this side of paradise
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

Il m’a serrée dans les bras, il a caressé mes cheveux et nous nous sommes endormis ensemble et moi naïve, j’ai espéré pouvoir prétendre que que tout était réglé, que rien d’important n’était arrivé. J’ai espéré pouvoir me convaincre, à coup de baiser et en m’endormant dans ses bras que je n’avais pas de problème, qu’il n’y avait pas de problème entre nous et que tout serait normal le lendemain matin. Sauf que la gêne était palpable et que, après un petit déjeuner où nous nous sommes souris mais où nous avons eu du mal à communiquer, je suis rentrée chez moi et il n’a pas essayé de me retenir.

J’ai affronté une Leah décidée à savoir où j’avais passé la nuit, soupçonneuse et à l'affût de la moindre information concernant ma relation. Moi, j’ai prétexté que nous nous étions endormis devant un film et que rien ne s’était passé de plus, n’en déplaise à sa curiosité, et qu’il n’y avait rien à raconter. J’ai vu dans ses yeux qu’elle ne croyait pas un mot de mes mensonges mais elle m’a laissé dire, a simplement haussé les épaules pour s’affairer à autre chose que de me mettre mal à l’aise. Je ne travaillais pas le lendemain, ni le jour d’après et si nous nous sommes échangés des messages nous ne nous sommes pas vus, et j’ai eu bien du mal à me décider à pousser la porte du café. Il n’était pas là de toute façon et j’ai pris mon courage à deux mains pour lui proposer de manger ensemble à midi, nous l’avons fait mais j’ai senti qu’il avait besoin de parler de cette soirée. Sauf que j’en suis incapable : j’ai essayé de le faire, j’ai écrit des dizaines de messages que j’ai entièrement effacé, prise de tachychardie à la simple idée de les envoyer, j’ai tenté de me jeter à l’eau lorsque nous nous sommes vu mais aucun son n’est sorti de ma bouche. Alors je prétends que tout va bien. Je souris, je l’embrasse, je passe ma main dans ses cheveux et je passe autant de temps avec lui que mon travail le permet, mais je sens une barrière invisible que je n’ai pas envie de laisser s’installer : je tiens à Swann plus que je ne peux l’exprimer et j’ai peur de le perdre.

Ce matin, je n’ai pas décidé d’en parler : j’ai abandonné l’idée d’arriver à le faire il y a plusieurs jours déjà. On est samedi et je sers au café, et malgré l’état des choses je me suis surprise à espérer qu’il soit là : il égayera toujours mes journées, malgré tout. Je me suis habillée normalement, suis sans réfléchir montée dans le bus pour rejoindre le Death Before Decath, enfilé le tablier normalement et j’ai normalement pris mon service. Rien ne laissait présager que cette journée elle, n’aurait rien de normal.

Swann passe la porte du café un peu après quatorze heure et moi, guillerette mais toujours sur la retenue - cela ne disparaîtra pas tant que nous n’aurons pas crevé l'abcès même si je prétends le contraire - je vérifie que personne n’a besoin de moi en salle d’un regard avant de m’approcher de lui, de glisser ma main dans la sienne et de déposer un baiser au coin de ses lèvres, pudique mais affectueuse. « Tu m’as manqué hier soir. » Nous étions censé aller voir Les nouveaux mutants au cinéma mais il a eu un empêchement. Moi, je ne le remets absolument pas en question, je suis certaine que c’est ce qu’il s’est passé si c’est ce qu’il me dit, rien de plus. « Et promis, j’ai résisté à l’envie d’aller voir les spoilers sur internet. » Si ça n’avait pas été pour lui, j’aurais déjà lu le résumé du film minute par minute, comme je le fais toujours, de la même façon que je commence toujours par le dernier chapitre d’un livre - s’il se finit mal je ne voit pas l’intérêt de passer du temps dessus. « Les jumeaux allaient bien ? Ils sont toujours aussi mignons ? Est-ce que Tracy fait toujours ce truc bizarre avec sa lèvre ? » Bizarre mais terriblement mignon, comme tout ce que font les bébés. Bailey était malade hier soir et il avait besoin d’aide avec les terreurs, du moins, c’est ce que Swann m’a dit. « Tu sais j’aurais pu venir avec toi. Je suis particulièrement douée pour occuper les bébés, je maîtrise une panoplie impressionnante de grimaces. »

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« Toi aussi. » C’est presque mécanique, c’est sincère mais presque mécanique mais je tente de faire comme si je ne m’en rendais pas compte, comme si ça ne me touchait pas quand c’est pourtant bien le cas. Bien sûr que je ne suis pas stupide au point de ne pas avoir remarqué l’énorme éléphant au milieu de la pièce, celui qui pèse sur ma relation avec le blond, seulement je préfère l’ignorer et me dire que ”ce n’est rien” et que ”ça finira par passer tout seul”. Ce que j’ignore sincèrement, c’est combien il a besoin d’explications, combien il les attend : bien sûr je les lui ai promises, et elles arriveront, quand je serais prête, sauf que je suis loin de me douter qu’il ne les attendra pas indéfiniment puisque, de mon côté, faire l’autruche m’apparaît comme une bien meilleure solution que réellement affronter mes problèmes.

Alors il ne m’embrasse et ne m’enlace pas non plus. Mais j’arrive à me convaincre qu’il est pudique. « Si t’as plus autant envie de le voir c’est pas grave. Je suis sûre que si on tape ”mutants” sur internet y’a un milliard de films et qu’ils se ressemblent tous. » Et si on connaît déjà la fin : les gentils mutants l’emportent contre les méchants, je ne veux pas lui imposer un film qu’il n’a peut être pas envie de voir. « Ils sont toujours aussi mignons et je pense même que je suis en lice pour l’award du meilleur tonton, là. Le dis pas à Matt, il serait jaloux de savoir que Tracy fait le truc avec ses lèvres avec d’autres personnes que lui. » Je lui adresse un sourire sincère, un dont j’ai le secret, qui dévoile toutes mes dents blanches mais qui ne creuse pas de fossettes sur mes joues : ça c’est l’arme secrète de Swann, chacun la sienne. Je chuchote, sans oser venir approcher mes lèvres de son oreille. « C’est évidemment que t’as déjà gagné, Bowie me l’a dit. Mais je lui dirai pas, promis juré. » J’aimerais les voir plus souvent les jumeaux, j’aimerais passer ma vie entourée de bébés si l’on me le demandait, parfois l’époque des cours de danse me manque, mais j’étais quasiment bénévole et ça n’aurait pas payé mon loyer, mais je n’ai pas non plus envie de m’imposer dans cette famille dans laquelle je n’ai pas de place à mon nom. C’est son neveu et sa nièce, ce sont en plus les enfants d’une femme qui ne semble pas me porter dans son coeur et moi, je n’ai rien à faire au milieu de tout ça. « Les prochains bébés arrivent bientôt et à ce rythme ça sera encore des jumeaux, faut qu’on milite pour qu’ils s’appellent Swann et Lucia. » « Ginny accouche quand ? » J’aimerais bien qu’elle ait des jumeaux elle aussi. J’aimerais bien qu’ils s’appellent Lucia et Swann et je suis certaine que ceux là j’aurais un peu de mal à les voir, puisque si son époux me met profondément mal à l’aise lorsqu’il est dans la pièce, je me reconnais en Ginny : elle est solaire, pétillante et, j’en suis persuadée, profondément gentille. « Et faut qu’on crée des cocktails à leur nom dans le pire des cas, des trucs avec plus de chamallows que quoi que ce soit d’autre, avec des bonbons roses et des paillettes. » « Oui ! Mais pas des cocktails avec de l’alcool, ce sont des bébés Swann. » Je prends mon air le plus sérieux, je tente même de lui faire de gros yeux mais mon hilarité l’emporte et je ris timidement. Bien sûr que ce n’est pas une blague, bien sûr que si personne ne m’arrête je vais réellement faire des tests pour proposer à Matt de les mettre à la carte de l’après midi. « Je t’enrôle dans la compétition du meilleur tonton, comme ça on est certains de gagner avec ta botte secrète des grimaces. » « Oui mais fait attention, parce qu’après c’est moi qu’ils vont préférer. » A nouveau je plaisante en prétendant être sérieuse. Il s’agite Swann. Il a lâché mes épaules, il a laissé tomber ma mèche de cheveux avec laquelle il jouait et, à présent il range les bouteilles derrière le bar pendant que j’attrape les tasses pour les laver. On a un lave vaisselle mais je m’en moque : sur l’heure cela me donne une contenance et j’arrive à me convaincre que le bar est si rempli que nous n’avons pas le temps de faire tourner une machine. Il n’y a pratiquement personne en début d’après midi : ceux qui venaient acheter un sandwich l’ont terminé depuis longtemps, les amateur du café de quatorze heure commencent à partir et bientôt ne resteront plus que les rares clients qui viennent pour un goûter. D’habitude c’est le moment qu’on préfère, Swann et moi, parce que ça nous permet de nous amuser, ça lui permet de se glisser derrière moi pour déposer des baisers dans mon cou pendant que je prétends être gênée (et que je le suis réellement dès que quelqu’un pousse la porte). Sauf que là on a tous les deux l’air pressé que quelqu’un entre, parce que tant que j’ai un client à servir et lui des bouteilles à ranger, on n’est pas obligé de cette soirée avortée qui aurait dû être magique pour tous les deux. Qui l’aurait été sans les blessures laissées par mon ex.

