| blushing light (winny #3) |
| | (#)Sam 12 Sep 2020 - 18:41 | |
| Ce flyer qui me brûle les doigts tant il traîne dans la poche de ma veste depuis des jours. Trouver un peu par hasard, sur le comptoir d’un café. C’est d’abord une couleur, puis des courbes et des lignes et enfin un prénom, qui a retenu mon attention. Ginny McGrath-Williams. L’addition à la fin qui me fait tiquer, tant elle est nouvelle et sonne bien plus réaliste que tout ce qu’il pouvait y avoir avant. Une adresse à Bayside, un programme d’atelier animé par la brune en personne. Se retrouver bêtement devant la maison ouverte et accueillante, hésiter depuis l’autre côté de la rue. Des années, un bouquin, une vie après. Allumer une cigarette, comme toujours, et regarder les élèves qui se presse armer de boîte de couleurs et de chevalet. S’ils n’ont pas de corail dans leur attirail, ils devront déjà faire demi-tour. Mains dans les poches, je saute le pas. Ils sont nombreux, je me glisse à la dernière place libre, celle probablement réserver par un autre dont je me fiche royalement.
Elle arrive dans un rire, son sourire solaire qui illumine la pièce à l’instant même où elle s’adresse à ses élèves du jour. Le programme qu’elle expose avec animation tandis que je tente de me faire invisible derrière mon chevalet. Elle a confiance, exit la gamine qui osait à peine prendre un pinceau entre ses doigts. C’est avec assurance qu’elle expose, qu’elle explique. Caché dans mon coin, je l’observe se mouvoir et ne rate en rien les formes qu’épouse son débardeur trop grand. Un petit habitant semble avoir pris ses quartiers sous son nombril depuis quelques mois déjà. Je ferais abstraction de ce frisson désagréable qui me prends, des comparaisons qui s’enchaînent dans un coin de ma tête. Elle rayonne, Ginny. Tout semble si différent, elle a grandi, elle a changé pour sure.
Autour de moi, les élèves s’appliquent, tirent la langue, tente de donner le meilleur d’eux-mêmes. La McGrath passe entre les premiers rangs, bientôt elle sera par là. Ce point-virgule que je trace à la hâte sur le canevas vierge et qui fait souffler ma voisine de chevalet, déjà si avancer dans son œuvre. « Ce n’est pas du tout le thème de la classe. » Première de la classe qui se prend pour Da Vinci. Un rouleau trempé dans la peinture noire, une trace indélébile sur son dessin. « Je suis dans le thème-là ?! » Connasse.
Et à l’instant où je me redresse pour reprendre ma place, mon regard croise le sien. |
| | | | (#)Lun 14 Sep 2020 - 13:57 | |
| « Ce n’est pas du tout le thème de la classe. » « Je suis dans le thème-là ?! » « Comme ça vous êtes tous les deux dans le thème. »
Il part doucement, mais il part tout de même. Le trait de peinture corail qui colore son point-virgule, qui bariole son canevas au même titre qu'il a bariolé celui de sa voisine de classe.
Ce serait mentir de dire que je suis étonnée de voir Wyatt maintenant qu'on habite - a-t-il toujours une adresse ici? - tous les deux officiellement dans le même pays et encore plus dans la même ville. Mais ce serait complètement erroné de dire que de tous les endroits où on aurait pu se croiser au hasard et de toutes les connaissances qu'on a fort probablement en commun, il serait ici, aujourd'hui. Dans la maison d'à-côté, les valises et les sacs de voyage s'accumulent et le départ pour le Japon se précise et elle est étrange, l'impression de remonter à des années lumières et à une autre vie. Quand mon sac et mon passeport étaient toujours prêts à servir du temps où Londres m'avait coupé les ailes. Si je pars et si je quitte l'Australie maintenant, c'est simplement pour aller vivre de nouvelles aventures ailleurs en sachant que mon point d'ancrage n'en changera pas. Pas autant que moi.
La poignée d'autres étudiants présents dans le grand salon de ma maison qu'on a aménagée en salle de cours où la peinture, où l'argile et où la photographie se côtoient est à peine rempli de cinq autres têtes connues. Des élèves qui sont là depuis le début, et certains même qui ont vécu les tous premiers ateliers que je donnais dans mon garage à Logan City. Ils ont connu la galerie à Toowong, seront bien sûr invités à venir faire un tour et visiter celle de Spring Hill lorsqu'on aurait décidé Auden et moi ce qu'on en fera, si on l'ouvrira au public où si elle restera l'un de nos milliers de secrets aussi bien gardés que protégés.
Pour l'heure par contre, je suis ici et je suis maintenant. Quelques rires pouffent dans mon dos, ils savent tous que je n'ai rien de méchant et encore moins d'autoritaire, mais le sourire qui se dessine sur mes lèvres et qui marque des fossettes au creux de mes joues aurait tout pour rassurer quiconque ne me connaît pas particulièrement. Quiconque sauf Wyatt, lui qui en a vu beaucoup pour qu'on puisse naïvement justifier les années où les contacts se sont essoufflés jusqu'à se perdre tout bonnement.
« Tu en as mis, du temps. » elle est drôle la coïncidence, et les mèches corail qui s'éparpillent dans mes cheveux pour cause d'avoir peint un peu avant que les autres arrivent. Je ne les remarque pas, qui ça étonne, mais lui, à la seconde où il est entré dans la pièce, bien sûr que je l'ai vu. À croire qu'il attendait le bon moment pour réapparaître - ou alors, le pire. Je sais jamais avec lui et quelque chose me dit qu'aujourd'hui ne fera pas exception à la règle. |
| | | | (#)Mar 15 Sep 2020 - 20:06 | |
| « Comme ça vous êtes tous les deux dans le thème. »
Son bras qui frôle ma joue. Ses doigts qui viennent étaler une légère teinte de corail sur mon piètre dessin. Symbole éternel, qu’elle comprendra en un regard, si jamais une fois elle aurait eu le doute que ce soit bel et bien moi. Le sourire que j’imagine se dessiner sur ses lèvres amusées par la situation. Miss je-sais-tout à mes côtés semble se pâmer de bonheur, exagérant chaque geste de son pinceau pour attirer l’attention de la brunette quand je sens le regard de Ginny me brûler l’épiderme. Le dos droit, regard fixer sur ma toile, je peine à tourner la tête pour pleinement croiser son regard. C’était il y a des années-lumières que j’emmenais la gamine tagger les murs de Londres. La femme qui se tient juste derrière moi me semble aussi étrangère que familière. Elle a pris son indépendance la gamine, elle a fini par voler de ses propres ailes, cet atelier en est le premier témoignage. Ils semblent tous boire ses conseils, l’estimer à sa juste valeur. À mes yeux, elle reste la gamine de Londres, qu’importent les manquements, les ratés et les années écoulées.
