon rythme cardiaque accélère et que ma respiration se coupe. « Les jumeaux, les jumeaux, ils sont où ?! » Je hurle de manière frénétique, tente de me lever, mais m’arrête subitement pour lâcher un cri de douleur lorsque je prends appui sur mon poignet blesser et tant mes côtes me font souffrir. Je suis en pleine crise de panique, plus rien n’a de sens, j’ai besoin de savoir où sont mes enfants, mais suit incapable d’articuler le moindre mot. « Jill. » Elle est la seule que j’appelle alors que mon monde semble être en train de s’écrouler autour de moi et qu’une armée d’infirmière débarque dans la chambre.

Elle le regarde et les minutes semblent être des heures avant qu’il ne veuille bien ouvrir les yeux. Elle oublie tout à cet instant, tout ce temps séparé et tout ce qu’ils ont bien pu se dire d’affreux ces derniers mois. Il parle et il a du mal à comprendre où il est. “Ca va pas du tout.” Il peut mentir à n’importe qui, mais pas à elle. Il le sait, ils se connaissent par coeur depuis des années et, ce matin, elle ne le laissera pas lui mentir aussi facilement. Il cherche les enfants partout dans la pièce et elle ne peut rien lui dire, elle n’a toujours pas eu d’information et elle préfère se concentrer sur Bailey pour le moment. “Je sais pas j’ai pas encore eu de nouvelle.” Mais elle se dit que si l’un des deux allait vraiment mal les médecins n’auraient pas hésité à le lui dire au moment où elle est arrivée. Elle appuie sûrement des dizaines de fois sur le bouton d’appel et les médecins mettent bien trop longtemps à arriver à son goût. “Bailey arrête, tu restes là et tu te reposes c’est pas négociable.” Elle va finir par s’énerver et dire aux médecins de le sangler à son lit. Elle lève son tee-shirt et aperçoit les ecchymoses sur son torse. “Bailey…” Elle souffle avant de resserrer l’étreinte de ses doigts autour de ceux du Fitzgerald.

“Qu’est ce que vous faites ici ?” Elle se ferait presque engueuler par une des infirmière qui entre dans la pièce. “Je compte pas bouger d’ici.” Elle roule des yeux la petite blonde avant de se tourner vers le médecin. “Je dois appeler la sécurité ?” “Vous pouvez toujours essayer.” Elle fronce les sourcils la McGrath avant de regarder vers Bailey une nouvelle fois. “Je reste là, je bouge pas. Mais je vais pas retourner là-bas et n’avoir aucune nouvelle des trois.” Elle espère qu’ils reviennent avec des nouvelles des bébés qu’elle n’a toujours pas pu voir, elle espère aussi qu’elle va pouvoir rester dans la chambre et qu’elle ne se fera pas virer dans le couloir ou dans la salle d’attente.

