J’ai failli les prononcer, ces foutus mots. J’ai failli les prononcer mais heureusement ils n’ont pas réussi à passer la barrière de mes lèvres. Parce que c’est trop tard je le sais. Elle va partir, les mots n’auront plus aucune conséquence si ce n’est mettre une nouvelle barrière entre nous. Je n’ai pas envie que le baiser s’arrête, comme je n’ai pas envie de gâcher nos derniers instants ensemble, alors je me tais, cherchant à immortaliser le goût de ses lèvres tant que je suis sobre, cherchant à garder la douceur de sa peau, la texture de ses cheveux en tête. J’ai mon cœur qui s’emballe et trop de sentiments au bout des lèvres et je me force à faire marche arrière, retrouvant on sourire.

« Ouais et je sais que c’est exactement pour ça que tu vas leur sauter dessus. » Je gronde faussement offusqué quand malgré tout je ris, peu jaloux en vérité, trop conscient qu’elle était libre de faire ce qu’elle voulait et qu’elle serait bien trop loin pour que je puisse dire quoique ce soit. Surtout qu’il était clair que j’allais me consoler dans les bras d’autres personnes pour arriver à oublier la douleur de son départ.  Alors je joue le jeu dans lequel elle m’embarque avec son regard plein de défi, mes mains se glissent dans ses cheveux, je viens pencher sa tête en arrière pour embrasser lentement son cou, comme un rappel du premier soir où j’avais craqué. « Non ils vont pas être à la hauteur, ils seront trop posh pour toi, trop ennuyeux, bon ok ils seront peut être lord et possiblement ils auront un château. Mais c’est surfait les châteaux Jill. » Je débite les paroles à un rythme lent entre chaque baiser, souhaitant qu’elle garde dans son esprit le souvenir de mes baisers entre chacun de ses mots quand elle serait là bas loin de moins de moi avec tous ces beaux anglais. Elle n’a pas répondu à ma question et un sourire plus triste étire mes lèvres cette fois, je plonge mon regard dans le sien caressant sa joue, la regardant un long moment avec de murmurer avec un sourire moqueur comme si toujours tout était une bonne blague, comme si ça ne me brisait pas le cœur. « Peut être bien. »

Parce qu’elle sera un peu plus triste la vie sans elle ça j’en suis persuadé. Mes mains se détachent de son visage pour venir trouver mon téléphone. L’écran s’allume, révèle l’heure déjà tard. Je soupire. « On va devoir commencer à charger tes bagages dans la bagnole. » Je regarde tous les sacs autour de nous. « En fait j’ai rien dit, t’aurais dû en avoir plus, comme ça tout ne serait pas rentré et t’aurais été obligée de revenir pour les chercher. » Mes mains pourtant viennent remonter le long de ses cuisses jusqu’à ses hanches et je l’embrasse de nouveau, plus longuement cette fois comme si je voulais malgré tout retarder son départ.

Il l’a embrassé, elle sourit. Ils oublient pendant quelques minutes qu’ils vont devoir partir et l’emmener à l’aéroport. Plus le temps passe et moins elle a envie d’y aller. Elle soupire, elle reste contre lui, profitant des derniers instants. Personne ne les surveille ici, ils peuvent être ce qu’ils veulent sans que personne ne puisse dire quoi que ce soit. Ils sont meilleurs amis face au monde, et une relation sans nom quand ils arrivent à être seul tous les deux. Elle n’a pas envie d’en parler, elle ne veut pas savoir ce qu’il y a entre eux parce que ça compliquerait absolument tout. “C’est vrai que j’ai la réputation de sauter sur tout ce qui bouge.” Elle se fiche d’avoir cette réputation, ce n’est pas complètement faux à vrai dire.

