Un mois, un long mois sans donner de nouvelles, sans qu’aucun membre de la famille ne sache ce que Peter pouvait bien faire, où il pouvait bien se trouver. J’avais pris sur moi pour ne pas retourner la terre entière pour le retrouver, parce qu’après tout, Peter était un grand garçon, il avait le droit de faire ce qu’il voulait, même si sa disparition soudaine m’avait laissé un goût amer. Il s’en était passé des choses en un mois, des choses qu’il ne soupçonnait certainement pas et après tout, était-il bien placé pour me reprocher d’avoir, moi aussi, gardé le silence ? A croire que c’était quelque chose de famille, de rester silencieux, secret, de laisser les gens qui vous aiment dans le flou le plus total, de tout garder pour soi en sachant très bien pourtant, que des oreilles attentives n’attendent que d’entendre vos confessions. J’aimais mon frère et pour le coup, il avait de la chance que je l’aime à ce point et que je me contente de lui rendre une visite courtoise plutôt que de lui botter les fesses pour avoir stressé tout le monde sans aucune culpabilité apparente. Je l’avais harcelé d’appels et de messages, tout comme Link, tout comme notre mère et une fois de plus, j’avais obtenu gain de cause, parce que j’étais gentille, mais surtout, j’étais coriace, difficile de trouver plus têtu que moi. A force d’insistance, j’avais obtenu une adresse et sans même attendre d’y être invitée, j’avais décidé de me pointer à l’improviste, tentant de mettre ma rancœur de côté et d’être tout simplement heureuse de retrouver mon frangin.
Je me sentais particulièrement fatiguée ce jour-là, je dormais mal la nuit, j’étais inquiète pour mon futur et surtout, je ne me ménageais pas assez, j’en étais consciente. Après tout, on ne se refait pas, j’avais beau avoir fait des études de médecine, être totalement consciente de la situation, j’étais aussi bien trop tête brûlée pour obéir et bien trop agitée pour réussir à survivre, allongée du matin au soir. Si je devais éviter un maximum de stress, mon frère, malgré lui, ne m’aidait certainement pas à la tâche et j’espérais sincèrement que le revoir balayerait partiellement mes inquiétudes. Peut-être que ce petit break l’avait fait réfléchir, peut-être qu’il lui avait permis de remettre les choses en place dans son esprit, peut-être qu'il l'avait décidé à changer partiellement ses habitudes, en particulier l’une de celles-ci, qui m’angoissait autant. Je savais que mon frère était plutôt du genre festif depuis longtemps déjà, mais plus le temps passait et plus j’avais cette sale impression que l’alcool qu’il ingurgitait commençait à prendre bien trop de place dans sa vie. J’espérais sincèrement me tromper, mais malheureusement, mes pressentiments ne me trompaient que très rarement.
Arrivée sur les lieux, je sonnais à la porte tout en espérant sincèrement qu’il serait là. Il avait beau être incontrôlable et tête dure comme personne, il restait mon frère et il m’avait énormément manqué, j’étais persuadée qu’il n’en avait pas conscience, du moins pas à ce point. La porte s’ouvrit sur un Peter visiblement surprit et déboussolé. Sa première question fut de demander si c’était notre mère qui m’avait envoyée. Je levais les yeux au ciel et posais de nouveau son regard sur lui avec un léger sourire. « Moi aussi je suis contente de te retrouver, frangin. » Je rentrais sans le lâcher des yeux. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre son état et sa perte d’équilibre ne fit que me convaincre que mes impressions étaient bonnes. Je sentais mon cœur battre un peu plus rapidement dans ma poitrine alors que mon cerveau tentait d’essayer de me calmer. Il ne fallait pas que je m’énerve, pas maintenant, pas dans mon état.