« Ça va pas du tout. » C’est dans sa voix à elle que quelque chose ne va pas. Je relève les yeux et croise le regard de Jill. La dernière fois que l’on c’est vu, on s’évitait comme deux bêtes sauvages. Elle n’a pas été aussi proche de moi depuis bien trop longtemps et cette inquiétude au fond de ses yeux me dit qu’elle a probablement raison, quelque chose ne va pas. Petit à petit, la douleur se réveille. « J’ai mal. » que je murmure alors que mon cerveau est en train de se remémorer mes derniers instants conscients. Et tout s’emballe dans mon esprit. Les jumeaux qui pleurent, moi qui le mets dans la voiture, la fatigue et se bruit strident. On a eu un accident. C’est comme si mon cœur s’arrêtait soudainement alors que je réalise que mes enfants ne sont pas dans la chambre. « Je sais pas, je n'ai pas encore eu de nouvelle. » « Mais comment ça ? » Bien entendu, elle s’en fiche. Bien sûr qu’elle ne sait pas, elle n’était pas là de toute manière. Je voudrais l’engueuler, mais c’est un cri de douleur qui s’échappe d’entre mes lèvres alors que je tente de me relever tant bien que mal. « Bailey arrête, tu restes là et tu te reposes c’est pas négociable. » Trop tard, malgré la douleur j’arrive à me mettre sur mes jambes. Je suis incapable de m’appuyer sur mon poignet, ma vue devient floue et j’ai du mal à respirer, mais je braverais n’importe quelle douleur tant que l’on ne m’aura pas dit comment vont les jumeaux. « Bailey. » « Je veux juste les voir. » que je la supplie. Si elle ne dit rien, c’est qu’il est arrivé quelque chose. Si elle est avec moi, c’est forcément parce que j’ai fait une erreur. Ils vont mal. On nous a enlevé nos enfants. Ils sont morts. Cette dernière pensée me coupe le peu de force qu’il me restait et je manque de valser à terre. Deux infirmières et Jill, me rattrapent juste à temps. Ça cri autour de moi alors que le médecin me force à retourner dans le lit. « Je reste là, je bouge pas. Mais je vais pas retourner là-bas et n’avoir aucune nouvelle des trois. » Elle se défend Jill, elle défend notre famille. C’est tout ce que j’entends, alors qu’une petite jeune m’aide à m’allonger à nouveau. « Calmer vous Monsieur Fitzgerald. » hurle sa collègue bien moins aimable. « Je veux voir mes enfants. » Le silence règne dans la chambre quelques secondes avant que la jeune infirmière se mette en colère. « Mais personne ne leur a donné des nouvelles des petits ?! » Elle semble plus furieuse que jamais avant que son regard doux se pose sur moi. « Vos bébés vont bien. Ils vont bien, je vous le jure, j’étais avec eux juste avant. » Et il faut croire que c’est tout ce dont mon corps avait besoin avant de lâcher à nouveau.

Lorsque je me réveille à nouveau, la chambre est plongée dans la pénombre, deux berceaux sont au pied de mon lit et Jill est juste à côté de moi. Nos regards se croisent et je me sens déjà fondre en larmes.

Bailey ne veut rien entendre. Il veut voir les enfants mais Jill veut qu’il se concentre sur lui pour cette fois. Il est blessé et fatigué, il a besoin de rester allongé même si ils n’ont pas de nouvelles des bébés. Jill finira par s’énerver si les médecins l’obligent à sortir ou osent encore dire qu’ils ne peuvent pas donner de nouvelles des jumeaux. Elle soupire et rattrape Bailey avant qu’il ne tombe. Il est plus grand et plus costaud qu’elle, mais elle pourra le retenir si elle le décide et si c’est nécessaire. Il ne sortira pas de cette chambre, il n’a pas le choix. Elle reste proche du lit et elle ne sort pas même quand l’infirmière le lui demande. Ils ont besoin d’être ensemble, elle ne veut pas s’éloigner plus qu’elle ne l’est déjà. Sa main a lâché celle de Bailey quand il s’est levé et toute son attention se porte sur les 3 infirmières présentent dans la pièce. Une commence à s’énerver, mais pas contre Jill, uniquement contre les autres infirmières. Les bébés vont bien, et Jill soupire. Elle n’a donc qu’un blessé à gérer et elle n’a pas le temps de dire un mot de plus qu’il s’est rendormi. Elle ne retient pas le sourire en coin qui nait au coin de ses lèvres et elle se rassoit à côté de lui en attendant qu’ils ne décident de le changer de chambre.

Les jumeaux sont avec eux, et Jill n’a pas fermé l’oeil. Elle a gardé les deux bébés dans ses bras pendant un long moment, se rendant compte qu’elle aurait pu les perdre d’une seconde à l’autre. Son coeur se brise et elle ne peut s’empêcher de se dire que tout est de sa faute. Bailey est épuisé, et il n’a fait que s’endormir au volant. Il a tenu tout seul bien trop longtemps, et, cette fois, elle ne peut pas remettre la faute sur lui. Il a été parfait pour eux, il est un père parfait depuis le début Bailey. Les heures passent et elle reste juste à côté de lui, laissant glisser ses doigts entre les siens de temps en temps. Elle l’observe et il ouvre les yeux. Elle n’a pas le temps de parler ou de sourire qu’il se met à pleurer. Le choc, la peur… il y a beaucoup de choses qui expliquent ces larmes, et, cette fois, Jill est là pour l’aider à garder la tête hors de l’eau. Elle le prend dans ses bras sans réfléchir. “C’est rien, vous allez tous bien.” Et ce n’est pas grâce à elle. Elle ne le lâchera pas tant qu’il sera dans cet état, elle n’est pas là pour discuter ou se poser des questions sur ce qu’ils sont à l’heure actuelle, elle est juste là pour le soutenir. “Je suis là.” Et elle ne compte pas partir.

