« Qu'as-tu fait de ma femme ? » il ne veut pas le savoir. Il ne veut pas savoir qu'elle n'a pas supplié une seule fois, il ne veut pas savoir qu'elle l'a regardé dans les yeux du début à la fin. Il ne veut pas savoir qu'elle a ravalé chaque once de douleur même les plus virulentes, il ne veut pas savoir qu'elle s'est sacrifiée pour leur fils et pour lui, aussi. C'était lui qu'elle voulait posséder de base, pas sa vulgaire potiche de femme. C'était lui la cible et la potiche, elle a pris sa place. Grand bien lui en fasse, pour l'heure c'est son visage à elle de poupée bloquée dans le temps qui agit à titre du pire comme du meilleur des tourments. Tout dépend du point de vue de celui ou de celle qui les regarde.

Oh quelle est touchante, leur scène. La Terre tremble et elle les laisse se retrouver, les voit peiner à se prendre l'un dans les bras de l'autre. D'un geste fluide de la main elle renvoit une vague de taons vers eux, d'un autre, elle y ajoute une bourrasque de terre et de poussière qui piquera leur peau déjà tellement tuméfiée. Il est long, le temps, ici. Bien sûr qu'elle l'a trouvé long le temps la mère, autant que son fils. Les secondes donnent l'impression d'être des heures et lorsqu'on souffre à s'en écorcher la gorge et à s'en exorbiter les yeux, personne ne s'étonne que la vie ne s'étire pas gaiement d'un claquement de doigt.

Elle claque des doigts aussi, la démone. Elle qu'il a oubliée le pauvre imbécile, elle qu'il a laissée derrière, lui tournant le dos lorsque ses habits boueux et sa silhouette flirtant avec une mort précaire se sont précipités vers le gamin en état de choc. Qu'ils paniquent tous, qu'ils se disent qu'ils s'aiment et qu'ils se terrorisent un peu plus devant l'inconnu, encore. Elle, elle jette son dévolu sur des racines, les exhumant sans pitié du marécage comme ils l'ont cruellement fait avec elle lorsque les sarcophages maudits ont été sortis de terre sans plus de cérémonie. Elle vise les jambes, d'abord, remonte le long de leurs silhouettes, puis s'amuse à titiller sournoisement leurs gorges. Bien vite, ce sera l'air qui leur manquera. Bien vite, ils croiront avoir tout retrouvé, quand au final, ils ont déjà tout perdu.

Les racines, au milieu des cris de l'enfant, elles semblent presque dérisoires. Saül n'y prête que moyennement attention, se traîne toujours jusqu'au rocher. La pulpe de ses doigts s'écorche, alors qu'il se débat dans la boue. « Abel, regarde moi. » Les racines le tirent hors de portée, lui aussi. Saül s'arrache les ongles sur la pierre grise, repousse une racine et une autre. Les insectes le piquent de toute part. Il ne lâchera pas son fils des yeux, dernier espoir, dernière lumière au bout du tunnel. Tout repose sur lui, maintenant qu'Ariane a disparu. Saül ne veut pas croire qu'elle soit loin, lui qui partira à la recherche d'un moyen de repousser la chose du corps de son épouse. Elle doit être là, au fin fond de la chair. Elle doit être là, sous les yeux vide de la bête. C'est une battante, Saül ne peut pas croire qu'elle ait été annihilée avec une si grande facilité.

Mais Abel manque d'air. Les racines grimpent jusqu'à sa gorge. Il ne peut plus hurler non plus, Saül, prisonnier du maléfice. Ses doigts griffent désespérément le bois. « Abel, ne t'agite pas, Abel... » Des petits points figent la vision de l'italien, qui se bat contre une racine qui le tire en arrière. Du pied, il fait taire le bois, l'arrache à sa peau - en arrachant sa peau au passage. Le sang lui barbouille les doigts. Bientôt, un goût métallique colonise de sa langue. Il sait que c'est ce qui survient avant la mort. Ses yeux bleus cherchent Abel, le garçon qui s'agite encore malgré les conseils de son père. Il a l'air de mieux respirer que le quarantenaire, comme si la chose s'amusait à laisser croire à Saül que contrairement à ce dernier, le petit pourrait rester un peu plus longtemps en vie. Il ne mourra pas. La bête le tuera probablement avant son père, c'est toujours dans cet ordre que cela fonctionne.

