CHLOE & CLYDE All I want Cause you brought out the best of me A part of me I'd never seen You took my soul wiped it clean

Trois jours qu’ils ont quitté Brisbane, trois jours si courts et si intenses tout à la fois, alors que le lit de l’auberge les a vu s’affaler pour quatorze heures consécutives dès leur arrivée. Cette fuite est vitale, presque autant que leur dette de sommeil à rattraper est grande, tant ils n’ont pensé à rien d’autre que leur mission depuis qu’ils ont quitté l’Europe. Et pourtant, les voilà qui y reviennent, bien trop tôt et bien trop différemment que tout ce qu’ils avaient prévu. Malgré tout, Clyde n’a aucun regret maintenant qu’il regarde la blonde jouer négligemment avec une de ses mèches tandis qu’elle fixe l’océan sur lequel leur chambre donne, alors que le clapotis des vagues les berce à toute heure du jour et de la nuit. Leur chambre, cette pièce dans laquelle trône un lit et un seul, bien trop petit pour deux personnes mais qui ne change pas leurs bonnes habitudes de la salle de garde. Alors, à défaut de mieux dans la panique de leur arrivée, auquel n’eux n’y a vu le moindre inconvénient, chose qui nécessite sûrement réparation maintenant que Clyde se sent obligé de détourner pudiquement les yeux dès que la blonde laisse tomber les couches de vêtements.

Ce n’est pas qu’il n’a jamais rien vu, Clyde, c’est simplement qu’il s’agit là de Chloe et que s’il a toujours su faire la différence entre leur attente professionnelle et leur amitié, cette fuite dans l’urgence a brouillé les frontières. Il a encore en tête ses lèvres qui se perdent au coin des siennes, ses doigts dans les siens qui ne servent là qu’à se donner mutuellement du courage et à se rassurer, mais lui ne parvient pas pour autant à oublier. Faire comme si, prétendre que rien n’a changé, il sait et ne le maîtrise même que trop bien - mais oublier, certainement pas. “Tu veux faire quoi?” Maintenant qu’ils ont dormi tout leur saoul, qu’ils entendent encore à la radio que tous les avions vers Brisbane sont bloqués et que le soleil est sur le point de se coucher - autant d’informations diverses et pourtant chacune essentielle. A croire que cet exil forcé ressemble trait pour trait à un rêve, celui-là même qu’il ne faudrait pas énoncer à haute voix, de peur qu’il s’effondre lui aussi.

CHLOE & CLYDE All I want Cause you brought out the best of me A part of me I'd never seen You took my soul wiped it clean

Ils ne sont pas sortis d’ici. Dès l’instant où sa tête a touché l’oreiller, Chloe s’est laissée glisser dans un sommeil aussi agité par moments que réparateur à d’autres. Clyde n’a pas quitté ses côtés, l’inverse est toute aussi vraie, et les voilà qui enfin prennent leurs marques dans une chambre qu’ils n’ont vue que lovés entre les draps et les coussins. C'étaient eux, leur seul support, quand l’épaule de l’un et la tempe de l’autre ne suffisait pas. Elle sort de la douche la blonde, les mèches encore humides collées de parts et d’autres de son visage de porcelaine qui semble avoir repris du mieux maintenant que les cernes s'en sont doucement allées.

“Tu veux faire quoi?” la voix du médecin est un brin enrouée de ne pas avoir parlé depuis si longtemps déjà. Il arrache un sourire à Cohen. La serviette qui lui sert à essorer sa tignasse va docilement prendre place sur le dossier d’une chaise de bois longeant le coin de la pièce, elle a les prunelles noisettes qui dérivent par-delà l’immense fenêtre dont elle ouvre les volets presque naturellement une inspiration plus tard. “Ce serait bête d’être venus en vacances en Espagne et de ne pas avoir vu l’Espagne.” elle pouffe l'australienne, insistant sur le mot vacances comme s’il s’agissait là de la meilleure manière de les dédouaner. Ainsi, c’est presque comme s’ils n’avaient pas failli à leur tâche commune et qu’ils avaient enfin pu profiter des différents jours cumulés chacun de leur côté, pilés dans l’attente de vraies vacances. Celles-ci ont un goût bien plus doux lorsqu’ils se blottissent entre les couvertures, mais plutôt amer lorsqu’elle entend à la télévision toutes les horreurs qui se cumulent à Brisbane.

Ne pas parler de ce qu’ils ont laissé derrière eux fait partie d’une entente tacite qu’ils ont prise tous les deux, dès la seconde où l’avion a quitté le sol australien vers une Terre meilleure. En attendant, d’un geste elle attrape sa veste, la passant par-dessus ses épaules serties d’une robe qu’elle a achetée à la boutique de l’aéroport une fois ici. C’est qu’ils auraient eu l’air bien idiots, en vacances, à étrenner les restes de leur uniforme de là-bas. Sa main désormais libre se tend vers la silhouette de Clyde. Un peu pour l’encourager à la suivre, surtout pour retrouver le semblant de réconfort qu’il est pour elle, depuis des jours (mois) (années). “On va manquer le coucher du soleil si on ne se dépêche pas.” elle le dit sur le ton de la blague, un sourire en coin ornant doucement ses lèvres. Le soleil étant probablement leur seule notion temporelle, celle leur suggérant quelle heure il peut bien être, ici, depuis qu’ils sont arrivés. Les données trop fixes les effraient encore, il faut dire.