Tout est aller trop vite.

Mon corps n’a pas tenu le choc ou l’infirmière à décider de me sédater, je n’en sais trop rien. Je me suis endormi ou évanoui, je ne sais plus. Lorsque je me réveille, j’ai la désagréable sensation d’être dans un brouillard épais. Il me faut quelques secondes pour réaliser à nouveau. Je suis à l’hôpital, j’ai eu un accident de voiture, les jumeaux vont bien. Je tente de me refaire le film des événements, mais tout semble si lointain, si abstrait. Je conduisais pour rentrer à la maison, j’ai juste accéléré un peu. Rien de plus. L’angoisse commence à monter de nouveau, jusqu’à ce que je sente des doigts glisser entre les miens. Jill. Elle est là. Elle était déjà là tout à l’heure. Cette fois, elle n’est pas seule dans la chambre. J’aperçois deux berceaux et le profil de mon fils qui semble dormir profondément. Ils sont là. Ils sont dans cette chambre d’hôpital à cause de moi. Tout remonte et lorsque le regard de Jill croise le mien, je suis incapable de retenir quoique ce soit. Les vannes s’ouvrent pleinement pour la première fois depuis bien trop longtemps. Les larmes se précipitent sur mes joues et je sanglote sans réellement savoir pourquoi. J’ai eu peur, j’ai mal. L’impression que tout est en train de me glisser entre les doigts tant mon corps refuse d’avancer.

« C’est rien, vous allez tous bien. » qu’elle murmure alors que lentement, elle monte sur le lit pour me prendre dans ses bras. Mon caractère me dirait de la repousser, mon instinct est d’aller me blottir tout contre elle tant le moment semble fugace. Demain elle aura de nouveau disparue et cette idée-là ne fait que doubler la rivière de goutte salée qui dévalent mes joues. « Je suis là. » La position est douloureuse, mais en rien, je ne bougerai. Mon nez est allé se loger contre la peau de sa nuque. Mes sanglots sont incontrôlables tant, je me rejoue la nuit dans un coin de mon esprit. « Je voulais pas leur faire de mal. » que je répète inlassablement. Une fois encore, ce sont les pires émotions qui prennent le dessus. Je suis un mauvais père pour avoir mis mes enfants en danger. On va me les enlever. Jill va partir avec eux et je ne les reverrais jamais. Tout y passe, tout se noie dans des larmes supplémentaires alors que mon corps entier me fait souffrir, mais mes doigts s’accrochent à ses bras comme à une bouée de sauvetage. « Je suis tellement fatigué… » Et pourtant, mon être tout entier ne cesse de lutter pour prendre soin des enfants, pour travailler la musique, pour penser a tout, sauf à me reposer.

Elle a attendu des heures qu’il se réveille. Elle ne savait pas quelle allait être sa réaction. Elle s’est demandée un bon nombre de fois s’il allait se mettre à pleurer ou à lui hurler dessus. Elle tient sa main, regarde de temps en temps les bébés qui dorment à point fermé. C’est tant mieux, elle peut se concentrer sur Bailey alors qu’il ouvre les yeux. Il ne dit rien, mais il relâche tout. Il pleure à chaudes larmes et le coeur de Jill se brise. Il pense que tout est de sa faute, et ce sentiment va rester un moment, elle le sait, elle ne le connait que trop bien. Elle le rejoint sur le lit et le prend dans ses bras. Le nez de Bailey vient se loger dans son cou et elle ne bouge pas. Elle est mal calée mais elle veut s’adapter à lui. Il est blessé, il souffre et elle ne veut pas que ce soit plus douloureux à cause d’elle. Elle essaie de se décaler pour qu’il soit sur le dos, sans mettre tout son poids sur ses côtes. Elle ne le lâche pas, il a besoin de se sentir soutenu, ils discuteront plus tard de tout ce qu’il se passe entre eux, tout ce qu’ils ont détruit et incapable de réparer. Mais Jill ne veut pas laisser tomber, pas aujourd’hui.

