On boit, on boit et ça me rappelle notre passé. Ca me rappelle nos soirées et son corps contre le mien. Et je ne sais pas si c’est parce qu’elle est mariée et qu’elle a deux enfants, et que j’ai le sentiment de l’avoir perdue depuis longtemps déjà, mais tout me revient à la gueule. Plus elle rit plus je fais de même et on raconte conneries sur conneries entre les verres d’alcool et j’ai enfin l’impression de nous retrouver un peu. Elle me manque, elle me manque depuis toujours et pourtant jamais je ne lui dirais. C’est terminé le elle et moi. Cela fait longtemps maintenant, il ne reste plus que notre amitié.

Je me sens toujours mieux avec de l’alcool dans le sang, comme si aujourd’hui c’était mon élément naturel, celui dans lequel je me sens vivant et je me sens bien.  Je n’en reviens pas qu’elle ait pu tenir huit mois sobres, elle qui a toujours du mal à arrêter alcool et drogue. On se ressemble elle et moi et ce depuis longtemps. « Je sais pas comment j’ai fait non plus. » Pourquoi est-ce que je parle de ça ? Peut-être parce que je n’arrive pas à me sortir ses enfants de la tête. Ses enfants qu’elle n’aura pas eu avec moi, ce futur qui ne sera pas avec moi.  Pourtant je sais qu’elle a mal vécu leur naissance et la question est inévitable et je la prononce comme si je lui demandais quel shot elle préférait. Je ris avec elle, la tête qui tourne.


« Je sais pas. J’aurais peut être dû les perdre eux aussi ! » La phrase met du temps à arriver à mon esprit. Eux aussi. Je mets du temps à comprendre. Je ris parce que ça fois être une blague. Mais ça a l’air d’être sérieux c’est le pincement de mon cœur, malgré l’alcool ingurgité qui me pousse à questionner, comme si mon cœur avait compris avant moi ce qu’elle voulait dire. « Comment ça eux aussi ? T’as déjà été enceinte ? » J’ai toujours un sourire sur le visage, parce que je suis idiot et que je n’imagine pas une seule seconde qu’elle aurait pu être enceinte de moi. Moi qui avait partagé son lit à de bien trop nombreuse reprises pendant des années. Non ça ne peut pas être moi, parce qu’elle me l’aurait dit Jill. Alors je continue de sourire et j’attends la suite de son histoire en buvant mon verre.

Elle a déjà bien trop bu. Sa tête tourne et son coeur est bien plus léger. Elle aime ça, et cette sensation lui avait beaucoup manqué. Elle a envie de danser et de chanter, et elle est ravie de passer un aussi bon moment avec Pete. Leurs anciennes soirées lui manque, et le fait de pouvoir faire ce qu’elle veut pendant toute une nuit, sans qu’il n’y ait aucune conséquence pour sa vie et son futur. Elle n’aurait pas dû tant boire, parce qu’elle ne réfléchit plus à ce qu’elle dit. Elle tient bien moins l’alcool après tant de mois à ne pas avoir le droit de toucher à un verre d’alcool.

Les barres de shots s’enchaînent et elle a arrêté de compter. Elle déteste se rendre compte qu’elle ne peut pas suivre le rythme qu’impose Pete. Il a l’air d’être dans son état normal, quand elle elle est à deux doigts de s’écrouler. C’est à peine si elle se rend compte de ce qu’elle dit, la preuve avec les quelques mots qu’elle laisse glisser entre ses lèvres quand il a le malheur de parler d’enfants. Elle n’en a jamais parlé, mais elle ne se souvient pas avoir déjà été dans cet état avec Pete dans les parages, ni d’avoir déjà parlé bébés avec lui. Ce n’était pas leur style de conversation dans le temps, et elle ne comprend pas pourquoi il a envie d’en parler aujourd’hui. « Comment ça eux aussi ? T’as déjà été enceinte ? » Elle aurait dû la fermer. Elle aurait vraiment dû se taire et boire un autre verre en disant à Pete que ses sujets de discussion étaient chiants. “Quoi ?” Elle essaie de changer de sujet, de passer entre les mailles du filet. “On devrait boire une nouvelle tournée ça devient chiant là.” Elle sait qu’elle est complètement coincée, et si elle pouvait courir pour s’échapper elle le ferait. Elle pince les lèvres sans oser croiser le regard de Pete qui se tient encore à côté d’elle. “C’est pas le moment de parler de ce genre de choses.” Il la connait par coeur, et il ne la laissera pas s’en sortir aussi facilement.