Il est dans l’expectative, Clyde, tant leur agenda s’est brusquement libéré de toute contrainte - ou du moins c’est ce qu’ils préfèrent penser, sans ressasser ce qu’ils ont abandonné dans la panique et l’horreur. Par le passé, il aurait imaginé maintes et maintes fois de se retrouver dans une chambre en compagnie de la blonde, et pourtant, maintenant qu’ils sont là, il ne demande qu’à en sortir pour voir autre chose que la chevelure de Chloe et les traits de sa mâchoire sur lesquels il n’arrive pas à arrêter son regard. C’est qu’ils se retrouvent un endroit inconnu sans avoir jamais réellement rien prévu à ce sujet, alors toutes les possibilités leur sont ouvertes et il ne demande qu’à les explorer, à condition que cela le sorte de cette bulle qu’ils ont créée sans le vouloir. “Ce serait bête d’être venus en vacances en Espagne et de ne pas avoir vu l’Espagne.” Il rit parce qu’elle rit, mais aussi parce qu’elle n'a pas totalement tord et que le brun n’en est pas encore au point d’être trop subjugué par elle pour ne pas profiter de ce qui les entoure - depuis le temps qu’il rêve de vacances et de repos, après tout, autant ne pas perdre davantage de temps à traîner sous la couette. “On va manquer le coucher du soleil si on ne se dépêche pas.” Il ne lui en faut pas plus pour se lever et attraper du bout des doigts le premier t-shirt potable qu’il a trouvé à la boutique de l’aéroport dans laquelle Chloe l’a traîné - premier stop de touriste, qu’il paraît. Des couchers de soleil, il espère secrètement en voir bien d’autres, même s’il ne le dira pas car il s’agit là de souhaiter que l’enfer continue à se déchaîner à l’autre bout du monde, pour qu’eux puisse profiter des rayons chauds qui glissent sur leur peau alors qu’ils quittent enfin l’auberge main dans la main. “On avait parlé de vin, non?” Lui avait parlé de vin, et il s’en rappelle de leur discussion du bout de la nuit dans la salle de repos, alors qu’ils en étaient encore à rêver d’un autre monde devenu réalité par la force des choses. “Y a un restaurant au bord de la plage, un peu plus loin.” Il l’a vu et il y est même allé, le menteur, celui qui s’est éclipsé brièvement alors que Chloe dormait encore, simplement parce que l’idée lui a enfin traversé l’esprit de l’inviter formellement plutôt que de grappiller des regards et des baisers volés. “Ça nous changerait des diners australiens.” Celui-là même dans lequel ils se sont arrêtés, ensemble - ou pire, des plats réchauffés encore et toujours qu’ils grappillent entre deux interventions à l’hôpital, leur quotidien désormais si lointain.

Elle a retrouvé le parfum d'orange qui lui collait à la peau à l'autre bout du globe, Chloe qui se reconnait un peu mieux lorsqu'elle passe devant la glace. De son uniforme sale et taché des horreurs qu'elle a bien pu voir et traiter lorsqu'ils étaient encore en Australie, elle est aujourd'hui vêtue de ce qu'elle a pu trouver dans les parages, une robe hors de prix qui au moins n'arborait pas de drapeau ni de slogan cliché du pays. C'est Clyde qui a écopé avec son t-shirt de touriste, auquel elle lui a associé une casquette qu'elle cale sur ses mèches dès qu'elle attrape son regard de biais. Il est beau, quand il respire un peu mieux.

“On avait parlé de vin, non?”
“Ça me rappelle quelque chose, oui.”

Elle se rappelle du vin et elle se rappelle du voyage lorsqu'il n'était que pure fabulation, entre une crise à gérer sur l'une des ailes de l'hôpital, et une autre à oublier à même le toit. Elle ne se réveille presque plus en sursaut Chloe, la nuit, hantée par la vision de l'homme qui s'est jeté en bas de la bâtisse alors qu'elle s'en voudra toujours de ne pas avoir eu pour lui les bons mots. Clyde ne dit rien lorsqu'il se réveille lui aussi vu la panique de la blonde, qu'elle éclate en sanglots dans ses bras pour finir par se rendormir entre deux soubresauts. Leurs nuits sont des apartés ici comme elles l'étaient ailleurs, ce sont là où ils se murmurent leurs pires secrets, les angoisses qu'ils tentent de toutes leurs forces de laisser derrière alors que leurs pas se décident enfin à sortir de la chambre pour profiter un peu du soleil.

“Y a un restaurant au bord de la plage, un peu plus loin.” il attrape le vêtement qui arrache un sourire en coin à Chloe, et elle, elle attrape ma main au passage. “Ça nous changerait des diners australiens.” d'un air sérieux elle hoche de la positive, avant de pouffer de rire de plus belle. Ses fossettes ont repris leur place au creux de ses joues, elle se sent elle-même à nouveau. “T'arrives toujours à ressortir les meilleurs arguments.” comme il arrive toujours à faire ressortir le meilleur d'elle aussi, accessoirement.

Dehors, les foules se dispersent, on croirait même que des amuseurs de rue ont lancé un peu plus loin des spectacles de musique, d'acrobaties. Quand elle réalise qu'elle n'a pas lâché la main de Clyde depuis bien plus longtemps qu'à son habitude, Cohen ne fait que resserrer un peu plus ses doigts à ceux du médecin, repérant une ruelle aux dédales de pierre de toutes les couleurs, rendant la promenade arc-en-ciel un peu plus féérique encore. Il avait parlé de plage et elle s'ennuie de celle d'Australie, gamine qui a grandi en Europe et qui n'aura jamais pu profiter de son passage sur l'île d'Océanie pour se mettre au surf. Penser à tout ce qui l'occupait là-bas lui serre le coeur, alors elle serre un peu plus la paume de Clyde au passage.

