| My Own Soul's Warning [Aleph - 1994] |
| | (#)Jeu 20 Mai 2021 - 15:54 | |
| « L’autre bout du pays c’est pas mal non plus si tu m’y rejoins. » Le large sourire sur les lèvres confirme la volonté du plus jeune de le suivre, bien qu’il se sente obligé de le souligner à l’oral : « évidemment, tu crois quoi ? » Il le pousse de l’épaule alors que son sourire se mue en rire franc. Ils sont naïfs, tous les deux. C’est aussi attendrissant que c’en est agaçant, leurs projets d’évasion plein la tête qui ne les mèneront pourtant nulle part, parce qu’ils oublient le plus important des détails : ils ne sont encore que des enfants. Des enfants aux problèmes d’adulte, mais aux réactions et aux rêves de leur âge, l’espoir d’une échappatoire contrebalancé par l’impossibilité de vivre par soi-même, trop jeunes pour réaliser les dangers qui les entourent tout en ayant un aperçu du plus grand qui les guette de par la situation de Joseph : ce sont les adultes qui les menacent constamment. Dans le fond, ça n’a rien de surprenant, leurs propres parents en font régulièrement l’usage dans leur volonté d’asseoir leur supériorité, alors pourquoi n’ont-ils jamais imaginé les dérives d’autres autorités ? Elles semblent évidentes, maintenant, elles accentuent leur volonté de fuir ce monde qui ne leur a jamais convenu et qui ne leur conviendra jamais ; parce que Joseph et Alfie n’ont jamais voulu se soumettre aux règles qu’on leur impose et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle. Ils sont des enfants, oui, mais pourquoi ne pourraient-ils pas imaginer vivre par eux-mêmes pour échapper à tout ce qu’ils subissent au quotidien ? Bien qu’Alfie demeure privilégié par rapport à son ami, ce n’est pas une raison suffisante pour qu’il se raisonne ; il le suivrait partout si cela peut l’aider, encore plus en sachant qu’il n’arrive pas à se formater aux cases préétablies par ses parents. Oh, ils ne sont pas méchants, pourtant, monsieur et madame Maslow, ils sont simplement dépassés par un enfant attendu trop longtemps et pour lequel il a été difficile d’établir des règles, ce qui l’amène à n’en écouter aucune à l’heure actuelle. Il n’est pas malheureux et probablement qu’il ne le sera jamais vraiment en leur compagnie et loin de lui de vouloir comparer leurs deux situations, mais la violence psychique qu’il subit à aller à l’encontre de tout ce qu’il voudrait devenir est un fardeau qu’il est également difficile de gérer. Alors oui, il a envie de partir, Alfie, il a envie de suivre les pas de son ami, il a envie de vivre et il n’y a pas plus belle vie que d’être aux côtés de celui pour laquelle il donnerait la sienne.
Il est prêt à le faire, à cet instant. Bien-sûr, rappelons qu’il est toujours un enfant ; et s’il prétend être en mesure d’assumer les conséquences de ses actes, probablement que s’il avait un aperçu de celles-ci il reviendrait sur son assurance. Il ne se défilerait pas pour autant, convaincu d’agir pour le bien de Joseph et, surtout, convaincu que celui-ci vaut bien quelques sacrifices, peu importe le prix de ceux-ci. Il aura tout le temps de les anticiper, de les assumer (peut-être), la priorité pour l’heure reste ce désir de vengeance qui semble presque plus grand dans ses veines que dans celles du principal concerné. Peut-être est-ce les bribes d’un caractère égoïste qui ne cessera de s’accentuer par la suite et la volonté d’agir par lui-même sous couvert d’une excuse. Une excuse que d’autres ne comprendront pas, mais qui lui paraît justifier le plus immoral des actes et il ne lui en faut pas plus pour être convaincu du bien-fondé de l’idée qui a germé dans sa tête voilà quelques minutes sans qu’il n’ose réellement la verbaliser.
On va brûler cette église.
Et sa jeunesse n’est de loin par un rempart à sa fougue, le jeune Maslow ne songeant à aucune moment à tout ce qui pourrait suivre un tel acte, se contentant de songer aux faits, comme toujours : ils ne sont que des enfants, après tout. Il ne sera pas difficile de prôner l’insouciance, l’ignorance, la stupidité et tous les autres termes péjoratifs qui leur sont d’ordinaire associés. Cette fois, Alfie est prêt à leur donner du sens si cela peut satisfaire les adultes, oh que oui, il est prêt à rédiger des milliers de lettres d’excuse presque emplies de sincérité, passer tous ses week-ends à aider ses parents, accepter de sacrifier la totalité de ses affaires personnelles en guise de punition ; il est même prêt à être envoyé à l’autre bout du pays (sans Joseph) si cela peut garantir la sécurité de ce dernier. Il est prêt à tout, autant dans les punitions que dans les actes, alors qu’aucune petite voix dans sa tête ne tente plus de l’arrêter ou de le convaincre que Joseph est un dommage collatéral d’un égo mal placé. « Oui. Et on aura besoin d’allumettes. » Il hoche rapidement la tête, Alfie, bien sûr qu’il aura besoin du matériel adéquat et à défaut de pouvoir se balader avec de l’essence, les allumettes sont un bon début. Le bâtiment est suffisamment vétuste pour qu’il ne soit pas difficile de s’en débarrasser, il en est convaincu.
« Viens. » Sa main dans celle de Joseph, il suit le rythme imposé par son meilleur ami, ses pas suivant l’ombre de ceux de Joseph. « Je reviens, ne bouge pas ! » Il acquiesce alors qu’il obéit pour l’une des rares fois de sa vie, ses yeux qui vont et viennent pour surveiller les alentours. Probablement qu’ils ont abandonné leurs recherches, à l’école, et qu’ils vont se contenter d’avertir les parents des deux garnements de leur attitude, encore une fois, déplorable. « C’était trop facile. » Sa main plonge dans le paquet de délices sucrés pour en enfourner quelques-uns dans sa bouche alors que sa mère manquerait l’arrêt cardiaque, à le voir rire ainsi, la bouche pleine. « Prochaine étape. » Il donne le paquet à Joseph alors que la seconde étape lui appartient. « On va à l’église. » Il imite l’une des croyantes du dimanche, sa voix haute perchée qui se moque allégrement, sa tête qui se secoue à droite, à gauche et son rire qui finit par percer l’air. Ils n’ont pas besoin de plus ; la mère d’Alfie étant l’assistante paroissiale (et jamais il n’aurait proposé une telle idée s’il ne la savait pas en train de prêcher pour sa paroisse – littéralement – au marché ce matin), il sait très bien où se situe la réserve autant qu’où elle cache sa clé de secours. Il faut bien cela pour dégoter de l’alcool à brûler, des fois que les allumettes ne suffiraient pas.
