Les urgences de l'hôpital étaient calmes, avant. Tout avait l'impression d'être une chorégraphie calculée, une danse apprise par tout le monde comme si chacun des personnages principaux était là depuis des années. C'est le cas, au final. Ici les médecins et le personnel infirmier bossait sans relâche depuis toujours, ici, tout le monde se connaissait au point où l'unité était si solide que jamais on n'aurait pu la mettre en doute.

Puis, l'enfer s'est levé et l'Apocalypse avec. Brisbane est devenu l'épicentre de manifestations étranges et mystiques, les plaies ont recouvert la ville et ont laissé dans leur sillage pléthores de malédictions collant à la peau des pauvres habitants qui n'ont rien, mais alors rien demandé de tout ça. La nouvelle équipe de soignants de laquelle Chloe faisait partie avait été assemblée à la va vite, quelques jours à peine plus tôt. Elle avait été sortie de force de son team à Genève, renvoyée par avion de chasse à l'hôpital de Brisbane avec ses meilleurs médecins question de venir aider dans une crise qu'ils n'avaient tous pas vue venir et qui risquait de s'éterniser sans véritable date de fin.

Ils dorment tous, les docteurs, sur des lits de camp aménagés à la va vite dans la salle du personnel. Sans penser à ajouter matelas et draps et oreillers, sans penser à autre chose qu'à se gratter quelques minutes à peine de sommeil bien mérité. Chloe elle, est restée vaillante avec Clyde. Ils bossent ensemble depuis des années, se comprennent d'un coup d'oeil un seul, et ce soir encore, c'est une vague de maléfices complètement irréalistes qui semble s'être déversée sur eux et sur la ville. Deux scientifiques aux prises avec du fantastique ; ça a le don de lui filer un mal de tête, à la blonde aux cheveux enroulés dans un chignon qui n'en a que le nom. Elle a arrêté de compter le nombre de cafés qu'elle a bus depuis qu'elle est ici, le nombre de siestes qu'elle a faite aussi. L'un est trop élevé et l'autre quasi absent. Trouvez l'erreur.

Ses gants de latex sont poisseux du dernier patient et de sa condition. « Si la prochaine personne qu'ils nous amènent a encore des pustules du genre je donne ma démis- » elle pique et elle râle, mais elle ne bougerait pas d'ici Chloe, jamais. C'est là où on a besoin d'elle et elle sera fidèle jusqu'à la fin - si fin un jour, il y a. « C'est une blague. » et hop, une nouvelle patiente avec les mêmes pustules quasiment aux mêmes endroits prend la place sur la table d'examen, sous ses yeux horrifiés.

La nuit sera longue ; et pas juste parce qu'à la télé, on dit qu'elle durera désormais pour l'éternité.

Le chaos qui les entoure depuis des jours rend les gestes mécaniques, répétitifs, presque trop automatiques mais toujours aussi précis, vus et revus avec l’expérience. La petite blonde à ses côtés, Clyde la connait par coeur au point même de n’avoir pas besoin de jeter un oeil à ses cernes creusées et son rictus faussement défaitiste lorsqu’un patient de plus quitte la pièce, laissant une odeur nauséabonde flotter dans l’air. Les jours passant, l’odorat du brun s’y est habitué, et pourtant, la vue est toujours aussi peu agréable lorsque les pustules se succèdent encore et encore sur leurs tables d’examen. Malgré leurs dos courbés et leurs soupirs, l’un comme l’autre ne quitterait son poste pour rien au monde - à part pour grapiller quelques instants de sommeil lorsque les autres daigneront se réveiller, ce qui ne risque pas d’arriver pour un moment encore.

Alors, vaillants, ils n’ont plus qu’à compter l’un sur l’autre pour supporter ce flux constant de patients qui semble ne jamais s’arrêter, et dont les conditions inquiétantes laissent planer tant de questions. “Si la prochaine personne qu'ils nous amènent a encore des pustules du genre je donne ma démis-” Il pourrait relever la remarque, si seulement il y croyait un instant - et le jour où il en doutera vraiment, ce sera lui qui ira la tirer par la peau du cou pour qu’elle revienne et ne songe pas une fois de plus à l’abandonner. “C'est une blague.” “Pas de démission, du coup?” L’air faussement amusé, il voit une énième patiente s’installer, couverte des mêmes pustules tandis qu’il se saisit d’un nouveau kit de matériel pour examiner ce qu’il a déjà bien trop vu et ne comprend pourtant toujours pas. Un instant plus tard, il s’éloigne de la patiente pour se saisir d’un nouveau tube de crème dont il connaît désormais l’odeur par cœur, et jette enfin un réel coup d’œil à Chloe. Ces cheveux d’or et ces grands yeux rieurs qui sont une des raisons qui le font tenir dans cet enfer, envers et contre tout, même s’il n’a jamais prononcé ces mots ailleurs que dans son esprit. “Tu veux faire une pause?” Quoi qu’il puisse faire pour elle, la question ne se pose pas un instant - il céderait sans hésiter. “Je gère celle-là si tu veux, vas prendre l’air.”

