Prendre du temps. C’est devenu notre nouvel adage, celui qu’on se veut de respecter, enfin, pour tenter de faire renaître ce que l’on semblait avoir perdu de vue depuis si longtemps. À dire vrai, je ne sais pas si la naissance des jumeaux à été un véritable virage à 360 degrés ou simplement le déclic nécessaire pour nous. Celui qu’il était grand temps que l’on ait pour se rendre compte à quel point les secrets sont rester enfouis bien trop longtemps et que les bases de ce mariage ne sont en rien les plus saines. Il faudrait tout déchirer, prendre un canevas blanc et vierge pour tout recommencer. Nous n’en sommes pas encore là. Depuis quelques jours, on s’apprivoise de nouveau. On ne tente rien si ce n’est de vivre sous le même toit dans un rythme qui nous convient, en prenant notre temps. Les enfants sont notre priorité et lorsqu’ils dorment, on se donne le choix de passer du temps ensemble devant un film ou simplement de vaquer à nos occupations chacun de notre côté. Rien ne s’impose, tout semble couler lentement, petit ruisseau qui fait son nid au milieu des débris.

En me levant ce matin, j’ai ressenti le besoin de sortir de la maison, de m’accorder du temps pour moi sans en culpabiliser dans la minute qui suit. Alors, après le biberon du matin et quelques câlins, j’ai laissé les jumeaux et Jill ensemble. Mon premier arrêt fut le DBD pour une bonne tasse de café en terrasse, Logan coucher à mes pieds. On a fait un crochet par le studio, montrer que je suis toujours là, que je ne les oublie pas. Signer quelques papiers, rappeler à Sebastian que c’est encore moi qui prends les décisions. Amélia était là et je me suis fait entraîner dans le studio pour entendre sa toute nouvelle création. Durant ma convalescence jamais je n’ai pris le temps de me dire que j’avais besoin de ça, remettre le pied à l’étrier en douceur. Passer ici en coup de vent après deux mois d’absences, demander des nouvelles, entendre un peu de musique. Alors, je me suis éternisé, envoyant un message à Jill pour tenir les promesses. Et pour la première fois depuis la naissance des jumeaux, j’ai eu la sensation que tout doucement, la vie reprenait son court.

Le soleil entame sa descente vers l’horizon lorsque je passe à nouveau le pas de la maison. Moins stressé, plus reposé, je me sens en phase avec ce qui m’attends. La route est encore longue, le chemin sera sinueux et semé d’embûche, mais c’est la promesse d’un renouveau qui se dessine à l’horizon. Quelque chose de tangible et non pas une illusion rêvasser depuis des années. L’histoire reprend, il s’agit désormais de l’écrire comme je l’entends. Dans cette maison ou ailleurs, mais avec les gens que j’aime. Les trois personnes que je retrouve à l’étage, installer dans la chambre. C’est la voix chantonnant de Jill qui m’accueilles sur le seuil de la porte, elle ne m’a pas entendu arriver. Pencher au-dessus du berceau, Bowie dans les bras, elle leur chante notre chanson pour les endormir. Ce moment entre eux est bien trop important, alors sourire aux lèvres je retourne en bas. Logan se chargera d’annoncer notre présence quand je le vois foncer dans la chambre pour prendre la place qui lui revient de droit, sur le tapis au pied du lit à barreaux.

C’est moi qui finis par chantonner en préparant le dîner. Murmurer cet air qui semble coincé dans un coin de ma tête depuis le début de l’après-midi tandis que je sors la vaisselle et dresse la table. Depuis cette conversation qui a tout remis à plat, on s’efforce de toujours dîner ensemble. Les sujets sérieux ne sont pas toujours de mise, on avance à notre rythme, mais on le fait ensemble. Et lorsqu’elle me rejoint dans la cuisine, je ne peux m’empêcher de lui sourire tendrement. « Timing parfait, j’allais venir te chercher. » Elle s’installe tandis que j’amène les assiettes. Face à face, on se retrouve pour la première fois de la journée. « Tout s’est bien passer avec les petits ? » La question se veut innocente, tel un couple qui se raconte les évènements du jour. J’ai arrêté de la juger quand j’ai compris qu’elle faisait de son mieux en tant que maman, chaque jour elle apprend.

Tout est bien plus détendu depuis une semaine. Quelques jours pendant lesquels ils ont tous les deux compris qu’il leur fallait vraiment du temps pour tout reconstruire. Ils n’ont pas le droit de faire les même erreurs qu’avant, pas maintenant que deux enfants sont en jeu au milieu de cette relation qui est encore plus que fragile. La journée passe, et elle est seule avec les jumeaux pendant un long moment cette fois. Bailey part le matin avec Logan, et, même s’il envoie un message, elle se demande pourquoi il part aussi longtemps. Elle a peur de se tromper et hésite plusieurs fois à envoyer un message à Dorian ou à Ginny pour leur demander de l’aide. Mais elle tient bon, les jumeaux sont particulièrement calmes. Comme s’ils sentaient que Jill pouvait vriller d’un moment à l’autre tant son rôle de mère est encore flou dans son esprit. Elle essaie, vraiment cette fois. Mais, même après trois semaines, c’est encore compliqué de trouver une place et de se dire que sa vie aurait dû être comme ça depuis qu’elle a accouché. Tout est en train de changer, mais cette fois ça change, ça évolue en douceur.