« Shhhh. » Arrivés près de l’église, le cliché des enfants cachés dans le buisson qui préparent un mauvais coup, ils observent les lieux un instant alors qu’Alfie ne sait pas vraiment par où commencer, mais cela lui est bien égal. Se penchant pour murmurer à l’oreille de Joseph, il reprend. « Il faut qu’on vérifie qu’il soit là et qu’il y ait personne d’autre. » Mais comment ? Un instant, il regarde son ami, avant de détourner le regard rapidement, honteux de l’idée dans sa tête. Il ne peut définitivement pas utiliser Joseph comme appât et le replacer dans une telle situation volontairement, il ne se le pardonnerait pas même si cela n’implique rien d’autre que de le guider dans une pièce où ils arriveront à l’enfermer. « Il faut quelque chose pour verrouiller les portes. Merde, si j’avais su, j’aurais volé le trousseau de ma mère. » Il s’agace, avant que son visage s’illumine. « Un bougeoir ! Un bougeoir, ça fera l’affaire. » Il y en a bien assez à l’intérieur. « Ma mère a de l’alcool à brûler dans sa réserve, ça nous sera utile. Je peux me débrouiller pour ouvrir la porte. » Il assure, convaincu sans réellement l’être alors qu’il avisera au moment venu, comme toujours. « Il est vieux. On doit pouvoir l’enfermer facilement, il arrivera pas à nous courir après, on sera de toute façon plus rapide que lui. » Et au pire, un coup de pieds entre les jambes et l’affaire sera réglée. « On doit juste s’assurer qu’il puisse pas téléphoner ou crier à l’aide... Faudrait l’assommer tu crois ? » Question rhétorique, alors qu’il enchaîne déjà : « Je pense pas qu’on y arrivera, il est plus fort que nous... Donc l’attacher comme dans les films, on y arrivera pas. Mais... je sais pas, peut-être que si on met de la musique, ça peut le faire ? » Il se pince la lèvre. « Non, ça sera pas discret, les secours viendront éteindre le feu avant même qu’il puisse se voir de l’extérieur et on aura perdu. » Et soudain, l’illumination. « JE SAIS ! Je suis sûr et archi sûr que ma mère a des médocs dans sa réserve. Je sais juste pas comment on pourrait lui les faire prendre ni si ça marchera... Parce qu’il va sûrement pas accepter de boire quelque chose qui vient de moi si je viens le voir et de toute façon c’est vraiment pas une bonne idée, il m’aura vu. » Il réfléchit à cent à l’heure, Alfie, ne laissant à aucun moment l’opportunité à son ami de s’exprimer, ses pensées défilant à vive allure, comme toujours et ses mots arrivant à peine à suivre le rythme imposé par celles-ci. « Je vais l’assommer. Je vais me débrouiller, mais je vais l’assommer. » Il est discret, Alfie, agile, aussi, mais il ignore pour l’instant comment mettre en pratique ce plan qui, en théorie, a tout d’une réussite (évidemment). « Même si je suis moins fort, il sera assez sonné pour que je puisse réessayer. » Son expression change, alors que le feu dans ses yeux n’est que l’introduction de celui qui va suivre. « Et on lui met directement le feu. » Ils l’enfermeront, bien sûr, mais désormais il n’est plus question de saccager en priorité cette église. Bien sûr, il faudra couvrir leur trace et que le tout disparaisse, mais le principal élément qui ne doit plus exister, c’est bien celui qui respire entre ses murs. Un dernier regard à Joseph et un dernier murmure, alors qu’Alfie n’a plus vraiment besoin de l’approbation de son ami pour être quasiment sur le départ ; « Ensemble ? »
@Joseph Keegan |
| | | | (#)Ven 11 Juin 2021 - 17:39 | |
| Évidemment qu’ils seront des amis pour la vie. Évidemment qu’ils sont fait pour emprunter le même parcours jusqu’à ce qu’ils soient séparés de force (et encore, Joseph est certain que, même si ce jour arrive, ils se retrouveront en moins de deux) et évidemment qu’ils mettront à exécution tous les plans du monde ensemble. Dès le moment où Alfie est venu le retrouver à la balançoire pour lui serrer la main et pour mieux se présenter, il savait qu’il ne serait plus jamais seul dans la cour de récréation. Le destin voulait que ça se passe ainsi. « évidemment, tu crois quoi ? » Son meilleur ami est du même avis que lui. Peu importe où ils se trouvent sur Terre, ça ne change absolument rien. Ils sauront qu’ils pourront compter sur l’autre pour faire tout en son pouvoir pour que leurs mains se touchent à nouveau. Joseph rit à son tour et leurs deux rires se mélangent pour ne former qu’un seul : évidemment. Pendant un moment, il oublie les raisons derrière laquelle ils ont fui tous les deux pour se cacher dans cette ruelle invisible aux yeux des automobilistes pressés sur les routes. Il oublie que les idées d’Alfie sont terribles, ou il ne s’en rend simplement pas compte, quand il va acheter des allumettes sans poser plus de questions. Il a déjà joué avec le feu et il peut très bien le refaire. Il n’a pas peur de sa chaleur parce qu’elle l’averti toujours de ne pas approcher davantage. Il joue avec les limites, les touche du bout du doigt, sans jamais se brûler. Il n’y a que ses guimauves qui se font consumer par les flammes, et parfois des morceaux de pain au chocolat que leur mère prépare elle-même de ses mains d’experte.
Il sautille sur place et l’excitation fait pomper le sang dans ses veines sans même qu’il n’ait croqué dans un M&M. Alfie se sert une poignée de petites pastilles colorées et lui tend à nouveau la boîte. Il s’accroche à ses lèvres en attendant que le plus jeune décide de la suite du plan. « On va à l’église. » Il rigole clairement devant la moquerie d’Alfie, alors qu’il se prend pour l’un de ces croyants qui se rendent effectivement là-bas tous les dimanches, et même le jour de Noël. Ses yeux sont brillants. Il admire son ami. Il l’admire tellement.
Il n’est même pas fatigué lorsque leur marche rapide les mène jusqu’au lieu du crime. Ils se planquent dans un buisson comme de vrais experts du crime. Les branches et la verdure les protège des témoins. La gorge asséchée, Joseph porte un chocolat à sa bouche pour changer le gout de sa langue. Il craque délicieusement sous ses dents. « Shhhh. » Il cesse de mâcher et pose ses deux grands yeux surpris sur le blond. Il s’excuse en posant le revers de sa main sur ses lèvres closes. Il n’est plus question de faire de bruit en mangeant les M&M. « Il faut qu’on vérifie qu’il soit là et qu’il y ait personne d’autre. » Et c’est tout à fait normal. Joseph n’a pas envie de faire plus de victimes que nécessaire. Il n’y a qu’une seule tête qu’ils vont viser de leur arme, et il se réjouit déjà de voir son visage quand il verra sa précieuse Église, monastère du mensonge, s’effondrer devant ses yeux reflétant l’orangé des flammes affamées. Il ne sera plus prêtre, après ça, et il ne pourra plus jamais poser ses lèvres ridées sur l’oreille de Joseph. À cette image, il frissonne. Il essaye de ne pas y penser, remplissant son imagination d’images jouissives. Il voit déjà les pompiers et leurs sirènes bruyantes dévaler la rue. Il sera certainement trop tard avant qu’ils ne puissent faire leur travail. « Il faut quelque chose pour verrouiller les portes. Merde, si j’avais su, j’aurais volé le trousseau de ma mère. » Il n’interrompt pas le cerveau de l’opération : ce serait de l’impolitesse. « Un bougeoir ! Un bougeoir, ça fera l’affaire. » Ses yeux malicieux s’illuminent en même temps que les siens. Les poignées des portes semblent avoir été construites pour qu’on y coince un bougeoir. Il a déjà vu ça, dans un film d’espionnage que lui et toute sa classe a visionné juste avant les vacances d’été. Qu’est-ce que c’est pratique, la télévision. « Ma mère a de l’alcool à brûler dans sa réserve, ça nous sera utile. Je peux me débrouiller pour ouvrir la porte. » Il hoche machinalement la tête, réalisant seulement maintenant que les occupations de la mère d’Alfie lui seront fort utiles. Elle est impliquée dans l’histoire malgré elle. « Il est vieux. On doit pouvoir l’enfermer facilement, il arrivera pas à nous courir après, on sera de toute façon plus rapide que lui. » Soudainement, Joseph semble perdu. Il ne détache pas ses perles bleues de celles d’Alfie pour tenter d’imaginer la suite avant qu’il ne la lui explique. « On doit juste s’assurer qu’il puisse pas téléphoner ou crier à l’aide... Faudrait l’assommer tu crois ? » Son cœur s’agite dans sa poitrine et il serre inconsciemment le paquet d’allumettes entre ses doigts pour en déformer le carton. Il n’avait pas l’intention de faire du mal à cet homme, pas directement. Il voulait lui voler cette institution qui lui donne le droit d’agir injustement. Joseph fait tourner sa langue dans sa bouche à plusieurs reprises mais il n’a pas le temps d’émettre la moindre objection que son ami enchaîne à la vitesse d’une fusée. Il se demande comment toutes ces idées lui viennent à la bouche, comme une comptine qu’il aurait déjà entendue et apprise par cœur. De la musique pour dissimuler le son de leurs pas ? De la corde pour attacher Père David ? Il a certainement vu plus de films que lui. « JE SAIS ! (Joseph sursaute et fait tomber quelques chocolats ronds dans les buissons) Je suis sûr et archi sûr que ma mère a des médocs dans sa réserve. Je sais juste pas comment on pourrait lui les faire prendre ni si ça marchera... Parce qu’il va sûrement pas accepter de boire quelque chose qui vient de moi si je viens le voir et de toute façon c’est vraiment pas une bonne idée, il m’aura vu. » Il est tétanisé, à cet instant, le plus vieux, mais depuis longtemps il sait comment empêcher sa peur de s’afficher dans ses traits. Alors Alfie ne remarque rien, de toute façon trop occupé à faire aller ses méninges certainement brûlantes. « Je vais l’assommer. Je vais me débrouiller, mais je vais l’assommer. » Sa tête acquiesce mais il ne s’en rend pas compte. Alfie est plus intelligent que lui, il sait ce qu’il fait. Il avale le reste de ses mots mais reste silencieux plusieurs secondes quand il propose de lancer l’allumette sur le corps du vieux. Ce n’est pas ce qu’il avait prévu dans sa tête. Il lutte contre lui-même, s’empêche de prononcer le moindre mot le plus longtemps possible comme si ça allait laisser un peu de temps à son ami pour changer d’idée. Mais il semble sûr de lui alors qu’il s’élance vers l’avant sans avoir attendu l’approbation de son partenaire de crime malgré lui. Joseph tente d’attraper sa main à la dernière seconde mais ses doigts glissent trop facilement entre les siens. L’envie de vomir le menace soudainement mais, pour ne pas trahir la seule personne en qui il a confiance, il bondit à son tour hors du buisson pour courir jusqu’à la porte d’entrée de l’Église. Elle semble gigantesque, maintenant qu’ils sont tous près d’elle, et même s’il y a mis les pieds des centaines de fois depuis qu’il est né, il a l’impression de ne plus la reconnaître. Les murs ont toujours été gris, et les tapis bourgognes ? Peu importe.