« Tu en as mis, du temps. » Léger rire nerveux alors que lentement, mon torse se tourne dans sa direction. Le je n’osais pas qui se forme sur le bout de mes lèvres sans jamais émettre un son. Mon regard qui se plonge dans le sien, faisant disparaître les élèves qui nous entourent. « J’arrive plus à écrire. » que je confesse sans détour avant de reprendre place face à mon canevas. On verra plus tard.
*** Le cours est terminé, je n’ai cessé de gribouiller sur ma toile. Bariole de couleurs, traits et ronds qui se mélangent. Un rien qu’elle réussira probablement à interpréter, un bordel qui sonnera avec sens dans son esprit d’artiste. Elle est en train de discuter avec un dernier élève tandis que je gigote sur mon tabouret. Je pourrais encore me faufiler derrière eux et disparaître à nouveau. Laisser un mot sur le coin de la toile et m’évaporer dans la nature. Je préfère encore rester, assis-là, tel un idiot, sans savoir quoi lui dire.
Il ne reste plus que moi et son regard qui vient se vriller au mien. Léger haussement d’épaule et sourire en coin. « Félicitation. » que je murmure désignant du menton ses formes arrondis. Ce n’est qu’un souffle, mais ça n’a jamais été aussi sincère. « Je passais juste dans le coin. » Tentative minable de faire diversion quand j’ai déjà vendu le morceau il y a une heure de cela. |
| | | | (#)Mer 16 Sep 2020 - 3:42 | |
| Qu'il fixe rageusement sa toile ne m'inquiète pas, qu'il évite comme la peste mon regard non plus. J'ai appris à la dure il y a une vie de ça de laisser Wyatt venir à moi et de ne jamais forcer l'inverse. Il se referme comme une huître dès qu'il en sent la nécessité, dès qu'il en a besoin plus que de tout le reste. Il s'ouvre à son rythme pour refuser toute tentative l'instant d'après, et ce n'est que lorsque j'ai eu compris son fonctionnement qu'on a vraiment pu apprendre à grandir ensemble, à évoluer à deux, côte à côte ensuite.
Pourtant lorsque sa silhouette se détourne vers la mienne, je comprends de suite ce qui se passe avant même qu'il n'aligne un seul mot. « J’arrive plus à écrire. » je sais que j'aurais pu dire, tant je les connais par coeur les démons qui se sont immanquablement logés au creux de ses prunelles voilées. Je les y ai vus (trop) souvent, je les ai partagés pendant de (trop) nombreux moments. Ma main a trouvé le chemin de sa nuque, là où mes doigts se perdent une seconde à peine en quelques points de pressions volés qui sont lâchés dès lors qu'une question m'attire à l'autre bout de la pièce. On verra plus tard.
*** « Félicitation. » « Merci. »
Il est honnête, il l'est toujours. Il est franc, il brusque, il fait rager la plupart des gens avec ses mots sans équivoque, mais il ne ment jamais Wyatt. Peu importe à quel prix. Ses yeux sur mon ventre arrondi le quittent l'instant d'après, au même moment où ma silhouette se faufile à sa gauche pour aller récupérer le tabouret précédemment utilisé par sa voisine de classe et aussi à ce que je vois presque nouvelle meilleure amie - la blague. « Je passais juste dans le coin. » la pièce est vide et les pattes de bois grinçant au sol résonnent. Elles chassent le silence un temps. « Pas avec moi, Wyatt. » ma voix est aussi catégorique que mon coup d'oeil est doux. Il ne ment pas mais il omet la vérité, l'écrivain qui a été propulsé presque dix ans en arrière si je me fie à sa révélation qu'il a larguée aussi facilement qu'elle doit être difficile à avouer. Le paradoxe fait naître un frisson le long de ma colonne vertébrale.
« T'essaies de me voler mon boulot? » je tente, à tâtons, mes prunelles noisette dérivant de son profil épuisé avec raison pour filer détailler sa toile où il a tout fait. Toutes les couleurs à sa disposition, tous les traits possible, il a tout tenté Wyatt comme il doit tout tenter actuellement pour retrouver l'inspiration, pour arriver à écrire de nouveau. La blague est mauvaise et la pique est niaise, elle sert juste de prémisse à la suite. « C'est parce que trop de choses se bousculent ou parce qu'à l'inverse il n'y a plus rien? » je tangue plus vers une réponse qu'une autre justifiant son blocage, connaissant le personnage d'il y a quelques années. Mais il peut très bien avoir changé depuis, je ne lui en tiendrai pas rigueur. « Elle est nouvelle, celle-là. » il a bien changé physiquement, lui aussi. Quand du bout de l'index je pointe une nouvelle cicatrice dont je n'ai absolument aucun souvenir, tartinant les jointures de sa main droite. |
| | | | (#)Dim 20 Sep 2020 - 0:31 | |
| « Pas avec moi, Wyatt. » « J’aurais au moins tenté. »
Je plaisante, sourire aux lèvres alors que mes doigts vont fouiller ma poche pour en sortir le flyer qui m’as amené tout droit à elle. « Je suis tombé sur ça. » Et cette fois, je ne mens pas lorsque j’évoque le hasard. Je ne l’ai pas cherché, elle est venue à moi, en quelques sortes. Le reste passera sous silence, comme le fait que j’ai si longtemps hésité avant de m’incruster ici. Pourtant, elle est bien la seule à qui je pouvais venir délivrer ce secret. Poser mon cœur à même le sol, cracher ce qui nous avait rapprocher il y a des années de cela.