Tentant de faire comme si de rien n’était, je déposais un baiser sur la joue de mon grand frère, cherchant un indice supplémentaire qui ne tarda pas à me sauter en pleine figure. Il sentait l’alcool, il aurait fallu n’avoir aucun odorat pour ne pas le remarquer. Je plongeais mon regard accusateur dans le sien, dans l’espoir qu’il chercherait, en vain, à noyer le poisson, ou alors qu’il m’en parle de lui-même, mais je n’étais pas aussi naïve, il ne le ferait sûrement pas. « Est-ce que quelque chose ne va pas Peter ? » Nouveau regard accusateur, lorsque je l’appelais par son prénom entier, il savait, habituellement, très bien que quelque chose clochait. « Tu n’aurais pas quelque chose à me dire par hasard ? »
Le voir dans cet état ne faisait qu’aggraver la situation. Mon frère, je l’avais déjà vu un peu pompette, « festif » disons, mais dans des situations qui s’y prêtaient, c’était bien la première fois que je le voyais ainsi, alors qu’il se trouvait seul, totalement seul. Peter, quand à lui, semblait prendre la chose à la légère, l’alcool aidant très probablement, mais moi, je ne faisais que bouillir de l’intérieur au fil des secondes qui s’écoulaient. Il considérait probablement que c’était son problème, qu’il faisait ce qu’il voulait avec sa santé, sauf que ce n’était pas le cas. Hors de question que je laisse mon frère s’enfoncer dans une addiction aussi néfaste sans ne rien faire. Dans cette situation, étais-je bien placé pour lui faire une leçon de morale ? Probablement pas, puisque moi-même, j’étais loin d’être raisonnable par rapport à ma propre santé, mais cela, il ne le savait pas et ça m’arrangeait grandement à cet instant.
Je me doutais qu’il avait du s’apercevoir que j’avais quelque chose à lui reprocher, même avec l’alcool qui coulait dans son sang, je savais bien qu’il me connaissait trop pour passer à côté de cela. Pourtant, il continuait à sourire et à faire comme si tout était normal, comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes. Je prenais une grande inspiration alors qu’il refermait la porte. Calme toi Tessa, calme toi, il n’est pas dans son état habituel… « Bah non, ça va, pourquoi ça n’irait pas ! » Je me mordais la lèvre inférieure, je savais que ce n’était ni le moment ni l’endroit pour craquer, même si au fond de moi, je m’en voulais déjà de ne pas avoir une cette discussion avec Peter avant, avant que l’on en arrive à des situations comme celle-là, avant de prendre le risque de laisser échapper des mots un peu trop rudes, sous le coup de la colère et de l’émotion. Je le suivais dans le salon en restant silencieuse, ne manquant pas de me mordiller, encore et toujours, la lèvre inférieure pour ne pas parler, pour ne pas dire des choses que je pourrais regretter par la suite. Il fallait que je me calme, c’était déjà assez compliqué comme cela. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine lorsque mon regard parcourut le salon, j’étais en train d’oublier tout ce que je m’étais promis de ne pas faire depuis mon arrivée, tant le spectacle était affligeant. « Je me faisais une petite soirée improvisée ! Rien de mal ! Karaoké tout ça ! » Une excuse de plus face à une situation qu’il ne pouvait pas nier. Je restais silencieuse pendant un moment, incapable de savoir quoi dire et par où commencer. C’était mon grand frère, certes, mais il était clairement en train de merder et moi, pendant ce temps, j’étais en train de mettre totalement de côté le peu de diplomatie qui me restait. J’étais muette face à un spectacle qui me mettait hors de moi. Si nous avions parlé de tout cela à tête reposée, sans doute aurais-je pu y mettre les formes, mais y être confrontée immédiatement, c’était trop, bien trop pour que je garde le contrôle de quoique ce soit. « Je te sers un verre ? » C’était quoi cette proposition, une excuse pour en prendre un autre ? Au lieu de sauver les meubles il avait vraiment cherché à s’enfoncer d’avantage ? Parce que pour le coup, c’était plutôt réussi. « Tu vas bien ? Pas trop d’animaux en danger ? » Mon cœur se serra un peu plus dans ma poitrine, j’étais dans l’incapacité de travailler pour le moment, mais cela, il ne le savait pas. Et puis, peu importe, ce n’était pas le sujet pour le moment, il y avait bien plus grave à traiter. Toujours silencieuse, je le suivais du regard, alors qu’il retournait se chercher un verre, comme si de rien n’était. Cette fois, c'en était trop. « Tu te fous de ma gueule Peter ? » Là, je ne pouvais plus me taire, sans lui laisser le temps de réagir, je prenais son verre de sa main, tout en plongeant mon regard dans le sien. « Je savais que tu avais tendance à forcer sur la boisson, mais là, clairement, t’es en train de merder et au lieu de te raisonner, t’as juste l’air de prendre ça à la rigolade. » Je prenais une profonde inspiration en essayant de me calmer, sentant mon cœur battre encore plus fort dans ma poitrine, dans laquelle une légère douleur venait en rajouter une couche. Ma main se serra machinalement sur le dossier du canapé alors que je tenais toujours fermement le verre de mon frère de l’autre main. « Et c’est quoi ton excuse là ? T’as besoin de picoler pour te mettre dans l’ambiance pour ton karaoké à la con, alors que t’es tout seul ? » Je prenais une nouvelle inspiration, je laissais échapper tout ce que j’avais sur le cœur depuis bien trop longtemps déjà . J’avais envie de l’aider, mais je venais d’avoir la preuve devant les yeux qu’il n’était ni apte, ni prêt pour ça, s’il n’était même pas capable de se contenir devant moi, c’était encore plus inquiétant que je le pensais. « Je suis déçue Pete, vraiment… » J’avais baissé soudainement d’un ton, sentant la douleur prendre un peu plus d’importance. Ces quelques mots étaient significatifs de ma part, Pete avait toujours été comme un modèle pour moi et là, tout venait de s’écrouler comme un château de cartes.
