| Time passes slowly on the road [Lou&Jo] |
| | (#)Dim 8 Nov 2020 - 2:02 | |
| « Jo, va chercher Lou. » « Quoi ? » « Va chercher Lou ! » « Mais pourquoi ? J’suis pas son chauffeur. » « On s’en fiche, t’es le seul disponible. Y’a un mec qui nous a menacé, tu comprends ça ? » « Ouais, ouais. Et c’est encore moi qui dois faire le sale boulot. » « Le sale boulot ? Protéger notre boss ? » « … » « Prends les clefs de la bagnole, va la chercher. Elle est au théâtre, ce soir. » « Notre boss est une amatrice de théâtre ? J’savais pas. » « La ferme et prends les stupides clefs. » « Okay, okay, c’bon, j’ai compris, j’ai des oreilles. »
Grommelant quelques insultes dans sa barbe, Joseph tend sa main vers l’avant, paume ouverte, pour accueillir le trousseau de clef. Il avait bien dit à Lou qu’il se tiendrait loin des hostilités et voilà qu’il doit jouer un rôle on ne peut plus important dans toute cette histoires de menaces et de rancune. Il n’aurait pas dû pointer le bout de son nez à la salle de bowling, ce soir. Il est encore tombé au mauvais moment. Certes, il a vu l’hostilité et les flammes dans le regard du fou furieux qui s’est pointé ce soir au quartier général pour pointer du doigt la ruche. Il a compris qu’il ne s’agissait pas là de simples plaisanteries à prendre à la légère : il est de retour dans un gang et il ne pourra jamais se passer de violence. Il vend de la drogue, pas des croquettes pour chien. Mais quelle idée qu’il a eue. Ce n’est pas Lou le problème, c’est lui-même qui n’a pas réfléchi assez longtemps avant de lui serrer la main. Mais à quoi s’attendait-il ? Probablement pas à aller chercher sa patronne au théâtre un jeudi soir. Il a un peu l’impression de jouer le rôle de babysitter, là. Il aurait dû s’enfuir en courant dès lors que la tension a monté en flèche dans la salle principale. Les clefs de la voiture auraient été refilées à un autre pantin. Lui, il aurait pu rentrer chez lui et ne jamais apprendre que Lou passe ses soirées au théâtre. Elle cache définitivement plus de trucs qu’il ne pensait.
« Ne la ramène pas ici. » « Attends, j’la ramène où ? » « Pas ici, ni chez elle. » « J’sais pas elle habite où. » « Ramène-la n’importe où, loin de la ville. Faites-vous discrets pour la nuit, le temps qu’on fasse comprendre au Club qu’on veut pas voir leur larbins ici. » « J’dois passer la nuit avec elle ?! » « MAIS TA GUEULE ET CONDUIS ! »
La dernière parole crachée s’accompagne d’un coup dans la portière et, rapidement, Joseph démarre la voiture. Son moteur vibre en dessous de ses fesses et il appuie sur l’accélérateur. Il marmonne encore quelques jurons en jetant un coup d’œil dans le rétroviseur et il s’élance sur la route en direction du théâtre. En chemin, il envoie un message à Deborah pour l’avertir qu’il ne reviendra pas pour la nuit. Il a d’autres plans, il paraît. Des plans qui sauront les ravir, lui et Lou. Il est déjà impatient de voir sa gueule quand elle comprendra qu’elle doit l’obéir et le suivre jusque dans la voiture pour aller on ne sait où. La nuit s’annonce mouvementée.
Il arrive sur les lieux une vingtaine de minutes plus tard. Il a garé la bagnole sur la rue parallèle à celle du théâtre en priant qu’aucun policier ne passe pas là pour réaliser qu’une voiture se trouve sur un parking interdit. D’un pas rapide, il se dirige vers le grand établissement prestigieux, mains dans les poches, et il comprend rapidement, à la vue de quelques personnes présentes dans le hall d’entrée, qu’il n’est pas du tout vêtu pour l’occasion. Il ressemble à un poulet au milieu d’une bande de manchots. Tant pis, Lou le distinguera mieux à travers la foule. La pièce semble s’être terminée seulement quelques minutes plutôt alors quelques silhouettes sortent des portes ouvertes. Un brouhaha constant s’élève dans la salle et Joseph y pénètre en gardant la tête baissée pour ne pas attirer trop les regards. Il se met à analyser tous les visages présents mais il soupire en comprenant qu’il lui faudrait un énorme coup de chance pour trouver la femme qu’il recherche avant que le jour ne se lève.
Et pourtant.
Son regard traverse la scène une seule seconde et il la voit. Accompagnée du reste de la troupe de théâtre, elle s’incline devant le public impressionné. Trop longtemps, il louche sur elle sans bouger le moindre poil. Quoi ? Ne me dites pas que… « Bravo ! Bravo ! » S’exclame une femme à sa droite, applaudissant comme si sa vie en dépendait. Ce n’est pas vrai. Sa patronne, redoutable hamster du milieu criminel, mène à côté une vie d’actrice. Et, si Joseph en croit ses yeux, elle est vêtue comme une bonne. S’il n’avait pas été là pour lui sauver le cul, il aurait probablement éclaté de rire. Malheureusement, le travaille l’attend.
Il attend que la salle devienne moins bruyante et que les yeux se détachent de la scène pour s’approcher de celle-ci. Tous les acteurs ont disparu : ils sont certainement dans les coulisses. Seulement, Joseph est assez lucide pour comprendre qu’il n’a pas la permission d’entrer là. Tant pis. Il fera un autre truc illégal ce soir. Ça n’ajoutera qu’un minuscule point dans sa longue liste. « LOU ? » Il lance clairement lorsqu’il se retrouve derrière un groupe d’artistes qui rient ensemble, qui se félicitent, qui se câlinent. Plusieurs têtes surprises se tournent vers lui et une main nerveuse pointe la concernée, occupée à retirer son maquillage blanc devant le miroir. D’un pas rapide, Joseph la rejoint en ignorant tous les murmures qui se disent autour de lui. La sécurité ne tardera pas à venir, il le sait. Il doit faire vite. « Lou, prends tes trucs. Seulement les trucs importants. J’dois t’amener. » Il marque une pause, grimace devant sa moue étonnée, et la relance : « Dépêche-toi, je ne pourrai pas t’sauver si la sécurité viens m’botter l’cul. » @Lou Aberline |
| | | | (#)Sam 14 Nov 2020 - 15:27 | |
| | | ► TIME PASSES SLOWLY
Like the red rose of summer that blooms in the day Time passes slowly and fades away
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« Profite-en pour nettoyer le sang sur tes chaussures. » Et bam. Elle avait senti la vibration du claquement de la porte se transmettre de mur en mur jusqu’à la salle de bains où elle s’était réfugiée. Elle avait immédiatement compris que non seulement Finnley était parti pour le reste de la journée et que leur soirée film était annulée, mais aussi que toutes les autres à l’avenir le seraient également ; parce qu’il ne reviendrait pas. Et il ne revint pas. Lou, entre deux hoquets d’un chagrin terrassant, avait baissé les yeux sur ses chaussures et découvert les tâches de sang séchées sur celles-ci. Bam. L’écho du coup de feu retentit au fond de sa tête, puis le craquement de la boîte crânienne du dealer du Club qui venait de recevoir la balle entre les yeux, le son des giclées d'hémoglobine -dont ces petites gouttes qui vinrent se déposer là, sur ses pieds. Pourtant le meurtre de ce moins que rien à la solde de son ennemi de la peinait pas le moins du monde. Finnley était parti, et là se trouvait le véritable drame. Il lui avait tourné le dos, et désormais une main sombre s’était posée sur l’épaule de la jeune femme pour l’attirer un peu plus vers des démons bien connus.
« Profite-en pour nettoyer le sang sur tes chaussures. » Il y en aura d’autres, des morts. Elle devait s’y faire. Tout le monde devait s’y faire. La petite brune avait la ferme intention de gagner cette guerre. Elle pensait se foutre royalement du prix à payer pour arriver à ses fins, mais elle n’avait jamais songé perdre Finn dans le processus. Il avait levé l’ancre et elle était partie à la dérive. Et le sang sur ses mains, hein ? Comment pouvait-elle l’enlever ? Son regard vide se perdait sur son reflet flou tandis que ses doigts se frictionnaient sous l’eau du lavabo. Elle planait bien bas, Lou, après ce trait qu’elle s’était envoyé dans le nez sur ce même rebord immaculé. Elle frottait nerveusement, bien qu’il n’y ait plus une bulle de savon depuis longtemps. “Lou ?...” Si elle avait dit toute la vérité à Finn, il serait parti de toute manière. Dire qu’elle était passée à côté de la chance de faire payer à Raelyn. Elle avait dû la buter, et tant pis pour Amos. Putain d’Amos. “Lou…” Elle dormait si peu, trop peu. Elle gérait la Ruche et sa croissance, elle gardait un oeil sur le bowling, elle était au théâtre le soir. Elle tirait sur la corde. Elle n’avait jamais eu les nerfs pour tout cela. “Lou ! Bordel tu te bouges le cul ? C’est l’heure !” La jeune femme s’étouffa dans un sursaut. Ah, oui, elle montait sur scène ce soir. Son reflet lui renvoyait ses lèvres rouges, sa perruque frisée, son col claudine ; l’avantage du théâtre, c’était qu’être Magenta lui permettait de ne plus être Lou durant deux heures. C’était sa bulle. Son refuge.
Elle terminait le show avec ce costume matelassé DYI d’Alien du dimanche, mouillée par les batailles d’eau, un peu de riz dans les cheveux, des serpentins, du rouge à lèvres bavant jusqu’à la joue. Essoufflée, revigorée ; le Rocky Horror Picture Show était assez physique, mouvementé, extatique de seconde en seconde. Mais elle pouvait y danser, y chanter, y rire et s’y retrouver. A la fin du film, le couloir des loges était son autoroute des ventes ; toute la troupe se fournissait auprès de la Ruche -auprès d’elle. Il n’était pas rare qu’une seule soirée lui rapporte deux mille dollars. Les abeilles ne dormaient pas. La moue à moitié démaquillée, les cheveux couverts d’un filet, Lou entendit son nom résonner au loin. En relevant les yeux, elle aperçut Joseph et le maudit immédiatement. A quel point allait-il encore l’embarrasser, cette fois ? Elle lâcha un soupir et reprit le nettoyage de son maquillage d’un air las. Le brun, lui, paraissait à deux doigts de tomber dans les pommes devant tout le monde tant il était agité et paniqué. “M’amener où ?” elle demanda, ôtant le rouge de sa bouche avec une nouvelle lingette. Le maquillage était si épais qu’elle pouvait en user une demi-douzaine pour chaque représentation. Nul besoin de vérifier les alentours pour deviner que toute la troupe les observait avec curiosité. Cependant, personne n’osait tendre l’oreille ; tous savaient dans quoi leur amie trempait, et personne ne voulait être celui qui en savait trop. “La sécurité ? s’étonna Lou, lâchant un petit rire ironique. La sécurité bosse pour moi, triple buse. Ils te feront rien du tout.” Du moins, pas tant qu’il lui restait de la patience en réserve et qu’elle n’en décidait pas autrement. Une fois son visage nettoyé, la jeune femme retira le filet qui maintenait ses cheveux sous sa perruque et les laissa tomber sur ses épaules. Elle devait encore se changer ; hors de question d’aller où que ce soit dans un accoutrement ressemblant à une couverture de survie. “D’abord tu me réponds. Tu veux m’amener où ? Et pourquoi ?” fit-elle en croisant les bras. Connaissant Joseph, il était certainement en train de chouiner pour trois fois rien et il allait à nouveau lui faire perdre son temps. Après tout, c’était ce qu’il savait faire de mieux.