On devrait arrêter de boire. On aurait déjà dû arrêter de boire il y a quelques verres. Sauf qu’on a jamais été très doués pour ça elle et moi. J’aimerais danser avec elle toute la nuit. J’aimerais retrouver le goût de ses lèvres et de sa peau et plus je bois plus je me souviens de ce qu’on a été et de tout ce qu’on a jamais été et je force désespérément un sourire sur mon visage.

« Quoi ? » Elle fait l’ignorante Jill. Elle ne tient pas le rythme, je la vois. Et moi, moi je suis tellement habitué à boire que n’ai pas encore atteint le point de non retour et si ma tête est légère les paroles qu’elle a prononcé raisonnent dans mon esprit et prennent leurs sens. Elle a déjà perdu un bébé Jill. Sauf que je n’ai aucun souvenir d’avoir déjà eu cette conversation avec elle.  « On devrait boire une nouvelle tournée ça devient chiant là. » Elle n’ose pas croiser mon regard et moi soudain j’arrête de rire. J’arrête de sourire. Et mon regard s’ancre dans le sien alors que je prends un nouveau shot. Parce que je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à ces gamins, qu’au fait qu’elle est trop loin, trop loin de moi, et que là où par le passé cette soirée n’aurait fini que d’une seule façon, cela fait déjà longtemps que ce n’est plus arrivé. Jill a fait une gaffe je le sens, je le sens de la manière dont elle essaye de détourner la conversation et je ne comprends pas ce qu’elle a à cacher.

« « C’est pas le moment de parler de ce genre de chose. » Je crois que même malgré l’esprit engourdi par l’alcool, malgré ma tête qui tourne et mon cœur qui bat trop vite une part de moi saisit le sens de cette conversation. J’attrape son bras pour qu’elle me regarde, pour qu’elle plante son regard dans le mien. « Jill. T’as été enceinte quand ? » Ma bouche est pâteuse. Tout a un goût amer. « T’as été enceinte de qui ? » Et j’ai peur de la réponse. Une part de moi prie pour qu’elle me sorte le nom de Bailey, qu’elle me sorte le nom de n’importe qui d’autres, n’importe quelle autre personne qui aurait partagé son lit et dieu sait que je n’ai pas été le seul. Mais pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit quand on s’est toujours parlé avec une facilité déconcertante ? Sauf de nous. On n’a jamais su parler de nous.

Elle aurait dû se taire, et elle ne regrette ses mots qu’une fois qu’ils ont passé la barrière de ses lèvres. Elle déteste cette erreur qu’elle fait, elle n’en a jamais fait avant, et elle ne comptait pas qu’il sache un jour. Elle ne l’aurait dit à personne, mais il a fallu que ce soir elle boive bien trop, et qu’il pose les mauvaises questions. Quelle idée de parler d’enfants alors qu’ils sont là justement pour qu’elle oublié ? Elle le déteste, et elle déteste de nouveau le monde entier. Elle n’aurait jamais dû sortir avec quelqu’un.

« Jill. T’as été enceinte quand ? » Bien sûr qu’il sait, qu’il comprend, parce qu’il a bien plus l’habitude de boire qu’elle désormais. Elle serre les dents, cherche le serveur des yeux. Ils vont bien avoir besoin d’autres verres pour faire passer la pilule. Elle sait qu’il va la détester, mais à cette époque là, Jill n’aurait jamais imaginé être capable d’être maman, et elle sait que Pete n’est pas prêt pour ça. Elle déglutit et boit un nouveau verre, essayant de se laisser porter par les effets de l’alcool. La soirée va rapidement tourner, elle le sait, et la suite risque de ne pas être très agréable. “Je…” Elle évite son regard, elle n’a pas envie de déterrer de tels souvenirs même s’ils la hante depuis la naissance des jumeaux. “2009.” C’était le chaos sa vie à cette époque là, et il faisait partie intégrante de tout ça. « T’as été enceinte de qui ? » Son regard se tourne vers le jeune homme alors qu’il la secoue. Elle mord l’intérieur de sa joue, elle n’a plus d’autre choix que de dire la vérité et elle se déteste d’avoir gaffé. Tout ça n’était pas censé arriver, et cette soirée devait bien se passer. Elle échange un seul regard et il saura, ce serait bien trop bizarre de le dire à voix haute. “Je l’ai perdu. Sûrement à cause des mélanges de drogues de soirées et d’alcools à cette époque là.” Mais elle avait été au courant de sa grossesse avant de le perdre. Elle hésitait, et elle a préféré tout faire pour le perdre que de prendre la décision d’avorter.