“Pas de démission, du coup?”
“Pas encore. Te réjouis pas trop vite.”  

Elle grognerait presque, la blonde, avant de lui tirer la langue dans un geste aussi enfantin que triste, nostalgique. Les heures à bosser aux côtés l'un de l'autre dans des circonstances bien moins extraordinaires se font rares, semblent si loin. Chloe avait appris tout ce qu'elle sait en compagnie de Clyde et l'inverse était toute aussi vraie. Pourtant aujourd'hui, c'est d'un ridicule de dire qu'ils savent à quoi ils sont confrontés. S'ils étaient les meilleurs de leur cursus, désormais ils ne sont que les plus à même de gratter la moindre ressource leur restant tant l'univers semble n'être devenu qu'une grosse blague. “Tu veux faire une pause?” il est doux Clyde, mais surtout il est catégorique. Il sait bien plus que quiconque que l'humour douteux de Chloe n'est là que pour pallier à tout ce que la médecin peut bien couver et ressasser, elle qui n'arrive plus à toucher du bout des doigts le moindre élément tangible dans toute cette situation. “Je gère celle-là si tu veux, vas prendre l’air.” “Je te laisse pas. On sortira après.” à son tour à elle, d'être intransigeante. Ils sont arrivés ici en équipe et ils feront tout comme tel. Les négociations ne servent à rien.

La patiente se laisse faire, la crème agit, les odeurs nauséabondes se mélangent et quand elle file par le couloir, Cohen est déjà à viser la machine à café. Ils ne quitteront pas le périmètre mais ils peuvent bien aller se prendre un truc réconfortant à boire, envahir la petite terrasse adjacente à l'aile des urgences le temps de souffler. “T'en penses quoi de tout ça? ” quand elle porte son gobelet rempli d'une infusion bouillante à ses lèvres, même pas qu'elle ne fronce des sourcils, qu'elle ne laisse aller autre chose qu'un soupir, bref, vif, las aussi. “On dirait que parfois je suis la seule à croire qu'on est juste dans un mauvais rêve.” si seulement.

“Pas encore. Te réjouis pas trop vite.” Il pourrait lui répéter encore et encore qu’il n’y a rien qui ne le réjouirait moins, mais il se contente de sourire à la vue de la langue tirée et des yeux plissés de la blonde, comme une ultime manière de prouver que tout va bien même si tout va mal, si mal. L’illusion ne dupe plus personne, surtout pas lui, et il entreprend de s’approcher de la patiente sans manquer d’essayer de renvoyer Chloe au loin, quelques instants, suffisamment pour qu’elle souffle et qu’il puisse la rejoindre ensuite et apercevoir ce joli sourire qui lui manquerait presque ces jours-ci. “Je te laisse pas. On sortira après.” La cause est déjà perdue, car si Clyde peut se montrer autoritaire, Chloe n’en est pas moins butée et il sait qu’il n’obtiendra rien d’elle qu’elle ne veuille consentir à lâcher. “D’accord.” Alors il étend les mains et entreprend d’étaler la crème sur ce qui constitue sûrement la millième pustule de la journée, avant que la patiente ne retrouve à son tour les couloirs de l’hôpital où elle attendra des heures durant, avec tous les autres, espérant que les médecins apportent plus de réponses à ces étranges maux.

Lorsque Chloe quitte la pièce et prend la direction de la salle de pause, il la suit par automatisme, poussant un soupir soulagé en enlevant une énième paire de gants ayant changé de couleur. “T'en penses quoi de tout ça?” Il ne l’a même pas vu se servir un nouveau gobelet brûlant, trop occupé à se poser quelques instants contre la porte et à se prendre la tête entre les mains comme si cela allait faire disparaître toute la fatigue accumulée qui commence à peser sur ses épaules. “J’en pense que j’espère que c’est pas ton dixième café, docteur.” Ils sont si bien placés pour savoir qu’ils ne font pas du bien à leurs corps ces jours-ci, quand bien même ils n’en ont plus vraiment le choix. Si ces paroles qui ne pourront convaincre personne, il se sert son septième ou huitième café, à lui, avant de se laisser aller contre la rambarde de la terrasse. “On dirait que parfois je suis la seule à croire qu'on est juste dans un mauvais rêve.” “J’aurais appelé ça un cauchemar plutôt qu’un mauvais rêve.” Pour autant, si beaucoup s’accordent à dire que plus rien ne tourne rond, personne n’arrive réellement à mettre le doigt sur la raison de ce déchaînement - certains parlent d’une malédiction, mais Clyde est trop cartésien pour y songer un seul instant. “Ça touche que Brisbane, donc je fais confiance aux biologistes pour trouver quelque chose dans l’eau, ou n’importe quoi qui pourrait expliquer ça.” Ça, les pustules et les piqûres de moustiques, car le brun n’a pas suffisamment vu le jour cette dernière semaine pour savoir que le fleuve s’est également teinté de sang, désormais. “Tu te sens de tenir jusqu’à ce matin?” Les insectes, le sang, tout cela importe peu à côté de Chloe, en réalité.