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| | | | (#)Mar 17 Nov 2020 - 4:37 | |
| Dans une cage à requins au fond de la mer, perché dans le haut d’un volcan en éruption, pendu par les pieds à un arbre, en plein milieu d’un examen de la prostate : plein de situations dans lesquelles Joseph préférerait se trouver en ce moment. Sa patronne, cela faisait des semaines qu’il arrivait à l’éviter de justesse à chaque fois qu’elle ramenait son cul au salon de bowling. Il faisait son travail dans son coin et jamais il n’a entendu une remarque, un reproche ou un commentaire de sa part. Il était la petite abeille discrète mais fructueuse, ramenant argent et clients dans la ruche et repartant avec sa petite enveloppe contenant sa part du marché. La seule chose qui pouvait le consoler, c’était de savoir qu’il pouvait maintenant se payer de quoi vivre comme un être humain normal. Trois repas par jour (même s’il n’en mange jamais plus de deux, son estomac étant devenu trop petit ou trop plein de drogues), quelques nouvelles fringues sans trous, une paire de godasses plutôt stylée et le dentifrice qui non seulement rafraîchie l’haleine mais qui combat aussi le tartre : c’est ce qu’on appelle du grand luxe.
Il ne s’attendait pas à ce que Lou l’accueille à bras ouverts même s’ils se trouvent en public, entourés de dizaines d’acteurs tout aussi déguisés et maquillés qu’elle. L’ambiance s’apprêtait au jeu avant que Joseph ne fasse son apparition dans les coulisses et, depuis, une sorte de silence désagréable flotte dans la salle bordélique. Perruques et accessoires jonchent le sol, le garçon doit les enjamber pour se frayer un chemin jusqu’à sa patronne qui préfère reposer son attention sur son reflet dans le miroir. “M’amener où ?” Poings serrés, il se pose derrière elle pour la regarder dans les yeux à travers la glace. Si c’est lui qui est venu la chercher, elle devrait bien comprendre qu’il n’est pas venu pour la reconduire chez elle tel un vaillant chevalier. S’il est là, c’est parce que le danger pourrait être en train de la guetter en ce moment même. « Sur la route. » C’est la seule réponse qu’il peut donner sans révéler au reste de la troupe qu’il s’agit-là d’une opération sauvetage. Il sent que beaucoup de yeux curieux sont rivés vers lui et que ces derniers pourraient lire le mouvement de ses lèvres même s’il murmure l’interdit. Il n’est pas confortable, ici, et il lève légèrement le ton pour faire comprendre à Lou qu’elle doit l’écouter au moins une fois dans sa vie. Le maquillage figé sur son visage pourra attendre plus tard. “La sécurité ? La sécurité bosse pour moi, triple buse. Ils te feront rien du tout.” Levant les yeux au ciel, il siffle : « Excuse-moi, patronne, de ne pas être au courant pour cette deuxième vie palpitante que tu mènes. » Il a été surpris d’apprendre qu’il la trouverait au théâtre et l’a été encore plus quand il l’a découvert debout sur la scène. Si on lui avait demandé de deviner quel genre de passe-temps pratique la jeune femme quand elle n’est pas occupée à jouer les reines, il aurait plutôt misé sur la taxidermie. “D’abord tu me réponds. Tu veux m’amener où ? Et pourquoi ?” La douleur dans sa mâchoire se fait de plus en plus désagréable tandis que ses dents se serrent davantage. Il pourrait presque les entendre craquer sous la pression. Ses yeux lancent des éclairs, il les ouvre grands comme des melons, lèvres pincées, puis il souffle : « Y’a un mec qui a menacé d’te tuer. Ça te va comme réponse ? T’arriveras à me suivre, là, chérie ? » Il n’ose pas regarder autour d’eux, conscient que les visages sont encore tournés en leur direction. Ils sont le centre d’attention, après tout ; au milieu de ces costumes colorés et de ces rouges à lèvre excentrique, il n’y a que Joseph qui fait tache dans le décor. « On m’a dit de t’amener en dehors de la ville. Ce sera une balade en voiture qui t’sauvera peut-être la vie. Alors prends tes putains d’affaires et suis-moi. Si t’es pas assez rapide, j'dirai que j'ai pas eu le temps d'te rejoindre avant que ta cervelle n’explose. » Et, sur ces paroles grognées, il tourne les talons et sort des coulisses sans accorder un seul regard aux autres acteurs. Il n’a plus qu’à croiser les doigts pour que Lou se décide enfin à l’obéir en laissant son énorme égo de côté pour une seule nuit.
@Lou Aberline |
| | | | (#)Jeu 3 Déc 2020 - 17:54 | |
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La route. Oh, la dernière fois qu’ils avaient été sur la route, Lou s’en souvenait bien. Et ce souvenir suffisait amplement à lui faire passer toute envie de réitérer l’expérience. Les réflexes masochistes qu’on pouvait prêter à la jeune femme n’incluaient pas de s’imposer la compagnie de personnes qui lui hérissaient le poil si elle pouvait se l’épargner -et l’art qu’avait Joseph de se tenir hors de sa vue lui était d’une grande aide sur ce point. Par ailleurs, une notion aussi vague que la route additionnée à la loyauté particulièrement ambivalente de Joseph étaient autant de drapeaux rouges qui la convainquaient de ne pas accompagner le brun sans obtenir plus de détails sur cette situation nébuleuse. Dans le plus grand des calmes, sans se douter une seule seconde de la menace qui planait au-dessus d’elle, Lou avait entrepris de poursuivre son démaquillage, et si Joseph ne rebroussait pas chemin bientôt, il s’ajouterait à la longue liste de personnes ayant eu le loisir de la voir nue -ou à moitié- tandis qu’elle échangerait son costume de scène pour des habits civils. Levant les yeux au ciel face à une énième pathétique bravade de la part de l’australien, elle avait lâché ses cheveux qui restaient aplatis sur son crâne après deux bonnes heures à suer sur scène. Joseph savait se transformer en une instoppable pipelette en un éclair sauf lorsqu’il était question de dire des choses dignes d’intérêt ou de donner les informations demandées sans détour -et Lou avait une saint horreur de devoir insister ou se répéter, toute forme d’effort de ce genre siphonnait sa patience en un éclair. L’annonce d’une prétendue menace de mort, malgré tout le dramatisme qu’y mettait Joseph, ne lui fit ni chaud, ni froid. Ses épaules tombèrent de dépits tandis que son esprit minimisait l’hypothèse au possible. Elle avait appris à se croire totalement hors d’atteinte, Lou, intouchable. Si Mitchell était incapable de la tuer, alors personne ne le pouvait. Ses nouvelles activités n’avaient pas diminué les risques, et pourtant, elle était là quand d’autres tombaient. “On me menace de me tuer tous les jours depuis des années, chéri. Il en faut plus que ça pour me faire peur maintenant.” ricanait-elle. D’ailleurs, pareille intimidation rapportée par la bouche de Joseph avait immédiatement bien moins de valeur. Il suffisait que ce froussard ait entendu une vague rumeur à ce sujet entre deux ventes pour se monter la tête et débouler ici. L’écoutant à peine continuer de vociférer comme si elle était une parfaite idiote, Lou persistait à ne donner aucun crédit au brun. Qu’il s’en aille aussi aisément ne faisait que prouver, à ses yeux, que la menace n’était pas aussi sérieuse que ça ; s’il était absolument persuadé que quelqu’un allait attenter à sa vie ce soir, il lui aurais mis un coup sur la tête pour l’éloigner bon gré mal gré du danger plutôt que de risquer qu’elle soit tuée au nom de son orgueil ridicule.
A peine eut-elle le temps de se glisser dans son short en jean qu’un comédien déboula à son tour auprès d’elle, les yeux si exorbités qu’ils lui seraient sortis du visage au moindre choc sur le crâne, essoufflé, blême. “Lou ! Il faut que tu te tailles !” Furtivement, la jeune femme sortit la tête de sa loge et vit, au fond du couloir, non loin de l’entrée des artistes, un membre de la sécurité tenter de maîtriser un homme particulièrement enragé et déterminé. L’agent, seul pour cette partie du théâtre, voyait glisser le malfrat entre ses bras comme une anguille. Lou comprit que dans quelques secondes, il s’échapperait et lui mettrait la main dessus. “Merde.” D’un geste vif, elle saisit son sac dans une main et ses chaussures dans l’autre. “Il va être insupportable après ça.” souffla-t-elle, et immédiatement, elle se mit à courir jusqu’à la sortie de secours. Elle fonça dans le battant comme un boulet de canon et déboula sur le trottoir derrière le bâtiment. Un coup d’oeil derrière elle lui assurant que son assaillant ne lui emboîtait pas le pas, Lou prit la direction du parking pieds nus sur le bitume, se surprenant à espérer de tout coeur que Joseph était encore là, à rouspéter et à l’insulter de tous les noms derrière son volant en attendant qu’elle se montre. Et il était là, clé sur le moteur, prêt à l’abandonner à son sort après avoir attendu une minute de trop. “Joseph !” hurla-t-elle à pleins poumons. Pouvait-il seulement l’entendre à travers les fenêtres de la voiture ? “Joseph !” elle répéta, deux fois valaient mieux qu’une lorsqu’il était question de ne pas le voir s’éloigner et disparaître au croisement. A bout de souffle, Lou se jeta sur une portière arrière et s’écrasa sur la banquette. “Il est là, roule !” Le coeur battant dans ses oreilles, elle releva la tête ; son regard glissa sur la rue plongée dans la nuit, seulement pour y voir la silhouette de celui qui voulait sa mort -et qui aurait pu l’obtenir si elle ne s’était pas laissée aveugler par son ego.
