Joseph ne devrait pas confronter leur père. Il ne devrait pas parler de lui comme ça, il ne devrait pas mettre en lumière ses défauts. Ils sont supposés être ses parfaits assistants en tous temps, ils ont été élevés ainsi depuis leur plus jeune âge et il est encore temps pour Joseph de rentrer dans le moule et ne rien commettre d’irréparable. Quand la chaise de Cyril grince sur le carrelage, chacun des muscles de Lily se tend et se coince. Ses souvenirs sont encore trop frais dans son esprit ; et elle ne veut pas avoir à s’en faire de nouveaux, plus frais encore. Toute cette histoire n’appartient qu’au passé, Cyril n’a pas le droit de recommencer. Elle ne se lève pas pour autant et ne dit rien non plus mais elle le pense de toutes ses forces, pourtant. « Oh, calme-toi. » Dire à quelqu’un de se calmer, c’est s’assurer qu’il ne le fera pas. Elle l’a appris avec Alfie et même si elle n’a absolument aucune envie de le comparer à son père, ils peuvent au moins se reconnaître l’un l’autre à ce sujet. La tête de la jeune femme passe de gauche à droite, attendant l’inévitable moment où tout finira par basculer et devenir incontrôlable. « Si tu me plantes ce couteau, tu termineras dans un asile. J’ai des dizaines de cicatrices qui prouvent que tu mérites la prison depuis ta naissance. » Sa respiration devient plus forte que les paroles des deux hommes et ses doigts, eux, ne savent que se refermer autour du couteau supposé trancher la viande. Les souvenirs de leur enfance ne sont jamais évoqués à voix haute, il y a une raison à cela : personne ne veut se les remémorer. « Je pense qu’on a terminé de manger, Lily. Je ne voudrais pas les déranger plus longtemps, je n’ai pas envie qu’on tache le tapis de sang. » La jeune femme observe sa mère manger comme si de rien n’était, souriant seule devant ce plat préparé à la force de ses mains et avec tout l’amour dont elle soit dotée. Elle a toujours admiré sa mère et parfois il est vrai qu’elle l’envie, d’être dans ce monde parfait que la maladie lui impose. Pour Lily, il devient difficile de nier la réalité des faits, surtout lorsqu’elle se résume à deux hommes se criant l’un sur l’autre. Tant qu’ils en restent là, pourtant, c’est une bonne chose. Le jour où ils retomberont dans leurs travers… non, elle ne veut pas avoir à y penser.

La McGrath se relève enfin, doucement, tapotant de sa serviette le bout de ses lèvres pour s’assurer qu’il n’y a aucune trace. Le premier pas est fait en direction de son père. Elle pose une main sur son épaule pour le calmer, un baiser contre sa joue pour s’assurer que tout ira bien. Elle lui aurait souhaité un bon appétit, s’il n’avait pas soudainement utilisé le revers de sa main pour gifler la cadette. Comme si elle était malade elle aussi, pourtant, elle n’a aucune réaction. La force du geste la fait reculer d’un pas mais elle n’a pas le réflexe de poser sa main sur sa joue brûlante, ni même quoi que ce soit d’autre. C’est à peine si elle serre la mâchoire alors qu’elle ordonne d’un simple geste à son frère de ne pas s’en mêler. Le second baiser se pose sur les joues de sa mère, à qui elle précise que le repas était délicieux et qu’elle se contente de montrer le quartier à Joseph. Le discours ne fait aucun sens mais elle est heureuse de l’entendre. Son sac sur l’épaule, elle est la première à ouvrir la porte pour sortir en trombe, sachant de toute façon son frère sur ses talons.