« T'essaies de me voler mon boulot? » Rire nerveux alors que je secoue la tête. J’ai tout mis sur cette toile, ma rage, les couleurs qui me semblaient justes, les techniques que je l’avais vu développer. C’était tout et n’importe quoi. Belle représentation de ma vie actuelle. « Je compte accrocher cette horreur dans la chambre de ma sœur. » Un petit cadeau de naissance en avance ? Juste un moyen de l’emmerder parce qu’elle n’aimera pas les couleurs puis la peinture aura trop coulé. Elle râlera et je pourrais admirer le spectacle. « C'est parce que trop de choses se bousculent ou parce qu'à l'inverse, il n'y a plus rien? » Je la déteste de toujours viser aussi juste, malgré le temps qui s’est écoulé. Le regard qui se détourne, mes dents qui jouent nerveusement avec ma lèvre inférieure. Question à laquelle je n’ai pas réellement envie de répondre tant tout y paraît si évident. « Elle est nouvelle, celle-là. » Ses doigts qui viennent effleurer mes articulations, là où se dessinent bon nombre de cicatrices vieilles et plus récentes. Mon regard qui attrape l’annulaire de sa main gauche. « Elle est différente, celle-là. » Ce n’est en rien le caillou énorme qu’elle exhibait à l’époque. Le gars est donc différent ou s’agit-il du même et d’un renouvellement de vœux ? La blague serait vaste, mais tout est possible.
Le silence qui s’égraine alors que j’observe ce qui nous entoure, alors que je sens son regard insistant sur mon profil. Et dans un souffle : « Il n’y a vraiment plus rien cette fois. » Pas la moindre bribe d’idées un tant soit peu exploitable. Le néant. |
| | | | (#)Lun 21 Sep 2020 - 16:28 | |
| Il aura au moins tenté et c'est tout à son honneur, faut lui donner. Par contre, c'est pas pour autant que je ne laisse pas un sourire se dessiner finement sur mes lèvres, de voir que malgré l'air épuisé qu'il tire Wyatt semble quand même aller bien - relativement parlant. Il ne dort pas, quand il n'écrit pas. Il est un lion en cage à chercher ses idées autant qu'il cumule des pas dans un sens comme dans l'autre, et les cernes sous ses yeux l'auraient confirmé sans qu'il n'ait même eu besoin de dire quoi que ce soit.
« Je suis tombé sur ça. » « Quelle coïncidence. »
Il agite sous mes yeux l'un des dépliants que Léo et Lola avaient distribués il y a des mois de ça alors que je recommençais doucement à penser donner des ateliers chez moi ; bien avant que ceux-ci ne commencent à prendre place à l'horaire. Alors il y pense depuis ce temps-là. « Je compte accrocher cette horreur dans la chambre de ma sœur. » un rire part, bien plus léger que l'est le sien lui qui est bien plus cynique et pour cause. « Comment elle va? Comment va ton frère? » je ne les connais pas, ne les ai jamais rencontrés, ça faisait partie des différentes règles à Londres. Ça ne m'empêche pas de prendre quand même de leurs nouvelles, et pas rien que pour la forme. Je sais à quel point ils sont importants pour lui même s'il les insulte à la moindre occasion. À mes yeux ils n'ont juste pas de prénoms, ni de visages.
Mon doigt pointe les siens, il se reprend en scrutant mon alliance. « Elle est différente, celle-là. » « Elle vient avec un autre nom de famille. » et donc avec un autre mari, une autre histoire, une autre trame, bien meilleure et bien plus vraie, authentique. Elle est différente parce que la situation l'est également. Et parce que je crois que je le suis moi aussi.
Pourtant, c'est un aller simple vers notre avant qu'il amène Wyatt, quand il finit enfin par répondre à une question que je ne l'aurais jamais pressé à élucider. Chaque chose en son temps,à et du temps pour lui, j'en aurai toujours une infinité. « Il n’y a vraiment plus rien cette fois. » sa voix se casse, je le rattrape du revers en désignant son canevas du menton. Il ne suffit que de lui gratter quelques secondes de plus au compteur. Avec un peu de chance il le verra comme un sursit qui décontractera sa mâchoire. « C'est parce que t'as tout utilisé pour ta toile du jour. » elles y sont toutes, les couleurs et les techniques. Elles y sont toutes et pourtant lui, je ne le vois nulle part. « Depuis combien de temps? » du bout de mes Converse, je retire un soulier, puis un autre, me retrouvant pieds nus l'instant d'après. Elles grimpent pour s'installer croisées en tailleur sur le petit banc de bois qui craque sous mon poids, mes jambes de gamine au jean taché de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. « Il reste toujours quelque chose ; t'as pas perdu qui tu es parce que tu t'es perdu en chemin. » il reste toujours quelque chose oui, mais peut-être que ce quelque chose qui reste il le déteste encore plus que tout ce qu'il a perdu au passage. « Tu écrivais sur quoi, avant? » avant la tempête. |
| | | | (#)Mer 23 Sep 2020 - 20:37 | |
| « Comment elle va? Comment va ton frère? » Je retiens un rire empli de sarcasme alors que mes sourcils se froncent fasse à cette question on ne peut plus banale. « On en est là? » C'est ce qu'on fait désormais ? On se lance dans la broderie des conversations bateaux, le politiquement correct histoire de tester la température de l'eau. C'est autant déstabilisant que cela en est honorable de sa part. Même après les années écoulées, she still cares. « Elle est enceinte. » À croire que c'est devenu une tendance autour de moi. Triste écho de ce que je suis incapable de construire pour moi-même malgré les années qui passent et le désir qui naît. Ma sœur va devenir mère et je stagne accrocher à cette même histoire sans fin, ce cercle vicieux qui en vient jusqu'à bouffer mon inspiration, encore. Un cycle en cinq ans et tout autant d'actes manqués. « Je ne sais pas comment va mon frère. » Et c'est ce qui m'inquiète aussi, mais plutôt me crever l'œil avec un pinceau que de l'admettre, même devant Ginny. Elle sait pourtant, que la raison de ma présence à Londres n'était en rien anodine. Elle m'a vu parfois suivre Yelahiah pendant des heures, juste pour assurer dans l'ombre que tout était okay. Ma famille avant tout, déjà à l'époque et encore plus aujourd'hui.
