On jouait à "j'ai jamais", c'est ça l'ironie. On avait la liste de toutes les choses qu'on n'avait jamais faites en tête et au creux des paumes des cocktails fruités et sucrées et autres shooters qui ne servaient à rien d'autre qu'à souligner à quel point on avait l'esprit frivole une seconde, et pas du tout la suivante.

J’ai jamais… pranké la police au téléphone. en fait rire quelques uns, quand Annabel raconte la fois où elle voulait faire chier son ex, un flic qu'elle avait envoyé sur une mauvaise piste rien que pour le rejoindre sur place et lui balancer à la gueule ses quatre vérités.

J’ai jamais… rencontré une célebrité. les fait tous roller des yeux dès que je liste toutes les stars que j'ai dans mon registre téléphonique. La grande majorité est complètement fausse, des noms de vedettes sont associés à des numéros de potes ne faisant pas le moindrement partie du monde du jet set mais ça, ils ont pas besoin de le savoir.

J’ai jamais… compté les calories pour préparer un repas. je compte aussi toutes les fois où les diètes qui me semblaient être fun pour bien paraître à la caméra se sont avérées être de parfaites excuses pour finir vingt minutes plus tard posée sur le drive du McDo.

J’ai jamais… volé quelque chose de plus de 10 balles. le collier de perles qu'Ariane exhibe à son cou la fait descendre son verre en entier.

J’ai jamais… envoyé un selfie sexy. et le regard enjôleur de Matt avec son lourd jeu de sourcils n'aident pas à sa cause quand sa bière se retrouve d'office terminée.

J’ai jamais… dragué quelqu’un alors que j’étais en couple. là, c'est un regard en biais qu'on partage, Léo et moi. Nos verres sont vides depuis longtemps, je me sacrifie pour les remplir dans le seul but d'en boire le contenu aussi vite. Oups, dirons-nous. Les j'ai jamais eu la lèpre et j'ai jamais été attaqué par un essaim de sauterelles par contre, ça, je les aurais jamais vues venir. Quand à la seconde où Léo et moi on file à la supérette acheter des bières pour poursuivre la soirée bien hydratés, c'est ce qui nous arrive. Ma peau pèle et la sienne avec, et droit devant, c'est un mur d'insectes bourdonnants qui nous attend. « Oh, mais c'est quoi ce bordel. »

Elle est vraiment tranquille, notre soirée. Très tranquille, beaucoup trop calme. Et le ciel, lui, a décidé de se se gonfler d'orage. Je crois que quelque chose se prépare mais je ne sais pas quoi, moi qui guette parfois nerveusement les fenêtres alors que le temps s'alourdit de plus en plus, dehors. J’ai jamais… dragué quelqu’un alors que j’étais en couple. « Je suis marié, mais on n'est pas ensemble. » que je justifie en buvant quand même, pas certain de mes expériences et de leur définition exacte. Dehors le ciel gronde encore. On sort, pourtant, avec Chloe. On sort au coude à coude, alors que je comprends que les nuages n'étaient pas gorgés de pluie. Les nuages étaient gorgés d'insectes et je manque de hurler. J'ai le souffle coupé, pourtant, quand le cri vient d'autre part, plus bas dans la rue. Quelqu'un hurle pour moi. « Oh, mais c'est quoi ce bordel. » Oui, je n'aurais probablement pas dit mieux alors que la nuée nous fond dessus et que je tire Chloe à ma suite.

Nous courrons un instant, décidés à nous planquer sous le couvert d'une voiture. Les insectes, au moins, ne nous rentrent plus dans les yeux. Ma peau, en revanche, se met à faire des siennes. L'air doit être maudit dans cette vile maudite et j'aurais dû écouter mon maudit instinct qui m'a toujours dit de ne jamais venir habiter dans un pays où les maudites araignées peuvent manger des opossums entiers sans que cela n'étonne jamais personne. « On va crever, on va crever, on va crever. » Je psalmodie, la gorge nouée, alors qu'un énorme criquet grimpe sur le bras de Chloe. Cette fois-ci je hurle pour de bon, manque de la frapper mais reste tétanisé sous la voiture, alors que la chute des insectes fait autant de bruit qu'une pluie de balles sur un champ de bataille. De l'autre côté de la rue, je vois une dame qui se roule au sol, attaquée par un nuage de taons. « Chloe on peut pas mourir, j'ai pas encore fait le tour du monde, toi t'as pas rencontré Christopher Nolan. » Ma peau démange et je crois qu'elle est venue, l'apocalypse des zombies que tout le monde attendait.