Elle ne renvoie pas de message à Bailey pendant la journée, lui lance le temps dont il a besoin même si elle a peur de faire des milliers d’erreurs quand elle doit s’occuper des jumeaux qui sont réveillés en même temps. Tracy hurle et elle passe près d’une heure à la calmer, elle la berce et elle essaie de ne pas se mettre à hurler en même temps qu’elle tant les voix sont nombreuses dans sa tête. Tracy a fini par se taire, et Jill par passer près de 20 minutes dans un coin de la chambre à se tenir la tête pour ne pas craquer. Elle inspire, elle serre les dents et elle a pu dormir un peu pour essayer de tous les faire taire. Les heures passent et de nouveau elle est proche des jumeaux quand c’est Logan qui tourne entre ses jambes alors qu’elle était en train de chanter au dessus du berceau. Ca la calme, et ça les calme eux aussi.

Elle rejoint Bailey dans la cuisine et s’assoit à la table. Elle le regarde préparer à manger et elle profite du calme ambiant. “Je meurs de faim.” Elle n’a pas mangé grand chose aujourd’hui, elle a préféré dormir. La question qu’elle attendait et à laquelle elle va devoir répondre. Ils ont décidé d’être sincère, mais elle va emmener le sujet en douceur. “Tracy a beaucoup crié à un moment.” Elle baisse un peu les yeux sur son assiette mais finit par relever son regard vers Bailey qui s'installe en face d’elle. “J’ai réussi à gérer.” Elle a fait de son mieux.

Si notre conversation de la semaine dernière nous a amené à réaliser une chose, c’est que l’on a besoin de se donner du temps à tous les deux. Que ce soit avec les jumeaux, ensemble ou séparément, on a besoin d’avancer à un rythme qui nous convient. Je rester persuader que l’on ne pourra pas toujours être en phase dans notre reconstruction. J’ai besoin de lui faire confiance à nouveau, elle a besoin de trouver sa place dans son rôle de mère. Bien plus serein qu’il y a quelques jours, je reste tout de même sur mes gardes, toujours effrayés à l’idée qu’elle prenne conscience qu’elle ne veut rien de tout cela et qu’elle s’en aille. La seule chose qui pourra nous sauver désormais, c’est une véritablement honnêteté même si la vérité risque de déranger. J’ai trop longtemps pris des gants pour m’adresser à elle, trop longtemps fait taire mes sentiments pour que tout se passe bien quand en réalité, il fallait probablement que je parle pour que l’on arrive à se comprendre. Cette journée loin de la maison m’a permis de me réaliser certaines choses, et même si le chemin sera encore long, je veux nous donner cette chance. Ouvrir cette nouvelle page pour entamer un chapitre bien différent des autres.

Et pour la première fois depuis ce qui me semble être une éternité, je ne redoute pas de me retrouver seul avec Jill. Au contraire, je suis heureux de la voir me rejoindre à table, heureux de voir que malgré ce qui semble être la fatigue, elle est là. L’animosité commence à disparaître entre nous même si rien n’est parfaitement réglé, même s’il va encore falloir discuter de tout un tas de choses. On profite de nos soirées à deux quand les jumeaux dorment et que la maison s’apaise enfin. « Je meurs de faim. » Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je dépose l’assiette sous ses yeux. « J’ai fait tes préférés. » Je ne cesserais jamais les attentions envers elle qu’importe ma rancœur et tout ce qui a pu me blesser par le passé. Elle est ma femme est, j’ai toujours aimé lui apporter de l’attention, faire ces petits riens qui parfois en disent beaucoup.

L’un en face de l’autre, on prend le temps de se parler. « Tracy a beaucoup crié à un moment. » Et même si elle hésite, Jill finit par me dire la vérité. Je sais à quel point elle a du mal avec notre fille lorsque cette dernière s’époumone durant ce qui semble être des heures alors que tout devrait bien aller. Je ne le dirais pas, mais je crois que Tracy extériorise cette colère que nous, on n’a pas su exprimer. Tandis que Bowie se fait le plus discret possible pour qu’on l’oublie. Nos enfants sont des éponges qui exprime leurs ressentis de manière diamétralement opposés. « J’ai réussi à gérer. » Et je suis si fier d’elle pour cela. Ma main vient lentement se poser sur la sienne comme pour la rassurer. « Je sais à quel point, on peut avoir envie de la poser dans son lit et partir loin quand elle hurle sans raison. » Elle doit comprendre qu’en rien sa réaction est injustifiée ou même horrible. J’ai eu envie de laisser Tracy seule pour qu’elle se taise enfin. Un jour, je lui ai même hurlé dessus si fort qu’elle en a eu peur, mais je ne l’ai dit à personne ce genre de chose. Pourtant, c’est autre chose que je lis dans le regard de Jill. Quelque chose que je n’avais pas vu depuis longtemps.« Tu as fait une crise ? » Et ce n’est en rien pour la juger, simplement pour comprendre.

L'assiette arrive devant son nez et elle sourit. Elle l'aurait embrassé en temps normal. Mais ils ont besoin de temps alors ils le prennent. Ils sont comme deux amis, ou simplement comme deux personnes qui cherchent à s'apprivoiser de nouveau. C'est étrange, ils n'ont jamais été comme ça tous les deux, mais c'est un nouveau chapitre qui s'ouvre. Une nouvelle histoire qu'ils veulent écrire correctement cette fois. Elle sourit et se jette rapidement sur son assiette avant que Bailey ne continue à poser des questions. Il est parti toute la journée et elle s'étonne qu'il ne soit pas déjà allé voir les jumeaux avant de se concentrer sur elle. Elle s'en étonne mais c'est positif. Lui aussi fait des efforts et elle le voit un peu tous les jours depuis leur discussion. 