“Tout va bien.” Elle pose un baiser sur son front alors qu’il continue de sangloter entre ses bras. “Tu leur ferais jamais de mal je le sais, tout le monde le sait d’accord ?” La preuve est que personne n’a décidé de leur enlever leurs enfants ou de faire venir une assistante sociale. Tout va bien pour les trois et elle ne peut qu’en être encore plus rassurée. Elle doit se concentrer sur l’homme qu’elle aime qui est toujours entre ses bras, accroché à elle comme si elle était sa seule bouée de sauvetage. “Il faut que tu te reposes.” Il reste accroché à elle et elle ne bougera pas tant qu’il ne lui aura pas demandé. “Pense à toi, juste un peu.” Il faut qu’il en soit capable. Il a beaucoup maigri, et elle voit encore le bleu au creux de son bras qui est toujours bien présent. Il se fait du mal, et c’est de la faute de Jill. Elle le sait très bien.

Le réveil est brutal tant, je me prends en pleine tête la violence des derniers événements. Les jumeaux sont là, sous mes yeux et je ne sais plus si c’est le soulagement ou la peur qui ouvre les vannes des larmes en premier. J’ai causé un accident. C’est tout ce que je sais, je conduisais, on a eu un accident, j’ai mal de partout et ils sont à l’hôpital à cause de moi. Pas le temps de vérifier qu’ils vont bien que déjà, Jill me prend dans ses bras. Elle était la première à mon chevet et malgré les tensions, cela agit comme un véritable soulagement alors que je sens ses bras se resserrer autour de ma silhouette frêle. Tout mon corps me fait mal et tout s’étouffe dans mes sanglots. « Tout va bien. » qu’elle répète sans cesse autant pour moi que pour elle probablement. « Tu leur ferais jamais de mal, je le sais, tout le monde le sait d’accord ? » Ses lèvres sur mon front et lentement mon cœur qui s’apaise alors que mon regard ne lâche plus les berceaux face à moi. Ils sont là, si je me calme, je pourrais entendre leur petite respiration comme j’ai appris à le faire en enchaînant les nuits seul avec eux. Ils vont bien et moi… J’ai juste mal. « Qu’est-ce que j’ai ? » Du coin de l’œil, je vois mon poignet droit bien enflé et déjà violet et bleu par endroit. Je crois que tout mon côté gauche me fait mal et je n’ose pas lever ma main libre jusqu’à mon front tant ce dernier me lance. « Il faut que tu te reposes. » Je renifle, essuie mes larmes. Je ne supporte plus que l’on me demande de me reposer, c’est presque devenu vexant à force que l’on me répète sans cesse que j’ai une sale gueule. La femme que j’aime est partie sans rien me dire, elle a préféré abandonner notre famille. Alors oui, je vais mal. Et même si Jill est présente, même si elle n’avait pas été aussi tendre avec moi depuis ce qui semble être des semaines voir des mois, j’ai cette boule au ventre qui me répète sans cesse qu’elle va partir à nouveau, qu’il ne s’agit que d’une question de temps. « Pense à toi, juste un peu. » Un rire nerveux m’échappe, alors que j’essaye tant bien que mal de me relever, de ravaler mes larmes. « J’ai pas le temps de penser à moi, je dois penser à eux. » Toujours eux tant que toi, tu es pas là, Jill. Elle me retient dans ses bras alors que tout ce que je voudrais, c’est voir mes enfants d’un peu plus près. J’ai si mal que je pourrais en pleurer de nouveau, j’abandonne, retombe sur le matelas. « Tu peux approcher les berceaux ? » Je dois les voir, c’est vital. « Je veux voir par moi-même qu’ils n’ont rien. » Je la supplie du regard alors qu’intérieurement, déjà, je me flagelle d’avoir imposé cela à mes enfants.