Les lèvres de Pete se perdent dans le cou de Jill et elle penche la tête pour lui laisser plus d’espace. “Je te réserverai une chambre dans le château pour pouvoir avoir l’argent et le plaisir en même temps s’ils ne sont pas à la hauteur.” Elle sait qu’elle va craquer de nombreuses fois à Londres, elle aura des centaines d’amants, et ce sera la même chose pour Pete. Ils ne s’attendront pas, ils ne parleront pas de ça. Aucun d’eux n’est prêt à réfléchir à ce genre d’alternative. Alors ils profitent tant qu’ils le peuvent encore. “T’as intérêt à te ramener…” Elle dit ça en laissant ses dents s’emparer d’une parcelle du cou du jeune homme.

Il regarde l’heure, il n’aurait jamais dû. Jill a mis son téléphone en silencieux et elle doit avoir des dizaines d’appels et de messages qu’elle n’a pas encore vu. Tant qu’elle ne les voit pas c’est que tout ça n’est pas vraiment réel. “T’as qu’à choisir un truc que tu gardes ici et que je serai obligée de venir chercher plus tard.” Il peut bien prendre ce qu’il veut, Jill n’est pas quelqu’un de matérielle. Elle n’a besoin de rien, mais ça pourra toujours lui faire une excuse pour revenir à Brisbane. Elle pourra dire que c’était pour ça, et pas que c’était pour le revoir. Elle ne se détache pas, et il ne bouge pas non plus. Elle répond au baiser et laisse glisser ses mains sous le tee-shirt de Pete, si aucun des deux ne se lève elle va vraiment finir par rater son avion.

Sauter tout ce qui bouge. Oui elle avait cette réputation. Mais c’était exactement la même que la mienne alors ce n’était pas moi qui allais juger. On se ressemblait trop elle et moi c’était peut-être ça au fond le problème.

Elle penche la tête en arrière et je me délecte du goût de sa peau sur mes lèvres.  Je ris en l’entendant parler du château. « Merci c’est trop généreux ».  On ne s’attendra pas. De toute façon on s’attendrait pourquoi ? Il n’y a pas de nous, pas comme un couple, pas comme quelque chose de plus que deux amis jouant avec les lignes de l’amitié en finissant dans le même lit de trop nombreuses fois.  Ses dents éraflent ma peau et mon envie d’elle ne fait qu’augmenter, je murmure « Jme ramènerais. C’est promis. » Croix bois croix de fer.

Ses mains sous mon t-shirt m’arrachent un frisson de désir et je veux plus, maintenant tout de suite. Je veux me rappeler de chaque parcelle de sa peau, mémoriser chaque sensation avant de l’oublier complètement. Je maudis mon esprit embrumé par l’alcool des fois précédentes et pour la première fois j’aurais voulu être sobre, être parfaitement conscient de chacun de mes fait set gestes. Je la rapproche de moi, mes mains passant à mon tour sous le t-shirt. Nos corps s’agitent avec frénésie comme si on savait parfaitement que c’était le dernier moment, le dernier instant. « On a pas le temps. » Non on n’a pas le temps, pourtant je continue à l’embrasser, mes mains s’agrippant à sa peau, mes lèvres déposant des baisers brulants dans son cou, sur ses lèvres. « On a pas le temps Jill. » Mon pantalon devient trop serré, j’ai trop chaud, et j’ai le sentiment que tout va trop vite, que chaque minute est beaucoup trop rapide que je n’arrive pas à ralentir à arrêter le temps. Pourtant je me force à me détacher de son visage, à nous laisser reprendre nos souffles à attraper ses mains pour l’empêcher de me faire craquer avec ses caresses. Je la regarde tristement à présent, sans mon sourire habituel, je n’ai pas le cœur à le mettre, quand mon regard est encore noir de désir. « Il faut qu’on y aille. » Je l’incite à bouge, me relevant puis j’attrape son poignet où il y a un bracelet, un bracelet tout simple, tout con, mais je lui retire lentement.  J’en pèse le poids dans ma paume, je la regarde un long moment. « Je vais garder ça. » A défaut de pouvoir la garder ici avec moi. Peut-être que ça lui fera une excuse, peut être qu’elle pourra prétendre que le bracelet est d’une importance capitale. Probablement pas. Ca n’a pas d’importance.

