Elle tourbillonne dans la chambre et ramasse tout ce qui lui passe sous la main. Bailey revient et il semble souffrir un peu. Il n’arrive pas à se baisser ni à lever les bras, ça la fait rire un peu avant qu’elle ne se baisse pour l’aider à s’habiller. Elle l’aide à enfiler son jogging avant de se relever pour lui mettre un tee-shirt. Elle grimace à chaque fois qu’il a l’air d’avoir mal mais elle n’a pas d’autre choix que de continuer. Leurs regards se croisent et elle lui demande s’il veut aller dormir. Elle sait qu’elle ne dormira pas dans la chambre, il a besoin de temps et elle va lui en laisser. Elle pourrait le laisser seul dès maintenant mais elle s’attarde en s’approchant de la porte.

Il ne veut pas dormir et elle non plus, alors elle reste debout dans la chambre Elle le regarde s’allonger sur le lit ne sachant pas quoi faire. “Tu veux que je te ramène quelque chose ?” Il a des tas de cachets qu’il peut prendre, mais elle ne sait pas vraiment quoi faire. Elle reste debout en attendant de voir et de savoir ce qu’il veut faire. Même s’il ne veut pas dormir il voudra peut-être rester seul. “Sur le canapé, ou dans la chambre d’ami.” Ou, comme la nuit d’avant, elle ne dormira que deux ou trois heures après avoir nourri les jumeaux. Elle aimerait dormir dans son lit, pouvoir vivre avec Bailey comme s’ils étaient encore ensemble. Mais, elle doit se rendre à l’évidence, ce n’est plus le cas.

Elle sourit avant de se rapprocher du lit. “C’est toi qui choisi ?” Elle fait la moue avant de s’asseoir et regarder ce qu’il y a à l’écran. “Oh…” Elle rit avant de tourner sa tête vers Bailey. “C’est là que je dois grogner et râler parce que cette série est trop nulle et que tu pourrais faire bien mieux que regarder ce genre de choses ?” Et c’est à ce moment là où si tout avait été normal elle se serait penchée pour l’embrasser et détourner son attention. Mais ce soir, elle s’attarde un peu dans son regard à lui avant de pincer les lèvres et s’allonger dans le lit pour regarder l’épisode qu’elle a déjà vu plusieurs fois.

« Tu veux que je te ramène quelque chose ? » Je secoue la tête à la négative. « Non, c’est bon. » Je sais que je devrais prendre les médicaments que m’a donnés le médecin, mais je n’ai pas envie de m’abrutir pour le moment. Peut-être que je vais pouvoir dormir tranquillement cette nuit. Si ce n’est pas le cas, alors je reprendrai mon traitement. Je dois juste ne pas oublier mon anti-douleur, c’est encore indispensable tant, j’ai mal à mon poignet et à mes côtes. Heureusement, Jill est là, parce que les médicaments m’assomment et je ne sais pas vraiment si je pourrais me réveiller assez rapidement si les petits se réveillent en hurlant. « Sur le canapé, ou dans la chambre d’ami. » Sa réponse me serre le cœur, mais je préfère ne pas renchérir. C’est juste compliqué. Je ne me vois pas de lui demander de rester alors qu’il y a quelques heures encore, je lui ai demandé du temps. Dormir dans le même lit, c’est troubler les limites imposées. « Si je les entends pas, faut pas que t’hésite à me réveiller. » J’ai l’habitude de me lever la nuit pour eux, ce n’est pas parce que je suis blessé que cela doit changer. Je connais les petits trucs pour les calmer quand c’est un peu compliqué et que Tracy a décidé qu’elle avait terminé sa nuit à quatre heures du matin.

En attendant, je compte bien me détendre un peu en regardant quelque chose à la télévision. Je laisse un léger sourire se dessiner sur mes lèvres lorsque Jill s’installe à côté de moi. Jusqu’à ce que l’écran affiche un épisode en cours de sa série favorite. « C’est là que je dois grogner et râler parce que cette série est trop nulle et que tu pourrais faire bien mieux que regarder ce genre de choses ? » Je commence à rougir comme un adolescent avant de hausser les épaules. « Je… » Je ris un peu nerveusement. « J’ai pas d’excuses, je dormais pas un soir et j’ai trouvé ça sur le PC. » J’ai commencé à regarder et peut-être qu’au final, ce n’était pas si nul que ça. Et regarder ça, avec Jill à mes côtés. C’est le meilleur des remèdes pour se sentir un peu mieux.

***

J’ai dû finir par m’endormir à un moment. Je ne me souviens pas avoir éteint l’ordinateur ou même la lumière. En réalité, c'est des petits coups répéter sur la joue qui finit par me tirer du sommeil. Je bâille longuement avant d’ouvrir les yeux avec un peu de difficultés. Il me faudra quelques secondes pour comprendre ce qui se passe. Jill est toujours à mes côtés, juste un peu plus loin. Entre nous, les deux petits monstres et Bowie a décidé que s’agiter en mettant des coups de pieds à papa c’était un bon réveil. « Ça va, ça va, je suis réveillé. » que je ronchonne avant de prendre mon petit garçon contre moi et l’entendre babiller. Lorsque mon regard se lève à nouveau, je trouve Jill le regard plonger sur notre fille. Les deux sont dans leur bulle et Tracy a enroulé ses petits doigts autour de l’index de sa mère.