Elle est toujours collée à Bailey. Ses doigts se glissent dans ses cheveux et elle se demande depuis combien de temps ils n’ont pas été aussi proche. Elle soupire, et la respiration de Bailey se calme alors qu’elle tente de le rassurer. Rien n’est de sa faute, et elle le sait très bien. Il donne tout pour ses enfants et il ne connait pas ses limites, il les a atteinte ce soir. Il pleure un peu moins et pose une question sur son état. Elle laisse glisser une main sur son bras gauche. “Une grosse entorse d’après les médecins, tu peux plus utiliser ton poignet pour au moins 3 semaines.” Il va paniquer, et elle va devoir être présente tout le temps pour qu’ils soient capable de gérer les enfants, elle ne peut pas les laisser seul avec Bailey dans cet état. “Des hématomes sur l’abdomen mais rien de grave.” Ils ont eu de la chance que Bailey ne roule pas trop vite. Tout aurait pu être bien plus grave.

Il ne faut pas bien longtemps pour qu’elle sente les reproches dans le rire de l’homme qu’elle aime. Il suffit qu’elle dise qu’il doit penser à lui pour que son rire disent qu’à cause de Jill il n’est pas capable de faire ça. Elle serre les dents. Ce n’est pas le moment pour une engueulade, ni pour une quelconque explication. Il s’éloigne et se concentre sur les enfants, toujours sur les enfants. Elle doit comprendre. Ils ont eu un accident et elle n’a pas le droit d’être égoïste. Il n’a plus envie d’être dans ses bras alors elle descend du lit sans rien demander de plus. Elle a été là pour lui, il n’a plus besoin d’elle maintenant. Elle l’avait dit qu’il s’habituerait à son absence, il a réussi à le faire rapidement finalement. Elle pince les lèvres et se dirige vers les berceaux. “Ils se sont endormis il y a 30 minutes à peu près.” Puisqu’il faut parler des bébés et que c’est la choses qui importe apparemment le plus. Elle le laisse regarder les bébés avant de s’éloigner pour retourner sur le fauteuil à côté du lit, et, encore une fois, elle se sent inutile, incapable de rentrer dans cette bulle dont elle ne fait pas partie.

« Une grosse entorse d’après les médecins, tu peux plus utiliser ton poignet pour au moins 3 semaines. » Et c’est mon monde qui s’écroule à nouveau, tout un enchaînement d’angoisse à me demander comment je vais bien pouvoir gérer trois semaines de vie sans pouvoir utiliser mon poignet, le droit qui plus est. « Mais comment je vais faire ? » Je… Parce qu’elle ne compte plus vraiment dans l’équation tant son absence est devenu pesante à la maison. Je dois m’occuper de deux bébés constamment, il est impensable que je les laisse pendant trois semaines. J’entends déjà Ginny proposer d’emménager à la maison pour me soulager et l’idée m’énerve. Je suis leur père, je dois pouvoir m’occuper d’eux. « Non mais c’est pas possible. » Je refuse l’idée même. Tant pis. Je porterais une attelle, je porterais mes enfants. Hors de questions que je les prive de câlin et de mes bras pendant trois semaines. « Des hématomes sur l’abdomen, mais rien de grave. » C’est ça la douleur diffuse qui me tire, qui m’empêche même de respirer correctement parfois. Mon corps a dû frapper l’habitacle avec force. C’est rien, je vais m’en remettre facilement. Je suis solide. « Ils vont pas me garder, hein ? Ou alors je peux garder les jumeaux avec moi ? » Il est pas possible que ça se passe autrement. Même pas une seconde, j’envisage que ce soit Jill qui puisse s’occuper d’eux pendant ma convalescence tant elle m’a habitué du contraire. Je ne me rends compte de rien, c’est la panique du moment qui parle pour moi alors qu’elle s’éloigne, encore. Elle ne lutte pas, comme toujours, il faut croire.

