S’il y avait bien une chose qu’Andrew détestait par dessus tout, c’était le shopping. C’était tout le temps blindé de monde, les gens mettaient toujours dix ans à hésiter entre un t-shirt blanc et un t-shirt blanc - certains diraient que l’un était plutôt crème, et l’autre plutôt blanc cassé, mais pour Andrew, c’était la même chose. Il ne comprenait pas trop ces comportements et ça avait tendance à lui hérisser le poil. Alors en période de Noël, il tâchait d’éviter les grandes surfaces avec le plus grand soin. Il préférait venir faire un tour au marché de Noël, un chouïa plus calme, et surtout plus aéré. Ce jour, il était sorti de chez lui, lunettes de soleil sur le nez, chemisette, short et tongs en guise d’apparat, avec une idée bien précise en tête. L’ensemble de ses cadeaux de Noël commençaient à prendre forme mais il lui manquait encore quelques items. Notamment un cadeau pour Tessa. Il n’avait pas d’idée très arrêtée mais il savait que peu importe ce qu’il trouverait, ça lui ferait plaisir. Il s’était déjà arrêté à un premier stand, endroit où il avait acheté un joli pendentif en pierre de jade venu tout droit de Nouvelle-Zélande. S’il se souvenait bien de la signification de ce motif, le Pikorua « symbolise le lien entre deux personnes, leur amitié, leur loyauté voire leur amour ». Il n’avait pu s’empêcher de penser à Tessa en voyant ça et l’avait directement mis dans son panier.
En changeant de stand, il aperçut Mia, un peu plus loin dans le marché, qui semblait visiblement accompagnée. Il hésita un peu avant d’aller la voir. Bien que leur dernière entrevue ce fut plutôt bien passé, il ne savait pas trop si elle avait envie d’être dérangée. Il se dit qu’il pouvait simplement passer lui dire bonjour, et repartir. C’était sa fille, après tout, il n’allait pas fuir comme un voleur. Il lui fit un petit signe de la main avant de s’approcher d’elle. « Mia ! Toi aussi tu es venue faire des achats de Noël de dernière minute ? ». Il s’arrêta à sa hauteur, relevant les lunettes de soleil sur son front. Ce fut le moment que choisit son accompagnant pour se retourner vers lui. Le sourire d’Andrew disparut presque aussitôt de son visage. « Ah ». Il dévisagea l’homme qu’il avait rencontré à l’hôpital quelques temps plus tôt. « J’espère que tu sais à qui tu tiens compagnie, Mia ». Comment avait-il dit qu’il s’appelait, déjà ? Grant ? Personne ne connaissait de Grant dans l’entourage de Mia, alors très certainement que le grand gaillard portait un autre nom. Andrew croisa les bras sur sa poitrine, apercevant les petits lutins en bois qu’ils avaient sûrement acheté plus tôt. « J’imagine que vous avez acheté ça pour le futur bébé de Mia, hein ? ». Si Mia n’avait pas capté à qui elle avait affaire, elle le saurait bien assez tôt. Il profita de la petite bombe qu’il venait de lâcher pour se commander un thé glacé. Il ne savait pas trop si c’était le sang qui s’était mis à bouillonner dans ses veines, ou la température de ce mois de décembre, mais il avait chaud, d’un coup.

Si Andrew avait pu s’observer depuis l’extérieur, il se serait rendu compte à quel point la situation était ridicule. On aurait dit deux gorilles qui s’apprêtaient à se battre. Le gaillard n’était pas forcément beaucoup plus grand que lui, mais il faisait très certainement deux fois son poids en masse musculaire. Il n’avait pas très envie de se frotter à lui, pour tout dire, mais il n’y pouvait rien : son comportement l’exacerbait. C’était une chose que de s’être rendu dans la chambre de Mia et d’avoir taquiné le vieux McKullan, c’en était une autre que d’avoir tenté de blaguer sur le fait qu’elle était enceinte. On ne plaisantait pas avec ces choses là. Mia n’avait rien compris, elle s’interrogeait sur le fait que les deux se connaissaient. Oh que oui, il le connaissait. En tout cas, en façade. Et il n’était pas ravi de revoir sa tronche ici. Andrew tenta une légère pique à destination du gars, mais vu qu’il était aussi doué que lui dans ce domaine, il répliqua presque instantanément. « Exactement, je me disais que cela irait bien à côté de son berceau ». Andrew avait terriblement envie de lui rentrer dans le lard, mais il y avait beaucoup trop de monde, et surtout, il y avait Mia. Et puis au fond, ce type de réaction aurait juste été totalement disproportionné par rapport à l’affront que le gars lui avait fait. « Ok, on se calme tous les deux il n’y a aucun bébé et vous le savez ». Mia tentait de calmer le jeu, et elle avait bien raison. C’était ridicule, Andrew le savait, mais il ne pouvait pas s’empêcher d’être énervé contre cet énergumène. « Encore heureux, qu’il n’y ait aucun bébé. Ça m'aurait bien fait chier d’apprendre