Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
Une tasse de café en main et une robe de chambre légère par-dessus mon pyjama pour me prémunir contre la fraîcheur matinale, je traverse le salon. Avec l’habitude de celle qui cohabite depuis un peu trop longtemps avec le désordre, j’enjambe machinalement un tas de planches de bois destinées à recouvrir le sol une fois les rénovations du rez-de-chaussée terminées. Soucieuse de ne pas renverser le précieux liquide que je transporte, je grimpe lentement les marches étroites qui mènent à l’étage. L’énorme pièce qui me sert d’atelier baigne d’une lumière chaleureuse. Dès la première visite, j’ai été séduite par cet espace qui servait autrefois de chambre des maîtres, et surtout par ses gigantesques fenêtres qui, tournées vers l’est, recueillent à tous les jours le soleil doré du matin. J’ignore la rangée de toiles terminées appuyées contre le mur du fond. En buvant à petites gorgées mon café, je m’arrête plutôt devant mon chevalet pour observer d’un œil critique mais pas insatisfait l’œuvre sur laquelle j’ai travaillé jusqu’aux petites heures du matin. Pas mal… Les émotions que j’ai essayé d’insuffler à l’image ne sont pas encore aussi présentes que je le voudrais, mais il y a tout de même quelque chose de prometteur dans les couleurs étalées sur la toile qui me plaît assez. Ce n’est toutefois pas la raison pour laquelle je suis montée ce matin. Même si l’envie de continuer à peindre me démange, je sais que je n’ai pas vraiment le temps de m’y mettre. Je suis simplement venue m’assurer que tout est en ordre dans l’atelier au cas où ma rencontre avec la jolie Aisling nous mènerait bien jusqu’ici. Cette idée fait naître un picotement d’excitation au bout de mes doigts. Sans vraiment savoir pourquoi, j’ai un bon feeling. Mon intuition me souffle que nous allons bien nous entendre. Je ne visualise pas encore très bien à quoi pourrait ressembler le portrait de la jeune femme, mais je sens déjà l’inspiration qui enfle et je suis convaincue que nous pourrons créer quelque chose de magnifique ensemble. Il me tarde de vérifier si j’ai raison. La mélodie d’une chanson un peu ringarde dont le nom m’échappe au bord des lèvres, je range les tubes de peinture que j’ai utilisés hier, puis je nettoie mes pinceaux et ma palette. La corvée de ménage terminée, je balaie une dernière fois la pièce du regard. Comme l’atelier me semble suffisamment en ordre pour recevoir convenablement une invitée, je redescends, ma tasse de café encore à moitié pleine oubliée sur un coin de ma table de travail.
Une douche rapide plus tard, j’enfile un t-shirt confortable et une salopette en jean tachée de peinture. J’ai dit à Aisling de porter quelque chose qui lui ressemble, autant suivre mon propre conseil ! Je glisse mon portefeuille dans ma poche droite, mes clés dans l’autre, puis je prends le chemin du café où j’ai donné rendez-vous à ma nouvelle modèle potentielle. Il se trouve vraiment tout près de chez moi, qu’à une dizaine de minutes à pied environ. J’y vais d’ailleurs assez souvent. Quand je sens mon inspiration s’essouffler et qu’il me faut une pause, je vais m’installer au Death Before Decaf et j’en profite pour observer la faune variée de la clientèle. Aujourd’hui, le café est presque vide. Je suppose que c’est normal pour un lundi matin, surtout qu’il est encore un peu tôt pour les travailleurs qui passent à l’heure du lunch se chercher de quoi reprendre des forces pour affronter leur après-midi de boulot. J’entre dans l’établissement, soulagé de sentir un peu de fraîcheur à l’intérieur. Le jeune serveur qui s’occupe de la salle à manger me reconnaît et m’offre un signe de tête amical auquel je réponds par un petit signe de la main. D’un regard, je constate qu’aucune silhouette esseulée aux cheveux noirs ne m’attend à l’une des rares tables occupées. Je vais donc réserver deux places dans un coin un peu reculé. Je choisis à dessein deux gros fauteuils moelleux entourant une table basse dans l’espoir qu’Aisling se sentira plus à l’aise si elle est confortablement installée. Je lève les yeux vers Antoni, qui s’est approché pour prendre ma commande. « Qu’est-ce que je te sers aujourd’hui ? » Un peu indécise, je me contente de lui demander un verre d’eau avant de préciser : « J’attends quelqu’un. » Il hoche la tête puis s’éloigne, non sans avoir haussé les sourcils d’un air un peu coquin. Amusée, je me dis qu’il sera déçu de voir que je n’attends pas de rendez-vous galant, contrairement à ce qu’il semble croire. Je n’ai pas à patienter très longtemps. Quelques minutes à peine après mon arrivée, une jeune femme à l’air vaguement paumée entre dans le café. Je la reconnais immédiatement et je m’empresse de me lever, tant par politesse que pour attirer son attention. « Aisling ! » Elle est debout devant moi et je ne peux m’empêcher de lui tendre les bras pour la saluer d’une brève accolade. C’est peut-être un premier contact un peu exubérant et je la sens quelque peu déroutée par cette effusion affective, aussi je la relâche presque aussitôt. « Je suis contente de te rencontrer ! Assieds-toi, je t’en prie. » J’appuie ma proposition d’un sourire chaleureux et d’un geste de la main pour désigner le fauteuil en face du mien. Je m’assois moi aussi, une jambe repliée sous moi. Avec bonheur, je m’enfonce dans les coussins molletonnés. Un court instant, j’observe la jeune femme. Nos échanges par mail m’ont donné l’impression de la connaître déjà un peu. Ses messages laissaient entrevoir une personnalité un brin timide. Maintenant qu’elle est en chair et en os devant moi, je constate que je ne me suis pas trompée. « Je t’attendais pour commander. Heureusement, ici tout est incognito. Comme ça, pas de prénom massacré ! » J’espère que ma petite blague l’amusera au moins un peu. Peu encline à échanger des banalités quand un sujet beaucoup plus passionnant ne demande qu’à être abordé, je ne tarde pas à entrer dans le vif du sujet : « Le projet t’intéresse toujours ? » J’imagine que oui si elle a pris la peine de venir me rencontrer, mais j’aime autant m’en assurer dès le début.
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Porte ce que tu veux tant que ça te ressemble, a dit Laoise. Ok, mais c’est quoi, c’qui me ressemble ? Ses cheveux humides enroulés dans une serviette de toilette, Aisling observe son reflet à travers le miroir recouvert de buée. Du bout des doigts, elle dessine ses yeux, la courbe de ses lèvres, esquisse une moue dépitée, efface le tout d’un revers de main contrarié. Son visage apparaît, vide de maquillage, vide d’idées. La boule au ventre, elle se détourne et retourne s’asseoir sur le rebord de la baignoire. Sid saurait surement… Sauf qu’outre le fait qu’il dort encore comme une chauve-souris, enveloppé dans ses draps comme des ailes nocturnes, elle n’a pas envie de lui demander conseil. Peur de trop en dire, dévoiler ce projet qui lui tient déjà tant à cœur et qu’elle craint de ne pas avoir le courage de mener jusqu’au bout. Ses doigts errent distraitement sur l’écran craquelé de son portable, ouvrent ses e-mails qu’elle relit comme pour tenter d’en extraire un indice, révéler un sens caché. C’est Ivana qui lui a donné envie de me peindre. C’est Aisling qu’elle s’attend à rencontrer. Et les deux entités continuent de flotter autour d’elle sans parvenir à se réconcilier. Sans avoir pris la moindre décision, Aisling se redresse mécaniquement et commence à se préparer comme si elle se rendait à un photoshoot. Crème veloutée sur le corps, pas de soutien-gorge pour éviter la morsure de l’élastique sur sa peau tendre, son legging galaxie préféré, un pull fin et ample qui tombe n’importe comment, découvre une épaule à force d’avoir été trop porté, étiré, délavé. Rendue au maquillage, elle opte pour quelque chose de simple : un trait d’eyeliner et un smokey gris, le genre qu’elle porte si souvent qu’elle pourrait le réaliser les yeux fermés. Sa préparation terminée, elle croise à nouveau son regard voilé par les doutes et l’angoisse. Elle doit se faire violence pour ne pas y sombrer, tout effacer, annuler son rendez-vous et se rouler dans une couverture jusqu’à ce qu’elle n’ait plus d’autre choix que d’en sortir pour aller bosser.
Avec un soupir, elle s’arrache au miroir. Son regard erre jusqu’à l’écran de son portable, qui indique déjà presque neuf heures. Trop tôt. Et pourtant, elle a ouvert les yeux depuis longtemps déjà, tirée de son sommeil par son anxiété matinale. Le cœur en vrac et le corps tremblant, elle s’est glissée hors du lit pour ne pas réveiller Sid, espérant qu’une douche brûlante parviendrait à calmer ses nerfs aussi bien que lui le ferait. D’habitude, ses angoisses n’osent pas la troubler tant qu’elle dort blottie dans la chaleur de son corps, mais la rencontre avec sa sœur hier et Laoise aujourd’hui mettent sa sensibilité à rude épreuve. Un frémissement désagréable descend le long de son échine et la convainc de fuir sa solitude. Rongée d’inquiétudes, elle enroule ses bras autour de sa taille, fonce à petits pas feutrés vers la chambre qu’elle vient de quitter et se faufile sous les draps, avide de retrouver la présence rassurante de son copain, trop heureuse de pouvoir s’offrir une fois encore comme réveil matin à la place de la sonnerie atroce de son téléphone qu’elle a résolument éteinte. Ses lèvres s’égarent sur la peau de son cou, son corps se coule contre le sien, ignorant les grognements de protestation qu’il laisse échapper en luttant comme à son habitude contre les doux rayons du jour qui cherchent à s’infiltrer derrière ses paupières résolument scellées. Aisling ne se laisse pas intimider, redouble d’efforts comme un chaton réclamant sa pitance, seulement apaisée lorsque ses grandes mains remontent le long de ses cuisses, glissent sous son pull, se referment autour de sa taille, la retiennent plus près de lui encore. Alors elle s’abandonne à son étreinte, rigole tendrement contre la peau nue de son épaule, le couvre de baisers, murmure à son oreille des mots tendres pour l’accompagner tout au long de la journée, capture ses lèvres pleines, savoure sa légèreté retrouvée. Quand elle le sent assez réveillé, l’irlandaise s’écarte juste assez pour le regarder et se mordille la lèvre inférieure, tente d’étouffer le petit rire tendre qui la brûle en découvrant l’air affectueusement grognon qu’affiche son beau visage encore marqué par le pli de ses draps. « Toi, t’as besoin d’une douche vivifiante... Vas-y, j’vais faire ton café. » Elle souffle en glissant ses doigts dans sa chevelure en bataille pour mieux l’embrasser avant de filer comme une anguille.
Ses pieds sautillent dans la cuisine, dansent sur un air qu’elle chantonne à voix basse en virevoltant du plan de travail à l’évier pour faire chauffer leurs boissons chaudes. Un thé pour elle, un café pour lui. Elle dépose leurs tasses fumantes sur la petite table ronde, hésite à faire du porridge avec un reste d’avoine trouvé au fond d’un placard, opte plutôt pour lui faire griller un toast et sort ses tartinades préférées. Elle se fait une joie de l’accueillir avec un petit déjeuner quand il revient, plus encore de pouvoir nouer ses bras autour de son cou alors qu’il s’assoit, picorer un baiser sur sa joue en s’installant à ses côtés, discuter tranquillement avant d’entamer la journée et lui piquer fourbement une bouchée une fois son pain tartiné. Puiser dans sa voix, enfin, le courage de se rendre à cet entretien. Un sourire aux lèvres alors qu’elle le regarde disparaître dans sa tasse de café, Aisling se prend à penser que sa vie serait beaucoup plus agréable si toutes ses journées commençaient exactement de cette façon. L’idée trotte dans sa tête sans qu’elle ose davantage la creuser, et l’irlandaise finit par la débarrasser en même temps que la table. De retour dans la salle de bain, elle applique son rouge à lèvres tandis qu’il glisse ses doigts dans ses mèches rebelles pour tenter de les dompter. Un rire tendre dans la poitrine, Aisling se hisse sur la pointe des pieds pour prendre le relais et savourer le plaisir de dégager son front une fois encore avant que la semaine ne les avale chacun de leur côté. Il rassemble ses croquis et elle ses affaires, et trop tôt, ils se retrouvent sur le pas de la porte. « T’as tout c’qu’il te faut ? » « J’crois bien. » « T’es sûre que tu veux pas que j’te dépose ? » « Certaine. » Un sourire tendre aux lèvres, elle se pend à son cou et dépose un baiser sur ses lèvres. « Promis c’est juste à côté. » Leurs doigts s’entrelacent tandis qu’ils remontent la rue ensemble. Elle s’oublie quelques minutes encore dans ses bras, inspire son odeur, son affection, sa force et sa douceur, jusqu’à ce que l’attente devienne plus inconfortable encore que l’aurevoir qu’ils sentent tous les deux se profiler. Alors elle l’encourage à se glisser dans sa voiture, puis se penche à la fenêtre pour lui voler un dernier baiser avant de le laisser filer.
Un sourire optimiste aux lèvres, Aisling tapote l’adresse du café dans son téléphone et se laisse guider par son application à travers les bus et ruelles de la ville. Une vingtaine de minutes plus tard, elle remonte l’allée ensoleillée qui mène à son point de rendez-vous. Sa nervosité, qui l’avait laissée tranquille jusque-là, remonte en flèche à l’instant où l’écriteau Death Before Decaf lui indique qu’elle est au bon endroit. Les mains moites, elle lutte contre l’envie de dépasser le café et continuer son chemin comme si de rien n’était. Au lieu de ça, elle enfonce ses ongles dans la chair tendre de ses paumes, prend une profonde inspiration pour tenter de délier ses poumons compressés et pénètre dans l’établissement. C’est joli à l’intérieur, le genre d’endroit à la fois naturel et soigné que les Instagrameurs fans de café s’empresseraient de poster sur leur feed. L’idée d’en capturer l’ambiance pour l’envoyer à Sid la traverse, mais elle est bien trop nerveuse pour se laisser aller à ses clichés, bien trop occupée à dévisager discrètement les quelques clients déjà installés dans l’espoir de repérer les longs cheveux sombres de Laoise. Au final, elle n’a pas à chercher longtemps car l’artiste-peintre l’interpelle par son prénom, si bien prononcé dans leur accent d’origine qu’elle en sursaute à moitié. Une main plaquée contre son cœur agité, elle se tourne vers la voix et un sourire se dessine sur ses lèvres cerise tandis que l’irlandaise se relève pour l’accueillir et lui tend les bras. Vaguement perturbée par sa nature tactile, Aisling se laisse toutefois attirer contre son épaule et répond maladroitement à l’étreinte en la saluant à son tour. « Je suis contente de te rencontrer ! » L’accent roule sur ses lèvres fines ; enveloppant, familier et distant à la fois. Des sonorités du Sud, de Dublin peut-être. « Moi aussi, pareil ! » Celui d’Aisling se délie à son contact, claque sur des notes industrielles. Plus froides, certains diraient, vestiges des quartiers modestes de Belfast où elle a évolué. Elle s’écarte avec un sourire timide, les bras ballants, pas certaine de savoir ce qu’il convient de faire une fois ces premières salutations bouclées. Heureusement, Laoise vole à son secours et prend en charge la suite de leur interaction. « Assieds-toi, je t’en prie. » Avec un hochement de tête, elle s’exécute aussitôt, se laisse avaler par un fauteuil à la fois confortable et rassurant, ses longues jambes repliées sur le côté. Elle voudrait lui dire qu’elle n’a pas arrêté de repenser à leurs échanges sur l’Irlande et ce projet, qu’elle s’est perdue des heures durant dans ses portraits, jusqu’à ce qu’ils fassent naître dans son esprit une idée qu’elle ne parvient pas à oublier. Mais les mots se bousculent dans sa gorge, se mélangent n’importe comment, et la peur de sortir quelque chose d’inconvenant ou d’idiot lui scelle les lèvres. « C’est… c’est joli ici. » Elle lance plutôt, laisse son regard errer sur le bois et les plantes qui les entourent avant de ramener discrètement son attention sur les traits résolument irlandais de l’artiste-peintre. Elle se demande si cette impression familière la rassure ou l’inquiète. Mais en dépit des bagages émotionnels liés à leur pays d’origine, elle trouve un réconfort inattendu dans le sourire chaleureux de Laoise et les lignes délicates qu’il dessine autour de ses yeux d’un vert intense comme de ses lèvres à la fois décidées et amicales.