Sa voiture devient un refuge et son premier réflexe est de s’engouffrer sur la place du conducteur. Elle pourrait vouloir partir loin et ne jamais revenir mais elle sera de retour dans une heure à peine ; deux peut-être, et elle retournera dormir dans l’appartement de ses parents. En attendant, elle peine à cacher plus longtemps tous les sentiments qui l’assaillent, le premier étant la désillusion. Son père ne lui avait jamais fait de mal. Pour cette raison comme tant d’autres, et notamment le fait que tout le dîner soit gâché, l’infirmière laisse couler des larmes silencieuses sur son parfait visage de porcelaine. Elle les sèche frénétiquement, leur refusant toute existence. "Je pensais qu'on allait arriver à faire semblant au début, au moins." Lily leur avait espéré quelques minutes de faux semblants mais elle a eu tort sur toute la ligne. Même ça, ils n'en sont pas capables.

Il n’a jamais été le petit garçon modèle. Il s’est toujours contenté de suivre ses propres valeurs sans jamais se laisser influencer par celles que les autres voulaient lui inculquer. La politesse et l’obéissance : deux qualités dont il n’a jamais hérité parce que, durant toute son enfance, il ne pensait pas que les gens qui lui faisaient du mal méritaient qu’il soit docile. Il aurait pu changer en grandissant et enfin comprendre que la loi du plus fort règne même dans les civilisations et que, lui, il ne sera jamais dans le haut du podium. Pourtant, il continue de lutter pour les choses qui lui tiennent à cœur et, s’il s’attaque de la sorte à celui qui lui a fait vivre un enfer sur Terre, c’est parce qu’il veut retourner la table, avoir le dessus au moins une fois dans sa vie maintenant qu’il est plus grand et plus costaud que celui qui le ruait de coups lorsqu’il était trop frêle pour riposter. Il ne craint pas pour lui, même si les doigts de Cyril sont enroulés autour d’un couteau à viande. S’il osait lever son arme, le corps de Joseph ne recueillerait qu’une centième éraflure qui se transformera en cicatrice. Il commence à avoir l’habitude : il a une ligne du temps greffée dans la peau.

Mais, quand il attaque verbalement son père, il sent que ce dernier devient de plus en plus lourd et sa silhouette s’écrase dans la chaise. Il se referme un peu sur lui-même comme s’il avait conscience que les menaces de Joseph n’étaient pas légères. Après tout, il a dû se douter que son petit fiston deviendrait grand et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles il n’a jamais cherché à le revoir même lorsqu’il a appris qu’il était encore en vie après avoir fui la campagne quand il était trop jeune pour se trouver un boulot et un appartement. C’est Lily qui a insisté pour que le dîner se passe en famille, ce soir, et Joseph ne lui en veut pas même si la scène se transforme en drame. Elle a voulu faire la bonne chose, comme toujours. Lily désinfecte les plaies, les recouds et les bande. Ça a toujours été son rôle, comme si elle était née pour aider les autres sans rien recevoir en retour, si ce n’est qu’une vie presque normale. Elle n’a pas besoin de se cacher comme son frère, elle est plus futée que lui et arrive à se sortir de toutes les situations sans que le sang ne coule. Au fond, il lui en veut peut-être d’arriver à cacher ses émotions comme elle le fait si bien. Ça aurait épargné le garçon de nombreuses blessures dans le passé et il n’en serait pas là, aujourd’hui, à se battre contre un ennemi qui ne devrait plus l’être depuis toutes ces années.  