« Je vais chercher de la cannelle à la cuisine, on va être à court sinon, je reviens. » Je glisse ma main sur son avant bras et je disparais. Une fois dans la cuisine je me le promets : je vais lui parler. Je vais lui parler rapidement parce que mon petit ami est quelqu’un de bien, parce qu’il a le droit de savoir que je ne l’ai pas repoussé lui et que je ne suis toujours pas convaincue qu’il y ait cru. Je passe beaucoup plus de temps qu’il n’en faut pour trouver la cannelle à la réserve et, quand je ressors, mon corps se fige. Un client est entré. Un client à servir et qui pourrait m’occuper, qui pourrait nous aider à prétendre, Swann et moi. Sauf que celui là, je le connais et pas parce que c’est un habitué du café. Celui là, il ne nous aidera pas à prétendre et, de stupeur et de peur, je laisse tomber le pot d’épice qui se brise au sol. C’était bien la peine d’aller le chercher. « Lawrence ? Qu’est-ce que tu fais là ? T’es pas à Sydney ? » C’est un hasard. Il est rentré dans ce bar par hasard, c’est ce dont j'essaie de me convaincre. Il est de passage en ville, il cherchait un café et le hasard a un drôle de sens de l’humour. Je jette un regard à Swann, un regard paniqué, avant de reposer les yeux sur mon ex. « Tu pourrais au moins avoir l’air contente contente de me voir. » Il est agité, je comprends qu’il est alcoolisé - déjà - et je me tétanise. Pourquoi serais-je contente de le voir ? Pourquoi aurais-je une autre réaction que d’être mort de peur ? A quoi joue-t-il exactement à débarquer comme ça ? « Tu sais que t’as réussi ton coup en tout cas ? Que j’ai perdu le contrat ? » Je fronce les sourcils et si je balbutie quelque chose, c’est inintelligible. Les discussions se sont arrêtées à l’intérieur du café et moi, je n’ose faire un pas de plus dans la salle. Lawrence il s’approche, il s’approche et il jette un coup d’oeil à Swann. « C’est lui hein ? »

 

Bien sûr que ses sentiments à propos de la brune n’ont pas changé, bien sûr. Pas d’un iota, pas de quoi que ce soit d’autre non plus. Il craint simplement qu’elle s’éloigne une fois de plus de lui et que ce soit celle de trop, celle qu’ils seront incapables de réparer comme ils sont en train de le faire maintenant avec toute la délicatesse et la douceur qui les caractérise quand ils sont ensemble. Un jour, il sera capable de lui dire tout ce qu’il ressent et il espère qu’à ce moment là, il en sera de même pour elle. Entre temps il parle des jumeaux de sa soeur, il parle de la nièce qui devrait pointer le bout de son nez à la fin de l’année aussi. Il comble le vide, il esquisse des grimaces d’enfant, il s’occupe les mains en ne faisant rien d’utile. « Oui ! Mais pas des cocktails avec de l’alcool, ce sont des bébés Swann. » Elle fait mine d’être outrée et il fait mine d’être choqué ; un jeu d’acteur parmi d’autres, ils ont déjà prouvé leur talent dans ce domaine là. Il profite de l’élan joyeux pour lui dérober un baiser avant d’envoyer des gouttes d’eau sur son visage, joueur. Le jeu ne se reproduira pas et il ne tentera rien de plus non plus - surtout.

D’un point de vue de client, tout a l’air de bien d’aller et pourtant eux deux, ils sentent bien que leurs gestes n’ont rien de naturel et leurs mots encore moins. Tantôt ils se censurent et tantôt ils se forcent, ce qui n’avait même jamais été le cas à leurs débuts. C’est stupide, ça ne devrait pas être le cas, mais force est de s’avouer que cette nuit a changé bien plus de choses qu’il ne le voudrait. Le problème n’est pas tant l’aspect charnel de la chose - ce n’est pas du tout ça, en fait - mais l’expliquer reviendrait à se mettre totalement à nu face à elle et révéler une montagne de secrets pour lesquels elle n’a nullement été préparé. Swann ne manque pas de confiance en Lucia mais il a peur de la décevoir une fois de plus si jamais elle apprend qu’il n’a finalement rien de la figure rassurante qu’il s’est forgée au fil des années et du petit ami parfait, modèle. Après tout, c’est l’image qu’il lui a donné et celle qu’il a vendu, ce serait normal qu’elle soit déçue - qui ne le serait pas ? « Je vais chercher de la cannelle à la cuisine, on va être à court sinon, je reviens. » Il hoche la tête, souriant et sans doute tout autant soulagé qu’elle qu’elle leur offre ainsi quelques secondes, quelques minutes de pause. Il y a fort à parier que la cannelle devienne rapidement l’ingrédient le plus difficile à débusquer de tous les temps.

Il lance un bonjour mécanique mais tout aussi véritable dès lors que la clochette de l’entrée du café se fait entendre, bien employé bien éduqué qui n’en a pourtant pas le grade. Il a tout appris en imitant son grand frère, comme les choses auraient dû l’être depuis toujours. Par habitude, l’anglais les laisse avancer jusqu’à lui sans jamais les presser. Il les laisse s’ennivrer de l’odeur du café, il les laisse admirer les tableaux de merde sur les murs que Matt accumule comme des médailles. Il les laisse faire leur vie, anticiper ce qu’ils veulent, se préparer mentallement à répéter leur commande. Il leur laisse faire leur vie parce que le client est roi et que son ego n’a jamais eu de problème avec ça ; parce que jamais aucun client n’a remis ce titre en question une seule fois jusqu’à aujourd’hui. « Lawrence ? Qu’est-ce que tu fais là ? T’es pas à Sydney ? » Aujourd’hui, donc, où il entend pour la première fois la voix de Lucia qui est paniquée - bien plus encore que cette nuit là. Aussitôt la vaisselle à faire devient le dernier de ses soucis, ses yeux froncés se posant d’abord sur la blonde avant de lentement dériver vers l’homme qu’elle interroge et dont elle semble déjà connaître bien des choses. Le blond entame déjà quelques pas en direction de sa petite amie, tous les sens en alerte et pourtant encore certain que c’est lui qui interprète mal la chose, une fois de plus. On en est au moment du film où les deux petits amis se rencontrent et découvrent l’existence de l’autre, c’est ça ? Dans les films, la femme mise en cause ne tremble pas comme le fait la Whitemore en cet instant, pourtant. « Tu pourrais au moins avoir l’air contente contente de me voir. » La scène se déroule face à lui sans qu’il la comprenne, il voudrait tant prendre Lucia dans ses bras pour la protéger d’un mal qu’il ne connaît pas encore alors qu’en même temps il voudrait le renvoyer aussi vite de là où il est venu. « Tu sais que t’as réussi ton coup en tout cas ? Que j’ai perdu le contrat ? » Swann a fait quelques pas en direction de Lucia mais il en reste bien trop loin encore, sans aucun doute. Il sent la cannelle qu’elle a entre les mains mais pas son parfum. Lawrence, lui, il fait les choses bien moins dans la demie-mesure, tant dans le regard noir qu’il tend à l’anglais que dans les pas précipités et maladroits qu’il esquisse en sa direction. “Vous devriez repartir.” Bien trop élevé, bien trop patient, le Swann. Bien trop peu au fait du passé qui lie l’ancien couple pour pouvoir jauger la situation, aussi. « C’est lui hein ? » C’est lui qui a tout raté ? Oui, absolument. Mais apparemment pourtant ce n’est pas le blond qui l’intéresse puisque c’est à son homologue féminine qu’il s’attaque d’abord avec une vivacité impressionnante pour un homme qui porte tant d’alcool dans le sang.