Elle prend son temps avant de répondre, elle réfléchit. Elle n'aime pas parler de ce genre de choses en temps normal. Ni de ses crises ni de ses traitements. Traitements et thérapie qu'elle a arrêté à la seconde où les petits sont nés. Ses vieux démons avaient totalement repris le dessus, et elle n'est pas prête de les chasser de si tôt. Mais ils ont dit qu'ils devaient être honnête. Il la connaît Bailey, et elle n'a pas besoin de développer pour qu'il comprenne qu'elle a eu une après-midi difficile. "Je déteste quand elle fait ca" et elle a toujours du mal à créer des liens avec sa fille qui lui ressemble sans doute un peu trop. Elle a peur pour elle, Jill aussi était une enfant capricieuse et qui hurlait pour un rien. Comment elle peut gérer ça ? Comment elle peut tenir le coup si elle se rend compte qu'elle a transmis sa maladie à ses enfants ? Mais Bailey ne se concentre pas sur eux un très long moment, il recentre son attention sur Jill qui pince les lèvres en écoutant sa question. "J'ai géré" Oh qu'elles sont difficiles à abandonner les mauvaises habitudes. "Ils se sont endormis après et je suis allée me coucher aussi." En se retenant de hurler à son tour pour ne pas les réveiller. 

Il suffit d’un regard pour que je comprenne que Jill hésite à me dire la vérité. Les disputes et la distance n’effacent pas des années à ses côtés, quoiqu’il arrive, je la comprendrais toujours en un regard. Je voudrais qu’elle sache que je ne jugerais plus, que cette colère là est ranger dans un placard. Il m’a fallu du temps et peut-être que j’aurais encore des remarques désobligeantes, mais aujourd’hui je veux réellement savoir comment c’est dérouler sa journée. Je ne suis pas parti pour la soumettre à un test, mais bel et bien parce que j’avais besoin de temps en dehors de la maison. Après une journée a penser égoïstement à moi, je veux réellement savoir comment se sont dérouler les choses pour elle. Et une Tracy qui pleure et hurle à pleins poumons sans raison apparente, je connais plutôt bien. J’ai tout essayé, les massages sur son ventre, les berceuses, les câlins, la distraction avec des jouets, et même clé, parfois rien ne fonctionne. Elle a eu ce genre de crise cette après-midi notre petite fille et si je pourrais demander à Jill pourquoi elle ne m’a pas appelé, je préfère lui sourire lorsqu’elle me dit avoir géré même si je ne la crois qu’à moitié. « Je déteste quand elle fait ça. » Et je le comprends tellement, ce sentiment d’impuissance qui nous envahis alors que son petit visage vire au rouge écarlate et qu’elle ne cesse de pleurer. « Le médecin m’a parlé de pleurs de décharge, c’est comme si… Comme si elle évacuait tout d’un coup. » Je ne sais pas si c’est clair, je ne sais pas si cela justifie quoique ce soit, mais je voudrais juste que Jill comprenne que Tracy ne fait pas cela uniquement avec elle. Bien au contraire.

Mais pour le moment, ce n’est pas la crise que ma fille a pu faire qui m’inquiète le plus. C’est plutôt sa maman qui me semble épuisée et surtout qui semble vouloir se contenir encore. Je connais ce regard, ces gestes et cette manière qu’elle a de vouloir expliquer les choses. Je les connais les crises, j’en ai vécu des centaines avec elle des minimes comme des biens trop intenses. « J'ai géré. » Et la répétition qui éveille forcément la curiosité. « Et la vérité ? » que je demande calmement sans jamais la presser. « Ils se sont endormis après et je suis allée me coucher aussi. » Elle a probablement eu la meilleure des réactions quand dormir la toujours apaisée ou tout du moins aider à traverser la crise. Mais il y a autre chose que je voudrais évoquer dans le calme alors que l’on est juste tous les deux. Mes doigts reviennent se poser sur sa main, cherchant son poignet dans une caresse qui a toujours été la nôtre, signe d’apaisement au possible pour elle. « Je sais que tu ne prends plus ton traitement. » J’ai trouvé les bouteilles pleines un jour en cherchant un médicament contre le mal de crâne et j’ai compris, qu’elle avait tout arrêté dès l’instant où ils sont nés tous les deux. « Pourquoi ? » Et c’est tout ce que j’aimerais savoir, pour comprendre, pour tenter d’accepter sa décision également.

Elle parle des enfants, ça reste leur sujet principal de conversation ces derniers temps. Ca leur évitait d’avoir de vraies conversations jusque là. Mais maintenant, ils essaient de combiner deux vies, de faire coïncider ce besoin d’avancer ensemble pas à pas et les jumeaux qu’ils ne peuvent pas mettre de côté. Alors Jill ne rechigne pas à lui dire qu’ils ont pleuré, et que Tracy a fait une crise pendant de longues, trop longues, minutes. Il donne quelques explications et elle écoute, sa fille lui rappelle trop ce qu’elle aussi elle peut faire de temps en temps. Et elle ne lui souhaite pas d’être comme elle, bien au contraire. Mais ils vont devoir faire avec, quoi que ses pleurs veuillent dire. “On peut rien faire pour changer ça ?” Si ça peut la faire se calmer, elle veut bien tout essayer Jill. C’est peut-être un réflexe de maman, ou juste quelque chose d’égoïste mais elle accepte de se concentrer sur sa fille pour qu’elle n’ait plus besoin de faire ces crises.