« On va crever, on va crever, on va crever. »
« Mais non. »

Mais si voyons, c'est l'évidence. À la seconde où on met le pied dehors, c'est le chaos et la catastrophe. C'est l'entièreté des insectes du pays qui semblent s'être donnés à coeur joie pour nous rappeler dans quel genre d'île on a décidé de passer notre vie. Si Léo me traîne à gauche je vais à gauche et s'il sprinte à droite je fais pareil, tel un miroir, un véritable petit pantin qui suit la panique comme si ainsi tout finira par aller bien. Dehors, c'est la nuit mais le ciel est tatoué de rouge, d'orange, de jaune, d'ocre. Ce serait un endroit incroyable, là, à travers les bosquets, pour prendre des photos. La lumière de la fin du monde adoucit ses traits et les miens avec, mais les sauterelles et énièmes taons qui nous attaquent eux, n'ont rien de doux au programme. « Chloe on peut pas mourir, j'ai pas encore fait le tour du monde, toi t'as pas rencontré Christopher Nolan. » il se gratte Léo, on le pique, et c'est certainement pas aujourd'hui que je ne ferai pas tout en mon pouvoir pour chasser le moindre petit risque qui pourrait lui faire du mal. D'une paume rageuse, je nettoie ses bras, de l'autre, je retire mon hoodie pour le couvrir, oubliant qu'en faisant ce sacrifice là, c'est sur ma peau à moi que les insectes risquent de s'amuser. C'est quoi ce bordel, définitivement.

« On se met à l'abri, et on liste ensuite tous les trucs qu'on a pas encore eu le temps de faire et qu'on fera avant l'Apocalypse si tu veux. »  si tu veux, comme dans si tu traînes je te porte sur mon dos et t'as pas intérêt à avoir mangé McDo trop de fois ces derniers jours. À l'abri donc, la nouvelle priorité, entre deux voitures qui nous coupent en amont et un duo aussi perdus et horrifiés que nous qui nous poussent sur le bas côté le temps de courir vers Dieu sait quoi Dieu sait où. Ce sont eux les pires que le karma rattrape, quand finalement ils se retrouvent attaquées à mort. Les cris de douleur qu'on entend s'échapper de la nuée d'insectes volant les entourant résument assez bien la situation pour nous.

À l'abri Chloe, focus. Et là, droit devant, un supermarché ; le classique mais qui fonctionne toujours bien dans les films d'horreur au scénario apocalyptiques. On est sauvés, n'est-ce pas?

« Mais non. »
« Mais si ! »

Mais si et c'est l'heure du jugement dernier, des types se font croquer la tête et l'intérieur des narines par des insectes et j'ai jamais voulu finir comme ça. Moi, je prévoyais de mourir dans mon lit, au vénérable âge de 200 ans, entouré de mes chats et jalousé par Charlie plus ridée que moi. Je rêve de mourir dans un lit queen size, pas sur le cadavre d'un type qui tombe à côté de notre planque, les paupières gonflées des piqûres qui l'ont tué. « On se met à l'abri, et on liste ensuite tous les trucs qu'on a pas encore eu le temps de faire et qu'on fera avant l'Apocalypse si tu veux. » Quand est-ce qu'elle s'est débarrassée de son pull ? J'ai moins froid, quand je hoche la tête pour la suivre alors qu'elle s'élance sur l'asphalte. Dans la course contre la montre - contre la mort, regardez ce que c'est dramatique - j'ai attrapé sa main. Des types nous tuent presque en voiture et je suis tenté d'essayer de réitérer l'expérience, un instant certain que la mort sera plus douce que celle qui est réservée aux gens qui hurlent, dévorés par des bestioles.

Mais le supermarché est là, à portée de mains. Je me bats contre une dizaine de taons lorsque nous nous retrouvons devant les portes vitrées, fermées. Le caissier est en train de tuer les insectes qui le piquent et je comprends sa décision de ne pas nous ouvrir, alors qu'il est protégé derrière les battants autrefois automatiques de sa boutique. « OUVREZ-NOUS ! » Le type fait non alors que j'abats ma main sur un insecte qui tentait de ramper sous les cheveux de Chloe. L'instant d'après, c'est mon pied qui finit dans la vitre, qui ne s'abîme nullement. Il ne me faut que trois secondes pour repérer un engin de chantier abandonné. La bétonnière ne devrait pas être trop compliquée à pousser. « Aide moi. »

yes - la bétonnière s'encastre dans les portes qui se brisent.
ha - c'est une réussite, mais une nuée de taons s'incruste à la fête.
#ragequit - la bétonnière endommage la vitre, Léo trébuche et glisse avec elle. le verre sous la peau, ça fait un peu bobo quand même.