J’étais bien consciente dès le départ que Peter ne prendrait pas bien le fait de se faire réprimander par sa petite sœur, c’était pour cela que j’avais eu tant de mal à confier mes craintes, à mettre son addiction sur le tapis, à en parler avant que cela ne dégénère de la sorte. A cet instant, je m’en bouffais les doigts, de ne pas avoir prit mon courage à deux mains, de ne pas avoir cherché à lui parler avant d’en être forcée. J’étais en train de vivre ce que je craignais le plus, de me retrouver face à mon frère ivre et de ne pas réussir à gérer mes émotions. J’étais plutôt une fille gentille, sociable et douce, mais lorsque je ne contrôlais pas une situation, lorsque quelque chose m’échappait, j’avais tendance à vriller rapidement et à devenir totalement incontrôlable. Peter n’en avait pas conscience à cet instant, mais il avait beaucoup de chance qu’à chaque fois que je me mettais en colère, je risquais de me retrouver à nouveau dans un lit d’hôpital. Le médecin me l’avait dit, rester zen, calme et posée en toute circonstances et dès le départ j’avais su que je n’en étais sûrement pas capable. Si je réagissais de la sorte, c’était simplement parce que j’aimais mon frère plus que tout et cette impression d’être inutile, de ne pas pouvoir l’aider à s’en sortir, me rendait totalement tarée.
« Arrête avec ton ton sérieux Tessa, c’est pas parce que j’ai un peu bu que je suis en train de merder. » Et voilà, le genre de réplique à laquelle de m’attendais, il était le grand frère, moi la petite sœur, les remontrances devaient lui être réservées. Sauf que, ce qu’il oubliait, c’était bien le fait que nous n’étions plus des enfants, que j’étais une femme à présent et plus une gamine qui ne connaît rien à la vie et qui n’a pas son mot à dire dans des cas comme celui-là. Sans me laisser le temps de réagir, il reprit son verre de ma main. Je restais silencieuse, ne manquant pas de le mitrailler de regards noirs. S’il le remettait à sa bouche, s’il me faisait cet affront, il n’était sûrement pas conscient que le verre risquait bien de faire son baptême de l’air. « Je suis majeur et vacciné Tessa, j’ai le droit de me détendre chez moi sans venir me faire engueuler par ma petite sœur qui se prend soudainement pour ma mère. » Je soufflais d’exaspération. Il ne manquait pas à remettre sur le tapis le fait qu’il était l’aîné et que je n’étais pas à ma place. Il allait être servi. « Et quoi ? Si le cas était inversé, tu serais resté les bras croisés sous prétexte que tu n’es pas mon père ? Non, tu m’aurais botté les fesses et tu m’aurais tapé un scandale bien pire que ce que je suis en train de faire en ce moment et même ivre, je suis sûre que tu en es conscient ! » Parce que lui, il pouvait en faire des pas de travers, mais je savais que dans le cas contraire, il ne me laisserait sûrement rien passer. Peut-être par instinct de protection, peut-être parce qu’il tenait à moi, mais à cet instant, cela me passait totalement au dessus de la tête, ce n’était pas le sujet du moment. Si je n’avais pas encore osé lui avouer que j’avais été hospitalisée dans le plus grand des silences, si je n’avais pas été foutue de le prévenir à ce moment-là, ce n’était pas pour rien, c’était bien parce que je savais qu’il risquait de me faire une véritable scène pour ne pas l’avoir prévenu et franchement, il n’avait peut-être pas tort… Alors, j’avais préféré repousser l’échéance, encore et encore, me demandant si à ce stade, je n’étais pas prête à prendre le risque de me faire opérer sans l’avertir lui, ni le reste de ma famille, quitte à m’en prendre encore plus plein la figure s’ils l’apprenaient par quelqu’un d’autre que moi.