Ce qui le sauve, l’inconnu (une seconde avant qu’il ne porte sur les épaules toutes les insultes du monde), c’est seulement le plan de travail qui se dresse entre lui et Swann et empêche le blond d’agir rapidement. Il aurait oublié sa bonne éducation là, juste là, et n’aurait eu aucun scrupule à lui coller son poing dans la figure au beau milieu du café. Pourtant il a le temps de prendre Lucia par le bras et de marmonner des paroles incompréhensibles imbibées de reproches. Swann ne les entend pas, le sang dans ses tempes battant déjà trop fort pour que le reste du monde ait encore une quelconque importance. Il assiste à la scène en différé, il réagit trop tard quand il passé par dessus le bois du plan de travail mais que déjà l’autre a entraîné Lucia dehors, malgré ses débats. Il l’a vu serrer trop vite et trop fort le bras de l’australienne, il l’a vu faire d’elle son pantin articulé et il a détesté ça. Il hurle des choses incompréhensibles à son tour, pourtant incapable de les ralentir dans leur course qui les mène à l’extérieur. L’inconnu dira que cela ne le regarde pas, il lui dira de rester en dehors de tout ça. Oh, il aurait pu lui dire bien des choses, en tout cas, si l’anglais n’avait pas attendu un seul instant avant d’abattre son poing serré contre sa mâchoire, à en sentir la forme de ses dents. Il n’a jamais été doué pour doser les choses et il n’a pas non plus attendu que Lucia récolte autre chose qu’une marque rougeâtre sur sa peau pour faire couler le sang en retour. Il n’y a pas de juste mesure à avoir, il n’y a pas à prendre sur soi non plus. Peu importe leur histoire, peu importe ses arguments à lui : cela n’expliquera jamais ce geste. Elle avait mal, c’était évident, et c’était ce qu’il attendait. Alors à son tour Swann fait mal et frappe, une fois puis une autre, une second puis une cinquième - oups, il compte si mal, décidément. Ses jointures se tatouent de tâches rougeâtres alors que le visage de Lawrence se peint de violet. Il tape dans le vide, trop alcoolisé. La dernière chose qui tape, par contre, c’est son crâne contre le mur de briques du café. Il déglutit en même temps qu’il se retourne vers la jeune femme pour enfin s’assurer qu’elle aille bien - pas plus mal qu’il ne le pense, en tout cas. “Il t’a fait mal ?” Il interroge, inquiet, ses yeux divaguant sur chaque parcelle de sa peau. Ses doigts agissent bien plus délicatement alors qu’il repasse sur la marque ancrée dans son bras, lui qui ignore Lawrence comme s’il était déjà loin - si seulement.

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Ça sent la cannelle.

C’est idiot comme ce genre de détail insignifiant reste bloqué dans un coin de votre esprit. C’est idiot comme la seule chose sur laquelle mon cerveau bloque tandis que mon ex m’attrape par le bras, qu’il le serre trop fort et qu’il me fait mal, et qu’il me tire à l’extérieur c’est que ça sent la cannelle, faute au pot en verre d’épice que j’ai lâché sous le coup de la surprise et qui s’est brisé en touchant le sol. Entre les doigts de Lawrence, je ne suis qu’une poupée de chiffon, une marionnette qui se laisse tirer jusqu’à l’extérieur par le brun, visiblement éméché et en colère. Je n’ai pas compris son accusation, je n’ai pas compris ce dont je suis sois disant coupable et je ne comprends pas plus les horreurs qu’il m’adresse sur le chemin. Ou en tout cas je ne veux pas les comprendre, je refuse de les entendre puisque les mots espèce incapable ou petite conne n’ont rien de bien compliqué à articuler. On les comprend, même s’il est bourré, même s’il est à peine capable de tenir debout, même malgré la violence de ses gestes.

Sur le trottoir, je tente de le raisonner, bien trop douce pour lui cracher ce que je pense, ce que j’ai compris, bien trop effrayée surtout. Il m’a fait mal Lawrence, ma peau est déjà rouge là où il a refermé ses serres et il m’a trop secouée pour que je l’imagine pas capable de me frapper. Il ne l’a jamais fait, mais j’ai toujours évité de le contrarier lorsqu’il se mettait dans ces états là. « Lawrence, t’as trop bu, arrête, on en rediscutera quand tu seras calme. » Et il hurle. Il s’offusque que j’ose m’opposer à lui, même avec douceur et délicatesse. Parce que je n’ose pas hausser le ton. Je n’ose même pas le regarder dans les yeux tant je réalise qu’elles me font peur, ces mains qui m’ont caressée autrefois. Il continue à m’insulter ou, en tout cas, à répéter que je ne vaux rien ou pas grand chose. Que je suis une idiote et toute la panoplie d’insultes qui vont avec. A nouveau je le supplie, je tente de le raisonner, et je prie pour que quelqu’un réalise ma détresse. C’est Swann qui vient à mon secours, évidemment que c’est Swann, je lui ai fait de la peine l’autre jour et pourtant il est encore là, si j’avais besoin d’une preuve de plus que je ne mérite pas un homme aussi bon que lui, un type aussi gentil et attentionné. Je fais comme si de rien n’était pas je sais qu’il est contrarié et qu’il souffre : pourtant il s’en fiche, pourtant il met tout ça de côté pour prendre ma défense. « Vous devriez repartir. » « T’es gentil mec mais c’est entre et moi. » Moi, je ne veux pas qu’il parte. Je jette des coups d’oeil terrifiés au blond, je le conjure en regards de ne pas me laisser, de me demander de le rejoindre à l’intérieur et de me soustraire à Lawrence. Ma lèvre tremble, ma mâchoire tremble et je n’ai qu’une crainte : qu’il se fasse des idées quand la relation qui nous unit le brun et moi : il n’y en a plus, et que, pris de dégoût, il me laisse.

Mais ce n’est pas ce qu’il fait. Il écrase son poing sur le visage d’un Lawrence qui, trop ivre, trop con, ne voit rien venir et n’arrive même pas à frapper en retour. Moi, je sursaute et je laisse échapper un hoquet de surprise. Il tape une fois, il tape deux fois, il tape autant de fois que je ne peux compter et j’ai l’impression que cela ne s’arrêtera jamais. Moi, face à cet étalage de violence, face à cette rage que mon petit ami ne contrôle pas, je suis pétrifiée. J’ai la sensation que le temps s’arrêter, que nous sommes dans une réalité alternative ou dans un jeu vidéo, et je suis incapable de faire un geste dans la direction des deux hommes pour les arrêter ou plutôt pour arrêter cette boucherie : le brun n’est même pas en état de se défendre. Je suis trop choquée pour m’interroger sur cette violence, me demander d’où elle vient, me demander où il la cache sous cet enveloppe de barbapapa et de churros au nutella. Pour l’instant elle ne m’effraie pas, mais nul doute que je me poserais des questions après. Pour l’instant aucun son ne sort de ma bouche si ce n’est un nouveau hoquet de terreur lorsqu’il écrase une dernière fois le crâne de mon ex petit ami sur le mur. Lorsqu’il revient vers moi je tremble comme une feuille, je ne sais comment agir mais ses yeux s’emplissent à nouveau de douceur lorsqu’il s’approche, lorsqu’il me regarde, lorsqu’il scrute ma peau à la recherche d’une marque ou d’un bleu. J’en aurai un, sans aucun doute. « Il t’a fait mal ? » Le souffle court, la respiration haletante je réagis enfin. Mes yeux qui s’étaient perdu dans le vide s’attachent au sien et je secoue la tête. « Non. Oui. » Maintenant ou bien ces quatre dernières années ? Je perds le compte des fois où il m’a blessée, même si ce n’était pas physiquement jusqu’ici. « C’est pas grave, pas cette fois. » Ca l’est parce qu’il ne m’avait jamais marquée. Parce que ma peau ne s’était jamais recouverte d’un bleu à cause de lui. Ca ne l’est pas parce que nous ne sommes plus ensemble, plus depuis longtemps. Parce que Swann était là pour me sortir de ses griffes cette fois ci. Je regarde ses mains, je jette un coup d’oeil au sang, le sien, celui de Lawrence surement aussi, Lawrence qui remue difficilement en s’appuyant contre le mur. « Tu vas avoir des ennuis, je veux pas que t’aies d’ennuis. » Non, j’étais bien lorsque nous étions enfermés dans notre bulle. J’ai essayé de la garder en vie malgré l’autre soir mais, aujourd’hui, elle a éclaté et je ne veux pas que cela nous tâche au passage. « Il se relève. » Et là, le ton de ma voix est sans équivoque : j’ai peur.

