Elles se sent pousser de belles et immenses ailes, Lily, et même si elle connaît le mythe d’Icare par coeur, elle reste incapable de l’appliquer à sa propre vie. Ce n’est pas pareil. Lui ne voulait pas la même chose, lui n’avait pas Alfie à ses côtés. Lui avait encore moins eu la chance de passer un instant privilégié à ses côtés, comme elle vient de le faire. Son souffle reste toujours saccadé alors que ses mains mal assurées prennent le temps de remonter la couverture sur son corps. Elle restera toujours égale à elle-même, la petite Keegan, même lorsque le brun est pour une fois la raison de son sourire et non de ses crises de colère. « Ça va ? » Elle se dégage à peine du lit pour qu’il puisse venir poser sa main près d’elle et lorsqu’il repose son visage près d’elle, Lily passe ses doigts dans ses cheveux comme s’il n’y avait rien de plus naturel en ce monde. C’est comme si elle avait déjà vécu une vie à ses côtés alors qu’elle n’a toujours été que la petit soeur de et qu’elle ne sera jamais personne d’autre. Soudainement muette, elle se contente d’hocher la tête avec conviction. Elle ne parle pas non pas parce qu’elle n’est pas certaine de sa réponse, mais bien parce qu’elle est encore submergée par bien trop de sentiments différents pour savoir par où commencer. Un “oui” n’aurait pas été la bonne réponse à apporter mais elle peut au moins résumer ses pensées. Elle va on ne peut mieux, et c’est grâce à lui. Lily est (r)assurée au point de venir retrouver ses lèvres alors qu’ils commencent à reprendre le cours de leur vie. « J’ai pas envie de rejoindre les autres. » Comment est-ce qu’elle pourrait dire le contraire, elle qui se voit déjà vivre des jours heureux en compagnie d’Alfie et de leurs quatre enfants (elle n’a pas encore statué sur le nombre de garçons et de filles) ? “Je veux pas non plus.” Sa confession se confond en murmures. Il est la seule raison de sa venue à la fête, il est la seule raison qu’elle a de désobéir à ses parents. Il est la seule personne avec qui elle aurait pu faire ça avant le mariage - ou au moins les fiançailles. Lui seul peut la convaincre du pire comme du meilleur, et ce sont autant de faits qu’elle n’avouera jamais. « Tu restes avec moi ? » Elle n’a rien d’une rebelle, tant et si bien que la simple proposition suffit à la rendre plus heureuse encore.

Pour être pleinement heureuse, Lily a besoin de lui confesser quelque chose de plus encore. Elle cherche les mots, repose son visage près de lui, suit des lignes invisibles du bout des doigts sur son torse. Elle payerait cher pour pouvoir rester à ses cotés pendant longtemps encore et elle payerait sûrement plus cher pour pouvoir rester dans cette pièce qu’elle ne connaissait pourtant pas avant. “Alfie?” Elle a besoin d’avoir son attention tout autant qu’elle veut gagner un peu de temps pour mieux trouver ses mots. Il connait tout d’elle, désormais, et tout va bien plus loin que son simple physique alors qu’elle ne s’est montrée à lui qu’en tenue d’Eve. S’il en sait autant, elle veut continuer à croire que c’est parce qu’elle l’a laissé faire parce qu’elle sait qu’il le mérite et qu’il se passe effectivement quelque chose entre eux, bien au delà du simple fait qu'ils gravitent tous deux autour de Joseph. Pour la première fois, il n'est même pas question de son frère, lui qui sort enfin du tableau pour laisser Lily exister par elle-même. "Je t'aime." Avant de le laisser répondre, elle dépose un baiser de plus contre ses lèvres. Si elle est assurée que ses sentiments sont réciproques, sans doute bien trop influencée par ce qu'ils viennent de partager, elle redoute toujours qu'il retrouve ses vieilles habitudes et la trahisse, préférant le premier venu à elle.