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| | | | (#)Mar 8 Déc 2020 - 2:40 | |
| Il n’est pas celui en danger. Ce n’est pas son nom qui a été prononcé par cet homme fou, brandissant son poing et ses insultes dans les airs comme s’il ne pouvait rien lui arriver, à lui. Il aurait pu continuer sa route et ne jamais s’arrêter au théâtre pour récupérer sa patronne trop occupée à s’amuser et à mener une vie presque normale. Ça aurait été facile, pour lui, de défendre son cas : le tireur est arrivé avant lui et il n’a rien pu faire. Peut-être qu’il se prendrait quelques coups dans les dents ou dans les côtes mais il ne mourrait pas pour autant. Si Lou disparait de la surface de la Terre, c’est Ichabod qui reprend son rôle et, même si leur discussion ne s’est pas terminée dans les fleurs, Joseph est certain que son ancien patron ne poserait jamais un flingue contre sa tempe. Certes, beaucoup de différents les ont séparés mais, au fond, il reste celui qui en sait plus que les autres sur lui, l’homme en qui il avait confiance lorsque tous les yeux étaient noirs autour de lui. Il connait son enfant et sa mère, sa haine pour le milieu criminel et ce cœur énorme qu’il peine à cacher au fond de sa poitrine aussi dure que le roc.
Alors, si Lou décide de laisser parler son ego immense, il ne bronchera pas. Il tournera les talons sans regarder en arrière parce que ça aura été son erreur, et sa dernière. Il ne lui doit rien, à cette ancienne ennemie, parce qu’il travaille pour elle seulement dans l’espoir de se trouver une place – en vain. Elle ne lui a pas sauvé la vie, ne lui a jamais offert sa main pour l’aider à se relever quand il était au plus bas de l’échelle. Lou est égoïste et Joseph le sera ce soir s’il le faut. “On me menace de me tuer tous les jours depuis des années, chéri. Il en faut plus que ça pour me faire peur maintenant.” Il ne se battra pas plus longtemps. Les guerres de réparties sont terminées, avec elle. Elle lui a bien fait savoir qu’il ne pourra jamais gagner et, si elle veut crever ce soir, c’est son choix. Le regard impassible et la mâchoire serrée, le jeune homme balaie l’air du revers de la main et retrouve son chemin vers la sortie sans jeter un regard en arrière. Il reste toutefois alerte, inquiet, comme s’il craignait que les menaces soient mises à exécution. À travers les acteurs intrigués, il se fraie un chemin sans un bruit et sans accorder le moindre regard à personne. Il garde même les yeux rivés vers le sol pour camoufler minimalement son identité, bien que tout le monde ait eu le temps de noter chacun des traits de son visage depuis son intrusion dans les coulisses.
À l’extérieur du théâtre, un frisson traverse son échine. Sa respiration est légèrement plus rapide et il sent son cœur battre contre sa poitrine, comme s’il avait réussi à s’échapper de sa cage thoracique. Il s’arrête quelques secondes sur le trottoir, à deux ou trois mètres de la voiture qu’il a empruntée, et il observe la noirceur éclairée par les lampadaires. La ville est calme, peut-être même un peu trop. Inconfortable et pourtant habitué de la rue, il décide de se hisser dans la bagnole, derrière le volant, et de s’allumer une clope qu’il glisse entre ses lèvres avant de faire vibrer le moteur. Tant pis pour Lou. Il appuie sur la pédale de l’accélérateur et c’est à ce moment qu’il entend son nom à travers les vitrines closes. La plante de son pied change de pédale et la voiture couine vivement en s’arrêtant net au milieu du parking. Il s’assure que les portières ne sont pas fermées à clef quand sa patronne se dirige à toute hâte vers le siège derrière lui. « Quoi ? Quoi ?! » Il hurle sans vraiment s’en rendre compte, comme si lui-même ne croyait pas que l’homme serait venu jusqu’à elle sur ce lieu public. “Il est là, roule !” Il redresse naturellement la tête pour scruter les alentours et sa gorge se serre quand il découvre une silhouette menaçante qui semble cacher une arme en-dessous de sa veste. Son instinct le pousse à démarrer et sa mauvaise conduite condamne le rétroviseur de la voiture voisine à la sienne. Il souffle un juron, conscient que cette manœuvre précipitée a alerté tout le monde et, surtout, l’assaillant de Lou. Mais l’alarme assourdissante de la bagnole saccagée ne l’arrête pas et il s’élance en direction de la route la plus proche, ses pneus crissant contre le bitume. « Reste accroupie. » Il lance formellement en jetant un coup d’œil en arrière de lui, là où se trouvait leur ennemi commun. Au même moment, deux, trois, quatre coups de feu retentirent et transpercent la vitre arrière de leur transport. Un gémissement retenu s’échappe des lèvres de Joseph lorsqu’il sent la peau de son épaule se déchirer au passage d’une balle qui termine son chemin dans la radio. « RESTE ACCROUPIE ! » Il hurle une seconde fois, comme s’il l’ordonnait à lui-même. Quelques secondes plus tard, ils rejoignent le boulevard et le théâtre disparaît au tournant de la prochaine rue. « J’EN AI MARRE DE CES PUTAINS DE FLINGUES. » Il tape le volant avec sa main valide, adolescent en pleine crise existentielle. La voiture dérape sur la voie de droite et la surprise le calme instantanément. Il contrôle sa respiration en gardant ses deux yeux noirs rivés vers l’avant, laissant son instinct le guider en dehors de la ville qu’il connaît par cœur. « T’as rien ? T’es pas touchée ? » Il demande finalement en jetant un coup d’œil par le rétroviseur qu’il a ajusté pour mieux voir sa passagère. La douleur à son épaule, il ne la sent pas vraiment, comme si la peur agissait comme un anesthésiant
@Lou Aberline |
| | | | (#)Lun 21 Déc 2020 - 13:27 | |
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Recroquevillée sur la banquette, mains de part et d’autre de sa tête, elle n’entendit que le fracas des rétroviseurs qui se percutèrent, le crissement des pneus et les coups de feu. Elle ne les compta pas. En revanche, il lui sembla deviner la trajectoire fatale des projectiles à travers l’habitacle de la voiture, fuser au-dessus de sa tête, finir leur course dans le tableau de bord. Ballottée de la sortie du parking jusqu’au bout de la rue marquant hypothétiquement son salut, Lou ne se redressa pas avant que l’engin se soit éloigné du théâtre. Alors qu’un calme irréel flottait désormais, un silence dans lequel vrombissait le moteur discrètement, la jeune femme se décrispa peu à peu. Elle pouvait sentir les battements affolés de son coeur jusque dans la paume de ses mains, chaudes et palpitantes à chaque pulsation. Sa respiration accélérée parvint à ses oreilles ne percevant plus le monde qu’à travers un voile sourd. Se redressant assise au ralenti, elle observa la voiture d’un air hagard. Par dessus son épaule, elle vit la vitre arrière explosée, les débris éparpillés sur la plage du coffre, certains jusqu’à la banquette, sur sa robe. Alors qu’elle les époussetait du bout des doigts, elle en profita pour constater qu’elle était bien entière, sans blessures de prime abord. Rien d’autre que le choc et l’éternelle réverbération des coups de feu au fond de son crâne. “Je vais bien.” souffla-t-elle. Bordel, j’ai failli y passer, elle songea. Encore. Oui, encore une fois on avait tenté de l’éliminer, et encore une fois, quiconque en avait après sa vie avait échoué. Lou était bien vivante, plus vivante que jamais à en croire le flux d’adrénaline et de dopamine qui se déversait par torrents dans ses veines. Elle lâcha un rire, quelque part entre le soulagement et la sensation d’invincibilité. Le destin était de son côté, elle en réchappait à chaque fois. C’était un signe, forcément. Le signe qu’elle allait dans la bonne direction. Enfin, Lou prêta attention à Joseph et son regard fut immédiatement attiré vers la plaie sur son épaule qu’elle lui signalait d’un mouvement de tête. “Toi, en revanche…” Il avait eu de la chance, la balle aurait pu faire bien plus de dégâts, se loger dans son bras, être décalée de dix degrés plus haut et finir dans sa tête. Pas de quoi en faire un foin, en somme, mais la jeune femme fouilla malgré tout son sac en quête de son téléphone. “J’appelle Alice.” L’infirmière et elle s’étaient justement accordées pour ce genre de cas de figure, et il était temps de mettre cet arrangement à profit. Lou, elle, n’avait pas la moindre idée de la manière de soigner ce genre de blessure et son meilleur plan consistait à s’allumer une cigarette pour l’écraser sur la plaie afin de la cautériser -comme dans les films. Laissé à ses bons soins, Joseph avait plus de chances de perdre son bras. Elle retrouva son nom dans son répertoire et lança l’appel ; au bout de plusieurs tonalités, ce fut le répondeur qui prit le relais. Elle lâcha un soupir. “Merde. Ça répond pas. Elle doit être de service cette nuit.” Il était peut-être temps d’élargir son carnet d’adresses en termes d’aide médicale. Déposant l’appareil sur un coin de la banquette, Lou jeta un nouveau coup d’oeil à l’extérieur, à travers la vitre brisée. Les rues paraissaient si normales, la ville si banale, trop pour avoir été le théâtre d’une fusillade quelques kilomètres plus loin. “Tu crois qu’il va nous suivre ?” elle demanda, bien qu’il n’y ait pas de trace évidente d’un poursuivant. La possibilité qu’il ne soit pas venu seul effectuer sa besogne n’était pas à exclure, mais cela était probablement une hypothèse trop poussée pour ce genre d’abrutis. Non, son instinct lui disait qu’ils étaient tirés d’affaire, et la jeune femme célébra sa survie en allumant une cigarette. Puis, adroitement, elle se transféra de la banquette arrière au siège passager. “Où est-ce qu’on va ?”