« Je t’attendais pour commander. Heureusement, ici tout est incognito. Comme ça, pas de prénom massacré ! » Apaisée par cette pointe d’humour, elle se détend assez pour répliquer : « Dieu soit loué ! » Une main placée devant ses lèvres pour étouffer le petit rire qui cherche à s’en échapper, Aisling lui lance un regard complice en biais. Surfant sur la communication rétablie entre elles, Laoise ne laisse pas le silence s’installer : « Le projet t’intéresse toujours ? » Aisling hoche timidement la tête, soulagée de voir la discussion s’orienter vers la raison de leur rencontre. Si l’art de la conversation a toujours été un mystère pour elle, ses années de modelling l’ont rodée à cet exercice presque rassurant tant il lui est devenu familier par la force des choses. « Oh oui ! Crois-moi, j’aurais pas osé venir sinon… » Les mains glissées entre ses cuisses, elle remonte nerveusement ses épaules au niveau de ses oreilles, s’interrompt un peu brusquement quand le serveur les rejoint pour déposer les cartes devant elles. Aisling le remercie d’un sourire furtif et s’empare du livret cartonné, se demande si à défaut d’un décaf, ils n’auraient pas une tisane à lui proposer, pour éviter d’encourager encore plus sa nervosité. « J’ai pas arrêté d’repenser à c’que tu m’as dit. » Elle avoue sans prévenir, à moitié réfugiée derrière son menu. « J’savais pas trop quoi mettre pour la séance alors j’ai amené plusieurs tenues. J’suis modèle, j’adore la mode, le style, tout ça… J’peux me sentir moi en ayant l’air grunge ou gothique ou même en pyjama. » La distance la dérange finalement. Avec des gestes hésitants, elle referme la carte et la dépose sur ses genoux, cherche le regard de Laoise par-dessous sa frange tandis que ses doigts triturent nerveusement les rebords cartonnés. « Au fond, le seul moment où j’arrive pas à être moi, c’est quand j’peux plus m’cacher derrière tout ça. Quand j’suis nue… j’sais pas être autre chose qu’Ivana. » Et comme ça, sans qu’elle l’ait prévu, sans même avoir exploré jusqu’au bout cette idée dans sa tête, voilà qu’elle l’imprime dans ses paroles. Les mains enfoncées dans les manches de son pull trop large, elle referme ses bras autour de son corps pour étouffer un frisson désagréable. Elle se sent étrangement exposée, comme si à peine révélée, sa pensée lui échappe, met en lumière ses complexes et ses blocages qui flottent désormais inconfortablement entre elles. Pâle comme un linge, Aisling se mord l’intérieur des joues pour se ramener au présent, incline la tête avec un sourire gêné. « Et euh… j’suppose que j’aimerais changer ça. »
Pando + whitefalls
you feel like heaven
Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
J’ai à peine terminé de poser ma question que le regard d’Aisling s’est déjà illuminé d’une étincelle d’intérêt. Un sourire gêné vient aussi se peindre sur ses lèvres rosées. « Oh oui ! Crois-moi, j’aurais pas osé venir sinon… » Son enthousiasme ne chasse pas complètement sa timidité pour autant. La façon dont elle se replie sur elle-même comme pour prendre le moins de place possible dans l’énorme fauteuil ou éviter à tout prix d’attirer l’attention fait naître une émotion étrange chez moi, qui n’est pas sans me rappeler les dernières bribes d’instinct maternel que je me permets encore de ressentir de temps en temps. J’aurais presque envie de la prendre dans mes bras à nouveau. Évidemment, je n’en fais rien. Pour m’occuper les mains, je me penche plutôt vers les menus plastifiés qu’Antoni vient de poser devant nous. La carte levée à la hauteur de mon visage, je consulte la section des boissons chaudes même si je n’aurais pas vraiment besoin de le faire, dans l’espoir qu’Aisling se sentira un peu plus à l’aise si mon regard n’est pas constamment braqué sur elle. Je sais déjà que je me laisserai tenter par un cappuccino, comme d’habitude. Non seulement ils sont préparés dans les règle de l’art, j’ai aussi toujours hâte de découvrir quelle œuvre d’art la barista aura choisi de dessiner dans la mousse de lait. « J’ai pas arrêté d’repenser à c’que tu m’as dit. » J’abandonne aussitôt ma lecture pour me concentrer à nouveau sur Aisling, curieuse de découvrir quelle partie de notre conversation peut bien la tracasser à ce point. Malgré la brièveté de notre échange en ligne, nous avons déjà abordé quelques sujets douloureux qui pourraient bien l’avoir fait réfléchir. Étonnamment, ce ne sont ni nos réflexions sur la condition féminine ni l’évocation de notre relation amour-haine avec cette Irlande suffocante qui nous a vues grandir qui la perturbent, mais ce conseil que je lui avais donné dans l’espoir de la mettre en confiance. « J’savais pas trop quoi mettre pour la séance alors j’ai amené plusieurs tenues. J’suis modèle, j’adore la mode, le style, tout ça… J’peux me sentir moi-même en ayant l’air grunge ou gothique ou même en pyjama. » Je range soigneusement cette parcelle d’information dans le recoin de mon esprit où j’ai commencé à dresser un portrait mental de ma nouvelle muse. Cependant, elle n’a pas fini d’exprimer sa pensée. Je le vois à ses épaules tendues, à son regard farouche qui cherche le mien, à ses doigts qui pianotent maladroitement sur le menu, derrière lequel elle ne se cache plus. Patiente, j’attends qu’elle trouve les mots qu’il lui faut pour exprimer sa vérité. « Au fond, le seul moment où j’arrive pas à être moi, c’est quand j’peux plus m’cacher derrière tout ça. Quand j’suis nue… j’sais pas être autre chose qu’Ivana. Et euh… j’suppose que j’aimerais changer ça. » Malgré son malaise et même si la confidence lui a visiblement coûté – c’est écrit partout sur son visage blême et dans sa posture presque défensive – j’ai l’impression qu’elle est soulagée d’avoir réussi à parler. Je hoche la tête, songeuse. « Si je comprends bien, tu voudrais poser nue pour ton portrait, c’est ça ? » J’imagine qu’elle a parcouru mon site Web et qu’elle a sûrement constaté que je peins souvent ce genre de portrait intime. D’ailleurs, la plupart des toiles que j’ai réalisées jusqu’à maintenant pour ma série sur la féminité incluent justement des éléments de nudité, choisis en fonction du niveau de confort de mes modèles. À force d’être confrontée à des corps différents, de chercher la beauté dans leurs imperfections, de me frotter au courage de ces femmes inspirantes qui acceptent de se dévoiler, j’espère arriver à réaliser l’œuvre finale de ma série, un autoportrait nu que j’ai encore des sueurs froides à imaginer. Jamais un projet ne m’aura été aussi personnel. Parfois, je doute de réussir à le terminer. Encore moins de l’exposer au regard de mon public.
Mon cœur se débat, j’ai les paumes moites. Perdue dans mes pensées, je n’ai rien entendu de la réponse de mon interlocutrice. Pour reprendre contenance, je repousse machinalement une mèche folle échappée de mon chignon derrière mon oreille. Lentement, mon angoisse redescend. Pour l’instant, ce n’est pas moi qui dois jouer les modèles, mais plutôt la jolie Aisling. « C’est tout à fait possible, si c’est ce dont tu as envie. L’important pour moi, c’est que ça soit toi qui choisisses la façon dont tu raconteras ton histoire. » Notre conversation est interrompue par Antoni qui, les mains pleines de vaisselle, s’est arrêté au passage à notre table pour prendre notre commande. Je lui demande d’abord mon cappuccino, puis ajoute sur un coup de tête deux scones orange-canneberges, un pour moi et un pour Aisling. « Tu verras, ils sont délicieux, » que je lui confie avec un petit sourire complice tandis que notre serveur s’éloigne. Les mains croisées sur mes cuisses, je cherche le meilleur moyen de poser la question qui me brûle les lèvres depuis qu’elle a mentionné la distinction entre sa vraie personnalité et son alter ego. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir une déchirure qui divise son être en deux moitiés bien distinctes. J’ai envie de creuser un peu, de passer derrière ses doutes et son masque pour mieux la comprendre. « Tu dis que tu ne sais pas être toi-même quand tu es nue, que tu deviens forcément Ivana. Parle-moi un peu d’elle, de toi. Pourquoi est-ce qu’elle prend toute la place ? » Je ne peux pas prétendre la connaître alors que nous nous rencontrons pour la première fois. Cependant, je suis certaine que la clé de son histoire se trouve dans ce conflit entre Aisling et Ivana, et cette relation complexe qu’elle entretient avec cette moitié d’elle-même qu’elle semble vouloir renier.
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
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Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Les yeux rivés sur ses genoux pour ne pas avoir à affronter sa réaction, Aisling triture nerveusement les manches trop longues de son pull. « Si je comprends bien, tu voudrais poser nue pour ton portrait, c’est ça ? » En dépit de la voix douce et compréhensive qui les prononce, ces mots l’effraient et la poussent à renouer avec ses angoisses et son incertitude. J’aurais jamais dû lui en parler. Car ainsi présentée de façon si directe, son idée lui semble non seulement ridicule mais aussi vulgaire qu’inappropriée. Face à la honte visqueuse qui s’enroule autour de sa gorge, son premier réflexe est de secouer vivement la tête pour tout nier. Les photos, les danses… j’ai jamais pensé qu’c’était mal. La voix de Sid perce à travers le voile d’angoisses qui l’étrangle, lui rappelle timidement ce qu’elle espère accomplir à travers ce portrait. Combattant son instinct de fuite, l’irlandaise lance un regard farouche dans sa direction et se force à hausser les épaules comme une adolescente boudeuse, l’air de dire : si ça t’chante, c’est c’que tu fais avec les autres après tout, pas vrai ? Sauf que ce serait complètement contreproductif. Car contrairement aux photoshoots qu’elle s’inflige pour payer son loyer et rembourser sa dette (qui semble étrangement diminuer ces dernières semaines), Aisling est ici parce qu’elle l’a décidé. Rien ne l’obligeait à rencontrer Laoise ou à répondre à son e-mail. Si elle l’a fait, c’est bien parce que son art et son message l’ont inspirée, lui ont donné envie de croire qu’elle pourrait, comme l’ont fait les autres femmes de ses portraits, apprivoiser cette féminité qui l’effraie. Peut-être même s’en servir pour dépasser les blocages qui surviennent parfois entre elle et Sid quand ils essaient de se rapprocher. Prenant une profonde inspiration, Aisling se redresse légèrement et se risque à accrocher le regard de l’artiste-peintre. Il y a quelque chose de profondément rassurant dans son visage si sage, fort sans être empreint de dureté, vulnérable sans donner l’impression de s’effondrer. « Ouai… j’crois bien. » Elle finit par souffler avec un hochement de tête. Etonnée, elle sent une vague de soulagement chasser peu à peu la marée d’inquiétudes qui la rongeait. En face, Laoise semble considérer son idée. Amusée, Aisling croit reconnaître dans ses yeux l’air distant et rêveur qui traverse toujours ceux de Sid quand elle l’inonde d’idées de tatouage et qu’il s’efforce de les rassembler en un tout cohérent qu’il pourrait dessiner. Intriguée, elle se demande si Laoise adoptera la même façon de procéder.
« C’est tout à fait possible, si c’est ce dont tu as envie. » Elle finit par lui assurer. « L’important pour moi, c’est que ça soit toi qui choisisses la façon dont tu raconteras ton histoire. » Ce n’est pas la première fois que Laoise emploie ce terme, et comme lorsqu’elle l’a lu dans son e-mail, Aisling ne peut s’empêcher de froncer délicatement les sourcils comme pour protester. Tu sais, j’crois pas avoir une histoire à raconter. En tout cas pas une digne d’intérêt. Les lèvres pincées pour contenir les doutes qui ne demandent qu’à se déverser, elle s’oblige à se rappeler qu’au fond, ce n’est pas à elle de le décider. Depuis aussi loin que remontent ses souvenirs, elle s’est toujours considérée comme une idiote sans le moindre intérêt. Elle n’a jamais trop compris comment elle était parvenue à captiver celui de Sid, mais si cette expérience délicieuse lui a bien appris une chose, c’est qu’elle est plutôt mal placée pour juger ce que les autres pourront ou non lui trouver. Pour autant, elle ignore comment répondre à la question de Laoise. Ce portrait, elle n’arrive pas à se le représenter. Chaque fois qu’elle essaie, il finit par ressembler aux photos qui inondent la galerie d’Ivana. Mais si elle a du mal à visualiser ce qu’elle aimerait exprimer, l’irlandaise sait très clairement qu’elle cherche à éviter. J’veux pas de chaînes, pas de masque. Juste moi... et j’ai pas la moindre idée de comment m’libérer d’tout ça. Le retour inattendu du serveur la fait ravaler net l’explication brumeuse qu’elle s’apprêtait à lui confier. Rassurée d’entendre Laoise commander en premier, Aisling profite de ce bref instant de répit pour replonger dans le menu et tenter de faire un choix en urgence. Lorsque vient son tour de parler, elle évite soigneusement le regard du jeune homme, terrifiée à l’idée qu’il puisse lire dans le sien de quoi elles parlaient, et percer à jour les facettes peu reluisantes de sa double identité. « Euh… j’vais prendre le thé fumé à la rose… merci. » Elle bafouille en lui remettant maladroitement le menu, soulagée lorsque Laoise récupère son attention pour commander deux pâtisseries au parfum alléchant. Mais j’suis pas censée manger avant un shoot ! Elle n’a pas le temps de paniquer davantage que sa compagne se tourne vers elle pour lui souffler : « Tu verras, ils sont délicieux. » Son air de confidence et le sourire qui vient plisser ses yeux verts lui donne envie de piétiner la routine stricte qu’elle s’impose depuis pourtant des années. On s’en fout, c’est pas un photoshoot, puis si j’ai pas envie qu’on voit mon ventre j’aurai qu’à le cacher. Enhardie par cette perspective, Aisling se mordille les lèvres en les sentant esquisser un sourire à la fois ravi et malicieux. « J’ai hâte d’y goûter ! » La réponse fuse sans qu’elle ait besoin d’y penser, tandis qu’à l’intérieur, une évidence s’imprime doucement : c’est une collaboration, j’ai le contrôle, j’suis face à une artiste inspirée et pas un photographe qui veut juste me manipuler comme une poupée.
Car depuis les premiers mots qu’elles ont échangé, Laoise lui a semblé profondément intéressée à l’idée de la découvrir et créer une œuvre dans laquelle elle se reconnaîtrait. C’est cet intérêt encore qu’elle décèle dans ses prochaines paroles. Cet intérêt auquel elle se raccroche pour combattre l’appréhension que sa question lui évoque : « Tu dis que tu ne sais pas être toi-même quand tu es nue, que tu deviens forcément Ivana. Parle-moi un peu d’elle, de toi. Pourquoi est-ce qu’elle prend toute la place ? » Les sourcils légèrement froncés, Aisling essaie de dissimuler à quel point cette déduction la perturbe. « Je… je sais pas. » Elle murmure d’une voix incertaine. « J’me suis jamais demandé ça. » Est-ce vraiment le cas ? Ivana vient-elle annihiler l’essence d’Aisling chaque fois qu’elle ôte la couche protectrice de ses vêtements ? Pas toujours, non. Pas quand elle est seule. Pas quand elle se blottit dans les bras Sid. Pas pour l’instant du moins. Car les rares fois où elle s’est dévoilée entre ses mains, ils étaient si proches que les caresses exquises qu’il lui prodiguait lui ôtaient tout bonnement la faculté de penser à l’image qu’elle devrait renvoyer. Ignorant quoi faire de cette information, elle essaie plutôt de répondre à sa première question : « C’était pas mon idée, Ivana. C’est juste une façon d’gagner un peu d’argent parce que j’sais rien faire d’autre. » Elle souffle avec un haussement d’épaule, le regard distant, fixé sur la serviette qu’elle émiette du bout des doigts. « Elle est… » Ses sourcils se froncent, et quand elle relève les yeux vers Laoise, un rictus incertain plisse délicatement le coin de ses lèvres. « J’sais pas trop… c’que les hommes veulent qu’elle soit ? Ça dépend du set, mais j’dirais… sexy, flirty, espiègle, fugace. » La séductrice insaisissable ou l’innocence incarnée, la groupie cracheuse de feu ou la petite amie timide et coquine, la vamp’ élusive ou la femme-enfant. Des rôles évocateurs qu’elle enfile au grès des tenues qu’on lui présente, des essences qu’elle exprime sans trop savoir comment, des séances dont elle se souvient à peine avant d’être confrontée aux photos qu’elle reçoit, étonnée de reconnaître ses traits et rien d’autre quand elle plonge dans les yeux insondables d’Ivana. « J’sais à peu près c’qui fait fantasmer les gars, et j’le fais… même quand j’comprends pas trop pourquoi. » Des années passées dans la peau d’Ivana lui ont appris les gestes suggestifs qui lui amèneront le plus d’abonnés et quels fantasmes leur faire miroiter pour récolter leurs pourboires. Alors elle s’exécute, offre son corps en pâture à la caméra tandis que son esprit reste aux abonnés absents. Même quand elle sait qu’après, rien ne pourra ôter l’impression de saleté qui lui colle à la peau, ni la friction du savon, ni la brûlure de l’eau. Car elle ne sait pas comment éveiller leur amour ou leur affection, un désir de partager et non pas de posséder. Quand elle y parvient avec Sid, c’est toujours un coup de chance, un hasard qu’elle ne maitrise pas, et elle vit dans la crainte constante de faire un faux-pas, d’attiser sans le vouloir des instincts bien plus sombres, comme ceux des hommes avec lesquels elle joue à longueur de journée. « C’est ça, Ivana. C’est la fille qu’ils veulent voir… mais c’est pas moi. » Elle déglutit pour chasser ces pensées qui la terrifient, adresse à Laoise un petit sourire d’excuse pour cacher la honte qui cherche à l’étouffer. « Parce que tu vois, moi au fond j’suis plutôt du genre à aimer les couvertures douces, les ballades rock et les licornes. » Elle roule des yeux, laisse échapper un petit rire gêné qu’elle essaie de dissimuler derrière ses manches repliées. « Le pire c’est qu’ça m’pesait pas tant qu’ça avant j’crois… avant qu’j’arrête les drogues et que j’me pose des questions…. Avant qu’j’ai un copain surtout. » Les lèvres pincées, Aisling hésite. Elle n’avait pas prévu de parler de Sid. Pas dans ce contexte-là du moins. Tu vas m’prendre pour une traînée de faire ça alors qu’j’ai un mec, pas vrai ? La gorge étrangement nouée, elle relève un regard inquiet vers Laoise. Mais il n’y a pas de jugement dans ses yeux pénétrants, juste un air concerné, tinté d’un étrange éclat de compréhension. Encouragée, Aisling y puise le courage de continuer : « Un copain pour qui j’ose pas trop être sexy à cause de tout ça. » Un frisson traverse son échine et elle replie une jambe contre sa poitrine comme pour se protéger des doutes qui cherchent à la rattraper. Les bras enroulés autour de ses chevilles et la tête posée sur son genou, elle relève les yeux vers Laoise et esquisse une petite moue embêtée. « J’sais pas pourquoi j’te raconte tout ça. J’suis désolée… j’comprendrais si tu trouves ça trop tordu et qu’t’as plus trop envie d’me peindre pour ton projet. »
Pando + whitefalls
you feel like heaven
Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
À en juger par son air perturbé, Aisling ignore comment répondre à ma question. « Je… je sais pas, » souffle-t-elle enfin après un court silence stupéfait. « J’me suis jamais demandé ça. » Étrangement, ça ne m’étonne pas vraiment. Peut-être parce que c’est le genre de question qui mène à une introspection inconfortable et qu’on a tendance à éviter de se poser. Elle triture sa serviette en papier déjà fripée, semble cherche ses mots. Je la laisse venir à moi sans la brusquer, consciente d’avoir plongé très vite dans un sujet délicat et sensible. « C’était pas mon idée, Ivana. C’est juste une façon d’gagner un peu d’argent parce que j’sais rien faire d’autre. » La résignation qui vibre dans sa voix m’inquiète assez pour que je me permette de froncer les sourcils de désapprobation. J’avais déjà compris qu’elle n’aimait pas particulièrement son métier, mais je me demande ce qui a bien pu lui faire croire qu’elle est incapable de faire autre chose que se dénuder alors qu’elle n’en a pas envie. « Elle est… J’sais pas trop… c’que les hommes veulent qu’elle soit ? Ça dépend du set, mais j’dirais… sexy, flirty, espiègle, fugace. » Pour ne pas la déranger dans ses confidences, je me retiens de pousser le soupir de compassion que je sens monter dans ma gorge. Même si le contexte est différent, je sais à quel point il est désagréable d’avoir à se plier aux contraintes des hommes au lieu de simplement pouvoir exister sans concession. « J’sais à peu près c’qui fait fantasmer les gars, et j’le fais… même quand j’comprends pas trop pourquoi. » Il n’y a aucun plaisir, aucune fierté dans sa voix. Qu’un malaise mêlé d’une honte résignée qui lui tord les lèvres d’une moue amère et me donne envie d’engueuler tous ceux qui l’ont poussée dans cette voie. « C’est ça, Ivana. C’est la fille qu’ils veulent voir… mais c’est pas moi. » Le cœur de son problème m’apparaît enfin comme une évidence : Ivana, ce n’est pas juste un masque derrière lequel elle se cache; c’est un personnage, une deuxième identité factice qu’elle a porté si souvent comme une armure pour se protéger qu’elle ne sait plus s’en débarrasser, même quand elle n’en a plus besoin. « Parce que tu vois, moi au fond j’suis plutôt du genre à aimer les couvertures douces, les ballades rock et les licornes. » Elle appuie sa confidence d’un petit rire cristallin si sincère qu’il fait naître un sourire amusé sur mes lèvres. « Le pire c’est qu’ça m’pesait pas tant qu’ça avant j’crois… avant qu’j’arrête les drogues et que j’me pose des questions…. Avant qu’j’ai un copain surtout. » Elle relève les yeux vers moi, me soupèse d’un regard que j’ai du mal à interpréter. Comme si elle essayait de décoder ce que je pense d’elle, de jauger ma tolérance aux péchés qu’elle me raconte depuis tout à l’heure. Et c’est vrai qu’entre les photos érotiques, les drogues et son copain qu’elle n’a visiblement pas épousé, il y aurait de quoi faire paniquer n’importe quelle bonne catholique. Heureusement pour elle, il y a longtemps que j’ai abandonné l’idée d’en être une. Quant aux jugements, j’en ai reçu bien assez souvent pour savoir que je n’ai pas envie d’en distribuer autour de moi. Quoi qu’elle ait pu chercher dans mon regard, elle semble l’avoir trouvé, car elle ajoute, du bout des lèvres : « Un copain pour qui j’ose pas trop être sexy à cause de tout ça. »
Comme si ses paroles avaient eu raison de toute son énergie, elle se replie à nouveau sur elle-même, derrière sa jambe fine qui se dresse entre nous comme un bouclier. « J’sais pas pourquoi j’te raconte tout ça. J’suis désolée… j’comprendrais si tu trouves ça trop tordu et qu’t’as plus trop envie d’me peindre pour ton projet. » La tête légèrement penchée sur le côté, je l’observe un instant. Elle ressemble à une gamine perdue et c’est peut-être ce qui me pousse à me redresse dans mon siège pour me pencher légèrement vers elle, l’avant-bras appuyé sur ma jambe toujours repliée. « Au contraire, Aisling. J’ai encore plus envie de te peindre. » Je ne la connais peut-être pas encore très bien, mais les expressions qui fleurissent sur son visage sont si vives que j’ai l’impression de la comprendre même quand elle ne parle pas. C’est de l’incrédulité qui se dessine sur ses traits, mélangée à une autre expression un peu plus difficile à décoder, mais qui ressemble dangereusement à de la méfiance. Pour la rassurer, je lui offre un sourire que j’espère bienveillant. « Je ne veux pas peindre des femmes parfaites ou des modèles de vertu. La Sainte Vierge, très peu pour moi. Elle est surfaite de toute façon. » Une moue complice aux lèvres, je constate qu’Aisling ne semble pas trop scandalisée par mon demi blasphème. Pas assez, du moins, pour vouloir prendre ses jambes à son cou. « Ce dont j’ai envie, c’est de raconter des parcelles de vie, de mettre en lumière des femmes imparfaites et vraies. Des femmes comme toi. » Quoi de mieux que de peindre des femmes impies pour un projet qui n’a rien de vertueux ? Car mes intentions n’ont rien de noble : au fond, mes efforts artistiques ont toujours été profondément égoïstes. Je peins pour moi d’abord et les autres ensuite. Si j’immortalise des êtres humains sur mes toiles, c’est simplement que ça me permet d’extérioriser mes propres émotions. Et que ce qui me fait vibrer, c’est de m’intéresser aux gens qui m’entourent. Tant mieux si mon art rejoint mon public, mais ça n’a jamais été mon but premier.