Son alliance brille entre nous. Nouvelle bague pour une nouvelle vie ? « Elle vient avec un autre nom de famille. » et on tape dans le mille. Elle est affreusement désagréable cette sensation qui naît en arrière fond, celle qui vient gratter la surface pour s'immiscer dans toutes les failles et les cassures. Celle qui nargue lourdement sans jamais se laisser voir complètement. Comme un arrière-goût d'échec quand en réalité, je suis réellement heureux pour elle. Elle a changé Ginny, tout chez elle démontre une nouvelle confiance que j'avais tant voulu lui accorder. « Elle te va bien. » La curiosité me démange, mais jamais je n'oserais lui en demander plus, ça faisait partie des règles.
La diversion se fait à mon sujet quand en rien, je n'avais prévu de lancer cette bombe, mais quand tout dans son attitude me donne la confiance de le faire. Ici, je peux. Rien ne sortira d'entre ses quatre murs. Je peux tout poser à ses pieds et l'inverse est si réciproque, qu'importent les années. « C'est parce que t'as tout utilisé pour ta toile du jour. » Elle brode et je tente un maigre sourire. Mes doigts s'enroulent autour du pinceau le plus proche et le plus épais. Il plonge dans le reste de peinture noir pour venir barrer d'une croix imposante, mon œuvre du jour. « Il manquait une touche finale. » Ajouter au bordel qui s'accumulait trop dans un coin.
« Depuis combien de temps? » « Un moment. » On se fiche des détails. « Il reste toujours quelque chose ; t'as pas perdu qui tu es parce que tu t'es perdu en chemin. » Oh Ginny. « C’est si cliché que ça en devient banal. » Rire forcer, rire nerveux. « Tu peux garder ce genre de merde pour toi. »
Attaquer pour mieux reculer. Me lever de ce stupide tabouret pour instaurer le plus de distance qui soit. Avec une autre personne, je serais parti. Avec Ginny, je reste. Dans un coin, tel un animal blessé qui refuse de se laisser approcher, mais je reste. J’avais oublié à quel point elle savait viser juste, a quel point elle pouvait comprendre en quelques minutes. C’est ce qui m’agace le plus, être perçu en plein jours, comme ça, en un claquement de doigt. « Tu pouvais pas te contenter de rien dire, de changer de sujet. » Elle est venue ajouter le sel sur mes plaies et ça, je ne sais pas le gérer. |
| | | | (#)Sam 26 Sep 2020 - 0:53 | |
| Sa soeur est enceinte, son frère est disparu dans la brume. Il y aurait des tas de choses que je voudrais lui dire, il aurait accès à tout le support du monde et je voudrais tant le lui offrir, mais sa voix est catégorique et son regard l'est tout autant. On n'allait pas là, avant. Ou lorsqu'on s'y rendait, c'était en surface, toujours. Les vies et leurs quotidiens prenaient déjà tellement (trop) de place que jamais ni lui ni moi n'avions même pensé à une seule fois accorder la moindre attention à ces quotidiens qu'on s'autorisait à fuir, à deux.
« Elle te va bien. » du bout du pouce, je caresse l'alliance qui tourne docilement là où est sa place. Elle aura mis près de treize ans avant d'y glisser, sur cet annulaire qui a été promis à un autre de force, un autre que Wyatt a faiblement connu autant que Bailey doit froidement se rappeler de lui. Elle a cumulé les années et à travers celles-ci les erreurs s'y sont nichées elles aussi, pourtant aujourd'hui je sais que si le chemin n'a jamais été facile je suis exactement pile à l'endroit où je dois être. Et lui aussi. Alors je tente, je tente vraiment. Brusque un peu, doucement pourtant. « Il manquait une touche finale. » du Wyatt tout craché, quand il raye tout ce qu'il a bien pu créer, lui qui ne crée ironiquement plus du tout à l'entendre. Le noir à ses yeux qui gâche tout, aux miens qui complète son chaos à merveille. J'allais le lui dire, j'allais le souligner, j'y étais presque dans mon plaidoyer.
Depuis combien de temps? « Un moment. » Il reste toujours quelque chose ; t'as pas perdu qui tu es parce que tu t'es perdu en chemin. « C’est si cliché que ça en devient banal. » Il rit, il grogne, il se lève, il partirait s'il en avait la force. « Tu peux garder ce genre de merde pour toi. »
Bien sûr que non, jamais. Et il le sait pourtant, il me connaît, il a déjà vécu la même scène avec quelques années en moins au compteur. On retourne dans nos habitudes à la vitesse de l'éclair et aujourd'hui encore, sa seule façon de réagir reste de mordre, de mettre de la distance. La mienne est de couper entièrement le reste du monde, tout l'univers au grand complet mis en sourdine alors que mes prunelles ne font que le voir lui, que le suivre, lui.
« Tu pouvais pas te contenter de rien dire, de changer de sujet. » « T'es pas venu ici pour que je me contente de rien dire, pour que je change de sujet. » à ses mots tranchants s'ajoutent les miens aussi posés, aussi doux que possible. S'il pouvait mordre il le ferait, s'il pouvait jeter les chevalets au sol et arracher les toiles des canevas de bois il le ferait encore plus. Qu'il le fasse, presque, j'ai envie de dire. Qu'il passe toute la colère qu'il accumule contre moi et contre lui-même sur tout ce qui se trouve sous sa main, qu'il le fasse une bonne fois pour toutes avant qu'on discute enfin des choses sérieuses.