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| | | | (#)Dim 27 Déc 2020 - 19:32 | |
| Son cœur bat aussi fort que la batterie d’un groupe de rock dans sa poitrine et il n’y a qu’en fixant la route devant lui que Joseph arrive à se calmer lentement. Il tente de ne pas penser à cette sensation étrange qui lui chatouille l’épaule parce qu’il est assez conscient pour comprendre qu’une belle du flingue ennemi a percé sa peau. Si la douleur n’est pas fulgurante, c’est seulement parce que son cerveau est encore de train de produire des kilogrammes d’adrénaline. Alors que le jeune homme d’assure que Lou n’a pas été touchée sur la banquette arrière, il est surpris d’entendre un rire plutôt que des hurlements. Lui, il a envie de taper son volant encore et encore jusqu’à ce que celui-ci s’arrache et l’empêche de conduire plus loin en dehors de la ville endormie. Malgré tout, alors qu’il croise le regard ahuri de sa patronne dans le rétroviseur, il se détend légèrement et finit par souffler une sorte de ricanement. Il se joint à elle seulement parce qu’il est rassuré qu’elle n’ait pas été touchée parce qu’il est celui qui aurait payé le prix si Lou s’était éteinte cette nuit. C’est exactement pour cette raison qu’il déteste avoir hérité du rôle du chauffeur alors qu’il n’a jamais montré d’intérêt pour ce boulot : il devient, par conséquent, un garde du corps, un garde vie. Lui qui arrive à peine à ne pas bousiller sa propre existence, voilà qu’il a celle des autres entre les mains. C’est un fardeau terriblement lourd. “Toi, en revanche…” Les sourcils du jeune homme se froncent alors qu’il jette un regard rapidement sur son épaule pour ne pas dévier son attention de la route trop longtemps. Naturellement, une moue étire son visage mais il marmonne : « Je ne sens rien. » Ce qui est vrai, mais ça ne durera pas longtemps et il le sait. Son t-shirt se teinte de rouge, le siège sous ses fesses aussi, mais la douleur est imperceptible. Pourtant, il ne confronte pas la décision de Lou lorsqu’elle empoigne son téléphone pour contacter Alice, l’infirmière qui s’est retrouvée au service de la Ruche sans que Joseph ne sache pourquoi. Il l’avait croisée à quelques reprises et avait toujours pensé qu’elle n’avait pas le profil d’une criminelle. Mais il n’avait rien dit parce qu’il a lui-même fait des choix regrettables dans le passé. “Merde. Ça répond pas. Elle doit être de service cette nuit.” Il jette un nouveau coup d’œil dans le rétroviseur pour observer l’expression déconfite de Lou. Il se mord la lèvre inférieure, simplement surpris de voir que la jeune femme est véritablement déçue de ne pas avoir réussi à ramener l’aide-soignante. À vrai dire, elle lui a toujours donné l’impression qu’elle se fichait complètement de lui et qu’elle le laisserait crever sur place s’il mettait le pied dans un piège à ours. Sa réaction lui laisse penser le contraire et, étrangement, un léger sourire étire ses lèvres quand il repose ses yeux sur la route qui semble s’allonger au passage de la voiture. « C’est pas grave, j’sais faire un garrot. » Il répond calmement après avoir pris une grande inspiration. Il n’a pas l’impression que sa vie est en danger, du moins, plus maintenant. S’assurant de toujours se trouver sur le boulevard qu’il connait bien, Joseph secoue la tête de droite à gauche à la question de sa patronne. Aucun véhicule ne le talonne depuis leur départ précipité du parking du théâtre. Il ne reste pas moins inquiet quant à l’idée qu’ils se fassent retrouver ; la voiture est trouée, percée, et leur plaque d’immatriculation probablement mémorisée par l’homme qui les poursuivait. « Il faudra tout de même se débarrasser d’la bagnole le plus tôt possible. Mais pas ce soir. » Il emprunte la prochaine entrée d’autoroute, ne se laissant pas déranger par le passage de Lou de la banquette arrière à la place du côté passager. Il a une impression de déjà-vu quand elle allume sa clope pour remplir l’habitacle de fumée addictive. « On m’a dit de te garder en dehors de la ville pour la nuit. C’est c’que je fais. » En effet, il les dirige vers la campagne, là où le club ne pourra pas les trouver en moins de vingt-quatre heures. « J’espère que tu n’es pas trop déçue d’apprendre que tu ne dormiras pas dans ton lit cette nuit. » Il soupire légèrement alors que les lampadaires se font de moins en moins nombreux plus les kilomètres les séparent de Brisbane. La nuit semble plus noire que d’habitude. Et, plus le trajet l’endort, plus la douleur à son épaule apparait. Une quarantaine de minutes plus tard, il gare la voiture dans un chemin de pierres probablement jamais emprunté. Une fois le moteur éteint, il peut enfin fermer les paupières et poser l’arrière de son crâne sur l’appui-tête percé de balles. Il ne résiste que trente secondes avant de glisser sa main dans sa poche pour en sortir un sachet de poudre blanche. Pas celle de la ruche, il n’a pas confiance en cette drogue qu’il a testée une seule fois. Il pose son trésor sur le tableau de bord et détache sa ceinture de sécurité pour grimacer fortement en retirant son t-shirt. Il évite de regarder la plaie ouverte au niveau de son épaule et enroule son garrot improvisé juste au-dessus. D’un simple regard, il invite Lou à lui filer un coup de main. « Pour mieux le serrer… » Et il lui tend les deux extrémités du tissu. @Lou Aberline |
| | | | (#)Mar 12 Jan 2021 - 20:18 | |
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A moitié dissimulée par le t-shirt, la blessure de Joseph n’était pas des plus belles à voir malgré tout. Lou grimaçait légèrement en s’imaginant la sensation, la douleur allant de paire avec cette brûlure creusée dans sa chair ; bien que le brun prétendait ne rien sentir pour le moment, nul doute que l’effet anesthésiant de l’adrénaline allait descendre et l’obliger à se soigner. L’aide d’Alice aurait été tout particulièrement utile dans ce cas de figure, si la jeune femme avait répondu au téléphone. Lou se notait dans un coin de la tête de tenter de nouveau plus tard ; avec de la chance, elle parviendrait à l’intercepter durant une pause et ils pourraient s’introduire incognito à l’hôpital pour prodiguer à Joseph les soins adaptés. "T'as besoin de plus qu'un garrot." grommela-t-elle en attendant, frustrée de ne rien pouvoir faire pour lui tandis qu’il lui semblait sous-estimer la gravité d’une potentielle infection -complication dont elle ne voulait pas faire des frais, que ce fut en critiques de la part de Joseph ou de réprimande par Ichabod. Elle estimait que l’état du brun était sa responsabilité, d’autant des suites d’une mission de sauvetage pour sa peau, et elle ne prenait pas ce genre de choses à la légère. Cependant, Lou releva que la froideur de son ton envers le Keegan orientait sa contrariété vers la mauvaise personne. Elle souffla pour décrisper ses épaules. "...mais ça sera sûrement mieux que rien." elle ajouta, calmant ses nerfs. La cigarette au bord de ses lèvres était on ne peut plus bienvenue maintenant que le calme retombait dans l’habitacle et qu’ils étaient assurés de ne pas être suivis sur leur route hors de la ville. La jeune femme ne discutait pas les directions de Joseph, même si elles manquaient cruellment de précision. Improviser le reste de la nuit ne lui faisait pas peur, et malgré sa confiance encore mitigée en son dealer, cela ne l’empêcherait pas de dormir sur ses deux oreilles dans n’importe quel endroit. "Je m'en remettrais. J'ai connu pire." répondit-elle en haussant les épaules, entièrement enfoncée dans le siège passager, pieds sur le tableau de bord. Dormir dans un coin de rue, une usine désaffectée, une maison abandonnée, sur un carton, sur un matelas infesté de puces, à même le sol ; Lou avait expérimenté tous les pires spots de la ville. Et malgré son appartement tout neuf et le confort allant de paire, ces souvenirs lui permettaient encore d’estimer que dormir dans une voiture pouvait être un luxe.
Brisbane disparaissait dans le rétroviseur tandis que la voiture s’enfonçait sur des routes sombres. L’australienne ne savait depuis combien de temps ils roulaient -seulement que la distance entre eux et le danger commençait à lui sembler exagérée- quand Joseph se gara sur le bas-côté, les traits déjà tirés par l’énergie que sa blessure lui pompait. T-shirt passé par-dessus la tête, il nouait le tissu autour de son bras meurtri sous le regard inspecteur de Lou. Qu’il soit habillé ou non, son expression n’avait pas changé ; rien chez Joseph n’était d’un quelconque intérêt à ses yeux autre que les dollars qu’il rapportait à la Ruche. Docilement, elle se redressa afin de l'aider à reserrer le garrot au maximum et tira fermement sur le tissu. "Allez, courage Magic Mike." elle souffla en tentant de détendre l'atmosphère. La plaie continuait de la faire grimacer. Pourtant dieu savait que la jeune femme avait vu pire dans son existence et sous tous les angles. Elle ne s'était jamais sentie touchée par ce genre de choses et avait même développé une forme de détachement et d'indifférence. Sûrement était-ce un fond de culpabilité qui faisait pencher la balance au profit de l'empathie vis-à-vis de Joseph. Si elle avait accepté de le suivre immédiatement, cela ne serait peut-être pas arrivé. "Tiens, c'est ma tournée, elle reprit en sortant sa propre poudre de son sac à main. On va dire que c'est pour te remercier de pas t'être barré trente secondes plus tôt." Écartant le pochon du brun, elle déposa son produit sur le tableau de bord et forma une fine ligne droite avec sa carte de crédit. Il ne s'agissait pas de la coke de la Ruche, elle-même n'y touchait pas. En revanche, elle s'offrait du produit de qualité au sommet de la chaîne de production de leur poison, avant tous les processus de modification. "Stresse pas, elle est pas coupée." précisa Lou. Pas de fentanyl, de talque, de laxatif, de créatine pour parasiter l'expérience. Cela était certainement meilleur que ce que pouvait s'offrir Joseph, qu'elle laissa inhaler le produit susceptible d'apaiser la douleur à son bras pendant un moment. "On devrait au moins se trouver un hôtel pour la nuit." elle reprit avant d'inspirer d'une traite la seconde ligne qu'elle venait de préparer pour elle-même. En payant généreusement la réception pour s'assurer la discrétion de l'établissement, ils pouvaient espérer être plus en sûreté que dans cet habitacle au milieu de nulle part en pleine nuit. "Tu peux encore conduire ?"
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| | | | (#)Jeu 14 Jan 2021 - 21:10 | |
| L’habitacle de la voiture n’a pas encore accueilli insultes et hurlements. C’est une première si on considère que Lou et Joseph n’ont jamais pu se regarder dans le blanc des yeux plus de cinq secondes sans avoir envie de les lever vers le ciel pour ravaler un reproche. Les atomes qui les constituent sont bien trop différents pour qu’ils ne puissent s’entendre, il paraît. D’un côté, la jeune femme est dotée d’un appétit certain pour la violence et, de l’autre, le garçon ne peut pas supporter de tenir un flingue entre ses doigts. Ils ont tous les deux pris des rides dans le même univers et, pourtant, il est impossible de déceler un moindre point en commun entre eux. Cela fait longtemps que Joseph s’est résolu : Lou l’a invité parmi ses rangs simplement pour qu’il lui ramène des billets verts. Il semblerait que c’est ce qui la fait bander, ça et la vengeance.
