Je n’avais qu’à observer les réactions de mon frère pour comprendre à quel point la nouvelle le perturbait. J’avais préféré tout lui avouer d’une traite, ma première hospitalisation, mais aussi l’opération qui m’attendait, qui restait, à cet instant, le plus gros problème qu’il me restait. Personnellement, l’opération ne m’effrayait pas, mais je savais très bien, avant même de lui avouer la vérité, que Peter serait dans tous ses états quand je lui en parlerais. Il resta silencieux pendant tous mes aveux, mais je voyais son état se décomposer au fil de mes paroles. A plusieurs reprises, je manquais de me stopper, mais il était trop tard, à présent je n’avais plus le choix que de tout dire. « T’as failli mourir Tessa. T’as failli mourir et tu t’es dit que n’en parler à personne dans la famille était une bonne idée ? » Je savais qu’il m’en voulait et il avait toutes les raisons de m’en vouloir, je le concevais totalement. Si la situation avait été inversée, j’aurais sûrement tout retourné dans la pièce, avant de m’effondrer littéralement en larmes. Devant mon frère si énervé, je n’en menais pas large et restais silencieuse en attendant la suite, non sans une certaine appréhension. Je m’attendais à ce qu’il me hurle encore dessus, qu’il pète littéralement un câble, qu’il devienne incontrôlable, et pourtant. Le fait que Peter s’était servi un autre verre m'avait provoqué une légère grimace, mais je ne dis rien. Si en plus, je lui prenais la tête pour l’alcool à ce moment-là, je n’osais pas imaginer la réaction de mon frère. Tout à coup, il me prenait dans ses bras en me serrant fort. Je passais mes bras dans son dos dans un geste de réconfort en restant silencieuse. Je m’attendais à toutes les réaction de sa part mais pas celle-là. Mon cœur se serra un peu plus à la vue de mon frère aussi déboussolé. Je m’en voulais de ne pas lui en avoir parlé avant, tout autant que je m’en voulais de lui en avoir parlé, justement. « Putain Tess, pourquoi tu ne me l’as pas dit. Je… T’avais pas à gérer ça toute seule. » Cet élan d’affection de la part de mon frangin était aussi réconfortant qu’une souffrance pour moi. Je sentais soudainement tout son mal-être, toute l’inquiétude que je pouvais lui faire ressentir, sans n’avoir aucun moyen de l’aider, de le soulager, si ce n’est d’être présente pour lui. Je ne cherchais pas à me libérer de son étreinte, au contraire, je me blottissais dans ses bras comme j’avais pu le faire enfant, bercée par le geste d’un grand frère protecteur. Ce genre de moments se faisaient rares entre nous, j’aurais aimé le vivre dans d’autres circonstances. « Tu comptes faire l’opération hein ? » Je hochais la tête, doucement. « Je vais me faire opérer Pete, je te le promets, je ne prendrai aucun risque. » Je savais que sans opération, je risquais de ne pas m’en sortir la prochaine fois où mon cœur ferait des siennes et je n’étais pas inconsciente, j’avais encore toute la vie devant moi. « Tout va bien se passer, je te le promets… Je n’ai pas porté ce fardeau toute seule et si j’ai décidé de ne pas t’en parler avant, c’était uniquement pour te protéger. » Je savais très bien que Peter considérait que ce n’était pas mon rôle, pourtant, je n’étais pas d’accord avec lui sur ce point. Ce n’était pas parce que j’étais plus jeune que lui que je n’avais pas le droit de, moi aussi, le ménager autant que je le pouvais. Je prenais une légère inspiration, sentant l’émotion m’envahir peu à peu. Je me contrôlais du mieux que je le pouvais, Pete avait besoin d’être rassuré, j’étais là pour ça après tout. « Je comptais te le dire, je te le promets… Seulement, j’avais toujours l’impression que ce n’était ni l’endroit, ni le moment… Je n’ai cessé de repousser l’échéance parce que je ne voulais pas vous causer d’inquiétude, je ne voulais pas vous retrouver… dans cet état… Que ce soit toi, Link, papa ou même maman… Jamais je n’ai voulu vous cacher quoique ce soit, je voulais juste vous préserver. » Commençais-je, d’une voix posée, quoique légèrement tremblante. « Mais plus le temps passait et plus je me disais… que je n’avais pas le droit de t’empêcher d’être là pour moi, je savais que si tu avais fini par l’apprendre par une tierce personne… Ca aurait été d’autant plus difficile à supporter, j’en suis consciente. » Soufflais-je, dans un murmure, tentant au mieux de lui faire comprendre l’incompréhensible. Si je lui avais caché la vérité jusqu’à maintenant, c’était simplement parce que je l’aimais sincèrement, rien de plus.