Elle n'abandonnera pas, jamais. Si l'idée de quitter l'hôpital tant l'épuisement la rend désillusionnée vient flirter avec son esprit quelques fois par semaine ces derniers temps, c'est absolument impensable qu'elle baisse les bras en sachant que Clyde a autant besoin d'elle qu'elle crèverait sans lui. Ils sont une équipe au point où chaque décision les impacte tous les deux, et ce serait insensé de croire qu'elle ferait le choix de lui laisser la gestion de toutes ces horreurs simplement pour égoïstement fermer les yeux une poignée de minutes de plus que lui. Impossible. “D’accord.” il ne s'obstine pas, sait très bien que contre elle il ne fait pas le poids. Elle l'assiste au mieux même s'il prend le relais, se charge de calmer la patiente avec sa voix éternellement posée, grave au point d'être réconfortante. Quand la dame quitte la petite salle d'examen qu'ils ont investie depuis autant de jours que de nuits, elle souffle enfin.

“J’en pense que j’espère que c’est pas ton dixième café, docteur.” “Mêle-toi de ta propre consommation de caféine, veux-tu.” les voilà café(s) en main, à inspirer l'air ambiant même si le vent est humide et que la brise laisse dans son sillage une odeur nauséabonde de souffre. Ses mains à Clyde, elles pressent avec insistance sur ses propres tempes. Le geste lui serre le coeur, à Chloe qui dégage un à un les doigts du jeune homme pour y apposer les siens sur sa peau, bien plus douce dans la manoeuvre. Elle égare un baiser sur son front, espérant ainsi stupidement aspirer ses mauvaises pensées et les noyer avec les siennes à elle. “J’aurais appelé ça un cauchemar plutôt qu’un mauvais rêve.” mauvais rêve ou cauchemar ; l'important serait qu'ils finissent par se réveiller et vite.

Clyde relativise, comme à son habitude. “Ça touche que Brisbane, donc je fais confiance aux biologistes pour trouver quelque chose dans l’eau, ou n’importe quoi qui pourrait expliquer ça.” Chloe elle, se contente de fermer les yeux, laissant sa tête lourde se caler contre l'épaule du médecin. “Tu te sens de tenir jusqu’à ce matin?” la question est légitime, elle tient à peine debout. Entre une inspiration et une autre, elle redresse le visage, hochant de la tête de la positive sans douter d'elle ni de lui. Elle a juste besoin de reprendre son souffle un peu, de retrouver son centre. “Après, on part.” et de penser à la suite, inévitablement. “On trouve un vol, un truc loin, où le quelque chose dans l'eau ne se rendra pas.” si elle se donne un plan de fuite, si elle s'assure d'avoir une porte de sortie avec lui, elle tiendra autant de temps qu'il faudra. “S'il-te-plaît?” autant mettre les arguments nécessaires de l'avant, en attendant de savoir à quand cette date là pourrait bien remonter.

“Mêle-toi de ta propre consommation de caféine, veux-tu.” Il aurait presque encore la force de lui tenir tête et de répliquer, mais lorsque la blonde vient poser les mains sur les siennes, toute tentative d’opposition s’effrite instantanément et il lâche les armes. Durant un instant, si court et si long à la fois, il profite du souffle de Chloe contre sa peau, de ses lèvres qui viennent se poser délicatement sur son front avant qu’elle ne prenne place à ses côtés, comme si la proximité de leurs corps pouvait les aider à tenir. Parfois, il aimerait hurler que ces moments-là lui sont nécessaires, vitaux, mais il n’a encore jamais osé prendre le risque de briser leur dynamique qui fonctionne si bien depuis tant d’années. Alors il se tait, profite du silence quelques secondes supplémentaires, avant que la réalité du mal que les entoure ne les rattrape. Lorsqu’il la voit dodeliner de la tête, il penche son visage vers le sien et ancre ses yeux dans celles de la blonde, comme pour lui rappeler que peu importe ce à quoi ils ont affaire, sa priorité reste d’être certain qu’elle tiendra, elle.