Ce fut ma déception, déclarée ouvertement, qui changea totalement la donne de cette discussion. Ma main était crispée sur le dossier du canapé alors que mon regard restait plongé dans le sien. J’analysais la moindre de ses réactions, comme un lion dont on était sur le point d’ouvrir la cage, comme si j’attendais une raison supplémentaire de balancer tout ce que j’avais sur le cœur, mais il n’en fut rien. Il attrapa ma main pour serrer mes doigts dans les siens, comme il le faisait quand j’étais gamine, quand quelque chose n’allait pas, quand j’avais besoin d’être apaisée. « Dit pas ça Tess. » Je sentais la pression redescendre tout doucement, en constatant qu’il avait brusquement changé de ton, probablement pour me parler de quelque chose qui lui tenait à cœur, je le connaissais assez pour le deviner. « Molly m’a quitté. » Tout à coup, mon cœur manqua un battement et mon regard se tourna de nouveau vers mon frère, qui évita de me regarder dans les yeux. Je n’avais rien contre Molly, bien au contraire, mais je ne pouvais avoir qu’une peine extrême Peter, quoiqu’il ait pu faire. « Je suis désolée, je ne savais pas… » Prononçais-je à demi-mot, sans savoir vraiment quoi dire sans ces circonstances. « Elle a sûrement bien fait. » Je faisais non de la tête d’un air passablement éteint et lâchais le dossier du canapé pour lui faire face. Sans rajouter quoi que ce soit dans un premier temps, je le prenais dans mes bras dans une étreinte réconfortante. Y avait-il quelque chose à dire à cet instant ? Non, finis les blablas inutiles, même si la discussion était loin d’être terminée, je ne pouvais pas continuer à lui hurler dessus à ce moment-là. « Non, je t’interdis de dire ça, c’est faux, totalement faux, on fait tous des erreurs dans la vie, moi la première… » Nouvelle douleur dans ma poitrine, je relâchais mon étreinte pour me reculer d’un pas. C’était trop d’émotion pour moi et malgré l’air que je prenais, qui se voulait réconfortant, je me sentais de plus en plus mal. « Je… ne me sens pas très bien. » Avais-je lâché, sans réfléchir à mes paroles. Je me laissais finalement tomber dans le canapé, le teint livide et l’air absent, en tentant de reprendre une respiration normale. « Elle ne sait pas ce qu’elle rate Pete et je le pense vraiment… » Il avait beau avoir des défauts et cette saleté d’addiction qui le poursuivait depuis bien trop longtemps, mon frère restait toujours un héro pour moi et il le resterait, quoiqu’il puisse arriver.
« C’est pas pareil. » A croire que tout était toujours différent lorsqu’il était question de lui. C’était quelque chose qui me rendait tarée, il pouvait tout dire, tout se permettre, tout faire de par son statut d’aîné et ne cherchait même pas à cacher le fait que si je me permettais ne serait-ce que la moitié de ces dérives, j’aurais été remise en place depuis bien longtemps. Alors oui, j’étais consciente que c’était parce qu’il tenait à moi, qu’il prenait son rôle de grand frère à cœur, mais à ce stade, c’était juste de la mauvaise foi absolue. « Tu t’inquiètes pour rien, tout est sous contrôle. » Je laissais échapper un petit rire nerveux. Je n’étais plus une gamine crédule, qui buvait les paroles de son frère sans discernement, j’avais grandit et mon innocence et ma naïveté étaient bels et bien derrière moi. « Tout est sous contrôle, bien sûr…. Je suis censée faire semblant de te croire ? » Je ne cherchais même plus à hausser le ton, j’avais bien compris que cela ne servirait à rien et que c’était loin d’être la solution miracle pour l’aider. A ce stade,, je commençais même à me demander si lui-même n’était pas berné par sa mauvaise foi, il minimisait son état, il minimisait la façon dont il en était arrivé là, il minimisait l’impact que cela avait sur sa vie et ça me rendait juste totalement folle.