Le mal de tête est de plus en plus intense, mais tout ce qui compte, c’est de pouvoir voire mes enfants. Elle se vexe, alors que je pense à eux. Comme si elle ne comprenait pas. L’accident a eu lieu à cause de moi, j’ai besoin de voir qu’ils vont bien. Tracy dort, ses deux petits bras en l’air comme elle aime souvent le faire. Bowie est recroquevillé sur le côté et déjà, j’aperçois le pansement sur sa petite main. « C’est quoi ça ? » Je lui ai fait mal… Me voilà en père indigne qui n’a pas su rentrer à temps, qui n’a pas su s’arrêter sur le bas-côté pour prendre un moment, pour s’endormir avec eux sur une place de parking plutôt que continuer à conduire. « Ils se sont endormis il y a 30 minutes à peu près. » Je hoche bêtement la tête alors que déjà, elle va s’asseoir sur la chaise en plastique. J’ai mal au crâne. « J’ai la tête qui tourne. » Si j’arrêtais de m’agiter dans tous les sens aussi, peut être que je me sentirais un peu mieux, qui sait. « Je me sens pas très bien Jill. » Reviens vers moi, s’il te plaît.

Elle s’est éloignée après avoir rapproché les berceaux du lit de Bailey. Elle le laisse dans sa bulle avec ses enfants. Elle voulait qu’il la crée cette bulle, parce qu’elle ne voulait pas faire partie de tout ça. Elle ne voulait pas avant d’être à deux doigts de les perdre tous les trois. Elle ne répond pas quand il lui demande comment il va faire. Elle se prend quelques claques dans la figure. Il ne pense pas qu’elle peut être là pour lui, il ne réfléchit même pas à cette possibilité alors qu’elle est à son chevet depuis des heures. C’est donc ça qu’on ressent quand on se rend compte qu’on a perdu quelqu’un pour de bon ? Parce que petit à petit elle a l’impression de s’enfoncer dans son siège. Elle a presque l’impression que ça pourrait être n’importe qui dans cette chambre il ne réagirait pas différemment. “Je…. je sais pas….” Elle ne parle pas fort. Il a l’air de penser qu’il va rester seul avec les jumeaux que ce soit à l’hôpital ou dans leur, dans sa maison.

Son regard est posé sur les bébés et elle reste en arrière plan. Elle ne sera sûrement plus jamais au premier plan dans la vie de Bailey et elle sait que c’est entièrement de sa faute. Ils ont tout brisé tous les deux, et elle l’a cherché. La tornade a fait son travail, elle a détruit tout ce qui se trouvait autour d’elle pour qu’elle n’ait plus rien à perdre. C’est à ce moment là qu’elle se rend compte de ce qu’elle a perdu. “Ils lui ont fait une piqûre, à Tracy aussi elle a le même sur l’autre main.” Elle pointe le berceau de la petite fille. Elle lui a dit qu’il ne leur a pas fait de mal et qu’ils allaient bien, tout va très bien pour eux, de moins en moins bien pour elle. Il s’agite dans tous les sens et elle voit bien qu’elle est incapable de faire quoi que ce soit pour le calmer. Il n’écoute pas, fait comme si elle n’existait pas. Il a la tête qui tourne et elle aussi, il lui faut quelques secondes pour sortir de ses pensées et comprendre que Bailey ne va pas bien. Elle se relève et pose sa main sur sa joue. “Il faut que tu te calmes et que tu respires Bai ça va pas du tout là.” C’est un fait, elle le connait et elle voit qu’il est au fond du trou. Sa deuxième main prend place sur l’autre joue et elle s’assoit de nouveau sur le lit pour être plus proche de lui. “Tout le monde prend bien soin d’eux t’as pas besoin de t’inquiéter?” Elle ne lâche pas son regard, il faut qu’il l’écoute, il faut qu’il la croit.