Il ne veut rien, alors elle décide de se rapprocher et de s’asseoir sur le lit. Elle n’ose pas vraiment, puis elle s’allonge sur le lit quand elle voit qu’il n’est pas hostile. “T’as besoin de dormir et de guérir.” Autrement dit elle compte bien se lever et s’occuper de ce qu’il y a à faire pendant qu’il guérit petit à petit. Il y a pleins de choses qu’elle ne sait pas faire, mais elle n’a pas le droit de craquer alors que ça ne sera que la deuxième nuit qu’elle passe dans la maison avec les jumeaux et Bailey. Elle se concentre sur l’écran qui s’allume et se tourne rapidement vers Bailey quand elle remarque qu’il est au milieu de l’épisode d’une série qu’elle a déjà regardé au moins 5 fois. “Et tu t’es rendu compte que c’était la meilleure série de tous les temps.” Oh il va en entendre parler un bout de temps de tout ça. Elle va garder cette information dans un coin de sa tête. Elle ne sait pas s’il a regardé cette série parce qu’elle lui rappelait Jill ou simplement parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Elle ne posera pas la question, elle préfère ne pas connaître la bonne réponse et se faire ses propres idées. La vérité pourrait être blessante.

***

La nuit a été longue et Bailey n’a presque pas bougé. Jill a fini par s’endormir sur la chaise présente dans la chambre des jumeaux. Ils ont mieux dormi que la nuit d’avant, comme si la présence des deux parents dans la maison les aidait à rester calme et à être un peu plus apaisés. Il est très tôt le matin et elle est épuisée. Tracy n’arrête pas de pleurer et elle ne sait pas comment la calmer. Les dents de Jill se serre quand elle tente de la bercer dans ses bras. Elle se souvient de ce que Bailey a pu dire. Ils se calment quand ils sont avec lui dans le lit. Jill a donc pris Bowie et Tracy dans ses bras pour les allonger dans le lit où Bailey dort encore profondément. Bowie babille contre le torse de Bailey et Tracy se calme peu à peu en attrapant les doigts de Jill. Ce contact est nouveau, autant pour le bébé que pour Jill. Elle plonge son regard dans celui de sa fille et, pour une fois, un lien se crée. Elle sourit à peine et elle n’entend même pas Bailey qui se réveille. Elle laisse glisser sa main sur le ventre du bébé et relève les yeux vers l’homme qu’elle aime. “Bien dormi ?”  

Ce genre de réveil, j’en ai rêvé pendant des semaines. Ouvrir les yeux pour trouver mes enfants et ma femme à mes côtés. C’est tout ce que j’avais imaginé durant la grossesse de Jill et tout ce qu’elle n’a jamais voulu nous offrir. Instinctivement, je ramène Bowie tout contre moi alors qu’il raconte un million d’histoires ce petit bonhomme. Le cœur lourd, j’observe Jill interagir avec notre fille, elle qu’elle avait tant rejeter depuis le départ. Elle est si calme Tracy alors qu’elle joue avec les doigts de sa maman, tapant ses petits pieds sur le matelas pour exprimer sa joie. Je me mords les lèvres pour ne pas laisser échapper un sanglot tant cela devrait être notre normalité et non pas quelque chose de si exceptionnel que je me demande par trois fois si je ne suis pas en train de rêver. « Bien dormi ? » Je sursaute un peu lorsque la voix de Jill vient briser le silence. Mon regard se relève pour croiser le sien tandis que je hausse les épaules. « Oui, ça va. » Les questions et les reproches se bouscule dans un coin de ma tête. Elle est là pour combien de temps ? Elle va forcément disparaître à nouveau tant elle avait été claire à ne pas vouloir de cette vie. Mon regard s’échappe du sien lorsque Bowie revient me mettre des coups de pieds et de main. « Oui bonhomme, qu’est-ce qui y a ? » Il se met à sourire dès que mon regard se pose sur lui, le petit coquin. Et on est parti dans un concert de "aaaaeuh" qui me font sourire comme un abrutit. « Tout ça mon cœur ? » Et il renchérit encore plus fort. « Ah oui, t’as fait ça avec maman ? » On se perd dans une conversation qui n’a de sens que pour moi, mais qui développe ses interactions et intrigue sa sœur qui tourne la tête vers nous pour ajouter sa version des choses. « Vous êtes bien bavard, ce matin, tous les deux. » que je plaisante avant de me redresser un peu pour venir embrasser leurs joues potelées. Et mon regard, plein de défi, finis par croiser celui de Jill. « C’est ce que tu manques depuis le début. » Nos enfants ne font pas que hurler, au contraire. Si on prend le temps, si on s’apaise avec eux, cela donne des moments comme celui-ci. Elle a pas eu le temps de le comprendre ou même de le voir, elle a préféré fuir. C’est un reproche qui ne disparaîtra pas aussi facilement, qu’importe ce qui se passe. Je suis en colère après elle et je ne sais comment l’exprimer autrement que par les reproches. Je lui en veux tellement de ne pas avoir cherché de solution que celle de la facilité.