Elle boit un nouveau verre au lieu de me répondre et son silence me fait l’effet d’une douche froide.

« Je… » Elle refuse de me regarder et plus elle évite mon regard plus je comprends. Comme si l’information faisait le chemin jusqu’à moi. « 2009. »  Je reste fixé sur elle comme bloqué. Londres alors. J’y avais passé quelques mois pour un tournage. Comme toujours on avait passé de nombreuses nuits ensemble à faire la fête et à déraper et encore une fois à retrouver nos corps liés le temps d’une nuit ou de plusieurs.  Mais il y avait eu d’autres personnes cette année-là, bien d’autres amants après tout nous n’avions jamais été un couple, nous n’avions jamais défini quoique ce soit à part pendant ce mois où on avait fugué ensemble.  Alors je pose la question, mon sourire ayant disparu de mon visage ma main accroché à son bras. Et enfin elle me regarde et il y a un silence, un silence qui veut dire de toi. Un silence qui me fait comprendre que c’était moi dont elle avait été enceinte. Sauf qu’on est onze ans plus tard et que c’est la première fois dont j’en entends parler. « Je l’ai perdu. Sûrement à cause des mélanges de drogues de soirées et d’alcools à cette époque là. »

J’ai la tête qui tourne et la soudaine envie de vomir mes tripes et l’alcool me rattrape. Je n’ai toujours pas lâché son bras et cette fois-ci mon ton devient froid, colérique. « T’as pas répondu à ma question Jill. Dit le voix haute. » J’enfonce le clou, le poignard qu’elle me tend, j’ouvre mon cœur en grand pour la laisser l’y planter. « Tu le savais avant de le perdre Jill ? Tu l’as su combien de temps ? » Chaque mot est lent et pâteux et froid et j’attends les réponses comme si soudainement elle allait me dire que c’est une blague. Ca ne peut être qu’être une blague. Parce que je n’imagine pas comment elle n’aurait pas pu me le dire, comment elle n’aurait pas pu m’en parler. La vraie question en réalité est combien de fois elle m’a regardé dans les yeux sans m’en parler.  Ma main se serre un peu plus sur son bras et j’articule « Tu avais l’intention de m’en parler ? » Je me demande si elle m’en aurait parlé si elle ne l’avait pas perdu, ou si elle aurait choisi là aussi de me priver de l’information, peut être même probablement d’avorter. Est-ce qu’elle l’aurait eu ce bébé sans jamais me dire ? Mais non ça je l’aurais su d’une manière ou d’une autre. Des milliers de questions se bousculent dans mon esprit sans que je n’arrive à les arrêter et l’alcool n’aide pas, me rendant incapable de réfléchir.


@Jill McGrath-Fitzgerald  

Elle ne sait plus quoi dire, ni quoi faire. Elle ne peut pas s’enfuir et il semble avoir besoin de savoir. Mais il n’aurait jamais dû être au courant. Comment est ce qu’elle peut annoncer ce genre de chose sans qu’il ne la déteste ? Même Bailey n’est pas au courant de cette épreuve dans sa vie. Elle était seule quand elle a appris la grossesse, et seule quand elle a appris qu’elle l’avait perdu. Elle n’a pas eu à prendre de décision et ça lui avait convenu jusque là. Et jamais cette information n’aurait dû passer la barrière de ses lèvres.