Dans l'attente, les jambes toujours remontées sur mon banc et les yeux à jamais rivés sur sa silhouette qui me donne l'impression de creuser des tranchées au sol tant il le sillonne de droite à gauche, je questionne encore, je gratte sous la carapace. « T'as pas répondu, Wyatt. » c'était volontaire fort probablement. Comme mon intention de répéter jusqu'à ce qu'il parle à son tour. « Sur quoi est-ce que t'écrivais, avant qu'il n'y ait plus rien? » |
| | | | (#)Ven 2 Oct 2020 - 21:51 | |
| Mettre de la distance, le plus possible, en quelques secondes. Ne pas laisser son regard croise le mien, ne pas prendre en compte ce qui va se passer dès l’instant d’après. J’étais venu pour lâcher les mots. Il faut croire que je n’avais rien appris des années, que je me pensais immuniser, que j’allais avoir le temps de diluer les informations aux comptes gouttes quand en réalité, il a suffi de sa présence pour que tout dégueuler à même le sol. Partager entre l’envie de fuir cet endroit de malheur et ne plus jamais la croiser et l’envie de rester là, dans un coin, à écouter ce qu’elle finira par me dire. Ce qui devrait faire sens, mais qui éveille une nouvelle rage bien trop enfouie. J’avais oublié. C’est idiot hein, d’oublier l’influence que quelqu’un peut avoir sur soi. L’eau a coulé sous les ponts, on ne se connaît plus vraiment. C’était se mettre le doigt dans l’œil tant elle frappe fort et juste dès les premiers instants, tant elle se souvient de celui que j’étais et des faiblesses d’antan qui se cache toujours dans les recoins. « T'es pas venu ici pour que je me contente de rien dire, pour que je change de sujet. » « Peut-être bien que si. » Faux. Mensonge éhonté qui ne passera rien si ce n’est la barrière du rire tant il sonne creux. Je suis venu ici pour qu’elle dise quelque chose, pour qu’elle secoue juste là où ça fait mal. J’en avais simplement oublié la sensation. Pourquoi elle est celle qui sait quand elle ne fait plus parti de mon quotidien depuis si longtemps ? « J’avais oublié que tu tapais toujours si juste. » que je murmure dans ma barbe, regardant mes boots vieillis par le temps, me prenant de passion pour une toile abandonnée là. « Ça me fait chier. » Merci.
« T'as pas répondu, Wyatt. » Je sais bien, c’était tout ce qu’il y a de plus volontaire tant je ne veux pas admettre que l’idée qui me plaisait tant sonne désormais stupide et qu’elle en reste au statut de fœtus. « Sur quoi est-ce que t'écrivais, avant qu'il n'y ait plus rien? » Ce qui fut un temps me semblait être ma meilleure création, le fruit d’années de recherche, d’heure passer devant des documentaires à prendre des notes. « C’était rien. » Un rien qui me ronge tant il n’avance pas comme je le souhaiterais, tant les idées semblent vouloir rester cachée dans un trou noir. Instinctivement, pour calmer mes doigts qui tremblent, je sors une cigarette, la porte à mes lèvres, l’allume et seulement relève la tête vers la brunette. « Je peux ? » Trop tard je tire déjà ma première latte. Une seconde, puis deux et je réalise. Quelques pas pour m’éloigner d’elle, deux plus pour tirer la fenêtre et tendre mon bras vers l’extérieur. Mon regard se perd dans le jardin. « J’ai cette idée en tête depuis des années. » que je confesse fébrilement. « Un tueur en série qui terrorise les Etats-Unis et qui joue avec les enquêteurs. Il est pas dingue, mais en pleine possession de ses capacités. Quelqu’un qui aime ça, semer la frayeur et le doute, mener les journalistes en bateau. C’est un jeu dangereux qui se tisse entre le tueur, un policier et ce stagiaire au journal local qui n’avait rien demander à personne, mais se retrouve catapulter au milieu de tout cela après avoir lu une des lettres. Un jeu de piste de celui que tu ne veux jamais quitter avant d’en connaître le dénouement. » Ce qui attire la curiosité tant s'est bien ficelé, le frisson de se faire prendre au jeu. « Pas pour diaboliser celui qui tue, mais pour accepter que l’on puisse être fasciné par leur psychologie. » Comme je le suis depuis des années, avide de toujours en apprendre plus, de toujours creuser un peu plus.
Le silence qui dure alors que j’écrase ma cigarette contre le rebord de la fenêtre, alors que je souffle et que je cherche la prochaine diversion. « Tu peins vraiment alors ? » C’est pas comme si elle ne s’attendait pas depuis le début à ce que je change à nouveau de sujet. |
| | | | (#)Dim 11 Oct 2020 - 3:57 | |
| « J’avais oublié que tu tapais toujours si juste. » mais encore? « Ça me fait chier. » ah voilà. « De rien. »
Il dégaine son paquet, se glisse une cigarette entre les lèvres alors que je note mentalement toutes les façons dont Auden le tuerait s'il venait à passer dans les parages. « Je peux ? » à la fenêtre, le bras ballant entre les carreaux bien grands ouverts, il s'en donne le droit sans que je ne fasse autre chose qu'hausser distraitement l'épaule. La seconde d'après, j'attrape une des infinités de couvertures qui traînent ici pour en couvrir mes épaules sans que ça ne change rien de d'habitude. Je suis toujours frigorifiée de toute façon, personne ne s'en étonne.