“Tu connais le jeu du décompte des vagues?” le restaurant est un peu plus loin, sûrement, elle l'a déjà oublié. Chloe elle, précipite leurs pas vers le sable blanc, retire de sa main libre ses chaussures pour se retrouver pieds nus, orteils au vent. “Elles viennent par sept.” qu'elle commence, procédurale, les postant face à la marée de manière à ce que les flots ne viennent pas encore chatouiller leurs silhouettes entrelacées. “La première est toujours plus calme, la septième est la pire. Une fois qu'on a lancé le décompte, le but du jeu c'est de ne jamais bouger.” elle n'est plus sérieuse la blonde, la lueur de malice dans ses yeux qui propose le risque bien plus que tout le reste. Le jeu est simple, on compte à voix haute de la plus petite vague à la plus forte - et on tente de rester ancrés au sable même si la septième est terrifiante et risque de nous emporter avec elle. Jusqu'à quel chiffre resteront-ils immobiles?

“Ça me rappelle quelque chose, oui.” Ils auront beau prétendre l’un comme l’autre que cette discussion n’est qu’un vague souvenir, il s’agit pourtant là du dernier moment presque réaliste qu’il leur a été donné de vivre. Depuis ce jour, ils ont côtoyé la mort de bien trop près, traversé la moitié de l’Australie puis le reste du globe, et les jours qui s’écoulent désormais semblent comme suspendus au-dessus d’une réalité qui les dépasse. lls pourraient rester là, enfermés dans cette chambre qui a fonction de cocon protecteur et de sanctuaire accueillant leurs aveux de faiblesse tout à la fois, mais l’un comme l’autre n’ont jamais été du genre à rester inactifs trop longtemps. “T'arrives toujours à ressortir les meilleurs arguments.” “Il paraît que ça fait partie de mon charme.” Il en plaisante, Clyde, se sent pousser des ailes tant la proximité avec la jeune femme s’est ressérée ses derniers jours, et pourtant ses mots ne sont pas dénués de sous-entendus. Il aimerait l’attirer dans ce restaurant qu’il a déjà repéré depuis trop longtemps, briser la glace de leur amitié qui vogue entre deux eaux et qu’il a désormais du mal à saisir, mais ses doigts ne résistent pas à l’appel de ceux de Chloe qui l’attire toujours plus loin dans les rues. Ici personne ne court, ne hurle, aucun insecte ne sature l’air et le quotidien a l’air aussi doux qu’il l’a toujours imaginé, alors il se laisse porter jusqu’à la plage de sable blanc sur laquelle il aimerait rester toujours.

A peine les pieds posés dans le sable que la blonde retire ses chaussures tandis qu’il fait de même et la suit sans réfléchir, à se demander jusqu’où elle compte les amener alors qu’ils se retrouvent face aux vagues et aux embruns marins qui emplissent leurs poumons. Il n’a jamais fait aussi bon de respirer si fort, et Clyde ferme un instant les yeux alors que les rayons du coucher de soleil viennent chatouiller ses paupières. “Tu connais le jeu du décompte des vagues?” La malice dans ses yeux le fait sourire, même s’il n’a aucune sorte d’idée de ce dont elle parle, alors qu’il secoue la tête, un coup d'œil vers elle puis l’autre vers l’horizon. “Elles viennent par sept. La première est toujours plus calme, la septième est la pire. Une fois qu'on a lancé le décompte, le but du jeu c'est de ne jamais bouger.” C’est qu’il n’est pas sûr de comprendre, le brun, alors que Chloe le fixe avec un sourire mystérieux aux lèvres, pas plus décidée à bouger que depuis qu’elle les a attiré tous deux face aux vagues. “J’ai jamais fait ça.” Là d’où il vient, il n’a vu que la mer et pas même l’océan, jusqu’à son arrivée à Brisbane. “C’est pas dangereux?” Il veut bien rêver Clyde, mais reste pragmatique malgré tout, en bon médecin qu’il est - foutus réflexes qui ne le quittent pas. Et puis, surtout, la jeune femme a l’air bien trop sûre d’elle pour qu’il espère réellement gagner - car il s’agit bien de gagner, n’est-ce pas? “C’est une compétition?” Et une lueur de malice s’allume au fond de ses prunelles à son tour.

“J’ai jamais fait ça.”
“Faut une première fois à tout.”

Et elle pouffe la blonde, resserrant un peu plus ses doigts au fur et à mesure de son explication à ceux de Clyde. Droit devant, l'eau s'anime. C'était son rêve de gamine de tous les voir, les océans. Quand certains rêvaient de jouer au cinéma ou de marcher sur la Lune, elle, elle déplorait la campagne entourée de plaines et de champs dans laquelle elle avait grandi. Aujourd'hui, elle s'ancre un peu plus au sable et elle oublie encore mieux ses soucis à l'autre bout du globe. Être lâche n'aura jamais été aussi bénéfique qu'aujourd'hui, alors que Clyde sourit un peu plus, et qu'elle aussi.