Tout se passe bien. Jill partage un moment privilégié avec sa fille. Ces moments sont rares pour elles. Jill a du mal à être proche de Tracy, et c’est toujours difficile aujourd’hui. Elle se perd dans ses pensées, laisse le bébé jouer avec ses doigts et ne fait pas de bruits. Bailey ouvre un oeil parce que Bowie a décidé qu’il a assez dormi. Il tape des pieds et des mains, bouge dans tous les sens jusqu’à ce que son père le prenne dans ses bras. Il babille, une vraie pipelette et Jill sourit en les regardant interagir. Bailey répond au petit garçon comme s’ils avaient une véritable conversation. Elle les observe comme s’ils faisaient partie d’un autre monde. Il leur parlait déjà quand Jill était enceinte, il avait de vraies conversations avec eux alors qu’ils n’étaient même pas encore nés et il continue aujourd’hui. Alors elle se tait, elle les regarde et observe Tracy qui commence à reporter son attention vers Bailey.

La petite se met à faire les mêmes sons que son frère en se tournant vers les deux garçons. Ils se comprennent peut-être tous les deux. Leur connexion est si impressionnante que personne ne pourrait les comprendre. Le regard de Jill croise celui de Bailey, et alors que tout se passait bien, il faut qu’il décide de parler pour s’adresser à elle. Le souffle de la jeune femme se coupe et elle fronce les sourcils. Elle lâche son regard pour l’éviter tant qu’elle le peut, il a gâché tout ce moment en une simple phrase. Et, de nouveau, elle ne se sent plus à sa place. Comme si lui avait le droit à ce genre de moment avec eux et qu’elle non, parce qu’elle n’est qu’une imposteuse dans ce rôle de de mère qu’elle n’a pas accepté dès le premier jour. Elle aura beau faire tous les efforts du monde il ne lui pardonnera jamais. Elle le voit dans ses yeux, il ne veut plus d’elle dans sa vie parce qu’elle l’a trop blessé cette fois. Elle se racle la gorge bruyamment avant de regarder ses doigts toujours enlacés à ceux de sa fille. Elle a loupé tout ça depuis qu’elle est partie, et lui il les connait par coeur. Elle pince les lèvres et ne dit rien. Cette journée commence plutôt mal.

Elle se sent oppressée dans ce lit. Comme s’ils étaient tous les trois en train de l’observer parce qu’elle a tout gâché. “Je vais préparer du café.” Sa main passe encore une fois sur le ventre de la petite fille et elle se lève, se retournant encore une fois pour la caler avec un des coussins pour ne pas qu’elle tombe. Elle va aller préparer du café.

Elle est véritablement laide la rancœur qui m’emprisonne. Celle qui vient teinter mon cœur d’une vague noire. La logique voudrait que je profite pleinement du moment qui s’offre à moi. Ce genre d’instant dont j’ai rêvé pendant des mois sans jamais réellement l’effleurer du bout des doigts. On est là, sous le même toit, dans le même lit. Tous les quatre pour la première fois. Cela devrait être suffisant, cela devrait insuffler un vent de nouveauté, susurrer de l’espoir entre nous. Pourtant, c’est bel et bien la noirceur qui prend le dessous. Celle qui emporte tout sur son passage, qui impose des œillères et qui déconnecte. Cette rancœur qui m’a trop longtemps tenu éveiller au point d’en épuiser mon corps et mon esprit. Tout ce qui m’importe, c’est de donner une date limite à ces moments magiques. Savoir pour ne plus se laisser briser en mille morceaux. Parier sur son prochain départ, se préparer au pire. C’est la légitime défense qui prime tant la voir aussi proche des enfants fait battre mon cœur d’un espoir qui semble vain. De la poudre aux yeux. C’est tout ce que j’y vois tant la confiance qui régnait entre nous s’est vu égratigner par nos différentes actions. En rien, je ne veux me laisser berner. Non, la rancœur parlera en premier.

En un souffle, le château de cartes s’écroule. La lueur qui traverse ses pupilles me fait comprendre que je suis allé trop loin, encore une fois, j’ai foncé dans le mur tête baissée. Ce n’est pas moi, c’est la rancœur que je voudrais lui signifier, alors que déjà, elle cherche une issue de sortie. Alors il s’en réduit à ça notre couple ? Un qui souffre sur la durée avant de cracher son venin, l’autre qui souffre en permanence et préfère finir par s’enfuir au loin ?! C’est la confusion qui prime tant, j’ai envie de m’excuser et de la rassurer, tout autant que j’ai envie de cracher plus fort et plus dure. Mais la douleur que je lis au fond de ses yeux me lance un frisson glacial. L’instinct premier est de vouloir la protéger, malgré tout. « Jill… » Je voudrais m’excuser, trouver les mots adéquats, mais déjà elle s’en va vers l’avant. « Je vais préparer du café. » En une demi-seconde elle est debout. Un oreiller pour protéger notre fille et ses pas qui l’entraînent vers la sortie. « Je voulais pas le dire comme ça. » Je le pensais, c’est sûrement cela le pire, mais je voulais pas que ce soit interpréter de la sorte. Enfin, je crois. Tout me semble si confus tant, je ne me reconnais pas dans cette colère qui m’aveugle et me transporte.