Quand Wyatt inspire, je me cale un peu mieux dans l'un des canapés qu'on a installés ici. Mes yeux ne lâchent pas son profil même si les siens font des allers et des retours dans la pièce. « J’ai cette idée en tête depuis des années. » c'est comme lorsqu'il me les racontait à nouveau, ses histoires. Lorsqu'il écrivait à Londres, lorsqu'il avait recommencé - avant d'arrêter aussi fort et aussi violemment qu'aujourd'hui. « Un tueur en série qui terrorise les Etats-Unis et qui joue avec les enquêteurs. Il est pas dingue, mais en pleine possession de ses capacités. Quelqu’un qui aime ça, semer la frayeur et le doute, mener les journalistes en bateau. C’est un jeu dangereux qui se tisse entre le tueur, un policier et ce stagiaire au journal local qui n’avait rien demander à personne, mais se retrouve catapulter au milieu de tout cela après avoir lu une des lettres. Un jeu de piste de celui que tu ne veux jamais quitter avant d’en connaître le dénouement. » du Wyatt tout craché. Les lignes sont parfaitement claires d'un côté, et dramatiquement diffuses de l'autre. « Pas pour diaboliser celui qui tue, mais pour accepter que l’on puisse être fasciné par leur psychologie. » c'est lui, c'est totalement lui. Et il va détester la suite.
« Des années alors? » j'insiste, ramenant mes pieds sous les couvertures, attendant qu'il accroche ses iris aux miens même si j'y prédis déjà des éclairs par dizaine. Le projet vivote et stagne, le projet existe pour qu'il puisse mieux le laisser prendre la poussière. Pourquoi se fait-il autant de mal depuis si longtemps? « T'as le personnage. » il le connait par coeur, l'a réfléchi comme il se doit. « T'as sa façon de penser. » au point où il sait exactement quel est l'aspect psychologique qu'il veut gratter, qu'il veut prouver au-delà de ses mots. « T'as sa trame. » il sait où il veut l'amener, il sait où il veut le voir aller. « Qu'est-ce qui te manque? » c'est facile ça. Il lui manque la morale, il lui manque le dénouement, il lui manque la raison d'être, le pourquoi du comment. Oh, l'ironie. Il lui manque la fin.
Typique Wyatt et ses changements de sujets qu'on voit venir comme un éléphant dans une boutique de porcelaine. « Tu peins vraiment alors ? » « Et je suis co-propriétaire d'une galerie, aussi. » j'ai grandi, j'ai appris, j'ai évolué. Et je donnerais tout pour qu'il puisse me renvoyer la balle, pour qu'il me prouve que c'est son cas à lui aussi.
« Qu'est-ce qui s'est passé, Wyatt? » elle est ouverte le plus volontairement du monde, celle-là. Ouverte à ce qu'il me parle d'un petit détail qui a changé autant que d'une immensité de grandes pierres angulaires qu'il a fini par réussir à braver. |
| | | | (#)Dim 1 Nov 2020 - 17:12 | |
| Ce pitch, je ne l’avais raconté à personne depuis une décennie. Au moins. C’est l’idée qui ne cessait de prendre la poussière dans un carnet, au fond d’un tiroir et dans un coin de mon esprit. La publication qu’elle m’a volée, celle que je n’ai jamais su terminer depuis. Il y a eu des évolutions, des changements de tirs, mais aucun avancement digne de ce nom. Et déjà cela intrigue la brune assise à ma diagonale, celle qui a toujours bien trop su sonder mon âme. « Des années alors? » Je voudrais en rire, mais ne fais que baisser les yeux face à la stupidité de l’aveu. Des années que je tiens ce qui me semble être mon meilleur travail sans jamais oser aller plus loin, sans me donner l’occasion d’explorer toutes les pistes. Des mois de recherches qui végètent sans âme. Une fascination qui ne tarit pas, mais ne mènera probablement jamais à rien. Une passion vaine qui parfois me rappelle à ma condition. À jamais le pigiste qui écrira des rubriques sans couleurs. « T'as le personnage. » Les personnages. Ce triptyque complexe qui amène le challenge d’une écriture réussie, un mélange d’univers et de caractère qui se doit d’être manié à la perfection pour fonctionner dans son entièreté. Mon challenge ultime, celui que je touche du bout du doigt constamment, sans jamais lui laisser l’occasion de s’envoler. « T’as sa façon de penser. » Plus ou moins, jamais pleinement, jamais de manière définie et arrêter. « T’as sa trame. » Une vague idée de trame qui n’en restera que là, une idée. « Qu'est-ce qui te manque? » Le courage de plonger tête baissée dans une aventure qui autre fois m’as tellement brisé, mais plutôt crever que de lui avouer à elle. « Il manque tout le reste. » que je murmure faiblement sans épiloguer. Le courage de reprendre la plume. L’envie de se plonger là-dedans sans connaître la suite. Dépasser l’échec. C’est ce que ce manuscrit est censé représenter. « L’envie, la détermination. » Je souffle. « J’en sais rien. » Bien sûr que je sais, mais l’avouer, c’est se prendre une claque de plus en pleine mâchoire. Il me manque le courage de donner pleinement vie a cette histoire pour la faire connaître en dehors de mes carnets. Cette peur qui me tords le ventre à l'idée qu'elle me prenne a nouveau tout.