Animée par l’instinct, je tends la main par-delà le vide qui nous sépare pour recouvrir celle de la jeune femme. « Tu sais que tu es loin d’être la seule à te sentir comme ça ? » Amusée par l’air dubitatif d’Aisling, je libère sa main et reviens m’appuyer confortablement contre le dossier moelleux de mon fauteuil. « Je pense que tu serais surprise de savoir combien de femmes peuvent s’identifier à ce que tu viens de me raconter. Combien essaient encore de réconcilier leur amour des licornes et l’idée qu’elles ont le droit d’être sexy si elles le veulent. » À défaut de pouvoir ignorer les souvenirs qui remontent, je les camoufle derrière un sourcil arqué comme pour la mettre au défi de me contredire. Ma mère a tout fait pour m’inculquer les bonnes valeurs de la féminité. Habille-toi convenablement si tu veux qu’on te respecte. Ne laisse pas un homme t’approcher, encore moins te toucher, sauf si c’est ton mari. Va te changer, ta jupe est trop courte. Maquille-toi différemment, tu ressembles à une traînée. Mon père, celles du respect de l’homme et de sa réputation. Ne me parle pas comme ça, tu dois m’obéir. Comment as-tu pu semer le déshonneur sur notre famille ? J’ai honte de toi. Personne ne doit jamais connaître ton péché. Comme tant d’autres filles avant moi, j’ai intériorisé toutes ces idées jusqu’à les faire miennes, même si je sentais tout au fond de moi-même que c’était mal. Même si j’avais désespérément besoin de liberté et de légèreté. « Ce que j’essaie de dire, c’est que je te comprends mieux que tu ne le penses. Je me suis posé les mêmes questions. Et bien plus tard que toi, d’ailleurs… » Parce qu’avec Aodhan, c’était facile, un amour de jeunesse passionnel qui ne laissait place à rien d’autre qu’à l’envie d’être ensemble. Avec Padraig aussi, c’était facile. J’étais éteinte, comme morte à l’intérieur. Je jouais enfin le rôle de la bonne petite épouse pour lequel on m’avait préparée toute ma vie. C’est après mon divorce, alors qu’un monde de possibilités s’offrait à moi, que j’ai dû faire le tri à l’intérieur pour ne garder que ce qui m’était bénéfique et rejeter toutes les croyances toxiques qu’on m’avait inculquées. Le pire, c’est que j’ai l’impression d’être revenue à la case départ. Si l’ennemi est différent, la bataille est la même. Je dois réapprendre à m’aimer. À m’accepter comme je suis. À croire que j’ai le droit de me trouver belle, de vouloir être sensuelle et désirable, même si je ne cadre plus vraiment avec ce qui est normal. Brusquement, je regrette de ne pas avoir mis de veste par-dessus mon t-shirt. Même s’il ne fait pas particulièrement froid dans le café, je voudrais m’enrouler dedans, de me cacher derrière les pans de tissu. C’est mon armure à moi. « J’ai fini par accepter qu’on peut être Aisling et Ivana tout à la fois. » Qu’elles ne sont pas forcément deux entités séparées, mais deux moitiés d’un tout faites pour aller ensemble. Qu’elles peuvent cohabiter sans danger dans une seule et même femme. « Si tu en as envie, j’aimerais t’aider à apprivoiser ta sensualité. À découvrir ce qu’elle représente pour toi. » Je m’assure de soutenir son regard pour qu’elle saisisse bien l’importance de mes paroles et le sérieux avec lesquelles je les prononce. « Pas pour les hommes qui regardent tes photos, pas pour ton copain, même pas pour moi. Pour toi. »
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Les yeux de Laoise sont trop verts, trop intenses, insondables. Perturbée, Aisling se dérobe et braque les siens sur la pointe de sa Dr Martens pour ne pas avoir à affronter son refus. Après un court silence, Laoise se redresse. Comprenant qu’elle s’apprête à partir, Aisling sent son cœur se serrer et se prépare à encaisser ses excuses. Je suis désolée, ton profil ne correspond pas aux standards que je recherchais… bonne chance pour la suite. A quelques mots près ceux qu’elle a entendu après son photoshoot avec Zelda, quand le directeur de casting lui a durement rappelé que le modelling n’est pas un métier dans lequel il est facile de se réinventer. Luttant pour refouler les larmes qui lui piquent les yeux et le nez, elle se laisse balloter par la vague de découragement qui menace de la submerger. « Au contraire, Aisling. J’ai encore plus envie de te peindre. » Douce et ferme à la fois, la voix de Laoise s’élève, fend le brouillard de ses pensées trop noires, la foudroie de surprise. Les sourcils vaguement froncés, l’irlandaise lance un regard farouche à l’artiste-peintre derrière le couvert rassurant de sa frange. Pourtant, il n’y a aucune trace de malice sur ses traits empreints d’une étrange dignité, aucune moquerie dans ses émeraudes impénétrables. Pourquoi ça t’donnerait encore plus envie d’me peindre ? La question lui brûle les lèvres, mais elle n’ose pas la poser. Par crainte, peut-être, de ce que pourrait cacher cette vérité. « Je ne veux pas peindre des femmes parfaites ou des modèles de vertu. La Sainte Vierge, très peu pour moi. Elle est surfaite de toute façon. » Les yeux écarquillés par l’affront, Aisling ne peut retenir un petit rire surpris qu’elle s’empresse de dissimuler derrière une main plaquée contre ses lèvres. « Ce dont j’ai envie, c’est de raconter des parcelles de vie, de mettre en lumière des femmes imparfaites et vraies. Des femmes comme toi. » Simple et personnelle, l’explication la soulage et la froisse à la fois ; fait naître une petite moue dépitée au coin de ses lèvres que le contact chaleureux de la main de Laoise sur la sienne parvient presque à chasser. Elle puise un certain réconfort dans cette compassion, mêlé d’une tristesse profonde, insondable, inexprimable. Parce que la perfection, elle l’a pourchassée toute sa vie, sans jamais vraiment oser se l’admettre. Elle s’est blessée dans cette quête vaine, déchirée de constater que chaque pas esquissé dans sa direction ne semble que l’en éloigner davantage. Car derrière la crainte lancinante d’être profondément imparfaite se cache toutes ses peurs les plus sombres. Celle d’être jugée pour ses défauts et ses péchés. De perdre l’amour de ceux chez qui elle essaie désespérément de l’éveiller.
« Tu sais que tu es loin d’être la seule à te sentir comme ça ? » La question semble tellement s’immiscer dans le cours de ses pensées qu’Aisling sursaute en relevant un regard inquiet vers le visage énigmatique de Laoise. Avant qu’elle n’ait le temps de protester, cette dernière brise le contact qui les unissait pour se renfoncer dans son siège. L’absence laisse une morsure froide sur sa peau pâle, qu’elle essaie de contrer en ramenant sa main contre sa poitrine pour l’envelopper dans sa paume. « Je pense que tu serais surprise de savoir combien de femmes peuvent s’identifier à ce que tu viens de me raconter. Combien essaient encore de réconcilier leur amour des licornes et l’idée qu’elles ont le droit d’être sexy si elles le veulent. » Moyennement convaincue, Aisling esquisse une moue sceptique. Les autres femmes s’foutent pas à poil pour payer leurs factures. Elle s’couchent pas tous les soirs en essayant d’tout oublier, en priant qu’personne les reconnaisse jamais. Elles rêvent pas d’disparaître pour qu’on puisse plus les regarder. Comme si elle sentait sa réserve, Laoise précise sa pensée : « Ce que j’essaie de dire, c’est que je te comprends mieux que tu ne le penses. Je me suis posé les mêmes questions. Et bien plus tard que toi, d’ailleurs… » Il y a une douleur ancienne dans son regard voilé, une compassion si marquée dans sa voix que malgré la différence manifeste de leurs expériences, Aisling la croit sur parole. Et pour la première fois depuis qu’elles ont abordé ce sujet qui l’angoisse, elle se détend légèrement. Ses épaules abandonnent leur rigueur, sa nuque se relâche doucement tandis qu’un soupir s’échappe de ses poumons. Laoise ne s’est peut-être pas confrontée à la sexualité avant de l’avoir vécue, ni n’a dû se plier au désir de types désinhibés par la perspective de pouvoir acheter sa sensualité ; mais elle a été éduquée selon les dogmes de la religion catholique comme elle. Ceux-là même qui ne font pas au final une grande différence entre le fait de vendre son corps à la nuit ou d’oser l’offrir à un homme qu’on aime sans l’avoir épousé. L’une comme l’autre ont connu le poids de ces règles ancestrales et traditions immuables, la pression de rester la plus pure, le plus longtemps possible. Toutes deux ont été rongées par la peur de plonger leur famille dans la honte en provoquant chez les hommes des sentiments qu’elles ont appris à percevoir comme négatifs, infâmes, terrifiants. « Au final, t’as trouvé ta réponse ? » Elle se décide alors à lui demander d’une petite voix, si hésitante que pendant un instant, Laoise ne semble pas l’avoir entendue. Car c’est son tour de se replier derrière les pans de son pull comme pour se protéger. Un geste qui interpelle Aisling et la perturbe. Un geste qu’elle reconnaît. « J’ai fini par accepter qu’on peut être Aisling et Ivana tout à la fois. » Un petit rire lui échappe encore, franchement amusé cette fois. C’est qu’elle imagine mal Ivana s’emmitoufler dans un gros pyjama licorne. Quoi que… j’suis sûre qu’des tas de mecs pas franchement nets paieraient une fortune pour voir ça. Mais c’est une limite qu’elle s’est toujours refusée de franchir. Une frontière qui marque clairement la différence entre ce qui la réconforte et ce qui l’effraie. Ce qu’elle préserve et ce qu’elle a prostitué. Pourtant, cette réflexion fait émerger une réalité à laquelle elle n’ose guère se confronter. Si elle refuse d’infuser davantage d’Aisling dans ce qu’elle dévoile pour quelques billets, il lui est déjà arrivé de puiser un peu de la volupté incarnée par Ivana dans l’espoir d’être désirable aux yeux de Sid.
« Si tu en as envie, j’aimerais t’aider à apprivoiser ta sensualité. À découvrir ce qu’elle représente pour toi. » Les yeux de Laoise se plantent dans les siens et brillent d’une étrange intensité alors qu’elle conclut : « Pas pour les hommes qui regardent tes photos, pas pour ton copain, même pas pour moi. Pour toi. » Attends, quoi ? Perturbée, Aisling s’interroge sur la signification de cette remarque qui vient bouleverser tout ce en quoi elle croit. Une réflexion qui lui rappelle, en somme, les plaisanteries des autres danseuses en coulisses, ou bien les principes que brandissent les Suicide Girls et dans lesquels elle ne s’est jamais reconnue. « Tu sais, tu dis qu’toute les femmes se sentent un peu comme ça… mais les autres filles qui font l’même métier que moi, j’crois pas qu’elles ont c’problème là. » Elle lance songeusement après un court silence rempli de confusion, à moitié consciente d’éviter de répondre à la proposition de Laoise. « Elles y voient un genre de pouvoir je crois. Moi j’y arrive pas. » Car c’est la honte que ses performances et les réactions qui en découlent déversent en elle. La sensation cuisante de ne pas être comme il faut, de devoir cacher aux yeux du monde ce tourment qui la ronge. C’est la culpabilité et la tristesse qui grandissent dans son cœur plutôt que la confiance et font enfler la peur inexorable de susciter le désir chez hommes. La poussent à se planquer dans des vêtements noirs et des pulls bien trop grands pour oublier ce corps et tout ce qu’il peut avoir d’attirant. « J’en peux plus d’me sentir comme ça si tu savais… c’est comme si j’allais étouffer. » Elle exhale, une main délicatement plaquée contre sa poitrine comme pour y faire affluer l’air qui lui manque soudain. Ces dernières années, elle a survécu de façon précaire, en scindant à l’extrême ces deux entités qui ne devaient jamais se rencontrer. Mais depuis quelques mois, sa sobriété nouvelle et les sentiments passionnels qu’elle éprouve pour Sid viennent tout bouleverser. Lui laissent entrevoir une vision bien plus douce de ces plaisirs auxquels elle n’aurait jamais cru vouloir succomber. Une vision qui l’intrigue plus encore qu’elle ne l’effraie. « J’en ai même parlé à un prêtre tu sais ? » Un sourire amusé se peint sur ses lèvres. « Owen il s’appelle. J’lui ai tout balancé : les drogues, les photos, mon copain... Crois-le ou non mais il m’a rassurée. Il m’a dit qu’c’était pas si grave tout ça. Et il m’a jamais traitée comme si j’méritais pas ma place dans son église. » Allégée de sa culpabilité, Aisling s’est alors autorisée à entretenir la petite flamme qui s’allume dans son cœur à l’idée de faire naître chez Sid le désir ; une flamme si fragile encore qu’une brise légère pourrait l’éteindre et l’ensevelir sous les cendres d’où elle est miraculeusement apparue. Comprenant confusément qu’elle tient ici la réponse à sa question, Aisling sent ses joues s’empourprer. « Alors ouai, s’tu peux m’aider… j’crois bien qu’ça m’plairait. » Elle déglutit et s’efforce de prononcer ces mots en espérant qu’ainsi ils lui paraîtront moins terrifiant : « A apprivoiser ma sensualité, j’veux dire. » Les mains tremblantes, elle joue avec le lacet de ses godillots, glisse la surface plastifiée sous ses ongles manucurés pour en tirer une petite douleur salutaire, profite de la concentration qu’exige cette activité pour éviter de devoir la regarder, pour ne pas avoir à se demander en quoi cet apprentissage consisterait. « Par contre, t’as dit qu’ce serait pas pour mon copain… » Elle hésite un instant, se mâchouille nerveusement les lèvres avant de jeter un coup d’œil incertain en direction de Laoise. « Mais euh… si pas pour lui… c’est quoi l’intérêt ? »
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Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
Ma suggestion a visiblement pris Aisling de court, comme si l’idée qu’elle puisse entreprendre cette démarche pour elle-même ne lui avait jamais traversé l’esprit. Après un court silence dans lequel elle semble chercher le fil de ses pensées, elle fronce légèrement les sourcils. « Tu sais, tu dis qu’toute les femmes se sentent un peu comme ça… mais les autres filles qui font l’même métier que moi, j’crois pas qu’elles ont c’problème là. » Il y a une émotion que j’ai du mal à identifier dans sa voix. Un peu de tristesse peut-être. Ou encore de l’envie ? Je voudrais essayer de la rassurer, de lui rappeler qu’il est impossible de savoir ce que vivent vraiment les autres, ni ce qui se cache derrière le vernis de confiance inébranlable d’une personne. Peut-être que les filles avec qui elle travaille n’ont pas de problème avec ce qu’elles font. Ou peut-être que si, mais qu’elles le cachent bien. Je reste pourtant silencieuse pour ne pas brusquer Aisling et lui laisser l’occasion de s’exprimer à son rythme. « Elles y voient un genre de pouvoir je crois. Moi j’y arrive pas. » Compréhensive, je hoche lentement la tête. Cette honte et cette culpabilité que la société nous a inculquées en tant que femme nous ont aussi appris que le pouvoir repose dans les mains des hommes plutôt que dans les nôtres, et que la sexualité, mais surtout le plaisir, leur appartient. Pour arriver à percevoir la sensualité comme un pouvoir grisant plutôt qu’une tare impure; pour accepter que le désir n’est ni immoral, ni anormal, mais sain et naturel, il faut détricoter une à une les fausses idées qui sont profondément enracinées en nous et apprendre à penser autrement. Non seulement c’est difficile, presque impossible, c’est aussi terrifiant. « J’en peux plus d’me sentir comme ça si tu savais… c’est comme si j’allais étouffer. » Ce cri du cœur, elle l’a murmuré, mais c’est comme si elle l’avait crié. Le cœur serré, j’ai l’impression de ressentir physiquement ce mal-être qui l’étrangle. Ce n’est évidemment pas la première fois que je rencontre une muse potentielle dans le cadre d’un projet et j’ai souvent peint des gens dont l’histoire m’interpelait sans que le courant ne soit particulièrement bien passé entre nous. Avec Aisling, pourtant, je ressens une connexion puissante qui semble aller au-delà de nos origines partagées et de nos expériences communes. J’ai sincèrement envie de l’aider. Si pour l’instant j’ignore comme le faire, j’espère à tout le moins que notre discussion lui ouvrira l’esprit et lui fera entrevoir des points de vue et des idées qu’elle n’avait pas forcément envisagés.