L'Église semble vide puisqu'elle est monstrueusement silencieuse. Joseph est l’ombre d’Alfie tandis qu’ils se fraient un chemin travers les bancs immobiles qui font face à l’immense statue du Christ perchée sur le devant de la salle. À droite, l’orgue gigantesque n’a pas changée, contrairement aux couleurs des murs qui ne sont plus familiers aux yeux d’un Joseph affolé, paniqué. Ses souvenirs renvoient les mélodies cacophoniques que jouait Alfie pour faire perdre patience au maître des lieux en plein milieu des prières inutiles. Il reste figé un moment en fixant l’immense rideau épais, bourgogne lui aussi, qui couvre la façade derrière l’homme crucifié en céramique. Il ne pense pas les mots qu’il murmure ensuite : « Il prendrait feu facilement. Mon père a déjà fait brûler d’anciens rideaux quand il en a acheté de nouveaux. Ça puait, très fort, et la fumée était bien noire. » Il jette un coup d’œil à Alfie qui se trouve près de la porte qui mène certainement à la réserve de sa mère. Elle est visiblement verrouillée puis qu’il s’acharne sur la poignée. « Tu y arrives ? » Il demande en tendant le cou, se rapprochant de lui comme un robot qui a oublié le code de son protocole. Soudainement, l’immense porte d’entrée de l’Église gronde lourdement. Dans un réflexe animalier, Joseph attrape le poignet d’Alfie et le tire loin de là. Ils se cachent derrière le baptistère en pierre lourde en attendant que la silhouette ratatinée de Père David disparaisse dans son bureau. Les doigts du garçons tremblent, ainsi que ses jambes, et il doit s’accroupir pour ne pas perdre l’équilibre. L’angoisse lui sert les tripes mais il tente de ne pas penser plus. Les yeux gros, la respiration saccadée, Joseph regarde Alfie d’un air ébahi. « Son bureau est juste sous les rideaux. » Il pointe les rideaux en question, ceux qu’il a mentionnés quelques secondes plus tôt ; ceux desquels s’échapperait une fumée noire charbon. « Je connais la pièce, j’y suis déjà allé. » C’est là qu’il le convoquait à l’abri des regards. « Il n’y a qu’une entrée. Pas de sortie. Si on met le feu aux rideaux, il sera coincé là, pas vrai ? » Il demande d’une voix affolée, espérant recevoir une réponse positive. Ils n’auraient pas besoin d’assommer l’homme, ni même de l’approcher. Il suffirait de bloquer sa porte avec un bougeoir, comme le mentionnait le plan d’Alfie, et d’attendre que le feu fasse son travail. Il se sentirait moins mal, peut-être, si seulement l’allumette entrait en jeu.
@Alfie Maslow *musique de mission impossible* |
| | | | (#)Sam 19 Juin 2021 - 13:52 | |
| La rage d’Alfie surpasse toute raisonnabilité dont il devrait faire preuve pour songer à ce qui apparaît comme un plan d’enfer (ah, ah) de prime abord, mais qui, avec le recul, est bourré de conséquences auxquelles il se refuse de penser. Il mettra ça sur l’âge et son manque de maturité évidente qu’on lui rappelle chaque jour un peu plus – autant que cela puisse lui servir une fois. Il ne s’est pas réveillé ce matin avec l’assurance qu’il allait tuer un homme aujourd’hui ; et même alors que le projet se dessine de minute en minute, Alfie ne réalise toujours pas le poids de sa proposition, qui demeure presque innocente de la bouche d’un gamin. À cet instant, il ne pense pas aux choses sous ce versant, mais ils n’ont pas tort, ces adultes qui l’agacent plus que de raison au quotidien, lorsqu’ils mettent en avant le fait qu’il ne pense jamais aux conséquences. Encore à cet instant, ce n’est pas le cas et même les quelques bribes de raison qui le traversent ne visent qu’à accentuer son évidente innocence due à son âge ; comme si cela était le seul critère pour décider qu’une fois dans sa vie, il ne serait pas coupable. Une seule fois, la plus importante qui plus est ; oui, dans l’esprit d’Alfie tout est parfaitement rodé et s’il a toujours (plus ou moins) réussi à se sortir de n’importe quelle situation délicate, il n’y a pas de raison qu’aujourd’hui fasse exception à la règle, peu importe le degré des responsabilités qui sont les siennes. Bien sûr, le fait de s’en prendre à un homme d’église diminue sa défense, après tout le père David est la représentation même de l’autorité divine et pour quelle raison faudrait-il remettre en question l’innocence de cet homme-là ? Mais il est convaincu qu’en tant qu’enfant, il gagnera toujours ; et que le poids de deux témoignages valent bien plus qu’un seul, ce sont des maths, des statistiques, deux vaut plus qu’un, alors pourquoi est-ce qu’on ne les croirait pas, Joseph et lui ? Il est persuadé qu’il peut même convaincre Lily de se joindre à eux pour peser toujours plus dans la balance, peu importe qu’elle soit au courant des méfaits commis par David sur son frère. Avec des yeux suppliants et une voix tremblotante, beaucoup d’énergie et la promesse d’enfin se canaliser (et de réellement le faire), il pense même pouvoir rallier sa propre mère à leur cause. La plus proche collaboratrice du Père dans la poche, c’est l’assurance qu’aucune accusation ne pourra vraiment peser sur eux, n’est-ce pas ? Ils seront plus nombreux, il y aura même une adulte de leur côté et pas des moindres et des explications pourront enfin être données à tous ceux qui s’agacent de leur comportement durant la messe : finalement, Joseph n’est qu’un pauvre enfant abusé qui tentait de faire entendre sa souffrance, qui peut résister à cet argument infaillible ? À cet instant, Alfie ne songe pas au fait que jamais sa mère ne se rangera de son côté après avoir mis ainsi en péril sa « carrière », autant que le fait que Joseph ne voudra peut-être pas se dévoiler au reste du monde, ni même que Lily n’a jamais été de leur côté malgré tous les arguments balancés pour la convaincre de les suivre et, surtout, de se taire. Il ne pense pas plus à l’éventuelle survie du père David car leur plan serait susceptible d’avoir des failles : évidemment qu’il n’en aura pas. Dans les films, tout se passe toujours sans accro, pourquoi dans la réalité l’échec devrait-il avoir lieu ? C’est inenvisageable et pas seulement parce qu’il a été bercé par des réalisations peu crédibles ; mais surtout parce que la réalité ne peut pas se reproduire indéfiniment. S’il existe un Dieu (et il le croit malgré tout ce qu’il dit, Alfie), alors celui-ci ne peut pas laisser la situation continuer. On peut le bercer des proverbes, de croyances et d’autres stupidités quant au fait que « tout arrive pour une bonne raison », des dizaines d’années plus tard Alfie n’arrivera toujours pas à expliquer où se situe la bonne raison en question. Alors, aujourd’hui, sans la moindre maturité ni une seule once d’expérience, inenvisageable, aussi, d’espérer de lui un quelconque raisonnement du genre.