Il reprend la même attitude qu’il a toujours eu envers Lucia dès le moment où il se rapproche de nouveau de la jeune femme mais force est de constater que lorsqu’elle répond de manière peu convaincante. « Non. Oui. » Si c’est un non alors Swann peut tenter de passer l’éponge sur ce moment et laisser Lawrence tituber derrière eux sans ne jamais chercher à appeler qui que ce soit pour lui venir en aide. Si c’est un oui, par contre, il sera le premier à redoubler de force et de hargne contre lui pour lui faire un peu plus mal encore et pour s’assurer qu’il ne reviendra pas infortuner Lucia de nouveau. « C’est pas grave, pas cette fois. » Ce n’est pas le moment de demander des explications complémentaires, Swann le sait bien, mais ce n’est pas pour autant qu’il risque un jour d’oublier la précision dans les mots de sa petite amie. Il n’oubliera encore moins son regard fuyant ou ses mains tremblantes qu’il tente tant bien que mal d’envelopper des siennes comme s’il pouvait réellement agir tel un cataplasme sur elle. L’anglais cherche à la calmer et à la rassurer, même si à aucun moment il ne pense à rentrer dans le bar et laisser le cas de Lawrence aux mains de tierces personnes qui seront bien plus objectives qu’il ne l’a jamais été. Comment ça, pas cette fois ? « Tu vas avoir des ennuis, je veux pas que t’aies d’ennuis. » Le blond lui répond par un sourire affectueux qui tranche nettement avec la scène. Il a recouvré son calme en un claquement de doigts et agit comme si de rien n’était, désormais, faisant fit de ses phalanges abîmées et du sang commençant déjà à sécher entre les plis de sa peau. « Il se relève. » Et pourtant Swann se doute qu’il est sonné et que son monde tourne, tout comme il se doute que ses mouvements ne sont pas coordonnés et qu’il doit peiner à faire les plus simples d’entre eux. Il prend le temps de ne rien montrer sur son visage, il prend le temps de laisser à Lucia le soin de reprendre possession de ses mains avant de lui demander une chose, une seule. “Rentre.” Le ton n’a rien d’autoritaire, il est presque aussi doux que celui qu’il a toujours utilisé envers elle depuis la première heure. Il n’a qu’à donner le coup de grâce à Lawrence et cela n’aura rien de beau à voir. Elle est déjà bien assez en état de choc pour qu’il ne veuille contribuer à empirer son état ; bien loin de là. L’anglais lance un coup d’oeil à Deklan pour qu’il rentre avec elle, même s’il meurt sans aucun doute d’envie de coller son poing à la figure de l’inconnu, lui aussi. « J’vais t’tuer ! » Seront, selon Swann, ses dernières paroles avant bien longtemps. Il les imagine déjà être prononcées à l’encontre de Lucia et cela ne fait que redoubler encore un peu plus sa haine contre l’inconnu, raison pour laquelle il ne tente pas moindrement de mettre en place un dialogue avec lui. Au contre, cette fois-ci ce sont directement ses dents qu’il vise dans l’espoir d’en faire tomber certaines pour qu’ensuite elles puissent luire sur le béton brûlant de l’Australie pendant quelques temps. Il profite de placer ses doigts autour de son cou, ensuite, pour proférer des menaces qu’il n’aura aucun problème à mettre à exécution à l’instant même où il pensera reconnaître sa silhouette dans un périmètre qu’il jugera bien trop proche de la jolie jeune femme. Swann a pourtant déjà l’impression de se battre dans le vent à en juger par l’odeur d’alcool qu’il dégage et ses yeux qu’il peine même à garder ouverts. Il ressemble bien plus à un déchet humain qu’à quoi que ce soit d’autre et la seule chose qui empêche l’anglais de continuer un peu plus ce jeu, c’est le regard des passants qui se fait de plus en plus insistant alors qu’ils commencent à sortir leur téléphone de leurs poches tremblantes. Le but n’est pas de finir au poste de police ni même de le tuer, raison pour laquelle le dernier coup de poing qu’il lui destinait meurt dans l’oeuf. Le poing de l’anglais reste serré près du crâne du second et il attend que l’autre homme ait fuit assez loin pour délier ses doigts serrés, assez pour qu’ils aient laissé une marque dans sa chair endolorie. L’adrénaline l’empêche de faire le compte rendu de ses propres blessures mais il se doute qu’il n’y a rien de grave, et pour cause : il se doute toujours qu’il n’y a rien de grave. Ses doigts à lui sont loin de trembler à cause des coups qu’il a reçu mais bien de ceux qu’il aurait aimé donner quelques temps encore, quand bien même il ne sait rien de l’histoire de cet homme qui est apparu aussi vite qu’il a disparu.

Ses mains dans ses poches pour en cacher les marques, il s’assure de ne plus même voir la silhouette de l’inconnu avant d’oser entrer à nouveau dans le bar. Il sait que Lucia est rentrée avec Deklan et c’est là la seule raison pour laquelle il prend le temps de remettre ses esprits en ordre et de calmer sa propre respiration avant d’entrer de nouveau dans les lieux, soucieux de paraître autant normal que possible devant les clients et Lucia elle même. D’un coup d’oeil il assure à Deklan que tout va bien et lui demande s’il peut se débrouiller quelques temps seul derrière le comptoir ; d’un autre l’australien lui répond de la réserve dans laquelle se trouve Lucia, le seul endroit où elle peut être moindrement au calme. Soucieux de ne pas l’inquiéter plus que nécessaire, le blond attrape un torchon pour essayer les marques de sang diverses sur ses mains avant d’aller rejoindre sa petite amie et de s’accroupir face à elle pour plus aisément apposer un baiser sur son front. Ensuite, ce sont ses mains qu’il vient prendre dans les siennes, ouvrant ses paumes en sa direction pour ne pas lui laisser le temps de voir ses phalanges abîmées. “Il est parti. Il ne reviendra plus.” Ce qui est sûrement bien trop utopiste mais au moins il y croit dur comme fer ; bien que pas assez pour le promettre à sa chère et tendre. “Tu veux que j’appelle quelqu’un ? Tu veux rentrer chez toi, venir chez moi ?” Ses yeux restent posés dans les siens alors qu’il tente de trouver des réponses sans jamais être certain d’aborder le problème de la bonne manière.

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Lucia Whitemore & @Swann McGrath

Lorsque le poing de Swann s’abat sur le visage de mon ex, je reste tétanisée un instant. J’ai du mal à analyser ce qu’il se passe, du mal à cacher ma surprise face à la violence dont fait preuve mon petit ami. Avec moi, il n’a été que calme, douceur et compréhension. Son humeur a toujours été égale, je ne l’ai jamais vu avoir un mot que l’autre et j’ignorais qu’il était capable de ce genre d’extrême. Je n’ai pas peur de lui : il agit pour me défendre, il agit parce qu’il m’a sentie en danger mais je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle cache cette violence ou plutôt, je le ferais un jour. Parce que pour l’instant, je ne suis pas en état de me poser la moindre question. Je suis sous le choc, je le laisse attraper ma main, je le laisse caresser mon bras rougis par la poigne du brun, je l’observe les lèvres entrouvertes, interdite et rassurée, dans un sens. Il est là. Il est resté à mes côté malgré ce bref aperçu sur la part la moins glorieuse de mon existence et il m’a défendue malgré le malaise qui persiste entre nous. « Rentre. » Mes yeux ronds passent de Swann à Lawrence : sur ce dernier, ils s’attardent à peine. « Je peux pas te laisser tout seul. » Et je ne peux pas le laisser le tuer : parce que ce n’est pas moi, et parce que ce n’est pas lui, j’en suis persuadée. Non, je ne peux pas les laisser seuls, mais Deklan pose doucement ses paumes de mains sur mes épaules et m'entraîne à l’intérieur. Je me laisse faire comme une poupée de chiffon, mais je tourne la tête à m’en dévisser les cervicales pour ne pas lâcher la scène des yeux le plus longtemps possible. « J’vais t’tuer ! » La remarque de mon ex petit ami est le dernier son qui me provient et il quoique j’ignore s’il s’adresse au blond ou à moi elle agit comme déclencheur. Les vannes s’ouvrent et je fonds en larmes, je me mets à trembler comme une feuille et je me laisse guider comme un patin par Deklan qui m’asseoit sur une chaise dans la réserve. Il me parle, il tente de me rassurer mais je reste hermétique au son de sa voix. Je me retire dans un coin reculé de mon esprit : celui qui abrite mes idées noires parce que je les y refoule. Lawrence est la star de cette portion de mes souvenirs : il est partout, menaçant, désobligeant et dégradant et il n’y a que le souci que je me fais pour Swann qui parvient à le repousser doucement. Sauf qu’en proie à une crise de panique - n’ayons pas peur des mots - je ne réussis pas à m’arrêter de pleurer et de trembler. Au delà de ça, je suis tétanisée et incapable de bouger de ma chaise.

Il n’y a que mon petit ami qui parvient à m’en sortir. Le son de sa voix, si douce par rapport à la puissance de ses coups, se fraye un chemin dans mon esprit et je relève mes yeux vers lui lorsqu’il embrasse mon front et attrape doucement mes mains dans les siennes. Il fait noir dans la réserve : je ne vois pas le sang tout de suite, mais je le sens sur sa peau et je tressaille. « Il est parti. Il ne reviendra plus. » Je secoue la tête. Il revient toujours Lawrence. Même lorsque c’est lui qui me jette. Qu’ai-je fait pour lui causer du tort, pour parvenir à réveiller sa colère en étant à mille kilomètre et surtout à des années lumières de son esprit ? Alors qu’aux dernières nouvelles, il fréquente une fille plus jolie, plus intelligente et plus solaire encore que moi ? Je ne ressens pas la moindre jalousie : c’était le cas au début mais j’ai espéré qu’ainsi il m’oublie et me laisse vivre mon histoire. « Tu veux que j’appelle quelqu’un ? Tu veux rentrer chez toi, venir chez moi ? » Je relève les yeux vers lui, effrayée et réveillée comme s’il m’avait mis une gifle. « Il connaît mon adresse. » Je la lui ai envoyée lorsqu’il a envoyé sa petite amie récupérer le double des clés de notre appartement, le sien, que j’avais oublié de lui rendre. « Je veux pas m’imposer. » Chez toi. Je ne veux pas m’imposer chez toi. J’enroule mes doigt autour de ses avants bras, je m’accroche à lui pour parvenir à respirer, je cherche son regard bleu pour m’y noyer. « Je veux pas rester ici. » Il y a les collègues, il y a les clients et surtout il y a Lawrence qui peut revenir. Paranoïaque lorsqu’il s’agit de lui, j’imagine le pire et mon rythme cardiaque s’accélère. En proie à la panique, je suffoque, j’halète et je me redresse, je pose mes mains sur mon visage et je fais les cent pas sur place dans la réserve. « Il va revenir, c’est sur qu’il va revenir. Faut qu’on s’en aille. » J’en ai surtout besoin pour parvenir à me calmer. J’ai besoin de ça, et surtout j’ai besoin de Swann.

