Le Doherty n'avait jamais été un grand optimiste: combien de fois s'était-il senti emporté par le sentiment inverse? Il n'y pouvait pas grand chose en soi, surtout en vue des expériences qu'il avait eus au cours de cette vie. Wren avait toujours été un dommage collatéral parce qu'il était né dans une famille qui n'avait pas eu de chance et qui se laissait toujours prendre au jeu du moindre vice. Il n'y avait qu'à voir son géniteur, aujourd'hui derrière les barreaux parce qu'il se sentait toujours grisé par le feu. Son frère n'était pas en reste de son côté, lui qui se perdait plus ou moins dans toutes les pires décisions possibles et dieu seul savait ce que faisait sa petite soeur à l'heure actuelle. Wren n'était pas mieux qu'eux, bien évidemment, et il ne s'était d'ailleurs jamais targué de l'être, naviguant toujours entre deux états ou bien deux eaux, le bon et le mauvais, se perdant bien trop souvent dans le premier plutôt que le second. Le brun avait bien sûr essayé de faire autrement: mine de rien, il avait tenu dix longues années sans s'approcher de trop près de la drogue, ce qui constituait un exploit pour un grand bonhomme comme lui clairement autodestructeur. Dans ces circonstances, comment demander au suédois de croire ce que lui narrait Maxence? Y croire, pour qui, pour quoi? Il avait tout fait pour mais rien n'était jamais assez. Un jour ou l'autre, le destin ou le karma, allez savoir, se réveillait pour vous faire comprendre que vous n'étiez que bien peu de choses et que vous étiez surtout une bonne manière de s'amuser. Wren haussait donc les épaules, faisant mine de ne pas réagir, même si son cerveau fulminait dans tous les sens pour prendre en considération le message de son ancien camarade de fond de ruelle. Etaient-ils des hommes radicalement différents aujourd'hui? Wren aurait aimé penser que oui, les choses avaient changé, qu'il avait profondément changé, que Maxence ne replongerait pas comme lui mais il ne voulait pas mentir. Pas tout de suite, pas dès les premières minutes des retrouvailles. "Et qu'est-ce que tu feras si c'est les autres qui te font souffrir justement? Parce que c'est à cause de ça que j'ai replongé, à cause des autres... T'y as pensé?" Les gens partaient trop souvent, sans se retourner et Wren savait ce que cela faisait de se retrouver seul du jour au lendemain, avec uniquement cette envie tenace de s'envoler. "Mais je vais pas te faire chier avec ce genre de conversations maintenant, t'auras le temps d'y repenser. T'as fait quoi de sympa pendant cinq putains d'années?" Apparemment, il n'avait pas joué avec la moindre aiguille de son côté, un progrès que Wren n'avait pas su faire perdurer, lui, mais peut être qu'il pouvait s'améliorer si Maxence lui prodiguait quelques récits de ses aventures. Le tout dans une merveilleuse positivité, bien entendu.

Quand il a été dans ce centre de désintoxication, on lui a parlé de toutes les choses qui peuvent pousser à recommencer. Il le sait très bien que ça peut arriver n'importe quand. Qu'un simple petit détail, une petite parole, ça peut faire basculer de nouveau. Même quand on tient bon depuis plusieurs années et qu'on est persuadé d'être guéri. Wren en est la preuve, dix ans clean avant de replonger pour une simple rupture. Déjà qu'il fuyait l'amour, avec une nouvelle comme celle-ci, ça ne peut que continuer. Parce qu'il pense sûrement qu'il peut réussir à fuir toutes les mauvaises choses qui pourraient lui arriver. Ca semble simple dit comme ça. Eviter les problèmes, éviter les situations à conflits. Sauf qu'il est impossible de tout prévoir dans la vie et de rester dans une petite vie tranquille sans problème. A un moment ou un autre, il sera confronté à des situations où son mental sera mis à rude épreuve. Il ne pourra pas y échapper indéfiniment. Wren le ramène assez vite sur terre. Bien sûr qu'il y pense, tout le temps. Il a peur que ça arrive, peur que ça gâche toutes ses années. Il peut pas en vouloir à Wren d'être aussi pessimiste et de tenter de lui faire comprendre que rien n'est jamais acquis. Pas dans leur cas en tout cas. Sûrement qu'il a arrêté d'y croire quand il a replongé. Peut-être qu'avant il était aussi naïf et optimiste que Maxence. Mais pour l'instant, il n'a pas l'intention de changer d'avis. Il y arrive jusqu'ici alors il veut garder seulement ça en tête.