« Mais si ! »
« Mais avance sérieux, tu fais quoi? »

C'est en l'entraînant au mieux de mes capacités que j'arrive à souffler un peu mieux. Les insectes sont bien plus nombreux que nous, ils sont bien plus dangereux aussi, quand un simple aller de ma main dans les airs les chassent rien que pour qu'ils reviennent par dizaines plus agressifs encore qu'avant. Tout ce que je voulais, c'était du vin de supérette, des chips avec. Un burger aurait été bon et de frites aussi, la version super salée, celle qui te râpe le palais à chaque bouchée et - Chloe, c'est pas le temps d'avoir faim. Certainement pas lorsque je sens les doigts de Léo qui se perdent dans mes mèches, mais pas pour se moquer et y faire des noeuds, non, là c'est pour en dégager les restes de sauterelles qui ont décidées que s'y faire un nid était une option. Hurler est la mienne, pardon aux tympans dans les parages.

« OUVREZ-NOUS ! » pas de réponse positive, juste un non catégorique qui me provoque un majeur levé bien haut. Je suis polie habituellement, j'ai été bien élevée par une famille simple et sans chichi, rien en travers et des parents aux valeurs respectables. Là par contre, c'est une question de vie ou de mort et l'égoïsme du caissier à l'intérieur me fait rager à un point où je songe à défoncer la porte d'un coup de pied - ce que Léo tente sans succès. « Aide moi. » toujours, je sais faire que ça. Ses yeux sont rivés sur une bétonnière et mes pas s'y précipitent, poussant de parts et d'autres des chariots à courses qui résonnent lorsqu'ils se cognent les uns les autres, métal contre métal.

C'est une suite de maladresses qui font que la vitre est endommagée oui, mais que Léo l'est encore plus. « Tes mains, montre tes mains! » que je le presse, le gamin, attrapant ses paumes avant même qu'il ne les tende. Des doigts libres je chasse les sauterelles qui font du grabuge encore et toujours, des autres je m'assure de retirer avec autant de douceur que possible malgré les précipitations les restes de verre dans sa chair. Mais ça saigne, et les pansement sont à l'intérieur et et et et - et on peut entrer, maintenant. Y'a une fissure, y'a quelque chose que je peux défoncer du pied, et nous y voilà - enfin. Entrés.

WIN : le caissier leur pointe l'entrepôt, ils y filent tous pour reprendre leurs esprits
SO CLOSE : le caissier les engueule, la fissure fait entrer des bestioles par dizaines
FAIL : le caissier sort son shot gun, on est dans Shaun of the dead finalement

La bétonnière est lourde, je crois que ma précipitation n'aurai servie à rien sinon à nous mettre dans une merde plus grande encore. Le bruit de la vitre fait plaisir à entendre, me retrouver la tête contre les portes un peu moins. Mains en avant, je n'ose plus bouger. Sous mes doigts, le verre dérape et je connais très bien la sensation brûlante qui en découle. « Tes mains, montre tes mains! » Je n'ai pas le temps de les voir que Chloe les prend déjà entre les siennes. Je détourne les yeux en faisant la grimace. « Désolé. Je suis désolé. » C'est tout ce qui me vient alors que les insectes reviennent à la charge. Je suis désolé d'être, aussi tôt dans notre aventure, un partenaire de survie aussi médiocre.

Chloe défonce la vitre et nous pouvons enfin entrer. J'ai les mains en sang et le type en face de nous ne semble pas décidé à nous aider. Heureusement, le trou dans le verre est assez petit pour que les insectes ne soient pas trop nombreux à s'y risquer. Face à nous, le caissier tremble, arme à la main. Impassible, je lève les paumes vers lui. « Doucement. On veut pas vous emmerder. Posez l'arme. » Face aux insectes, j'ai le sang-froid d'une chaise. Je croyais que la peur des armes allait me tétaniser encore plus, mais c'est ma voix automatique qui prend le relais. Elle tremble un peu et il ne faudra pas grand chose pour que je mette à hurler. « Pose l'arme. C'est quoi, ton prénom ? » « Jeff. » « Ok, Jeff. On est comme toi, on n'aime pas trop les sauterelles. J'ai juste besoin de bandages pour mes mains. On repart après, Jeff, on te laisse tranquille. Elle c'est Chloe et moi c'est Léo. » Le type ne baisse pas son arme, je fais un pas vers lui. « T'as l'air d'être un type bien, Jeff. Regarde mes mains. T'es quelqu'un de bien et tu vas aider, hein ? »

yesyesyes - jeff baisse son arme. merci, jeff, t'es un type bien.
oh bah - l'idiot de jeff se tire une balle dans la jambe.
oh no - jeff, connard, tire. la balle frôle Chloe mais heureusement, jeff a mal écouté au stage de tir. il est temps de se planquer.