« J’en ai même parlé à un prêtre tu sais ? » Inquiète de ce qu’il aurait pu lui dire, je fronce les sourcils. Je sais trop bien que la plupart des hommes d’église sont loin d’être des modèles d’ouverture et de tolérance, surtout en ce qui a trait aux péchés des femmes. Heureusement, le sourire amusé qui s’étire sur les lèvres d’Aisling me fait comprendre qu’elle garde un bon souvenir de cette rencontre. « Owen il s’appelle. J’lui ai tout balancé : les drogues, les photos, mon copain… Crois-le ou non mais il m’a rassurée. Il m’a dit qu’c’était pas si grave tout ça. Et il m’a jamais traitée comme si j’méritais pas ma place dans son église. » C’est si rare de trouver un prêtre compréhensif, prêt à écouter sans juger, que je suis véritablement contente pour elle. D’autant plus que ça semble être important pour Aisling de retrouver ce lien avec la foi de notre enfance. Curieuse, je me demande ce qu’elle en pense. Sûrement qu’elle ne l’a pas rejetée complètement comme je l’ai fait si elle a eu le réflexe de se tourner vers l’église pour trouver les réponses à ses questions. Je suppose donc qu’elle ne s’est pas transformée en impie qui s’engueule avec Dieu à la première occasion comme moi j’aime le faire. Un peu amusée, je me demande s’il est trop tard pour essayer de la convertir à mon genre de catholicisme un peu blasphématoire. « Alors ouai, s’tu peux m’aider… j’crois bien qu’ça m’plairait. A apprivoiser ma sensualité, j’veux dire. » Je devine que ça lui a coûté de me dire ça. Une chaleur agréable qui ressemble dangereusement à de la fierté flambe dans ma poitrine. Les joues encore rosies de gêne, le visage d’Aisling se teinte d’un éclat de confusion. Le nez collé aux lacets noirs de ses bottines qu’elle contemple comme si c’était la huitième merveille du monde, elle marmonne : « Par contre, t’as dit qu’ce serait pas pour mon copain… » Pas forcément surprise que ses pensées ait repris ce chemin, je pince légèrement les lèvres tandis qu’elle précise le fond de sa question. « Mais euh… si pas pour lui… c’est quoi l’intérêt ? » En mordillant songeusement l’intérieur de ma joue, je m’accorde un moment de réflexion, gracieusement allongé par l’arrivée d’Antoni qui vient poser devant nous nos boissons chaudes et les deux scones.
La soucoupe appuyée en équilibre précaire sur ma cuisse, j’observe d’un œil impressionné le koala dessiné dans le lait mousseux qui décore mon cappuccino. En me concentrant sur les volutes blanchâtres, je réussis enfin à faire le tri dans mes idées et je relève les yeux vers Aisling, qui a enroulé ses mains autour de sa tasse comme pour absorber la chaleur qui émane de la porcelaine décorée. « Si tu le faisais pour ton copain plutôt que pour toi, tu déplacerais le problème au lieu de le régler. » Les sourcils de la jeune femme se froncent, tandis qu’un voile de confusion assombrit ses traits. Je m’empresse donc de préciser le fond de ma pensée. « Depuis tantôt, tu me racontes comment tu as façonné ta sensualité à partir des fantasmes et des désirs des autres. Même si ton copain t’aime et même s’il est une personne importante pour toi, ça ne changerait rien au fait que tu donnerais encore le pouvoir à quelqu’un d’autre. » Je ressens d’ailleurs une certaine inquiétude à l’idée qu’elle veuille se transformer pour plaire à son petit ami parce qu’il se montre insistant ou manipulateur, mais je décide de garder ces doutes pour-même pour l’instant, faute de preuves. Avec un pincement au cœur à l’idée de défigurer l’adorable koala, je trempe plutôt mes lèvres dans mon café avant de poursuivre mon explication. « J’imagine que tu as déjà entendu dire qu’il faut s’aimer soi-même avant de pouvoir aimer les autres ? » Elle me fait signe que oui d’un petit hochement de tête timide. « Eh bien, c’est un peu le même principe. Si tu ne sais pas ce que la sensualité et la féminité représentent pour toi ni de quelle façon tu veux les exprimer, tu ne pourras jamais les vivre sainement avec quelqu’un d’autre. » Déterminée à lui faire comprendre l’importance de mes prochaines paroles, je plonge avec assurance mon regard dans le sien. « Tu mérites d’exister pour toi-même. Tu mérites de découvrir que tu peux être sensuelle autrement que dans le regard des hommes. Et tu mérites de vivre tout ça sans culpabilité et sans honte. » Sans surprise, Aisling me dévisage comme si je venais subitement de lui annoncer que la Terre est plate tout compte fait. Amusée par son air stupéfait, je lui offre un petit sourire indulgent. « Je sais que ce que je suis en train de te dire, c’est l’inverse de ce qu’on t’a sûrement appris. » Je soupire en secouant la tête, un peu lasse. « Ma mère adorait me rappeler que j’existais seulement pour préserver l’honneur de notre famille et répondre aux besoins de mon futur mari. Je sais à quel point c’est troublant de se dire qu’on a le droit de se donner toute la place et qu’on n’a pas besoin de s’effacer pour faire plaisir à qui que ce soit. » Pourtant, c’est aussi le plus beau cadeau qu’on puisse s’offrir à soi-même. « Mais j’aurais aimé que quelqu’un me dise tout ça à ton âge. »
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Un air songeur se peint sur le visage de Laoise. Le cœur battant, Aisling se concentre si fort pour ne pas donner l’impression d’être pendue à ses lèvres qu’elle ne remarque pas le retour du serveur. Sa voix annonçant leur commande la fait sursauter et elle se replie en boule dans son fauteuil pour lui laisser la place d’installer les cafés sur la table. « Merci. » Elle souffle avec un petit sourire alors qu’il s’éloigne, tendant la main vers la coupe en porcelaine contenant son thé fumé à la rose. Son parfum intense, sa couleur profonde et la brûlure agréable sur le bout de sa langue comme dans la paume de ses mains lui insufflent un peu de courage et de quoi s’occuper en attendant la réponse de Laoise. « Si tu le faisais pour ton copain plutôt que pour toi, tu déplacerais le problème au lieu de le régler. » Loin de clarifier ses pensées, l’explication vient troubler davantage le marais de confusion dans lequel Aisling pataugeait déjà. Les sourcils délicatement froncés d’incompréhension, elle relève les yeux vers l’artiste-peintre et scrute ses émeraudes insondables. « Depuis tantôt, tu me racontes comment tu as façonné ta sensualité à partir des fantasmes et des désirs des autres. Même si ton copain t’aime et même s’il est une personne importante pour toi, ça ne changerait rien au fait que tu donnerais encore le pouvoir à quelqu’un d’autre. » Ses paroles éveillent des fantômes qu’elle voudrait oublier. Un frisson désagréable contracte ses membres et elle resserre inconsciemment ses bras autour de son corps comme pour s’en protéger. Pourtant, dès que la voix douce de l’irlandaise évoque son petit ami et les sentiments qu’il éprouve pour elle, une vague de chaleur agréable s’épand doucement en elle pour chasser son malaise. Ça m’dérange pas trop de lui donner ce pouvoir… Elle ne peut s’empêcher de penser, sans parvenir à comprendre en quoi cela pourrait poser problème. Sid s’y connait bien mieux qu’elle après tout. Et en dépit de ses peurs les plus profondes, elle est convaincue qu’il ne la pousserait jamais au-delà de ses propres limites. Tenter de deviner ce qui lui plait et s’y essayer timidement a quelque chose d’amusant… et de profondément rassurant.
« J’imagine que tu as déjà entendu dire qu’il faut s’aimer soi-même avant de pouvoir aimer les autres ? » Continue pourtant Laoise, imperturbable. La gorge un peu nouée, Aisling hoche doucement la tête. Elle a lu cette phrase un nombre incalculable de foi en ligne et l’a entendue aussi souvent en rehab. Cette idée l’a toujours effrayée, car elle n’est pas douée pour s’aimer et une mare de culpabilité la submerge chaque fois qu’elle se demande si cette incapacité ternit les sentiments qu’elle éprouve pour Sid. T’façons, tu sais bien qu’tu le mérites pas… Pour oublier le venin persiflant de la petite voix, Aisling se concentre sur la suite de sa démonstration. « Eh bien, c’est un peu le même principe. Si tu ne sais pas ce que la sensualité et la féminité représentent pour toi ni de quelle façon tu veux les exprimer, tu ne pourras jamais les vivre sainement avec quelqu’un d’autre. » Il y a tant d’assurance et de certitude dans ses grands yeux verts qu’Aisling peine à faire le tri dans les sentiments confus que ces affirmations éveillent en elle. Car la logique de Laoise commence à se frayer lentement un chemin dans son esprit, assez du moins pour que les implications qui se dessinent à l’horizon lui semblent à la fois libératrices et absolument terrifiantes. Luttant contre la panique qui s’empare pernicieusement de son cœur, Aisling s’efforce de ne pas se détourner quand elle plaide avec conviction : « Tu mérites d’exister pour toi-même. Tu mérites de découvrir que tu peux être sensuelle autrement que dans le regard des hommes. Et tu mérites de vivre tout ça sans culpabilité et sans honte. » L’idée lui semble aussi absurde qu’irréalisable et son corps la filtre et la rejette avant même que ses pensées aient le temps de l’analyser. Un étrange malaise déferle sous sa peau et elle croise nerveusement les bras autour de son corps comme pour s’en protéger. Car si sa discussion avec Owen, les promesses rassurantes de Sid et sa jolie vision de l’amour charnel commencent à peine à lui laisser entrevoir que s’offrir à un homme et s’autoriser à le désirer n’est pas forcément sale ou honteux, les affirmations de Laoise l’ébranlent et la perturbent en lui laissant entrevoir qu’une femme est libre de s’intéresser à sa sensualité… pour son propre plaisir.
« Je sais que ce que je suis en train de te dire, c’est l’inverse de ce qu’on t’a sûrement appris. » Elle ajoute d’une voix douce, un petit sourire au coin de ses lèvres comme si elle réalisait soudainement l’indécence de ses paroles. « On peut dire ça, oui… » Ces quelques mots font naître une petite chaleur rassurante dans sa poitrine et Aisling pince les lèvres pour retenir le sourire amusé qui cherche à les étirer. « Ma mère adorait me rappeler que j’existais seulement pour préserver l’honneur de notre famille et répondre aux besoins de mon futur mari. » Retrouvant son sérieux, Aisling hoche la tête, compréhensive. Voilà un discours qui ressemble davantage à celui qu’elle a entendu toute son existence. Des valeurs et des croyances qu’elle comprend aisément et qu’elle partage, dans une certaine mesure, pour n’avoir jamais pu se résoudre à les rejeter complètement. Pas comme sa sœur, qui s’est acharnée à bafouer toutes les règles que leurs parents leur ont inculquées dès son adolescence. Alors l’espoir d’élever une fille respectable était retombé sur Aisling, la jolie petite poupée discrète et douce bien comme il faut. L’enfant naïve et soumise qui se devait de rester pure jusqu’au mariage pour redorer le blason de la famille. Un espoir qui avait vacillé dans le cœur de ses parents quand sa mère avait découvert les magazines de rock qu’elle planquait sous les planches dissimulées par son lit pour éviter de se faire prendre. Le soir même, son père avait asséné qu’il faudrait la marier et au plus vite, avant qu’elle ne se ruine entre les bras du premier venu et tourne comme sa sœur. Ce soir-là, elle avait fui l’Irlande et sa famille pour ne jamais revenir. Parce que ces sacrifices, elle voulait bien les faire, mais uniquement par amour. Et que l’amour, elle ne le trouverait jamais entre les ruelles grises et sanglantes de Belfast. « Je sais à quel point c’est troublant de se dire qu’on a le droit de se donner toute la place et qu’on n’a pas besoin de s’effacer pour faire plaisir à qui que ce soit. Mais j’aurais aimé que quelqu’un me dise tout ça à ton âge. » Cette confession éveille un trouble qu’Aisling ne parvient pas vraiment à identifier. Dans le doute, elle hoche doucement la tête, un peu effrayée à l’idée de lui avouer ne pas se sentir tout à fait alignée avec ce qui semble lui tenir tant à cœur et qu’elle vient de lui partager. « Okay. » Elle finit par souffler d’une voix songeuse. Okay. Ses doigts se referment autour de la tasse brûlante, savourent la chaleur qui l’ancre dans la réalité.
Elle voudrait lui poser un million de questions, mais elles se mélangent toutes dans sa tête. Elle voudrait se boucher les oreilles et ne rien devoir remettre en question, terrifiée à l’idée que les braises de ces croyances impies viennent réduire en cendre ses fragiles fondations. Sans qu’elle sache trop comment, la porcelaine trouve son chemin jusqu’à ses lèvres et une lampée de thé brûlante coule le long de sa gorge. Elle s’y accroche et l’avale dans l’espoir que le liquide fasse le tri dans ses pensées comme le veut la tradition. « J’aurais… jamais pensé à voir les choses comme ça. » Elle finit par avouer après un bref silence. « J’veux dire, le truc c’est qu’ça m’a jamais trop attirée tout ça. En fait j’pense que j’me poserais même pas ces questions si j’étais pas avec mon copain. Alors ça m’fait un peu bizarre de m’dire que c’est un truc que j’devrais découvrir toute seule. » Une vague d’incertitude enfle dans sa gorge, et Aisling la noie dans le reste de son breuvage. « Et j’arrive pas trop à comprendre comment j’suis censée faire. » Elle s’interrompt, le regard hanté fixant les petits gâteaux vers lesquels elle n’a pas encore osé tendre la main. Puis ses sourcils se froncent légèrement tandis qu’elle relève les yeux vers Laoise et un petit sourire mi méfiant mi amusé se tisse au coin de ses lèvres alors qu’elle laisse échapper : « Tu vas pas m’dire qu’il faut que… euh… que j’me touche toi aussi ? » Lorsqu’elle prend conscience de la teneur de ses paroles, Aisling pince les lèvres comme pour retenir les mots qui flottent déjà entre elles. Embarrassée, elle se détourne pour tenter de disparaître sous sa frange. « C’est… c’est mon copain qui m’a sorti ça l’autre fois. » Elle bafouille timidement, un voile de gêne brûlant ses joues pour tenter de dissimuler les doux souvenirs sensuels que cette anecdote lui évoque. « Mais j’veux pas. » L’étincelle d’amusement qui brillait encore dans ses yeux une seconde plus tôt s’éteint en même temps que sa voix. « J’veux pas. » Les sourcils se froncent pour de bon cette fois, comme pour repousser cette idée qu’elle refuse catégoriquement de considérer. « Y’a des photographes qui m’ont dit d’faire ça pour leur caméra. » Les souvenirs lui reviennent en même temps que les mots lui échappent. Après tant d’années à chercher à les oublier, les changer en plaisanteries un peu lourdes pour ne pas avoir à s’en inquiéter, les propositions la choquent et la secouent avec une telle intensité qu’elle sent sa réalité chavirer. « Soit disant qu'ça m'détendrait. » La voix blanche, les yeux rivés sur la tasse entre ses mains, Aisling souhaite disparaître sous la surface lisse et sombre de son thé et s’y noyer plutôt que de replonger dans ces bribes de passé qui l’effraient, ce brouillard qu’elle craint de voir se clarifier, cette marée noire de honte qui colle à sa peau et refuse de la laisser s’échapper. « J’l’ai pas fait. J’peux pas. J’pourrais jamais. » Elle finit par ajouter, plus pour rassurer son interlocutrice qui la dévisage déjà d’un air si inquiet qu’elle regrette d’avoir abordé le sujet. « J’avais jamais dit ça à personne avant. » J’me l’étais jamais dit à moi. « J’sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’tu comprends. » Parce que Laoise est une femme, et qu'il y a de la compassion dans son regard attentif. Parce qu'au fond, l'église et l'Irlande les ont façonnées de la même façon, même si l'Australie semble avoir bien mieux libéré sa semblable. « Et j’peux pas m’empêcher de m’demander… comment t’as fait, toi ? » Pour apprivoiser ta sensualité, pour avoir confiance en toi, pour être si à l’aise quand tu m'parles de ça. Elle déglutit et hausse les épaules avec un sourire incertain. « ‘Fin si t’as envie d’me dire, hein. » Un soupir s'échappe de ses narines tandis qu'elle triture nerveusement les coutures de ses longues manches. « J’sais bien qu’c’est un peu trop personnel… »
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Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
On dirait presque que j’ai assené un coup de massue à Aisling tellement elle semble sonnée. Nerveusement, elle hoche la tête en s’accrochant à son thé. « Okay, » finit-elle par murmurer, si bas que je l’aurais sûrement manqué si je ne me concentrais pas aussi intensément sur elle. Elle trempe ses lèvres dans sa tasse. J’en fais de même dans la mienne, savoure patiemment la saveur amère et crémeuse de ma boisson pendant qu’elle cherche à retrouver le fil de ses pensées. Enfin, elle relève les yeux vers moi. « J’aurais… jamais pensé à voir les choses comme ça. » Quoiqu’elle en dise, je suis convaincue qu’elle aurait fini par arriver d’elle-même à ces conclusions, mais je suis tout de même heureuse que nos chemins se soient croisés et d’avoir cette occasion de lui parler. « J’veux dire, le truc c’est qu’ça m’a jamais trop attirée tout ça. En fait j’pense que j’me poserais même pas ces questions si j’étais pas avec mon copain. Alors ça m’fait un peu bizarre de m’dire que c’est un truc que j’devrais découvrir toute seule. Et j’arrive pas trop à comprendre comment j’suis censée faire. » Il est vrai qu’il s’agit d’un sujet aussi vaste qu’intimidant, dans lequel il est incroyablement facile de se perdre quand on ne sait pas ce qu’on cherche. Mais avant que j’aie eu le temps de lui répondre que je comprends ses doutes, elle braque un regard incertain sur moi. « Tu vas pas m’dire qu’il faut que… euh… que j’me touche toi aussi ? » qu’elle me souffle comme si elle me racontait un énorme secret. Un peu amusée qu’elle en soit venue à cette conclusion, je hausse légèrement les épaules, l’air de dire pourquoi pas ? Après tout, c’est un moyen comme un autre d’apprendre à se connaître et je suppose qu’elle éprouve déjà une certaine curiosité à ce sujet si c’est dans cette direction que son esprit s’est dirigé. Cependant, le mouvement subtil semble échapper à Aisling, qui détourne déjà les yeux, les joues rosies de gêne. « C’est… c’est mon copain qui m’a sorti ça l’autre fois. » Franchement, je ne sais pas si je suis impressionnée qu’il soit assez ouvert pour accepter qu’une femme peut aussi aimer se donner du plaisir ou inquiète des circonstances dans lesquelles il le lui a proposé. Cependant, l’ombre d’un sourire rêveur qui s’étire sur les lèvres de la jeune femme me rassure… du moins, jusqu’à ce qu’il disparaisse d’un coup, se fondant dans l’air sombre et un peu lointain qui se peint sur ses traits délicats. « Mais j’veux pas. » Préoccupée par la tension soudaine qui lui raidit les épaules, j’effleure d’un mouvement distrait du pouce la porcelaine lisse et tiède de ma tasse, comme pour me préparer à la suite de ses confidences, qui s’annonce difficile. « J’veux pas, » répète-t-elle avec un peu plus d’aplomb en fronçant les sourcils.