J’essayais de rester naturelle du mieux que je le pouvais, de reprendre mes esprits, de calmer mon énervement. Je prenais de grandes inspirations en tentant de penser à autre chose, mais c’était un peu trop me demander compte tenu de la situation. Ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour que je parle à Pete de mes soucis de santé. J’avais beau le juger, être en colère contre lui, j’étais moi aussi dans le déni et bien évidemment, dans ma tête, j’avais une raison valable, contrairement à lui. Est-ce qu’il y a aurait un jour un bon moment pour lui avouer la vérité ? Certainement pas, mais peu importe, peut-être que la solution était tout bonnement de noyer le poisson le plus longtemps possible, dans l’espoir qu’il n’apprendrait jamais la vérité. Croire que c’était possible de continuer mon petit mensonge jusqu’au bout, c’était d’une naïveté déconcertante, mais je m’attachais à cela, je préférais me voiler la face plutôt que d’affronter ma famille. Si Pete était mis au courant, toute la famille le serait et si la famille l’était, mes amis le seraient également, fatalement. Je n’étais pas prête à affronter tout mon entourage, pas prête à devoir donner des nouvelles à tout le monde, parce que ne pas en parler me permettait aussi de ne pas trop y penser et c’était l’échappatoire parfait en mon sens. Sans me laisser le temps de préparer une énième excuse bidon à mon état, il me rejoignit immédiatement dans le canapé et se mit à m’observer sous toute mes coutures, me provoquant un léger malaise. J’avais l’impression qu’il réussirait à trouver une réponse sur mon visage, j’avais l’impression que je ne réussirais pas à faire illusion encore bien longtemps. « T’as pas l’air bien Tess. » Je n’avais pas besoin de me regarder dans un miroir pour deviner la tête que j’avais à cet instant, je devais être pâle, le teint blafard, faisant d’autant plus ressortir la fatigue extrême que j’avais accumulé ces dernières semaines. Toutefois, je ne répondais même pas à ses paroles, je me contentais de lui sourire, un sourire qui se voulait rassurant, mais qui ne l’était probablement pas. Peu importe, après tout, Pete non plus n’était pas dans son état habituel, peut-être que cela me permettrait de faire d’avantage illusion. « Je la mérite pas de toute façon, je me comporte comme un con avec elle. » Je secouais doucement la tête, ne supportant pas de l’entendre parler de la sorte. Certes, mon frère était loin d’avoir un comportement irréprochable, mais je ne supportais pas de l’entendre se rabaisser. Il avait besoin de se remettre en question, c’était certain, mais impossible pour moi de l’entendre parler de lui de la sorte. « Ne dis pas ça… » Lançais-je, dans un souffle. J’avais toujours eu cette image idéalisée de mon frangin et malgré ce que je constatais aujourd’hui, il me fallait bien plus que cela pour ternir la façon dont je le voyais. « Tessa t’as vraiment pas l’air bien ? Tu te reposes assez ? Tu manges assez ? » Je secouais légèrement la tête, quelque peu agacée par autant d’insistance. J’avais l’impression d’être prise au piège, d’être au bord du précipice, je craignais d’affronter la situation que je fuyais coûte que coûte depuis quelques semaines. « Oui, je me repose, je mange et tout va très bien, tu vas me lâcher avec ça ? » Sans le vouloir, j’avais haussé le ton, manifestement sur la défensive. Je n’avais pas envie de m’étendre sur le sujet, après tout, notre principal sujet de préoccupation à cet instant, c’était Peter. « Excuse-moi, je n’aurais pas dû crier, oublie ça. » Rajoutais-je, loin d’être dans mon état habituel.
Je savais que je ne pourrais rien faire de plus pour lui à cet instant, même si j’étais consciente que je serais particulièrement tracassée ces prochains jours, bien plus que je n’avais pu l’être dans le passé, concernant les problèmes que rencontraient Peter. Puisque, oui, mon frère avait beau minimiser, faire passer cela pour une sorte de petite habitude pas bien méchante, il avait bel et bien un problème et, en mon sens, la première étape pour qu’il puisse s’en sortir était bel et bien d’en être enfin conscient. Clairement, ce n’était pas gagné, mais je n’étais pas prête à baisser les bras. C’était bien connu, les Mulligan étaient de vraies têtes de mule, rien ne pouvait les faire changer d’avis et je n’avais pas fait exception à la règle. Il me restait, à présent, à trouver un moyen d’avoir plus d’impact que je n’avais pu en avoir à cet instant, trouver une sorte de plan pour me rendre un peu plus utile, puisque j’étais consciente que ce que je venais de faire à cet instant, c’était comme parler à un mur. Ce n’était, de toute évidence, pas la bonne façon de procéder, mais je ne le laisserais pas tomber, coûte que coûte, c’était certain.