L’impulsivité dont il fait preuve n’est pas nouvelle, mais elle ne fait qu’être renforcée par des situations comme celles-ci ; où aucune conscience morale n’entre en jeu. Peut-être qu’il savait très bien en faisant une telle proposition que Joseph ne serait pas celui qui le contiendrait ; même si Alfie a toujours mené la danse entre eux, son ami n’a jamais été forcé à quoi que ce soit, a toujours pu s’exprimer face à lui et aujourd’hui n’aurait pas fait exception à la règle. Mais il ne dit rien, Joseph, pire, il le suit comme toujours – jusqu’au bout du monde, d’ailleurs. La dernière bribe de confiance d’Alfie, personnifiée par le seul qui peut le remettre à sa place, a définitivement disparu alors que face à cette église, c’est désormais toute l’inconscience dont il est capable qui émerge. Ils vont le tuer, ce type. Ils vont le tuer et même si les choses prennent forme au fur et à mesure du discours décousu d’un Alfie qui n’arrive pas souvent à suivre le flot de ses pensées, il ne prend toujours pas la pleine mesure de ce qu’il s’apprête à faire. Peut-être parce que même si on ne doit pas tuer, il est convaincu que parfois la mort est la seule des solutions ; à cet instant précis, elle est la seule. Il a peut-être vu trop de films, il a peut-être trop d’idées, pas assez de réflexion, aucun recul, la seule certitude réside dans le fait que jamais il n’autorisera le père David à sortir de cette église vivant. Peu importe le moyen pour y parvenir, il est prêt à prendre tous les risques du monde si cela peut assurer la tranquillité de son ami. Il a le pouvoir de l’aider autant qu’il a le plus grand des pouvoirs, celui de vie ou de mort, sur autrui et Alfie apprécie cette sensation, lui qui ne contrôle pas grand-chose d’autres et certainement pas sa propre vie. Toujours sous l’autorité étouffante de ses parents, sa seule liberté réside dans le contrôle qu’il exerce auprès des autres, auprès de Joseph alors qu’il ne lui a malgré tout pas vraiment laissé l’occasion de s’exprimer, auprès de David, surtout, devenu pantin à la place de Joseph.
Les premiers pas dans l’église sont silencieux, comme une ultime bribe d’angoisse à l’idée de se faire prendre et d’être puni. Ils le seront, assurément, mais le plus grand des pécheurs l’aura été, c’est bien suffisant pour que sa vigilance disparaisse peu-à-peu alors qu’il laisse le soin à Joseph d’en faire preuve pour lui, trop occupé à tenter d’ouvrir le local de sa chère mère. « Il prendrait feu facilement. Mon père a déjà fait brûler d’anciens rideaux quand il en a acheté de nouveaux. Ça puait, très fort, et la fumée était bien noire. » Il n’écoute pas vraiment, Alfie, trop occupé à s’agacer contre cette serrure qu’il n’arrive pas à ouvrir – à croire que sa génitrice a compris qu’il venait s’y réfugier un peu trop souvent quand l’ennui est trop grand. « Tu y arrives ? » « Ouais, ça va le faire. » Il ne sait pas quand, il ne sait pas comment, il sait juste qu’il va bien réussir à trouver une solution pour ouvrir cette porte – il trouve toujours une idée. Celle qui s’illumine dans son esprit n’est pourtant pas celle qu’il peut mettre en pratique alors qu’elle attirerait inévitablement l’attention sur eux – les dommages matériels à l’idée d’utiliser une de ses statues pour faire céder la poignée n’étant pas vraiment un problème, plus un argument à vrai dire, pour l’enfant. Il n’a pas le temps de réfléchir à une seconde option que les doigts de Joseph serrent son poignet pour l’inciter à le suivre, désormais cachés du reste du monde alors que leur cible, elle, se montre enfin. « Son bureau est juste sous les rideaux. » Quels rideaux ? Et puis, ça lui revient. Les rideaux. Mais ça va puer, ça va faire trop de fumée, ils ne seront pas discrets. Peuvent-ils réellement l’être partant du principe qu’ils veulent réduire cette maison du péché en cendres ? « Je connais la pièce, j’y suis déjà allé. » Son regard s’assombrit alors qu’il sait très bien à quoi son ami fait référence et qu’il le remercie d’enchaîner rapidement pour ne pas que la gêne s’installe – ou pire, la colère. « Il n’y a qu’une entrée. Pas de sortie. Si on met le feu aux rideaux, il sera coincé là, pas vrai ? » Il reste muet un instant, Alfie, le temps de réfléchir à la proposition. « Si tu le dis, oui. » Il aurait voulu lui demander s’il est sûr de lui, mais il ne lui fera pas l’affront de l’obliger à songer à cette pièce en détails. Une seule seconde à l’intérieur de celle-ci lui a sûrement suffit pour l’imprimer, elle et ses détails, dans son esprit. « On aurait même pas à l’enfermer. » Il souligne. Sa volonté serait de le faire, pour s’assurer que cet homme ne pourra pas leur échapper, les propositions de Joseph et son ton peu assuré lui confirment que celui-ci se veut en retrait, comme toujours. Il n’est pas sans savoir qu’il craint les punitions plus que lui, que ses parents sont moins souples que les siens, qu’il est plus lâche – mais à juste titre, alors il lui pardonne. « C’est une vieille église et il y a des bougies allumées là-bas. » Il désigne le porte-cierge dont aucune lueur n’émane ; mais ils ont des allumettes, ils peuvent régler le problème, c’est ce qu’il insinue. Alors, il les voit, Joseph, les bougies allumées, maintenant ? « Il y a du bois partout et ce genre d’accidents, ça arrive. » Le concierge qui donne un coup de balai et déséquilibre les cierges, l’ivrogne qui vient se confesser et trébucher sans se soucier, se rattrapant là où il ne faut pas. Quelques portes et fenêtres ouvertes en cette période qui font entrer les courants d’air dans l’église. Il suffit d’une étincelle, pas grand-chose, juste que la flamme touche le bout du rideau, du banc, peu importe, de n’importe quoi d’inflammable. Il n’y aura pas besoin de l’enfermer, pas besoin d’éveiller les suspicions maintenant qu’il prend enfin la peine de réfléchir. « Imagine que ce banc, là, et le présentoir, là, il désigne les objets les uns après les autres, brûlent en plus des rideaux. Même en s’en apercevant, il sera coincé. Ou au moins, il s’en sortira pas sans brûlures. » Des blessures suffisamment graves pour laisser du répit à Joseph le temps de trouver une autre solution. « On va le coincer, mais pas en bloquant la porte. On va le coincer avec le feu. » Il propose, unanime, alors qu’il se lève déjà pour s’approcher de l’entrée du bureau. Il faut veiller à légèrement déplacer les meubles pour ne pas qu’on s’interroge – cela consiste à ne pas bloquer la porte et à laisser la possibilité d’un et si ? insupportable. Mais avec un peu de bon sens, ils devraient parvenir à faire en sorte que l’entrée soit bouchée par le feu ; à condition que celui-ci prenne vite et qu’ils utilisent les bougies à des endroits stratégiques. « Viens m’aider ! » Qu’il ordonne, en chuchotant et en faisant de grands signes. Il peut bien se dégonfler, s’il le souhaite. Alfie aura du courage pour deux, si besoin.
- playing with fire:
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| | | | (#)Jeu 1 Juil 2021 - 23:01 | |
| Joseph est un petit garçon intelligent. En classe, il ne le montre pas vraiment et collectionne les mauvais résultats mais tous les professeurs diront qu’il y a une petite lumière bien allumée dans ses yeux bleus. Il est réveillé, un peu trop d’ailleurs pour un garçon de son âge. Il ne s’est jamais réduit aux moqueries que certains autres élèves font subir aux plus petits et il détourne le regard lorsque la bagarre fait rage dans la cours de récréation. Il n’a jamais été un petit garçon violent, il n’apprécie pas de voir les autres souffrir et ne ferait pas de mal à une mouche. Le seul problème avec lui, c’est qu’il est doté de convictions qui ne changeront jamais. Il déteste l’injustice et c’est pour cette raison qu’il n’écoute pas les règlements qui, selon lui, se cachent derrière un filtre coloré pour cacher leur obscurité. Les paroles que tentent de lui inculqué l’Église ne font que tenter de lui fermer les paupières pour qu’il soit inconscient comme tous ceux qui pensent qu’il ne leur suffit que de lever les mains au ciel pour que leurs prières soient exhaussées. Il a essayé, Joseph, de prier; d’avoir la foi même. Mais son quotidien n’a pas changé. Il est resté l’ennemi numéro un de son père et le prêtre n’a pas cessé de le considérer… Spécial.
Dans ce quartier, dans cette campagne et même dans ce pays entier, Joseph ne fait confiance qu’à une seule personne. Peu de gens pourraient se vanter d’avoir l’intelligence d’Alfie, son culot et son courage. Il est le plus grand Homme que ce monde possède et il n’a que dix ans. Il deviendra quelqu’un, vraiment quelqu’un. Pas un mendiant qui tend la main. Il suffit d’écouter ses mots quand il se perd dans le fil de ses pensées. Il réfléchit à la vitesse d’une fusée et ses yeux sont toujours brillants, vifs, tout autant que ses gestes quand il a une idée derrière la tête. Selon certains parents, il est impulsif. Selon Joseph, il est meilleur que les autres. Il n’a jamais réussi à trouver ses défauts et ce n’est pas faute d’avoir cherché.