“C’est pas dangereux?” entre un rire et un autre, elle se hisse à la hauteur de l'oreille du médecin en hiatus, chuchotant comme l'aurait fait la plus espiègle des gamines. “Si t'as trop peur, tu peux fermer les yeux.” elle le sait courageux, elle le sait solide. Elle sait qu'il est capable de rester fort devant tous les dangers, il en a fait la preuve des dizaines de centaines de fois à ses côtés lorsqu'ils étaient encore postés à l'hôpital de l'enfer. Pourtant, ce ne serait pas elle de rester muette, de ne pas le tacler un peu à peine. D'une inspiration, elle constate avant de se replacer face aux vagues que sa peau sent encore meilleure maintenant qu'elle est parfumée au soleil et au sel marin. “C’est une compétition?” une nouvelle question de sa part. L'australienne, elle, hausse d'abord de l'épaule en guise de réponse. “Juste si tu trouves un prix pour qui gagnera.” elle veut gagner, désormais. Elle veut remporter les honneurs et la médaille, elle veut surtout voir ce qu'il peut bien avoir en tête comme récompense alors que seulement être isolés à deux ici lui semble déjà avoir tout d'une victoire. Mais ils n'auront pas le temps de se mettre d'accord sur un prix potentiel. “Clyde, Clyde, Clyde!” elle sautillerait, si ses gestes suivaient sa voix surexcitée. C'est la septième vague qui les attend, c'est elle qui arrive, c'est elle qui prouve que oui, il s'agit bel et bien d'un jeu dangereux - jeu qui les fait terminer complètement trempés de la tête aux pieds.

Elle a mal calculé ses distances Chloe, la voilà qui tord à nouveau ses cheveux pour le prouver. Sa robe est plaquée à sa silhouette, le t-shirt de Clyde n'en mène pas large lui non plus. “Je pense qu'ils vont nous juger. ” qu'elle murmure en riant, la blonde, lorsque visiblement ils ont tout de même décidé de passer au restaurant se chercher quelque chose à manger. Ses suspicions par contre, ne flottent pas bien longtemps comme de simples hypothèses. “Okay, ils nous jugent.” tout autour d'eux, clients comme serveurs les dévisagent à la seconde où ils mettent un pied - trempé - à l'intérieur.

“Faut une première fois à tout.” N’importe qui d’autre prononcerait ces mots qu’il rappellerait avec beaucoup de raisons que toutes les premières fois ne sont pas souhaitables, mais face à elle il se contente de sourire et de se laisser aller à son sort. Après tout, ça reste des vagues, c’est pas si dangereux, non? “Si t'as trop peur, tu peux fermer les yeux.” “Ouais ouais.” Il lui offre la moue qui veut tout dire, qui appuie le fait qu’elle vient juste de piquer un peu trop son ego pour qu’il lui fasse ce plaisir alors qu’elle garde les yeux grands ouverts et les pupilles dilatées face au coucher de soleil. Alors Clyde essaie de se persuader qu’il n’a jamais entendu toutes les histoires de ceux qui se font emporter par les courants, qu’ils sont bien trop proches du bord pour risquer quoi que ce soit - et surtout qu’après avoir côtoyé tant de chaos, il faut vivre un peu. Lui qui a parfois du mal à lâcher prise, qui se montre indéniablement cartésien alors que l’état du monde lui rappelle un peu plus chaque jour que tout n’est pas prévisible et qu’il faut se laisser aller pour mieux flotter, parfois.

Pourtant, rien n’empêche d’ajouter un enjeu au jeu, alors qu’il lui lance un regard de défi en voyant la première vague s’écraser à leurs pieds. “Juste si tu trouves un prix pour qui gagnera.” “Le restaurant?” A elle de comprendre ce qu’elle veut - et quand bien même elle imagine un instant que c’est à elle d’offrir, il ne lui en laissera même pas la possibilité. Son regard se reporte sur les vagues, chacune plus puissante que la précédente, jusqu’à ce qu’il réalise que la dernière leur arrive dessus et que s’ils ne risquent pas d’être emportés, ils n’en sortiront pourtant pas indemnes. L’eau lui emplit un instant les narines et il crache comme un gosse incapable de ne pas boire la tasse, alors que le sel dans ses yeux pique si fort qu’il se laisse aller à un rire qui contient toute la pression, les angoisses et les pensées noires qui s’envolent un instant. Qui a bougé en premier? Il n’en sait, Clyde, puisqu’aucune pensée ne fait disparaître la vision d’une Chloe dans une robe désormais bien plus moulante pour que ses yeux ne s’attardent pas un instant dessus, alors qu’il essaie d’essorer son tshirt tant bien que mal quand leurs pas les guident vers le restaurant.

“Je pense qu'ils vont nous juger.”
“Sûrement.”
“Okay, ils nous jugent.”
“On a fait 15 000km pour être là, c’est pas trois regards qui vont nous empêcher de nous asseoir.”

Le regard du serveur, en revanche, est plus problématique. Comme s’il n’avait jamais vu des baigneurs entrer dans son restaurant littéralement posé sur la plage? Il les juge et ne pipe pourtant mot lorsque Clyde demande une table pour deux - hors de question de repartir comme des voleurs avec des sacs en main, cette fois-ci ils vont s’attabler et dîner comme des adultes. Une sorte de date - ou pas du tout. “Si j’avais su que je t’inviterais au restaurant j’aurais fait un effort sur la tenue.” Parce qu’il l’invite et ce n’est pas négociable, peu importe le gagnant de cette compétition où tous les deux semblent pourtant avoir perdu.