Elle ne veut pas avouer qu’elle a fait une crise, ni à Bailey ni à elle même. Elle préfère serrer les dents et penser que tout ça n’est qu’une histoire ancienne. Parce que, si elle l’avoue, elle va aussi devoir dire qu’elle a arrêté de prendre son traitement, et comment elle a géré pour calmer les crises qui arrivaient après la grossesse. Ca ne va pas plaire à Bailey, pas du tout. Il sait qu’elle a craqué, qu’elle est retombée dans ses mauvaises habitudes, mais il ne sait pas encore à quel point. Il veut la vérité, bien sûr qu’il la veut et elle pince les lèvres mais reste apaisée quand il passe sa main sur son poignet. Une technique parmis tant d’autres qu’il connait par coeur. Elle relève les yeux vers Bailey, elle ne peut pas lui mentir, pas sur ça, il la connait trop bien après toutes ces années. Il sait, il a vu et elle se retrouve coincée la McGrath, elle ne peut rien faire pour éviter la conversation ou pour faire croire que tout va très bien. Elle déglutit, elle va devoir lui parler de ses nombreuses rechutes et elle ne sait pas comment il va les prendre. “Tu sais que ça m’endort. J’ai l’impression de plus rien ressentir et je me suis dit que c’était à cause de ça que…” Elle ne continuera pas cette phrase, lance seulement un coup d’oeil vers l’étage où dorment les jumeaux. “Je déteste ces traitements.” Parce que ça veut dire évoluer, grandir, et sortir de ce cercle vicieux composé de soirées, de drogues et d’alcools pour calmer les voix qui hurlent de temps à autre dans sa tête.

« On peut rien faire pour changer ça ? » La question est légitime et bien entendu que je me demande à chaque fois la même chose. Comment pourrait-on faire pour complètement apaiser notre fille ? Elle ne pleure pas sans raison que ce soit pour décharger ses émotions ou autre chose. Je sais que Jill se demande si elle n’a pas tout simplement donner sa maladie à Tracy. C’est probablement bien trop pour le dire, mais c’est peut-être quelque chose que l’on devra surveiller lorsqu’elle va grandir et se développer. En réalité, je n’en sais rien. Je suis tout aussi démuni que ma femme à ce sujet. Tracy pleurs parfois pendant des heures même si depuis quelque temps les crises sont tout de même bien moins longue. La seule chose qui l’apaise réellement, c’est la présence de son frère, mais ça on l’avait compris depuis le début ou presque. « La voiture, ça fonctionnait bien. » Avant que je m’endorme au volant. On parle pas de cela non plus, mais il est certains que je ne suis pas prêt de reprendre le volant avec mes enfants à l’arrière. Je préfère encore marcher pendant des heures. Mais le problème n’est pas là. Ce soir, c’est sur Jill que j’aimerais me concentrer, pour lui prouver que je suis toujours le même, celui qui s’inquiète et celui qui voudra toujours lui venir en aide.

Elle sait que me mentir ne sera jamais réellement productif, je la laisserais croire à ses mensonges, parfois, mais pas aujourd’hui. Elle avait tout un traitement qui semblait l’avoir aidé durant sa grossesse, mais j’ai trouvé les pilules cacher dans le placard de la salle de bain. Elle m’avait juré vouloir se faire aider, mais je ne sais plus réellement si je dois y croire. « Tu sais que ça m’endort. J’ai l’impression de plus rien ressentir et je me suis dit que c’était à cause de ça que… » Qu’elle ne ressentait rien pour les jumeaux dès le jour de leur naissance. Elle n’a pas besoin de dire les mots pour que l’idée même me tords le cœur. Cette foutue maladie qui lui empoissonne la vie. Dix ans que je cherche un moyen de lui venir en aide, tout autant d’années où j’ai constamment la sensation d’échouer un peu plus. « Je déteste ces traitements. » « Je sais Jill… » Elle n’aime pas la sensation que lui procure le traitement et je peux le comprendre qui voudrait se voir anesthésier constamment ? À croire que l’on ne trouvera jamais un juste milieu pour que tout se passe pour le mieux. Je me souviens des traitements que lui imposait ses parents, des séjours en hôpital, elle ne doit plus s’infliger tout cela. « Qu’est-ce que tu voudrais faire ? » C’est à elle de prendre la décision, c’est à moi de m’inquiéter de son comportement en cas de crise autour des enfants. Je sais comment elle gérait avant et ça, ça ne sera plus acceptable. « Tu penses pouvoir tenir sans aucun traitement ? » Sous-entendu, sans aucune drogue également. Je sais qu’elle déteste ce genre de conversations, mais j’ai besoin de savoir où elle se situe, besoin de savoir ce qu’il faut faire et dans quelle direction on va. À elle de juger si elle me doit la vérité ou non, tout est encore dans la balance et plus que jamais depuis quelques temps la balle est dans son camp.

Il parle de la voiture. Et cette fois c’est le pouce de Jill qui passe délicatement sur la peau de Bailey. Le sujet et compliqué et il ne veut pas en parler, pas encore. Il a besoin de temps pour ça aussi, mais il faudra qu’il se remette face à la réalité un jour ou l’autre. Il va être obligé de reprendre la voiture avec les enfants, ce n’est pas viable s’il ne le fait plus jamais. Mais il a besoin de surmonter le traumatisme, il le fera, petit à petit, et Jill sera là pour l’aider. Il ne veut pas se concentrer sur ça, elle le sent. Elle pourrait poser des questions, aller plus loin sur le sujet mais elle n’a pas le temps de le faire qu’il a déjà posé de nouvelles questions sur son état à elle, et ses crises.