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Aujourd’hui, j’ai le sentiment que tout ce que je craignais est arrivé : le souci Lawrence est revenu sur le devant de la scène, bien plus concrètement et violemment que je l’imaginais, et je me suis effondrée comme un château de carte (exactement comme je l’imaginais cette fois ci) donnant l’image d’une jeune femme faible et démunie. C’est cette peur qui m’a empêchée de me confier à Swann pendant des mois et surtout depuis le fameux soir du dérapage avorté. J’ai eu envie de lui parler de tout ça rapidement, dès que j’ai compris qu’il occupait déjà et occuperai certainement longtemps une place dans ma vie, même si j’ai l’impression d’avoir tout gâché, mais je n’ai pas réussi à le faire pour une raison simple : la peur qu’il me voit autrement. Je n’ai pas envie de n’être plus que ça à ses yeux, la petite chose fragile qu’il faut protéger, la jeune femme abusée psychologiquement qu’il faut mettre sous une cloche de verre. Je n’ai pas non plus envie qu’il me perçoive comme une dépressive, une fille qui a gobé des médicaments pendant des mois pour ne pas céder à des crises de panique plus ou moins récurrente, pour ne pas me laisser avaler par mes idées noires. Il est solaire Swann, et j’ai envie de continuer à l’être malgré mon histoire. J’ai envie qu’il me voit toujours comme la fille drôle et douce du début, comme sa petite amie, comme la gardienne à mi temps de Swann et Lucia junior, comme la fille avec laquelle il a dégusté de gâteaux de mariage au goût parfois hasardeux et comme une potentielle partenaire, une amante, une complice et une alliée. J’ai peur qu’avec ce statut de victime disparaissent celui de femme et de futur potentiel, mais peut-être que la venue de Lawrence au café aujourd’hui, c’est un signe du destin pour me hurler qu’il est grand temps d’arracher le pansement. « Tu ne t’imposes pas, c’est moi qui propose. » C’est évident qu’il propose, et c’est évident que j’ai peur de déranger. Ce sont nos modes de fonctionnement respectif et si à ses côté j’avais un peu perdu l’habitude de longer les murs, si j’avais gagné en confiance j’ai l’impression qu’il va nous falloir recommencer à zéro à cause de moi, à cause de l’autre soir et surtout à cause de cet après midi où mes secrets lui ont explosé au visage. Mais est-ce une mauvaise chose ?

N’est-ce pas au contraire l’opportunité pour moi de faire les choses bien ?

J’y réfléchirai lorsque je serais capable de le faire. Lorsque je ferais autre chose de trembler et faire les cent pas sur place à cause de la panique. Je m’arrête lorsqu’il resserre à son tour ses doigts autour de mes avants bras, et je plonge mes yeux dans les siens. Sa poitrine se soulève à un rythme bien moins irrégulier que le mien et j’essaye tant bien que mal de me calquer dessus. « Je te protégerai, Lucia. Je suis là maintenant. » Il m’attire à lui pour me parler à l’oreille. « On va aller chez moi, juste nous deux. On restera autant de temps que nécessaire. » Je hoche la tête doucement et je profite de la proximité de nos corps pour enrouler mes bras autour des ses épaules quelques secondes seulement. Il ne se détache que pour me tendre la main et je la saisis sans une seconde d’hésitation. Ses doigts sont poisseux, mais je tente de l’ignorer un peu plus longtemps. Pétrifiée, je ne suis capable que de le suivre comme un pantin jusqu’à la porte du bar puis jusqu’à sa voiture. J’ignore les regards des clients, et je ne formule pas un mot. Sur le trajet, mon silence deviendrait pesant pour n’importe qui n’ayant pas de patience mais j’espère que Swann ne fera pas partie de ceux là. Lorsqu’il referme la porte de son appartement derrière nous, cela agit comme sur un déclic pour moi : enfin, je me sens en sécurité. « Je suis désolée… Je voulais pas te mêler à ça... » Je n’ai même pas pensé que c’était possible, ce qui vient d’arriver. « Je pensais pas que c’était possible, cette histoire, c’était censé être derrière moi. » Sauf que c’est faux : ce n’était pas censé arriver, mais le fantôme de ma relation précédente est ce qui a empêché la nôtre d’avancer au stade suivant, parce que j’avais peur, parce que j’ai des problèmes de confiance à régler et parce que le dernier homme à poser ses mains sur mon corps avant lui m’a fait au bout du compte beaucoup de mal. « Tes mains, tu t’es blessé ? » Peut-être que tout ce temps appartient à mon ex et, si je serais soulagée que Swann n’ait rien, maintenant que je m’anime et que j'atterris j’ai terriblement peur qu’il ait des ennuis à cause de moi. « Je te dois des explications... » La vérité, c’est que je les lui devais déjà la dernière fois. Et j’ai eu envie des les lui donner sans savoir comment aborder le sujet : maintenant, je n’ai à la fois plus la possibilité de fuir : je dois affronter ce qui me fait peur. « Pour ça aussi, je suis désolée... »

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Dans la voiture il reste silencieux et, si j’ai envie d’être à nouveau capable de communiquer, que nous soyions à nouveau capables de communiquer, je lui suis reconnaissante de ne pas me faire violence tout de suite, ni même de tête de parler de tout et de rien pour me changer les idées. Pour l’instant et pour me calmer, j’ai besoin de me couper du reste du monde et de me retirer dans les méandres de mon esprit. Je tente de visualiser un safe space, une sorte d’endroit aseptisé de toute pensée négative, et je l’imagine en pleine forêt, au bord d’un lac et en plein printemps. Je ferme les yeux, je pose doucement la tête contre la vitre et je compte jusqu’à 10, 100, 200, je compte encore lorsqu’il gare sa voiture, lorsque nous arrivons à l’appartement. Je me demande un instant si je vais avoir des ennuis au café à cause de ce qu’il s’est passé, si quelqu’un pourra assurer la fin de mon service ou si je les laisse dans un situation compliquée mais je balaye tout ça, pas parce que je me sens moins coupable mais parce que c’est Swann qui compte. Après avoir déchaîné sa rage contre mon ex il semble redevenu patient et doux comme un agneau, et c’est étrange comme sensation. J’ai l’impression d’avoir à faire à un ours en peluche à deux visage : un que je côtoie à présent quasi au quotidien et un que je découvre et que je connais mal. Est-ce que j’ai peur ? Non, il n’a montré cet autre aspect de ma personnalité que pour ma sécurité et parce que l’on me faisait du mal. Est-ce que je suis surprise ? Assurément, mais je suis surtout curieuse de savoir quelles sont les autres part de la personnalité de mon petit ami dont j’ignore totalement l’existence. « Tu n’es pas celle qui a à s’excuser de quoi que ce soit. » Je jette un coup d’oeil à ses mains ensanglantée et, que ce soit le sien ou celui de Lawrence, je statue que si : c’est moi qui l’ai mis dans cette situation ou il a dû blesser ou être blessé. Sans moi, rien de tout ça ne serait arrivé et je doute qu’il ait envie de s’encombrer d’une complice qui traîne derrière elle de tels bagages. Qui le voudrait de toute façon ?