Ils sont trempés, elle est hilare. “On a fait 15 000km pour être là, c’est pas trois regards qui vont nous empêcher de nous asseoir.” leurs murmures n’en sont plus, quand les rires de Chloe donnent le ton autant dans le fond que dans la forme. Personne ici n’est en mesure de les manquer, les deux aventuriers qui laissent derrière eux une traînée d’océan comme s’il s’agissait de la chose la plus simple du lot pour le moment. “Trois additionnés à quinze autres.” et il a bien raison Clyde, il n’y a rien de peu commun dans la scène qui se joue sous les yeux des clients, du chef, des serveurs et énièmes maîtres d’hôtel. Quand Chloe attrape une des serviettes à main en tissus sur une table lambda qu’ils dépassent avant d’être menés à la leur de table, ce sont d’autres coups d’œil horrifiés qu’elle génère maintenant qu’elle s’en sert pour essorer ses mèches à nouveau humides. Oups.

“Si j’avais su que je t’inviterais au restaurant j’aurais fait un effort sur la tenue.” elle se poste face à lui, les vagues qui les narguent dans l’angle et la brise qui reste assez chaude pour qu’elle évite la chair de poule le long de ses bras dénudés. “C’est un rendez-vous? Où sont mes fleurs? Mes chocolats?” elle joue sur les mots avec la malice au creux des lèvres, son sourire de gamine espiègle censé désamorcer la scène alors qu’elle laisse ses iris dériver vers le menu sans prendre le temps de remarquer l’expression que Clyde doit arborer. Si elle portait le moindrement attention, si elle cessait de se répèter envers et contre tout que ce ne serait pas raisonnable, c’est fort probablement rien que parce qu’elle évite de se retrouver déçue. S’être fait des idées est pire que tout, elle a appris à ses dépends au fil de sa vie de ne jamais rien espérer et rien vouloir d’autre que ce qu’on lui donne.

“Si c’est pas un rendez-vous je vais prendre ceci.” son index joue, pointe à tour de rôle tous les plats contenant de l’ail et de l’oignon. Elle en fait un jeu Chloe, un jeu sans conséquences à prime abord alors que du bout des pieds ses orteils grimpent sur les mollets de Clyde dans le simple et unique but de chatouiller sa peau encore glacée d’eau. “C’est le dernier moment pour confirmer ou infirmer les rumeurs.” les rumeurs qu’elle invente d'elle-même, le rire à la clé et le battement de paupières avec.

“Trois additionnés à quinze autres.” Trois, dix, quinze, c’est à peu près la même chose à partir du moment où ils se sont fait remarquer et qu’il n’y a pas vraiment de retour en arrière possible, non? Ils laissent des gouttes d’eau salée sur le sol, et si en d’autres circonstances le brun s’en voudrait de débarquer dans une telle tenue au milieu d’un restaurant qui a tout l’air de respectable, il apprend à lâcher prise peu à peu après avoir vécu ce qu’il qualifie désormais d’enfer.

Clyde s’attable alors qu’il laisse ses yeux dériver du menu au visage de Chloe, maintenant qu’ils sont exactement où il voulait l’emmener quand bien même le cheminement pour y arriver a dévié du plan initial - dans son imagination, il portait quelque chose d’un peu plus seyant qu’un tshirt trempé, alors que la blonde est toujours aussi belle peu importe ce qu’elle enfile. “C’est un rendez-vous? Où sont mes fleurs? Mes chocolats?” Il relève les yeux juste pour voir le sourire malicieux de la jeune femme se perdre sur le carte quand lui affiche une moue à la fois surprise et décontenancée avant de se reprendre. Il hésite, se racle la gorge, avant de se lancer comme l’homme sûr de lui qu’il n’est certainement pas actuellement. “Qui te dit qu’il n’y en a pas?” Oh, il n’y en a pas - mais il trouvera bien une manière de se débrouiller, si seulement la blonde laisse filtrer un instant et un instant seulement qu’elle prendrait réellement goût à ce qu’il la courtise de cette manière. Il n’a juste pas osé jusque-là, de peur de franchir la ligne tacite qui a toujours existé entre eux - et qui existe peut-être pour une bonne raison, après tout. “Si c’est pas un rendez-vous je vais prendre ceci.” Si le message n’était pas clair, le choix des plats l’est certainement, si bien qu’il lâche un rire jaune sans réellement savoir comment réagir.

C’est le moment, celui de tout tenter ou de tout lâcher et de revenir sur ses propres pas comme il l’a fait tant de fois. “C’est le dernier moment pour confirmer ou infirmer les rumeurs.” Un frisson le parcourt lorsqu’elle pose ses pieds glacés sur sa peau qui l’est tout autant, alors qu’il ancre son regard dans le sien et le parcourt un instant à la recherche du moindre indice qui lui donnerait la réponse qu’il cherche. “Ça peut être tout ce que tu veux, c’est toi qui crée la rumeur.” Il se défile encore une fois, s’en veut instantanément mais espère pourtant que l’appel du chocolat sera plus fort que le reste, à défaut de réussir à prononcer tout haut ce qu’il crie pourtant tout bas.

“Qui te dit qu’il n’y en a pas?”
“L’air paniqué que t’as eu une fraction de seconde même pas quand j’ai demandé.”