Elle non plus n’avait pas envie d’en parler, mais il n’a pas l’air d’avoir peur. Pourtant il les a laissé seul tous les trois, et Jill a fait une crise. Elle aurait pu devenir folle et les blesser, elle a peur que ça arrive un jour. Mais il lui fait confiance alors elle s’apaise un peu. Elle n’a pas envie de lui mentir même s’il ne sait pas comment il va réagir. Il pourrait dire n’importe quoi, s’emporter et lui dire de partir une nouvelle fois, tout est possible. Elle déteste les médecins et les traitements, mais ça ce n’est pas nouveau. Ses parents l’ont bien trop traumatisé pour qu’elle puisse être en paix avec le monde médical. Il sait, bien sûr qu’il le sait, elle n’en a jamais douté. “J’en sais rien.” Et ça aussi ce n’est pas nouveau. Elle ne connait qu’une seule manière de se calmer et ces deux vies ne sont pas compatibles. Elle va devoir en parler, mais elle repousse le moment, de quelques minutes encore. Elle ne pourra pas tenir sans rien, “Je pense pas.” Et elle est là l’impasse, la voie sans issus qu’elle évite depuis des années. “J’ai toujours fonctionné comme ça Bai et aussi fou que ça puisse paraître ça a toujours marché.” Mais il n’acceptera pas, et il aura raison de le faire. Jill ne devrait même pas l’envisager. “Ca a encore marché là.” Elle n’a rien pris aujourd’hui et elle sent que ses mots peuvent être mal interprétés. “Pas aujourd’hui !” Elle ne veut pas se faire hurler dessus et elle n’aurait pas oser le faire alors qu’elle était seule avec les enfants. Mais elle l’a fait après leur naissance, et là encore elle n’est pas sûre que Bailey parvienne à garder son calme.

Jamais je ne pourrais oublier la première fois où j’ai assisté à l’une de ses crises. Je n’avais rien compris, je pensais qu’elle faisait semblant pour attirer l’attention sur elle alors qu’en réalité elle était en pleine détresse. Je n’avais pas compris et je m’en étais voulu d’avoir pensé de la sorte. C’est Ginny qui m’avait expliqué à demi-mots, ses parents l’avaient confirmé bien plus tard en crachant les mots de manière honteuse. Il avait fallu une deuxième crise alors que j’étais seul avec elle, pour que je commence à faire des recherches sur la schizophrénie. Depuis, je n’ai jamais vraiment cessé d’apprendre pour la comprendre au mieux, pour tenter de l’accompagner lorsque rien ne semble aller pour elle. Je n’ai pas toujours réussi et aujourd’hui encore il y a beaucoup de choses qui m’échappe sur le sujet. Avec le temps, j’ai simplement appris à reconnaître les crises et à les calmer parfois également. Savoir qu’elle a fait une crise lorsque je n’étais pas là et qu’elle était seule avec les enfants aurait pu m’angoisser, mais étrangement, c’est un point sur lequel j’arrive encore à lui faire confiance. Elle ne m’a jamais fait mal physiquement en étant en crise, je lui fais confiance pour savoir s’arrêter avec les enfants qu’importe ce qu’il arrive.

Pourtant, il est temps que l’on parle de ça, que l’on évoque ce traitement qu’elle ne prend plus depuis deux mois. Cela a forcément des conséquences sur sa maladie et j’aimerais savoir si elle pense pouvoir gérer sans aucun traitement. « Je pense pas. » Je m’en serais douté, mais l’entendre le dire m’inquiète quelque peu. « J’ai toujours fonctionné comme ça Bai et aussi fou que ça puisse paraître ça a toujours marché. » Toujours utiliser la drogue comme calmant. C’était fun lorsque l’on était jeune, ça ne m’amuse plus du tout désormais. Surtout depuis son overdose, je supporte plus l’idée qu’elle puisse vouloir toucher de nouveau à cela. « Ça a encore marché là. » À croire qu’elle n’a pas attendu longtemps. J’allais gueuler, j’étais à deux doigts de hurler à quel point elle pouvait être irresponsable de se droguer en étant seule avec les enfants, mais elle me retient de justesse. « Pas aujourd’hui ! » Pas aujourd’hui certes, mais cela s’est déjà reproduit. Elle a repris de la drogue et je sais que je pourrais pas le supporter. « Souvent ? » Je ne veux même pas savoir avec qui ou même quand. J’ai simplement besoin de savoir si cela est revenu dans son quotidien comme un objet permanent. L’espace d’une seconde, je la revois allonger dans ce lit d’hôpital, ce jour où j’ai cru la perdre pour toujours. Je secoue la tête violemment cherchant à effacer cette image a jamais. « Je veux pas de drogue dure dans la maison, pas avec les enfants. » C’est la condition que j’imposerais. Avant, quand ce n’était que nous, ça n’avait pas d’incidence, aujourd’hui on ne peut plus résonner comme cela. « Jill… Tu peux pas retomber là-dedans. » C’était fini ce genre de merde. « Un pas en avant, trois en arrière. » Qu’est-ce que je vais découvrir ensuite ? Que finalement elle a bel et bien coucher avec Louisa ?

Ils finissent par aborder tout le sujet qui fait peur à Jill. Les traitements, et le drogue. Sa rechute alors qu’elle avait tenu le coup pendant des mois après avoir fait quelques abus quand elle ne savait pas encore qu’elle était enceinte. Tout ça, c’est de mauvais souvenirs pour Bailey et elle le sait. Il y a eu l’overdose, et tout son passif avec les fêtes. Il sait qu’elle ne changera jamais vraiment, qu’au fond, elle aura toujours besoin d’un peu de folie et d’être jeune dans sa tête. Elle en a encore un peu besoin du moins, au moins quelques mois, ou peut-être quelques années. Si elle essaie de se ranger trop vite, de devenir parfaite du jour au lendemain, elle ne fera que rechuter encore et encore sans jamais voir le bout du tunnel.