Son corps tressaille légèrement alors qu’elle se redresse et lui offre un hochement de tête qu’il accepte sans en être pleinement convaincu, mais qui suffira, pour l’instant du moins. “Après, on part.” Si l’attention du brun décline avec les heures, un sursaut de curiosité empli son regard qui ne lâche pas la blonde, tant qu’il peut encore profiter de cette vision plutôt de celles de tous les patients qui les attendent encore dehors. “On trouve un vol, un truc loin, où le quelque chose dans l'eau ne se rendra pas.” Il a entendu des bruits de couloir, des histoires de sang dans l’eau, mais n’a pas encore pris le temps de se pencher sur la question - et ce n’est pas maintenant qu’il le fera, alors que Chloe émet une idée qui illumine sa journée en quelques mots seulement. “S'il-te-plaît?” Comme si elle avait besoin de le supplier. “On part où tu veux.” La négociation n’est pas nécessaire, tant il a parfois brûlé de prononcer ces paroles lui-même sans jamais oser, ne voulant pas poser les pieds sur un terrain incertain. Ils sont collègues, amis, et sans doute plus après tant d’années, mais Clyde sait d’avance qu’il se trahirait bien trop facilement s’il se laissait parfois aller à se montrer totalement honnête avec Chloe, et il ne veut prendre le risque de perdre ce qu’ils ont. “Tant qu’il y a du bon café et du vin encore meilleur.” Ou tant qu’elle est là, tout simplement, mais ça, il oublie de le préciser. “Tu te demandes si parfois t’aurais fait autre chose? Un boulot qui donnerait l’impression d’avoir une vie, en dehors de tout ça?” Lui se le demande, et même bien trop souvent dernièrement.

“On part où tu veux.” de la musique à ses oreilles. Pendant une seconde une seule, elle s'en veut cruellement Chloe. D'avoir cru que Clyde ne voudra pas partir avec elle, d'avoir douté que leur duo soit officiellement fait pour tenir la route et pas seulement devant une infinité de malades à soigner et de pustules à enrayer. “J'ai toujours rêvé de voir l'Espagne.” alors elle recommence à rêver, laissant ses doigts composer des mélodies inventées sur l'avant-bras du médecin. “Tant qu’il y a du bon café et du vin encore meilleur.” “Le vin ça c'est couvert. Le café je suis pas sûre par contre. Faudra tester.” en Espagne, ils pourraient garder leur tradition de regarder le soleil se lever, encore, de façon bien moins tragique qu'ici. Là-bas, ils le feraient blottis contre les rambardes des rues en dédales de milliers de couleurs, là où il n'y aurait que leur monde à deux sans sinistres inexplicables à enrayer à bout de bras.

L'air empeste, elle commence à avoir mal à la tête mais n'en montre rien. Il s'inquiète déjà trop pour elle qu'elle pense, Chloe altruiste. “Tu te demandes si parfois t’aurais fait autre chose? Un boulot qui donnerait l’impression d’avoir une vie, en dehors de tout ça?” “Oui.” sa réponse vient vite, elle est presque horrifiée d'être si empressée de lui dire la vérité. “Oui je me le demande. Mais je finis toujours par me dire que c'est pas qu'un boulot. C'est une vocation.” elle est née pour soigner les autres, elle a grandi avec la seule envie de sauver des vies par dizaines. Même si de nos jours, c'est sa vie qui mériterait d'être sauvée. “Mais ça voudrait dire que je bosserais plus avec toi. C'est ça le vrai drame.” elle laisse échapper un rire, Chloe qui au final a enlacé ses doigts à ceux de Clyde de la plus naturelle des impulsions. “Tu voulais faire quoi, quand t'étais gamin?” autant rêver pour vrai, encore un peu.

Justqu'à ce que ça ne soit plus possible. “T'as entendu?” c'était un cri, bel et bien un cri de terreur. N'est-ce pas? Ou alors, elle a halluciné, le vent lui jouant de mauvais tours.