Changer de sujet reste un terrain bien plus stable. Fini de parler de moi, on l’a déjà trop fait en quelques minutes. « Et je suis co-propriétaire d'une galerie, aussi. » Tout ce qu’elle a toujours voulu. Merde alors, elle est passé où la gamine qui osait à peine. Celle que je devais traîner dans les rues de Londres pour aller tagger des murs. Mon regard croise le sien et je comprends que Ginny a réussi là où je ne cesse d’échouer. Sans jamais oublier son passé, elle a su se relever, utiliser ses blessures pour en faire des forces et garder la tête haute. « Je suis fier de toi. » que j’admets sans réellement croiser ses prunelles qui en savent trop. « Qu'est-ce qui s'est passé, Wyatt? » Un rire nerveux me fait lever les yeux au ciel. Rien. Il ne s’est absolument rien passé. « J’ai pas su apprendre de mes erreurs, moi. » Elle blesse juste comme il faut, cette réalité, là. |
| | | | (#)Mer 9 Déc 2020 - 20:40 | |
| « Il manque tout le reste. » il souffle, alors je souffle aussi. Tout autour, l’atelier donne simplement l’impression de le narguer, quand il est autant rempli de toiles que des restes d’effluves de peinture et d’aquarelle des autres étudiants, de ceux qui étaient là avant. Ceux pour qui rien ne manquait, en contrepartie de tout ce qui lui manque, à lui. « L’envie, la détermination. » quand Wyatt énumère mon souffle se met inévitablement en berne, comme si chaque expiration que je pouvais bien laisser s’échapper de mes lèvres allait repousser l’inévitable, ses paroles avec. Qu’est-ce qui a changé? Qu’est-ce qui a tout cassé, cette fois-ci? « J’en sais rien. » il sait, mais il ne l’assume pas. Il sait et je le vois passer dans son regard, en une fraction de miettes de seconde, mais suffisamment pour être capable de dire que là, juste là, il ment. J’ignore juste s’il se ment plus fort encore qu’il ne me ment à moi. « De quoi t’as peur? » alors je dis la vérité, pour deux. Wyatt n’écrit pas quand il se confronte, il n’écrit pas quand il se compare, il n’écrit pas quand il ne se sent pas à la hauteur. Ce qui l’effraie là y est donc relié. Ça le serait tout du moins, si nos rôles étaient inversés.
Je déteste m’entendre étaler mes succès quand il se noie dans ses échecs. « Je suis fier de toi. » c’est probablement la raison pour laquelle je les résume au possible, répondant à ses questions simplement dans l’espoir qu’il réponde enfin aux miennes. Ça a toujours été l’entente, aussi tacite pouvait-elle être. Que pour un pas hors des retranchements de l’un, l’autre faisait pareil. Deux miroirs pour l’instant qui semblent parfaitement déphasés. J’ignore si un jour même le timing a été de notre côté. « J’ai pas su apprendre de mes erreurs, moi. » il appelle cela des erreurs, il appelle celui des échecs. J’ai fini par les voir comme des apprentissages, j’ai accepté d’être tombée des dizaines de fois rien que pour m’être relevée une seule de plus. « J’ai hâte, d’être fière de toi à nouveau. » parce que je l’ai été, bien sûr que je l’ai été. À toutes les pages blanches qu’il a brûlées en les tapissant de son encre rageuse, là-bas. Ici par contre, c’est tout à recommencer, pour lui comme pour moi.
Ma silhouette le quitte, simplement pour mieux revenir une poignée de minutes plus tard. « C’est pas grand chose. » que j’excuserais presque, lui tendant un carnet à dessins vide, pour le moment. Un parmi tant d’autres qui traînent ici, mais un tout de même qui ressemble énormément à celui qu’il m’avait acheté à la blague à Londres, en y ajoutant une longue liste des arguments du pourquoi je devrais recommencer à peindre dans la marge. À mon tour, j’y gribouille un "Parce que ça suffit d'être terrifié" d’un fusain, posant le carnet sur ses genoux l’instant d’après. « Mais ça t’aidera peut-être. » sûrement. Dis-moi que ça t’aidera sûrement, Wyatt. « Je veux pas le revoir tant qu’il n’est pas rempli. » un ultimatum de plus, donné avec un sourire au coin des lèvres. On dirait presque un défi. |
| | | | (#)Mar 15 Déc 2020 - 22:11 | |
| « De quoi t’as peur ? » Elle impose les mots sans détour. « De quoi t’as peur ? » De tout faut croire. « De quoi t’as peur ? » « De ne pas être à la hauteur. »
Les mots sont murmurés honteusement dans un coin de barbe. Énième souffle qui m’échappe alors que s’étale sous mes yeux, les blocages qui m’ont amené là. Hanté par l’idée que l’on me rappelle à ma place, comme l’imposteur que j’ai toujours été. Celui qui écrit avec prétention, mais qui ne gagnera jamais sa place dans une maison d’édition. Il est là le problème. Dans mon imaginaire, au creux de mes convictions, la place sera toujours réservée à un autre. Elle a su le faire une fois, alors pourquoi pas deux ? Elle qui me répète si souvent que je ne suis bon qu’à faire de la pige pour le reste de ma vie. Elle s’est immiscée dans chacune de mes failles pour y laisser sa marque, pour marquer ma peau au fer rouge d’une trace de l’imposteur. Celui qui n’aura jamais réellement sa place parmi les autres. « C’est des conneries. » Je l’affirme haut et fort sans jamais passer par-dessus la crainte. Cantonné dans mon rôle d’écrivain raté dont les histoires ne vivront qu’au travers de carnet usés par le temps. « J’ai hâte, d’être fière de toi à nouveau. » Un rire nerveux m’échappe alors que je lève les yeux au ciel. Il est mort depuis longtemps ce temps où elle me regardait avec des étoiles dans les yeux. Ce fut un tremplin nécessaire pour elle. Ce n’est plus que des souvenirs lointains désormais. Quand je me pensais intouchable et incapable de plier. Pathétique en somme.