Dans un élan désespéré, Saül parvient à se hisser sur le rocher. Son sang tache la pierre de pourpre, sa veste la tache de boue. Abel s'agite moins, la faute au manque d'oxygène. Elle est de l'autre côté, la bête tapie dans le corps de sa femme. « Qu'est-ce que tu vas faire de lui ? C'est un enfant ! Prends moi à sa place ! » L'air passe un peu mieux, à mesure que Saül parvient à desserrer les racines autour de son cou. La trêve n'est pourtant que de courte durée. Alors que le bois se serre autour de la peau du quarantenaire, ce dernier tente un mouvement désespéré.

Réussite - Lorsqu'il tend le bras, Saül parvient à toucher Abel. Tout s'arrête. Abel disparaît, illusion parmi les illusions. Saül comprend qu'il n'est pas ici, pas vraiment. Un murmure confus, dans les airs, lui indique que c'est l'ombre qui est en possession du quatrième artefact, celui qui lui permettra de retrouver son fils - et peut-être Ariane.
Presque - A quelques millimètres près, Saül attrape presque le pied de son fils. Les taons et les moustiques l'empêchent de se concentrer et il manque sa cible de peu.
Echec - Lorsque sa main s'approche d'Abel, Saül est projeté à l'autre bout du marais, aux pieds de l'ombre. Re-oops.

La scène ne l'intéresse pas comme l'aurait fait n'importe quel livre dont on connaît déjà la fin. Ils vont mourir de toute façon. Ils meurent tous, c'est bel et bien la seule constante qui revient encore et toujours, le cycle de la vie et son engrenage inverse. Si ce n'est pas aujourd'hui, si ce n'est pas de ses mains à elle, ce sera plus tard, pour sûr. Elle aurait aimé pouvoir prédire l'avenir et leur offrir le choix de crever aujourd'hui ici, ou ultérieurement dans d'autres circonstances toutes aussi tragiques. Y donner des détails, jouer de ruses et de rage, ruses et rage qu'elle n'a pas, plus du tout, plus désormais. Parfois, quelques relents de son hôte remonter - elle la sent encore lutter, l'idiote. Rien n'y fera, pas le moindre enchantement ne viendra à sa rescousse, ils n'auront pas le temps elle s'en est assurée. Ses jours dans les limbes sont comptés mais ceux qu'elle vivra en enfer sont déjà marqués au fer rouge.

« Qu'est-ce que tu vas faire de lui ? C'est un enfant ! Prends moi à sa place ! »
« C'est ce qu'elle a dit, elle aussi. »
« Maman? »
« Maman. »

Il revient, et ils reviennent, ils finissent toujours par revenir. Elle, elle reste stoïque, elle toise, jugerait probablement si ses prunelles n'étaient pas distraites par le bambin qui ne semble plus si bien se porter depuis qu'on le torture à la clé. Il était véritablement plus tenace, dans la voiture. Lorsque les griffes s'étaient emparées de lui et lorsqu'il s'était débattu de toutes ses maigres forces d'enfant. Là, il fait pitié. Il a les cheveux en bataille, les yeux creux, les joues noyées de larmes et ça ne l'atteint pas, pas du tout. Signe que la femme de l'autre n'est plus, signe impossible à nier. Bientôt, il ne restera qu'elle, l'amulette, la tablette et la prophétie. Comme cela avait toujours dû l'être.

