Les doutes et les peurs n’ont pas quitté son esprit, et pourtant le brun ne peut s’empêcher de laisser son imagination divaguer quelques instants, juste suffisamment pour que l’idée d’une gamine en Louboutins se fige devant ses yeux. “J’en sais rien, je dois dire que ça ne m’avait jamais traversé l’esprit.” Il n’est que moyennement dupe et lui offre une moue peu convaincue alors que son rire se joint au sien, laissant enfin échapper un peu de la pression qui lui tend les épaules depuis la veille. Ses mains glissent le long des bras d’Halsey dans un geste répété tant de fois qu’il lui est naturel lorsqu’il arrête enfin de trop réfléchir - ce travers dont il n’a pas encore réussi à se départir. Pourtant, le temps lui a prouvé qu’il ne pouvait pas tout prévoir, surtout lorsqu’il s’agit de la jeune femme et de ce qu’il peut éprouver à son égard. “Et si toi tu avais un garçon, je suis certaine que tu lui offrirais ces minuscules motos qu’on peut voir dans les magasins.” “J’y avais jamais pensé non plus.” Mais si enfants il devait y avoir un jour, il voudrait un garçon - évidemment. “Mais bien sûr que j’achèterai toutes les motos miniatures qui existent.” Il achèterait tout ce qu’il n’a pas eu la chance d’avoir plus jeune - à commencer par un toit décent et de la nourriture en abondance dans le frigo. Les biens matériels ne constituent pas ses possessions les plus précieuses, et pourtant il sait que lorsqu’il était gamin, il ne pouvait s’empêcher de se sentir à part lorsqu’il n’avait jamais les mêmes objets que la moitié des gamins de l’école. Alors tout ce qu’il voudrait, c’est que ce garçon hypothétique ne se sente pas exclu, tout simplement. Plus important encore, qu’il connaisse une éducation plus stable que la sienne. “Je ferais tout différemment de ce que j’ai vécu.” La confession lui échappe alors qu’il lève les yeux au ciel une seconde, comme s’il s’adressait davantage à lui-même qu’à la brune, avec laquelle le sujet de la famille a toujours été si sensible.

Ils n’ont jamais abordé en profondeur le sujet de leur famille, pour la simple et bonne raison qu’aucun d’eux n’a jamais poussé la discussion et qu’ils semblent se complaire à garder une partie de leur vie secrète. A croire qu’il s’agit d’une autre chose qui les rapproche sans pourtant qu’ils ne sachent ce que l’autre cache derrière une façade et des mots bien lisses - cette façade même que Clyde entrouvre pour la première fois sans même y réfléchir. “Moi aussi tu sais.” A cet instant, leurs yeux se croisent et les questions s’y diffusent sans qu’aucun d’eux n’y apporte aucune réponse - toutes les choses ne sont pas bonnes à dire, et à en juger par la manière dont ils se réfèrent mutuellement à leur passé, tous les souvenirs ne sont ni joyeux ni bons à déterrer. “On n’est pas nos parents, on peut faire mieux.” Elle lit en lui comme dans un livre ouvert, avec que ses mots se calquent précisément sur ceux-là même qu’il aurait pu prononcer.

“On pourrait” qu’il lâche en fondant à nouveau ses lèvres sur les siennes alors ses doigts accrochent les siens. Cette discussion n’est qu’hypothétique, prend naissance sur une peur profonde à laquelle ils viennent pourtant d’être confrontés. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il a fallu que Clyde se retrouve face à ses démons pour réaliser qu’ils ne sont pas ancrés en lui à jamais, et que contrairement à ce dont il s’est toujours convaincu, il saurait faire mieux que ce qu’il a vécu. Il est loin d’être un homme parfait et d’avoir une morale irréprochable, mais les souvenirs de son enfance lui servent comme tant de rappels des choses auxquelles il ne se laisserait jamais aller, s’il était père un jour. La simple présence de la brune lui donne envie de faire mieux - pour eux, désormais, plutôt que pour lui seul comme il y était habitué jusque là. Alors peut-être qu’un jour ils pourraient faire mieux, qu’ils feront mieux, que cette porte entrouverte vers leur passé que Clyde ne veut plus avoir à refermer devant elle.