Ils ont dit qu’ils ne mentaient plus, donc elle lui dit la vérité sans réussir à s’exprimer toute seule. Elle ne peut pas lui cacher ça, elle n’a pas le droit de le faire alors qu’ils essaient de tout reconstruire. Alors elle soupire, et elle attend de voir comment il va réagir à toute cette annonce qu’il va comprendre, elle en est certaine. “J’ai pas compté. Moins souvent qu’avant.” Ca, elle en est sûre. Elle a craqué plusieurs fois, avec plusieurs personnes mais elle ne donne pas de détails. Elle ne fait que répondre aux questions de Bailey. Elle pince les lèvres, elle a l’impression qu’il parle à une enfant et c’est peut-être ce qu’il est en train de se passer finalement. “Tu sais que je le ferai pas.” Elle n’est pas inconsciente à ce point. Elle ne vend plus, elle n’a fait que consommer lorsqu’elle en avait l’occasion dans les bars et les boîtes de Brisbane. La tentation est toujours trop forte, et, ces derniers temps, l’angoisse et les voix étaient bien trop présente. Elle ne fait que lui dire la vérité, et elle a l’impression qu’il se ferme tout à coup. Elle soupire, il a raison. Un pas en avant trois en arrière. Est ce qu’ils vont arriver à avancer un jour ou tout est perdu d’avance pour eux deux ? “Je peux pas tout abandonner d’un coup.” Et c’est là qu’il va falloir trouver un compromis s’ils veulent vraiment avancer. “Tu voulais que je sois honnête non ?” Elle aurait pu lui cacher tout ça, et continuer de sombrer sans même qu’il ne s’en doute vraiment ou qu’il ne veuille se l’avouer.

Je pensais sincèrement que ce chapitre était derrière nous, que plus jamais on aurait à parler de drogue de cette manière. Il faut croire que c’est un pan de la ville de Jill qui ne s’effacera jamais vraiment. Elle est persuadée que c’est la seule chose qui pourra l’aider et en réalité je ne sais même plus si lui proposer de l’aider à arrêter et sincèrement une bonne idée. Elle ne sait pas faire sans ce genre de merde et j’ai surtout la sensation qu’elle n’aura jamais pleinement la volonté d’arrêter quoique je dise, qu’importe la présence des enfants. Au moins, cette fois-ci, elle a la décence de me le dire en étant sobre. Cela devrait compter comme un bon, mais la seule chose à laquelle je pense, c’est que tout va repartir dans une spirale infernale, quelque chose qu’elle ne pourra pas contrôler. « J’ai pas compté. Moins souvent qu’avant. » Moins souvent qu’avant, mais trop pour qu’elle puisse les compter. Je ne sais plus si je dois en rire ou en pleurer. On s’enlise toujours dans les mêmes spirales infernales, à croire que notre histoire n’est en réalité qu’un cercle vicieux qui nous bouffera jusqu’à la moelle. Je suis fatigué de tout cela, exténué de devoir ne serait-ce que préciser que la drogue ne doit pas entrer dans cette maison. « Tu sais que je ne le ferais pas. » Non, je ne le sais plus vraiment, mais pourquoi lui dire si ce n’est enclenché une énième dispute. « J’essaye de te faire confiance. » À nouveau et sur tous les sujets. J’avais confiance en elle aujourd’hui en la laissant seul avec les enfants, je suis fier qu’elle s’en soit sorti sans aucune drogue. « Et ça compte qu’aujourd’hui, tu t’en sois sortie sans. » Parce qu’elle m’avait demandé de lui prouver que je faisais des efforts. J’en fais là, je pense à aujourd’hui tout en stressant pour demain malgré tout. « Je peux pas tout abandonner d’un coup. » Un soupire m’échappe alors que dans mon dos, la sonnerie de mon téléphone se déclenche. « Je sais Jill, mais tu n’y avais pas touché pendant sept mois. » Ou tout du moins c’est ce que je pensais encore il y a quelques minutes. J’ai peur de ce qu’elle pourrait m’avouer même si je sais parfaitement qu’elle n’aurait jamais fait ça aux enfants. La sonnerie du téléphone se coupe et le silence retombe dans la salle à manger. [color=#000000]« Tu voulais que je sois honnête non ? » Je hoche la tête alors que la sonnerie reprend. « Comprends juste que c’est parfois dur à encaisser. » Dur de réaliser que je ne serais jamais assez pour l’aider dans tout cela, qu’elle préfère se ruiner la santé plutôt que de trouver une alternative.

Et cette putain de sonnerie qui reprend pour la troisième fois alors que plus aucun de nous deux ne parle à table. Je refuse de couper cette conversation pour répondre au téléphone, mais lorsque la chanson s’enclenche pour la quatrième fois consécutive, je me tourne pour attraper mon cellulaire et décrocher. « QUOI ?! » La voix qui me répond de l’autre côté me laisse pratiquement sans voix. « Maman ? » Et c’est comme si le monde s’arrêtait de tourner alors que je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis des mois, voir des années. Elle parle, elle parle, débite à toute vitesse cette bombe qui me traverse, s’excuse de devoir prévenir d’autres personnes et raccroche sans me laisser le temps d’en placer une. Téléphone toujours coller à l’oreille, j’explose de rire. Le vrai rire, celui qui amène les larmes aux yeux, celui qui est complètement incontrôlable. Et mon regard croise celui de Jill qui ne cesse de m’interroger en silence. Je ricane encore en secouant la tête. « Quelle superbe soirée. » Non vraiment, on ne pouvait pas faire mieux. « Tu te drogues à nouveau et mon père est mort. »

Mon père est mort.

Peut-être que justement, ce qui a aidé Jill à tenir pendant tout ce temps c’était qu’elle savait qu’elle allait pouvoir consommer à nouveau après la grossesse. Et ça n’a pas loupé. Seulement quelques semaines après, elle a craqué. Bailey ne sait pas combien de fois c’est arrivé, et elle non plus. Ce qui veut dire que c’est arrivé bien plus d’une fois. Elle s’en est sortie sans aujourd’hui et elle accorde un léger sourire à Bailey. Lui aussi il fait des efforts et elle le voit. “Merci.” C’est à son tour de le remercier cette fois. C’est dur pour lui, elle le sait, et elle se demande si elle a vraiment bien fait de lui parler de tout ça. Mais c’est leurs nouvelles règles. Ils ne peuvent plus avoir des millions de secrets, sinon ils ne feront que se briser encore et encore. “Je sais.” Et c’était dur chaque jour, à chaque fois qu’elle était à deux doigts de hurler. Mais elle avait un traitement pendant tout ce temps, et elle était épuisée. Le sommeil l’aide à gérer, mais, malheureusement, elle ne peut pas dormir à chaque fois qu’elle se sent mal. Le téléphone n’arrête pas de sonner et elle grogne. Qui peut bien appeler à cette heure là ? Il essaie de l’ignorer Bailey, et elle fait pareil. “Je pouvais pas te le dire avant.” Ils étaient encore plus fragile qu’aujourd’hui. Et, là encore, Jill a l’impression de devoir marcher sur des oeufs.