Pas le temps d’en dire plus que mon regard tombe sur Tracy. Petit être désemparé qui tourne sa tête de tous les côtés à la recherche de la main protectrice qui se trouvait sur son ventre quelques secondes auparavant. Ses petites lèvres se mettent à trembler et la seconde d’après c’est un sanglot déchirant qui envahis la pièce. Jill est à la porte lorsque nos regards se croisent à nouveau. Je déglutie avec douleur, loin d’être fier de ma personne. « C’est toi qu’elle appelle. » Je pourrais prendre ma fille dans mes bras, mais ça ne servirait à rien. Ce n’est pas moi qu’elle cherche, c’est sa maman. Celle qui est parti un peu trop vite à son goût. Et cette fois, cela ne sonne en rien comme un reproche, mais plutôt comme une évidence. Et quand Bowie, par mimétisme, rejoint sa sœur dans le concert des larmes, je comprends que les rôles s’inversent. Je me lève sans gestes brusques et me dirige vers celle que j’aime, malgré cette foutue rancœur. « Reste avec eux. » C’est de toi qu’ils ont besoin Jill.

Tout était parfait. Petit à petit, elle arrivait à trouver sa place au milieu de cette famille que Bailey a construit sans elle parce qu’elle le lui a demandé. Mais elle essaie de revenir doucement. Elle ne veut pas aller trop vite, elle a peur de faire des erreurs, ou pire, de se sentir de nouveau aussi mal qu’après l’accouchement. Mais elle a l’impression d’aller un peu mieux même si elle a rechuté à plusieurs reprises depuis que les jumeaux sont nés. Il aura suffit d’une seule phrase, quelques mots de Bailey pour briser l’harmonie et la beauté du moment. Elle en a le souffle coupé la brune, son regard quitte celui de l’homme qu’elle aime pour se poser quelques secondes sur sa fille. Elle a envie de s’éloigner, juste quelques minutes pour encaisser le coup qu’il vient de lui porter avec les mots. Il lui en veut d’être partie, de les avoir abandonné, et il ne lui pardonnera certainement jamais.

Elle replace Tracy et se dirige vers la porte, quelques minutes seule dans la cuisine c’est tout ce dont elle a besoin. C’est normal qu’il lui en veuille, mais c’est toujours aussi dur de voir qu’il ne l’aime plus. Son regard a changé, ses réactions aussi, et elle commence à se dire qu’il est trop tard pour tout rattraper. Elle ne sait pas quoi faire, il n’y a pourtant que lui qu’elle aime mais c’était la fois de trop. Il y avait une limite, et elle l’a franchi après 10 ans à tenter de l’éloigner d’elle le plus possible. Il est toujours revenu, il s’est toujours accroché, et pourtant, aujourd’hui, il fait tout pour qu’elle ne fasse plus vraiment partie de sa vie comme elle l’aimerait. “Si c’est exactement ce que tu voulais dire.” Elle le sait, et s’il n’était pas aussi gentil d’autres reproches auraient franchi la barrière de ses lèvres. Mais elle encaisse encore Jill, elle pince les lèvres et ferme les yeux alors qu’elle entend Tracy se mettre à chouiner. Tout le monde a donc décidé de gâcher et de faire exploser la bulle qu’ils avaient créé.

Elle croise le regard de Bailey une fois avant de tout faire pour l’éviter. Elle n’a pas envie de le regarder et voir à nouveau cette haine et tous ces reproches dans son regard. Bowie se met lui aussi à pleurnicher quand Bailey se lève et je croise les bras sur ma poitrine. Je l’écoute mais je ne réponds pas. Ils ont besoin d’elle depuis des mois et il n’y a que depuis quelques jours qu’elle est véritablement présente. Bailey passe à côté d’elle alors que les jumeaux font de plus en plus de bruits. Elle fronce les sourcils mais retourne vers le lit, elle avait vraiment besoin d’un café. “Chuuuut…” Elle prend la place du coussin qu’elle avait déposé et pose une main sur le ventre de Bowie et laisse Tracy jouer avec ses doigts de nouveau. Cette fois, elle n’a pas fuit. Et c’est certainement le pas le plus grand qu’elle ait fait depuis le jour de leur naissance.

Comment tenir encore debout quand tout semble s’écrouler autour de nous ? Comment lui dire que je suis reconnaissance de sa présence à mes côtés depuis l’accident sans effacer son départ et le million d’erreurs que l’on a produit juste avant ? Comment rendre tout cela crédible sans piétiner les sentiments que je lui porte ? Tout me semble si complexe depuis des mois et tout ne cesse de s’intensifier depuis qu’elle a décidé de ne plus me quitter. C’était si simple lorsqu’elle était loin. Je pouvais la haïr à ma guise, rager sur son absence, lister toutes ces choses que je pourrais lui reprocher une à une lorsqu’elle dégénérai réapparaître. Je l’attendais au tournant, n’ayant jamais prévu de foncer dans un mur et de la retrouver à mon chevet. Depuis, j’ai la sensation de marcher en équilibre. Entre mon amour pour elle et cette colère sourde que je suis bien incapable d’exprimer. Cette colère qui se dépeint au travers de mot si mal exprimer qu’ils en viennent à faire exploser cette bulle que l’on tentait de maintenir entre nous. Cette illusion qui n’aurait tenu qu’un temps, comme toujours. « Si c’est exactement ce que tu voulais dire. » Ce n’est que la vérité dans le fond. Elle ne sait rien d’eux, si ce n’est qu’elle est décider que Tracy pleurait trop à son goût. Elle est encore si petite notre fille, elle a besoin qu’on la protège, qu’on l’aime et qu’on lui fasse ressentir tout cela.