Ce qui m’importe à cet instant précis est l’état de santé des petits. Ils sont ma vie depuis le jour de leurs naissances, je ne vis qu’avec eux et surtout que pour eux. J’en suis venu à oublier de faire quoique ce soit pour ma personne. J’oublie de me nourrir si on ne me le rappelle pas cent fois, je ne dors pas, les douches sont devenues les seuls moments de solitude que je m’accorde. Elle ne peut pas comprendre cela, Jill tant elle a fui la maison à la première difficulté. En rien je ne vois son regard tant je suis hypnotisé par nos enfants qui dorment tous les deux paisiblement dans le petit berceau. Je suis étonné qu’elle est réussi à les endormir alors qu’ils ne sont pas ensemble. J’ai peur de les avoir brisés, de n’avoir, ne serait-ce que créer un bleu sur leur peau immaculé, mais tout semble bien aller. « Je suis désolé mes amours. » Et c’est probablement quelque chose que je risque de répéter pendant des années encore tant je m’en veux d’avoir provoqué cet accident stupide. « Ils lui ont fait une piqûre, à Tracy aussi elle a le même sur l’autre main. » Probablement un calmant tant ils devaient pleurer tous les deux. Personne n’était là pour les rassurer. Je ne pense qu’à cela, je m’agite dans tous les sens, brasse de l’air pour rien, me fatigue bien trop alors que je devrais probablement rester allonger.

Mon mal de tête ne cesse d’empirer, je ne me sens pas bien. Jill semble soudainement si loin alors qu’elle devrait être si près. Je lui reproche tout et n’importe quoi autant que j’aurais aimé rester dans le creux de ses bras encore un peu. « Il faut que tu te calmes et que tu respires Bai ça va pas du tout là. » Non, rien ne va. Ma vision devient presque floue, je me sens près à valser, alors que ses mains se posent sur mes joues. C’est quelque chose que l’on faisait avant ça, lorsque la crise n’était pas loin. Ses mains sur ma peau, mon regard dans le sien. Je sais faire. « Tout le monde prend bien soin d’eux t’as pas besoin de t’inquiéter ? » Ne pas m’inquiéter, on s'inquiète pour eux, mais jamais vraiment pour Bailey. C'est comme ça. Je ferme les yeux tente de calquer ma respiration sur la sienne. Instinctivement, la paume de ma main vient se poser au-dessus de sa poitrine, là où je peux sentir les battements de son cœur. Il faut que je me calme. Son pouce qui caresse ma joue, son souffle qui chauffe ma peau. Jill. Il faut que je me concentre sur Jill. Mon regard qui croise à nouveau le sien, alors que je sens mon corps lâcher prise. « Tu peux m’aider à m’allonger ? » Et lentement, je retrouve ma place au fond du lit, là où je devrais être. Et déjà elle s’éloigne. « Reste là. » Juste ce soir. Le temps d’une trêve, le temps d’aller mieux, je ne sais pas. « Je voulais pas leur faire de mal. » que je délire à nouveau tant l’accident reste une boucle sonore dans un coin de ma tête. « Ils dormaient pas, je voulais les endormir, ça fonctionne toujours le tour en voiture. » Il faut croire que ce soir, cela à également fonctionner sur moi. « Je veux pas qu’on me les enlève. » Je veux pas que l’on me force à me reposer.

Elle lui laisse encore plus d’espace, toujours plus de temps. Il les regarde comme s’ils étaient la seule chose importante dans sa vie et c’est devenu la vérité. Elle le voit qu’il ne cherche pas à compter sur elle ni à l’inclure à sa famille. Elle a perdu sa confiance, elle a tout perdu et elle ne sait même pas si elle pourra les récupérer un jour. Elle ferait peut-être mieux de partir pour toujours, loin, très loin de la personne qui compte le plus à ses yeux. Il s’excuse pour la millième fois, elle s’enfonce un peu plus dans la chaise d’hôpital qui n’a pourtant rien de confortable. Chaque moi la fait se sentir loin d’eux, elle n’a jamais ressenti ce genre de chose, et elle trouve ça horrible. Il n’a d’yeux que pour les bébés et elle n’a d’yeux que pour lui qui semble perdre pied encore et encore. Elle reste dans son coin tant qu’il ne la rappelle pas vers lui. Elle ne cherche pas à s’imposer, pas là alors qu’il va mal. Ses mains passent sur son visage, la main de Bailey se pose sur le torse de Jill et elle est habituée. Il se calme, il se cale sur sa respiration et c’est juste quelque chose de normal entre eux depuis toutes ces années. Elles sont là les habitudes, et elles ne partent pas aussi facilement qu’elle aurait pu le penser.