« J'y pense souvent, oui. Mais j'imagine qu'il faut juste faire avec et espérer que ça nous fera pas sombrer. » Qu'est-ce qui pourrait le faire sombrer actuellement ? Ou plutôt, qui ? Il n'est attaché à personne, Maxence. Il a des amis oui, mais ils ne devraient pas le lâcher. Et dans le pire des cas, il sait qu'il aura Swann pour le tenir sur le bon chemin. Il peut pas s'empêcher de rire aux mots de Wren, relevant les yeux vers lui. « J'aimerais pouvoir te raconter de belles aventures, des voyages, des découvertes exceptionnelles, mais il n'en est rien. » Malheureusement, il n'a rien fait d’extraordinaire. Cinq années assez banales et chiantes à mourir. « Deux ans à faire des allers retours dans un centre de désintoxication. Trois ans à apprendre à avoir une vie normale et à gagner de l'argent légalement. Ca fait pas rêver, hein ? » Quand il y pense, il aurait dû plus profiter pendant ces trois années. Au moins découvrir un peu plus l'Australie, bouger plus. Au final, la seule chose réellement positive de ses cinq ans, c'est quand il a adopté Opale. « Et toi, t'as toujours été serveur ou t'as tenté d'autres choses ces dernières années ? » Non pas qu'il ne l'imaginait pas serveur mais.. Si, en fait. Il l'aurait imaginé dans quelque chose de plus palpitant comme métier.

Il avait perdu de sa superbe au cours de l'année écoulée, le grand suédois qui était censé ne jamais se laisser abattre par quoique ce fut. Pendant un long moment d'ailleurs, Wren ne se sentait touché par rien du tout, toujours habité par la grâce ou quelque chose qui y ressemblait en tout cas, quoique la sienne était sacrément plus diabolique que la moyenne. Il en avait détruit des gens avec ces grands airs d'homme invulnérable, ne s'offusquant de rien mais surtout pas de ses propres actes. Il aurait pu avoir des centaines de regrets sur cette question d'ailleurs mais le grand Doherty avait toujours refusé de remuer le passé. Il considérait que tout ce qui arrivait se devait d'être, qu'il ait eu l'air de le choisir ou non. La drogue, c'était sûrement elle qui avait pris les rênes dix années auparavant et Wren avait cru la vaincre avec une aisance toute particulière. Il avait tenu au moins quelques temps, résistant à chaque appel insidieux de la belle poudre blanche... Et pour quoi finalement? Pour sombrer dans l'abîme de quelque chose de pire encore, la seringue. Il n'y avait clairement pas plus dévastateur que l'héroïne, le sevrage relevant du miracle pour bien des individus sur cette planète. Pourtant, le suédois avait pu compter sur un ami fidèle et courageux pour le garder en ligne de mire afin d'éviter le moindre débordement. Depuis, il était sobre, ne choisissait l'alcool qu'en cas d'urgence et encore, il ne touchait plus à grand chose depuis qu'il travaillait derrière le comptoir d'un bar, comme quoi côtoyer la tentation constamment l'aidait à ne pas succomber. Il lui était arrivé exactement la même chose avec les flammes lorsqu'il traînait encore dans un uniforme de pompier et quelle difficulté il avait à ne pas déraper depuis qu'il était redevenu un civil qui ne voyait le feu qu'à travers son briquet. Comme quoi tout homme était plus faible qu'il ne pensait l'être et c'était le message que le nordique tentait de faire passer à un Maxence qui n'avait plus l'air si désabusé de son côté. Et s'il avait vraiment radicalement changé? "Espérer, c'est souvent trop peu." Il l'avait fait lui aussi, avant de sentir toute force de caractère le quitter pour retrouver les sensations d'antan, de cette félicité obtenue par une entrée progressive de la substance dans son système nerveux. On redevenait vite accro à ce pur bonheur, pourvu qu'il dure une minute de plus encore... Avant le vide absolu. "Deux ans de détox'? Wow, t'as tenu comment? J'ai jamais réussi à me faire à ce genre de trucs. Toujours fait maison, la cure." Soigner le mal par le mal, en se bousillant le corps tout entier pour faire disparaître la moindre trace de drogue, pas une mission aisée mais Wren savait qu'il n'y avait que sa force mentale pour le sortir de là, pas une quelconque thérapie. "J'ai été pompier pendant dix ans. Mais c'est à peu près tout. Je t'avoue que l'adrénaline me manque, je vais pas rester ici pour toujours. Le plus palpitant que j'ai fait aujourd'hui, c'est une tequila sunrise donc..." Rien qui ne subjuguait Wren, sa passion résidait ailleurs pour sûr. "T'as une idée de projet, toi?" Un qui ne serait pas en rapport avec la drogue, quelque chose qui aurait été impossible pour eux quelques temps auparavant encore.