“J'ai toujours rêvé de voir l'Espagne.” Et lui rêve de bien d’autre chose, mais l’Espagne en sa compagnie est la meilleure alternative qu’il puisse imaginer, c’est certain. “Le vin ça c'est couvert. Le café je suis pas sûre par contre. Faudra tester.” Avec elle, il serait prêt à tester les pires cafés s’il le fallait - ou même à abandonner les cafés, puisque la quantité astronomique qu’il a avalé dernièrement est amplement suffisante pour le restant de sa vie. “On prend des billets pour dimanche?” Comme s’ils allaient être sortis de cet enfer d’ici-là, comme si la simple volonté de s’échapper loin de tout ça suffirait à réduire à néant toutes les interrogations qui s’imposent à eux. “Des billets échangeables, qu’on pourra repousser.” Et ils risquaient sûrement de les repousser encore et encore, vu la vitesse réduite à laquelle la compréhension des évènements avançait, mais l’idée même d’avoir un plan futur les aiderait peut-être à se projeter au-delà de cette nuit et de la prochaine, interminables. Clyde y voyait là la raison de redoubler de volonté et d’efforts quant à l’étude de ces maladies qui avaient poussé comme des champignons du jour au lendemain sur toute la surface de la ville.

A défaut d’être déjà sur les plages espagnoles, qui apparaissent encore si lointaines, Clyde se laisse aller à imaginer ce qu’ils feraient, s’ils n’étaient pas là, pas embourbés dans cette impasse effrayante. “Oui je me le demande. Mais je finis toujours par me dire que c'est pas qu'un boulot. C'est une vocation.” Le brun hoche la tête, parce qu’au fond ses mots seraient les mêmes - si être médecin n’était pas sa vocation, il n’aurait jamais eu la moindre intention de parcourir la moitié du globe pour aller se foutre dans un merdier pareil. “Mais ça voudrait dire que je bosserais plus avec toi. C'est ça le vrai drame.” Partagé entre le rire et le sérieux, il laisse ses éclats amusés se joindre à ceux de Chloe, tandis que ses yeux se posent sur les doigts enlacés. Ça ne veut sans doute rien dire, mais pourtant il se plaît quelques instants supplémentaires à apprécier le contact de leurs peaux rafraîchies par l’air de la nuit. “J’aurais pas dit mieux, un vrai drame.” Il plaisante, hausse un peu les épaules comme pour se donner une contenance et maintenir l’illusion que la plaisanterie prend le pas sur le reste. “Tu voulais faire quoi, quand t'étais gamin?” Un sourire empreint de nostalgie étire les lèvres du médecin qui relève les yeux alors qu’une légère brise vient balayer les mèches blondes qu’il replace délicatement sur les joues de la jeune femme. “Pompier, astronaute, les classiques tu sais.”

Il s’apprête à se redresser lorsque Chloe tressaille avant lui et se retourne vers la nuit noire, dans laquelle elle a saisi le même cri de terreur que lui. “T'as entendu?” “Oui, ça vient de là je crois.” Sans réfléchir plus longtemps, il s’écarte de la blonde pour longer la terrasse et se retrouver nez à nez avec une femme, les yeux fixés en l’air et le regard livide, qui lui pointe alors du doigt le pauvre malheureux juché sur la rembarde de l’étage suivant, un pied déjà dans le vide et les yeux rivés sur le seul quatre étages plus bas. De quoi s’amocher en tomber, ou pire, mais Clyde s’y refuse pour l’instant - hors de question de se rajouter un cas désespéré de plus, pas avec tout ce qui les attend. Les mots fusent vers Chloe, clair, précis, autoritaires. “Je monte, va chercher quelqu’un.” Des deux, il n’est probablement pas le plus doux, mais il est le plus à même de contenir physiquement cet homme, s’il arrive à lui mettre le doigt dessus. Sans perdre de temps, il s’engouffre dans les escaliers, espérant quand même que Chloe le suive de près.

Il ne lui faut que quelques instants pour se retrouver à deux mètres de l’homme, qui fait mine de se pencher encore plus alors qu’il s’approche. Alors, il lui intime de rester calme, les mains tendues pour lui prouver qu’il n’est là que pour l’aider, rien d’autre. “Elle est morte…” Et là, soudain, le regard de Clyde s’éclaire en reconnaissant l’inconnu, arrivé la veille en compagnie de sa femme, qui n’a pas passé la nuit, trop atteinte par les centaines de piqûres criblant son corps. Quelques secondes durant, le brun hésite, désemparé face à tant de douleur qu’il n’ose même pas imaginer. Y a-t-il vraiment des arguments réconfortants face à la perte de l’être aimé?