Le téléphone sonne encore une fois et il finit par répondre alors que Jill lève les yeux au ciel. Il crie presque au téléphone avant de lui faire comprendre que c’est sa mère à lui. Elle ouvre de grands yeux surpris Jill, ils ont certainement quelque chose à dire sur les jumeaux ou sur le mariage. Ou alors ils sont déjà au courant que Jill a craqué et a trainé dans les bars pendant quelques semaines après son accouchement. Mais il se met à rire bailey, et Jill ne comprend pas ce qu’il se passe. Elle fronce les sourcils et attend des explications.

Elle met du temps à enregistrer l’information. Le père de Bailey est mort. Quelle soirée de merde. Elle pince les lèvres et pose une main sur sa bouche. Monsieur Fitzgerald est affreux, presque pire que Isahiah McGrath. Mais elle sait que Bailey l’aime, et c’est normal. “Qu’est ce qui s’est passé ?” Elle fronce les sourcils et le lève pour passer de son côté de la pièce. Elle passe sa main sur la joue de Bailey et plante son regard dans le sien. “Ca va aller.”

Le sujet est loin d’être simple à aborder, pourtant la conversation se déroule sans encombre. On discute tel deux adultes conscients des épreuves qui les attendent. Apprendre qu’elle a replongé dans la drogue n’est pas ce que je voulais entendre, mais j’accepte qu’elle ne sache plus vraiment comment s’en sortir quand c’est la seule chose qui semble apaiser les crises. Parfois je me demande si elle y retourne parce qu’elle aime réellement cela ou si c’est simplement son traitement à elle, celui qui fonctionne, celui qui l’aide à ne pas sombrer plus loin dans la maladie. Ce serait se lancer dans des zones d’ombres sinueuse que de continuer sur ce chemin. « Je pouvais pas te le dire avant. » C’est tout aussi blessant que ça en est que la stricte vérité. Il nous fallait retrouver un semble d’équilibre pour oser parler de cela à nouveau. « On s’améliore un peu, personne n’a hurlé. » Je prends cela comme une victoire, un pas vers l’avant malgré ce qu’elle vient de m’apprendre. Il s’agit de saisir le positif là où on peut. Voir un éclat d’espoir, après tout ce n’est pas rien.

C’est comme cela qu’aurait dû se poursuivre notre soirée. À discuter dans le calme en essayant d’échanger, de se comprendre. Mais mon téléphone ne cessait de sonner et j’ai décidé de répondre. Je pensais à Sebastian qui cherchait à me soûler pour je ne sais quelle raison ou Noah qui voulait absolument, là maintenant tout de suite, me parler de sa dernière découverte trop géniale. Jamais je n’aurais pensé entendre la voix de ma mère dans le combiné. Une voix étouffée, entrecoupée de sanglot incompréhensible. Et finalement ces quelques mots qui quittent sa bouche : « Ton père est mort, Bailey. Je suis désolé mon garçon. » Des années qu’elle n’avait pas user de ce surnom qui autrefois voulait tant dire. Puis les mots s’enchaînent, elle me parle de la maladie du paternel (dont j’ignorais l’existence même), de l’enterrement, du fait qu’elle doit prévenir Sebastian maintenant, que l’on va devoir se serrer les coudes en tant que frère et puis sans prévenir elle dit au revoir et raccroche. Tout semble surréaliste et c’est probablement mon rire nerveux qui la forcer à lâcher le téléphone aussi rapidement. Le fou rire est incontrôlable tant tout me paraît faux. J’en ai rêvé durant des années, je l’ai souhaité, je l’ai voulu et voilà que c’est bel et bien arrivé. Mon père est mort. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » La voix de Jill me ramène à la réalité de la maison. « Je… J’en sais rien. » Maman a parlé de problème de cœur. Probablement sa jalousie et sa rage qui l’ont bouffé de l’intérieur. Les mensonges qu’il nous a imposer, cette rancœur qu’il avait envers moi. Elle se lève Jill, elle s’approche et ses mains, qui se posent sur mes joues, me font frissonner tant elle m’ancre dans la réalité. « Ça va aller. » Et je ris à nouveau. Pourquoi elle se rendrait triste pour un homme pareil. « Il pourra plus jamais se mettre entre nous. » Mon regard plongé dans le sien, c’est tout ce que j’arrive à articuler. Nous sommes libres.

Je ne sais plus ce que je devrais ressentir. La tempête aurait probablement dû prendre le dessus, venir tout terrasser une fois encore, mais c’est le vide sidéral qui prend place en moi. Un je m’en foutisme que je ne me connaissais pas. « Assieds-toi, Jill. » que je lui murmure prenant son poignet entre mes doigts. « On va manger ça va être froid. » Se concentrer sur le présent et le concret, c’est tout ce qui m’importe pour l’instant. Et je me jette sur mon assiette, comme un affamé. Je sens bien son regard sur moi, elle attend une réaction, elle qui me connaît si bien. « Je serais pas triste pour lui. » Plus jamais. C’est fini ça. Il a perdu ce droit, il y a des années en me mariant de force. Il était personne. Il méritait de crever. Je m’en fous, je m’en fous, je m’en fous.