« C’est pas grand chose. Mais ça t’aidera peut-être. » Le carnet atterris sur mes genoux, ouvert à la première page. "Parce que ça suffit d'être terrifié". Écho d’un carnet bien trop semblable que j’avais laissé s’échouer dans sa valise il y a des années de cela. « C’est au moins quelque chose. » Un début. Encore faut-il trouver la volonté d’y donner une suite. Sa force de conviction réveille une envie de se battre, malgré tout. Et les mots manquent quand mes doigts glissent autour de son poignet dans un million de merci silencieux qui ne valent pas la peine d’être prononcé en boucle. Elle comprendra, je le sais. « Je veux pas le revoir tant qu’il n’est pas rempli. » À croire que c’était tout ce que j’étais venu chercher. Un énième défi. « Deal. »
Le silence s’égrène alors que mes doigts glissent entre les pages encore vierges du carnet. « Tu as un peu de temps à m’accorder ? » Quelques heures tout au plus. Comme avant, comme là-bas. Une dernière aventure avant de la quitter pour ne revenir que lorsque ma part du défi sera remplie, dans plusieurs mois ou même des années. C’est toujours comme cela que ça à fonctionner. |
| | | | (#)Sam 26 Déc 2020 - 20:33 | |
| « De ne pas être à la hauteur. » « À la hauteur de qui Wyatt? De quoi? »
Il va me détester un peu plus en l’état. Encore heureux qu’avec lui, ça ne soit pas la priorité qu’il m’aime ou non. Je ne veux que le meilleur pour Wyatt, je l’en sais capable. Il a le coffre et il a les idées, il est solide comme chancelant. Même immobile il tremble, et si ses yeux se sont armés de la mission de sillonner toute la pièce sans jamais s’arrêter nulle part, surtout pas au creux des miens, le voilà qui reste tout de même ici. Il encaisse tous les coups et les interrogations qui viennent avec, il s’ouvre et se referme aussi vite sans que je ne l’accepte, sans qu’il ne le veuille vraiment. « C’est des conneries. » non, absolument pas, et il le sait autant que moi. Ça sonnerait presque comme un merci si tel était que je n’en ai pas besoin. On a toujours fonctionné ainsi, peu importe l’année et la façon de faire. On a toujours été aussi brusques sans vraiment vouloir se blesser au passage. Qu’il remercie ou qu’il insulte, je n’en ai rien à faire. Je veux juste qu’il avance. Il est temps.
« C’est au moins quelque chose. » le cahier lui va bien, entre les doigts. Il brûlait les miens, doit faire de même avec les siens. Pourtant il en éparpille les pages sous la pulpe de son index et c’est définitivement tout ce dont j’avais besoin. Qu’il ne parle pas ne me fait pas un pli non plus, qu’il prenne ce temps-là rien que pour lui me semble logique. Il s’est perdu dans un monde qu’il refuse et qu’il abjecte, il se retrouve à coups de marges et de notes de bas de page, de pitch enflammés et de silences acides. Wyatt a besoin de beaucoup pour avoir confiance avant de créer ; tout ce que j’ai, je le lui redonnerai sans compter. « Tu as un peu de temps à m’accorder ? »
Et ce que j’ai, ce qu’il veut, c’est du temps. « Toujours. » il ne serait pas venu ici s’il en doutait, déjà. Il n’aurait pas étalé ses blocages, craquer sa carapace s’il ne se savait pas en sécurité. Même dans une brèche de vie où je me suis reconstruite sans lui. Qu’il prenne ses aises et qu’il écrive et qu’il respire aussi, surtout. « Je vais faire du café. » noir, brûlant, bouillant ; pour lui. Mon thé sera sucré de miel, sa tasse sera piquante de caféine. Et les heures pourront s’additionner autant qu’il en aura besoin. |
| | | | (#)Mar 29 Déc 2020 - 0:10 | |
| Les années se sont écoulées et les rôles se sont inversés. C’est elle qui cherche à gratter la surface pour mieux se dégager du vernis de circonstances et laisse apparaître le raw. Elle mène la conversation sans jamais imposer la révélation. D’un tour de passe-passe à un autre, elle laisse tous les silences nécessaires à la confidence. L’armure se craquèle en chaque point alors que je balance à l’aveuglette ce qui ne sortira jamais d’entre ces murs. Dans dix secondes, tout cela n’aura jamais existé. « À la hauteur de qui Wyatt? De quoi? » Je souffle à en faire se soulever les pages vierges du carnet. J’inspire pour la forme, expire pour l’équilibre. « Face aux autres. » Paradoxale quand on sait que ma vie est faite de compétition, que tout s’organise autour d’une volonté d’être le meilleur sans jamais se démonter. « Face à elle. » Surtout. Le talon d’Achille. Celle qui a brisé mille promesses et tout autant de possibilité. Elle qui a su mettre un clou dans chacune des failles pour mieux les faire courir le long de la façade. Elle dont je tairais le nom tant cela n’a plus réellement d’importance. Elle qui fait toujours partie de ma vie. Celle que je cherche constamment, pour me sentir vivant, juste un instant.
Il me brûle les doigts le carnet qu’elle a forcé – en douceur - entre mes mains. Ça devrait en être si simple. Attraper un crayon et écrire. Laisser la plume courir sur le parchemin, inspirer pour un mot, expirer pour dix de plus. L’exercice est aussi familier qu’il semble impossible. Je cours après le temps, juste encore un peu. Énième excuse pour se cacher, là où personne ne viendra me chercher. « Toujours. » Elle me l’accorde en tous les termes, elle signe le contrat sans relire les centaines de petits caractères. Son regard me donne l’autorisation, de baisser la garde, juste encore un peu. « Je vais faire du café. » Mes pas la suivent dans la minuscule cuisine. Je prends place sur un des tabourets de bar et observe sa danse méticuleuse dans la préparation du breuvage. Pour une fois, j’autorise le silence à m’engloutir. Mes doigts ne cessent de titiller les pages vierges du carnet. C’était instinctif avant, d’écrire tout ce qui me passait par la tête. Il y a cette histoire qui me hante et celle que je traîne depuis si longtemps. Mais j’attends… Je laisse le bruit des tasses qui s’entrechoque rythmer le mouvement de mes doigts contre la couverture de cuir et l’odeur du café qui emplis la pièce. Je me nourris des biens faits d’un silence salvateur. Et je pense. À milles choses et à rien. À ce que j’ai toujours voulu évoquer avec elle sans jamais oser en franchir la barrière. « Tu te souviens de Jules ? » La question est lancée dans un élan, jeter sur la table. La seconde d’après mes pas me mène à nouveau vers le chevalet que j’avais kidnappé. Au sol, traîne ma besace en cuir, mon plus vieil accessoire. Dedans, se cache un trésor d’antan que je viens étaler sous ses yeux. Six carnets et une clé usb. « Elle est là. » Tout est là, entre ses pages et sur les documents numérisés. Elle est là et elle me hante parce qu’elle n’a jamais eu de fin. « Prends là. » |
| | | | | | | | blushing light (winny #3) |
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