Mais la tablée reste silencieuse même quand Joseph crache ce venin qu’il a contenu en lui pendant trop longtemps. Marie continue de déguster le plat qu’elle a préparé comme s’il n’y avait pas la troisième guerre mondiale qui faisait trembler la salle. Cyril a cessé de mastiquer, ses deux yeux rouges sont maintenant accrochés à ceux de son fils quand celui-ci propose enfin à sa sœur de les abandonner ici. Sans surprise, elle ne répond rien parce qu’elle a appris sa leçon. Elle se redresse avant son frère qui l’observe du coin de l’œil afin de s’assurer qu’elle arrive à tenir sur ses jambes malgré la tension dans ses muscles. Quand elle s’approche de leur père afin de poser sa main sur son épaule, Joseph reste sur ses gardes et, aussitôt le coup porté à la joue de Lily, il se redresse vivement, faisant trembler la table. Il reste cependant immobile, les poings fermés, puisant dans tous ses forces pour ne pas sauter comme un animal sauvage sur l’homme qu’il méprise. Du coin de l’œil, il remarque sa sœur qui lui fait signe d’ignorer ce qu’il vient de se passer mais il ne peut pas détendre sa mâchoire cambrée, et ses dents craquent entre elles. C’est la première fois qu’il le voit lever la main contre l’ange de la famille et son sang boue, menace d’imploser dans ses veines. Tandis que la cadette pose un baiser sur la joue ridée de Marie, il arrive enfin à faire un mouvement vif en sa direction. Seulement quand elle disparait dans le couloir qui mène à la sortie, il s’arrête et se retourne vers Cyril. « Si tu la touches une autre fois, je n'aurai aucun scrupule à dire aux ambulanciers que tu es mort dans ton sommeil. » Après tout, il n’a rien à perdre. Il est déjà un dangereux criminel selon son dossier gardé au commissariat. S’assurant une dernière fois que Marie est toujours perdue dans son monde à elle, il n’ose pas l’approcher ni la toucher, alors il ne fait que tourner les talons en laissant derrière lui ce passé qui aurait dû le rester. Il entend finalement l’écho d’une insulte quand il claque la porte derrière lui. Un sourire satisfait étire ses lèvres quand ses épaules semblent plus légères.

Il retrouve rapidement sa sœur dans sa voiture. Muet, il s’installe à nouveau du côté du siège passager, lèvres pincées, songeant si c’est le moment pour lui de s’excuser. Mais il est trop en colère parce que la joue de Lily est rougie. "Je pensais qu'on allait arriver à faire semblant au début, au moins." C’est sa faute, il est assez lucide pour l’admettre. Cependant, il ne peut pas lâcher prise. « C’est la première fois qu’il s’en prend à toi ? » Il se renseigne enfin après avoir fait tourner sa langue trente fois dans sa bouche pour s’empêcher de dire des choses qu’il regretterait. Seulement à ce moment, il réalise que ses doigts sont tremblants, comme s’il avait besoin de taper dans quelque chose (si possible, le visage de Cyril). Alors il pince l’intérieur de ses coudes, comme d’habitude, pour calmer le volcan qui enfume ses poumons. « Tu aurais pu me dire que tu habitais avec eux. Tu n’as pas à faire semblant d’être toujours heureuse avec moi. » Il ne lui reproche rien, du moins, son ton de voix est posé. Passant sa main dans ses cheveux pour tirer quelques mèches vers l’arrière, il l’interroge finalement : « Tu comptes retourner là-dedans plus tard ? Tu peux venir chez moi, t’sais. J'crèche pas dans une ruelle. » Il précise, au cas où elle pense qu’il déambule encore comme un animal abandonné dans les rues de Brisbane.        

Sa joue brûle mais certainement pas autant que ses yeux qu’elle tente difficilement de garder au sec. Elle a envie de s’énerver, d’hurler, de frapper quelque chose et d’enfin montrer qu’elle peut elle aussi avoir des sentiments et s’exprimer mais, paradoxalement, cela ne lui ressemble absolument pas. Elle est toujours égale à elle-même, Lily, toujours immobile, calme et silencieuse. Son frère fait trop de bruit lorsqu’il fait claquer la portière mais l’heure n’est pas aux réprimandes. Quelques mots s’échappent de sa bouche sans qu’ils ne soient appropriés à la situation. Ils auraient bien des sujets à aborder, des bien plus importants et urgents, mais elle préfère toujours se focaliser sur ce qui aurait dû être et la façon dont tout aurait dû se passer. « C’est la première fois qu’il s’en prend à toi ? » Joseph semble avoir d’autres priorités et, pour la première fois depuis longtemps, sa cadette ne compte pas lui en vouloir pour ça. Elle sait que c’est devenu le cadet de leurs soucis et qu’ils doivent plus que jamais faire front commun. “C’est pas grave. Je gère. J’ai l’habitude.” Pas de son père, jamais, mais cela ne l’empêche pas de connaître la sensation par cœur. Si ce n’étaient que des gifles, alors c’était un bon jour. Tout ce qu’elle sait faire, c’est minimiser au maximum la situation pour que personne ne puisse régler ses problèmes à sa place. Elle se fait justice elle-même ; toujours. Son père a dépassé la ligne rouge pendant des années mais elle le pensait sincèrement repenti. Ce soir, il vient de la traverser pour une fois de trop et il ne s’en rend même pas compte. Lily ne lui dira rien non plus, trop peu adepte des revanches brutes et immédiates - sans douleur.