Alors il les attend, les reproches. Pour ne pas avoir insisté pour que sa patronne la suive plus rapidement en dehors du théâtre qu’elle ne voulait pas quitter, ou pour ne pas avoir évité cette balle qui l’affaiblira pour le reste de la nuit, jusqu’à ce qu’une infirmière le recouse et le gave d’antidouleurs. Mais ils ne viennent pas et, tandis que Joseph maintient son regard rivé vers la route, Lou reprend ses esprits et ne se permet pas de lever le ton. "...mais ça sera sûrement mieux que rien." Les battements de son cœur se calment aussitôt et il un minuscule sourire rassuré étire le coin de ses lèvres. Il ne s’inquiète pas pour lui-même. Pourtant Lou a agi comme sa sœur pendant quelques secondes, assez longtemps pour qu’il ait presque l’impression de se trouver avec elle. C’était presque rassurant, en un sens, parce qu’il sait que Lily ne le laisserait jamais tomber mais si parfois elle fait semblant de ne plus se soucier de ses liens de sang. Naturellement, Lou s’interroge quant à la suite du plan mais Joseph n’a pas reçu beaucoup d’indications : ils devront improviser ce soir, et ça commence par faire le deuil de son propre lit pour la nuit. "Je m'en remettrais. J'ai connu pire." Voilà peut-être leur premier point en commun. Le Keegan n’a pas toujours eu le luxe de fermer les paupières sur un matelas moelleux. Les ruelles le connaissent mieux que bien des gens ; elles ont accueilli son corps fatigué, ses seringues usagées ainsi que les larmes qu’il versait quand il en avait encore. « Moi aussi. » Il souffle calmement, toujours engourdi au niveau du bras, incapable de sentir la moindre douleur là où sa chair a été lacérée. Le reste du trajet se fait en silence et ça lui permet de retrouver ses esprits, lui qui les avait perdues depuis que des coups de feu avaient retenti.
Il roule peut-être un peu trop longtemps sur l’autoroute mais il considère qu’il ne pourra jamais en faire trop pour se protéger, ainsi que sa passagère. Quand il stoppe le moteur de la voiture et que les phares s’éteignent, ils se retrouvent plongés dans une noirceur apaisante. Il a toujours apprécié la campagne, Joseph, parce qu’elle propose un air bien plus agréable. Il ne traine pas avant d’ouvrir sa vitre pour oxygéner l’intérieur de la voiture, oppressante, puante. Il s’occupe ensuite grossièrement de sa blessure, l’entourant fermement de son t-shirt pour former un garrot approximatif. Ce sera toujours mieux que de se laisser se vider de son sang. "Allez, courage Magic Mike." Un gémissement incontrôlé s’échappe de ses lèvres lorsque sa partenaire de crime serre le nœud mais il serre rapidement les dents et la mâchoire pour s’empêcher d’émettre le moindre son. Évidemment, il n’a pas compris sa référence. Joseph n’est pas le type qu’il faut aller voir pour obtenir des réponses au sujet de la culture populaire. Maintenant, son esprit se tourne naturellement vers le sachet de drogue qu’il sort de sa poche, impatient de coller la poudre dans le fond de son nez pour ne plus sentir la douleur. Pourtant, Lou se fait plus rapide et lui propose plutôt sa propre marchandise. Aussitôt, le jeune homme hausse un sourcil parce qu’il n’a jamais fait confiance à la cocaïne qu’elle fabrique. Il l’a testée une seule fois et la balade ne s’est pas bien terminée. « Je ne savais pas qu’tu consommais. » Il avoue, certain de ne l’avoir jamais vu sniffer une ligne ou glissé la pointe d’une aiguille dans sa veine. En grimaçant, il se dresse dans son siège pour inhaler la ligne qu’elle lui a préparée (quelle douce attention) et il ferme les paupières le temps que la première vague de chaleur monte à son cerveau. "On devrait au moins se trouver un hôtel pour la nuit." Il reste muet, n’ayant écouté que d’une seule oreille, trop concentré à se perdre dans l’agréable sensation que lui prodigue la poudre. "Tu peux encore conduire ?" C’est à ce moment qu’il revient sur terre et qu’il interroge Lou d’un regard incertain : « Un hôtel ? T’es certaine que c’est la meilleure option ? » Il désigne du menton son état lamentable, sa nudité partielle, le sang qui commence à sécher sur son biceps. « Si tu veux attirer les regards, tu seras servie. » Il marmonne, incapable de penser à sa façon. Il n’est pas celui qui peut se faire des alliés en brandissant son portefeuille. Il n’a jamais pu faire confiance à personne parce qu’il n’a pas la notoriété pour acheter le silence. Cela fait trois ans qu’il ne fait que se cacher dans son terrier quand il se trouve dans un état lamentable. Reposant l’arrière de son crâne contre l’appui-tête, il se laisse aller à quelques rêveries provoquées par la poudre artificielle. Il se permet une petite plaisanterie maintenant que l’atmosphère est moins lourde : « Mon salaire va augmenter si on s’en sort en un seul morceau cette nuit ? » Il accompagne sa question d’un sourire sarcastique.
@Lou Aberline |
| | | | (#)Mar 19 Jan 2021 - 15:40 | |
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Échangeant un regard en coin, Lou n’eut rien besoin de dire pour qu’une furtive vague de compassion traverse ses iris noisette. Elle ne doutait pas que Joseph savait exactement de quoi elle parlait lorsqu’elle mentionnait, entre les lignes, des temps moins cléments, une époque plus sombre. Nombreux étaient ceux avec une dépendance comme la leur qui touchaient le fond de la sorte et qui se laissaient oublier dans l’ombre d’un fond de ruelle. Elle n’avait pas l’histoire la plus dramatique, et lui non plus, sûrement, puisqu’ils étaient encore là pour les raconter -et c’était une chance que beaucoup ne pouvaient plus se vanter d’avoir. On entendait jamais la jeune femme se plaindre de ses périodes dans la rue. C’était autant de souvenirs qu’elle ne souhaitait pas se remémorer en les narrant tout haut. De toute manière, ce type d'expérience ne donnait pas lieu à un concours de la chute la plus tragique comme s’il existait un quelconque avantage à dérouler la plus longue liste de tuiles. Lou maîtrisait l’auto-sabotage, c’était certain, et personne n’avait besoin de savoir à quel point. Elle n’avait jamais fait le moindre effort, réfractaire à toute aide, crachant sur les mains tendues ; Joseph pouvait en témoigner par deux fois. Elle n’avait jamais voulu aller bien, au fond, et se complaisait bien trop dans la compagnie de ses démons pour s’en arracher pour de bon. Il suffisait de voir l’aisance avec laquelle l’australienne avait renoué avec le monde de l’illégal, puis la drogue, après le décès d’Alice, d’une des rares personnes à avoir cru en elle. Maintenant que Finnley n’était plus dans le paysage à son tour, dieu seul savait les conséquences que cela aurait. Pourtant elle aimait tant croire que c’était lui, le plus vulnérable d’eux deux. Quelle blague, songeait-elle en s’enfilant de la poudre plein les naseaux à son tour. “J’avais arrêté. Trois ans.” souffla-t-elle en se laissant retomber au fond du siège passager. Trois années passées à se voiler la face, d’après elle, à essayer de porter des chaussures qui n’étaient pas les siennes, de rentrer dans une case comme elle s’était toujours évertué à l’éviter. Cela avait à peine laissé le temps à ses veines de se remettre d’une éternité d’abus. Elle avait piqué le creux de son coude à outrance, puis ses mains, puis ses pieds lorsque la place avait vraiment commencé à manquer. Les marques s’étaient effacées, mais sa peau se souvenait. “C’était chouette, et ça faisait faire des économies. Mais faut croire que ça vient en option de la vie de gangster.” elle ironisa avec un petit rire. Une junkie au contact de tous ces produits, comment aurait-elle pu résister plus longtemps ? L’illusion s’était rapidement envolée. Qu’importe, elle n’avait plus personne à décevoir.
Si la jeune femme avait suggéré de se trouver un endroit où dormir, Joseph demeurait le capitaine de leur virée. Il était le seul à savoir conduire et donc le seul en mesure de reprendre la route, s’il s’en sentait capable. La volonté de Lou de lui casser les burnes avait disparue au moment où cette balle avait éraflé sa chair par sa faute. Elle n’imposerait pas sa volonté à coups de crises de nerfs -cette fois. “T’as pas besoin de te montrer. Je peux m’occuper de l’accueil et t’auras qu’à me rejoindre une fois que j’aurais les clés.” appuyait-elle au profit de l’option qui incluait de dormir sur un matelas, mine de rien. Personne ne se poserait de questions si elle passait les portes d’un quelconque établissement la bouche en coeur en demandant une chambre pour deux. Son minois l’éloignait de tout soupçon, même les pupilles de la taille d’une soucoupe. Un rire traversa ses lèvres par anticipation tandis qu’elle s’apprêtait à ajouter ; “Ou alors tu sors le grand jeu de bad boy ensanglanté tous abdos dehors à la réceptionniste et tu nous obtient une ristourne en plus de la chambre.” Imaginer la scène la faisait pouffer dans son coin. Joseph était bien trop gauche et réservé pour mener à bien pareille manoeuvre. De toute manière, cette option aurait plus de chances de faire rappliquer la police dans la demi-heure, et personne ne souhaitait cela. “Pas besoin d’un truc fancy, juste le premier motel qui passe. Ca sera toujours plus sûr que garés au milieu de nulle part.” Lou fit rouler ses yeux sur l’ensemble de l’habitacle. Ils étaient à découvert, vulnérables, et ils attireraient l’attention des conducteurs qui passaient sur la route annexe. Quelqu’un finirait au mieux par les croire en panne et venir les voir pour s’assurer que tout allait bien, au pire par appeler directement les forces de l’ordre dans le doute. Mais là encore, si Joseph ne pouvait plus conduire pour ce soir, alors ils n’avaient pas le choix.