Elle l’aide à s’allonger et elle s’apprête à s’éloigner pour retourner sur sa chaise. Son coeur rate un battement quand il lui demande de rester, ça sonne comme une supplication et elle se tourne vers lui. Il est d’un côté du lit et elle se glisse de l’autre côté pour le caler de nouveau entre ses bras. “C’est du passé, c’est fini maintenant et tu vas devoir passer à autre chose. Tu peux pas penser à ça tout le temps, ils ont besoin que t’avances et que t’ailles bien.” Il est bien loin d’aller bien, mais s’il arrête de penser à cet accident ça ira déjà un peu mieux. Il se justifie, il explique alors qu’il n’en a pas besoin. Elle sait que c’était une erreur, qu’il n’a jamais chercher à les blesser. Elle hoche la tête, tente de le calmer en continuant de laisser glisser sa main dans ses cheveux. “Personne te les enlèvera, ils restent ici avec nous.” Elle l’a dit le nous qu’il n’entendra peut-être pas. Elle ne part pas de cet hôpital tant qu’il est là, et elle va devoir rester à la maison tant qu’il ne s’est pas vraiment remis de tout ça.

Rien ne va. La douleur se diffuse de partout, sinueuse et sournoise, mais Jill est là. Sa présence devient le meilleur des remèdes tant s'est devenu habituel. Sans rien dire, d'un regard, de ses mains sur mes joues, elle apaise les pires des angoisses. Elle est là, c'est tout ce qui compte encore, allongé dans ce lit d'hôpital.

« C’est du passé, c’est fini maintenant et tu vas devoir passer à autre chose. Tu peux pas penser à ça tout le temps, ils ont besoin que t’avances et que t’ailles bien. » Les jumeaux ont besoin de moi, en bonne santé. Cette phrase que tout le monde semble vouloir me rappeler quand sortir la tête de l'eau me paraît insurmontable depuis des jours. Je survis pour eux, je pense à eux, je ne vis que pour eux. Il faut croire que je me suis perdu en chemin pour atterrir ici. Malgré tout, la douleur s'apaise alors que la main de Jill impose un rythme entre mes cheveux en bataille. « Arrête pas. » que je supplie dans un murmure oubliant complètement que je lui en veux encore pour tout un tas de choses, non justifié à cet instant précis. Elle doit rester pour ne pas me laisser sombrer. « Personne te les enlèvera, ils restent ici avec nous. » « D'accord... Avec nous. » que je réponds la tête déjà ailleurs, les paupières lourdes. En grimaçant comme jamais, je finis par trouver la position qui me plaît le mieux, là, tout contre ma femme.

***

Il dort depuis bien une heure Bailey, lorsqu'un médecin entre dans la chambre sur la pointe des pieds. « Madame Fitzgerald, je souhaiterais vous parler. » En rien, il n'impose le médecin, mais son ton laisse sous-entendre que c'est important. Il lui fait signe de le rejoindre dans le couloir et lorsque Jill arrive, il revêt son masque de médecin qui se soucie de ses patients. « Les tests de votre mari sont revenus négatifs, ce qui nous inquiète, c'est l'état de fatigue dans lequel il semble être. » Ils ont vu, le corps médical, a quel point, le corps de Bailey paraissait à bout de tout. « Je comprends que ce soit compliqué avec deux nouveaux né, mais arrive-t-il à se reposer ? À dormir un peu ? » Ses questions s'enchaînent dans ce couloir bien trop vide et silencieux. « Pour le moment, je déconseille de le laisser sortir tant qu'il n'aura pas récupéré. »

Et a cet instant-là, il se réveille Bailey. Et c'est l'angoisse qui gagne lorsqu'il réalise que Jill n'est plus dans la chambre, qu'elle est partie, encore.