Elle n’a pas quitté le menu des yeux, elle n’a pas quitté ses mollets à lui de ses pieds à elle. Mais voilà qu’un fin sourire reprend sa place sur ses lèvres, Chloe s’amusant de la scène comme si elle l’avait pris la main dans le sac aussi simplement que cela. Il n’a rien de tel de son côté de la table ni même à la chambre de l’auberge, il piquera sûrement un sprint vers la première boutique de cadeaux à l’instant où elle ira à la salle de bain. L’amusement monte au fil des rires soufflés de l'européenne.

“Ça peut être tout ce que tu veux, c’est toi qui crée la rumeur.” quand la voix de Clyde perce le silence presqu’ambiant qui s’était installé entre eux, la voilà Chloe, qui relève les yeux pour le regarder un peu mieux. Jamais elle ne s’est attardé à la fixer de la sorte lorsqu’il en est conscient, Clyde. Habituellement, c’est lorsque le Wakefield est endormi – ou qu’il regarde ailleurs, concentré, du temps où ils étaient médecins et courageux – qu’elle laisse ses prunelles noisettes scruter ses traits. Sa mâchoire tendue, son front plissé. “Alors je veux ce vin-là. Et ces plats-ci.” aujourd’hui, lorsqu’elle le détaille, elle le sent stressé, perplexe. Elle le voit dans l’attente de quelque chose, de mots qu’ils ne se disent pas mais qu’ils ont sûrement pensés l’un l’autre bien plus de fois qu’ils n’ont de doigts pour les compter. “Et je veux que tu me regardes, parce que les coups d’œil fuyants c’est lassant.” elle se moque, doucement, sa voix chuchote presque. D’un geste aussi naturel qu’instinctif, elle se redresse sur sa chaise dans le pire des bruits de tissus humides pour caler ses doigts sous son menton et l’amener à la regarder elle autant qu’elle le voit lui.

“La rumeur, c’est eux qui vont la créer.” le serveur a pris en note la bouteille de rouge qu’elle lui a pointée il y a une minute à peine, les plats sans ail et sans oignon à partager que son index a soulignés aussi. Eux donc, ce sont les autres clients, qui les regardent encore et toujours. Elle les avait oubliés, ne les mentionne que pour mieux les ignorer ensuite. “On prend pour emporter?” ils ont joué aux touristes, ils ont fini trempés. Maintenant, ils ont un rencard à mettre en place.

Il n’y ni chocolat ni fleurs ni quoi que ce soit d’autre auquel il aurait dû penser avant de décider que c’était un rendez-vous et un vrai, mais s’il est capable de sauver des vies, il le sera sûrement tout autant de trouver de quoi pallier ce manquement. “L’air paniqué que t’as eu une fraction de seconde même pas quand j’ai demandé.” Elle le connaît beaucoup trop bien pour qu’il réussisse à lui mentir effrontément, surtout sur ce sujet-là alors que le brun marche des œufs et que son sourire vacille quand il passe sa main dans ses cheveux ébouriffés. Chloe peut s’amuser de la situation autant qu’elle le veut, alors que lui tente de faire bonne figure maintenant que plus personne n’est dupe et qu’il ne sait pourtant encore moins comment se comporter face à elle - il faut vraiment aller en chercher, des chocolats? Les cheveux trempés de la blonde virevoltent comme autant d’idées de pensées et d’espoirs qui s’entremêlent chez lui et qu’il n’arrive pas à interpréter alors qu’elle le fixe bien trop longtemps pour qu’il arrive à remettre ses idées en place.

Le gong sonne alors que le serveur arrive et qu’elle se montre décidée pour deux, lui se contentant d'acquiescer du menton alors que les doigts de la blonde parcourent la carte. Elle sait ce qu’il aime, de toute façon, alors à quoi bon prétendre plus longtemps qu’il sait ce qu’il fait alors qu’elle le prend de court comme depuis toujours. Il ne la saisit pas, la veut autant qu’il la rêve, s'en éloigne autant qu’elle le surprend, à croire que le timing n’est jamais bon et qu’il n’est peut-être pas pour eux. “Alors je veux ce vin-là. Et ces plats-ci.” Au moins, il n’y a pas d’ail, mais Clyde est trop absorbé dans ses propres doutes pour y voir là un signe qui n’a pas lieu d’être, ou peut-être que si, mais sûrement que non. “Et je veux que tu me regardes, parce que les coups d’œil fuyants c’est lassant.” Elle attrape son menton avant qu’il n’ait ouvert la bouche, la fixe une seconde avant de sourire comme pour s’emparer du seul échappatoire qui l’empêcherait de déverser ici et maintenant les mots qui emplissent vraiment son esprit. “T’as du mascara jusque sur le menton.” T’as une sale tête, qu’il aimerait dire. T’es magnifique, qu’il pense et garde pour lui alors qu’il se dégage de son emprise et se redresse à sa suite avant de jeter un coup d'œil autour de lui. “La rumeur, c’est eux qui vont la créer.” Les autres clients ont déserté ses pensées à l’instant où elle a planté son regard dans le sien, où elle a joué avec son esprit et a collé son pied contre le sien, si bien qu’il hausse les épaules avant de la regarder à nouveau. “On prend pour emporter?” Il dit oui sans le prononcer, se pince les lèvres en secouant la tête. “Si seulement j’avais le nom de celui qui a inventé le jeu du décompte.” Celui qui lui a offert un moment d’amusement qui lui a valu de ruiner ses plans pour le reste de la soirée - du moins, c’est qu’il craint maintenant. Alors il quitte la table en laissant derrière lui une chaise trempée et des gouttes éparpillées sur les serviettes, avant de se diriger vers l’entrée puis de saisir l’épaule de la jeune femme à la volée. “Attends la commande, j’arrive” qu’il glisse en se dirigeant vers les toilettes, juste pour mieux tourner à l’angle et attraper le premier serveur qui passe en lui demandant illico presto son meilleur assortiments de chocolats et l’addition s’il vous plaît, pour rejoindre Chloe deux minutes plus tard une main dans une poche les chocolats dans l’autre.