Elle laisse sa main glisser contre le siège de son frère pour y emprisonner ses doigts. Lily préfère qu’il les serre trop fort contre les siens plutôt qu’il continue à maltraiter sa peau plus que nécessaire. Si elle a encore ses doigts mouillés de ses larmes, elle sait pourtant qu’il ne dira rien à ce sujet. Pas ce soir. Les règles changent. « Tu aurais pu me dire que tu habitais avec eux. Tu n’as pas à faire semblant d’être toujours heureuse avec moi. » Elle aurait pu s’énerver aussitôt et lui hurler de s’en aller et ainsi préserver son image de petite sœur invincible, mais encore une fois elle n’en a pas la force. Elle ne peut même plus faire semblant d’être heureuse. Une fois le masque tombé, il est trop difficile de le remettre en place et elle n’a rien à quoi s’accrocher dans sa vie pour rendre la chose plus facile. La vérité, c’est qu’elle ne sait pas faire autre chose que semblant d’être heureuse. Peu importe à quel point cela s’éloigne de la réalité, elle y mettra toutes ses forces et efforts. Elle doit être heureuse, pour prouver à tout le monde que c’est possible. Pour leur prouver que leur famille ne les caractérise pas non plus. Jamais elle ne se droguera, jamais elle ne frappera personne, jamais elle ne laissera la folie s’emparer d’elle. Alors la cadette hausse les épaules. Il n’y a pas de réponse à lui donner. Elle aurait pu lui dire, c’est vrai, mais elle a encore fait le choix de ne pas le faire. “« Tu comptes retourner là-dedans plus tard ? Tu peux venir chez moi, t’sais. J'crèche pas dans une ruelle. »” Doucement, elle hoche de la négative. “Je dois m’occuper de maman.” Ce soir plus que jamais, elle refuse de la laisser seule. Lily aurait réellement aimé passer du temps avec son frère et découvrir la vie qui est la sienne, mais elle aurait été incapable de vivre en se sachant redevable. Si cela impliquait devoir lui rendre compte de l’état pitoyable de son mariage, c’était donc une raison de plus pour refuser. La dernière raison réside dans le prénom même de leur père et le cheminement de ses pensées qui vont et viennent et sont toutes bien loin de apitoiement. Ce n’est pas ce qu’elle désire et c’est encore moins ce qui pourrait les aider à quoi que ce soit. “Je veux qu’il meure, Jo.” Ses yeux bleus se relèvent dans ceux de son frère, plus décidés que jamais. Ce n’est pas un caprice d’enfant qui souhaite la mort de ses parents parce qu’ils ont refusé de lui acheter sa poupée préférée. C’est la décision d’une adulte qui ne changera pas, peu importe que son frère décide d’être avec elle dans cette affaire ou non. Le plan est déjà imprimé dans son esprit, il est parfait et surtout, il ne s’effacera jamais. Cyril va mourir et il le mérite. “Je vais le faire. Avec ou sans toi.”