Et ce serait simple de juste se pincer. De juste se dire qu'on est en train de rêver, que rien ne fait de sens et qu'en bout de ligne le mieux serait de fermer les yeux, d'inspirer un grand coup et de se visualiser allongés dans l'herbe du jardin d'Ariane et Saül à regarder les étoiles et à chasser celles qui sont filantes. À la place, c'est une vitre éclatée, quinze dizaines d'insectes affamés et un caissier armé qui nous attendent une fois une inspiration que je cache de ma paume pour m'éviter d'avaler des sauterelles dans le processus. Je sais pas du tout d'où l'Apocalypse est arrivée mais je suis certaine que si on avait pris le temps de lire notre horoscope ce matin et qu'on ne s'en était pas juste moqué, on aurait fini par avoir bien plus de réponses à nos questions que maintenant, à se contenter d'envoyer des regards circulaires de parts et d'autres du parking en espérant survivre à une autre journée.

Et il s'excuse Léo, il souffle et il me fait mal au coeur. Quand j'embrasse son front de la plus maternelle des façons, c'est strictement pour le rassurer, pour lui enlever la pression qu'il se met sur les épaules. « C'est pas ta faute si on est pas foutus d'habiter dans un pays où les insectes ne sont pas aussi gros que des bébés. » rions un peu, au moins.

« Doucement. On veut pas vous emmerder. Posez l'arme. »
« Pose l'arme. C'est quoi, ton prénom ? »
« Jeff. »
« Ok, Jeff. On est comme toi, on n'aime pas trop les sauterelles. J'ai juste besoin de bandages pour mes mains. On repart après, Jeff, on te laisse tranquille. Elle c'est Chloe et moi c'est Léo. »
« T'as l'air d'être un type bien, Jeff. Regarde mes mains. T'es quelqu'un de bien et tu vas aider, hein ? »

C'est comme une scène de film de farwest, la même chose. C'est exactement comme ça qu'on doit le voir, et quand je lui renvoie mon air impassible, à Jeff, c'est la même poker face que j'ai peaufinée devant la caméra des dizaines de centaines de fois. Tout ira bien, il nous laisse entrer, et je cherche déjà les pansements des yeux. Mes mots eux, sont bien plus rusés, et se nichent à l'oreille de Léo dès qu'on tourne l'allée où le stock pour nettoyer et soigner ses plaies se trouve. « Je le déconcentre, je pique son arme et on se tire dans l'entrepôt. Dès qu'il approche, on peut l'isoler dans un coin facilement. »

Et s'en sortir vivants?

win : jeff arrive et leur propose de les mener lui-même à l'entrepôt, la mutinerie est annulée
so close : jeff arrive et semble suspect, la mutinerie est toujours au menu
fail : jeff n'est plus tant un type bien finalement, la mutinerie est en action

Ok, alors Jeff est un type bien. Jeff baisse son arme. Il tremble trop pour tirer, de toute façon. Doucement, je baisse les mains, lui adresse un sourire. Lorsqu'il range son arme, je me tourne vers Chloe. La petite voix dans ma tête hurle. Fort. Avec précaution, je rejoins Chloe jusque dans le rayon des produits de soin. « Je le déconcentre, je pique son arme et on se tire dans l'entrepôt. Dès qu'il approche, on peut l'isoler dans un coin facilement. » « Tu lui fais pas confiance ? Il a l'air sympa. » Je jette un regard dans la direction de Jeff, qui tente de boucher le trou dans les vitres. Des insectes ont réussi à s'infiltrer, mais rien de trop grave. Les paumes tournées vers le ciel, je soupire. « On va bien, là. Pas besoin de créer du grabuge. Tu penses qu'ils vont bien, les autres ? » Les autres étaient à l'intérieur, alors tout doit bien aller. C'est pour nous, qu'ils doivent s'inquiéter à en crever. J'ai malheureusement laissé mon téléphone sur la table du salon.