« T’as pas répondu à ma question Jill. Dit le voix haute. » Elle n’a pas besoin de le faire, alors elle secoue la tête. Jamais elle ne le dira à voix haute parce qu’il sait déjà. “Y’en a pas besoin.” Et il sait qu’elle peut être bien plus têtue que lui. « Tu le savais avant de le perdre Jill ? Tu l’as su combien de temps ? » Les questions s’enchaînent et elle n’a aucune envie de répondre, elle n’a aucune envie de se rappeler tous ces moments qui ont été assez compliqués à vivre malgré tout ce qu’elle a pu dire. “2 semaines avant.” Et en deux semaines, elle a eu le temps de faire toutes les conneries possibles et imaginables pour ne pas avoir besoin de prendre la décision. « Tu avais l’intention de m’en parler ? » Là encore il connait la réponse. “Non.” Elle n’en aurait jamais parlé s’il n’y avait pas eu cette gaffe. “C’est du passé Pete.” La voix de Jill est pâteuse et sa vision est troublée. Jill ferme les yeux une seconde avant de se tourner vers Pete en dégageant son bras. “Qu’est ce que ça peut bien faire ? On s’en fiche non ? On était pas censé s’amuser ce soir ?” Elle grogne, elle regarde le bar et les gens qui dansent. Qu’est ce qu’elle pourrait faire pour qu’ils oublient tout ça ? Elle secoue la tête. “C’était une mauvaise idée…” Beaucoup de choses rentrent dans cette catégorie. Leur relation, cet accident et le fait d’en parler, peut-être même cette soirée.

« Y’en a pas besoin. » J’ai envie de crier que moi j’en ai besoin. J’ai besoin d’entendre ce secret à voix haute, cette désignation d’une paternité éphèmère dont j’apprends l’existence onze ans plus tard, qui n’a jamais eu lieu et qui n’existera jamais.  Je ne comprends pas pourquoi cela me serre autant le cœur.  Peut-être parce qu’à présent elle a deux enfants avec un autre homme qu’elle aime et avec qui elle est mariée.  Peut-être qu’une minuscule part de moi pensait que si jamais elle devait se poser avec quelqu’un, être heureuse avec quelqu’un ça serait moi. Mais comment pourrait-elle le savoir quand je ne lui ai jamais dit ? Quand je la connais depuis tellement d’années et que pas une seule fois je n’ai su avouer l’étendue des sentiments que j’avais pour elle ?

Je suis incapable de réagir, figé dans mon questionnement, la main désespérément accrochée à son bras comme si ses réponses allaient m’apporter un apaisement et pas me détruire un peu plus à chaque fois.  «  2 semaines avant. » Pas longtemps certes. Mais après coup pourquoi ne m’en avait-elle pas parlé ?  

« Non. »  Je me noie dans son regard, je m’y perds et je sens tout ce que je ressens pour elle s'effriter, mon cœur écartelé, chaque émotion amplifiée par l’alcool.

«  C’est du passé Pete. »  Sauf que ce n’est pas du passé, pas quand mon cœur se brise sous les mots, pas quand le sol part de sous mes pieds et que j’ai l’impression de tomber. Elle dégage son bras et je la laisse faire. « Qu’est ce que ça peut bien faire ? On s’en fiche non ? On était pas censé s’amuser ce soir ? »  Je ne l’ai jamais regardé comme ça, le regard noir de colère, incapable de prononcer un mot. Peut être qu’elle s’en fiche. Mais pas moi. Peu importe qu’elle y accord aussi peu d’importance, peu importe qu’elle est envie de s’amuser. Je serais incapable de retourner à cette soirée plus maintenant. Je bois un nouveau shot, puis un suivant et ça me donne envie de gerber. « C’était une mauvaise idée. »