Les paroles de Wren le perturbe même s'il tente de ne pas le montrer. Parce qu'ils ont été pareils pendant plusieurs années, qu'ils ont tenté tous les deux de s'en sortir pour qu'au final, l'un d'eux replonge. Ca lui fait peur au brun. S'il a replongé après des années clean, pourquoi ça ne lui arriverait pas à lui ? Il n'est pas plus fort ou meilleur que les autres. Bien qu'il reste positif. Qu'il garde espoir. C'est souvent trop peu. Maxence a conscience qu'il lui dit ça parce qu'il devait penser comme lui avant. Lui aussi il devait croire qu'avec la force de l'esprit, ça suffirait pour tenir et ne pas replonger. Malheureusement, ça n'a pas l'air d'être le cas. Mais il va pas perdre espoir pour autant. Plus de trois ans qu'il tient maintenant, il est sur le bon chemin et il compte bien le rester. Même si ça risque d'être difficile parfois et qu'il risque de jouer avec les limites. Qu'il risque de douter et d'avoir envie de retourner dans ce monde où les problèmes disparaissent dès la première dose. C'est toujours plus simple que d'affronter réellement ces problèmes. Il sourit quand il entend les mots de Wren. Quand il y repense, ça a été l'enfer pendant deux ans, à coup d'allers retours dans ce centre qu'il détestait. Entourer de toutes ces personnes qui voulaient l'aider alors qu'il voulait juste qu'on lui foute la paix. Ce n'est clairement pas la meilleure période de sa vie. « J'ai pas eu le choix. J'étais surveillé comme un gosse par ma famille. Mais je suis content qu'ils l'aient fait maintenant. » Autant il les a détestés pendant des mois, autant à l'heure d'aujourd'hui il ne sait pas comment les remercier. Parce qu'ils lui ont sauvé la vie en se battant pour lui, pour qu'il s'en sorte. « Je pense que j'aurais jamais eu le mental pour une cure maison. » Impossible. C'était pas pour lui, ça. Ca montre quand même que Wren a plus de mental que lui sur ce coup-là. Ce qui ne le rassure pas, maintenant qu'il sait qu'il a quand même fini par replonger. Ca restera sûrement une angoisse permanente au fond de lui. Wren a été pompier. Tout de suite, il trouve que ça colle beaucoup plus à sa personnalité. Il se dit qu'il a sûrement arrêté quand il a replongé, mais il n'ose pas poser la question directement. Il n'a pas envie de raviver des souvenirs douloureux en lui maintenant qu'ils arrivent à avoir une discussion à peu près normal. « Tu comptes redevenir pompier ? Ou faire autre chose ? » Au fond, il est content de voir qu'il a trouvé quelque chose qui le fait vibrer, qu'il a des envies d'ailleurs et qu'il a l'air de se donner les moyens pour y arriver. « Honnêtement, je vois pas ce que je pourrais faire d'autres. J'ai pas de diplôme, de l'expérience seulement dans ce domaine. J'ai pas vraiment le choix. » Qu'il répond en haussant les épaules. Positif la plupart du temps oui, mais pas pour tout. Disons plutôt qu'il est réaliste sur lui-même. Il s'est gâché son avenir avec la drogue, il doit simplement en assumer les conséquences maintenant. C'est pas le métier de ces rêves, il n'est pas complètement épanouis là-dedans, sauf qu'il n'a aucune idée de ce qu'il pourrait faire. Il est coincé.