Des pleurs, j’en ai entendu tout un tas depuis un mois et demi. Jamais je n’avais entendu Tracy pleurer de la sorte. Des petits sanglots incontrôlables alors qu’elle ne cesse de tourner sa tête dans tous les sens. Elle frappe en plein ventre la réalité quand ce petit bébé ne fait que chercher sa maman qui est partie bien trop abruptement. Tout se joue à cette seconde-là. Si Jill continue son chemin sans se retourner, elle ne remettra plus jamais un pied dans cette maison. Je retiens mon souffle, le temps que nos regards se croisent et qu’elle fonce à nouveau vers le lit. « Chuuuut… » Et mon cœur rate un battement – ou deux – lorsque je la vois s’allonger à nouveau contre la petite. Une seconde de plus et Bowie s’apaise. Une seconde supplémentaire et Tracy est revenu agripper la main de sa maman, laissant s’échapper un dernier gros sanglot de chagrin avant de s’apaiser pleinement. Elle est là, la preuve ultime que ce sont eux, la force dont on a besoin. « Merci… » que je murmure doucement en direction de ma famille. Et si quelques larmes s’amusent à rouler sur mes joues, elle n’en a pas besoin de le savoir.

Une vingtaine de minutes plus tard, après m’être insulté de tous les noms dans la cuisine, m’être adressé un million de reproches contre une centaine contre Jill et après avoir fait couler du café et préparer des biberons, je remonte dans la chambre. Porter le plateau me fait un mal de chien, mais je serre les dents. Lorsque j’entre dans la chambre, Jill n’a pas bougé d’un millimètre. Tracy s’est endormie lover contre sa maman, Bowie est encore en train de papoter doucement. Mon poignet tremble, mais je reste là, juste à l’entrée de la chambre. J’observe ma famille. La femme que j’aime et nos enfants. Cette scène, dont j’ai tant rêvé et qui m’échappe tant le puzzle semble impossible à former à quatre. Je ne sais combien de temps s’écouler, à me perdre dans mes pensées, mais c’est Bowie qui finit par vendre ma présence lorsqu’il lâche le regard de sa mère pour m’observer moi. Je lui souris à notre petit bonhomme avant de venir déposer le plateau sur la table de nuit. « Je t’ai fait du café. » Juste comme tu l’aimes. Pardonne-moi d’être le roi des cons. « Elle a l’air bien là. » que j’ajoute doucement mes yeux se posant sur Tracy qui a agrippé le tee-shirt de Jill pour s’en servir de doudou.

Et le silence s’installe entre nous. Il perdure dans un malaise grandissant. Quelque chose qui n’a jamais exister dans notre couple tant il y avait toujours à débattre, à rire ou même à se disputer. Quelque part au bout du chemin quelque chose s'est brisé. Je ne sais quel morceau, il faudrait ramasser en premier pour que cette fois, la fondation soit la bonne. « On pourrait aller sur la plage aujourd’hui. » Et surtout prétendre que rien de tout cela n’est arriver. Je ne veux pas de longue discussion, pas maintenant. Je n’aurais pas la force de l’entendre me dire qu’elle va partir, que rien ne pourra plus jamais coller entre nous. J’ai besoin de sursis, encore un peu.

Elle était à deux doigts de sortir de la chambre, mais elle ne voulait pas s’enfuir. Elle voulait juste se poser quelques minutes dans la cuisine en faisant son café. Elle soupire et ne le regarde plus. Les mots qu’il a utilisé étaient durs, et terriblement vrais. Mais Jill préfère bouder comme une enfant plutôt que de l’avouer. Elle sait qu’elle a loupé beaucoup de choses, mais elle n’était pas prête. Il ne le comprend pas tout ça, et il la déteste ces derniers temps, il déteste Jill et le fait qu’elle soit dans les parages. Il s’est levé et lui a dit que les bébés avaient besoin d’elle. Elle aurait pu partir, c’est ce qu’elle aurait fait il y a des semaines. Mais elle contourne Bailey pour se poser de nouveau à côté de Tracy. En quelques minutes les jumeaux s’arrêtent de pleurer et se calment. Ca la rassure d’avoir ce pouvoir finalement, et, petit à petit, elle prend un peu plus confiance en elle.