Voilà que la situation avait pris un tournant totalement différent. Alors que la discussion avait tourné court sur l’addiction de mon frère, sans grande surprise, mes propres problèmes de santé avaient refait surface et je me retrouvais à essayer de contrôler l’incontrôlable, tout en paraissant le plus naturel possible. Autant dire que j’en étais incapable, j’avais beau être tenace, je restais pourtant humaine. J’avais essayé de noyer le poisson, rien à faire, l’inquiétude de mon frère, maintenant bien présent, risquait de toute évidence de me forcer à cracher le morceau, à un moment ou à un autre. Était-ce encore possible de tourner autour du pot ? Rien n’était moins sûr. « Je suis censé faire semblant de te croire ? » Et voilà qu’il retournait ma propre réplique à son avantage, c’était tout Peter ça ! Je me mordillais nerveusement la lèvre, un peu gênée. Je me sentais soudainement piégée et je me demandais par quelle pirouette, cette fois-ci, je réussirais à esquiver le sujet. « Ça va, je ne suis pas mourante à ce que je sache. » Une légère agressivité avait refait surface. Je détestais ce sentiment, celui de perdre le contrôle, de mes mouvements comme de mes paroles, c’était tout ce que j’appréhendais le plus, pour tout dire. En dehors ce cette peur de me retrouver face à mes démons, je ne pouvais m’empêcher d’être compatissante à l’inquiétude de mon frère. Moi qui avais évité le sujet depuis tout ce temps pour ne pas lui faire de souci, voilà que j’étais en train de faire tout le contraire de ce que je désirais. A vouloir masquer mes soucis de santé, j’étais juste en train de risquer de provoquer encore plus d'inquiétude à mes proches. Pete s’éloigna un instant alors que je prenais une nouvelle grande inspiration pour tenter de reprendre le contrôle de la situation, en vain bien évidement, c’était peine perdue. Il apporta deux verres d’eau et m’en tendit un que je portais à mes lèvres, sans broncher. Ce n’était pas le moment de provoquer une nouvelle tempête, surtout en sachant que cette discussion risquait de ne pas être terminée. Tout se mélangeait dans ma tête, j’essayais de trouver une issue, mais rien ne me venait. Je n’étais pas dans mon état habituel et Pete ne pouvait que le ressentir, il me connaissait trop bien. « Ca se passe bien au boulot ? » Il venait de toucher LE sujet sensible du moment, c’était comme un don chez, savoir mettre le doigt sur ce qui me tracassait sans que je ne dise rien. « J’ai commencé mes démarches, c’est un peu en pause en ce moment, mais ça va revenir… » Répondis-je, en restant volontairement évasive. J’espérais m’en sortir ainsi, en me disant que vu l’état de Peter, peut-être qu’il serait moins tenace que d’habitude après tout. « Tu me le dirais Tess s’il y avait un truc qui allait pas ? » Je tournais le regard un instant, un peu honteuse d’être restée si longtemps silencieuse. J'étais consciente qu’en lui cachant la vérité, j’avais plus ou moins trahis sa confiance, même si c’était simplement pour le protéger. Je restais silencieuse un instant, lorsqu’il reprit la parole. « C’est moi qui te stresse comme ça ? » Je secouais doucement la tête avant de poser de nouveau mon regard sur mon frère. Je ne voulais pas qu’il culpabilise plus que de raison, ce n’était absolument pas le but de ma démarche, bien au contraire. « Pete, je me fais beaucoup de souci pour toi, tu l’as compris, mais non… Je ne veux pas te mettre tout ça sur le dos… » Je prenais une nouvelle inspiration en cherchant mes mots, tentant une énième fois d’affronter la situation, tout en l’esquivant partiellement. Je n’étais pas vraiment douée dans l’art du mensonge, mais sait-on jamais. « Je suis un peu… malade en ce moment… Rien de bien grave, je suis juste très fatiguée… » Et voilà comment j’étais en train d’essayer de faire passer des problèmes cardiaques pour un simple petit rhume passager.
Lorsque nous abordâmes le sujet de mon travail et qu’il sembla ne pas comprendre où je voulais en venir, j’esquivais volontairement sa question et ne prit même pas la peine de répondre. En plus de la peur d’inquiéter ma famille, c’était bien ce que j’avais le plus de mal à vivre, par rapport à mes problèmes de santé. Alors qu’à ma place, n’importe qui s’inquiéterait de l’opération, des suites qu’il pourrait y avoir ou d’un nouvel arrêt cardiaque fatal, moi, je n’avais de pensées que pour ma famille et mon boulot. Ce n’était pourtant pas vraiment étonnant, en me connaissant un minimum. J’avais toujours tendance à me faire passer après mes proches et ma plus grande préoccupation à part le bien-être de ceux que j’aimais était sans nul doute ma réussite professionnelle. D’ailleurs, lorsque le médecin m’avait mise en arrêt, j’avais immédiatement essayé de négocier l’innégociable, ce qui fut naturellement soldé par un échec, compte tenu de ma situation.