Dans cette Église qui alimente la majorité de ses cauchemars, il ne se sent étrangement pas effrayé. Son ami est prêt de lui et son aura le protège de tous les monstres qui grouillent dans les murs et qui font craquer les planchers en lattes. Il semble tellement grand quand il s’attaque à la porte verrouillée et, même si des efforts substantiels seront nécessaires pour que le loquet se brise, Joseph sait qu’il y arrivera. Après tout, il le dit lui-même, et Alfie ne lui ment jamais. « Ouais, ça va le faire. » Sûr de lui, il serre les poings comme s’il allait lui transmettre un peu plus de force de cette façon : quand on est deux, ça va deux fois mieux ! À peine un instant plus tard, les larges portes du lieu de culte s’ouvrent en grinçant et l’air humide et chaud à l’extérieur pénètre dans la salle. Un frisson traverse l’équine du jeune garçon et il sauve son ami au dernier instant, le tirant vers sa cachette improvisée. C’est à son tour d’avoir une idée de génie : le bureau de père David, là où il vient de s’enfermer, est entouré d’épais rideaux. S’il mise juste, le vieillard ne pourra pas s’enfuir et il se transformera en poulet cuit, comme ceux que Joseph voit à l’épicerie derrière la petite vitre. « Si tu le dis, oui. » Le regard d’Alfie arrive à le faire hésiter et il se mord la lèvre, légèrement ébranlé. Il finit par se secouer les puces avant d’hocher vivement la tête pour s’affirmer. « On aurait même pas à l’enfermer. » C’est à nouveau le cerveau du génie qui prend les rênes de l’opération et Joseph est rassuré. Il n’a jamais été un bon leader, de toute façon. Alfie s’en tire avec bien plus d’aisance. « C’est une vieille église et il y a des bougies allumées là-bas. » Joseph suit la ligne invisible que créer le doigt de son ami et il observe les bougies en silence. Il secoue la tête. « J’ai des allumettes, ne risquons pas le pire en traversant toute la pièce. » Il affirme sur un ton convainquant, n'ayant pas compris qu'Alfie ne faisait qu'établir un fait. « Il y a du bois partout et ce genre d’accidents, ça arrive. » L’odeur du bois rance et sec lui chatouille les narines depuis qu’ils sont arrivés ici. Il peut aussi humer le vernis neuf qui couvre la majorité des sculptures, bancs et autre meubles. Il se demande si ce produit est inflammable. Une canne remplie traine justement au milieu d’une des trois chapelles. Il note l’information dans sa tête. D’une oreille attentive, le jeune Joseph écoute la suite du plan d’Alfie et un sourire presque diabolique étire machinalement ses lèvres. Il ne se rend pas compte qu’il se laisse bercer par ses mots : ils sont la promesse d’une libération. « On va le coincer, mais pas en bloquant la porte. On va le coincer avec le feu. » À ce point-là, il acquiesce sans même réfléchir. Ce qu’ils s’apprennent à faire ressemble davantage à un rêve qu’à la réalité. Les conséquences seront moindres : ils se réveilleront en sursautant dans leur lit. « D’accord. » Et Alfie se hisse à nouveau sur ses deux jambes et s’élancent en direction des bancs qui serviront à enfermer le prêtre dans son bureau. Il hésite quelques secondes en laissant ses yeux passer de son ami à la porte du bureau fermée, et il déglutit difficilement en se redressant à son tour. Il se sent nu, lorsque le baptistère ne le dissimule plus derrière sa large structure en pierre. Il rejoint son complice pour lui donner un coup de main. À eux deux, ils arrivent à trainer le lourd banc sur le sol sans qu’il ne grince trop. Ils font une pause à chaque fois qu’ils pensent avoir soulevé trop de décibels et ils reprennent le boulot après avoir entendu une mouche voler. Environ cinq minutes plus tard, deux bancs sont collés à la porte du bureau. Le cœur affolé par l’excitation et l’effort, Joseph observe leur œuvre et hoche la tête, visiblement satisfait. Il sort de sa poche les allumettes et les tend naturellement à son ami. C’est lui qui fera craquer la tête du bâtonnet. Il saura mieux le faire que lui. Jetant un coup d’œil à la porte derrière laquelle se cachent les combustibles que tentaient de dénicher Alfie, il fait une moue. Il n’a pas réussi à l’ouvrir, et ils feraient mieux de se dépêcher. David pourrait tenter de sortir de son bureau d’un moment à l’autre. Il est peut-être vieux mais il est plus grand que les deux jeunes garçons. Il arriverait sans mal à pousser les bancs qui le bloquent tant que ces derniers ne sont pas dévorés par les flammes. « J’ai une idée. Je crois que ça fonctionnera. » Il murmure très faiblement dans l’oreille de son partenaire de crime. Il pointe la canne de vernis posée près de la courbure du mur de la chapelle. « Regarde, ils font des rénovations. » Et, sans étendre le fond de sa pensée, il se dirige sur la pointe des orteils jusqu’au pot de vernis. Il le hume et ses narines se contractent. Ça pu le poison. Sur l’étiquette, il trouve quelques logos qui semblent prévenir d’un danger. Des triangles rouges avec des têtes de mort… Ça doit être bon signe (pour leur plan). Fier de sa trouvaille, Joseph rejoint Alfie et lui montre une seule seconde la canne de vernis. À peine une seconde plus tard, il verse le contenu sur les bancs, sur le sol, sur la porte, sur les rideaux bourgognes et, tout ça, dans le plus profond des silences. Lorsqu’il a terminé, il arbore un air fier et se recule. C’est au tour d’Alfie de jouer. Comme s’il s’attendait à voir des feux d’artifices, il se bouche les oreilles : dans les films, les explosions font toujours du bruit. Au cinéma, il sursaute sur sa chaise à chaque fois que le feu couvre l’écran et l’avale sur toute sa longueur.
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| | | | (#)Lun 19 Juil 2021 - 14:48 | |
| « Ouais, ça va le faire. » Des mots plein d’assurance pour un petit garçon qui n’en manque pas ; il le devrait pourtant. Pour une fois dans sa vie, Alfie Maslow devait se soumettre aux règles et à la vérité absolue : il n’est qu’un enfant et un enfant de son âge est bien incapable de songer à un plan aussi compliqué en prenant en compte tous les tenants et aboutissements de celui-ci, autant que les évidentes conséquences. Mais Alfie, du haut de ses dix ans, a toujours aimé avoir raison même quand il a tort : aujourd’hui ne change pas la donne. S’il estime qu’ils mèneront cette mission à bien, alors ils y arriveront, peu importe les moyens utilisés et si cela n’est finalement pas le cas, il saura arranger le récit afin de les faire passer pour les méritants, des héros modernes qui luttent contre l’injustice et la violence – même si cela implique d’en faire soi-même usage. C’est le constat que, déjà gamin, Alfie avait cette tendance au « faites ce que je dis, pas ce que je fais » qui n’a cessé de s’accentuer avec les années et que les règles qu’il impose aux autres ne s’appliquent pas à lui (évidemment qu’aucune règle ne s’applique à lui, sans quoi il ne serait pas là aujourd’hui à être le leader d’un combat qui n’est pas le sien, dans le fond). Il s’est toujours cru au-dessus du tout malgré son jeune âge qui aurait dû l’obliger à s’écraser face aux autres. Pourtant, il a toujours voulu les dominer et il s’attaque aujourd’hui à un gros morceau : Dieu lui-même, en le défiant dans l’enceinte de sa propre maison en s’attaquant à l’un de ses disciples. Il y a bien sûr les discours parentaux qui résonnent dans son esprit, suggérant la punition qu’il subira (divine, cette fois-ci et sur laquelle ils n’auront aucune prise). C’est finalement celle-ci qui le séduit, autant que le simple fait de dépasser les limites comme il ne l’a jamais fait auparavant. Dieu est synonyme de pouvoir et, aujourd'hui, c'est lui qui le reprend. Pour quelqu’un qui a longtemps été impuissant au sein de son propre foyer, il n’aurait pu rêver meilleur retournement de situation, autant qu’il n’aurait pu rêver de meilleure opportunité. Tout est fait pour que cela tourne mal malgré son envie de réussite, pourtant, tout est également fait pour qu’ils aient les plus belles excuses du monde : il s’imagine qu’ils sont intouchables, à cet instant, Alfie et il ne veut rien entendre qui puisse présager le contraire. Même un échec ne sera pas difficile à encaisser, en réalité et ne lui donnera que des motivations supplémentaires pour être plus subtil, plus préparé, plus doué, la prochaine fois qu’il se mettra à (littéralement) défier l’univers. Un avant-goût de ce qui dictera son futur par la suite, une découverte dont le plaisir amené par celle-ci sera toujours recherché sans jamais être acquis de pareille façon.