En attendant, Lou lui accordait volontiers un peu de repos afin qu’ils puissent l’un et l’autre se remettre de leurs émotions. Soupirant d’aise, la jeune femme s’enfonçait un peu plus dans son siège. “Oh, moi qui pensais que tu m’avais sauvée parce que tu m’aimais bien. Tu me brises le coeur.” prétendait-elle avec un sourire sarcastique. Elle avait compris que rien de ce qu’elle pouvait faire ne trouvait grâce aux yeux du brun. Sans comprendre ses raisons, elle constatait simplement qu’il l’avait prise en grippe, et elle ne s’en formalisait pas tant que la dope s’écoulait. “J’y réfléchirais. Faudra voir avec Ichabod.” L’ancien chef des Mantha avait expressément demandé à ce que Joseph soit sous sa responsabilité, et ce n’était pas une condition face à laquelle elle avait rechigné tant qu’ils se tenaient tranquilles. Cependant, non, Lou n’avait aucune intention d’augmenter Joseph, qu’Ichabod le veuille ou non. Peut-être aurait-il enfin un “merci” à la fin de tout ceci, et il devra se contenter de ce présent inestimable. “Content de vous être retrouvés ? elle demanda, curieuse. C’est tout comme tu l’espérais dans tes rêves les plus fous ?” Les Mantha réunis, sa famille revenue d’entre les morts -ou presque. Ou est-ce que Joseph avait appris à la dure que son idéalisation de leur passé commun ne pouvait lui apporter que de la peine ? Qu’il était temps de passer à autre chose et, éventuellement, s’estimer heureux de ce que la Ruche avait à offrir ? Oh, voilà qu’à son tour, Lou mettait la barre de ses espérances trop haut.
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| | | | (#)Dim 24 Jan 2021 - 5:23 | |
| Joseph a participé à de nombreuses balades en voiture nocturnes et dangereuses mais, autant surprenant que cela puisse paraître, c’est la première fois qu’une balle transperce sa peau. Il a été chanceux jusqu’à présent, ne s’en sortant qu’avec des coups dans les côtes, ceux qui ne laissent aucune marque visible – il ne compte pas les punitions de son père même s’il ne pourra jamais les oublier, à son plus grand malheur. Les zébrures dans son dos ne disparaîtront jamais même s’il tente de les cacher sous de l’encre noire. Elles sont plus profondes qu’elles ne paraissent. S’il y a un moment où le jeune homme ne sent plus la douleur, c’est lorsqu’il empoisonne son système de poudre ou de liquide qui finiront un jour ou l’autre par le tuer. La drogue a emporté nombreux de ses amis mais il n’a jamais eu peur de la mort. Il a l’impression que cette dernière ne veut pas de lui. Si ce n’était pas le cas, la balle qui a transpercé le siège serait atterrie dans ses poumons et non là où la plaie peut être stabilisée par le biais d’une simple pression. Alors il sniffe, comme il sait si bien le faire, comme une danse qu’il a apprise par cœur à défaut d’avoir d’autres passions artistiques. Et la surprise se voit dans son regard lorsque Lou fait de même, aussi habilement, comme si elle aussi savait danser. « J’avais arrêté. Trois ans. » C’est une histoire qu’il semble déjà connaître. C’est la sienne. Certes, il n’a jamais eu la volonté de se soigner mais la prison s’en est chargée, instaurant trop de distance et de règles entre lui et cette drogue qui faisait battre son cœur. Il a souffert. Énormément. Il s’est fracturé les phalanges à force de taper dans le mur de sa cellule en espérant que la pierre se transforme en poudre. Il a hurlé jusqu’à ce que ses camarades de cellules lui collent les lèvres et jusqu’à ce qu’il se calme enfin. Mais la cocaïne n’a jamais quitté ni ses pensées la journée, ni ses rêves la nuit. Il n’a jamais eu une minute de répit et les vingt-quatre heures sont devenues quarante-huit. Les lèvres de Lou sont étirées en un sourire ironique mais Joseph reste impassible, tentant de lire à travers ses yeux brillants. « Tu vois, on est pas si différent. » Il finit par répondre sans séparer son regard du sien pour lui faire savoir qu’il est là, qu’il comprend, et qu’elle n’a pas besoin de rire de cette maladie qui les bouffe tous les deux pour se défendre. Ils sont tous les deux dans le même bateau, ils n’ont pas à se trouver des excuses pour avoir besoin de cette drogue pour respirer sans que leurs muscles se contractent au moindre mouvement et soulève la bile jusqu’à la hauteur de leur gosier. « Et la vie d’gangster, tu l’as choisie ? » Il demande, empathique, comme il l’a toujours été envers les gens qui cachent la source de leur souffrance derrière un sourire artificiel.
Incertain vis-à-vis de la proposition de sa patronne, il note toutefois au fond de sa tête qu’il vaut mieux pour lui de ne pas se battre malgré son opinion opposé. Si elle souhaite se rendre à un motel, il appuiera à nouveau sur la pédale de l’accélérateur. La douleur est importante, certes, mais il arrive à ne pas y penser, non sans l’aide de la poudre qui agit encore avec ses neurones. « T’as pas besoin de te montrer. Je peux m’occuper de l’accueil et t’auras qu’à me rejoindre une fois que j’aurais les clés. » Il comprend un peu mieux son plan qui implique donc l’un de ces fameux motels dont les chambres sont séparées de la réception. Cela n’empêchera pas les clients de remarquer les trous laissés par les balles dans le coffre de la voiture une fois les premiers rayons du soleil réveillés. Il ne dit toutefois rien, attendant la suite de son plan qui se présente plutôt comme une plaisanterie qui lui arrache un léger ricanement. « C’est pas moi l’acteur. L’acte s’rait certainement plus crédible si c’tait toi, la victime. » Il répond, faisant une croix sur cette idée ridicule qui ne ferait que le ridiculiser en prime de ramener les flics. « Pas besoin d’un truc fancy, juste le premier motel qui passe. Ca sera toujours plus sûr que garés au milieu de nulle part. » Ses doigts tapotent le volant tandis qu’il réfléchit. Il jette un coup d’œil autour d’eux, ne décelant qu’une noirceur envahissante, et il finit par souffler : « T’es la patronne. » Il pétrit doucement ses paupières pour se maintenir éveillé, glissant la clé dans le contact pour rallumer le moteur qui excitent les quelques cigales qui se remettent à chanter plus fort. Il se permet toutefois une petite pause une fois les phares rallumés, rajustant son garrot improvisé pour s’assurer qu’il coupe bien sa circulation sanguine. « Oh, moi qui pensais que tu m’avais sauvée parce que tu m’aimais bien. Tu me brises le cœur. » Il secoue la tête de droite à gauche en pouffant d’un rire mou. « Je n’aime simplement pas voir les gens crever juste devant mes yeux. » Il admet, conscient qu’il ne laisserait aucune balle transpercer même le corps d’un ennemi. On vous a déjà dit qu’il n’est pas un bon criminel ? « Je plaisantais. J’ai pas besoin d’me faire augmenter. J’pensais que tu savais déjà que j’faisais pas ça pour l’argent ? » Il finit par conclure en la lorgnant juste avant de s’engager à nouveau sur la route déserte. Cette fois, sa concentration est plus facilement ébranlable mais il ne détache jamais ses yeux de la route, maintenant une vitesse de conduite sécuritaire. Lorsque sa passagère aborde un sujet qui lui a toujours tenu au cœur, sa gorge se serre et il est obligé de rester silencieux une dizaine de secondes, ne sachant pas réellement quoi dire. Ichabod l’a énormément déçu, mais ce n’est pas le genre d’information qu’il peut offrir à celle qui travaille avec lui. Qui est-il pour se plaindre, de toute façon ? « Dans mes rêves les plus fous, jamais ma famille n’aurait été décimée. » Cette bombe n’aurait pas arraché la vie à autant d’hommes. « Ça n’sera jamais comme avant, et j’ai fait mon deuil. » C’est la vérité. Il a pensé pendant trop longtemps que tous ses maux seraient pansés s’il retrouvait un seul de ses frères. C’était faux. Un rêve impossible, comme celui de ne plus avoir besoin de cette drogue qui l’accompagne tous les jours. « Je n’arrive toujours pas à comprendre comment t’as pu l’mettre dans ta poche, cependant. Il a toujours été plus futé que moi. »
@Lou Aberline |
| | | | (#)Mar 2 Fév 2021 - 14:11 | |
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Ils n’avaient rien en commun, songea Lou avec un sourire au coin des lèvres tandis que Joseph prétendait l’inverse -mais elle n’émit aucun commentaire. Il était faible, il manquait de volonté, il n’y avait aucune vivacité, aucun feu en lui. Il glissait sur la vie comme un enfant qui ne savait pas patiner correctement et qui se ramassait régulièrement. Ou plutôt, que les autres devaient ramasser. Il était l’éventail dans le magicien d’Oz, un gentil, un peu bête, un peu gauche. Si seulement il avait une cervelle. Au mieux, il rappelait à Lou ses débuts dans les magouilles et les mauvaises décisions, ses années de lycée, puis au sein du Club, lorsqu’elle était naïve et malléable à volonté, et cela était plutôt triste pour un adulte de quasiment quarante ans. Ils avaient leurs addictions en commun, ce combat-là, mais ils demeuraient diamétralement différents, opposés. “Ouais. C’est une carrière où on s’ennuie pas.” elle répondit à propos de son virage de plein gré droit sur la route de l’illégalité. Et dans le fond, les raisons qui l’avaient poussée dans un premier temps à toucher aux drogues et tremper dans ces histoires était tout simplement l’ennui. La passivité, la superficialité, la frustration de sa vie de petite princesse à papa et maman, la bonne société. C’était si bête. Plus tôt qu’elle ne put se l’imaginer, elle était prisonnière de cette nouvelle vie, cet environnement dangereux, palpitant, hors des règles. Maintenant, elle en était là. Son regard faisait plusieurs fois le tour de l’habitacle de la voiture, découvrant à chaque fois un nouveau détail. Une miette dans le porte gobelet, une tâche sur le pare-brise, un enfoncement dans le plastique de la portière. Il était acté qu’ils trouveraient un endroit où dormir, puisque c’était elle la patronne. A voir l’état de Joseph, Lou espéra seulement que le premier motel qu’ils croiseraient ne serait pas trop loin. Mais avant de reprendre la route, elle terminait sa cigarette et laissait le brun calmer ses nerfs également. Il avait retrouvé un semblant de sourire -elle ne se souvenait pas l’avoir jamais vu sourire autant en sa présence avant ce soir-là d’ailleurs. Il ne cachait pas son désamour pour elle, et elle, son parfait je-m’en-foutisme d’être apprécié par lui. “T’aurais pu changer d’avis entre temps. L’argent a cet effet là sur les gens.” L’argent qui servait à payer la dope notamment. Mais qu’importe s’il ne voulait pas plus que sa part. Il faisait le job, touchait son pourcentage, le reste ne la regardait pas.