La gorge nouée tout à coup, je me demande quelle réalité angoissante se cache derrière son refus catégorique. Car c’est plus qu’une simple préférence ou qu’un malaise causé par un sujet un peu tabou, j’en suis certaine. Malheureusement, elle me donne raison. J’aurais tellement voulu me tromper. « Y’a des photographes qui m’ont dit d’faire ça pour leur caméra. » Sa voix s’éraille, comme écorchée par les mots qui franchissent difficilement ses lèvres. Si je m’efforce de conserver un air aussi neutre que possible pour ne pas effaroucher Aisling, je sens une colère froide enfler dans mes tripes à l’idée qu’elle ait eu à subir des commentaires aussi inappropriés. « Soit disant qu’ça m’détendrait. » Il y a de la honte dans ses grands yeux quand son regard se détache du mien. J’aurais envie de l’envelopper dans une longue étreinte, de lui souffler que ce n’est pas à elle d’avoir honte, mais à ces photographes qui, au lieu de chercher à la mettre à l’aise et à faire leur boulot avec respect, ont préférer abuser de leur pouvoir pour lui susurrer des propositions dégradantes. Peut-être surprend-elle une partie de mes émotions sur mon visage malgré mes efforts, car elle cherche à me réconforter : « J’l’ai pas fait. J’peux pas. J’pourrais jamais. » Ça ne me soulage pas vraiment d’apprendre qu’elle a su résister à ces propositions déplacées. Pas quand l’effet qu’elles ont eu sur elle ne se limite visiblement pas à des mauvais souvenirs. « J’avais jamais dit ça à personne avant. J’sais pas pourquoi, j’ai l’impression qu’tu comprends. » Touchée par la confiance qu’elle me témoigne, je hoche doucement la tête. S’il est vrai que je n’ai jamais vécu exactement ce genre d’expérience, j’ai l’impression de la comprendre quand même. Parce que nous avons plus de points communs que de différences. Parce que sa souffrance m’émeut, aussi, et fait écho à des blessures qui m’ont longtemps torturée moi aussi. « Et j’peux pas m’empêcher de m’demander… comment t’as fait, toi ? » Sa question ne me surprend pas. En revanche, je suis étonnée d’avoir sincèrement envie d’y répondre. Normalement, j’ai du mal à parler de moi-même, mais je sens que ça ne sera pas le cas aujourd’hui. Du reste, je lui dois bien d’avoir le même courage que celui dont elle a fait preuve jusqu’à maintenant en me racontant son histoire. « ‘Fin si t’as envie d’me dire, hein. J’sais bien qu’c’est un peu trop personnel. » Je lui souris, balaie l’air du revers de la main en me penchant pour poser ma tasse presque vide sur la table devant nous.
Revenant m’adosser au fond de mon fauteuil, je replie une jambe contre moi et l’entoure de mes bras, une main enroulée autour de mon poignet pour refermer la boucle. « T’en fais pas, ça me ferait plaisir de t’en parler, surtout si ça peut t’aider. » La tête légèrement penchée vers la droite, je fronce les sourcils en réfléchissant à ce que j’ai envie de lui dire. En me demandant comment me lancer aussi. Avec un petit soupir, je conclus qu’il vaut toujours mieux commencer par le début. « J’avais seize ans la première fois où je suis tombée amoureuse. Il s’appelait Aodhan, il était beau et intelligent, un peu poète. Et sa famille était protestante. » Je marque une pause, hausse les sourcils avec une petite moue amusée dirigée vers Aisling, certaine qu’elle comprendra pleinement toute la gravité de ce détail en apparence inodin. « C’était facile avec lui… On était jeunes, on ne se posait pas trop de questions. On s’aimait en secret. » À l'époque, notre relation me semblait si naturelle que je n’avais jamais cherché à comprendre ma place dans notre histoire. Je savais qu’il me respectait et qu’il s’intéressait sincèrement à la personne que j’étais, et ça me suffisait. Du reste, il n’avait pas beaucoup plus d’expérience que moi et nous avons tout découvert ensemble. C’était un amour adolescent, avec tout ce que ça comporte de beauté tragique, de naïveté et d’insouciance. « Jusqu’à ce que je tombe enceinte… » Le cœur battant, je me mordille l’intérieur de la joue. Tandis que j’essaie de déterminer comment poursuivre mon histoire, un silence lourd de sens grandit entre nous. Je sais qu’Aisling comprend tout, même ce que je ne raconte pas pour ne pas remuer des souvenirs désagréables. La voix du paternel qui rageait et tonnait, ses mots aussi coupants que du verre qui s’enfonçaient dans ma chair. Les longs mois que j’ai passés entre les quatre murs de ma chambre, enfermée pour cacher mon déshonneur honteux. Les histoires que je lisais et les berceuses que je chantais en me berçant pour transmettre à mon enfant tout l’amour que j’avais pour lui avant qu’on ne me l’arrache. « Mes parents m’ont obligée à cacher ma grossesse et à donner l’enfant en adoption. » Mes doigts s’enfoncent dans la peau tendre de mon poignet. La douleur légère m’ancre dans le présent. « J’ai compris que le désir et, pire que tout, le plaisir, étaient des péchés impardonnables. Et que j’étais la seule qui méritait d’être punie, même si on avait été deux à le concevoir, ce bébé. » Malgré les années qui ont passé et la paix relative que j’ai fini par trouver par rapport à cette histoire douloureuse, je ne peux empêcher une certaine amertume de teinter mes paroles. Je n’ai jamais pu oublier que pendant que moi je me morfondais dans ma prison, Aodhan, lui, continuait à vivre sa vie. Quand je l’ai revu, des années après le pensionnat et mon mariage malheureux, il était toujours libre comme l’air. Il avait encore le monde à ses pieds et le droit de rêver. Vrai, il portait sa culpabilité comme un badge d’honneur et je le crois sincère lorsqu’il a affirmé qu’il aurait voulu m’aider. Ça ne change rien au fait qu’il n’a pas eu à souffrir comme moi je l’ai fait. Au pensionnat, les sœurs ne me laissaient pas oublier que j’étais une fille tombée, un monstre d’impureté. Les autres pensionnaires non plus. Du même souffle, elles se moquaient de moi puis gloussaient en se racontant leurs aventures avec leurs cavaliers qu’elles rencontraient en secret pendant leurs sorties du weekend.
Vaguement agitée, je me déplie et prends l’une des petites assiettes sur lesquelles reposent les scones. Je la pose sur mes cuisses sans toucher à la pâtisserie. « Par la suite, je me suis mariée à un homme que je n’aimais pas pour faire plaisir à mes parents, qui ne voulaient surtout pas que je retombe dans mes vieilles habitudes “dépravées”, » dis-je en tracement des guillets imaginaires dans l’air. Padraig était gentil et il avait véritablement des sentiments pour moi. À mes yeux, pourtant, il ne représentait guère plus que le symbole de ma reddition la plus totale, de cette vie de malheur que je m’étais résignée à accepter parce que je n’avais plus envie de me battre. « Pendant tout notre mariage, je me suis pliée à ses envies. J’ai accompli mon devoir conjugal quand il le voulait, comme une bonne épouse, sans jamais vraiment me demander si c’était ce que je voulais ou non. Je n’éprouvais aucun désir, je n’y prenais aucun plaisir non plus. » J’étais indifférente à tout ce qui m’entourait. Je m’étais repliée à l’intérieur de ma coquille, en sécurité mais coupée de tout. « Après presque dix ans, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de finir ma vie comme ça. Alors j’ai demandé le divorce et je me suis enfuie au Canada. » Sans vraiment m’en rendre compte, je me suis mise à émietter mon pauvre scone en parlant. Pour éviter de le sacrifier entièrement à mes émois, j’en glisse un bout entre mes lèvres en songeant à la suite de mon histoire. « J’avais l’impression de revivre, d’être enfin libre. En même temps, j’étais complètement paumée. Après tant d’années à flotter dans ma vie plutôt que de la vivre, je ne savais plus vraiment qui j’étais. Encore moins comment je voulais exprimer ma féminité ou quoi faire de mon envie de séduire et d’être séduite maintenant que j’étais libérée des contraintes de ma famille et de ma religion. » Je croise le regard d’Aisling, qui semble rivée à mon histoire. Je lui offre un petit sourire en coin, consciente d’être sur le point de lui révéler un autre détail qui nous unit. « Au petit resto où je travaillais comme serveuse, l’un de mes collègues me plaisait pas mal. Je lui plaisais aussi… Pour la première fois depuis que j’étais adolescente, j’ai essayé de succomber à mon désir. Ça n’a pas vraiment fonctionné. » Il était adorable et attentif, aussi intéressé par mon plaisir que par le sien, ce qui n’avait pas toujours été le cas de mes partenaires passés, mais je n’étais tout simplement pas capable de me laisser aller avec lui. Même si notre relation n’a pas été un succès retentissant, elle m’a tout de même donné la poussée qu’il me fallait pour me convaincre de regarder à l’intérieur de moi-même pour essayer de défaire le nœud de croyances malsaines qui me maintenaient prisonnière depuis des années. « Je me suis rendu compte qu’il fallait que je désapprenne tout ce qu’on m’avais appris, que je rejette toutes les faussetés que j’avais internalisées et qui me poussaient à avoir honte d’être une femme. » Un coude posé sur le bras de mon fauteuil, la tempe appuyée sur mon poing fermé, je pince les lèvres. « Ça n’a pas été facile. J’ai fait une longue thérapie. J’ai parlé avec d’autres femmes qui avaient une vision totalement différente de la sensualité. J’ai peint aussi. Beaucoup. Mais j’ai fini par réapprivoiser ma sexualité et mon désir, et réussir à accepter que j’avais le droit de chercher et de ressentir du plaisir, que se donner ne veut pas dire se dévaluer. » J’ai la bouche un peu sèche d’avoir tant parlé, mais il me reste une dernière chose à dire, un dernier message à communiquer à Aisling, que je vois déjà un peu comme ma protégée. « Tu sais, il y a autant de chemins différents qu’il y a de femmes. Ce qui a marché pour moi ne marchera pas nécessairement pour toi. Mes conclusions ne seront pas forcément les tiennes non plus. Il n’existe aucune bonne ou mauvaise réponse absolues à tes questions. Tout ce que tu peux faire, c’est découvrir ce qui te semble bon ou mauvais pour toi. »
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Les mains nerveusement enroulées dans ses manches, Aisling relève timidement les yeux vers Laoise. D’un sourire tranquille, elle chasse son malaise et libère l’air comprimé dans ses poumons. « T’en fais pas, ça me ferait plaisir de t’en parler, surtout si ça peut t’aider. » Elle lui assure avec calme en se réinstallant dans son siège. « C’est gentil… » Les joues rosies, l’irlandaise lui adresse un petit sourire en ramenant ses genoux contre sa poitrine, un peu impressionnée par son charisme et curieuse de découvrir les enseignements que son aînée s’apprête à lui transmettre. Après une courte réflexion, sa voix s’élève, remonte l’histoire pour mieux la dérouler. « J’avais seize ans la première fois où je suis tombée amoureuse. Il s’appelait Aodhan, il était beau et intelligent, un peu poète. Et sa famille était protestante. » D’autres n’auraient certainement pas relevé, et pourtant Aisling écarquille les yeux. Car elle connait bien les remous que cette situation a dû causer, le danger auquel Laoise et ce jeune homme s’exposaient s’ils étaient découverts. Un détail qu’elle ne peut s’empêcher de trouver profondément romantique. « C’était facile avec lui… On était jeunes, on ne se posait pas trop de questions. On s’aimait en secret. » Intriguée, l’irlandaise boit ses paroles sans parvenir à se retrouver. Car aimer Sid, c’est se confronter à toutes les questions qu’elle a passé les dernières années à soigneusement éviter. Faire face à ses inquiétudes, surtout. Même s’il les fait disparaître chaque fois qu’il la serre dans ses bras. « Jusqu’à ce que je tombe enceinte… » Lourds de gravité, les mots tombent entre elles, pèsent sur le silence qui les enrobe comme sur ses pensées. Vides, distordues, inatteignables. Puis une angoisse nouvelle s’infiltre dans ses veines, fourmille sous sa peau, résonne comme un écho entre les parois de son crâne. Car de toutes les peurs qui l’assaillent à l’idée de faire l’amour avec Sid… le risque de tomber enceinte ne lui avait jamais effleuré l’esprit. Non mais là c’est sûr j’pourrai jamais en fait. Pour lutter contre la panique qui monte en elle, Aisling braque ses grands yeux sur Laoise qui s’est tue et semble s’enfoncer dans son propre enfer personnel. Parce que ce qui l’effraie aujourd’hui, son aînée l’a vécu. Cette révélation lui fait comme une décharge électrique, l’arrache à ses propres tourments pour la replonger dans cette douloureuse histoire qu’elle reprend d’une voix hantée : « Mes parents m’ont obligée à cacher ma grossesse et à donner l’enfant en adoption. » Le cœur en miettes, Aisling n’a pas besoin de faire un grand effort d’imagination pour la visualiser enfermée dans sa chambre, le visage faussement contrit de ses parents expliquant aux voisins que leur fille souffrante ne peut recevoir de visite. Les non-dits que tout le monde devine, les rumeurs qu’on se fait une joie malsaine de propager pour condamner une famille dont la fille est tombée. Une fille comme Laoise, qui en parlera avec la voix tremblante des années après. Les mains nerveuses, le regard hanté. J’suis désolée… Elle voudrait lui souffler. Mais elle n’ose pas, honteuse de trouver ces mots si dérisoires par rapport aux souffrances qu’elle a enduré. Alors elle l’écoute attentivement lui conter son histoire, et comme elle en était venue à considérer le désir et le plaisir comme des péchés impardonnables. Comme elle avait souffert d’être la seule punie pour une vie qui n’aurait jamais éclot dans son être sans l’aide de son amant. « C’est pas juste. » Elle souffle d’une petite voix, gênée de ressentir cette conviction pour la première fois, de n’avoir jamais pris la peine de penser à ce que ces jeunes femmes enduraient avant de l’entendre aujourd’hui. D’avoir pensé que ces filles savaient les risques auxquels elles s’exposaient à batifoler ainsi sans se marier. Tout comme elle a douloureusement conscience de ceux auxquels elle s’expose chaque fois qu’elle se glisse dans la peau d’Ivana. Sauf que Laoise, elle était amoureuse. Elle jouait pas les putains.
« Par la suite, je me suis mariée à un homme que je n’aimais pas pour faire plaisir à mes parents, qui ne voulaient surtout pas que je retombe dans mes vieilles habitudes “dépravées”. » La voix de Laoise la cueille sur les rebords de sa rive aux angoisses pour la raccrocher à son récit. La gorge nouée, Aisling l’écoute lui parler de ce mariage sans amour et sans envies. Cette union tout bien comme il faut dont le seul but est de conserver les apparences et faire taire les commérages. Une boule d’angoisse se loge dans ses côtes tandis qu’elle écoute l’irlandaise lui dépeindre sa réalité, reflet du cauchemar qui l’a poussée à fuir tant elle craignait de ne pouvoir le supporter. Les drogues, la violence, les photos et les lap-dance ; les piètres choix de son existence lui semblent bien plus doux comparés à la lente agonie dans laquelle Laoise s’est retrouvée enfermée pendant dix longues années. Surtout que moi, au bout… j’avais Sid. A la place, l’artiste peintre a obtenu un divorce, et la liberté de quitter enfin leur île grisâtre pour tenter d’étendre ses ailes au Canada. Cette page irlandaise enfin tournée, les poumons d’Aisling semblent moins réticents à s’emplir de l’air ambiant. Ou bien c’est peut-être le soulagement à peine perceptible de Laoise qui la gagne. « J’avais l’impression de revivre, d’être enfin libre. En même temps, j’étais complètement paumée. » Imitant son geste, Aisling pique un scone dans la petite assiette entre elles et le porte à ses lèvres pour mieux savourer son parfum doux et prononcé. « Après tant d’années à flotter dans ma vie plutôt que de la vivre, je ne savais plus vraiment qui j’étais. » Ces mots se fraient un chemin sous sa peau et résonnent étrangement en elle. Car pour la première fois de son récit, Aisling ne se contente pas d’imaginer ce que Laoise a éprouvé, elle le ressent dans ses tripes. Ça m’a fait pareil quand j’ai décidé de devenir sobre. Elle voudrait lui dire, un sourire encourageant au coin des lèvres. Mais elle n’ose couper le fil de ses pensées, alors elle se contente de garder le silence pour mieux l’écouter. « Encore moins comment je voulais exprimer ma féminité ou quoi faire de mon envie de séduire et d’être séduite maintenant que j’étais libérée des contraintes de ma famille et de ma religion. » Les lèvres pincées, Aisling laisse échapper un petit soupir compréhensif et hoche distraitement la tête. Leurs chemins sont bien différents, et pourtant le résultat est le même : après tant d’années à se renier, se cacher derrière leurs peurs ou des vêtements trop amples, l’envie de plaire s’est sournoisement niché dans leur poitrine. L’une pour l’amour, l’autre pour la liberté.
« Tu t’souviens comment t’as fait ? » Elle questionne timidement, brûlant de savoir comment elle a fini par apprivoiser sa sensualité et la laisser pleinement s’exprimer. Laoise lui offre un petit sourire indulgent et son regard s’illumine d’un éclat complice alors qu’elle lui confie comme pour la tempérer : « Au petit resto où je travaillais comme serveuse, l’un de mes collègues me plaisait pas mal. Je lui plaisais aussi… Pour la première fois depuis que j’étais adolescente, j’ai essayé de succomber à mon désir. Ça n’a pas vraiment fonctionné. » Une main placée contre ses lèvres, Aisling retient un soupir ému, déjà passionnée par cette histoire d’amour prometteuse digne d’une comédie romantique… jusqu’au dénouement un peu brutal. Les sourcils légèrement froncés, elle ne peut s’empêcher d’esquisser une petite moue, vaguement inquiète à l’idée de découvrir dans son explication un présage malheureux pour sa propre relation. « Je me suis rendu compte qu’il fallait que je désapprenne tout ce qu’on m’avait appris, que je rejette toutes les faussetés que j’avais internalisées et qui me poussaient à avoir honte d’être une femme. » Mais… j’ai pas honte d’être une femme ? J’ai honte d’être une traînée… Troublée, Aisling s’efforce pourtant d’enregistrer ses paroles, consciente malgré tout de ne pas être tout à fait en accord avec certains principes qui ont régi son enfance. L’amour charnel qu’Owen ne semble pas vraiment considérer comme un péché. La fluidité de Sid qu’elle ne parvient pas à voir comme quelque chose de mauvais. Juste… un peu surprenant. « Ça n’a pas été facile. J’ai fait une longue thérapie. J’ai parlé avec d’autres femmes qui avaient une vision totalement différente de la sensualité. J’ai peint aussi. Beaucoup. Mais j’ai fini par réapprivoiser ma sexualité et mon désir, et réussir à accepter que j’avais le droit de chercher et de ressentir du plaisir, que se donner ne veut pas dire se dévaluer. » Tu… t’as appris ça avec un psy et d’autres femmes ? Bien moins romantique qu’elle l’espérait, la méthode de Laoise la laisse pantoise et n’est pas vraiment pour la rassurer. Bah, j’vais à mes réunions DDA. Ça compte, pas vrai ? Ses dents se plantent nerveusement dans sa lèvre inférieure tandis que ses doigts s’enroulent à la lisière de ses manches, se déroulent avant de recommencer. Comme si elle sentait son incertitude, Laoise ne tarde à ajouter : « Tu sais, il y a autant de chemins différents qu’il y a de femmes. Ce qui a marché pour moi ne marchera pas nécessairement pour toi. Mes conclusions ne seront pas forcément les tiennes non plus. Il n’existe aucune bonne ou mauvaise réponse absolues à tes questions. Tout ce que tu peux faire, c’est découvrir ce qui te semble bon ou mauvais pour toi. » Ses paroles éveillent un petit espoir dans sa poitrine, rallument une flamme d’optimise au fond de ses yeux gris. « Ça m’rassure un peut qu’tu dises ça… » Elle avoue avec un sourire de côté. Puis ses yeux s’arrondissent et elle secoue frénétiquement la tête, agitant son épaisse frange noire au rythme de ses mouvements confus. « Enfin, le truc que tu viens d’dire, là. Comme quoi c’est peut-être pas la thérapie ou de parler à d’autres femmes qui m'aidera au final. » Elle précise d’un ton un peu précipité, soucieuse de ne pas la froisser ou insulter la confiance qu’elle lui a témoigné en lui parlant de son passé. « Je… j’aurais jamais pensé qu’t’avais vécu un truc pareil, en te voyant. Et j’suis vraiment désolée que t’aies dû subir tout ça. » Le poids de l’Irlande pèse un instant entre elle, les dogmes douloureux imprimés dans leur chair comme une empreinte qu’elles s’efforcent toutes les deux se camoufler. Une empreinte qui ne semble plus dicter l’existence de Laoise désormais. « J’suis pas très douée en dessin. Pas comme toi, ou comme mon copain. » Amusée par cette idée, elle se pince les lèvres pour éviter de se laisser distraire et vanter son talent en lui présentant toutes les pièces qu’il a encrées dans la peau fine de ses jambes et de ses pieds. « Mais j’aime bien danser. Et j’crois qu’j’aime bien les photos… même si j’ai jamais trop eu l’occasion d’en faire qui m’plaisaient vraiment. Comme elles sont plutôt censées plaire à d’autre, t’sais… » Elle avoue avec un petit haussement d’épaule, comme si ça ne la blessait pas tant que ça. Comme si elle ne luttait pas contre l’envie de s’assommer de drogues chaque fois qu’elle s’effeuillait sous le regard lubrique du photographe et froid de la caméra. « C’est pour ça qu’j’ai eu envie d’tester ton projet. J’me dis que p’t-être… ça pourrait m’aider ? » Une rougeur se peint sur ses joues, et elle est presque soulagée de voir leur serveur revenir, jovial et enclin à prendre leurs compliments sur la finesse du thé et l’intensité du café. Aisling se prête à l’exercice, soulagée de pouvoir se changer les idées avec une conversation un peu plus légère, pour une fois. Elle mord dans son scone lorsqu’il repart après avoir déposé l’addition entre elles sur la table, laisse échapper un ronronnement de plaisir en savourant son goût réconfortant et sucré. Elle est sur le point d’en faire la remarque quand un grand rire attire son attention. A la table d’à côté, une gamine aux grands yeux clairs jouent avec les longues mèches brunes de sa mère. Sans trop savoir pourquoi, ses yeux s’éloignent de ce portrait familial et s’égarent du côté de Laoise, qui observe la scène avec un air attendri et un peu figé, comme en proie aux fantômes de son passé. « Et euh… t’en as eu, des enfants, après ? » La question lui échappe avant qu’elle n’ait le temps de l’analyser et la retenir. Horrifiée, Aisling se mord les lèvres et se prend à espérer que, perdue dans son observation, Laoise n’a pas entendu sa pointe de curiosité mal placée.