Il ne suffit que de le projeter plus loin. Il ne suffit que de l'envoyer paître, il ne suffit que d'un geste sec et vif, un seul, pour que les doigts acérés de l'ombre qui n'en a que le nom lui retire le pendentif avec vigueur. Voilà qui est mieux.

« C'est ce qu'elle a dit, elle aussi. »
« Maman? »
« Maman. »
« Tais-toi, bon sang tais-toi, laisse le, choisis moi. Rends-lui sa mère. »

Il utilise son air, Saül. L'oxygène qu'il n'a déjà plus à force d'être jeté d'un côté et de l'autre du marais. Autour de son coup, plus de branches - mais plus d'amulette non plus. Il n'y a rien que puisse faire Saül, impuissant face au spectacle de la vie qui s'éteint. Abel gigote moins, depuis quelques secondes. Il ne hurle plus. Saül non plus, ne hurle plus. Le silence est terrifiant, vide et creux comme la nuit.

« S'il te plaît... S'il te plaît... » Ses yeux s'embrument et Saül tend la main. Il ne peut pas se résoudre à accepter de les avoir perdu tous les deux dans la même nuit. A mesure qu'il se traîne, la boue lui rentre dans la bouche. Les racines, elles, ont desserré leur emprise maléfique en même temps que Saül a été projeté aux pieds de l'ombre. Lorsqu'il tente de se lever, la douleur lui transperce le dos. Quelque chose doit être brisé, autre chose que la volonté du quarantenaire.

Elle n'est pas touchée par les supplications, celle qui se tient à la place de sa femme. Saül doit se résoudre à accepter qu'elle n'est pas là, sous la surface. Elle n'est pas là, nul part. Elle ne l'a pas simplement physiquement imitée, elle a pris sa place de l'intérieur. Elle a fait disparaître sa femme. Saül se lève, colosse aux pieds d'argile. L'italien arrache la dernière racine qui retenait l'un de ses poignets. Sans tenir compte des insectes qui bourdonnent autour de sa tête et le piquent jusque dans les oreilles, il bondit dans le marais. S'il réussit à lui arracher le collier, elle perdra la puissance qu'elle commence à accumuler. S'il court chercher Abel, elle aura le temps de le tuer - et peut-être d'emporter le garçon avec elle. Décision, décision...

Réussite - Lorsqu'il arrache l'amulette du cou de l'ombre, le silence se fait. Sur le marais, la malédiction est levée... Abel et l'ombre ont disparu.
Presque - Saül choisit de bondir du côté d'Abel pour essayer de récupérer le garçon. Il ne parvient pas à défaire ses liens et prends la décision de jeter des cailloux sur l'ombre, de désespoir.
Echec - Echec sur échec - on est maudites en fait coucou - le marais se transforme en sables mouvants - enfin en boue mouvante - et elle aspire Saül par le fond.

« Tais-toi, bon sang tais-toi, laisse le, choisis moi. Rends-lui sa mère. » faire ce qu'ils lui demandent, obéir sans négocier, prendre le temps de comprendre les craintes et le motifs, y donner une réponse et une solution en surplus. Elle pince les lèvres, celles-là même qui se dessinent en un sourire qui n'augure rien de bon. Il veut qu'elle se taise alors soit, elle ne parlera plus. Par contre, la seconde partie de l'entente est complètement improbable et absolument tout sauf réaliste. Le sacrifice a déjà été fait, elle a déjà pris sa place à lui et celle de leur fils avec. L'homme voleur de reliques ne l'intéresse pas, et le gamin qui a enfin fini par se taire non plus. Passons.

Et le pire, c'est qu'il la supplie. « S'il te plaît... S'il te plaît... » personne ne lui a donc rien appris, à lui qui croit que les possibilités sont encore ouvertes, qu'il a encore une chance de s'en sortir le moindrement vainqueur? Les dés sont joués et les cartes sont lancées. Rien de rien de ce qu'il pourrait dire ou faire n'a d'importance, maintenant qu'elle tient l'amulette entre ses mains et qu'elle les projette lui et son fils le plus loin possible. Le marais devient sable mouvant sous son courroux, les flots s'amusent de leur méchanceté vaseuse et les éléments déchaînés sont avec elle envers et contre tout.