Les minutes passent, elle entend du bruit en bas mais ne bouge plus à partir du moment où Tracy commence à fermer les yeux en se collant de plus en plus à sa maman. Elle échange des regards emplis d’amour avec Bowie, le petit garçon continue de babiller sans arrêt. Il a des tonnes de choses à dire et Jill finit par rire, attendrie par le petit bonhomme qui n’a pas l’air de vouloir dormir. Il tourne subitement la tête vers la porte et Jill fait la même chose. Bailey est remonté, un plateau plein entre les mains. Elle fronce les sourcils, il n’a pas le droit de faire ça. “Tu peux pas utiliser ton poignet.” Elle ne bouge pas de peur de réveiller sa fille. “Je peux plus bouger.” Mais la petite fille est très bien calée. Elle n’a pas envie de parler, alors le silence s’installe et le café refroidit. Elle écoute Bailey mais son attention est centrée sur ses doigts avec lesquels Bowie joue. “Dès qu’il fera un peu plus chaud.” Il est encore tôt, mais ça ne leur fera pas de mal de sortir un peu. La maison est à seulement quelques mètres de l’eau. “Faut pas que tu te fasses mal.” Parce que ce qui importe encore plus que le mal être de Jill à cet instant c’est bien les blessures de Bailey.

Seul, dans la cuisine, je m'agrippe au comptoir, ferme les yeux et souffle un longuement. Je ne sais plus si je suis en colère contre Jill ou envers moi-même. La dualité de mes sentiments ne cesse de me faire tourner la tête. Partager entre cette envie viscérale de lui montrer à quel point j'ai mal et cette volonté de préserver notre famille si ce n'est notre couple. Tout repose sur un équilibre précaire. Si nous avions toujours vécu sur le fil, j'ai la sensation qu'aujourd'hui tout est véritablement différent. Je ne cherche plus a la retenir contre vent et marée. Au plus profond de moi, je sais que jamais mes sentiments ne pourront s'altérer. Quoiqu'il arrive, je l'aimerais, c'est un fait, une variante immuable. Sûr de ce que je ressens, mais perdu dès qu'il s'agit de ses intentions à elle. Durant des années, peut-être à tort, j'ai clamé connaître Jill mieux que personne. À la moindre faille, j'étais là, prêt a tout rattraper, a tout pardonner. J'ai encaissé en serrant les dents, en ne cessant de me répéter que je l'avais probablement bien mérité en épousant sa soeur. Puis les années sont passées, j'ai divorcé, je me suis détaché de cette vie d'avant et le comportement de Jill n'as en rien changer, cherchant toujours la limite de plus à franchir. Et désormais cette sensation de n'être qu'un acquis dans sa vie ne cesse de me ronger de l'intérieur. Quoiqu'elle fasse, elle pense que je serais là à son retour. Je le pensais aussi, jusqu'à ce qu'elle franchisse la limite de trop. Et depuis, il semblerait que l'on s'acharne l'un contre l'autre, incapable de se dire les choses, mais tout autant désireux de conserver ce pourquoi on s'est battu pendant des années. En rien, je ne veux baisser les bras, pas maintenant, pas alors qu'elle est là avec nous. Mais je me trouve bien incapable d'exprimer ce que je ressens réellement, abattu par la fatigue et blessé de partout, je traîne la patte espérant que l'on pourra se trouver du sursis encore un temps.

La scène qui m'accueille lorsque je reviens dans la chambre me donne un espoir si différent. Jill est toujours allongée sur le lit, Tracy blottie tout contre elle et Bowie qui lui raconte des merveilles. Le sourire que je capte aux coins de ses lèvres fait tressauter mon cœur d'une manière nouvelle. Il réside là, l'espoir d'un avenir meilleur à quatre, dans les petits moments qu'elle nous accorde de jour en jour, mais le monstre de la fuite ne reste jamais bien longtemps au fond du placard. Il est toujours là, sur mon épaule, à me suggérer constamment que cela n'est qu'éphémère. Une fois encore, mes émotions sont mes pires démons.

« Tu peux pas utiliser ton poignet. » Je hausse les épaules et viens déposer le petit plateau sur la table de nuit. « C'était pas si lourd. » J'ai mal, mais ce n'est rien. Elle voulait du café, c'est tout ce que je voulais faire pour elle. L'instant d'après, mon regard se pose sur Tracy qui n'a probablement jamais dormi de manière aussi calme. « Je peux plus bouger. » Un léger sourire tendre se dessine sur mes lèvres alors que mon regard cherche le sien. « Profites-en. » Pleinement. Ce genre de moment est rare, mais tellement appréciable. Elle a besoin de ça, elle aussi, pour avancer, pour faire ses choix, j'en suis certain. Bowie a décidé de boycotter la sieste, préférant observer les doigts de sa maman sous toutes les coutures avant de se les mettre à la bouche. Je propose une sortie, anodine, un moment en dehors de ces murs. Une proposition vaine de pardon. « Dès qu’il fera un peu plus chaud. » Et sa réaction de maman, me fait frissonner. Elle est belle là, encore plus qu'avant, pleinement dans son rôle, juste à sa place. « Quand tu veux. » que je murmure pour ne pas briser le moment. « Faut pas que tu te fasses mal. » « Ca ira. » Je lui promets dans un regard. « Je suis désolé de t'avoir fait peur comme ça. »