Pando + whitefalls
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Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
Même si j’ai dû me plonger dans mes souvenirs pour raconter mon histoire, les mimiques nerveuses d’Aisling ne m’ont pas échappé. Du regard, j’effleure ses doigts recourbés autour des manches de son pull. Je ne peux m’empêcher de la trouver touchante avec sa vulnérabilité à fleur de peau qu’elle n’essaie pas vraiment de dissimuler. C’est peut-être pour cette raison que j’ai ressenti le besoin de préciser que mon histoire n’est pas la sienne et, surtout, que je ne prétends avoir les réponses à toutes ses questions. Une précision qui semble la réconforter : « Ça m’rassure un peu qu’tu dises ça… » Je la devine beaucoup plus détendue qu’au début de notre rencontre et ça me fait plaisir, même si elle se redresse déjà dans son fauteuil, l’air vaguement stressée. « Enfin, le truc que tu viens d’dire, là. Comme quoi c’est peut-être pas la thérapie ou de parler à d’autres femmes qui m’aidera au final. » Je m’empresse de lui offrir un sourire indulgent, comme pour lui communiquer silencieusement que je n’ai pas cru un instant que ça pouvait être mon histoire tragique qui l’a rassurée. « Je… j’aurais jamais pensé qu’t’avais vécu un truc pareil, en te voyant. » Je ne suis pas vraiment surprise. Toute mon enfance, ma mère a cherché à m’inculquer le sens du devoir et à me faire comprendre qu’une femme doit toujours rester digne et fière face à l’adversité, et ne jamais montrer plus d’émotion que nécessaire. Cet enseignement m’a manifestement mieux réussi que ses leçons sur l’importance suprême de la pureté, car dès l’instant où mon secret a éclaté au grand jour, j’ai commencé à perfectionner le masque derrière lequel je me replie encore aujourd’hui pour dissimuler ma douleur et l’absence cuisante de la honte que j’aurais dû ressentir. Je l’ai si bien confectionné que je réussis parfois à me duper moi-même, et alors, l’espace d’un instant, j’oublie. J’oublie, jusqu’à ce que les souvenirs ne remontent, comme invoqués par une puissance supérieure qui refuse de les voir se fondre dans mon passé et s’acharne à les ressusciter. « Et j’suis vraiment désolée que t’aies dû subir tout ça. » Ses paroles me sont précieuses, sûrement plus qu’elle ne l’imagine. Je sais qu’elle me comprend parce que je sais qu’elle a connu le même climat angoissant et oppressant que moi, et qu’elle aussi se bat encore avec les fantômes de son enfance.
Comme si elle ressentait elle aussi le besoin de les repousser, elle change de sujet. « J’suis pas très douée en dessin. Pas comme toi, ou comme mon copain. » Comme chaque fois qu’elle parle de lui, sa voix se charge d’une chaleur qui trahit l’affection pure qu’elle ressent de toute évidence pour cet homme. Et moi, je me prends à espérer qu’il soit digne des sentiments qu’elle éprouve à son égard. « Mais j’aime bien danser. » Je trouve que ça lui va bien. Malgré sa nature visiblement nerveuse, il y a souvent dans sa façon de bouger une certaine grâce qui s’agence bien à son amour de la danse. J’aimerais que son portrait le reflète, même si je ne vois pas encore tout à fait comment. « Et j’crois qu’j’aime bien les photos… même si j’ai jamais trop eu l’occasion d’en faire qui m’plaisaient vraiment. Comme elles sont plutôt censées plaire à d’autre, t’sais… » Ça me plaît qu’elle s’intéresse encore à la photographie malgré tout ce qu’elle semble avoir été obligée de sacrifier à cette forme d’art. Les sourcils délicatement froncés, je me dis que nous pourrions profiter de cette séance pour lui offrir un photoshoot qu’elle aurait véritablement envie de faire. De toute évidence, ses pensées rejoignent les miennes. « C’est pour ça qu’j’ai eu envie d’tester ton projet. J’me dis que p’t-être… ça pourrait m’aider ? » Je hausse un sourcil, lui lance un regard complice. « Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir… » Antoni revient sur ces entrefaites. Toujours aussi enthousiaste, il nous pose une multitude de questions sur le goût et la qualité de notre commande et nous y nous répondons avec plaisir jusqu’à ce que, interpelé par un autre client un peu impatient, il dépose l’addition devant nous et s’éloigne d’un pas pressé.
En me penchant pour récupérer la feuille, je me laisse distraire par le rire flûté d’un enfant qui éclate juste à côté de nous. C’est plus fort que moi, je me tourne vers la source de ce son délicieux. À la table d’à côté, une femme agite une peluche colorée sous le nez de sa fille qui rigole à pleins poumons à tous les coups. La gorge serrée, j’observe le visage de la gamine, qui a enroulé ses doigts dans les mèches brunes de sa mère et la bouffe de ses grands yeux pleins d’adoration. Hypnotisée, j’essaie de me détourner sans y arriver malgré l’envie lancinante qui me lacère le cœur. Comme j’aurais voulu pouvoir goûter ne serait-ce qu’un instant à cet amour si puissant et inconditionnel qui unit une mère à son enfant! « Et euh… t’en as eu, des enfants, après ? » La voix d’Aisling m’arrache aux remous sombres de mes émotions avant qu’ils n’aient pu m’entraîner trop loin dans mes souvenirs. Je me redresse, la petite feuille entre les mains. Le regard rivé sur le papier, je le plie soigneusement en deux, me concentre sur les coins pour m’assurer qu’ils s’alignent à la perfection. Puis, je fais signe que non. Mes avant-bras appuyés sur mes cuisses, je relève la tête et croise le regard horrifié d’Aisling, qui semble regretter sa question. « J’aurais pu. Mais je n’en ai pas eu la force. » Cette fois, je n’ai pas l’intention d’en dire plus. Parce qu’à part Padraig qui a eu le malheur d’assister en direct à ma fausse couche, seule Jaimie sait que je suis tombée enceinte une deuxième fois. Et même lorsque je lui en ai parlé à elle, des années après l’événement, je n’ai pu me résoudre à lui parler de l’ampleur du soulagement abject qui m’a envahie lorsque j’ai senti que mon corps rejetait cet enfant innocent. Si je n’ai jamais réussi à ressentir la honte qu’on attendait de moi pour mon péché, je porte encore le poids de ce sentiment de délivrance coupable.
Secouée, je glisse entre mes lèvres le dernier morceau de mon scone à l’orange pour tenter de chasser le goût amer de mes blessures. Pour reprendre contenance, je me concentre sur le travail qui nous attend cet après-midi. « Comme tu es partante pour le projet, il y a quelques détails que tu devrais connaître par rapport à notre entente et à ma méthode de travail. » Afin d’être certaine d’avoir toute son attention, j’attends qu’elle ait acquiescé avant de continuer. « Tu l’as sans doute compris, mais il n’y a aucune rémunération monétaire pour ton temps. En revanche, tu auras droit à dix imprimés numérotés et authentifiés de la toile ainsi qu’à deux billets gratuits pour l’exposition lorsqu’elle sera prête. Un pour toi et un pour l’invité de ton choix. » Je laisse un sourire en coin filtrer au coin de mes lèvres. Je me doute déjà de l’identité de son invité et son air qui se teinte de timidité semble me le confirmer. « Ah et puis c’est moi qui t’invites pour le thé et le scone! » que j’ajoute d’un ton enjoué en agitant l’addition que je tiens toujours entre l’index et le majeur. « Je veux que tu me donnes ton opinion sincère sur ce que je te proposes et j’ai envie d’entendre tes idées aussi. Je n’ai pas l’intention d’exposer un portrait de toi que tu n’aimes pas. » En soutenant son regard pour qu’elle comprenne toute l’importance de cette précision, je me redresse légèrement dans mon fauteuil. « Aujourd’hui, j’aurai besoin que tu poses pour moi le temps que je fasse le croquis de ton portrait et quelques photos, que j’utiliserai ensuite comme références pour terminer la toile. » Je laisse une pointe d’excitation se propager dans ma voix alors que je lui expose le reste de mon idée : « Normalement, il me faut seulement deux ou trois clichés, mais je pense qu’avec toi, on pourrait faire un vrai photoshoot. Juste pour le plaisir. » Et pour tester nos idées aussi, mais je n’insiste pas là-dessus, convaincue qu’Aisling a compris que je lui offre une occasion de faire exactement ce dont elle a envie devant la caméra et rien d’autre. « Même si je dois préciser que je suis meilleure peintre que photographe… » Heureusement, jusqu’à maintenant ma vision créative a réussi à contrebalancer à la perfection mon manque de technique et je ne vois pas pourquoi les choses seraient différentes avec ma nouvelle muse. De mon portefeuille, je sors un billet de vingt dollars que je glisse dans l’addition pliée en deux, puis je les pose tous les deux sur la table. Je relève ensuite la tête pour croiser le regard songeur d’Aisling. « As-tu des questions ? Des inquiétudes ? »
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
Elle a entendu. C’est dans les gestes un peu trop vifs et précis de ses mains, dans l’ombre qui passe dans son regard qui la fuit, dans le petit mouvement de tête enfin. Glacée d’horreur et de gêne, Aisling s’étouffe sur les excuses qu’elle aimerait débiter pour tenter de retirer la peine qu’elle vient de lui infliger. Mais Laoise ne lui en laisse pas l’occasion. « J’aurais pu. Mais je n’en ai pas eu la force. » Son ton est doux, ses paroles empreintes de vulnérabilité… mais pas de regret. D’une touche de résignation peut-être, pour mieux accepter le passé, ou clore la discussion. Les lèvres pincées, Aisling hoche fébrilement la tête, déterminée à ravaler les questions indiscrètes qui voudraient encore lui échapper et qui n’ont plus leur place entre elles désormais. « J’suis désolée. » Elle souffle plutôt, d’une voix qui essaie de s’oublier, dans l’espoir de n’être entendue que pour apaiser, et effacée dans le cas où elle offenserait. Les sourcils de Laoise se froncent légèrement alors qu’elle se retranche derrière sa bouchée, et lorsque sa voix s’élève à nouveau, elle est calme, posée. Nimbée de l’assurance qui l’a tout de suite intimidée, adoucie par cette bienveillance qui l’a doucement apprivoisée. « Comme tu es partante pour le projet, il y a quelques détails que tu devrais connaître par rapport à notre entente et à ma méthode de travail. » Un peu rassurée de sentir la discussion revenir sur un terrain moins glissant, Aisling opine pour indiquer son accord, prête à se concentrer sur les indications qu’elle voudra bien lui fournir, espérant secrètement qu'elles seront nombreuses. A l’image de son enfance ordonnée, plus les règles sont précises, plus il lui est facile de s’y conformer et ainsi devenir exactement ce que l’on attend d’elle. Mais plutôt que sa façon de travailler, c’est l’aspect financier que l’artiste souhaite aborder. « Tu l’as sans doute compris, mais il n’y a aucune rémunération monétaire pour ton temps. » Depuis l’instant où elles ont commencé à discuter par e-mail, Aisling s'est interrogée sur ce point. Habituellement, elle refuse d’office ce genre de projet, motivée seulement par les revenus qu’elle pourrait en tirer. Et pourtant, cette fois, elle sent bien que ça ne lui importe pas tant que ça. Peut-être que le projet est différent. Que la vision de Laoise lui plait. Peut-être aussi qu’en elle, au cours des dernières semaines, quelque chose a changé. « En revanche, tu auras droit à dix imprimés numérotés et authentifiés de la toile ainsi qu’à deux billets gratuits pour l’exposition lorsqu’elle sera prête. Un pour toi et un pour l’invité de ton choix. » Un petit sourire se dessine au coin de ses lèvres alors qu’elle hoche la tête, imaginant déjà la surprise de Sid lorsqu’elle lui remettra son billet et l’entraînera à travers les œuvres de Laoise pour lui présenter sa toile… l’excitation légère qu’elle ressent se teinte soudain d’angoisse alors qu’elle visualise la galerie et son portrait dénudé ainsi exposé à la vue des passants, dévoilant cette essence intime qu'elle avait promis de lui réserver. Mais c’est la pire idée du monde, il va détester ! « Ah et puis c’est moi qui t’invites pour le thé et le scone ! » La réflexion inattendue l’arrache à son anxiété et la ramène au présent, au tintement des cuillères dans les coupes, au roucoulement de la machine à café, à son odeur amère et étrangement réconfortante. « Oh… c’est gentil, merci. » Elle bafouille en tirant sur ses manches pour tenter d’évacuer l’énergie nerveuse qui s’est emparée d’elle.
Ce point étant éclairci, Laoise reprend tranquillement ses explications, qui concernent le fonctionnement de leur collaboration cette fois. « Je veux que tu me donnes ton opinion sincère sur ce que je te proposes et j’ai envie d’entendre tes idées aussi. Je n’ai pas l’intention d’exposer un portrait de toi que tu n’aimes pas. » Troublée, Aisling s’efforce de soutenir ce regard franc, ce regard qui lui promet une expérience si différente de ce à quoi elle s’est habituée. Une expérience qui lui fait envie et qui l’effraie, tant elle l’entraîne loin des sentiers auxquels elle s’est cantonnée et qui ont fini par lui sembler presque confortables tant ils sont familiers. Avec une pointe d’amusement, elle songe encore à sa sœur ainée, qui ne manquerait pas de la comparer à un poney refusant de sortir de son manège à force d’y avoir trop tourné, effrayé par l’immensité des champs encore inexplorés qu’il imagine regorgeant de dangers. « Promis, j’vais essayer. » Elle assure alors avec un sourire empreint de réserve et de timidité. J’vais vraiment, vraiment essayer. « Aujourd’hui, j’aurai besoin que tu poses pour moi le temps que je fasse le croquis de ton portrait et quelques photos, que j’utiliserai ensuite comme références pour terminer la toile. » Soudain, le terrain lui semble plus connu, moins terrifiant, parsemé d’étapes qu’elle a l’habitude de rencontrer, de sensations qu’elle saura reconnaître et exploiter. Son seul challenge au fond sera de les aborder avec son essence, sans se replier derrière le masque d’Ivana qui l’a trop longtemps contrainte et protégée. « Okay. » Elle lance avec un peu plus de confiance, le cœur rempli d’un espoir timide qu’elle n’ose pas entièrement explorer. Visiblement satisfaite, Laoise laisse une étincelle pétiller dans son regard alors qu’elle lui propose d’un ton enjoué : « Normalement, il me faut seulement deux ou trois clichés, mais je pense qu’avec toi, on pourrait faire un vrai photoshoot. Juste pour le plaisir. » Gagnée par son enthousiasme, Aisling laisse un sourire sincère étirer ses lèvres tandis que ses épaules se détendent enfin. Parce que la séance de peinture aussi fascinante qu’inquiétante vient de se transformer en expérience amusante entre artistes, en séance photo entre copine. Et les séances photos, ça la connaît. « Même si je dois préciser que je suis meilleure peintre que photographe… » Les sourcils vaguement froncés, Aisling secoue doucement la tête. « J’ai vu tes photos sur Insta, elles sont super ! » Elle proteste d’un ton confiant, se repassant le feed de l’artiste peintre en mémoire. Sa technique n'est pas toujours aussi précise que les photographes avec lesquels Aisling a l’habitude de travailler, mais les prises de vue sont intéressantes, la composition inspirée, l’émotion qu’elles renferment palpable. Et l’art, c’est surtout censé émouvoir. « En vrai j’adorerais faire un photoshoot avec toi. » Elle avoue en enroulant songeusement ses bras autour de ses jambes repliées. « Surtout qu’ça pourrait vraiment m'aider… j’veux dire j’ai l’habitude d’être Ivana les yeux fermés, mais exprimer ma propre sensualité… j’ai peur de pas y arriver. Alors j’me dis que si j’regarde les photos, j’pourrai vérifier qu’c’est bien moi… que j’me cache pas… derrière tout ça. » D’un geste un peu vague, elle désigne ses vêtements, son physique, les bribes d’étoffe et d’enveloppe corporelle derrière lesquelles elle s’emprisonne pour préserver ce petit bout d’Aisling si fragile qu’elle ne devait jamais le libérer mais qui espère secrètement trouver une protection plus douce dans le regard de Sid et entre ses grandes mains tatouées.