« Ouais t’as raison Jillian. C’était une putain de mauvaise idée. » J’hoche la tête le regard résolument fixé sur mon verre vide, tentant de contrôler le tremblement de colère qui secoue mes épaules. Cette soirée était une mauvaise idée, boire avec elle comme avant, l’aimer comme avant, en avoir mal à en crever qu’elle ait pu me cacher ça, qu’elle ait pu.  Je sers tellement mon verre qu’il se brise entre mes mains « MERDE. » Et la glace m’entaille la peau et je ne sens même plus la douleur. Je ne m’excuse pas. « J’ai besoin d’air. » Et je quitte le bar tentant de reprendre le contrôle de ma respiration,  ma main est ensanglantée et je n’en ai rien à foutre, bien trop alcoolisé en vérité pour sentir quoique ce soit, je sors une cigarette qui prend immédiatement une teinte rougeâtre et je me l’allume, le regard déjà humide de rage, de larmes qui refuseront de couler.  Et lorsqu’elle sort du bar et qu’elle a l’air dans un sale état je la regarde avec une colère mêlée de supplication. « Tu me l’aurais dit Jill ? Si tu ne l’avais pas perdu ? Tu aurais fait quoi ? Tu as envisagé de le garder ? »  J’ai besoin qu’elle me dise la vérité, mais je pense ne supporter qu’une seule réponse. Toutes les autres ne seront que des poignards de plus et pourtant j’ai besoin de les entendre.

@Jill McGrath-Fitzgerald  

Jill lui répond, elle ne lui ment pas, elle n’a pas vraiment le choix. Elle se retrouve coincée face à lui, à devoir dévoiler un secret qu’elle a enfoui au fond d’elle pendant plus de dix ans. L’esprit embrumé par l’alcool elle n’essaie même pas de rendre ses réponses plus belles et plus gentilles pour qu’il soit capable de les accepter mieux. Elle se met de longues secondes avant de répondre, et elle mettra ça sur le dos de l’alcool qui rend sa langue pâteuse. « Ouais t’as raison Jillian. C’était une putain de mauvaise idée. » Bien sûr qu’il lui donne raison, et qu’il est furieux. Et elle sait aussi qu’elle ne peut rien faire contre ça. Elle le regarde, et elle sait qu’elle est perdue, et que cette soirée est terminée. « MERDE. » Elle sursaute au moment où le verre explose, et ses yeux se posent sur la main ensanglantée de Pete. Elle ouvre de grands yeux étonnés, elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit aussi énervé. « J’ai besoin d’air. » Et le voilà qui sort sans même se retourner.

Elle attrape un chiffon mouillé et un bandage qu’elle demande au barman et elle sort. Elle le rejoint en silence alors qu’il s’est allumé une clope. Elle sait qu’à cet instant, même elle est inacpable de la calmer. Il faut laisser passer la tempête, elle n’a pas le choix. « Tu me l’aurais dit Jill ? Si tu ne l’avais pas perdu ? Tu aurais fait quoi ? Tu as envisagé de le garder ? » Elle tangue, son regard est vitreux et elle aurait aimé pouvoir profiter de tous ces effets sans que Pete ne vienne tout gâcher. “Ca sert à rien de parler de ça !” Elle commence à s’énerver, elle n’a pas envie de se souvenir de tout ça. “J’avais aucune envie d’en parler, et j’en ai pas plus envie aujourd’hui.” Elle grogne, elle déteste parler de tout ça et elle garde tous les produits qu’elle a pour soigner sa main entre ses doigts. “Bien sûr que non, je l’aurais pas gardé en 2009 !” Comment est ce qu’il peut seulement poser la question ? Lui non plus n’a jamais vraiment voulu d’enfants, il ne peut pas lui en vouloir pour ça. “J’aurais avorté.” La vérité est dure mais elle est réelle. “Et maintenant arrête tes conneries et laisse moi nettoyer ça.” Elle se rapproche doucement, attendant de voir si elle se fait jeter ou s’il va la laisser s’approcher.

Je grimace alors que main entaillée de bouts de verre dégouline de sang et je ne fais pourtant rien pour l’arrêter. Comme si, j’avais l’espoir que cette douleur-là domine le reste et occupe mes pensées jusqu’à étouffer le sentiment de trahison que je ressentais. Lorsqu’elle sort, je continue mon questionnement, essayant de comprendre la logique de son raisonnement, la logique d’avoir gardé ce secret aussi longtemps.  « Ca sert à rien de parler de ça. » Jill s’énerve et je l’observe à l’affut de la moindre réaction qui me dirait qu’elle regrette au moins de m’avoir caché ce secret à l’époque comme jusqu’à aujourd’hui.
« J’avais aucune envie d’en parler, et j’en ai pas plus envie aujourd’hui. » Je ricane, mon cœur battant à la chamade, ma main libre serrée, tentant de contrôler la rage qui me prend.  Mais elle n’a pas terminé. « Bien sûr que non, je l’aurais pas gardé en 2009 ! J’aurais avorté. »