Il rêvait d'être pompier, d'être astronaute, et ils partiront pour l'Espagne dimanche. À défaut d'être en mesure de se rattacher à quoi que ce soit d'autre d'un quotidien chaotique qu'elle ne s'explique pas, Chloe se rattache à des détails qui lui permettent d'apprendre à mieux connaître celui qu'elle croyait à tort connaître par coeur. Elle en a pleins d'autres, des questions pour Clyde. Sa couleur préférée, l'aliment qu'il déteste le plus. La chanson qu'il écoute en boucle dans sa voiture jusqu'à la chanter à tue-tête, s'il est du genre à chanter à tue-tête quand il est seul d'ailleurs. Elle a les lèvres qui brûlent d'interrogations toutes plus naïves, niaises et superficielles possible, elle a la joue qui bouille du fantôme du contact des doigts de Clyde venus une seconde plus tôt.

“T'as entendu?”
“Oui, ça vient de là je crois.”

Puis, rien ne va plus. C'est bien sûr le moment de revenir au pourquoi du comment, c'est évidemment la fin de la pause, des quelques minutes d'humanité qu'ils ont réussi à se gratter avant de finir par devoir retourner là où le devoir les appelle. Là d'où ils ne se déroberaient jamais malgré l'épuisement qui les accable. “Je monte, va chercher quelqu’un.” “Fais pas de conneries.” qu'elle le supplie, murmurant à son oreille les prunelles horrifiées dédiées à la silhouette qu'elle voit là-haut, trop haut. Elle embrasse sa tempe aussi, énième geste de réconfort, avant de partir de son côté quand lui file du sien.

Elle cherche la sécurité à l'intérieur Chloe, elle cherche qui que ce soit pouvant venir prêter mains fortes. Elle cherche des explications à la crise de l'homme mais aussi à la crise du monde en général. Quelle imbécile de croire qu'elle arrivera à tout expliquer, elle qui est si cartésienne, si logique d'habitude. Quand elle passe devant une chambre tragiquement vide par contre, les fils se touchent et les informatisons se complètent. Il est le mari. Il est l'âme en peine qui est restée au chevet de sa femme pendant des heures de temps, à la voir et à l'entendre souffrir. Il aurait tout donné sa vie en premier pour elle ; et elle, elle s'en est allée. “Elle était en paix, quand elle est partie.” la voilà qui est montée sur le toit, Chloe et sa voix douce, Chloe et ses gestes si lents. Il a mal, il souffre, elle tente le tout pour le tout en choisissant des instants de douceur à travers sa noirceur à lui. “Elle ne voudrait pas que vous alliez la rejoindre ainsi. Quittez le bord, revenez vers nous.” Cohen qui parle pour la patiente, Cohen qui parle pour sa femme. Elle est à la hauteur de Clyde maintenant, ils font front. La suite l'effraie plus qu'encore qu'il y a une poignée de minutes pourtant.



je suis horrible je décide du sort du gars au dé sérieux mon condo en enfer va avoir une vue sur le mordor

EDIT : DAMMIT CATH

WIN : il est convaincu, il quitte le bord de l'immeuble mais fond en larmes dans les bras de clyde #bromance
SO CLOSE : il hésite, décide de ne pas sauter mais ses lacets se prennent dans la rambarde et le voilà tête dans le vide suspendu par ses chaussures
FAIL : bon ben finalement le speech de chloe a servi à rien et je me sens déjà horrible je dirai pas qu'il saute et qu'il meurt ah fuck je l'ai dit

Clyde a voulu croire que Chloe pouvait l’éloigner une seconde supplémentaire de la dureté de la vie qui les entoure, de la maladie et de la mort, et pourtant l’instant prend fin si subitement qu’il en oublie presque les idées vers lesquelles son esprit s’est laissé à vagabonder. “Fais pas de conneries.” Si l’instant était moins pressant et qu’un homme ne se tenait pas au bord du précipice, il prendrait peut-être deux millièmes de seconde supplémentaires pour lui répondre par un mot ou geste de réconfort, mais déjà son esprit est avec cet inconnu, en haut, si haut, vers lequel il s’élance sans jeter un seul regard en arrière.

Et alors même qu’il perd ses mots, Chloe apparaît de nouveau à ses côtés, signe peut-être que la douceur de la blonde serait une solution à cette situation comme à tant d’autres. “Elle était en paix, quand elle est partie.” Si Clyde a mis quelques instants à faire le lien entre cet homme et la femme décédée dans la nuit, il n’est même étonnée que Chloe l’ait reconnu instantanément, elle. Derrière son professionnalisme qu’il n’oserait jamais remettre en question se cache une profonde bienveillance et un intérêt non feint pour le moindre de ses patients, ce dont il aimerait parfois la libérer, pourtant. A trop prendre sur elle, elle se plombe et porte un poids bien trop lourd pour ses épaules frêles, et pourtant cela pourrait sans doute les sauver maintenant. Le sauver, cet homme dont le regard se perd sur le sol froid, qui vacille entre Chloe et la fin, sa fin, qui ne semble être désormais que sa seule et maigre consolation. “Elle ne voudrait pas que vous alliez la rejoindre ainsi. Quittez le bord, revenez vers nous.” Clyde se tait, car il n’aurait pas dit mieux - s’il a l’habitude des patients entre la vie et la mort, il n’a jamais vu d’aussi près un vivant prêt à passer lui-même la frontière, en un claquement de doigts.