Non, Lily ne va pas bien. Elle a beau démentir les faits, essuyer ses yeux avant que les larmes ne tombent et respirer le plus doucement qu’elle le peut : Joseph entend les tremblements contenus dans sa voix lorsqu’elle prétend qu’elle a l’habitude de ce genre de situation. Il ne doute pas une seconde que Cyril lui en a fait vivre de toutes les couleurs mais il certain est surtout certain d’une chose. C’était la première fois qu’il soulevait sa main contre sa joue, ce soir. Et c’est de sa faute à lui parce qu’il n’a pas pu jouer le rôle du gentil garçon docile qu’il aurait dû être dès sa naissance. Il est né dans la mauvaise famille et il n’a jamais pu s’adapter même lorsqu’il tente du plus profond de ses tripes. Il voulait faire des efforts. Il a promis à sa sœur de le faire. Mais il y a certaine promesses qui le tueraient – notamment celle de donner raison à un homme qui l’a hanté toute sa vie. Il lui en veut, à Cyril. Il le déteste. Il s’imagine le pousser derrière les barreaux et lui fermer la grille au nez. Il fantasme à l’idée de le voir gratter les murs de la prison comme il l’a lui-même fait dans l’espoir de s’échapper et de ne plus devoir vivre cet enfer. Il boue de l’intérieur maintenant qu’il croise le regard de sa protégée assise derrière le volant qui ne sait probablement pas où aller maintenant qu’elle a fui le logement de leurs parents.

Sa main approche la sienne le long du siège. Il l’observe du coin de l’œil mais ne fait aucun mouvement en sa direction : il veut s’assurer que c’est bien ce qu’elle attend de lui. Un peu d’affection là où elle n’en a pas eu. Ses doigts glissent dans les siens et, seulement quand elle serre légèrement, il le fait en retour pour lui faire savoir qu’il est là pour elle. Sa peau est froide et ça lui hérisse les poils. Sans plus attendre, d’une voix calme, il lui offre de venir passer la nuit chez lui ce soir si elle en a envie. Après tout, elle craint probablement de revoir leur paternel maintenant qu’il l’a traitée comme une poupée de chiffon. Joseph a envie de jurer, d’insulter tous les dieux qui n’existent pas mais il reste silencieux jusqu’à ce que sa sœur réponde enfin à son offre. “Je dois m’occuper de maman.” Ses yeux se perdent un moment vers le bas et il se mord la lèvre inférieure. Elle marque un point et il n’a pas d’argument pour la convaincre de s’offrir une pause pour cette nuit. Après tout, Marie a véritablement besoin de sa fille. Ce n’est certainement pas Cyril qui s’occupe d’elle entre deux parties de solitaire. « D’accord. » Il répond simplement, ne souhaitant pas insister. Elle est une grande fille, elle peut faire ses propres choix. « Attends encore un peu, quand même. » Il propose, refusant de la laisser retrouver leurs parents tant que le feu ne s’est pas éteint. Il lui offert de se joindre à lui pour une balade en ville ou près de la verdure mais elle le coupe avant même qu’il ne trouve une idée. “Je veux qu’il meure, Jo.” Il relève la tête sans tressaillir. Il accroche ses perles bleues aux siennes. Elle est sérieuse et il comprend. Il connait l’univers de la mort, elle aussi, mais d’une façon bien différente. Ce n’est pas l’évocation du meurtre qui pourrait le faire trembler. “Je vais le faire. Avec ou sans toi.” Il ne lâche pas sa main pour lui faire comprendre sa réponse. Il sera avec elle jusqu’à la fin. Il l’a déjà protégée d’un monstre une fois, il peut le refaire sans problème. « Je ne suis pas très sage, tu le sais déjà. » Il commence, mâchoire serrée par la rage. Il inspire doucement en jetant un coup d’œil autour d’eux comme pour s’assurer que personne n’écoute même s’ils sont protégés derrière les vitres fermées du véhicule. Les cicatrices dans son dos semblent lui hurler de le faire. Elles lui brûlent mais c’est presque agréable. « Quand ? » Il demande finalement, la regardant à nouveau. « J’sais que tu n’as pas besoin de moi. Tu sais comment causer un arrêt cardiaque. » Il commence, certain qu’elle pensait déjà à cette idée pour provoquer une mort qui semblera naturelle. C’est une infirmière, après tout. « Ça sera facile, et propre. Mais je veux t’aider si jamais les choses tournent mal. Je veux prendre le blâme. Je veux le faire. » Il termine, aussi formel que possible, refusant déjà toute objection de sa part.