Je ne sais pas pourquoi cela m’affecte autant. Je n’aurais jamais été prêt à être père, ni à cette époque ni aujourd’hui. Je n’aurais jamais été prêt à me poser et à grandir ni à l’époque ni aujourd’hui.  Mais le problème c’est que ce n’était qu’avec elle que je l’avais envisagé, qu’avec elle que je l’aurais accepté et maintenant j’avais la sensation que c’était trop tard, que si je lui avais laissé mon cœur, elle ne m’avait pas laissé le sien et ce dès le départ.

«  Et maintenant arrête tes conneries et laisse moi nettoyer ça » «  ME TOUCHE PAS. » J’ai haussé le ton, le regard mauvais, comme un animal blessé essayant d’échapper à la main qu’on lui tend. « Donc t’as été enceinte de moi. Tu l’aurais pas perdu, t’aurais avorté. Tout ça sans jamais avoir l’intention de m’informer de ce détail. ” J’énumère glacial,  tirant sur ma clope, comme si cela aurait pu avoir un quelconque effet de me calmer. “ On s’est vu combien de fois après ça Jill ? On a recouché ensemble combien de fois après ça ? Jamais tu t’es dit que c’était peut-être une information que j’aurais dû savoir ?!” Mon visage est déformé par la colère, je suis incapable de réfléchir.  J’aimerais revenir à ce début de soirée où tout allait bien et où enfin j’avais l’impression de retrouver celle qui avait toujours été avant tout une de mes meilleures amies. Je regrette d’avoir abordé ce sujet, d’avoir réduit en poussière l’espoir d’une bonne soirée, d’une soirée simple où on se serait retrouvé.


@Jill McGrath-Fitzgerald  

Il est furieux, et il a toutes les raisons de l’être. Mais Jill est bourrée, et ce n’est certainement pas maintenant qu’elle va admettre ses torts et dire au jeune homme qu’il a raison et que c’est elle qui a merdé. Ils étaient tous les deux cons et insouciants à cette époque. Jamais ils n’auraient pu assumer un truc pareil, et pourtant, elle a l’impression qu’il aurait voulu de cette vie là. Elle reste debout, en face de lui avec son chiffon entre ses mains. Elle tangue et sa tête continue de tourner.

Elle se rapproche, tente de faire la paix mais il la rejette violemment. « ME TOUCHE PAS. » Elle fronce les sourcils, elle n’est pas dans le bon état pour parler calmement. “Tu fais chier.” Et c’est ce qu’elle peut faire de plus poli. « Donc t’as été enceinte de moi. Tu l’aurais pas perdu, t’aurais avorté. Tout ça sans jamais avoir l’intention de m’informer de ce détail. ” “Exactement.” Elle ne met pas les formes, elle s’en fiche sur le moment. Parce qu’elle est égoïste la McGrath, et que pour rien au monde elle ne lui dira qu’elle est désolée. Elle aurait pris la bonne décision, et il le sait très bien. “ On s’est vu combien de fois après ça Jill ? On a recouché ensemble combien de fois après ça ? Jamais tu t’es dit que c’était peut-être une information que j’aurais dû savoir ?!” Elle fronce encore les sourcils et manque de tomber en arrière avant de reprendre son équilibre. C’en est trop pour elle, et elle ne veut pas avoir cette conversation. Il n’y a pas de bébé, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais parce qu’elle a fondé sa famille avec un autre homme. Un homme qui est bon pour elle et qui lui permettra d’évoluer et de grandir. Alors que sa relation avec Pete est bien plus toxique pour elle comme pour lui. Ils s’entraînent vers le bas sans jamais pouvoir remonter. “Je sais pas… T’étais dans un autre pays à faire ta vie certainement. Et j’avais aucune envie d’abandonner ma vie ou que t’abandonne la tienne pour ça.” Ca qui aurait été un enfant dans une autre vie. “Tu me fais chier je me casse.” Elle titube, elle jette la serviette mouillée sur le torse de Pete et elle fait demi-tour, sans vraiment savoir où elle va.