Il promet qu’il va venir, il sait qu’elle aussi elle reviendra vers lui. C’est son meilleur ami, et elle n’a pas envie de le perdre. Elle sait que la réciproque est vraie, il lui a bien fait comprendre. Ils n’ont pas vraiment besoin de parler de tout ça, la décision était prise avant même que cette discussion ne commence. “Si tu le fais pas je viendrai te chercher moi-même.” Il sait qu’elle le ferait. Mais que ce moment pourrait ne pas être très agréable pour lui. Ils ont promis, ils le feront. Elle sourit et lui laisse toute la place dont il a besoin pour embrasser son cou et elle soupire d’aise avant de laisser glisser ses mains sur son corps.

Le baiser s’éternise, les mains sont baladeuses et les soupires se mélangent. Elle mord sa lèvre inférieure et ne veut pas se détacher. Elle ne veut pas penser à l’heure ni à l’avion qui les attend. Ils n’ont pas le temps, mais elle s’en fiche à cet instant. S’ils avaient continué, s’il ne l’avait pas arrêté là, elle aurait loupé ce foutu avion. Mais il faut croire que Pete a décidé d’être le plus raisonnable des deux aujourd’hui. Il a terriblement mal choisi son jour. Il attrape ses mains et elle grogne en se détachant de lui pour se relever. Elle n’a pas envie de partir, et pourtant, il le faut. “Je t’ai pas souvent connu raisonnable.” Elle hausse les épaules et elle regarde la main de Pete qui s’égare sur son poignet. Poignet où elle a laissé un bracelet qui lui rappelle son tour du monde, un bracelet qu’elle n’enlève jamais en temps normal. “Faudra que je revienne le chercher !” Elle s’éloigne et récupère un de ses sac qui traîne au sol. Elle ne récupèrera jamais ce bracelet, mais ça lui fera une excuse pour revenir le voir à chaque fois qu’elle aura oublié de le récupérer.

Les bagages sont rangés dans la voiture, il ne fallait pas un sac de plus. Elle s’assoit du côté passager et reste silencieuse pendant une partie du trajet, se demandant encore au fond pourquoi elle fait ça.

Je ne suis pas quelqu’un de raisonnable. Et aujourd’hui je le suis. Je le suis au pire moment, alors que j’aurais dû continuer, lui enlever ses vêtements, lier nos corps une dernière fois. Si j’avais continué elle aurait loupé l’avion, elle serait restée. Mais c’est une illusion on le sait tous les deux. Et en regardant l’heure sur mon téléphone j’ai vu les je ne sais combien messages de Matt qui me demande où je suis, ce que je fais, pourquoi Jill est pas déjà dans ce putain d’aéroport.  Alors je me force à me détacher d’elle, à regret, à nous relever. «  Je sais grande surprise, même moi je me reconnais pas. » Mon grommèlement laisse clairement comprendre à quel point moi non plus je n’avais pas envie de la lâcher. Je remets bien mon t-shirt, tente d’imaginer quoique ce soit qui me dégouterait histoire de me faire l’effet d’une douche froide, l’évidence physique du fait que je n’ai aucune envie de m’arrêter un peu trop voyante.  Une douche froide vite. Matt en tutu. Loupé il est trop beau ce con, même le tutu ça lui irait bien. Dorian dans un onesie crocodile. Rien à faire, mes amis sont tous aussi sexy les uns que les autres, il n’y a pas d’échappatoire. Non finalement c’est simplement regarder les sacs autour de nous, l’évidence de son départ, un rappel du trou béant qu’elle va laisser dans ma poitrine qui suffit.  Je lui pique son bracelet alors et elle me dit qu’elle devra revenir le chercher et je souris le glissant dans ma poche. Elle ne le retrouvera sûrement pas ce bracelet mais elle reviendra j’en suis sûr.  