cette nouvelle de la part d’une tête de con pareille ». C’était un peu violent, mais ça faisait du bien de pouvoir sortir ça. « Je suppose que je n’ai pas besoin de faire les présentations du coup ». Andrew se tourna vers sa fille, presque comme s’il réalisait seulement maintenant qu’à l’origine, il était venu la saluer elle. Il essaya d’effacer l’air maussade qu’il avait sur la tête, mais rien n’y faisait, la rencontre avec le gars l’avait tout simplement trop perturbé. « Je pense que les présentations sont nécessaires, bien au contraire. Parce que j’imagine qu’il ne s’appelle même pas Grant, si ? ». Si c’était le cas, ça voulait dire que jusque là, tout le monde l’avait roulé dans la farine en lui disant ne connaître personne portant ce nom dans leur entourage. Et ça l’aurait fortement peiné. Il avala une gorgée de son thé glacé, histoire de faire passer sa colère. Il retourna sa tête vers l’homme. « Je pense qu’il sait déjà qui je suis, puisque je me suis déjà présenté. Andrew McKullan, le père de Mia, et celui qui aurait pu être grand-père si vous n’aviez pas eu l’excellente idée de faire cette blague de mauvais goût ». Il sirota de nouveau son thé glacé, l’air moqueur. Il avait envie d’en découdre avec le bonhomme, mais pas maintenant. Il était prêt à parier que Mia n’en serait pas très ravie, et il avait bien envie de savoir pourquoi ces deux là traînaient ensemble au marché de Noël.

Andrew fulminait. Il essayait tant bien que mal d’écouter la petite voix dans sa tête qui le suppliait de se calmer et d’éviter de faire une scène, mais c’était peine perdue. Le vieux McKullan franchit la ligne de trop lorsqu’il insulta le gamin. « Les chiens font pas des chats ». Ces quelques mots arrêtèrent totalement Andrew. L’espace d’un instant, il se figea. L’information peinait à atteindre son cerveau. De quoi le gamin parlait-il ? De Mia ? Il blaguait sur le fait que Mia et lui avait le même caractère de vieux con ? Non, ça n’aurait eu aucun sens. Andrew essayait de comprendre pourquoi il avait bien pu dire ça. A l’hôpital, Andrew avait blagué en mentionnant que le gars pouvait être le frère de Mia. C’était tout simplement impossible, Andrew était persuadé que s’il avait son fils en face de lui, il saurait quand même le reconnaître. Après tant d’années passées à sa recherche, il aurait quand même bien été foutu de savoir qui il était ! Andrew serra les dents : une seule explication possible, le gamin s’amusait encore une fois avec lui. Il avait bien retenu l’information, il savait que Mia avait un frère, et il s’en amusait. Andrew pointa un doigt accusateur vers le gars, passant au tutoiement sous l’énervement. « Comment oses-tu…T’as de la chance qu’on soit en public, mon p’tit gars ». Personne ne parlait de son fils. Personne ne se faisait passer pour son fils. C’était bien trop douloureux. Il se tourna alors vers Mia, demandant à avoir plus d’informations sur ce gaillard. « Tu peux pas t’adresser directement à moi ? ». Et voilà qu’il s’y remettait. Il jaugea de nouveau le gars, essayant une nouvelle fois de se calmer. Il sentait que les gens commençaient à les regarder et il n’avait pas envie de créer un scandale au marché de Noël. Vous imaginez, les gros titres des journaux ? « J’aimerais bien m’adresser à toi, gamin, mais t’as décidé de jouer à qui était le plus con. Je vais réitérer ma question, en espérant avoir une réponse claire, cette fois : qui es-tu ? Et pas la peine de me faire la liste de tout ton pedigree, ton nom suffira ». Mia semblait désemparée face à la scène. « Ok, les deux il va falloir sincèrement penser à vous calmer ». Elle avait raison, c’était totalement ridicule. Il fallait que les deux pensent à se calmer. Mais Andrew n’avait pas spécialement envie de faire la paix avec ce gars qui avait eu la bonne idée de faire croire que Mia était enceinte, et qui en plus, se permettait de faire des allusions étranges sur sa famille. Andrew sentait que quelque chose n’allait pas, il sentait qu’il lui manquait une pièce du puzzle pour tout comprendre, mais ça n’avait pas encore fait tilt dans son cerveau. Mia se pencha vers son ami pour lui murmurer quelques mots, qu’Andrew ne capta pas. Il fit mine de regarder sa montre, sirotant son thé glacé par la même occasion. « Bon, les gosses, c’est pas tout ça mais j’ai pas tout mon temps, si on pouvait en finir rapidement avec cette discussion avant que tous les articles du marché soient dévalisés, ça m’arrangerait ». Il avait encore beaucoup trop d’achats à faire. Il voulait trouver autre chose pour Tessa, il y avait les jumeaux, Adam…et peut-être Geo, aussi. Il avait donc d’autres chats à fouetter que de s’amuser à jouer avec un gamin.