Elle nargue et elle nargue encore, la blonde aux mèches plaquées de chaque côté de son visage amusé. “T’as du mascara jusque sur le menton.” si elle arrivait à être le moindrement sérieuse, peut-être que l’air outré qu’elle fausse au possible aurait un impact ou un autre. “Et c’est que maintenant que tu me le dis? Rude.” mais aucune chance que Clyde croit qu’elle puisse être fâchée, tant elle pouffe de rire la seconde suivante, l’œil brillant. Il l’a vue dans bien pire état, en somme. Entre les nuits blanches et les cernes au diamètre dramatique sous ses yeux, entre deux patients et le double de situations d’urgence à gérer, elle n’a pas toujours l’air d’une poupée de porcelaine aux lèvres carmin. Ce soir ne fait pas exception à la règle.

“Si seulement j’avais le nom de celui qui a inventé le jeu du décompte.” son sourcil se hausse presqu’au même moment où un sourire se creuse sur son visage. “Pour qu’on lui envoie la facture du pressing?” les vêtements qu’ils portent ne sont pas leurs préférés, ils auraient bien pu les jeter aux ordures que ni l’un ni l’autre ne s’en serait brimé. Pourtant les voilà tous les deux à jouer des rôles d’adultes dans un restaurant de grandes personnes à tenir une discussion qui l’est toute autant.

Chloe elle, n’a plus envie de jouer. “Attends la commande, j’arrive” elle ne bouge pas, contrairement à Clyde qui lui se lève pour aller manigancer Dieu sait quoi. Cohen qui ne le lâche pas des yeux mémorise chacune de ses actions, se maudit de ne pas savoir lire sur les lèvres. Quand il revient près d’elle et qu’elle voit de suite les chocolats entre ses paumes, elle se lève de son siège avec une expression mutine au visage. “Alors c’était un date.” le décompte s’enclenche et elle fait exprès, l’ingénue, particulièrement douée pour laisser la pression monter en tâtant une dernière fois ce que les prunelles du médecin peuvent lui souffler comme réponse sur ce qu’il peut bien espérer. “Tant mieux.” à son oreille, elle se hisse pour chuchoter comme si personne d’autre qu’eux n’avait besoin de savoir ce qu’ils peinent à s’expliquer depuis de longs mois déjà. Elle la première.

Un chocolat pour lui, et un pour elle. Dehors, le soleil a doucement entamé sa course vers l’horizon et les doigts libres de Chloe ont retrouvé ceux de Clyde sans jamais penser à les quitter. “J’ai toujours préféré les rendez-vous où on finissait par aller marcher.” tout autour d’eux les bâtiments et l’architecture se multiplient, soufflant la réponse du pays et de la ville dans laquelle ils se trouvent.

“Et c’est que maintenant que tu me le dis? Rude.” C’est surtout maintenant qu’il se sert de la première idée acceptable qui lui traverse l’esprit pour répondre à son regard interrogateur qu’il a du mal à soutenir. “Toujours là pour toi Cohen.” Il sourit comme à chaque fois que le rire de la blonde attire le sien, comme si la voir pouffer était en soi une raison suffisante pour que ses joues s’arrondissent et ses paupières se plissent à leur tour. Maintenant que leurs vêtements trempés ont eu raison de ce dîner aux chandelles qu’il envisionnait déjà alors que la blonde se montre trop joueuse pour qu’il arrive à être tout à fait honnête, il ne peut que maudire celui qui a inventé ce jeu qui les a tenu en haleine quelques minutes, mais qui se révèle maintenant avoir visiblement gâché ses plans. “Pour qu’on lui envoie la facture du pressing?” “Entre autres.” Il sourit alors qu’il ne saurait s’avancer sur l’avenir du tshirt qu’il porte, qui finira sûrement sur le sol de la bain à l’instant même où ils seront rentrés - parce que le cas de leurs vêtements lui importe si peu derrière la moue qu’il camoufle par tous les moyens alors qu’ils s’avancent vers le comptoir. Le brun s’éclipse deux minutes et pas une de plus, le temps de parer à ses manquements et de payer pour qu’ils n’aient qu’à récupérer les sacs avant de rejoindre l’extérieur qui se pare de mille et une couleurs.