Ainsi, malgré son assurance, leurs deux cerveaux ne sont pas de trop pour fonctionner ensemble : Joseph a toujours été plus raisonnable que lui, voit le danger là où il se jette sur celui-ci ; finalement il prend le rôle du petit ange sur son épaule alors que tout son être représente le démon. Ce démon qui met en avant les idées les moins sécuritaires et qui peut, heureusement, compter sur Joseph pour alléger les risques. « J’ai des allumettes, ne risquons pas le pire en traversant toute la pièce. » Les allumettes, c’est vrai. Il les avait oubliées, peut-être parce qu’il avait presque envie d’user d’ironie jusqu’au bout en déclenchant ce feu avec les cierges à la mémoire des disparus tout en s’assurant qu’un autre rejoigne la liste. À cette pensée, il a un sourire que seul lui perçoit, avant que ses yeux s’activent tout autour de lui pour mettre en évidence d’autres faits. Le mauvais état général de cette église, notamment, par le fait qu’ici, le budget n’est pas conséquent pour que les rénovations soient régulières : il faut généralement attendre que l’inspection vienne signaler de potentiels dangers pour qu’on s’occupe de les réparer ; avant cela, on prie (ah, ah) simplement pour que rien n’arrive à personne et que leur toit ne leur tombe pas sur la tête. Alfie ne songe pas au fait que le bois puisse être traité pour limiter les risques d’incendie, à ses yeux le calcul est simple : une allumette, du matériel inflammable : pourquoi réfléchir à plus ? Ce n’est pas avec une quelconque parade qu’ils s’assureront de rendre le Père prisonnier de leur flirt avec le diable, mais bien par l’élément qui le caractérise. « D’accord. » Il s’attendait à ce que Joseph émette une réserve – on l’a dit, il a toujours été le plus raisonnable. Mais il n’aurait pas voulu qu’il le fasse, sans quoi une bataille de mots aurait dû se mettre en place jusqu’à ce qu’il soit le grand gagnant, comme d’ordinaire et il remercie silencieusement son ami de s’être abstenu. Ce n’est plus tant une situation qui vise à sauver l’honneur de celui-ci qu’à satisfaire ses propres pulsions, désormais. Son regard invite Joseph à le suivre et l’aider et sans même passer d’accord verbal, ils parviennent à s’accorder sur la nécessité de demeurer silencieux (ne sont-ils pas supposés l’être dans pareil lieu ?). Il passe ses mains sur son pantalon quand la besogne est réalisée, comme une ultime bribe de mauvaise conscience qui impliquerait d’effacer toute trace de son méfait, même si celle-ci ne consiste qu’en des fils de poussières. Se saisissant des bâtonnets tendus par Joseph, il les garde bien en mains alors qu’un sourire naît sur ses lèvres à l’entente de cette simple phrase : « J’ai une idée. Je crois que ça fonctionnera. » S’il croit que cela fonctionnera, il n’a aucune raison de ne pas le croire alors il reste muet pour l’inciter à partager son idée. Son regard se dirige vers l’objet pointé du doigt par le plus vieux, tandis que sa tête se secoue légèrement pour confirmer qu’il a bien pris conscience des rénovations en question. Ses yeux ne quittent plus la silhouette de Joseph, suspendu à ses gestes, un large sourire qui se dessine finalement sur ses lèvres alors qu’il prend conscience de l’arme qu’il vient de trouver. Il l’observe un sourire fier lorsqu’il déverse le contenu, jusqu’à ce qu’il se recule et lui donne le signal silencieux qu’il s’agit de son tour. Il a pourtant un instant d’hésitation, Alfie, avant d’allumer le bâton, conscient qu’il ne pourra pas revenir en arrière, conscient que la dynamique ne sera pas uniquement dans cette église, mais aussi dans sa tête. Un instant de remords durant lequel il pense à ses parents et aux conséquences de son acte, pour la première fois. Un instant vite effacé par ses pulsions et tout ce que ce geste implique, toute la libération qui sera la sienne, celle de Joseph surtout, en condamnant celle d’un autre. Un dernier regard en direction de Joseph et l’allumette rapidement allumée rejoint le banc le plus proche, tandis qu’Alfie se recule à la hâte. Il n’y a pas de bruit aussi impressionnant qu’on pourrait s’y attendre, mais le feu prend et leur discrétion est désormais réduite à l’échec ; bien que le bruit ne provienne pas d’eux. Très vite, l’incendie se propage comme dans un film et il n’aurait pas imaginé que les choses puissent être aussi rapides, ni aussi dangereuses alors qu’il leur faut sortir d’ici sans même avoir l’assurance que le père David ne sera plus qu’un cauchemar que Joseph ne croisera que la nuit, dans son lit. Celui-ci n’a peut-être pas encore compris la situation, mais Alfie prend désormais la pleine mesure de celle-ci quand il se précipite vers son ami pour lui saisir la main, plutôt que d’avoir à crier de son côté de la pièce et faire reconnaître sa voix. Sa main dans la sienne, il tente d’imposer le prochain acte de leur plan : fuir. Sauf que cette fois-ci, Alfie ne peut plus ignorer les conséquences de ses actes, qui prennent la forme d’une poutre enflammée qui vient s’écraser à quelques mètres, entre eux et la sortie. « Joseph ! Tu connais cet endroit, il y a des sorties, vas-y et assure-toi de tenir les gens à l’écart ! » Il interroge à l’oreille de son ami, la voix qui n’est pas aussi paniquée qu’elle le devrait, ses yeux attirés par le chaos autour d’eux. Au diable (littéralement) la sortie, il veut apprécier le spectacle, il veut s’assurer que le cauchemar se termine, ses yeux qui crépitent autant que les flammes dont il est à l’origine.
@Joseph Keegan
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| | | | (#)Lun 9 Aoû 2021 - 16:31 | |
| Tout repose entre les mains d’Alfie. Rectifications : tout a toujours reposé entre les mains d’Alfie. Comme le paquet d’allumettes à cet instant, petite boîte rectangulaire à l’allure inoffensive mais qui renferme la poudre à canon. Joseph ne sent pas ses doigts trembler mais ces derniers s’agitent comme si le sol se faisait ronger par d’horribles secousses. Un silence bruyant règne dans l’Église. Le vernis frais coule sur les meubles et chaque goutte qui tombe réverbère contre les murs. Les yeux de Joseph sont incapables de se détacher de la silhouette presque céleste de son ami. Il brille, scintille comme une étoile, à moins que ce soit les larmes d’impatience, coincée en-dessous de la paupière inférieure de Joseph, qui lui font confondre le génie et la bêtise. Un frisson traverse son échine de bas en haut lorsqu’Alfie le regarde une dernière fois avant de faire craquer la boule rouge de l’allumette. L’odeur de soufre remonte rapidement aux narines mais c’est plutôt celle du feu brûlant qui domine à peine quelques secondes plus tard. Les flammes adhèrent aux murs en bois et ne les lâchent pas. La chaleur lèche les bras de Joseph et il soulève la main en direction de la lumière pétillante comme s’il avait envie d’attraper le feu. Tous les deux ressemblent à deux statues de marbres seulement nées pour contempler, ou pour être contemplées. Un sourire étire étrangement les lèvres du plus vieux qui croit apercevoir des silhouettes animales à travers la danse des flammes. Il aimerait les montrer à Alfie, lui faire profiter du spectacle magique, mais il se replie dans un mutisme méditatif. Qu’est-ce que c’est joli. Il se sent tellement grand, puissant même, et son complice hérite du même traitement. Il est un géant à côté de cette Église qui tombera en cendres et disparaîtra dès le premier coup de vent. Quand Alfie le rejoint en traversant la lumière, il soulève machinalement le bras pour attraper sa main, pour vivre le moment avec lui et personne d’autre. Il ferme les paupières et inspire la fumée, ne s’étouffe pas, a l’impression pour la première fois de sa vie d’avoir coincé l’une des clopes de son père entre ses lèvres. L’odeur n’est pas la même, mais elle est similaire.