Les bagages sont chargées dans la voiture. Il n’en faudrait pas une de plus, je m’installe au volant, conduisant et soudain le silence revient. Aucun de nous deux n’a envie de rire, de prétendre que tout va bien. Je la regarde de temps en temps, quand la route me le permet, essayant d’enregistrer chaque détail de sa peau. Il y a trop de choses que j’ai envie de lui dire soudain, trop de choses que j’aurais dû lui dire, lui avouer. Mais c’est trop tard. Nous n’avons plus le temps. Lorsque je m’arrête devant l’aéroport, que j’éteins le moteur, on reste tous les deux là un long moment, à ne rien dire, à chasser des minutes qu’on n’a pas. Je pourrais lui dire alors mes regrets, le fait de vouloir plus, mais je m’en rends compte trop tard. « On est arrivé. » Je lui dis comme un con avec un sourire triste. Évidemment qu’elle le sait. J’ai envie de l’embrasser de nouveau, une dernière fois, mais je ne le fais pas, je me contente de la regarder longuement. De nouveau les mots sortent de ma bouche sans que je n’arrive à les retenir. « Pars pas. » Mais elle va partir, il n’y a pas d’autre choix.

C’est pour ça que je vais descendre de la voiture, l’aider à amener ses bagages jusqu’à l’enregistrement, serrer les Mcgrath une dernière fois dans mes bras et me barrer. Elle m’a laissé son bracelet. Je lui ai laissé mon cœur. Je ne suis pas sûr que l’échange ait été très équitable, mais comme toujours avec Jill, c’est elle qui a gagné.

Elle aurait voulu qu’il se taise, qu’il ne regarde pas l’heure défiler sur son téléphone, qu’il fasse tout sauf stopper leur étreinte. Elle est frustrée Jill quand ils se relèvent et qu’ils se retrouvent devant les bagages. Face à l’évidence. Il glisse son bracelet dans sa poche, et Jill ne sait pas si elle le récupèrera un jour. Elle ne sait même pas s’il va réellement le garder ou le perdre à la seconde où elle sera dans l’avion. Elle ne veut pas y réfléchir, même si son poignet est terriblement vide.

Le trajet en voiture est long sans l’être vraiment. C’est silencieux, parce qu’elle n’a rien à dire la McGrath, quand Pete aurait trop de choses à lui avouer. Alors elle regarde par la fenêtre, ces paysages qu’elle connait bien mais qu’elle abandonne dans les heures qui viennent. Pourquoi elle est montée dans cette voiture ? La loyauté envers sa famille est bien plus forte que quiconque ne pourrait l’imaginer. Ils sont arrivés, elle a vu Jill. Et pourtant, elle ne bouge pas de la voiture. Elle ne fait qu’observer l’extérieur comme si tout ça n’était pas réel. Comme si quelqu’un allait lui dire que ce n’était qu’une blague et qu’elle pouvait rentrer chez elle.

Ce sont ses derniers mots à lui qui lui font tourner la tête. Elle croise son regard triste, il sait qu’elle va devoir sortir de cette voiture. “Je suis désolée.” Parce qu’elle ne peut pas le suivre, elle ne peut pas faire ce qu’elle voudrait et ce qu’il attend. Elle sort de la voiture pour l’aider à sortir ses affaires et le prendre dans ses bras avant qu’ils n’entrent dans l’aéroport. Il faut revêtir les masques des apparences pour retrouver le reste de la famille. Elle est brisée Jill, et les derniers morceaux sont encore piétinés quand elle regarde sa soeur qui a l’air d’être sans vie. Ils ne peuvent pas faire ça, elle ne peut pas laisser faire un truc pareil. Et pourtant, Pete dit au revoir et s’en va, et elle monte dans l’avion pour se poser à côté de sa petite soeur. Pourtant, elle prend sa main, aussi désespérée qu’elle en attendant de voir ce qui peut les attendre. Mais elle n’a pas le courage de rester dans l’avion Jill, elle doit essayer de rester en Australie, pour elle, pour sa soeur, et pour Pete un peu aussi.