Ils avaient eu cette expérience similaire des ruelles où voyageaient bon nombre de produits non recommandables pour la santé. Wren avait été le premier à se sortir de cette spirale mais ce fait lui avait toutefois énormément coûté parce que la drogue était le choix de la facilité, autant pour apaiser le moindre mal que pour soulager les fins de mois quand on s'engageait dans la vente dudit produit. Il en avait bien profité, le grand suédois, s'était permis peut être trop durant ces quelques années à la sortie de l'adolescence mais il était venu un temps où en tant qu'adulte, il se devait de passer à une autre étape de son existence. Evidemment, rien n'avait été aisé par la suite pour le Doherty: il s'était engagé chez les pompiers, sachant pertinemment que côtoyer les flammes lui ferait autant de mal que de bien. Cette addiction était sous-jacente, toujours bel et bien présente dès qu'il fermait les yeux et sans la drogue pour le tenir à flots, Wren avait dû lutter de toutes ses forces pour ne pas réaliser le moindre dérapage. Dix années, voilà le laps de temps qu'il avait tenu avant qu'il ne cesse toute modération. Cela resterait le plus grand regret de sa vie à n'en pas douter puisque, à cause de cette incartade, dans la forêt avoisinante à sa ville natale, il avait enclenché son briquet et avait tout mis à sac. Il n'avait plus osé se regarder réellement dans le miroir depuis cet épisode puisqu'il avait conscience de ce qu'il avait risqué et il en payait le prix en se retrouvant derrière le comptoir d'un bar plutôt qu'à l'intérieur d'un camion de pompiers où il pourrait être totalement dans son élément. Wren considérait mériter cette punition, était-ce quelque chose qu'il partageait avec Maxence? Lui aussi avait l'air d'avoir du mal à accepter que son futur se réduise à ce job sans la moindre responsabilité ni la moindre distraction, le prix à payer quand on voyageait trop près du soleil, sûrement. "Je sais pas comment t'as fait, j'aurais détesté que ma famille se mêle de ça. C'était pas facile, c'est clair mais je devais au moins me prouver que j'étais capable de revenir de ma connerie." L'une d'entre elles en tout cas, car Doherty en avait tout un paquet à son actif. Il n'en était pas spécialement fier, on pouvait le dire, mais il ne pouvait pas tellement rattraper cet élément douloureux du passé. Autant regarder vers le futur, réfléchir à d'autres projets, interroger Mayers sur les siens parce qu'il y avait peut être meilleur pour eux ailleurs que dans un bar miteux de Brisbane. "Non, pas pompier, c'est grillé pour moi. J'ai pas spécialement de plan défini, pourquoi pas la cuisine?" C'était une passion qu'il avait depuis qu'il était môme et clairement, dès que Wren se retrouvait derrière des fourneaux, il se sentait apaisé et aucune pensée trouble ne venait l'assaillir, exactement ce dont il avait besoin pour ne pas replonger dans une quelconque addiction. "Le diplôme et l'expérience, c'est pas grand chose. Je pense que c'est la passion qui prime alors, trouve quelque chose qui te botte et lance toi à fond dedans. Repose toi pas sur tes lauriers en restant serveur si ça te branche pas tant que ça. En tout cas, perso', je compte pas rester dans le coin cent ans." Il avait au moins acquis cette certitude, lançant un clin d'oeil à son comparse, visiblement plus agréable depuis quelques secondes, comme quoi dérider le Doherty n'était pas chose impossible.

Quand il repense à toutes ces années entourées de mauvaises fréquentations, il se demande pourquoi il a fait ça. Pourquoi il s'est enfoncé dans cette vie qui ne lui offrait aucun avenir. Il a toujours eu cette envie de détruire à néant tous les rêves de ses parents, toujours aller à l'encontre des règles et des objectifs fixés. Une envie intense de ne pas suivre ce chemin tracée comme le reste de la famille. Pour finir par regretter plus de dix ans après. Quel con... Un idiot de première qui ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour la vie qu'il a actuellement. Même si ces parents l'aident maintenant, même si c'est grâce à eux qu'il s'en est finalement sorti. Qu'il est sobre maintenant et qu'il peut avoir une vie normale. Mais quel genre de vie ? Une vie remplie de regrets, de questions, de nostalgie. Au moins, avant, il n'était pas en état de pouvoir penser ni même réfléchir. Dès qu'il avait besoin, une dose suffisait pour lui faire tout oublier et l'emmener dans un monde sans problème. Mais maintenant il passe toutes ces soirées à ruminer, à penser à tout ça sans aucun moyen de calmer ses pensées. Peut-être qu'après autant d'années à tenir comme ça, Wren ne pouvait plus reculer. Il a craqué pour la facilité qu'apporte la drogue dans le corps et l'esprit. Maxence sait bien que replonger n'est pas une solution. Ce serait un bonheur temporaire, une soirée de liberté seulement qui le ramènerait à des mois voir des années de galère. « Vu