C’est le craquement inquiétant de la poutre qui lui fait rouvrir les yeux et il se tord les muscles du cou en se cambrant. L’énorme colonne de bois s’écrase tout près d’eux et soulève des étincelles. Ses ongles s’enfoncent dans la chair d’Alfie. Il sent la douleur dans ses membres mais l’ignore complètement. À travers la lumière aveuglante, il accroche ses perles bleues à celles d’Alfie tandis qu’il lui ordonne de quitter la place. Il louche un moment, comme s’il ne comprenait pas le sens de ses paroles, puis il finit par hocher lourdement la tête de bas en haut. Il lâche la main de son ami et un vent étrangement frais vient caresser sa paume humide. Il recule de quelques pas et c’est seulement à ce moment qu’il croit entendre des sirènes à l’extérieur de l’Église. Elles ressemblent à des hurlements de coyotes dans la nuit, ont une allure fantomatique, presque effrayante. Joseph se retourne d’un coup sec après avoir calculé la sortie la plus proche. Il la localise dans le fond de la salle, à l’abri du feu, plongée sous l’ombre longue des bancs positionnés comme des soldats de l’armée. Il marche en sa direction, le pas très légèrement pressé, et jette sans arrêt des regards en direction d’Alfie pour s’assurer qu’il maîtrise toujours la situation. Et, juste devant l’énorme porte, il se fige d’effroi quand une ligne de soleil sépare son visage en deux. Le battant s’ouvre doucement et la silhouette de père David se dresse devant lui tel un cauchemar. « Je savais que je t’avais entendu. » Joseph tente d’esquiver sa main de monstre mais il n’arrive pas à esquiver ses gros doigts velus qui s’enroulent entour de son poignet. La porte se referme derrière et le feu est à nouveau contrôlé par la manque d’oxygène. « Laisse-moi ! » Il hurle sans toutefois avoir le courage de se débattre. Il s’imagine faire comme Alfie, lui frapper les chevilles, ou même entre ses jambes, mais il n’arrive pas à ciller le moindre membre. Le prêtre se fait grand devant lui et le couvre complètement. Son simple regard terrifiant arrive à faire taire le jeune garçon. « Joseph sans Alfred, ce serait impossible. » Joseph secoue la tête de droite à gauche. « Il est où ton copain ? » Il reste muet. C’est son langage corporel qui le trahit alors que son corps dévie en direction de son meilleur ami, toujours occupé à admirer son œuvre. « Oh, le voilà. Merci de m’aider à le sauver, Joseph, je t’en suis très reconnaissant. » Il ne comprend pas comment il a pu quitter le bureau. Il ne l’a pas vu ouvrir la porte. Il s’est volatilisé et est apparu à l’extérieur. Pourtant, Joseph était certain de n’avoir jamais vu de sortie dans cette minuscule pièce. Seulement une fenêtre carrée, très petite, trop petite.
« Laisse-moi ! » Il arrive à répéter une seconde fois tandis qu’il se fait traîner à nouveau vers l’incendie, vers Alfie. Le brouhaha des flammes couvre sa voix. Et l’autre jeune ne les entend pas approcher. Père David se saisit de son poignet à son tour. « Viens là, espèce de vermine. Je savais que tu me causerais des problèmes un jour ou l’autre. » Comme s’il avait besoin d’une confirmation, il glousse en voyant le paquet d’allumettes dans la main du coupable. Il lui arrache des doigts. « Le seigneur vous pardonne tous les deux. Vous êtes perdus. Les accidents arrivent plus souvent qu’on ne le pense. Mais vous vous en sortirez avec seulement quelques égratignures. Vous êtes chanceux. » Et, parce qu’il est grand, costaud et trop fort pour deux enfants aussi fins qu’une ficelle, il peut facilement approcher leurs minuscules mains de la poutre fraichement tombée dont la braise attaque encore le bois. Il appuie leurs paumes sur le morceau orange, brûlant, et leur peau est aussitôt grugée par la douleur alors que Joseph pousse un cri des plus perçants en tentant de se débattre, de reprendre le contrôle de sa main lacérée. Mais rien n’y fait. Il est trop petit, il est toujours trop petit.
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| | | | (#)Jeu 2 Sep 2021 - 18:08 | |
| Comme il le pressentait, les flammes ne font bientôt plus qu’un avec le vieux bois de la bâtisse qui ne résiste plus à l’appel de la chaleur. Il commence à fondre, à se tordre, à disparaître sous le méfait du plus jeune qui, égoïstement et stupidement, n’a aucune envie de partager la gloire d’un tel acte. Il n’imagine pas que l’on puisse ne pas vouloir la couronne, parce qu’Alfie ne voit que ce qu’il veut voir : une rébellion à la hauteur de ce dont s’est rendu coupable le Père David. Mieux, même, il a réussi à le surpasser dans son domaine de menace et de perversité en prenant un tel plaisir à voir le lieu de son enfance se consumer par sa faute. Il a crié à Joseph de partir et pourtant, il l’a très vite oublié, son ami et sa propre survie tandis que dans ses yeux brillent les flammes qu’il ne parvient pas à quitter du regard. Il est dans son élément, à cet instant, le jeune Alfie, dans un chaos dont il est le responsable tout désigné et duquel il est fier. Il ne pense pas à tout ce qui suivra, à toutes les conséquences, il ne pense qu’au plaisir et à la satisfaction d’avoir eu un tel pouvoir entre ses mains. Il a toujours voulu et aimé avoir le contrôle, il a toujours tenté de subtiliser celui-ci à ses parents, subtilement ou non. Il a toujours aimé avoir les cartes en mains et les distribuer comme il l’entend et aujourd’hui est la consécration de ces mauvaises habitudes qui se sont installées, d’une part de sa personnalité qu’il réprime au quotidien pour ne pas continuer à décevoir ses proches. Mais aujourd’hui, oh, juste aujourd’hui, il s’est autorisé à la laisser s’exprimer et il ne s’en veut même pas, Alfie. Il ne s’en veut même pas parce qu’il le fait pour la bonne cause et quand bien même elle ne serait pas si bonne qu’il le croit, il parvient à la justifier et cela suffit pour ne pas la remettre en question. Il n’est pourtant pas à cheval sur les preuves concrètes, Alfie, il a une imagination si débordante qu’il se contente souvent d’explications qui n’ont de sens que pour lui. Mais c’est très exactement cela : les raisons qui l’ont poussé à agir ainsi n’auront du sens probablement que pour lui et ça suffit pour qu’il en fasse une vérité universelle à laquelle les autres devront se plier, qu’ils le veuillent ou non.
Bientôt, c’est finalement son corps qui se rapproche des flammes dans cette fascination qu’il ne contient plus. Il n’y a plus grand-chose qui existe si ce n’est le sourire sur ses lèvres et la chaleur qui commence à le faire transpirer sans que vraiment il ne la ressente. Il est à l’origine de tout ça. Mieux, il a créé tout ça. Il a eu le pouvoir de créer ça, la décision de vie ou de mort sur quelqu’un, la liberté d’interpréter la justice comme il l’entend. Il devrait être trop jeune et insouciant pour en arriver à de telles conclusions Alfie et ce n’est que bien plus tard qu’il comprendra l’enjeu d’un tel pouvoir et la facilité avec laquelle il peut l’imposer aux autres. Pour l’instant, il reste finalement un enfant qui s’approche des flammes sans supposer les risques qu’il prend, trop impatient, trop impulsif, trop enjoué, sûrement. Un enfant qui n’obéit pas simplement parce qu’il sait que c’est mal, probablement, ce qu’il fait et que c’est très exactement pour cette raison qui le fait. Derrière lui, pourtant, la scène s’emballe sans qu’il n’en soit participant ni même figurant. Il n’a pas le temps d’y songer, de s’intéresser à ce qu’il se passe autour de lui parce qu’il est le propre héros d’une autre scène, bien plus importante, qui participera à solidifier les bases de sa personnalité. Qui y contribue d’autant plus qu’il prend conscience d’une chose, Alfie, à cet instant : il est heureux. Il ne devrait pas, mais il l’est, le sourire qui ne quitte pas ses lèvres et l’impression d’être libre comme jamais auparavant. Sa liberté s’est acquise là où il a décidé de mettre un terme à celle d’un autre et c’est un sentiment d’une telle puissance qu’il en est indescriptible.