Il a raison Bailey, aucun d’entre eux n’a hurlé lors de cette discussion. C’est tendu, et Bailey n’approuve pas la rechute de Jill et il a raison. Mais ils ne se sont pas engueulés, ils ont réussi à discuter tous les deux et c’est un grand pas dans leur relation. La preuve que les efforts viennent des deux côtés et qu’ils cherchent à grandir ensemble. Leur avenir est encore incertain, mais ils essaient et c’est un bon début.

Jill comptait continuer à discuter de ce sujet, de sa maladie et de la drogue. Mais le téléphone de Bailey se met à sonner sans arrêts. Il répond et elle essaie d’entendre ce qu’il se passe. Bailey se met à rire fort et Jill ne comprend pas ce qu’il se passe. Le père de Bailey est mort, elle ne s’attendait pas à une telle annonce. Elle se rapproche de lui, prête à gérer une crise si elle arrive. C’est ce qu’il devrait arriver non ? Le père de Bailey est aussi affreux que celui de Jill, mais elle sait malgré tout qu’il est important pour lui et il devrait réagir. Il ne sait pas ce qu’il s’est passé, et elle ne bouge pas de devant lui, attendant une quelconque réaction. La main de Bailey se pose sur le poignet de Jill et elle ne s’attendait pas à de tels mots. “Ca sera toujours compliqué tant que mes parents sont en vie.” Elle hoche la tête et rit légèrement en même temps que le brun.

Elle ne sait pas quoi faire, alors elle s’éloigne pour rejoindre son assiette même si elle n’a plus vraiment d’appétit. Elle ne le lâche pas des yeux, il faut qu’il réagisse, il ne peut pas rester stoïque face à une telle nouvelle. Qu’est ce qu’il peut bien se passer dans sa tête ? Jill s’inquiète, elle se demande quand est ce qu’il va exploser, parce que, ce jour là, il vaudrait mieux pour le monde entier qu’elle soit dans les parages. “Tu pourrais.” Parce que ça reste son père et qu’il l’aime quoi qu’il en dise. “Tu vas aller à Londres ?” Pour l’enterrement. Et déjà, Jill sait qu’elle ne fera pas le voyage avec lui et elle se demande comment elle va pouvoir gérer les jumeaux toute seule pendant plusieurs jours.

Mon père est mort.

Comme ça. Soudainement. Sans aucun bruit. Cela ne lui ressemble tellement pas. Il faut dire que je n’ai pratiquement rien écouté de ce qu’a bien pu me raconter maman. Je ne sais pas comment il est mort et je crois que c’est le dernier de mes soucis. Elle a parlé de maladie, je crois, de séjour à l’hôpital, j’en suis pratiquement sûr. À croire que même son argent n’a pas réussi à le sauver. Tout se mélange dans mon esprit, la haine semble devenir maîtresse des émotions. Celle qui a trop longtemps été refoulée envers sa personne. Il est plus là. Ça résonne creux et pourtant, je sais que ma mère ne plaisanterait pas avec cela. Tout me paraît vide tant ce qui prime deviens un sentiment de liberté. « Ça sera toujours compliqué tant que mes parents sont en vie. » Je secoue la tête incapable de réellement prononcer ce qui pourtant se balade sur le bout de ma langue. Ses parents sont affreux au même titre que les miens, toujours à se tirer la couverture pour obtenir le prix du tyran de l’année. La différence réside dans le fait que mon paternel me terrorisait quand je n’ai jamais réellement eu peur de ses géniteurs. Je crois que je n’ai jamais été moi-même avec elle à cause de l’influence de mon père. Je voudrais m’en persuader en tout cas et déjà, je rêve d’un avenir où plus aucune chaîne ne pourrait me retenir, pas même Sebastien.

Ce n’est pourtant pas ce qui devrait primer ce soir. On est censé dîner tous les deux, sans interruptions. On était en train d’avoir une conversation sérieuse. Je la presse de reprendre le cours de notre soirée, de ne pas se laisser perturber par la nouvelle. Ce n’est rien. Personne ne sera triste pour un homme comme lui, il n’en vaut pas la peine. « Tu pourrais. » Une nouvelle fois, un léger rire m’échappe. « Il le mérite pas. » Je ne serais pas triste pour lui, pas alors qu’il n’a eu de cesse de me pourrir la vie. « Tu vas aller à Londres ? » « Non. » Pourquoi faire ? Je ne vais pas aller là-bas. « J’en sais rien. » Il le faudrait peut-être, pour maman. Mon téléphone sonne, une seule fois, un message de mon frère et un soupire. « On part demain soir. » Il a déjà tout gérer mon aîné, bien sûr qu’il a pris les choses en main. Il doit être dévasté, lui. Sans rien dire, je quitte la table, combiné déjà coller à l’oreille. « Sebastien, c’est moi. » Et le silence qui m’accueille me laisse sans voix.

J’ai dû faire quatre fois le tour du jardin, le temps de la discussion. Lui savait, il a posé des questions. Papa avait une malformation cardiaque, il est parti sans prévenir. Comme ça. Dans un claquement de doigt, comme je l’ai si souvent souhaité. Il est vraiment mort, je n’avais jamais entendu Sebastien aussi triste, ce n’est pas un jeu. Et lorsque je rentre à nouveau dans la maison pour trouver Jill dans le canapé, je bégaye presque. « Mon père est mort. » Comme pour lui annoncer la nouvelle une fois encore. « Je ressens rien. » que je souffle la seconde après. « Rien du tout. » Je me trouve indifférent comme à côté de mes pompes. Je pourrais en rire encore, mais je crois que j’en ai plus vraiment la force.