Ils roulaient de nouveau sur cette route qu’elle ne reconnaissait pas, elle qui avait vécu à Brisbane toute sa vie. Ils ne croisaient pas grand monde. La jeune femme poursuivait la conversation à propos d’Ichabod. Sa crainte que les deux Mantha rassemblés se liguent contre elle dormait dans un coin de sa tête. Si ni l’un ni l’autre ne lui avait donné de raisons de continuer de se méfier, elle n’en avait pas non plus pour leur faire aveuglément confiance. Cependant, elle s’attendait à bien plus d’enthousiasme de la part de Joseph à l’idée d’avoir retrouvé un membre de sa famille de la rue, et pas n’importe lequel. “C’est lui qui a insisté pour te superviser, tu sais ? Je pense qu’il tient à toi. Si ça peut être d’un quelconque réconfort.” fit-elle en haussant les épaules. Pas qu’elle en avait quelque chose à faire s’ils ne s’entendaient plus comme avant. Cela lui confirmait seulement que Joseph était insupportable même pour son propre ancien boss et qu’il était un chouineur incapable d’être satisfait de ce qu’il avait. En revanche, concernant Ichabod, Lou nota qu’il n’avait pas révélé à son ancien sbire les raisons qui l’avaient poussé à accepter de s’allier à la Ruche, et elle ne savait pas s’il s’agissait d’orgueil ou de peur, mais elle apprécia que leur arrangement demeure secret. “C’est pas difficile d’être plus futé que toi.” elle rétorqua avec un rictus taquin. “J’ai juste été très convaincante." C’était une manière de le dire, oui.
“Voilà notre palace.” souffla-t-elle quelques kilomètres plus loin, après avoir passé un panneau indiquant un hôtel en prenant la prochaine à droite. Le bâtiment formait un U autour d’un parking comptant peu de voitures et avait un étage -donc plus de chances que des chambres soient libres. L’enseigne de la réception était allumée. Un petit panneau indiquait 70 dollars la nuit. On devinait un jeune homme à l’allure hirsute derrière le comptoir, le nez collé à son téléphone, sûrement absorbé par une série. L’endroit ne semblait relativement propre. Il n’en fallait pas plus pour Lou. “Gare-toi là, je m’occupe du reste.” Elle indiqua une place tout au fond du parking, là où leur pare-brise arrière en morceaux ne serait pas immédiatement repéré et où Joseph ne serait pas aperçu depuis l’accueil. Elle n’eut pas besoin de faire un grand cirque à la réception ; il leur restait des chambres, elle présenta une carte d’identité, paya d’avance en cash et récupéra la clé. Dehors, elle fit signe à Joseph de sortir de la voiture et de la suivre. Elle n’avait pris qu’une seule chambre pour eux deux ; pour une seconde chambre, le brun aurait été forcé de se montrer et d’indiquer son identité également, et son allure les aurait trahi immédiatement. Ils étaient à l’étage. Au bruit, aucun des deux autres logements n’était habité. La machine à grignotages et celle à café étaient au rez-de-chaussée -tant pis pour ça. La chambre était spartiate ; un grand lit, une table, une chaise, une télévision, une salle de bains. “J’te préviens, tu dors par terre.”
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| | | | (#)Jeu 4 Fév 2021 - 19:57 | |
| Elle prétend avoir choisi délibérément une carrière au milieu de la drogue et des flingues parce que cette dernière n’aurait pas pu l’ennuyer. Elle marque un point, certes, mais Joseph ne partagera jamais cet avis parce qu’il aurait évidemment préféré ne pas craindre les voitures de police qu’il croise sur la route à chaque fois qu’il conduit sans permis, où les flics vêtus de leur uniforme dans la rue quand il ne fait que passer devant eux sans les regarder. Il est constamment sur ses gardes et, si effectivement il n’a pas le temps de s’ennuyer, il n’a aussi pas le temps de se reposer complètement. Il ne se souvient pas la dernière fois qu’il a passé une nuit de plus de quatre heures sans se réveiller à toutes les heures avec le cœur battant trop vite dans sa poitrine. Aussi ironique que cela puisse paraître, il dormait bien mieux en prison parce qu’il ne pouvait pas craindre d’entendre un coup de feu. « En effet. J’n’ai plus l’impression d’savoir ce que ça fait d’s’ennuyer. Mais c’est épuisant. » Il ne la contredit pas complètement mais il ne peut pas s’empêcher de partager son avis. Il mentirait s’il affirmait apprécier ces journées toujours remplies et ses poches remplies de sachets dont il doit se débarrasser en échange de pièces. « Mais tu ne te serais probablement pas ennuyée si t’avais fait carrière dans le théâtre, pas vrai ? » Il relance finalement en l’observant du coin de l’œil, ses paupières alourdies par la douce sensation de la drogue qui se mêle à ses neurones. Il inspire aussi la fumée qui s’échappe de sa clope parce qu’on est jamais addict à qu’une seule sorte de poison. « J’avoue que je ne m’attendais pas à ça. » À la retrouver sur scène, déguisée ainsi, à profiter des applaudissements et des grains de riz (c’était des grains de riz ?) projeté sur les acteurs. Pendant un moment, il avait oublié qu’elle était une criminelle, comme lui. “T’aurais pu changer d’avis entre temps. L’argent a cet effet là sur les gens.” Il attend encore ce jour où l’argent le fera saliver. Peut-être que cet amour pour les billets pourrait le pousser à être plus motivé et moins râleur. Mais on dit souvent des riches qu’ils sont antipathiques et, même s’il est le dernier à croire sur parole les stéréotypes, il n’a pas envie de perdre cette lumière généreuse qui n’a jamais cessé de briller dans sa poitrine même lorsqu’il commet un délit. Il n’y a que cette part de lui qui le rassure et qui l’empêche de se détester complètement. Il n’a pas l’impression d’être un vrai criminel au même titre que tous ceux qu’il a croisés derrière les barreaux mais, au fond, il ne doit pas être le seul à s’alléger l’esprit de cette façon. Tout le monde pense être le héros de sa propre histoire. « Je ne sais pas c’que j’m’achèterais avec une fortune. » Il finit par souffler en haussant les épaules, oubliant complètement la douleur à son bras maintenant que la drogue agit comme un cachet d’ibuprofène.
Il n’aurait pas parlé d’Ichabod si Lou ne l’avait pas fait. Il pense avoir fait son deuil pour l’ami qu’il était avant. Ils se sont toujours serrés les coudes parce qu’ils arrivaient à lire dans les pensées de l’autre mais cette chose qui les liait dans le passé a délaissé son patron, faisant de lui un sbire au même titre que tous ceux qui ne se posent pas de questions et qui acceptent de travailler pour la ruche dans l’unique but de se gonfler les poches sans passer par la case bureau. “C’est lui qui a insisté pour te superviser, tu sais ? Je pense qu’il tient à toi. Si ça peut être d’un quelconque réconfort.” Il esquisse un sourire surpris quand elle utilise le mot « superviser » ; il se sent soudainement dans la peau du gamin agité et hyperactif dans la classe de maternelle. C’est bien ce qu’il a toujours fait, au fond. Le superviser, lui et sa tendance à imiter les autres pour simplement faire partie d’un groupe, pour ne plus laisser la solitude l’écraser, l’abattre. Il s’est assuré qu’il ne tombe pas aussi bas que ceux qui ont perdu toute trace de morale. « Je sais. » Oui, il sait. Ichabod lui a fait part de son arrangement avec Lou dès lors qu’ils se sont retrouvés. « Je ne sais pas si ça change réellement quelque chose. Ce sont bien tes fesses que je viens de sauver d’un maniaque, ce soir. » Il ajoute, le ton faussement vantard. Malgré tout, Joseph ne comprend toujours pas pourquoi son patron a accepté de se lier à une ennemie. Et il ne pense pas obtenir la réponse ce soir. “C’est pas difficile d’être plus futé que toi.” Il n’est pas blessé, il ne le sera jamais. Il n’est pas futé comme criminel, certes, mais il se démarque d’une autre façon… Enfin, il croit ? « Peut-être, mais ce n’est pas moi qui ai perdu un bras. » Il rétorque pour faire réaliser à Lou que son nouveau complice a lui-même fait des conneries dans le passé, notamment en refusant d’aller à l’hôpital lorsque sa plaie s’est infectée.
La route de campagne s’allonge éternellement sous la voiture. La conduite est devenue automatique pour celui qui peine à garder ses yeux ouverts, la fatigue appuyant sur ses paupières. Heureusement, Lou remarque un panneau que lui-même n’a pas vu. Il se redresse dans son siège et se raclant la gorge pour faire semblant de ne pas avoir frôlé la sieste. « Yep. » Il lance, comme s’il avait lui aussi prévu de s’engager dans la prochaine sortie à peine quelques mètres plus loin. Pour n’attirer l’attention de personne, il conduit prudemment lorsqu’ils s’enfoncent sur le terrain du motel et il acquiesce lorsque sa patronne désigne la place de parking la plus éloignée, la plus discrète. Ils ne pouvaient pas permettre au soleil d’éclairer la carrosserie trouée et les vitres éclatées du véhicule au petit matin. C’est au tour de Lou de jouer ; elle fausse compagnie à Joseph le temps de récupérer une chambre. Le garçon profite du moment pour jeter un coup d’œil à sa blessure afin de s’assurer que le garrot est encore assez serré et que le sang a séché. À première vue, rien ne l’inquiète. Sa complice lui fait bientôt signe de le rejoindre et il se hisse en dehors de la voiture en grimaçant, claquant le plus doucement possible la portière derrière lui. Il la suit jusqu’à la chambre et maudit les escaliers qu’il doit affronter pour y parvenir. “J’te préviens, tu dors par terre.” Il glousse en voyant l’unique lit placé au milieu de la petite chambre. À quoi il s’attendait de toute façon ? « T’as pas l’habitude de dormir avec un mec ? » Il demande en s’enfonçant dans la pièce pour poser son sac sur la chaise. Automatiquement, il se dirige vers la salle de bains pour grossièrement nettoyer sa peau couverte de peinture rouge – c’est bien mieux de se dire que c’est de la peinture. Maintenant éclairé par une lumière artificielle, il peut facilement noter la présence des cernes noirs sous ses yeux et il grimace, croisant le regard de Lou à travers le reflet du miroir. Il réalise bien rapidement qu’il lui offre une vue panoramique sur son dos couvert de marques du passé alors il engage une conversation gênante pour qu’elle détourne les yeux. « T'as pas d'copain, alors ? » La plupart des criminels évitent les histoires d’amour mais certains sont assez courageux pour mener deux vies. C’est le cas d’Ichabod qui aurait dû, toutefois, laisser tomber sa vie de malfrat quand il en a eu l’occasion. @Lou Aberline |
| | | | (#)Lun 15 Fév 2021 - 15:08 | |
| | | ► TIME PASSES SLOWLY
Like the red rose of summer that blooms in the day Time passes slowly and fades away
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Son coeur se serra à la mention du théâtre. Lou avait toujours entretenu une activité artistique en parallèle de toutes les vagues qu’empruntait sa vie. C’était une constante, l’une des rares de ce genre. Pendant longtemps, il y avait eu les Street Cats, et si Anwar avait su garder son engin dans son pantalon lorsqu’il s’agissait de la meilleure amie de la jeune femme, peut-être que le groupe ne se serait pas disloqué. Ou peut-être que cela était inévitable, le cycle éternel des rassemblements de musicos qui se font et se défont. Elle avait intégré le Rocky Horror Picture Show depuis un moment désormais. La troupe avait fait partie des premiers clients de la Ruche et furent rapidement les plus fidèles. Mais c’était l’univers du show qu’elle aimait tout particulièrement, le grotesque sur fond d’érotisme à faire rougir les plus prudes. Elle aimait les musiques, les chorégraphies étranges, les blagues, les batailles de riz et d’eau dans le public. Elle aimait être Magenta trois soirs par semaine et laisser Lou au vestiaire. “C’est de l’histoire ancienne maintenant.” souffla-t-elle, le regard baissé avec dépit. Elle n’aurait jamais pensé que cette représentation serait sa dernière. Pourtant elle n’avait pas d’autre choix que de tourner le dos à cette activité ; elle ne pouvait pas mettre la troupe en danger par sa faute. Ils avaient été une seconde famille pour elle. Il n’était pas question que le Club s’en prenne à eux comme ils s’en étaient pris à Finnley. C’était une leçon amère qu’elle retenait ; cette fameuse carrière de gangster qu’elle avait choisi était synonyme d’une vie sans attaches, aux amis de plus en plus rares, aux ennemis de plus en plus nombreux. Il n’avait pas tort, Joseph ; cela pouvait être épuisant. Viendra un jour où Lou ne compterait plus les morts sur sa conscience ou toutes les fois où l’on avait essayé de la liquider. Peut-être parviendra-t-elle à voir le vide autour d’elle sans s’en lamenter. Mais elle n’avait jamais été douée avec la solitude, Lou.