***

Après un mauvais départ, la matinée fut bien plus tranquille. J'ai laissé Jill profiter des enfants et je la soupçonne de s'être endormie avec eux. Elle en avait besoin tout autant qu'eux. Ils ont chacun pris un biberon et nous voilà dans leur chambre. L'idée est de les préparer pour ensuite sortir un peu sur la plage. Il ne fait pas si frais, mais c'est important qu'ils soient bien couverts tous les deux. Avec des jumeaux, c'est parfois mieux de se la jouer en team. Chacun allongé sur une table à langé, Tracy avec papa, Bowie avec maman. Limité par mon attelle, c'est Jill qui se charge des couches. Après avoir changé celle de Tracy et m'avoir laissé la place pour tenter, d'habiller la petite, voilà qu'elle s'occupe de Bowie. Je l'observe faire en souriant, mais voir notre fils les fesses à l'air me fait penser que. « Jill, tu devrais faire attent... » Pas le temps de finir ma phrase que Bowie vient de lui faire pipi dessus. Les joies d'avoir un garçon. La tête surprise de Jill me fait éclater de rire. « Oopsie ? »

Elle se concentre sur les bébés, elle essaie de ne pas s’énerver contre Bailey qui lui a encore lancé une pique. Il panique, il ne sait pas quoi penser du retour de Jill et elle le sait. Ca lui parait étrange qu’il ne la laisse pas rentrer à nouveau dans sa vie aussi facilement qu’avant. Elle galère Jill, et elle n’en a pas l’habitude. Pour le moment elle serre les dents, elle ne dit rien à Bailey alors qu’elle aura déjà pu s’emporter. Elle préfère rester contre Tracy et surveiller Bowie juste à côté. Elle se concentre sur eux, un léger lien s’établit petit à petit. Les minutes sont longues mais elle ne rappelle pas Bailey, elle le laisse faire. Elle aussi a besoin d’un peu de temps pour digérer ce qu’il vient de lui dire. Il aurait pu dire des tas d’autres choses, mais il a préféré se taire. Ils vont devoir avoir cette conversation à coeur ouvert, elle le sait. Mais ni l’un ni l’autre n’a l’air prêt pour ça. Ils préfèrent passer du temps avec les bébés, se concentrer sur eux plutôt que sur leur couple. C’est bien plus simple.

Il remonte de longues minutes plus tard, avec un plateau et Jill fronce les sourcils. Il n’a pas le droit de porter quoi que ce soit et il le sait très bien. “C’est pas une raison.” La voilà qui lui fait la morale. Elle ne peut plus bouger, elle ne veut pas réveiller la petite fille. Elle hoche la tête. C’est encore difficile de trouver cette situation normale. Elle est moins hostile qu’il y a quelques semaines, mais elle ne se sent toujours pas pleinement à l’aise à câliner les jumeaux. C’est un chemin long, sinueux, et très difficile. Son attention se reporte vers Bailey alors qu’elle croise son regard un long moment cette fois. Elle pince les lèvres, elle ne va pas encore une fois lui dire qu’il ne devrait pas utiliser son poignet. Il s’excuse et elle secoue la tête, elle le méritait, elle le sait. “Tu m’as pas fait peur.” Il a juste touché là où ça fait mal, pile à l’endroit où ça leur fait mal à tous les deux.

***

La matinée s’est bien passée, et la jeune femme s’est même endormie avec ses bébés. Elle ne sait pas combien de temps s’est écoulé avant que Bowie ne chouine mais elle se sent un peu plus reposée. Les heures passent et ils se retrouvent tous les quatres dans la chambre des jumeaux. Jill est la seule à pouvoir changer les couches et les habiller correctement, alors c’est ce qu’elle fait. Elle les prépare pour aller jusqu’à la plage. Elle garde Bowie entre ses mains, encore légèrement perdue elle le laisse apparemment un peu trop longtemps sans couche. Bailey tente de la prévenir mais c’est déjà trop tard, Jill se retrouve avec un tee-shirt trempé. Bailey rit et Jill grogne en gardant une main sur Bowie pour pas qu’il ne tombe. “Tu peux le tenir ? Je vais être obligée d’aller me changer là.” Elle fronce un peu le nez et lui met rapidement une couche pour que ça n’arrive pas une nouvelle fois.

Les deux petits sont habillés, Jill a eu le temps de se changer et de préparer quelques sacs avec Bailey. Les voilà prêt à se balader sur la plage.

Ce n'était rien dans le fond, juste un petit accident. Quelque chose qui m'est déjà arriver par inattention. On aurait pu éclater de rire ensemble. À cet instant précis, on aurait pu se rapprocher un peu, mais Jill préfère grogner. Comme si Bowie l'avait fait délibérément, comme si je riais pour me moquer d'elle alors qu'en réalité, je ne cherche qu'à détendre l'atmosphère. « Tu peux le tenir ? Je vais être obligée d'aller me changer là. » Je hoche la tête alors qu'elle termine de lui mettre sa couche dans un silence qui me paraît comme glacial. Dès qu'elle s'éloigne, je viens poser ma main sur le ventre du petit garçon. Elle m'a dit d'attendre, mais je tente quand même de l'habiller pour gagner du temps, pour participer un peu aussi. Il me fixe de ses grands yeux bleus le petit bonhomme et je lui adresse un sourire. « Maman, elle est pas fâchée. » que je lui assure avant de venir déposer un baiser sur sa petite joue potelée. Elle essaye juste d'apprendre sa maman. Le cycle ne va pas se répéter, j'ai besoin de me raccrocher à ça. Elle a juré qu'elle serait là, je me dois de la croire.