Et ce claquement, c’est tout ce qu’il faut à cet homme pour leur jeter un dernier regard, comme une excuse jamais prononcée de son acte et de ses conséquences irrémédiables, alors qu’il se laisse tomber de l’autre côté. Les yeux de Clyde le suivent une demi-seconde, le temps de saisir ce dont il est réellement témoin et qu’il a failli à empêcher - il ne l’a pas tué, mais c’est tout comme. “Non!” Un cri de rage s’échappe tandis qu’il fixe Chloe, dans l’urgence encore et toujours, paniqué et pourtant bien conscient de ce qu’il leur reste vraiment à faire. C’est trop tard, il le sait, mais son devoir lui intime une fois de plus de se presser auprès de ceux dans le besoin, au cas-où, juste au cas-où l’image qui vient de défiler devant ses yeux ne soit qu’un mauvais rêve lui aussi. “J’aurais dû l’attraper et l’en empêcher, putain!” Il jure comme jamais, et pourtant, cela ne l’empêche pas de faire le chemin inverse sans attendre, avant de se retrouver devant le corps inerte de celui qui le fixait encore quelques secondes plus tôt. Une éternité plus tôt.

just so you know:

“Non!” elle détourne la tête, pauvre petite lâche, cachant ses yeux au creux de la nuque de Clyde sans jamais arriver à réaliser à quel point la scène est autant réaliste qu'elle en est horrible. Le son, le bruit, l'horrible craquement du corps tombant au sol des étages plus bas serre son cœur au point où du bout des doigts elle serre le saros du brun sans jamais arriver à reprendre un rythme de respiration normal. Surtout pas quand il se dérobe et quand il descend à son tour, quand jamais au grand jamais elle ne le laisserait partir sans agir comme une ombre à sa suite. “J’aurais dû l’attraper et l’en empêcher, putain!” elle déteste ça, elle déteste tout dans cette scène. Elle déteste qu'il se mette la pression comme elle déteste qu'il soit aux côtés du corps inerte de celui qu’elle a tenté sans succès de sauver. C’est sa faute à elle et rien qu’à elle, et Chloe en prendra éternellement le blâme, chaque jour qui viendront à commencer par celui-ci.

“Clyde…” par contre, là de suite, le cadavre à la tête éclatée à leurs pieds est tragiquement tout sauf sa priorité Le médecin ne tourne pas de suite la tête vers elle, ou alors elle est trop pressée, elle anticipe à tort. Quand sa paume se resserre autour du bras de Wakefield, elle ne met pas le moindre effort supplémentaire pour calmer sa voix ; elle panique, voilà. “CLYDE!” elle crie pour attirer son attention, mais Cohen n’est pas celle qu’il devrait regarder. Ce qu’il devrait voir, c’est ce qu’elle pointe de l’index, horrifiée et prête à courir pour sa vie, pour la leur. Droit devant se tient une immense et horrible nuée de taons et de sauterelles. Leurs bourdonnements arrivent bien plus fort, bien trop fort, près d’eux, à en devenir un acouphène de plus qu’elle aurait bien oublier en plus du reste. L’Espagne, oh qu’elle en rêve en l’instant.

“Le parking intérieur, vite!” elle ne lâchera pas sa main, même sous la torture. Mais au cas où, au cas où ils se perdent dans la course poursuite, c’est là où elle sera et c’est là où ils doivent aller, pour être en sécurité. Et la voilà qui lance la course, l’adrénaline lui promettant qu’elle tiendra le prochain sprint malgré le fait qu’elle tient à peine debout. Pour elle mais bien sûr pour eux.

A cet instant-là, tout son corps est anesthésié par le regret, la colère et la douleur qui s’emparent de lui devant la vision de l’homme échoué plusieurs étages plus bas, sous ses yeux de lâche qui n’ont su que regarder la scène sans l’en empêcher. Il ne sent même pas les doigts de Chloe qui se posent sur sa peau, sa tête qui se niche dans le creux de son épaule, comme si tout ce qui faisait sens à ses yeux quelques instants plus tôt s’était envolé tel un écran de fumée. Il a failli à la plus basique de ses missions, et son cerveau lui répète encore et encore qu’il est trop tard, que le corps de l’homme à côté de lequel il vient de s’agenouiller est parti, qu’il n’y a plus rien à faire quand bien même il voudrait rembobiner la boucle pour tout faire autrement.