« As-tu des questions ? Des inquiétudes ? » La voix de Laoise l’arrache à ses pensées enrobées de sentiments doux et effrayants mêlés. Un peu perdue, elle ramène ses grands yeux sur la jolie brune et secoue précipitamment la tête. « Oh… non, non. » Elle répond par réflexe, fronce les sourcils, se mord la lèvre. « Enfin si… un peu. » S’efforçant d’honorer sa promesse d’être sincère, Aisling prend une inspiration dans l’espoir de trouver dans cette odeur de café (qui à la réflexion lui rappelle peut-être les réveils agréables en compagnie de Sid) le courage de s’exprimer. « C’est p't-être un peu bizarre parce que t’as vu mes photos partout en ligne mais… euh… c’que j’voudrais incarner sur cette toile, j’l’ai jamais montré à personne avant. Alors j’sais pas si tu comptes la vendre après, mais au cas où, j’voudrais… enfin j’préfèrerais… enfin c'serait cool qu’tu laisses aucun homme l’acheter...si t’es d’accord…si c’est okay… » Sa voix se fait plus basse, plus embrouillée à mesure qu’elle expose timidement son idée. Elle n’ose pas aller jusqu’au bout de sa pensée, ni se renseigner sur ses prix par peur de paniquer. Elle n’ose surtout pas lui confier son espoir de pouvoir un jour la racheter afin d’en faire cadeau à celui qui a fait bourgeonner en elle l’envie d'explorer ses désirs et se réconcilier avec sa sensualité. Pour qu’il n’ait jamais à la partager, comme il doit déjà le faire avec Ivana. « Et puis j’avais d’autres questions aussi ! » Elle se coupe d’une voix un peu trop forte et précipitée, comme pour effacer sa requête si déplacée. Les mains tremblantes, elle plonge dans son sac pour en sortir un petit papier chiffonné sur lequel elle a inscrit les questions qu’elle devait lui poser. « Bon alors ça on a vu, ça aussi… » Elle marmonne en passant en revue les sujets que Laoise a déjà naturellement évoqués. « Ah, oui. Ça t’prend combien de temps en général pour finir un portrait ? Parce que c’est bientôt la St Valentin et j’me disais que j’aimerais bien l'montrer en avant-première à mon copain. » Elle bredouille en se retranchant sous sa frange pour tenter de camoufler ses joues rosées. A la base, ce devait être un cadeau sensuel pour lui faire plaisir, un soupir de ce qu’il lui inspire. L’assurance d’être le seul à voir cette part d’elle et une preuve concrète à laquelle se raccrocher les jours où il lui est plus difficile de se confronter aux commentaires déplacés de certains de ses clients ou aux photos osées qu’il voit forcément passer sur Instagram et auxquelles il n’ose pas toujours réagir, ce qui la soulage et l’attriste en même temps. Mais maintenant qu’elle est sur le point de se lancer, elle ne peut s’empêcher de penser que ce sera aussi un bon moyen de jauger sa réaction, déterminer s’il semble plutôt touché ou énervé ce projet… afin de pouvoir débarquer chez Laoise en catastrophe et la supplier de tout arrêter s’il devait trouver insupportable l’idée de partager cette intimité avec les visiteurs de la galerie. « Et puis euh… j’me demandais… tu vas juste exposer en Australie ou bien ailleurs… genre en Irlande aussi ? » Hantés, ses yeux se détachent de sa liste pour se braquer sur le visage de Laoise, reflet de ses inquiétudes tandis que ses doigts replient fébrilement le petit papier, affiné à force d’avoir été trop trituré, fragile comme son cœur en proie à l’assaut incessant de son esprit angoissé.
Pando + whitefalls
you feel like heaven
Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
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D’un mouvement un peu frénétique, Aisling secoue la tête avant de m’assurer qu’elle n’a ni questions ni inquiétudes d’une petite voix si nerveuse que j’ai du mal à la croire. Il semblerait d’ailleurs que mon intuition ne m’ait pas trompée puisqu’elle se reprend quelques secondes plus tard avec un froncement de sourcil contrarié. « Enfin si… un peu. » Dans l’espoir de l’encourager à aller au bout de sa pensée, je lui adresse un hochement de tête patient. « C’est p’t-être un peu bizarre parce que t’as vu mes photos en ligne mais… euh… c’que j’voudrais incarner sur cette toile, j’l’ai jamais montré à personne avant. Alors j’sais pas si tu comptes la vendre après, mais au cas où, j’voudrais… enfin j’préfèrerais… enfin c'serait cool qu’tu laisses aucun homme l’acheter...si t’es d’accord…si c’est okay… » Sa timidité me donne envie de sourire et me serre le cœur tout à la fois. Depuis le début de notre conversation, j’ai pu sentir l’importance de ce portrait à ses yeux. La dernière chose que je voudrais, c’est en disposer froidement. Mais avant que j’aie pu la rassurer sur le sort que je réserve à sa peinture et son droit parfaitement légitime de décider qui l’achètera, elle me coupe la parole. « Et puis j’avais d’autres questions aussi ! » Mes mains sagement croisées reposant sur mes cuisses, je l’observe d’un regard serein tandis qu’elle fouille dans son sac pour en tirer une petite feuille brouillon qu’elle déplie maladroitement. Elle parcourt du regard les notes qui y sont inscrites jusqu’à ce qu’elle repère l’une des questions que nous n’avons pas encore abordées. « Ah, oui. Ça t’prend combien de temps en général pour finir un portrait ? Parce que c’est bientôt la St-Valentin et j’me disais que j’aimerais bien l’montrer en avant-première à mon copain. » Distraitement, je me mordille l’intérieur de la joue en réfléchissant à sa demande. D’ici à la St-Valentin, il y a un peu plus d’un mois. J’ai quelques commandes à terminer avant de pouvoir me mettre sérieusement à son portrait, mais j’estime qu’il me faudra probablement deux ou trois semaines pour accomplir le gros du travail. Les imprimés que je lui ai promis ne seront évidemment pas prêts puisque je dois envoyer toutes les images d’un coup à mon imprimeur une fois la série terminée. Cependant, la toile elle-même sera sûrement assez avancée pour qu’Aisling puisse au moins montrer une photo du résultat presque final à son copain. Elle m’arrache à mes calculs pour me poser d’une voix pas totalement assurée sa dernière question, celle qui, à en juger par le stress qui émane tout à coup de sa personne, doit la torturer depuis que je l’ai approchée pour lui parler de mon projet. « Et puis euh… j’me demandais… tu vas exposer en Australie ou bien ailleurs… genre en Irlande aussi ? » Elle ne m’a rien dit des raisons qui l’ont poussée à fuir notre pays d’origine, mais en croisant son regard hanté, je n’ai aucun mal à imaginer qu’elle a encore de la famille là-bas et qu’elle ne souhaite pas qu’on la retrouve. Sans doute n’a-t-elle pas particulièrement envie d’y remettre les pieds non plus, même en effigie. Je la comprends. Rien ne pourrait me convaincre de retourner en Irlande. Rien, sauf Terrence.
Repoussant le visage de son fils qui choisit ce moment pour s’imposer dans mon esprit, je m’empresse de rassurer Aisling, un sourire bienveillant aux lèvres. « Pour l’instant, je compte seulement exposer à Brisbane. Et si je devais exposer la série ailleurs, ça serait à Vancouver, où j’habitais avant d’arriver ici. » D’un coup, le manège nerveux de ses doigts qui trituraient la feuille de papier cesse. « Du reste, notre entente concerne seulement cette exposition-ci, en Australie. Je te demanderais la permission avant de proposer la série à une autre galerie et tu aurais le droit de refuser que ta toile soit présentée avec les autres. » La tension qui raidissait ses muscles semble se dissiper, tout comme le voile qui obscurcissait ses grands yeux. J’en profite donc pour répondre à une autre de ses questions. « Comme tu as le droit de me demander que ton portrait ne soit pas vendu à un homme. » Derrière le rose qui lui monte aux joues, elle semble surprise de ma réponse. « J’ai l’intention de verser les profits de la vente des toiles à un organisme qui appuie les femmes de la région. Pour moi, ça serait un non-sens de leur remettre de l’argent que j’aurais obtenu en contrevenant aux souhaits de l’une des femmes qui a accepté de poser pour moi. Tu comprends ? » Ce que je tais soigneusement pour l’instant afin de ne pas lui faire de fausse joie, c’est que j’ai déjà de moins en moins envie de vendre la toile sur laquelle nous aurons travaillé ensemble. Alors même que son portrait n’est encore qu’un concept un peu abstrait dans ma tête et la sienne, je sens déjà qu’il s’agit d’une image trop précieuse pour la céder au plus offrant et qu’elle devrait seulement se retrouver entre les mains de celle à qui elle revient de droit. « Je ne pense pas que j’aurai complètement terminé la toile avant la St-Valentin, mais elle devrait être assez avancée pour que ton copain ait une bonne idée du résultat final. » Je ne peux m’empêcher d’espérer que son opinion sur le portrait n’aura pas d’incidence sur l’envie d’Aisling de participer à l’exposition, même si je me doute que oui. Évidemment, je garde mes opinions pour moi comme je n’ai vraiment aucun droit de me mêler de sa relation et me lève plutôt de mon fauteuil. « Prête à découvrir le studio ? » que je demande à ma nouvelle modèle en époussetant du revers de la main ma salopette pour en chasser les miettes qui auraient pu s’égarer sur le jean.
Ensemble, nous sortons du petit café. Avant de pousser la porte, je salue Antoni qui m’adresse en retour un signe amical de la main. À l’extérieur, la chaleur australienne nous frappe de plein fouet. « Ce n’est vraiment pas très loin d’ici, à une dizaine de minutes environ, » dis-je en entraînant Aisling vers la gauche. Le trajet est agréable, ponctué d’une discussion légère où nous échangeons nos impressions sur notre ville d’adoption. Même si elle s’y est installée bien avant moi, je comprends que la jeune femme n’a pas vraiment eu l’occasion de découvrir Brisbane elle non plus, à l’exception des quartiers qu’elle fréquente. Elle me décrit tout de même quelques-uns de ses endroits préférés, le toit d’un hôtel, surtout, où elle va parfois danser avec son copain. Je ne peux m’empêcher de sourire en les imaginant virevolter main dans la main, silhouettes sombres qui se dessinent sur un fond de soleil couchant. En arrivant devant ma petite maison, je sors mes clés de ma poche et déverrouille la porte d’entrée. Je laisse Aisling passer la première puis me glisse derrière elle dans la cuisine ensoleillée qui m’a séduite dès ma première visite. Une moue désolée aux lèvres, je désigne d’un geste ample les tas de planches qui n’attendent que d’être posés. « C’est un peu le bordel, je sais. Je suis en pleine rénovations, comme tu peux voir… Mon studio est en haut par contre, et l’étage est terminé. » Cette fois, je m’engage en premier dans l’escalier étroit qui mène au deuxième, satisfaite d’entendre les pas d’Aisling derrière moi. Enfin, mon studio baigné de lumière s’offre à nous. Humant l’odeur de peinture qui me donne toujours l’impression de rentrer chez moi, je fais quelques pas dans la pièce. « Tu peux mettre tes affaires là si tu veux. » De l’index, j’indique à Aisling l’espace qui se trouve immédiatement à la droite de la porte, que j’ai tenté de transformer en un genre de petit boudoir chaleureux. Deux bancs recouverts d’un coussin en velours violet forment un L qui épouse le coin de la pièce. Au mur, des crochets n’attendent que les vêtements de mes modèles tandis qu’un miroir plein pied leur permet de jeter un coup d’œil à leur apparence. Enfin, un paravent coloré sur lequel j’ai peint des bouquets de fleurs protège leur intimité jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à sortir. Même si elle hoche timidement la tête, Aisling semble pour l’instant continuer à s’accrocher à la courroie de son sac. Je n’insiste donc pas. Déterminée à la mettre à l’aise, je l’invite plutôt à s’approcher de l’énorme foyer qui occupe une bonne partie du mur à notre gauche. Après les énormes fenêtres, c’est certainement ce que je préfère dans cette pièce. « J’ai pensé que tu pourrais t’installer ici, devant l’âtre. » Ça me semble être le décor parfait pour notre séance, peut-être parce que quelque chose dans le marbre noir strié de veinures plus pâles me rappelle l’énergie de la jeune femme. Sans compter que les couleurs sombres s’agenceront à merveille avec sa chevelure et son teint lumineux. « On pourrait t’installer un banc ou un fauteuil devant pour que tu sois plus confortable. » D’un petit hochement de tête sec, j’attire son attention vers les quelques meubles entreposés dans un autre coin de la pièce, tout prêts à être déployés au gré de nos envies artistiques.
Aisling Hayes
les fleurs du mal
ÂGE : 28 ans, née le 20 février 1994 SURNOM : Ash par ses amis, Bambi ou le faon par Phoenix, Leen par son Sid... et Ivana Rose sur instagram. STATUT : Essaie d'écouter son cœur, de le confier à Sid malgré sa peur. MÉTIER : Modèle alternative (Suicide Girls, OnlyFans) effeuilleuse quelques soirs par semaine, poupée brisée à plein temps. LOGEMENT : Appart' #353 à Redcliffe POSTS : 1377 POINTS : 40
TW IN RP : par mp si besoin ♡ ORIENTATION : Je n'aime que ma moitié. PETIT PLUS : Née en Irlande du Nord dans une famille très catholique, parle avec un accent gaélique. A troqué les rues pluvieuses de Belfast pour le soleil de Brisbane mais son existence est toujours aussi grise. Se croit bonne à rien si ce n’est à jeter son corps en pâture aux caméras. Faut bien payer le loyer et sa dette envers le club. Aisling se réfugie dans les bras de son Sid et dans les chansons qui ouvrent son cœur à sa place. Le son à fond, elle danse pour extérioriser le tumulte de ses sentiments. Parfois, elle chante aussi… mal, elle trouve. Végétarienne, ancienne junkie, sobre depuis 10 moisCODE COULEUR : #ff6699 RPs EN COURS : Sid [14] ♡ Sid [16] ♡ Sid [fb2] ♡ Sinner [r.a.] ♡ Robin [4] ♡
Sid ♡ I won't turn back I won't cross that hidden danger line. It's a loud and dark world but I think I found the light. I need you to tell me everything will be alright, to chase away the voices in the night; when they call my name.
Robin ♡ you lead the blind you lead the stream, the current ways are much to lean, you are the captain of the team!
Phoenix ♡ I need a hero, I'm holding out for a hero 'til the end of the night. He's gotta be strong and he's gotta be fast, and he's gotta be fresh from the fight. He's gotta be larger than life!
Now their heart's hollow, soul in sorrow, eyes cold and innocence stolen. They are the children of the cross. Love taken, God forsaken, failed by the one they relied on. They are the children of the cross.
La réponse de Laoise ne se fait pas attendre : « Pour l’instant, je compte seulement exposer à Brisbane. Et si je devais exposer la série ailleurs, ça serait à Vancouver, où j’habitais avant d’arriver ici. » Lorsque le soupir de soulagement libère enfin ses poumons, Aisling constate avec étonnement qu’elle retenait sa respiration depuis l’instant où sa dernière question s’est échappée de ses lèvres. Brisbane et Vancouver. C’est bien. C’est loin. Elle songe avec un petit hochement de tête déterminé, les espaces dégagés de Vancouver et les allées baignées de soleil de Brisbane éclipsant le brouillard oppressant qui entoure ses souvenirs de Belfast. « Du reste, notre entente concerne seulement cette exposition-ci, en Australie. Je te demanderais la permission avant de proposer la série à une autre galerie et tu aurais le droit de refuser que ta toile soit présentée avec les autres. Comme tu as le droit de me demander que ton portrait ne soit pas vendu à un homme. » Un petit pli perplexe se creuse entre ses sourcils et une lueur d’étonnement passe dans ses yeux gris. Car de sa vie, Aisling n’a jamais eu son mot à dire sur le destin de son image. Il y avait toujours un contrat, oui. N’empêche que les photos censées être protégées par un abonnement sur ses espaces SG ou Only Fans finissaient toujours par se retrouver sur des sites douteux. A l’époque où le club gérait toutes ses activités, un type était chargé de traquer ces brèches afin d’exiger une compensation financière pour chaque cliché ainsi usurpé. Mais depuis qu’elle gère seule les miettes de ce gagne-pain dans lequel elle n’aurait jamais dû se lancer, Aisling n’a ni l’énergie, ni les connaissances pour se battre contre ces dérives. Alors elle se contente de les ignorer, se répète inlassablement qu’elle a abandonné son droit à la dignité à l’instant où elle a accepté de se déshabiller devant une caméra pour la toute première fois. Sauf que la promesse de Laoise lui laisse entrevoir une autre possibilité, rallume un petit espoir tout au fond de sa poitrine tout en rendant plus douloureux encore ces manquements passés. « C’est… c’est gentil, merci. » Elle bafouille en repliant maladroitement son petit papier, le cœur froissé de sentiments mitigés. Car si les paroles de l’artiste-peintre l’ont libérée des angoisses qui cette incertitude imprimait dans sa chair, Aisling ne peut s’empêcher de redouter le poids de cette nouvelle responsabilité dont elle ne sait que faire. Comment j’saurais, moi, où j’ai envie d’être exposée alors que rien qu’à Brisbane ça m’fait déjà flipper ?
« J’ai l’intention de verser les profits de la vente des toiles à un organisme qui appuie les femmes de la région. » Continue Laoise de ce ton plein d’assurance en déroulant sa pensée chargée de cohérence. « Pour moi, ça serait un non-sens de leur remettre de l’argent que j’aurais obtenu en contrevenant aux souhaits de l’une des femmes qui a accepté de poser pour moi. Tu comprends ? » Sa voix douce l’apaise étrangement, et un nœud agréable se forme dans sa gorge alors qu’elle hoche timidement la tête. « J’comprends, ouai. » Elle murmure en gratouillant les coutures de son pull trop grand, cligne des paupières pour chasser l’émotion qui picore le coin de ses yeux. Parce que c’est beau, sa façon d’utiliser son art pour rendre la parole aux femmes qui en ont trop longtemps été privées, de puiser ainsi dans leur histoire de quoi soutenir celles qui n’ont pas la chance de l’avoir rencontrée. Quelque part, ça lui redonne foi en l’humanité et remplit ses poumons d’un nouveau souffle d’inspiration. Parce que ça lui rappelle la petite étincelle qui s’allume timidement dans son cœur chaque fois qu’elle canalise son énergie pour guérir plutôt que détruire. Le soir où elle a pu être là pour Sid quand il en avait le plus besoin. La danse qu’ils ont interprétée pour lever des fonds à destination des animaux menacés par les feux. Ou encore sa discussion difficile avec l’ado à la dérive qu’Owen lui avait envoyée dans l’espoir qu’elle comprenne à travers son expérience comme le monde de la rue est impitoyable, et dépourvu de la moindre opportunité pour une jeune femme paumée. Emue à la perspective de pouvoir participer à ce joli projet, il lui faut in instant pour renouer avec le thème de leur discussion quand la voix de Laoise s’élève à nouveau pour lui fournir l’information qu’elle avait demandée. « Je ne pense pas que j’aurai complètement terminé la toile avant la St-Valentin, mais elle devrait être assez avancée pour que ton copain ait une bonne idée du résultat final. » Une bourrasque de sentiments mitigés délie ses poumons et froisse délicatement son cœur. « Oh, t’inquiète, c’pas très grave au pire... » Ses mains agrippent nerveusement ses manches, ses lèvres esquissent un sourire en coin empreint de timidité. Car l’idée de montrer cette œuvre à Sid la remplit d’excitation et d’anxiété. Et même si elle espérait lui offrir une copie symbolique de son portrait dépourvu d’artifices pour la fête des amoureux, Aisling ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de soulagement à l’idée que le destin ait décidé de s’en mêler pour l’en dissuader. Car ce projet lui demande une telle vulnérabilité qu’elle n’est pas certaine de pouvoir s’en remettre s’il venait à le détester.