Je l’observe laver ses mains avec de grands yeux ronds et, lorsqu’il revient et pose une main derrière mon dos pour me guider avec douceur vers le canapé, je ne les quitte pas des yeux. Assise, j’attrape ses doigts dans les miens pour constater que, s’il n’est pas coupé, ses premières phalanges semblent toutefois gonflées et abimées. Je caresse doucement l’intérieur de ses doigts, avant de relever mes yeux vers lui. « T’es sûr que t’as pas mal ? » Ma connerie, à moi de m’assurer que les conséquences ne touchent que moi et le cas contraire de m’occuper des dommages collatéraux. Swann, il n’a pas demandé à être emmené derrière moi dans mon sillon destructeur. Il passe son bras autour de mes épaules et caresse doucement ma peau et je me dit un fois de plus que je ne mérite pas ses attentions et sa douceur. « Tu me racontes ce que tu veux mais j’ajoute une règle : tu n’as pas le droit de t’excuser. » Je souris timidement et je baisse les yeux. J’ai envie de lui présenter des excuses pour un million de chose, à commencer par mon attitude blessante ce soir où nous avons tenté de brûler les étapes. « C’était Lawrence. » Je n’ai pas besoin de préciser de qui je parle, je crois. « C’est mon ex, on est sorti ensemble pendant un moment, c’est fini depuis plus d’un an. Je t’en aurais parlé plus tôt si je pensais qu’il était capable de... » De venir jusqu’ici. De faire irruption dans la vie du blond en plus de la mienne. Je baisse les yeux et, honteuse, je fuis son regard. « C’est pas quelqu’un de bien... » Mais je pensais sincèrement qu’il ne reviendrait pas. Qu’il constituait un fantôme du passé dont nous devrions parler un jour, pas qu’il viendrait en personne me demander des comptes pour quelque chose que j’aurais fait. Je n’ai pas compris d’ailleurs, il était trop alcoolisé et moi trop choquée. « Je sais pas pourquoi il est là… Je sais pas ce qu’il me veut. » Mais j’ai peur de lui : je n’ai pas besoin de le préciser puisque cela transpire à travers chaque pore de ma peau. J’ai peur de lui, je m’autorise enfin à le penser et je me demande comment je n’ai pas réussi à l’accepter plus tôt. « Je sais pas par où commencer. Je suis désolée de pas t’en avoir parlé après l’autre soir. » Parce qu’il a peut-être déjà compris que mon ex et ses mauvais traitements - même s’il n’a jamais levé la main sur moi ils ne peuvent être qualifiés autrement - sont à la racine de notre problème à nous. « Je sais pas pourquoi j’ai été tétanisée comme ça… Mais je sais que c’est certainement lié à lui... » Lié à notre histoire. Je baisse les yeux puisque je n’ai pas le droit de m’excuser mais que la phrase me brûle à nouveau les lèvres. Je baisse les yeux pour me reprendre, parce que la discussion me semble trop lourde et oppressante et que j’ai besoin qu’il m’encourage pour poursuivre.

Il laisse Lucia s’occuper de ses mains puisque si cela peut la rassurer et lui donner un but et un objectif quelconque alors il est incapable de s’y opposer. « T’es sûr que t’as pas mal ? » Le blond hoche d’abord de la négative avant de reprendre avec des mots, sincère. “Je te le jure.” Son regard n’a pas quitté le visage crispé de sa petite-amie alors qu’il ne doute pas un seul instant de la réponse à lui apporter. Ses mains sont gonflées, ses phalanges sont éraflées. C’est tout. Il n’y a rien de grave, il ne gardera aucune séquelle et s’il doit se souvenir de quelque chose de cette journée alors ce ne sera certainement pas l’état de ses mains. Pourtant il laisse Lucia en prendre soin, reprenant ses caresses entre ses doigts par les siennes. Swann ne brise la scène que pour venir passer un bras autour de ses épaules et la rassurer à sa manière, de la seule manière dont il sait ne pas commettre d’impair.

Une fois l’adrénaline redescendue, le plus compliqué pour Swann reste de se souvenir qu’il est avec Lucia et personne d’autre et que de ce fait préparer mentalement la mise à mort de cet homme ne lui est d’aucune utilité. « C’était Lawrence. » Je sais. Il se souvient de son timbre de voix quand elle l’a interpellé de son nom dès l’instant où il est entré dans le bar. Il se souvient qu’il ne l’avait jamais entendu parler de la sorte, avec autant de peur dans ses mots jusqu’à son expression elle même. Il aurait retenu le nom même si elle ne l’avait pas répété, parce qu’il faut bien poser un nom sur celui qu’il déteste désormais tant, son visage de merde déjà oublié au profit de celui ensanglanté qu’il a laissé dans son sillage. Pourtant Swann ne dit rien de tout ce qui lui traverse l’esprit, gardant ses lèvres collées contre la tempe de la jeune femme et ses doigts tantôt dans son dos, tantôt sur son épaule. « C’est mon ex, on est sorti ensemble pendant un moment, c’est fini depuis plus d’un an. Je t’en aurais parlé plus tôt si je pensais qu’il était capable de... » Et il sait être le dernier à pouvoir lui reprocher de ne pas parler de ses relations précédentes, lui qui est loin d’être un exemple en la matière. Il n’a jamais pressé un tel sujet parce qu’il n’avait pas envie de l’aborder et ce n’est qu’aujourd’hui qu’il comprend que le sentiment était partagé bien que ce soit pour des raisons bien différentes. “Tu le fais maintenant. Il n’est pas trop tard.” Elle n’a commis aucun mal si ce n’est celui d’avoir des sentiments et des peur ainsi que le besoin de prendre son temps. Sans doute a-t-il bien des défauts en amour mais le manque de patience est loin d’en être un, raison pour laquelle il la laisse aller à son rythme sans ne jamais la presser. « C’est pas quelqu’un de bien... » Il y a des évidences qu’elle éprouve le besoin de clarifier et encore une fois, il ne lui en veut absolument pas. Le blond en était parvenu à la même conclusion de lui même, après seulement quelques brèves minutes passées en sa compagnie. Il peine à imaginer ce qu’il en est pour Lucia, elle qui a vécu toute une relation avec lui. « Je sais pas pourquoi il est là… Je sais pas ce qu’il me veut. Je sais pas par où commencer. Je suis désolée de pas t’en avoir parlé après l’autre soir. » Ses paroles s’enchaînent et se brusquent alors il en fait de même avec ses doigts qu’il garde toujours en contact avec sa peau au travers de ses vêtements et de la couverture. Reparler de l’autre soir lui cause un pincement au coeur, il est vrai, mais avec les nouvelles informations qui s’offrent peu à peu à lui il ne peut que mieux comprendre les raisons qui ont poussé Lucia à ralentir le rythme. Si jamais il ne lui était venu à l’idée de lui en vouloir, aujourd’hui il commence peu à peu à comprendre pourquoi elle a agi de la façon la plus naturelle et humaine qui soit. “Lucia …” Il argumente faiblement à son tour sans véritable but, lui rappelant qu’elle n’était plus supposée s’excuser pour les erreurs des autres.

« Je sais pas pourquoi j’ai été tétanisée comme ça… Mais je sais que c’est certainement lié à lui... » Elle prend une pause dans le déroulement de ses aveux et à son tour, Swann ferme les yeux un instant, le temps de prendre une large inspiration et de garder la tête froide. Elle a toujours les siens fermés lorsqu’il les rouvre, en plus de sa tête vrillée vers le sol. L’anglais se décale à peine pour pouvoir passer son index sous son menton et ramener égoïstement son attention à lui alors qu’il cherche ses yeux des siens. “Je t’aime. Et ça, ça veut dire que je te ferai jamais de mal et que je te forcerai jamais à parler de quelque chose si t’en as pas envie. Ça prend tes défauts comme tes qualités, et même ton passé.” Qu’il lui soit connu ou pas ne change rien. Il a formé la personne qu’elle est aujourd’hui et c’est justement de cette personne là qu’il est amoureux, pas des personnes qui sont entrées et sorties de son entourage, encore moins de celles qui y ont laissées des marques plus ou moins profondes. Il ponctue son annonce d’un baiser furtif contre ses lèvres avant de remonter la couverture sur ses épaules pour la millième fois, quand bien même elle n’en est jamais tombée. “T’as le droit de pas répondre mais … est ce qu’il t’a déjà fait du mal ?” Son pouce reste posé sur sa joue alors que le reste de ses doigts retient à peine sa mâchoire, assez peu pour qu’elle puisse s’en défaire si jamais elle en ressentait l’envie ou le besoin. Lui, en parallèle, ne sait pas s’il veut réellement entendre mot pour mot la réponse à cette question, laquelle il anticipe sans doute déjà bien trop.