“Clyde…” Les mots ont un écho lointain qui n’arrive même pas jusqu’à lui. Il aime l’écouter, Chloe, pire, il l’aime - mais rien de ce qu’elle pourrait dire ne l’apaiserait réellement à cet instant. “CLYDE!” Et c’est seulement la panique dans sa voix et son contact qui se resserre sur son bras qui le tirent de sa torpeur, tandis qu’il relève des yeux fatigués de tant de douleur vers elle, avant de détourner son attention vers ce qu’elle pointe du doigt. Des taons, des sauterelles, tout ce qu’il entendu maintes et maintes fois dans la bouche de ses patients, tandis qu’il se pensait naïvement épargné. Parce que lui, il sauve des vies, il n’a pas à courir pour la sienne - et pourtant, il attrape la main que Chloe lui tend fermement et la suit sans même se poser de question. “Le parking intérieur, vite!” Tout va vite, trop vite, les émotions et les visions se bousculent sans qu’il ne sache plus lesquelles devraient avoir la priorité dans sa tête. Alors à défaut, il court, s'agrippe à la main de Chloe dont l’importance est presque devenue vitale désormais, tourne à droite puis à gauche dans sa suite, avant d’apercevoir enfin la portée floquée de l’inscription qu’il n’a jamais été aussi soulagé de retrouver.

bienvenue en enfer:

Elle est à bout de souffle, Chloe. Elle sent ses poumons se serrer contre sa poitrine, elle sent son cœur battre contre ses tempes. Elle n’arrive plus à entendre convenablement, tant le bourdonnement incessant des insectes et autres nuées de moustiques derrière eux sert d’horrible acouphène pour elle. L’Espagne semble encore plus loin, quand ironiquement ils se retrouvent à fuir dans la bonne direction in a way. Le stationnement là où sa voiture se trouve, le stationnement où ce serait si simple de grimper dans le véhicule et de détaler le plus loin possible. Le bout du monde rien que ça – conduire jusqu’à ce qu’ils n’aient plus d’essence, ne jamais s’arrêter sauf lorsqu’ils seront forcés.

“Viens, viens, viens! ” il la laisse passer la première mais jamais ses mains ne quittent les avant-bras du médecin, entraînant Clyde de toutes ses forces à sa suite dans l’immense structure de béton surplombée par l’hôpital. Lorsque la porte de métal se referme lourdement derrière eux et que les moustiques s’y attaquent par centaines sans jamais n’arriver à entrer, elle souffle Chloe. Sa silhouette s’appuie sur la froideur du matériel, elle se laisse glisser contre jusqu’à se poser au sol, défaite, démunie, vidée, encore plus qu’elle ne l’a jamais été. Comme elle se déteste, la blonde. De ne pas avoir eu les bons mots pour l’homme en deuil, de ne pas être assez forte maintenant comme plus tôt. De porter le poids du monde en entier sur ses épaules comme si elle en était autant la faute que la conséquence. À l’intérieur et au-dessus de leurs têtes, les malades doivent être multipliés. Pourtant quand elle tend le bras et attrape à nouveau la main de Clyde dans la sienne, elle n’a absolument plus l’intention de bouger. Ou alors elle ne pense qu’à ça. “Demande-le moi encore.” elle ne le laissera pas prendre la décision, pas en plus de ce qu’il vient de voir. Les yeux de Chloe s’ancrent à ceux de Clyde, elle supplie dans un soupir. “Encore une fois.” qu’il lui demande si elle a besoin d’arrêter, qu’il lui demande si elle veut partir. Qu’il lui demande si elle est prête à abandonner, qu’il lui demande si elle a assez donné. Ses doigts se resserrent un peu plus entre ceux de Wakefield, elle lutte pour ne pas baisser les yeux dans l’attente. C’est décidé et c’est trop – c’est décidé et elle est nocive ici.

WIN : une ambulance les interrompt, ce sont des médecins et des ambulanciers qui les encouragent en vitesse à grimper dans le véhicule avec eux pour aller porter mains fortes sur les côtes de la ville là où y’a des tas d’australiens attaqués
SO CLOSE : Chloe réalise qu’elle n’a pas ses clés avec elle et que même si elle veut partir ils vont devoir être un peu plus créatifs que ça pour piquer une des voitures sur le parking et prendre la fuite
FAIL : pas de fuite possible, les voilà qui remarquent que des nuées d’insectes se sont faufilés par les trappes d’aération du stationnement et les visent de nouveau #letsrunnnnnnn