La silhouette de Laoise s’extirpant de son fauteuil la tire de ses pensées. « Prête à découvrir le studio ? » Elle lance d’une voix pleine d’entrain et de respect. Une voix qui lui donne envie de sauter sur ses pieds pour la suivre dans cette aventure un peu folle sans plus se soucier des conséquences de leur créativité. « J’crois bien qu’oui ! » Un vent nouveau s’insuffle dans ses poumons, alimenté par la brise marine qui lui chatouille les narines lorsqu’elles se coulent hors du café et remontent la rue bordée de petites boutiques aux vitrines joliment décorées. « Ce n’est vraiment pas très loin d’ici, à une dizaine de minutes environ. » Aisling hoche distraitement la tête, se laisse guider à travers ces ruelles qu’elle ne connaît pas encore et qui ne demandent qu’à lui devenir familières. A chaque pas en avant, elle sent son cœur s’alléger. Comme si son esprit ainsi occupé à inspirer les odeurs et les couleurs de la ville n’avait plus l’énergie de déchiqueter chacune de ses pensées pour se blesser sur leurs petits bouts coupants et faussés. La présence de Laoise aide, aussi. Son accent doux et étrangement familier. Sa discussion légère et son air intéressé. Tant de détails qui lui donnent envie de se confier. Il devient alors si facile de lui parler des expressions australiennes qu’elle a mis des années à comprendre et des immeubles abandonnés qu’elle rêve d’explorer chaque fois que la civilisation lui donne l’impression d’étouffer. Du toit où elle se réfugie avec Sid, surtout. Le bonheur qui l’étreint chaque fois qu’il la fait virevolter si près des étoiles. Et l’inspiration qu’elle puise dans leur éclat, sans plus craindre de sombrer dans les profondeurs de la nuit noire puisqu’il la retient entre ses bras. Inquiète à l’idée d’en avoir trop dit, elle n’est pas déçue de voir Laoise ralentir et sortir ses clefs. Aucune peur n’étreint son cœur lorsque l’artiste-peintre s’écarte pour la laisser passer, et c’est le regard plein de curiosité qu’elle se faufile à l’intérieur. « Wow. » Elle souffle presque aussitôt, subjuguée par le charme atypique du petit écrin dans lequel elle vienne de pénétrer. « C’est un peu le bordel, je sais. Je suis en pleine rénovations, comme tu peux voir… Mon studio est en haut par contre, et l’étage est terminé. » Avec un petit rire, Aisling agite une main devant son visage pour la rassurer. « Non attends, c'est super joli ! Puis t’en fais pas, j’ai l’habitude. Sid laisse traîner ses dessins et ses bouquins un peu partout dans son appart. » Et si elle préfère s’assurer que le sien est bien rangé depuis qu’elle a découvert la sobriété, Aisling ne s’y sent jamais aussi bien que parmi le doux désordre de son copain. Un peu comme s’il se trouvait dans chacun de ses hoodies égarés, au détour des pages d’un carnet, au fond d’une tasse de café oubliée sur la table basse à côté d’un comics entamé. « Le tien fait carrément rangé à côté. » Du reste, ce ne sont pas les planches en désordre qui ont retenu son attention, mais la façon dont les doux filets de lumière filtrent à travers les grandes fenêtres pour éclabousser quelques boiseries travaillées, l’éclat intriguant d’un portrait, les contours outrageusement féminins d’une sculpture un peu osée. « Sid c’est… euh, mon copain. » Elle précise d’une petite voix en se détournant furtivement de l’œuvre, le visage incliné pour tenter de dissimuler sa gêne sous sa frange. Heureusement, Laoise ne semble pas perturbée outre mesure par cet aveu indiquant qu’elle connait un peu trop bien la tanière de son copain. Une révélation qui l’aurait à coup sûr envoyée au confessionnal sans détour si elle avait été prononcée en présence de ses parents. Rassurée, elle la suit de bon cœur dans les escaliers escarpés menant à l’étage supérieur.
Comme le reste de son appartement, le studio profite lui aussi du soleil australien. La pièce a beau être vaste, ses rayons chaleureux en caressent délicatement chaque recoin. Fascinée, Aisling s’imprègne de cette atmosphère propice à la création, depuis l’odeur de peinture aux grands chevalets, en passant par le plancher craquant et les toiles vierges ou déjà terminée qui s’empilent dans les coins. Malgré elle, l’irlandaise sent son cœur se serrer. C’est l’trac, c’est rien. Elle se rabroue avec un petit froncement de sourcils. Ravie de pouvoir se concentrer sur la voix de Laoise, elle suit sa main du regard pour découvrir un recoin épargné par la lumière vive qui ne semble pouvoir pénétrer son ombre tamisée. « Tu peux mettre tes affaires là si tu veux. » La gorge nouée, elle regarde ses contours se dessiner. Des coussins en velours violet, un joli paravent orné de fleurs, quelques crochets prêts à accueillir ses vêtements. Un boudoir sombre et intime précautionneusement arrangé pour créer un cocon de douceur et de sureté. Un décor qui lui rappelle, hélas, les petites salles faussement luxueuses dans lesquelles elle s’effeuille en fin de soirée, échange sa vertu contre quelques billets. « Ah euh… ouai okay. » Elle bredouille sans esquisser le moindre geste pour s’exécuter, ses doigts crispés autour de la hanse de son sac, ses dents à la recherche d’un petit bout de peau qu’elle n’aurait pas encore arraché à ses lèvres pincées. Comme si elle sentait son malaise, Laoise l’encourage à découvrir le reste de la pièce. Soulagée, Aisling se laisse volontiers distraire par l’immense cheminée qui trône en son centre. « C’est si beau ! » Elle souffle sans la moindre retenue, persuadée de n’avoir jamais vu un aussi beau foyer. Pas même dans les demeures un peu huppées où il lui était parfois demandé d’accompagner les membres du club afin de servir de jolie distraction destinée à apaiser les échanges trop tendus puis de récompense ratifiant leurs accords d’une danse. « J’ai pensé que tu pourrais t’installer ici, devant l’âtre. » La proposition de Laoise disperse ses souvenirs brumeux et lui donne envie de découvrir le décor de plus près. Elle s’en approche sur la pointe des pieds, les paumes parcourant ses bras par-dessus sa veste grise comme pour se réchauffer. Un sourire songeur aux lèvres, elle laisse ses doigts glisser sur le marbre sombre et froid aux contours admirablement sculptés. « J’adorerais. » Car elle aime son côté brut et mystérieux, ses courbes arrondies, presque féminines, et l’effet dramatique que son aspect sombre et un peu gothique offrira à la toile comme aux photos.
Faudrait juste que j’puisse m’asseoir sur un truc sinon j’serai trop haute ou trop basse par rapport aux moulures. Elle songe en reculant pour tenter de se faire une idée de ce qui apparaîtra dans le cadre. « On pourrait t’installer un banc ou un fauteuil devant pour que tu sois plus confortable. » Propose Laoise comme si elle lisait dans ses pensées. « C’est c’que j’me disais. » Un petit sourire complice étire ses lèvres quand leurs regards se croisent. D’un geste du menton, l’artiste-peintre attire son attention sur un débarras où s’empile un tas de meubles visiblement chinés au hasard de diverses brocantes. Vibrante d’enthousiasme, Aisling laisse échapper une petite exclamation excitée et sautille dans leur direction pour faire connaissance avec les pièces afin de choisir celles qui constitueront leur terrain de jeu. Son regard est immédiatement attiré par un fauteuil en velours vert à l’air confortable. « Oh, ça irait bien avec la cheminée, tu crois pas ? » Avec un petit rire ravi, elle se laisse tomber sur les ressorts grinçants, fait courir ses paumes sur le tissu usé par le temps et encore imprégné d’une odeur de pipe étrangement familière. D’instinct, elle pressent les poses qui s’agenceraient à ses bras épais et rustiques prêts à épouser ses courbes. Toutefois, elle sent aussi que sa couleur intense risque de faire de l’ombre à l’âtre, que son histoire résolument masculine trancherait trop brutalement avec l'essence naturelle qu’elle espère parvenir à incarner. Et surtout, elle sait à quel point il serait facile de glisser dans la peau d’Ivana tant l’énergie de ce décor lui rappelle ceux qu’elle connait déjà. « Quoi qu'ce serait p’t-être mieux d’partir sur un truc plus neutre… » Embêtée, elle esquisse une petite moue, laisse son regard errer sur les autres meubles, finit par repérer une petite table basse en bois huilé. Inspirée, elle saute sur ses pieds pour s’en approcher, soulève la chaise entreposée dessus et glisse sa paume sur sa surface lisse. « Ça rendrait pas mal, non ? » Sans attendre sa réponse, Aisling glisse ses mains sous les rebords pour dégager le meuble qui proteste en grinçant. Il cesse toutefois de lui résister un fois que Laoise s’approche pour lui donner un coup demain. « Puis on pourrait mettre ces petites bougies sur la cheminée ! » Inspirée elle désigne le petit sac en papier où les cylindres blancs sont empilés. Ensemble, elles installent la table basse devant l’âtre puis placent les bougies éteintes sur le marbre noir. Satisfaite, Aisling s’écarte pour mieux visualiser le décor qu’elles ont créé. Juste à la bonne hauteur, la table semble avoir été construite pour s’agencer devant la cheminée. Joliment rehaussées par la blancheur des bougies, les couleurs sombres du bois et du marbre ne semblent plus attendre que l’éclat de sa peau pâle. « Bon ben… y’a plus qu’à prendre les photos ! » Elle lance d’un ton enjoué où perce toutefois une pointe d'appréhension. Joignant les paumes devant sa poitrine pour se donner du courage, elle jette un coup d’œil anxieux en direction du petit boudoir, seulement pour sentir son anxiété remonter en flêche. « Je, euh… tu veux que j’me déshabille tout d’suite ? » Elle demande d’un ton incertain, son assurance évaporée à l’idée de devoir se séparer du voile confortable et réconfortant de ses vêtements douillets. « C’est qu’j’ai pas trop l’habitude de commencer nue, j’fais ça petit à petit normalement… » Elle finit par avouer en tortillant les manches trop longues de son pull, les yeux rivés sur les lattes du plancher pour éviter de croiser le regard de Laoise.
Pando + whitefalls
you feel like heaven
Thunder in the blue skies, lightning in the daylight, storm clouds in our eyes. Tidal waves in my heart, earthquakes in the still dark, eclipses in the night.
Ride the wave of destiny, rise above the crest and believe everything that happens to you happens for the best. Don’t allow the world of men to turn your head no more. Cause if you can't let yourself go, what are you saving yourself for? Don’t hold back, reach out. Touch the sky with your mind’s eye. Don’t let your fantasies be blinded by the light, for you don't have to save your wildest dreams for the night. • Don’t Hold Back, The Alan Parsons Project.
Comme je l’espérais, Aisling semble captivée par la beauté du marbre et je me réjouis de la voir si enthousiaste. Manifestement, l’idée de choisir le reste du décor dans lequel elle s’installera lui plaît aussi, puisqu’elle bondit presque aussitôt vers le petit coin du studio qui me sert à entreposer mes meubles, des étoiles plein les yeux. Je m’approche aussi d’un pas plus mesuré, les mains nonchalamment glissées dans les poches de ma salopette. Elle observe un instant les options qui s’offrent à elle, jusqu’à ce qu’elle se tourne tout naturellement vers un gros Chesterfield en velours vert forêt. « Oh, ça irait bien avec la cheminée, tu crois pas? » De tous les morceaux que j’ai réussis à me procurer jusqu’à maintenant, c’est de loin l’un de mes préférés. À voir la façon dont Aisling fait courir une main toute pleine de révérence sur le tissu sombre, elle partage mon avis. Elle se laisse tomber sur le siège, s’accorde un instant pour absorber l’énergie qui se dégage du fauteuil. « Ça serait pas mal, oui, » que je confirme avec un petit hochement de tête malgré les doutes qui se profilent dans mon esprit. Car même s’il est magnifique, ce fauteuil me paraît un peu trop dur, un peu trop rigide, pour ce que j’avais en tête. Je lui prédestinais plutôt une pose royale et masculine, une femme posée dessus en conquérante, la tête droite et le port altier comme une reine qui serait indubitablement à sa place sur ce trône de velours. Or, ce n’est pas exactement l’ambiance que j’avais en tête pour le portrait d’Aisling, que j’imaginais plus doux et sensuel, à l’image de la jeune femme timide et délicate que j’apprends à connaître depuis notre rencontre. Cependant, je n’ai aucunement l’intention de la brimer. Le plus important, c’est encore qu’elle aime le décor qu’on lui construit et qu’elle s’y sente assez bien pour arriver à dévoiler son essence. Si elle pense que c’est ce fauteuil qu’il lui faut, c’est ce fauteuil qu’elle aura. Cependant, elle perçoit peut-être tout de même mon hésitation, malgré mes efforts pour la dissimuler, ou alors elle ressent les mêmes doutes, car son visage finit par se froisser d’incertitude. « Quoi qu’ce serait p’t-être mieux d’partir sur un truc plus neutre… » souffle-t-elle, songeuse, en balayant du regard les autres meubles. Prise d’une inspiration soudaine, elle se lève d’un bond et se penche sur une table en bois sombre, qu’elle a tôt fait de dégager. « Ça rendrait pas mal, non ? » Avec ses lignes simples et épurées, elle a effectivement beaucoup moins de personnalité que le fauteuil et risque moins de voler la vedette. « Ça serait parfait ! » Comme la table est coincée entre deux chaises en pin, je m’empresse de donner un coup de main à Aisling pour l’aider à la libérer sans que les meubles et les accessoires empilés de façon un peu précaire autour ne s’écrasent lamentablement au sol. « Puis on pourrait mettre ces petites bougies sur la cheminée ! » Je ne suis pas surprise que le petit sac qui reposait sur le piano à dos droit n’a pas échappé à l’œil curieux de ma nouvelle muse, qui s’en empare aussitôt.
Ensemble, nous soulevons la table et la portons jusqu’à ce qu’elle se retrouve devant le foyer. Je n’ai qu’à faire un pas en arrière pour avoir une vue d’ensemble et constater qu’Aisling a eu du flair. Le meuble s’agence parfaitement au décor en le sublimant sans trop le dissimuler. Surtout, il permettra à la personnalité de la jeune femme de briller pleinement. Je pige quelques bougies dans le petit sac et entreprend de les disposer à distance égale les unes des autres sur le rebord du foyer en jetant de temps de temps en des coups d’œil à celles qu’Aisling a placées de son côté. Notre tâche terminée, elle se tourne vers moi. « Bon ben… y’a plus qu’à prendre les photos ! » En dépit de son enthousiasme, quelque chose vacille dans son regard lorsqu’elle jette un coup d’œil en direction du coin boudoir que je lui ai montré tout à l’heure. Les sourcils légèrement froncés, je l’observer se triturer nerveusement les doigts. « Je, euh… tu veux que j’me déshabille tout d’suite ? C’est qu’j’ai pas trop l’habitude de commencer nue, j’fais ça petit à petit normalement… » À nouveau, elle évite mon regard, comme tout à l’heure au restaurant. J’ignore si elle essaie de me cacher sa nervosité ou si c’est plutôt qu’elle craint de devoir l’affronter si je l’aperçois. Alors je fais un pas vers elle, tends le bras et pose une main sur son coude dans l’espoir d’attirer son attention. Quand elle émerge de sous sa frange, je lui souris. « C’est toi qui décide. Tu le feras quand tu seras prête, rien ne presse. » Devant son air un peu incertain, je presse affectueusement son bras. « Pourquoi tu ne commencerais pas par poser ton sac et enlever tes bottes, hein ? Comme ça tu seras un peu plus à l’aise et moi je vais préparer ma caméra pendant que tu t’installes. » Satisfaite du petit hochement de tête qu’elle m’offre, je lui souris encore avant de la libérer.
À l’autre bout de la pièce, je m’arrête devant le comptoir où, entre deux palettes en train de sécher et des tubes des peintures classés par ordre de couleur, se trouve un sac en tissu noir. J’en tire mon appareil photo et l’objectif, que je visse sur le corps de l’appareil avec des gestes remplis d’habitude. Je glisse aussi une pile chargée et une carte mémoire vide dans le compartiment à cet effet. En passant la courroie autour de mon cou, je rejoins Aisling qui m’attend. Les mains dissimulées dans les manches de son pull, les pieds légèrement arqués vers l’intérieur, les épaules courbées, elle semble si timide et vulnérable que je ressens une inspiration fulgurante à l’idée de la photographier ainsi. « Attends, ne bouge pas ! » que je lui lance en levant la caméra pour la croquer sur le vif. Je dois faire un pas en arrière pour capturer l’ensemble de sa silhouette longiligne, accentuée par son chandail qui pend sur ses épaules frêles et les lourdes bottes délacées qu’elle a réenfilées après avoir retiré son legging. Je jette un coup d’œil à l’image, fascinée par l’énergie particulière qui s’en dégage. Le soleil doré qui entre pourtant à flots réussit à peine à réchauffer sa peau d’albâtre. En photo, son maquillage appuyé semble souligner encore plus durement ses traits juvéniles. Déjà, je sens émerger des contradictions intéressantes à exploiter dans l’image qu’elle renvoie. Pourtant, l’intuition me souffle aussi que, d’ici la fin de la séance, ni elle ni moi ne reconnaîtrons la jeune femme effacée qui s’affiche sur mon écran. Me rappelant brusquement que ma modèle attend sûrement mes prochaines directives, je relève la tête. « J’ai pensé que tu pourrais commencer par t’asseoir sur la table. De côté, le regard tourné vers le fond de l’atelier, et avec les jambes repliées devant toi. » Elle s’exécute aussitôt avec fluidité, visiblement habituée de suivre les instructions de photographes et d’interpréter leurs désirs. Je me mordille l’intérieur de la joue en me remémorant les confidences difficiles qu’elle m’a faites tout à l’heure, repousse la colère qui veut se creuser un nid dans ma poitrine et me concentre plutôt sur le projet lumineux que nous venons d’entreprendre. Comme si elle avait lu dans mes pensées, Aisling a transposé dans la réalité la pose que j’imaginais. Une jambe allongée devant elle, l’autre repliée contre sa poitrine, elle a enroulé ses bras autour de cette dernière et appuyé sa tête sur son genou, le visage tourné vers moi. Touchée par la sérénité fragile qui se dégage d’elle, je l’immortalise une fois, puis deux, me concentrant d’abord sur la vue d’ensemble avant de faire un plan rapproché sur son visage de porcelaine et ses yeux gris. Tout en ouvrant les photos sur le petit écran, je m’approche de la table et m’arrête face à Aisling, pour pouvoir lui tendre l’appareil et lui montrer le résultat de ces premiers clichés. « Tu es superbe, mais tu as l’air toute sérieuse… Il faudrait que je pense à autre petit blasphème pour te faire rire un peu. » La remarque me vaut une œillade complice et un sourire espiègle que je ne peux m’empêcher de lui retourner. Encouragée de la sentir un peu plus à l’aise que tout à l’heure, je lui demande : « Est-ce qu’il y a quelque chose que tu as envie de tester ou d’explorer en premier ? » Parce que je n’aurais aucun mal à la guider tout au long de la séance si c’est ce qu’elle préfère, mais j’aimerais aussi lui donner l’occasion de s’exprimer exactement comme elle le désire.
Dernière édition par Laoise McLoughlin le Sam 26 Nov 2022 - 22:56, édité 1 fois