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Bien sûr, j’ai eu envie de lui raconter des dizaines de fois ce qu’il s’était passé à Sydney. Swann est l’une des premières personnes auprès de laquelle j’ai eu envie de m’ouvrir : il est patient et doux, gentil et attentionné et il me fait rire. Sauf que je n’ai jamais réussi et pour une raison simple : je me soucie de la façon dont il me voit bien plus encore que je ne me soucie de comment Leah me voit, ou même de comment Evelyn me voit malgré l’admiration que je leur porte. Swann, je n’avais pas envie qu’il me perçoive comme une petite chose fragile et je souffre de savoir que c’est certainement ainsi qu’il me perçoit à présent, et ainsi qu’il me percevra encore plus quand j’aurais craché le morceau, quand je lui aurais raconté toute l’histoire. Je ne veux pas qu’il me couvre d’attentions simplement à cause de ça. Je ne veux pas qu’il me protège ou qu’il se mette à avoir peur de me dire les choses par peur de me blesser parce que j’ai assez souffert comme ça. Ma pire peur reste qu’il minimise, qu’à la suite de mon récit j’ai le doit à un ”oui, et alors ?” et si je sais que ce n’est pas lui, qu’il ne ferait jamais ça la peur est irrationnelle. « Tu le fais maintenant. Il n’est pas trop tard. » Je baisse les yeux, je réalise qu’une fois de plus je brûle d’envie de m’excuser mais il vient de me dire que je n’en avais pas le droit alors je me retiens, un sourire triste sur les lèvres. « Si je te l’avais dit avant ça t’aurais permis de comprendre et d’être moins blessé. Et je suis désolée. » Je l’ai encore dit et je plisse les lèvres. « Pardon. J’arrête de m’excuser. » Un mince sourire étire mes lèvres lorsque je réalise que je suis encore une fois en train de le faire. Il disparaît bien vite dès lors que je tente d’entrer dans le vif du sujet : ma relation avec le brun qu’il vient de tabasser pour me défendre. Maintenant qu’il est impliqué dans cette histoire, il mérite toute la vérité mais si je la lui raconte c’est surtout que je n’ai pas envie de prendre le risque de le perdre par jalousie, ou parce qu’il réaliserait que tout ça est bien trop compliqué pour qu’il n’ait envie de s’impliquer et d’aller plus loin avec moi.

J’ai l’impression que je ne dis rien, rien de concret mais déjà il me semble fournir des efforts extraordinaires. ”Ce n’est pas quelqu’un de bien”, cela ne veut rien dire non ? Comment pourrait-il deviner tout ce que ça cache, de quoi il en retourne ? « Lucia … » « Mince, je me suis encore excusée c’est ça ? » Je cache mon malaise dans une blague qui n’en a que le nom. S’il est peut-être vrai que je ne lui dois pas d’excuse au nom de mon ex, j’ai la sensation que je lui dois au moins des explications pour l’autre soir si je ne veux pas le perdre. J’ai du mal à mettre des mots dessus et je ne veux pas me dédouaner en affirmant que tout est de la force de Lawrence. N’aurais-je pas dû être capable de mettre des mots sur mes émotions pour nous préserver ? Il me prive de l’opportunité de me poser la question d’une déclaration qui me laisse muette et pantoise. « Je t’aime. Et ça, ça veut dire que je te ferai jamais de mal et que je te forcerai jamais à parler de quelque chose si t’en as pas envie. Ça prend tes défauts comme tes qualités, et même ton passé. » Les lèvres légèrement entrouvertes à cause du choc, je ne le quitte pas des yeux et je ne tente pas de dévier mon regard. Ses doigts sont posés sous mon menton et moi, je pose ma main sur son genoux en ramenant les miens en tailleur pour tourner mon corps vers le sien. Il me rend à nouveau muette d’un sage baiser contre mes lèvres et, malgré la discussion douloureuse que nous étions en train d’avoir et qui devra continuer, je rougis en me mordant la lèvre. Il m’aime. Le reste de la phrase est beau mais en comparaison de ces quelques mot il n’a pas la moindre importance. « Je mentirais si je répondais que moi aussi je suis en train de tomber amoureuse parce que ça fait longtemps que c’est déjà fait. » Je suis une éternelle romantique : je tombe amoureuse en un regard et un sourire, et je me projette après un baiser ou un bouquet de fleur. Bien sûr que je l’aime Swann, je ne m’étais pas autorisée à le dire ou à le penser (j’avais peur de le penser si fort qu’il l’entende) parce que j’estimais que c’était trop tôt. « Ça fait longtemps, mais j’avais peur de te faire fuir... » Je rougis un peu et je tente de fuir son regard. « Et j’ai pas l’impression de te mériter, ça aussi ça a joué. » Et encore une fois, c’est mon manque de confiance en moi qu’il faut blâmer. Lawrence en est en partie coupable mais j’ai également toujours douté de moi. Swann, je me dit qu’il doit avoir des dizaine de filles, clientes et amies à ses pieds et je ne cesse de m’étonner qu’il m’ait choisi moi qui n’ait pas grand chose de particulier, pas d’attribut qui sorte réellement du lot.

« T’as le droit de pas répondre mais … est ce qu’il t’a déjà fait du mal ? » Mon regard s’assombrit et je cherche une réponse convenable à cette question. J’ai le droit de ne pas répondre mais, à présent que je me suis jetée à l’eau et que la plaie est rouverte, je sais que c’est le moment et qu’il ne se représentera pas forcément. Je me connais trop et je devine que s’il ne me force pas la main - et il ne le fera pas - je ne parviendrais peut-être jamais plus à aborder le sujet. « Pas comme tu le penses. Enfin je crois. » Ca veut tout et rien dire ça. « Il m’a jamais frappée. » Et ça je peux l’affirmer sans mensonges quand, par contre, prétendre que je n’ai jamais eu peur qu’il le fasse serait un mensonge. « Il est était brusque, mais pas comme ça. » M’a-t-il déjà tirée par le bras comme tout à l’heure ? Oui. Est-il déjà rentré complètement bourré pour me réveiller sans considération pour mes désirs et ma fatigue ? Aussi. M’a-t-il battue ? Jamais, les séquelles qu’il m’a laissée sont bien plus psychologiques quand il a régi ma vie pendant deux ans, allant jusqu’à contrôler mes réseaux sociaux, mon téléphone t mes fréquentations, et quand il m’a rabaissée jour après jour. « Mais oui, il m’a fait beaucoup de mal. Et j’ai mis du temps à pas me sentir coupable de le dire. » Je déglutis difficilement en tentant tant bien que mal de garder mon regard accroché au sien. « Et j’ai encore un peu l’impression de l’être. Mais je t’en ai pas parlé parce que j’avais surtout peur que tu me vois différemment. » Je ne suis pas en sucre, je ne suis pas cassée et il ne dois pas me traiter différemment : je suis juste moi, Lucia.

Ben que ce soit ce dont il rêve le plus au monde en ce moment, Swann ne peut toujours pas remonter le cours du temps pour le modifier à sa guise. Il a vu tous les films à ce sujet et toutes les séries avec, de toute façon : il sait déjà que ce serait une mauvaise idée. Pourtant en bon anglais qu’il est, c’est devant l’épisode spécial de Doctor Who qu’il passait chaque année son Noël et apprenait qu’on peut tout de même jouer avec le temps, si on reste professionnel. Il ne toucherait à rien d’autre, lui, c’est promis. Il chuchoterait simplement à l’oreille de Lucia qu’elle ne devrait jamais s’enticher de ce Lawrence. Il ne tenterait même pas de l’embrasser bien des années trop tôt, c’est promis. Il garderait ses sentiments pour lui ; pour son bien à elle. Un simple chuchotement et elle n’aurait jamais eu à lui avouer toutes ces choses, simplement parce qu’elle ne les aurait jamais vécues. « Si je te l’avais dit avant ça t’aurais permis de comprendre et d’être moins blessé. Et je suis désolée. » Et c’est vrai. S’il avait su, il aurait réagi différemment, c’est indéniable. Pour autant il est loin d’en vouloir à la jeune femme de ne pas avoir pu lui faire part si tôt d’un tel secret. Lui aussi ne lui a pas dévoilé toute sa vie et loin de là, il n’a donc pas le droit de lui tenir rigueur pour tout ce dont elle ne cesse, justement, de s’en vouloir. “J’étais pas blessé. J’avais peur pour toi.” Et si bien sûr il s’en voulait, ce n’est pas son ego qui avait été blessé dans l’histoire. Il s’en voulait pour elle, il s’en voulait de l’avoir blessée - au sens propre comme au figuré - mais jamais l’inverse n’a été vrai. Il n’aurait pas hésité à l’avouer si tel avait été le cas, pourtant.

Les aveux passe d’un domaine à un autre, ranimant vivant un sourire sur le visage inquiet de l’anglais. « Je mentirais si je répondais que moi aussi je suis en train de tomber amoureuse parce que ça fait longtemps que c’est déjà fait. » Une telle réponse le rassure à propos de ses propres sentiments et pour la peine, c’est un autre baiser qu’il pose contre sa tempe. Ils ont juré de prendre leur temps et ils continueront encore à le perdre, alignant les mois les uns après les autres pour continuer à avancer ensemble. Ce rythme leur correspond bien et Swann ne voudrait le changer pour rien au monde, surtout pas si cela signifie changer leur relation. « Ça fait longtemps, mais j’avais peur de te faire fuir... Et j’ai pas l’impression de te mériter, ça aussi ça a joué. » Il sourit comme un adolescent qui en a deux fois l’âge et garde ses yeux en direction des siens quand, elle, ne semble pas vouloir soutenir son regard. Il ne la force en rien et se contente de sourire naïvement face aux déclarations qu’elle aligne. Son baiser contre sa tempe s’est conjugué au pluriel, contre ses cheveux qu’il ramène religieusement derrière ses oreilles. “Faut que je t’avoue que j’ai jamais été doué pour la course de toute façon.” Ce qui veut dire qu’il ne fuira pas, ni aujourd’hui ni demain. Ce qui veut aussi dire que jamais elle devrait douter le mériter, parce que ça n’aurait même jamais dû être remis en question. Il ne cherche qu’à lui soutirer un sourire ou une fraction de, peu importe, quelque chose qui y ressemble.