ce qui s'était passé avec Ava, j'avais pas mon mot à dire.. » Il est sûrement au courant. Il doit savoir qu'il a levé la main sur elle, qu'il a commit une faute irréparable qu'il ne pourra jamais oublier. « Je suis content de savoir que t'as réussi. » C'est sincère, il le pense vraiment le brun. Ca aurait été dommage qu'il replonge complètement sans réussir à s'en sortir cette fois. Parce qu'ils ont sûrement de belles choses à vivre, de beaux moments qui les attendent même si pour l'instant ce n'est pas le cas. Il se raccroche à ça Maxence, au positif qui pourrait finir par arriver s'il arrive à s'accrocher et continuer sur cette voie. Est-ce qu'il avait fait des erreurs en tant que pompier ? Peut-être, il ne va pas se risquer à creuser cette possibilité. « Si t'aimes ça, pourquoi pas. Ce sera toujours plus excitant que de faire des cafés. » Qu'il répond en riant légèrement. En cuisine ça bouge, c'est un rythme soutenu pour être dans les temps au plus haut du service. Evidemment, vu le niveau en cuisine de Maxence, il ne sait jamais réellement intéressé à ce domaine. Mais c'est ce qu'il a toujours entendu dessus. « T'as sûrement raison, me reste plus qu'à me trouver une passion. » Il a bien la passion du sport, mais il ne sait pas s'il a réellement envie de se lancer dedans. Faut dire qu'il se met des barrières tout seul, qu'il ne pense pas en être capable. Pourtant Wren a raison, tout est possible et il n'a pas envie de faire ça toute sa vie. Plus l'heure avance, plus les clients arrivent dans le café. Il a bientôt fini son service, n'étant venu que pour quelques heures pour aider cet après-midi. Il repart vers les nouveaux clients, l'esprit bien plus concentré sur sa discussion avec Wren que sur la commande des clients.

Wren n'avait jamais eu tous les détails, sûrement parce que ce n'était pas son genre de poser beaucoup de questions. Il se contentait de l'essentiel, de quelques informations grappillées ici et là, sans qu'il n'y porte un intérêt fondamental. Au fond, Doherty ne faisait pas tant attention aux gens, encore moins à leurs souffrance, il avait déjà bien du mal à vivre avec les siennes, à quoi s'attendre d'autre de sa part? Non, il n'était pas si insensible: le suédois avait juste été intensément blessé, à bien trop de reprises et s'il avait eu du mal à se relever, il ne concevait pas un seul instant qu'il puisse sombrer à nouveau. Le tout semblait pourtant inévitable quand on regardait sa situation actuelle: il travaillait dans un bar et derrière un comptoir, un job pour payer le loyer de l'appartement qu'il partageait avec Gabriel, il n'avait plus la moindre vie sociale si ce n'était quelques sorties où il finissait avec quelques verres dans le gosier. Rien d'extravagant et peu de souvenirs en ressortaient mais le grand dadais s'estimait heureux. Mine de rien, il aurait pu être mort, il était passé à côté du revers de la faucheuse, un exploit d'envergure quand il s'agissait d'un accro à l'héroïne. Il n'y avait potentiellement pas pire drogue que celle là, qui rongeait les veines et mutilait le peu de neurones encore actifs et Wren n'avait pas pu s'en empêcher: toujours choisir le pire, c'était apparemment sa devise. Allait-il changer, désormais? Allait-il connaître sa rédemption comme Maxence? Il n'aurait su le dire et la plupart du temps, l'irlandais ne se posait pas cette question-là, justement parce qu'il avait bien trop peur de connaître la réponse. Acceptait-on les gars comme lui du côté du paradis? Il demanderait lors de sa prochaine visite non loin du bout du tunnel, assurément. "J'ai jamais eu les détails de ce qui s'est effectivement passé. J'ai pas posé de questions. J'ai juste soutenu Ava." Wren ne connaissait donc pas le plus laid dans cette affaire, peut être que si cela avait été le cas, il n'aurait jamais pu accorder le pardon au jeune Mayers. Il n'avait pourtant pas été un meilleur individu de bien des manières, Wren, vu le nombre de gens qu'il avait manipulés, pour une dose ou pour un instant de plaisir qui se muait en douleur de leur côté. Être égoïste avait ses avantages, c'était une évidence et ne pas entendre ce qui se passait chez ses amis en était apparemment un, de son point de vue. "De temps en temps, on sert des vodkas, le comble de l'excitation, eh! Faudra voir, ouais, c'est pas simple de gérer l'adrénaline quand on a été accro." Maxence devait le savoir mieux que personne et c'était ce genre de faits qui perdaient des garçons comme eux, le manque était toujours incommensurable, quoiqu'ils puissent en dire. Depuis la drogue, ils ne pouvaient pas redevenir les mêmes. Ils étaient quelqu'un d'autre. "Trouve ce qui te fait kiffer, Mayers. Et lance toi à fond. T'as plus à gagner qu'à perdre, je crois." Aucun d'eux ne resterait éternellement dans cette bâtisse à servir des bières: il y avait un avant et il y aurait un après, pourvu que cela dure mine de rien.