Il ne revient à lui que lorsqu’une main ferme se saisit de son poignet et qu’il sursaute, le gamin qui s’était perdu dans les flammes. Il lui faut quelque secondes pour reprendre ses esprits, son regard qui oscille entre l’homme face à lui et le spectacle auquel il doit renoncer. « Viens là, espèce de vermine. Je savais que tu me causerais des problèmes un jour ou l’autre. » « Lâche-moi, vieux pervers ! » Il s’offusque, s’en fichant pas mal des politesses d’usage et du respect aux aînés – il a respecté Joseph, lui, quand il le touchait à l’abri des regards ? Alfie se débat comme le lion en cage qu’il est et, surtout, comme celui qui vient d’être libéré. Il y met toute sa force et son énergie, suffisamment pour faire trembler le Père, mais pas assez pour se libérer de son emprise. Les allumettes qu’il avait en mains sont saisies et la poigne devient toujours plus ferme pour tenter de l’empêcher de se rebeller plus qu’il ne le fait déjà. « Le seigneur vous pardonne tous les deux. Vous êtes perdus. Les accidents arrivent plus souvent qu’on ne le pense. Mais vous vous en sortirez avec seulement quelques égratignures. Vous êtes chanceux. » « Crève, crève ! » La répartie n’a pas pour but d’être intelligente, mais simplement de traduire de ce qu’il ressent. Il veut qu’il crève, comme le vulgaire déchet qu’il est, comme le connard (pardon Seigneur) qu’il est. Alfie lutte de plus en plus alors que sa main est dirigée vers la chaleur du feu, qu’il sent celle-ci réchauffer sa paume. Joseph continue de se débattre et lui, il finit par abdiquer avec facilité. Ses yeux se sont posés sur la lueur des flammes et sa fascination ne lui permet pas de résonner correctement. Il va être blessé. Il va être blessé et c’est très exactement ce qu’il recherche, dans la volonté de goûter à ce qu’il ne devrait pas vouloir goûter, incapable de résister à l’appel de la curiosité qui se mêle bientôt à celui de la souffrance. Vive, brûlante, insupportable. Satisfaisante, aussi et surtout, quand la voix de Joseph résonne à côté de lui et que la sienne ne s’élève pas. Oh, bien sûr qu’il a mal, Alfie, bien sûr qu’il voudrait hurler et pleurer, sa bouche s’entrouvre même mais aucun son n’en sort, ses yeux qui observent sa main posée contre le feu sans parvenir à y voir autre chose. C’est encore une fois le Père qui le sort de sa léthargie en le secouant pour l’emmener avec lui et Joseph à l’extérieur de ces murs. Malgré l’opposition des deux enfants qui font de leur mieux pour résister, ils sont affaiblis par l’acte peu scrupuleux (encore un) que le Père leur a fait subir et il n’est pas difficile de les sortir à l’extérieur. « AIDEZ-MOI ! » Qu’il hurle à la foule s’étant amassée autour de l’église, se précipitant rapidement autour des deux enfants, les séparant par la même occasion. Le Père refuse qu’on vienne le secourir, prône la priorité aux enfants, se pose en saveur de ceux-ci. « C’est sa faute ! C’est sa faute ! » Hurle un Alfie qui se débat pour filer en direction du Père et lui dire sa façon de penser, étant toutefois retenu par d’autres adultes qui s’amassent autour de lui, puis ce sont bientôt des secouristes qui viennent vers lui, s’occupant de sa main sans délicatesse. Il ne bronche pas pourtant, Alfie, son regard noir plongé sur la silhouette du père David qui fanfaronne, félicité par les fidèles pour son acte héroïque. Et lorsque son regard finit par croiser celui de l’enfant, la promesse est silencieuse pour ne pas s’attirer plus de foudre ; mais il n’a pas besoin de la formuler pour qu’elle soit véridique : il le tuera, un jour, il en a la certitude.
@Joseph Keegan
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| | | | (#)Mar 21 Sep 2021 - 23:19 | |
| Il n’y a que son cri et le grognement des flammes qui tabassent ses tympans pour les percer. Joseph ne se débat plus depuis que la douleur l’assourdi et l’aveugle ; il ne fait que laisser tout son poids tomber vers l’arrière, loin de la braise qui le dévore, mais son bras est étiré, son coude craque, ses yeux virent vers l’arrière de son crâne et il voit des points de toutes les couleurs. Des jolis points qui lui permettent d’oublier pendant un moment qu’il est en train de subir la chaleur de la lave. Sa voix se perd quelque part dans le plafond et il oublie de se défendre jusqu’à ce que l’adulte puissant le libère de ses souffrances. Au moment où ce dernier le pousse vers lui pour le réveiller, il cligne vivement des paupières et secoue la tête, se rappelant l’incendie autour de lui. Il se remet à crier mais, cette voix, sa gorge est irritée et c’est plutôt un couinement cassé qui s’en échappe. Une deuxième fois, il voit des étoiles et du noir, mais ses jambes se mettent à marcher machinalement lorsqu’il se fait conduire jusqu’à la sortie de l’Église. La lumière du jour l’aveugle. Il sent la bile lui chatouiller la langue. Il ravale le goût amer. Il balaie les alentours du regard, voit la silhouette d’Alfie qui se défend bien plus que la sienne, puis il trébuche dans les graviers. La poigne ferme de l’homme de religion le maintien debout malgré tout. « AIDEZ-MOI ! » Ce dernier hurle en pénétrant la foule qui s’est entassée autour de l’Église bouffée par les flammes. Des visages du village s’approchent de lui et seulement à cet instant les doigts serrés autour de son poignet le relâchent. Il se fait trainer jusqu’à un banc sur lequel on l’assoit. Ses joues ruissellent de larmes salées et il s’humecte les lèvres pour goutter le sel. À travers tous ces gens inquiets, il ne fait que fixer incessamment son meilleur ami qui s’agite mais qui ne se fait pas écouter. Lui, il reste silencieux, tandis que des secouristes, tout droits sortis d’une ambulance à peine arrivée, demandent à la foule de s’écarter pour s’occuper de l’enfant blessé. Il les ignore complètement tandis que des compresses tapotent la brûlure saillante dans sa main. Son visage se décompose en une grimace de peine à chaque fois que la douleur est ranimée mais il fait de son devoir de ne pas perdre Alfie du regard. Comme s’il avait peur de ne jamais le revoir. Parce qu’une idée naissait au fond de sa tête, comme la graine d’une fleur plantée dans la terre, sans qu’il ne puisse y réfléchir davantage. Il savait, à cet instant précis, que cette bêtise qu’ils venaient de commettre les condamnerait tous les deux ; à moins que Joseph ne disparaisse avant que le blâme ne tombe.
Il croise son regard. Deux perles bleues brillantes de rage qui crachent une promesse qu’il entend malgré la distance et le brouhaha de la foule. La tristesse s’accroche à son ventre et il se tort vers l’avant, sans laisser Alfie disparaître de son champ de vision. Il ravale une autre fois la bile, redresse la tête, admire la posture droite de l’enfant dont les membres sont toujours animés par le désir de vengeance. Dans toute cette agitation, et malgré la situation à l’odeur de fin du monde, il le trouve merveilleux. Il a l’impression de voir l’adulte qu’il va devenir, fort et inébranlable comme il l’a toujours été.
C’est à ce moment que la graine germe. Sa tige s’extirpe de la terre, fine et longue, et tend ses pétales vers le ciel. Joseph relève les yeux vers la rue et derrière les quelques maisons qui parsèment le cartier. Des pompiers agitent de longs tuyaux cracheurs d’eau en direction de l’Église mais il les ignore. Il voit derrière les toits la direction qu’il devra prendre. Il sait que la ville se trouve là-bas. À une dizaine de kilomètres. Quarante minutes en voiture, il a déjà fait le trajet avec ses parents.
Une bouffée de fumée noire et sèche le traverse. Il tousse, ferme les yeux, sent de nouvelles larmes couler jusqu’à son menton. Une crème glaciale est appliquée sur sa paume, puis il sent toutes les fibres du bandage temporaire qui se fait enrouler autour de sa main. Son cœur panique quand il ne trouve plus Alfie. Il se redresse sur le banc, prêt à se relever pour partir à sa recherche mais il est maintenu immobile par l’une des infirmières. « Ne bouge pas s’il-te-plaît mon chéri. » Mais il panique, Joseph, il panique tellement qu’il se met à murmurer le nom de son meilleur ami sous les yeux intrigués des secouristes. Puis il réapparait derrière un petit groupe curieux. À ce moment, ses yeux lui parlent à son tour. Il ne lui promet pas de le tuer, cet homme qui abuse de lui depuis sept dimanches. Il promet de ne plus jamais causer de tort à l’autre enfant, à Alfie, parce qu’il ne mérite pas de souffrir à sa place. Il s’en sortira sans lui. C’est certain.
C’est certain, hein ?
@Alfie Maslow |
| | | | | | | | My Own Soul's Warning [Aleph - 1994] |
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