Évidemment que la blonde est trop curieuse et observatrice pour ne pas s’arrêter instantanément sur la boite qui dépasse de sa poche quand bien même il se pare de son air le plus candide comme s’il ne venait pas d’être indéniablement prévisible. Elle est difficile à surprendre tout autant qu’à comprendre, Chloe. “Alors c’était un date.” Leurs regards se croisent et se questionnent silencieusement alors qu’il condense tout le courage d’avouer ce que son geste vient pourtant de vendre avant-même qu’il ne le dise. Elle s’approche de son oreille au moment même où ses yeux lui échappent et les mots sortent enfin. “Oui.” “Tant mieux.” Leurs pupilles s’accrochent à nouveau un instant avant de se tourner vers la sortie quand leurs plats arrivent enfin et que leurs pieds accrochent à nouveau le sable chaud de ce doux début de soirée. “J’ai toujours préféré les rendez-vous où on finissait par aller marcher.” Les mains s’entremêlent et pourtant Clyde se pince les lèvres, pas réellement certain quant à l’attitude à adopter face à ce qu’elle lui a avoué sans le lui dire, alors qu’il s’arrête une seconde pour gratter sa barbe naissante. “J’allais te proposer qu’on se pose pour manger” qu’il s’amuse en lui offrant une moue faussement dépitée. Là, sur la plage, devant le coucher de soleil et bien loin de la septième vague cette fois. “Comme ça tu peux me parler des autres choses que tu préfères.” Non pas qu’il s’y plie pour ses beaux yeux - mais sait-on jamais.

Dehors, on entend encore les vagues alors qu’ils ne les voient même pas. Chloe tend l’oreille, le sourire désormais de retour à sa place, entre un chocolat et un autre. Elle garde ceux aux noisettes, s’assure que Clyde puisse mettre la main sur ceux au caramel, l’équilibre est rétabli et le prochain coup de vent lui file la chair de poule. Ou bien, c’est la confirmation qu’il lui souffle, à l’oreille. “Oui.” alors c’était bel et bien un date.

“J’allais te proposer qu’on se pose pour manger” la voilà, la blonde, qui vient tout juste de décider qu’elle allait aligner toute la liste au grand complet de fausses règles inventées rien que pour le voir chercher une solution à travers le brouillard. La situation est particulière, aussi. Ils ont quitté leur pays d’adoption, ils sont revenus sur leur continent, ils ont laissé derrière l’Apocalypse et ce soir, ils se donnent un semblant de chance. À situation particulière tout l’est, finalement. “Comme ça tu peux me parler des autres choses que tu préfères.” il a vu clair dans son jeu, ses manigances de bac à sable où elle prévoyait déjà lui proposer tout l’inverse de ce que lui-même lui suggèrerait, ange du chaos à la plastique de poupée de porcelaine. “T’en as pas marre, de m’entendre parler?” la question glisse, le rire avec, elle tourne la tête vers lui aussi.

Les passants ont arrêté d’être importants, ne reste que le coup d’œil de Clyde sur elle qui change toute la donne. C’est donc ainsi qu’il la regarde, quand elle attrape ses prunelles au vol et qu’il ne les détourne pas. C’est donc à ça, qu’il ressemble, quand il ne sent pas qu’il a définitivement besoin d’être occupé à faire autre chose qu’à attendre qu’elle lui renvoie un coup d’œil, un sourire à son tour. La pression du monde a quitté leurs épaules, Chloe subtilise un nouveau chocolat avant de demander, les lèvres colorées de cacao. “Dis-moi un truc sur toi que personne sait. ”

Les chocolats étaient une solution de secours, une plaisanterie aux allures pourtant diablement sérieuses, le symbole de tous les mots qui n’ont encore jamais franchi les lèvres du brun. Pourtant, ils délaissent rapidement les plats préparés pour le cacao qui pare leurs lèvres et leurs sourires qui ne se quittent plus, alors que leurs prunelles respectives dansent à la lueur du coucher de soleil qui lèche leurs peaux ensablées. “T’en as pas marre, de m’entendre parler?” Jamais. “Pas pour l’instant.” Jamais. “T’as qu’à continuer pour voir quand ça arrivera.” Jamais.

Il tente le ton léger et le sourire amusé, Clyde, là où son regard ne trompe pourtant pas. Pour une fois, il ne se détourne pas quand la blonde semble sonder son esprit et toutes les idées inavouables qu’il devrait pourtant laisser sortir, tant elles ont fait leur nid depuis le temps et éclipsent tout le reste. “Dis-moi un truc sur toi que personne sait.” Je t’aime. “Ils ont le droit aux questions pièges les autres?” Les autres types qu’elle a fréquenté, qu’elle voit peut-être encore, ceux dont il ne veut pas entendre parler mais dont les ombres flottent au-dessus de sa tête au point qu’il finisse lui-même pas s’enfoncer un couteau dans le dos. Il n’est pas de ceux qui savent prétendre une fois que la vanne est ouverte, alors il se perd entre ses peurs et ses questions, ses espoirs et son imagination, quand un sourire presque détendu reste la seule façade entre ses pensées en vrac et le regard inquisiteur de Chloe.

Un autre chocolat roule entre ses doigts alors qu’il fait mine de réfléchir intensément, puisqu’après tout, son idée première est sans doute la seule à laquelle il ne peut se laisser aller. Pas maintenant, pas comme ça, jamais peut-être, si tout cela n’est qu’un jeu dans lequel tout son être s’abîme pourtant. “Je déteste les îles flottantes.” Facile. “J’ai déjà revendu un cadeau qu’on m’a fait.” Trop facile. “J’ai été fiancé pendant quelques semaines, y a des années.” A cette fille qui s’est éclipsée aussi rapidement qu’elle a ravagé sa vie et son cœur. “Et je ne regrette aucun des trois.” Surtout pas maintenant, et encore moins demain et tous les jours qui suivront, alors que les pas de la blonde seront les siens. “A ton tour.” Son menton se relève et son sourire s’étire - on ne lui a pas demandé plus de détails, après tout.