Il est persuadé qu'il sait. En réalité, Maxence pense que tout le monde le sait et le juge encore plus. Parce qu'il n'y a rien de pire que de lever la main sur celle qu'on est censée aimer. Celle qu'on doit protéger envers et contre tous. Lui, il l'a brisé. Il aurait dû la protéger de lui-même en ne l'emmenant pas avec lui dans cette vie minable. Il n'aurait pas dû être aussi égoïste en lui gâchant trois ans de sa vie. Mais il n'avait pas pu s'en empêcher. Le Maxence du passé se moquait bien des autres, il se moquait bien du mal qu'il pouvait faire. Ca n'a jamais été son problème, persuadé que la faute venait toujours des autres. Qu'ils ne le comprenaient juste pas. Qu'est-ce qu'il a pu être con. Quand il repense à tout ça, il se demande juste comment il a pu être cet homme-là. Il a l'impression que ce n'est pas lui, qu'il n'a jamais pu dire ou faire toutes ces choses. Pourtant il se souvient très exactement de ce jour avec Ava. Ce jour fatidique où tout a basculé en l'espace de quelques minutes. Mais Wren, il a pas l'air au courant de ça. Il ne connaît pas les détails et Max il se dit que c'est sûrement mieux. Est-ce qu'il lui parlerait comme ça, si c'était le cas ? Peut-être qu'il l'aurait envoyé chier dans la seconde où il aurait vu et au fond, il n'aurait pas pu lui en vouloir. « T'as eu raison. » Bien sûr qu'il fallait soutenir Ava. Elle est la seule importante, la seule qui compte. Même s'il a conscience qu'il ne sera plus jamais aussi proche d'elle qu'avant, il espère seulement son bonheur maintenant. Qu'elle trouve quelqu'un qui l'aime à sa juste valeur et qui ne la fera jamais souffrir comme il a pu le faire. Elle ne méritait pas ça. Il rit légèrement aux mots de Wren, il est clair que ce n'était pas le métier le plus excitant du monde. Max il fait juste avec parce que ça lui rapporte de l'argent dont il a bien besoin. Ca fait trois ans maintenant qu'il s'est fait à l'idée qu'il ne pourrait rien faire d'autre et qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. « C'est sûr mais t'as l'air d'avoir appris à gérer maintenant. » A moins qu'il se drogue encore ? Il n'en sait rien, il ne connaît pas les possibles secrets qu'il lui cache. Wren a toujours eu ce côté mystérieux, impénétrable. Il n'est pas du genre à se confier et à dire ce qu'il ressent, alors ça restera une question à laquelle il ne pourra peut-être jamais répondre. « Ca c'est clair, j'ai plus rien à perdre maintenant. » Il s'en est sorti, oui, mais il a tout perdu. Sa famille, celle dont il était fou amoureux. Peu importe ce qu'il pourrait faire maintenant, ça ne regarde que lui et ça n'aurait d'impact sur personne. Il retourne faire son service, un oeil sur l'horloge au mur qui lui indique qu'il aura bientôt fini. Un simple boulot de quelques heures pour dépanner, un peu d'argent pour ne pas avoir à mendier auprès de ses parents. C'est à ça que ressemble sa vie désormais. Vingt minutes plus tard, après avoir fait le tour de toutes les tables qui commencent à se remplir, il est l'heure pour lui de rendre son tablier et de rentrer. La personne prenant sa place étant arrivée. Ses affaires récupérées aux vestiaires, il retourne au comptoir pour voir Wren. « Je suis content de t'avoir vu et d'avoir pu te parler. J'espère que la prochaine fois qu'on se verra, on aura une vie plus palpitante. » Il lui sourit, un sourire sincère avant de quitter les lieux. Les retrouvailles venant de son passé le perturbant toujours un peu plus à chaque fois.