Lorsque mes mains sont couvertes d'antiseptique et de bandages, je retire le pull que m'a donné Chloe. « J'ai pas froid. Attends, on prend à boire aussi. Jeff dira rien. » Jeff qui revient, d'ailleurs, sourire aux lèvres. Je crois qu'on s'est fait un copain. Il est bâtit comme Hagrid et il ne faudrait pas le faire chier, même si je crois qu'il ne ferait pas de mal à une mouche. C'est ironique, de penser ça de lui alors que des insectes se ruent contre les fenêtres de la boutique. Elle est chiante, la météo, en Australie. « J'ai peur que les gens se ruent en masse par ici. On va aller de l'autre côté, le temps que ça se calme. » J'accepte et Jeff nous mène du côté de l'entrepôt.

Sauf que, la seconde d'après, les insectes se ruent dans le magasin. Les gens n'étaient pas à craindre mais les frelons, si. Je pousse Chloe en avant, referme la porte l'entrepôt derrière nous. De l'autre côté, Jeff hurle. Le bourdonnement est affreux mais je refuse de d'ouvrir au risque que nous subissions le même sort. Oreilles bouchées, j'attends que tout passe, planté devant Chloe. Il ne faudra aux insectes que deux minutes pour faire leur oeuvre. Jeff a arrêté de hurler. « Ils ne peuvent pas entrer. On va attendre les secours ici. » Ce n'est que lorsque j'entends des bourdonnements dans la bouche d'aération que les choses prennent une tournure encore plus dramatique. « Tu dois avoir vu assez de films pour nous sortir de ce merdier, pas vrai ? » Dis oui, Chloe.

« Tu lui fais pas confiance ? Il a l'air sympa. »
« Je lui dirai merci, t'en fais pas. »

La vérité, c'est que j'ai confiance en peu de gens, presqu'en personne. Ils sont véritablement peu nombreux, ceux et celles pour qui je donnerais ma vie sans jamais douter une seule seconde d'avoir à le faire. Léo en fait partie bien sûr, même si depuis qu'il porte mon hoodie mes bras piquent d'une chaleur agressante, les insectes ont fini par bien se gâter. Le matériel est facile à trouver, par chance, et pendant que Jeff se charge de nous improviser une barricade je m'assure que chaque plaie ne renferme plus la moindre pièce de verre. J'ignore si Léo grimace, j'ignore si le peroxyde le fait sursauter, gardant strictement mes prunelles vissées à ses paumes jusqu'au dernier bandage à installer. « On va bien, là. Pas besoin de créer du grabuge. Tu penses qu'ils vont bien, les autres ? » les autres. J'en étais venue à penser juste à nous, à tenter de trouver un plan de match pour qu'on s'en sorte, mais les autres nous attendent à quelques rues d'ici et les autres, dès qu'ils jetteront un coup d'oeil à la fenêtre ou même aux infos, ils risquent de détester ce qu'ils vont y voir. « Faut trouver un téléphone pour leur dire de pas bouger de l'appartement. » un coup d'oeil de plus à Léo, espérant qu'il ne me reproche pas encore d'avoir jeté mon portable à l'océan la dernière fois où une publicité sexiste s'est retrouvée sur mon fil d'actualités Instagram.

Moi, je défends la veuve et l'orphelin en noyant mon téléphone, Jeff lui, le fait en nous revenant l'air goguenard. « J'ai pas froid. Attends, on prend à boire aussi. Jeff dira rien. » le pull repasse sur mes épaules, je laisse Léo gérer celui que je regarde toujours du coin de l'oeil sans savoir quand ni comment il risque de nous berner mais en le suspectant quand même. « J'ai peur que les gens se ruent en masse par ici. On va aller de l'autre côté, le temps que ça se calme. » évidemment qu'il veut nous isoler. Évidemment que je le scrute aussi, prenant quand même du vin au passage que je cache dans les plis de tissus de mon chandail ni vu ni connu.