J’avais beaucoup de mal à supporter de voir mon frère dans cet état. Si je détestais parler de mes problèmes, de mes états d’âme à ma famille, c’était clairement pour éviter ça. Je ne lui en voulais pas, bien entendu, mais s’il y avait un truc que je ne pouvais pas supporter, c’était de faire du mal, de n’importe quelle façon, à ma famille, mais malheureusement, c’était clairement ce que j’étais en train de faire… Je n’osais même pas imaginer quelle serait la réaction de mes parents et de Link, j’appréhendais de devoir revivre la même chose avec eux. J’essayais de le rassurer, du mieux que je le pouvais, même si je ne pouvais pas vraiment lui donner de véritables affirmations. Si je m’étais persuadée que tout se passerait bien, sur le plan médicale, la réalité était tout autre, mais j’étais une fonceuse, je l’avais toujours été et je préférais ne pas me poser de questions, ne pas m’imaginer le pire, sinon, j’étais bonne pour entrer en dépression. Peter s’était tout bonnement effondré dans mes bras, c’était bien l’une des premières fois que je le voyais dans cet état et même si je tentais de faire bonne figure, cela me bouleversait.
« C’est pas à toi de me protéger Tess. J’aurais pu être là, j’aurais pu t’aider… » Et pourtant, il n’avait absolument pas conscience que c’était quelque chose que je prenais très à cœur. Ce n’était pas parce que j’étais la seule fille de la fratrie que je devais systématiquement être couvée par mes frères, sans pouvoir jouer un peu ce rôle aussi, parfois. Toutefois, je préférais ne pas faire part de cette pensée à Peter, pour la simple et bonne raison que ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour le faire, la situation était déjà assez compliquée. « Tout va bien Pete, même si les journées sont longues, je ne vis pas trop mal la situation… Sinon, tu m’aurais vu m’effondrer dans tes bras depuis un petit moment déjà… » J’avais beau essayer de me cacher derrière un masque, j’avais toujours eu beaucoup de mal à masquer mes émotions face à mon frère, lorsque la situation m’échappait et si Peter n’avait rien remarqué d’anormal dans mon comportement, c’était justement parce que j’avais les épaules pour affronter tout cela.
J’essayais alors de lui expliquer ma décision, d’essayer de lui faire comprendre quelque chose qu’il ne comprendrait probablement jamais, ce qui n’avait rien de surprenant. « T’as pas à nous préserver de ça Tessa. Putain t’aurais réagi comment si je t’avais caché un truc pareil ? » Mal… Très mal, c’était certain… Je baissais la tête un instant, quelque peu honteuse, face à un frère qui n’hésitait pas à me renvoyer mon erreur en pleine figure. En réalité, je n’en attendais pas moins de Peter, mais malgré le manque de surprise, sa remarque n’en fut pas moins douloureuse. « Je suis désolée, je suis consciente que je n’aurais pas dû, mais au moins maintenant tu le sais, c’est mieux que rien après tout…» J’essayais de me rassurer moi-même et d’apaiser les choses avec Peter, nous venions déjà de traverser un moment compliqué, le but n’était sûrement pas d’aggraver d’avantage la situation. « Tu comptes le dire aux parents j’espère ? » Je hochais la tête, doucement, sans grande conviction. « Oui, je le dirai aux parents et à Link aussi, maintenant que tu es au courant, de toute façon je n’ai plus vraiment le choix… » Dans tous les cas, je savais très bien que si je ne le faisais pas, Peter n’hésiterait pas à le faire pour moi et que cela provoquerait un véritable raz-de-marée dans la famille… « C’est quand ton opération ? » Je grimaçais légèrement. « Le 20 janvier… » J’avais encore un peu de temps devant moi pour l’annoncer au reste de la famille, de la meilleure des façons, fort heureusement. « Je veux être là à partir de maintenant Tess. Tes rendez-vous médicaux, l’opération tout. Tu vas me laisser être là je te préviens. » Je hochais la tête, n’ayant plus réellement le choix à présent. « Oui Pete, c’est promis, je ne te cacherai plus rien et je te laisserai être là autant que tu le voudras… » Dans une recherche de réconfort, je finissais par me blottir dans ses bras, soulagée, mais avec une culpabilité énorme sur les épaules. Je ne pensais pas qu’il prendrait la nouvelle aussi mal, même si je savais que la piule aurait forcément du mal à passer… Nous restions ainsi pendant quelques dizaines de minutes, peut-être même plus, j’en étais même venue à ignorer les bouteilles d’alcool qui trônait ça et là. J’avais peur pour mon frère oui, mais il restait mon frère… Lorsque vint le moment de rentrer chez moi, prise d’une fatigue intense, je promettais à Peter de le tenir au courant en temps et en heure de mon état et surtout, de ne plus jamais rien lui cacher d’aussi important. Une promesse que je comptais bien tenir, préférant éviter de me retrouver une nouvelle fois, dans une pareille situation.