Une fois au motel, elle laissa les mésaventures de la soirée à l’extérieur de la chambre. Elle ne voulait plus penser au type qui avait tenté de la tuer, aux coups de feu, à la fuite en voiture, au théâtre qu’elle abandonnait sans se retourner. Elle avait une pipe à crack dans son sac qui, avec un peu de chance, ne s’était pas brisée dans sa course. Elle savait déjà comment occuper le reste de la nuit et s’assurer un sommeil sans rêves. Les lumières de la chambre étaient d’un jaune orangé qui semblait vieillir tout ce qu’elles éclairaient. Il semblait à Lou avoir fait un bond dans le début des années quatre-vingt-dix. Le ménage n’avait probablement pas été fait à fond depuis au moins autant de temps. Mais tant que le matelas n’était pas infesté de puces de lit, l’australienne ne se plaignait pas. “Pourquoi je devrais me contenter d’un seul ?” elle rétorqua à la bêtise de Joseph en faisant dans la surenchère. Elle avait déjà passé la nuit dans les lits un peu trop remplis de bras et de jambes. Elle n’en avait pas fait une habitude contrairement à ce qu’elle prétendait, mais elle ne s’en cachait pas. Le brun se rendit dans la salle de bains. Pour sa part, elle s’asseya sur le lit et fouilla son sac à la recherche de sa pipe en verre. Si celle-ci était en morceaux, Lou savait de toute manière comment en fabriquer une nouvelle avec un stylo et une bouteille d’eau. Un junkie voulant sa dose apprenait à se débrouiller en toutes circonstances. Mais la pipe était intacte et le tutoriel DIY ne serait pas pour ce soir-là. Lorsqu’elle relève la tête en direction de Joseph, celui-ci nettoyait sa blessure. Elle n’eut pas le temps de remarquer le reste de ses cicatrices qu’elle détournait déjà furieusement le regard. “Non, pas de copain.” fit-elle sèchement. L’innocente question était encore trop sensible pour elle. Lou avait beau tenter de complètement tirer un trait sur Finn, elle ne pouvait pas empêcher ses pensées de s’égarer à son sujet de temps en temps, lorsqu’elle entendait une musique qui lui plairait, lorsqu’elle s’endormait seule le soir, ou quand elle portait les fameux souliers tâchés de sang le jour où il avait claqué la porte. Ses lèvres se pincèrent. Elle voulait le nier mais songer à lui brisait un peu plus son coeur à chaque fois. Elle l’avait perdu et parfois, elle ne le réalisait pas. D’autres, elle pensait que cela était pour le mieux. “Ca aussi c’est de l’histoire ancienne.” conclut-elle. Tout espoir de renouer avec le rouquin s’amenuisait de jour en jour. Lui avait lâché prise, alors pourquoi s’encombrait-elle encore de ces regrets ?
Abandonnant ses affaires sur le lit, Lou se leva et fit quelques pas dans la chambre pour rejoindre la salle de bains. Elle s’appuya sur le cadre de la porte, bras croisés, observant Joseph et son éraflure de balle. Son dos indiquait qu’il n’était pas à son premier rodéo. “T’as essayé de boxer avec un ours ?” elle demanda avec un petit rire qui n’était pas de circonstances -mais cela, elle n’en savait rien. Elle n’était pas réellement intéressée, mais quitte à être coincée avec lui pour les prochaines heures, autant s’éviter de se regarder en chien de faïence.
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| | | | (#)Mer 24 Fév 2021 - 20:24 | |
| Il sent déjà la nostalgie dans le ton de la voix de Lou lorsqu’elle conclue que cette soirée théâtrale était sa dernière. Il faut dire que les chances qu’elle remonte sur scène sans qu’une balle ne lui transperce le crâne sont maigres : maintenant que le fou du club a loupé sa cible, il voudra certainement terminer le travail pour ne pas se faire punir. On ne pardonne pas, dans un gang, et il a fait l’erreur de s’afficher en public avec un flingue : les policiers ne le pardonneront pas eux non plus s’ils mettent la main sur lui. Il n’était pas masqué, après tout, il a fait la connerie de sa vie. « Pour le moment. » Le garçon se permet de murmurer, ne voulant pas ruiner toutes ses aspirations en approuvant simplement la finalité de cette activité qui n’a rien à voir avec la vie de criminelle qu’elle mène. Joseph est celui qui cherche le positif dans n’importe quelle situation, même celles qui paraissent les plus difficiles. Il a réussi à remercier ses trois années d’incarcération car elles lui ont permis de dénicher sa passion pour la lecture ainsi que de rencontrer la jeune femme qui est aujourd’hui sa meilleure amie et le toit au-dessus de sa tête.
Ironiquement, c’est seulement une fois arrivé au motel – donc en lieu sûr – que la douleur s’embrase à nouveau dans le bras engourdi du conducteur qui peine à sortir de la bagnole sans grimacer. Le trajet jusqu’à la chambre se fait dans la plus grande des discrétions (bien que ses semelles frottent contre le sol tellement la fatigue pèse sur ses épaules). À l’intérieur de la petite pièce seulement garnie d’un lit et de quelques meubles essentiels à la survie d’un drogué, il se dirige automatiquement vers la salle de bains pour se nettoyer un peu, conscient qu’il ne pourra pas honorer son corps sale d’une douche chaude. Il a besoin de vrais soins avant de se glisser sous un jet d’eau ; du sang s’écoule encore de sa plaie ouverte malgré le garrot. “Pourquoi je devrais me contenter d’un seul ?” Il n’a pas le cœur à rigoler mais il l’aurait fait si l’entièreté de son cerveau ne s’était pas donné le défi de faire souffrir Joseph le plus possible. Il esquisse seulement un sourire forcé mais il ne répond pas, pas totalement intéressé par la vie sexuelle de sa patronne. On ne peut pas lui en vouloir : quand il pense à elle, il n’imagine pas un potentiel amoureux mais plutôt un bras droit à Hitler. Sans vouloir la vexer, évidemment, bien qu’elle se soit légèrement adoucie ce soir, comme si elle était réellement reconnaissante envers celui qui lui a sauvé la vie. Elle n’a pas encore trouvé le moyen de lui reprocher quoi que ce soit. Elle aurait pu le faire à plusieurs reprises, il l’avait même imaginée pointer du doigt les trous dans la carrosserie de la bagnole et le sang sur le siège pour lui reprocher sa négligence. “Non, pas de copain.” Elle lui répond, ses yeux croisant les siens dans le reflet du miroir devant lequel il nettoie grossièrement le liquide rouge qui a recouvert l’entièreté de son biceps. Il soutient son regard quelques secondes, pas particulièrement surpris par cette réponse négative. Après tout, il n’y a qu’Ichabod qui était assez courageux pour entretenir une relation avec une femme – et, même, il l’a quittée quand il a pris la place de son père abattu. “Ca aussi c’est de l’histoire ancienne.” Il hausse naturellement un sourcil, curieux d’entendre là aussi un certain malaise dans sa voix. Il reste silencieux plusieurs secondes pour concentrer toute son énergie dans le nettoyage de sa plaie, évitant de l’ouvrir davantage par le biais d’un coup de serviette maladroit et il finit par demander sans la regarder, pour lui laisser un peu d’intimité : « De l’histoire très ancienne ou… récemment ancienne ? » Sa question ne fait pas de sens et il espère simplement qu’elle comprendra son point. Il n’a pas particulièrement envie d’être contraint à préciser le fond de sa pensée parce qu’il n’a pas l’impression d’avoir le droit de lui poser ce genre question. Elle est sa patronne et quiconque possédant une place dans son cercle social craint pour sa vie. C’est la loi de la nature.
“T’as essayé de boxer avec un ours ?” Ses muscles se serrent instantanément : une sorte de mécanisme de défense à l’évocation des cicatrices qui le suivent et le hantent depuis son enfance. Il commence à regretter la petitesse du tatouage qu’il s’est fait encrer dans le haut de son cou. Ce dernier n’est pas assez visible et ne détourne pas l’attention de ce qui intéresse vraiment les âmes curieuses. Malgré son inconfort, Joseph décide d’opter pour la plaisanterie et il entre dans son petit jeu. « Exactement. T’imagines même pas l’état de l’ours si, moi, j’ai survécu. » Cependant, il sait que la vanne ne s’éternisera pas, alors, pour ne pas lui laisser le temps de réclamer la vérité (elle a le droit de le faire ?) il se contente d’éclaircir très légèrement ses interrogations, histoire de satisfaire son appétit. « Je n’ai jamais cru en l’Église alors on me le faisait payer. » Il éponge doucement sa plaie nettoyée avec une serviette propre et terriblement rugueuse. « Tant pis si l’Enfer existe réellement. Il est trop tard pour nous pour confesser, de toute façon. » Il ajoute sur un ton las, jetant un coup d’œil à Lou, derrière lui, souhaitant recueillir son avis sur la question.
@Lou Aberline |
| | | | | | | | Time passes slowly on the road [Lou&Jo] |
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