J’avais tenté d’esquiver le sujet de ma maladie, mais l’inquiétude mon frère et ses paroles ne faisaient que me faire céder peu à peu. Plus les minutes s’écoulaient et plus le fait de lui mentir me déchirait totalement le cœur. Ce n’était probablement ni le moment, ni l’endroit pour lui avouer la vérité, mais j’étais consciente que si je ne le faisais pas à cet instant, je n’aurais plus le courage de le faire et lui mentir encore, c’était le trahir encore un peu plus. « Malade ? T’as quoi une grippe ? T’es allée chez le médecin ? T’en as parlé à Papa ? » J’avais naturellement songé à en parler à notre père, mais je savais très bien que si je le mettais au courant, je n’aurais pas pu mentir au reste de la famille. Je m’étais moi-même prise dans un piège dont je n’arrivais absolument pas à me dépêtrer et la seule façon d’essayer de m’en ressortir sans trop de séquelles, c’était d’être enfin franche, une bonne fois pour toute, quitte à devoir affronter la colère de mon frère et du reste de la famille. A cet instant, la seule personne au courant était Lawrence, mon meilleur ami, à qui j’avais demandé de garder le secret coûte que coûte. Je savais que je pouvais lui faire confiance et une fois de plus, il ne m’avait absolument pas déçue, même si dans le fond, une gaffe de sa part m’aurait peut-être aidée un peu. « Il faut que tu te reposes Tess, je suis sûr, sûuu que tu bosses trop en ce moment ! » Oui, ça je ne le savais que trop, pour essayer de le faire une partie de la journée, avant de céder à la tentation d’aller dehors, encore et encore. Je n’arrivais absolument pas à vivre avec cette solitude que l’on m’imposait et même si Lawrence passait le plus souvent possible chez moi, il avait aussi son boulot et ne pouvait sûrement pas rester H24 à mes côtés. Je prenais une inspiration en plongeant mon regard dans celui de mon frère, sentant peu à peu la pression s’emparer de moi. « Pete, il faut que je te dise… Si je suis aussi fatiguée, c’est que j’ai des petits soucis dont je n’ai pas encore eu la force de te parler… » Je sentais mon rythme cardiaque s’amplifier à nouveau. Je piétinais, cherchais mes mots, minimisais une fois de plus, sans savoir comment faire pour en venir aux faits, sans que cela soit trop brutal pour lui non plus. En réalité, ce dont j’avais le plus peur, c’était de sa réaction. « J’ai été hospitalisée il y a quelques semaines de cela, je dois me faire opérer fin janvier, tout sera normalement rentré dans l’ordre ensuite… » Je restais évasive, une fois de plus, de peur que le choc ne soit trop brusque pour Peter. J’étais suivie, entre de bonnes mains, j’espérais simplement qu’il se concentre là-dessus, même si j’en doutais fortement. « Si je ne t’en ai pas parlé avant, c’est parce que je ne voulais pas te faire de souci, ni à toi, ni au reste de la famille… Seul Lawr… Un ami est au courant de tout cela, puisqu’il était là, quand tout est arrivé… » J’avais manqué une gaffe de peu, sachant très bien que Peter ne portait pas Lawrence dans son cœur, pourtant, le jeune homme m’avait tout bonnement sauvé la vie lorsque tout cela s’était passé. Toujours est-il que j’espérais que mes paroles, que j’avais tenté de masquer au mieux, étaient passées inaperçues. J’aurais voulu pouvoir lui en dire plus mais pourtant, je me stoppais, observant la moindre de ses réactions. J’étais pétrifiée à l’idée qu’il puisse mal le prendre et pourtant, il aurait eu toutes les raisons de s’énerver, après tout ce que je lui avais caché.