Tout s'est passé tellement vite. Entre Léo qui me pousse dans l'entrepôt et Jeff qui reste pris derrière, entre son sacrifice qu'on entend résonner fort contre la porte fermée à double tour et les dizaines d'insectes qui semblent avoir décidé de refermer leur étau autour de nous après l'avoir fait avec lui. « Ils ne peuvent pas entrer. On va attendre les secours ici. » quels secours? « Tu dois avoir vu assez de films pour nous sortir de ce merdier, pas vrai ? » « Aide-moi à déplacer les étagères. Dans les films, l'erreur c'est soit de se sauver, soit de se séparer. »

Et dans les films, on a presque jamais l'option fin heureuse où le personnage principal s'en sort sans être mangé vif par des sauterelles apocalyptiques. Ici par contre, c'est tout le contraire. Je m'assure que Léo prenne appui avec son dos pour pousser une étagère avec moi devant ce qui semble être la seule bouche d'aération. Dans un souffle, c'est presque soulagée que j'entends les bourdonnements perdre un peu en volume. Ils sont toujours là, ils doivent chercher un meilleur endroit pour entrer, mais en faisant volteface je réalise que l'entrepôt n'offre ni fenêtre, ni porte autre que celle qui pointe vers le supermarché. « On reste ici et on s'assure de voir partout. » d'un coup d'oeil, je cherche à travers le plafond des fissures, même chose aux murs. « Du miel. Faut du miel! »  ça, c'est l'eurêka de celle qui a joué la pudique héroïne dans un slasher l'an dernier, qui repense à comment elle avait calmé les relents des cafards qu'envoyait un psychopathe à la Saw sur elle. Au cas où les bestioles reviennent, ça les ralentira.

WIN : y'a du miel, quel graal, sur l'étagère
SO CLOSE : pas de miel mais du caramel salé - et oh, ils ont droit d'en manger un peu avant d'en étaler au sol non?
FAIL : il y a du miel oui, mais il a déjà été attaqué par les insectes et en ouvrant le pot mal fermé par Jeff le gourmand une nouvelle nuée les attaque

« Faut trouver un téléphone pour leur dire de pas bouger de l'appartement. » Je pense tout de suite à voler celui de Jeff, mais Chloe doit déjà l'avoir anticipé. Elle est gémeaux elle aussi, après tout. En plus, Jeff ne va bientôt plus en avoir besoin. Maintenant que Jeff est mort, je prie pour que son téléphone ait encore de la batterie, avant de me souvenir que d'ouvrir la porte, c'est la mort assurée. Nous voilà coincés. A cela se rajoutent les insectes qui bourdonnent derrière une bouche d'aération. « Aide-moi à déplacer les étagères. Dans les films, l'erreur c'est soit de se sauver, soit de se séparer. » Heureusement que Chloe est cinéphile, parce que je pense que les frelons auraient commencé à me manger les yeux sinon. De toutes mes forces, j'aide ma camarade de galère à bouger l'étagère. La diminution des bourdonnements est accueillie par un soupir de soulagement. Sans délicatesse, je me laisse tomber dos au mur.

« On reste ici et on s'assure de voir partout. » « On va crever avant que les secours viennent nous chercher. » Ca, c'est le Léo pessimiste, qui va souvent de pair avec le nihiliste qui baragouine que la vie n'a de toute façon aucun sens. C'est vrai, après tout, quel est le but de se faire croquer la tête par des sauterelles ? La biologie n'est pas ma spécialité, mais il me semble savoir que la chaîne alimentaire, ça fonctionne dans l'autre sens. Chloe, elle, a l'air d'avoir un bien meilleur instinct de survie que moi. « Du miel. Faut du miel! » Derrière moi, des pots de haricots et - oh, miracle, du caramel au beurre salé. J'en envoie un à Chloe. « Etale ça au dessus du montant de la porte. Si les insectes entrent, ils vont le sentir direct. » Fier de ma trouvaille, je fais du mieux que je peux pour étaler le contenu de mon pot sur le sol, contre une bouche d'évacuation des eaux. On ne sait jamais.

Lorsque tout est correctement étalé, j'attrape une bouteille d'eau pour en descendre le contenu. « Il faut vraiment qu'on prévienne les autres. Si Ariane se lance à notre poursuite et qu'elle est blessée, c'est une autre genre de bête qui va se lancer à notre poursuite pour nous massacrer. » Mes yeux se posent sur la porte, dont le chambranle est couvert de caramel. « J'ouvre pour prendre le téléphone de Jeff. Si ça tourne au vinaigre... » Qu'elle m'achève avec le flingue de Jeff. On n'est plus à ça près.

oui bravo - les insectes ont trouvé une autre cible, en dehors du magasin. Léo trouve le téléphone sans difficultés, il récupère même l'arme de Jeff.
meh - les insectes ne sont plus très nombreux autour du cadavre de Jeff, mais aucun téléphone n'est en vue.
oops - les insectes sont toujours aussi nombreux, la mission "téléphone" est un échec vraiment cuisant - les piqûres, ça brûle haha.