Il a conscience que cet instant est éphémère et il est le premier surpris quant à sa volonté de le faire perdurer. Il se cherche des excuses, une envie de ne pas (totalement) dégoûter Lily de cette première fois qui n’a jamais rien d’anodin, une volonté de s’assurer que même si une barrière a été franchie, rien ne change entre eux (à comprendre : qu’il a toujours l’ascendant sur elle). Il pourrait user d’autres diversions pour justifier de rester allongé à ses côtés alors que tout son corps lui crie désormais de retrouver Amelia dans cette foule pour réclamer son dû. Et bien sûr qu’il en a envie, Alfie, mais l’échéance, à défaut d’être repoussée éternellement, peut l’être de quelques minutes. Quelques minutes où Lily et lui ont glissé sur un terrain nouveau et pas uniquement parce qu’ils ont franchi les limites de la simple amitié (bien que ce mot n’ait aucun sens les concernant), mais parce qu’ils ont officiellement pris connaissance de la zone grise qu’il peut exister entre eux, où ils n’ont pas besoin de se situer dans un extrême (amis ou ennemis), qu’ils n’ont pas besoin de s’ignorer ou d’être forcément vindicatifs l’un envers l’autre et qu’un milieu peut être trouvé, un milieu qui échappe à leur contrôle. Bien sûr qu’ils ne se reposeront jamais sur ce constat, ce serait trop facile, presque agréable, mais il existe, c’est désormais une certitude. Une certitude qu’il ne devrait pourtant pas prendre pour acquise alors qu’il s’apprête à détruire celle-ci et que même la confirmation par la principale concernée qu’elle apprécie le moment ne le raisonne pas quant à ce qu’il s’apprête à faire. Il n’a aucune envie d’être raisonné, de toute évidence, malgré une volonté d’accepter cette accalmie quelques instants de plus, malgré la nécessité de le faire, même, avant de se rendre coupable de la plus grande des désillusions de la jeune femme qui vient de lui offrir sa confiance la plus totale. Ses lèvres retrouvent les siennes et même si l’enjeu n’est plus le même, la passion qu’il y met en guise de réponse reste inchangée. “Je veux pas non plus.” Il affiche un sourire face à ce constat alors qu’elle ignore encore qu’ils vont devoir retourner avec les autres. Ou plutôt, qu’il va retourner avec les autres tandis qu’elle mènera sa vie comme elle l’entend. Mais ils peuvent encore rester ensemble quelques minutes, comme il l’a dit, comme il l’a promis, même, puisque c’est ainsi qu’il ressent les choses. Il ne fait jamais de promesse, Alfie, alors quand c’est le cas, il peut bien les tenir, même si elles ne durent jamais longtemps.

“Alfie?” Son regard se perd contre le sien après avoir brièvement observé la porte, s’interrogeant quant à ce qu’elle pourrait ajouter, quant à la possibilité que cela retarde son départ. "Je t'aime." Il n’a pas le temps d’écarquiller les yeux qu’elle lui vole ses lèvres et qu’il la remercie silencieusement de lui offrir la meilleure des réponses alors qu’il prolonge ce baiser pour ne pas avoir à répondre. Il n’a jamais eu de problème à faire usage d’un mensonge, Alfie, mais il en serait bien incapable à cet instant, auprès de Lily qui vient de lui faire la plus sincère des confessions. Il devrait se sentir mal, peut-être que c’est le cas au fond, mais tout ce qu’il ressent, à cet instant, c’est le désir de quitter la pièce aussi vite que possible pour ne pas que cette honnêteté soit la porte ouverte à d’autres révélations qui n’ont pas leur place. Pas ce soir, pas avec lui, surtout. Elle devrait le savoir, pourtant. Mais comment peut-elle être sûre de quoi que ce soit après ce qu’il vient se passer, après ce qu’il vient de lui offrir ? Ce n’est pas l’histoire d’une nuit, d’une intimité partagée, mais d’un visage qu’il n’aurait jamais pensé lui montrer à elle. Il finit par libérer ses lèvres alors qu’il caresse doucement son visage, l’envie d’accentuer sa confiance un bref instant avant de murmurer : « Je reviens. » Aux doutes qu’elle pourrait émettre, il répond par un nouveau baiser et un sourire, s’habillant dans la précipitation, ponctuant son départ anticipé d’un : « ne bouge pas » pour lui assurer d’un potentiel retour.

Qui, au moment où il claque la porte, n’a plus aucune chance d’arriver. Parce que ce n’est pas elle qu’il aime, c’est une toute autre fille qui occupe ses pensées et peut-être que la manière de s’être immiscée dans celle-ci n’a rien d’ordinaire ou de naturel, il n’en demeure pas moins que c’est la seule et qu’elle doit rester la seule. Sa silhouette finit par être reconnue alors qu’elle se love dans les bras d’une fille de leur classe et qu’il se saisit de son bras pour la tirer à l’écart sans prêter attention aux contestations du passe-temps d’Amelia (on peut la considérer comme telle puisque l’intérêt que la blonde lui aurait porté n’aurait pas duré plus longtemps que cette soirée). « T’étais passé où ? » Elle lui hurle presque dessus et le sourire sur ses lèvres ne fait que s’agrandir. « Dans la chambre au bout du couloir. » Il tend le cou pour montrer les traces de rouge à lèvres laissées par Lily sur le sillage de ses baisers, alors que sa main vient se glisser dans la poche de la jeune femme, s’appropriant son dû sans lui laisser l’opportunité de négocier, autant qu’il ne lui laisse pas l’occasion de l’interroger sur quoi que ce soit, sa silhouette qui disparait déjà pour laisser derrière lui celle désormais insignifiante d’Amelia et celle, à l’inverse, devenue bien plus fascinante de Lily.