J’avais beau avoir fait de mon mieux pour amener la chose de la façon la plus soft possible, je savais que je venais de lâcher une bombe et que Peter ne me laisserait pas partir tant que je ne donnerais pas plus de détails. Je n’avais plus le choix que de prendre les responsabilités de mon silence et en lui avouant la vérité, je lui permettais également d’être présent pour moi, quand je retournerais derrière les murs froids de l’hôpital. En dehors du fait que je lui devais la vérité, ce dont je culpabilisais le plus, c’était bel et bien de ne pas lui donner l’occasion de jouer son rôle de grand frère, comme il l’avait si bien fait durant toutes ces années. Cette occasion, j’avais décidé de lui laisser, même si l’idée de lui faire autant de souci ne m’enthousiasmait pas vraiment. J’étais une personne plutôt très franche, si je m’étais adressé à quelqu’un d’autre, j’aurais probablement exposé mes soucis de santé de but en blanc. Mais Peter, je voulais le préserver, faire en sorte que ce ne soit pas trop brusque pour lui. A tort ou à raison ? Je me rendais compte qu’en tournant autour du pot, il allait peut-être finir par perdre patience et devenir encore plus fou qu’il ne l’aurait été si j’en était venue aux faits directement.
Maintenant que j’avais commencé à lâcher la bombe, voilà qu’une première gaffe s’était échappée de ma bouche, bien trop perturbée pour réfléchir à la moindre de mes paroles. Une gaffe qui ne passa pas inaperçue aux oreilles de mon frère. « Lawrence ? T’es à l’hôpital et tu le dis à Lawrence mais pas à ton frère ? » Lawrence était un sujet délicat que j’évitais d’aborder avec mon frère. Pourtant, ils avaient été très amis l’un et l’autre pendant une période de leur vie, c’était comme cela que j’avais d’ailleurs fait connaissance de celui qui était devenu mon meilleur ami. Seulement voilà, maintenant que leurs liens étaient plus tendus, en contraste totale de la complicité que j’entretenais à présent avec Lawrence, je préférais tout bonnement m’abstenir de mettre de l’huile sur le feu entre les deux hommes. C’est pourquoi, le temps d’un instant, je me retrouvais muette devant mon frère. Je n’eus d’ailleurs pas le temps de prendre la parole de nouveau, qu’il le fit pour moi : « Comment ça une opération ? Une opération de quoi Tessa ? Qu’est ce que tu as ? Et arrête tes conneries, la vérité c’est maintenant ! » Cette fois-ci, il avait haussé le ton, ce qui ne présageait rien de bon pour la suite. Voilà que les rôles étaient de nouveau inversés, que chacun reprenait la place qu’il avait, la plupart du temps, ce qui était plutôt déplaisant. J’étais un peu perdue, ne sachant plus que dire, quel sujet aborder, celui de Lawrence, ce qui s’était passé, ce qui allait se passer. S’il fallait que je le rassure maintenant ou si à ce stade c’était totalement inutile. Je prenais une profonde inspiration, en tentant d’avoir la parole assez longtemps pour que les choses soient enfin claires pour Peter. Je n’avais plus vraiment le choix de toute façon. « Si Lawrence est au courant c’est uniquement parce que… Nous étions ensemble quand c’est arrivé, c’est lui seul qui a pu prendre les choses en main quand ça a… dégénéré… » Je savais que je ne défendais pas ma cause et que j’étais tout sauf rassurante à cet instant, mais la colère de mon frère me faisait perdre absolument tous mes moyens. « Peter… J’ai fait un… arrêt cardiaque il y a un peu plus d’un mois… Comme je te lai dis, j’étais avec Lawrence à ce moment-là, qui a appelé les secours directement. J’ai été hospitalisée quelques jours, on m’a découvert une malformation cardiaque qui aurait pu me coûter la vie, puisqu’elle empêchait mon sang d’alimenter mon cœur correctement… Maintenant qu’elle a été découverte, je sais que c’est opérable et qu’après cela, tout devrait normalement rentrer dans l’ordre… » J’étais aussi inquiète de sa réaction face à ma révélation que soulagée d’avoir pu enfin lui avouer la vérité, même si ce n’était pas vraiment ce cette façon que j’aurais voulu le faire. Après tout, si j’avais encore tourné autour du pot, les conséquences auraient été encore plus dramatique. « Je suis sous traitement, au repos et… mon opération est prévue pour fin janvier, c’est pourquoi j’ai préféré t’avouer la vérité maintenant… » Parce qu’il m’aurait sûrement tout bonnement hurlé dessus comme jamais s’il l’avait appris par quelqu’un d’autre. Encore heureux que je pouvais faire une entière confiance à Lawrence, qui avait gardé le secret pendant tout ce temps, comme je lui avais demandé.