Oh, il a quelque chose de cassé. Oh, il a de la difficulté à revenir à la surface. Oh il -

« SAÜL! » mais qu'est-ce qui -
« LE COLLIER IL FAUT QUE TU L'ÉCLATES AVEC LA TABLETTE! » et depuis quand elle -
« SAÜL AVANT MINUIT TU LE LUI PRENDS ET TU LE DÉMOLIS. »

De quel droit est-ce qu'elle ose, elle? De quel droit est-ce qu'elle reprend possession de son corps si ironiquement possédé, le temps de lui souffler (hurler, soyons fous) la réponse à l'oreille?

Et les marais l'engloutissent. Saül a toujours eu peur de l'eau. Il ne se souvient pas de sa dernière baignade. Cela doit remonter à sa plus tendre enfance, quand il n'avait pas encore vécu l'épisode de la rivière. Toute sa vie, il a craint les eaux troubles comme les eaux claires, les percevant comme des prisons dont il ne fallait surtout pas s'approcher. C'est comme ça qu'il va mourir, pourtant, noyé dans la boue. C'est pire. Toute ces années, Saül s'est continuellement imaginé ce que cela pouvait être, de mourir noyé. Aujourd'hui, il en fera probablement les frais - et Abel aussi. Longtemps, il s'est aussi imaginé prendre des cours de natation, pour vaincre sa peur et ne jamais la transmettre au trésor de sa vie. Ce qu'il se serait senti stupide, s'il avait fallu sauver Abel des griffes de l'eau sans qu'il en soit capable. Ce jour est venu, et malgré toute sa volonté, Saül ne sortira pas son fils de la boue. Il est lui même complètement prisonnier, enfoncé jusqu'à la taille dans la terre qui ne cesse de se refermer sur lui. Bientôt, la boue comprime sa poitrine. Ses yeux cherchent Ariane. Il n'est pas résolu à abandonner, l'italien. Pas résolu même quand il faudrait savourer les derniers instants de vie.

« SAÜL! » C'est sa voix. Sa voix à elle, celle qui n'est dénuée de rien, celle qui pique, celle qui grince, le taquine à longueur de temps, celle qui a un jour dit sur l'autel ses vœux de mariage. Celle qui a porté leur enfant, leur bébé choyé.
« LE COLLIER IL FAUT QUE TU L'ÉCLATES AVEC LA TABLETTE! » « Ariane ! ARIANE ! » Le voilà qui se met à appeler, plus fort encore qu'il appelait Abel. Le garçon a relevé la tête, lui aussi. Il a compris. « SAÜL AVANT MINUIT TU LE LUI PRENDS ET TU LE DÉMOLIS. »

C'est le désespoir qui le motive, le désespoir qui le pousse en avant et le tire de la boue. Le désespoir encore qui l'arrache à la terre dans une hurlement. Sa peau s'écorche sur les rocher qui se trouvent sous la surface, à mesure qu'il s'extirpe du marais. Lorsqu'enfin Saül se lève, il ne reste plus rien de la tristesse ni de la résiliation. Saül n'est que colère, lorsqu'il se rue en hurlant sur l'ombre, celle qui abrite encore la conscience de sa femme - il en est certain.

Réussite - Victoire, l'ombre est désenchantée et s'évapore lorsque Saül éclate de la tablette le collier qu'elle porte au cou. Le combat est remporté, mais pas la guerre - pas encore.
Presque - Saül manque de peu sa cible, la tablette s'éclate contre la tempe de la chose.
Echec - Loupé. Au moins, ils se font face et Saül n'est plus dans la boue.

ALLEZ QUOI UN WIN PAR PITIE