Lorsque tout le monde est prêt, je sors les portes bébés que j'ai acheté il y a de cela quelques semaines. Bien plus pratique lorsqu'un des jumeaux pleurs beaucoup et a besoin d'être rassuré. « On va utiliser ça. » Et je m'approche d'elle pour lui montrer comment cela fonctionne. Elle garde Bowie tout contre elle et je l'aide à faire les réglages pour que ce soit confortable pour les deux. À plusieurs reprises, mes doigts viennent effleurer sa peau m'envoyant des décharges que je ne pensais plus connaître. Comme au premier jour, comme un adolescent. Je tente d'y faire abstraction en me concentrant sur ma tâche, un léger sourire aux lèvres. « Tu m'aides pour Tracy? » Et on recommence le processus, installant ma fille dans le porte-bébé. Une fois contre moi, elle vient poser sa petite tête contre mon torse et j'en profite pour lui voler un bisou ou deux. « On va vous montrer le meilleur endroit du monde. » que j'annonce doucement alors que l'on se dirige vers l'arrière de la maison, direction la plage. Bien entendu, Logan est déjà en train de courir sur le sable, impatient qu'on le rejoigne enfin.

La balade se fait dans le calme, chacun perdu dans ses pensées, le regard fixé sur le sable ou l'écume. C'est un silence tout aussi lourd qu’apaisant. Auparavant, c'est main dans la main que l'on venait se promener ici. Notre dernière soirée sur cette plage avait donné une lueur d'espoir à notre couple avant que tout ne s'effondre. Je me sens comme incapable de lancer un sujet, effrayé a l'idée de tout gâcher encore une fois ou pire qu'elle le prenne mal. Je ne saurais quoi dire quand en réalité, je ne cesse de penser que la balle est dans son camp. Ma colère, c'est déjà bien trop exprimer et en rien, je ne souhaite ruiner ce moment. Alors on avance en silence, Logan est le seul à venir nous interrompre de temps en temps.

Essoufflé par mes blessures et le poids de Tracy sur mon torse, je me dois de ralentir le rythme plusieurs fois. Je pensais pouvoir tenir, mais je dois avouer que cela devient compliqué. « Petite pause ? » Et peut-être que si on prend le temps de se poser, face a cette vue qui fait tant sens pour nous, on arrivera à se parler normalement.

Elle part se changer avant d’aller à la plage. Bailey est en train de parler avec les jumeaux, comme il le fait toujours. Jill, elle, n’arrive pas à le faire. Ca se passe comme quand ils étaient dans son ventre, elle se dit qu’ils ne la comprennent pas, alors pourquoi leur parler ? Les échanges qu’elle a avec eux sont basés sur des sourires et un enchaînement de areuh qui peuvent durer de très longues minutes quand eux essaient de communiquer avec leur maman. Bailey l’aide à prendre Bowie contre elle. Ils ne prennent pas la poussette, et elle apprend à utiliser un porte bébé. Elle ne sait pas si elle va tenir pendant toute leur balade mais elle essaye.

Les bébés sont placés, Logan est déjà en train de courir partout et Jill sourit finalement. Ils auraient dû faire ces sorties il y a un moment déjà. La plage, ça veut dire beaucoup pour eux, c’est leur endroit. Elle aime la plage Jill, et elle se demande si les jumeaux vont aimer aussi. Ils étaient déjà en train de se faire leur place dans son ventre lorsqu’ils étaient à Bali. Ce voyage est lointain, comme s’ils l’avaient fait il y a des années alors que ce n’était qu’il y a quelques mois. Le meilleur endroit du monde, il a raison Bailey. Et Jill échange un regard complice avec l’homme qu’elle aime. C’est un moment privilégié entre eux quatre, certainement le premier. Elle ne veut pas gâcher ce moment Jill, et elle espère que Bailey ne le fera pas non plus.

Ils ne parlent pas pendant la balade, ils profitent, mais Jill se sent gênée. Comme si elle ne pouvait pas parler sans dire de bêtises, sans que Bailey ne s’énerve. “Ca va ?” Il demande une pause, et Jill était bien trop perdue dans ses pensées pour se dire qu’il fallait s’arrêter. Il est blessé, et elle se demande même si porter Tracy n’est pas trop douloureux. Ils auraient peut-être dû prendre la poussette finalement. Bowie s’est endormi au son des vagues et de la brise. Jill s’assoit sur le sable, à côté du brun. Le silence est encore pesant, mais aucun des deux ne le brise. Elle n’est pas habituée à ce genre de situation, et espère que ça finira par changer, un jour. Elle veut que ça s’arrange, mais elle n’est pas sûre que ce soit réciproque. Ils verront bien, plus tard. Mais à cet instant, elle a bien trop peur de parler des sujets dangereux.