Il voulait la faire sourire avant qu’elle ne reprenne son histoire et qu’il y ajoute la question qui importe le plus à ses yeux, à savoir s’il l’a blessée. « Pas comme tu le penses. Enfin je crois. Il m’a jamais frappée. » La mâchoire serrée et les yeux fermés, il contrôle sa respiration au mieux pour ne rien laisser paraître. Il y a bien des manières de faire souffrir quelqu’un sans jamais passer par les coups et maintenant qu’il sait que c’est ce qu’il s’est passé avec Lucia, il ne cesse de s’en vouloir de ne pas avoir pu le deviner avant et de ne rien avoir pu anticiper de toute cette histoire. Il regrette aussi Lawrence d’en avoir pu s’en tirer à si bon compte, même si son visage était déjà largement endommagé. Il ne dit rien de plus pour ne pas raviver de vieux souvenirs et se contente de faire glisser ses mains autour des bras de Lucia pour la caresser et le rassurer. “Je ne te ferai jamais de mal. Je veux juste que tu saches ça.” Elle n’a pas dit ça pour lui, Swann le sait, mais il préfère prendre les devants et parler d’un futur qui ne sera jamais réalité. Il ne lui fera jamais de mal, d’aucune manière. “Et je ne te vois pas différemment. Je suis contente que tu m’en aies parlé.” Pas heureux que ce soit arrivé, c’est certain, mais heureux qu’elle lui fasse assez confiance pour s’ouvrir à lui. Elle aura simplement eu besoin de temps et il trouve ça aussi normal que naturel. “Tu peux rester ici autant que tu veux.” Et si elle venait à ne jamais repartir, finalement, il serait sans doute le dernier à s’en plaindre, preuve en est de l’étreinte qu’il reprend doucement à son encontre. Maintenant, il sait comment agir au mieux pour elle et il est certain que tout ne peut que bien se passer. “Ne sois pas si dure avec toi, ok ? Je ne t’en veux pas pour rien.” Il éprouve le besoin de le préciser une dernière fois, son front collé au sien et ses yeux fermés.

this side of paradise
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« J’étais pas blessé. J’avais peur pour toi. » Et quand bien même, il aurait eu le droit de l’être je n’en démords pas. Je n’ai pas agi pour le blesser, loin de là, mais je ne peux nier que sur l’instant, je n’ai pas pensé aux dommages collatéraux. Ils ne m’ont frappée que plus tard, lorsque je l’ai vu me dévisager, perdu, sans savoir comment réagir. Plus tard quand, les jours après, j’ai senti qu’il y avait quelque chose de différent entre nous.

Mais il m’aime. Il m’aime et ça efface le malaise des derniers jours. Il m’aime et ça efface presque ma culpabilité puisqu’il me confirme que je n’ai pas tout gâché, que cet épisode n’a pas sonné le début d’un mécanisme de détachement de sa part. Il aurait pu. Moi je sais que j’en suis amoureuse depuis longtemps, je ne l’ai jamais prononcé à voix haute ou pensé trop fort par peur de brusquer les choses mais j’aurais tout aussi bien pu le dire la première puisque c’est réciproque. Il n’a pas envie de fuir. Il ne va pas prendre ses jambes à son cou parce que c’est trop rapide ou parce que ne peut pas affirmer être amoureuse de quelqu’un avec qui on n’a partagé que des baisers. Moi, je suis persuadée du contraire et je suis également certaine que notre vitesse de croisière c’est aussi ce qui nous a permis de nous découvrir et de nous attacher l’un à l’autre, d’apprendre sans mal à nous apprécier pour nos qualités et nos défauts. Bien sûr, certains pans de nos histoires respectives nous sont encore inaccessibles : c’était le cas de Lawrence jusque là et c’est encore le cas des marques sur ses poignets, mais quoi qu’elles cachent, je sais que cela ne changera en rien ma façon de le voir ou ma façon de l’aimer. « Faut que je t’avoue que j’ai jamais été doué pour la course de toute façon. » Moi je suis très douée pour un certain genre de course : je tombe amoureuse vite et souvent la première. Pour ce qui est de fuir et de désaimer par contre, je suis bien souvent à la traîne : j’aime encore lorsque l’autre est passé à autre chose depuis longtemps et systématiquement, je suis celle qui souffre le plus. « Je crois que j’ai pas besoin de te dire que moi non plus... » J’esquisse un sourire face à cette référence à nos débuts : quand j’ai prétendu être particulièrement enthousiaste à l’idée d’aller courir avec lui pour cracher mes poumons au bout de quelques mètres. Depuis que nous sommes officiellement ensemble et que nous avons pleins d’autres moments à partager, j’ai raccroché les basket de running. « J’ai le droit de dire quand je le veux et autant de fois que je le veux ? » Que je l’aime ? « J’aime comme ça sonne. » Et j’aime constater que, malgré mon histoire tumultueuse, je ne suis pas complêtement brisée et incapable de me relever.

« Je ne te ferai jamais de mal. Je veux juste que tu saches ça. » C’est un promesse, une en laquelle je crois, une qu’il n’avait même pas besoin de faire. « J’ai jamais eu aucun doute à ce sujet. » Pas même lorsqu’il a déchaîné sa colère sur Lawrence, faisante preuve d’une violence que je ne soupçonnait pas chez lui. « Et je ne te vois pas différemment. Je suis contente que tu m’en aies parlé. » Je me mords les lèvres et je pose doucement ma tête sur son épaule. J’ai mal au coeur de ressasser encore tout ça, mais je me sens aussi libérée d’un poids, j’aurais dû lui en parler avant. « Je me sens tellement idiote. » De n’avoir su ouvrir les yeux et de l’avoir placé sur un piédestal. Les vannes sont ouvertes et, à présent, j’ai envie de lui en dire plus sans savoir si j’en ai le droit, alors je demande l’autorisation. « Je me disais que c’était pas grave parce que, même s’il me blessait volontairement, il s’excusait toujours après. » Il le faisait en pleurant même parfois, mais moi, cela l’agaçait que je pleure. « Il était très jaloux sans raison mais c’est moi qui avais trop à coeur de lui plaire pour ne pas me laisser faire. C’est moi qui lui ai donné le mot de passe de mes réseaux sociaux, qui lui ai laissé l’accès libre à mon téléphone… J’aurais pu dire non. Et je l’ai pas fait quand il a commencé à me dire qui je pouvais voir et là où j’avais le droit d’aller. » Mais il a profité de mon manque de confiance et de mon besoin d’être aimée, ça je l’ai compris. « Quand il était brusque aussi, j’aurais pu dire non... » Et j’aurais pu l’insulter en retour quand il me traitait d’idiote ou pire encore, simplement pour que je me sente mal et que je reste accrochée à lui en pensant que, oui, il avait raison, je pouvais m’estimer heureuse qu’il s’intéresse à moi et d’avoir quelqu’un comme lui. Ma voix est nouée par l’émotion et mes yeux brillent depuis longtemps, une poussière certainement. « T’es un des seuls à être au courant... » Je l’ai dit à Leah, et j’ai effleuré le sujet avec Evelyn sans toutefois rentrer dans les détails. « J’en ai pas parlé à mes soeurs. C’est à cause de tout ça que Hannah et moi, c’est compliqué. Mais je pense qu’elle soupçonne certaines choses et que… C’est pour ça qu’elle a pas été tendre avoir toi. » Parce que même si je l’ai déçue et blessée, elle a toujours à coeur de me protéger et ça, c’est rassurant.

« Tu peux rester ici autant que tu veux. » Il l’affirme sans que je ne décelle l’ombre d’un doute et je me sens tout de suite un peu mieux. Je n’avais pas peur qu’il vienne jusqu’à chez moi avant le scène du café, maintenant je sais que puisqu’il connaît mon adresse, je ne me sentirais plus à l’abri avant longtemps. « Fais gaffe, je pourrais te prendre au mot. » J’attrape sa main pour entrelacer mes doigts aux siens. « Ne sois pas si dure avec toi, ok ? Je ne t’en veux pas pour rien. » Il pose son front contre le mien et je l’embrasse sans timidité. Je le crois, je le crois et si cette discussion devait avoir lieu, si je suis contente de lui en avoir parlé, je ne veux plus que le fantôme de Lawrence se mette entre nous. « Je sais. C’est moi qui m’en veux. J’espère qu’il va pas te créer d’emmerdes. » Parce que Lawrence a beau être un sale type, je n’ai jamais attenté d’actions contre lui et aux yeux du monde, c’est la pop star chérie des adolescentes. C’est ce type solaire et charismatique qu’il est en public, avec ses boucles brunes et son sourire. Moi à côté, je ne suis pas grand chose, et certainement pas prête à le pointer du doigt puisque cela impliquerait de parler de ce qu’il s’est passé.