Certains disent qu’ils aimeraient remonter le temps pour tuer des figures historiques, Hitler étant sans doute le nom revenant le plus souvent. Lily, elle, si elle en avait le pouvoir, se contenterait de revenir un demi-siècle plus tôt pour tuer son père. Quitte à ne jamais être née, cela ne lui importe pas. Il n’a jamais mérité de vivre, elle en a aujourd’hui l’ultime certitude, en témoignent ses yeux rouges et les muscles de ses joues fatigués de faire semblant d’être heureux. « D’accord. » Ainsi soit-il. Les jours du vieux Keegan sont comptés, et l’infirmière peut déjà affirmer qu’il ne verra finalement pas l’ombre d’une grossesse, contrairement à leur mère. Elle pourra vivre ses derniers jours bien plus paisiblement que prévu, elle qui le mérite plus que qui que ce soit en ce monde. « Attends encore un peu, quand même. » Joseph parle encore de savoir où elle passera la nuit, sa cadette ne l’écoute que d’une oreille distraite. Sous la pulpe de ses doigts, elle passe en revue la moindre cicatrice qu’elle peut sentir contre sa main. Il détesterait qu’elle continue de l’analyser même en cet instant mais elle ne sait pas faire autrement. Elle a besoin de penser à tout sauf à cet instant où la main de son géniteur a frappé sa joue. Le geste aurait pu rapidement être pardonné en d’autres circonstances, mais elle ne le laissera pas faire. Enfin, elle se réveille et se rend compte de tout ce qu’ils ont traversé jusqu’à aujourd’hui, par la seule faute de leur père. Pour cela il n’existe qu’une seule punition à la hauteur : la mort.

Bleu dans bleu, le frère et la soeur se toisent une simple seconde avant de s’accorder sur leur futur (raccourci) de Cyril. Eux qui ont toujours été l’un contre l’autre, ils seront désormais plus forts que jamais. « Je ne suis pas très sage, tu le sais déjà. » Elle serait la dernière à pouvoir réfuter ces paroles. La jeune femme sèche du revers de la main les dernières larmes qui menaçaient de couler avant de reprendre enfin contenance, dos droit, yeux brillants. Mentalement, elle dresse déjà la liste des produits dont elle aura besoin et de l’exacte marche à suivre. « Quand ? » Lily a un sourire imperceptible mais bien réel, son frère venant lui confirmer une ultime fois qu’il sera bien présent dans le plan. Face à lui, elle sait qu’elle n’a pas à faire semblant d’être le petit ange de la maison. L’envie et l’idée soudaine de tuer son paternel n’est qu’une preuve de plus à ajouter à la longue liste dans laquelle elle se fond. “Dans quelques jours.” Le faire ce soir serait trop précipité pour une infinité de raisons. Quelques jours est donc le délai raisonnable dont elle a besoin pour récupérer tout ce dont elle a besoin sans pour autant attirer les soupçons de personne. D’ici quelques jours, elle appellera les ambulances lorsqu’elle se sera assurée qu’il est déjà trop tard pour sauver son paternel. Il ne mérite pas de vivre davantage, elle lui fait déjà une offre bien trop généreuse. « J’sais que tu n’as pas besoin de moi. Tu sais comment causer un arrêt cardiaque. » Lily hoche de la tête, pragmatique. Elle agira seule, en effet. Elle n’a pas besoin de lui. Sa présence ne ferait que la gêner en plus d’attirer les soupçons. Ils se contenteront de se retrouver à l’enterrement et elle de pleurer contre son épaule alors qu’il la prendra dans ses bras pour la consoler et la rassurer. Déjà, le plan est construit dans son esprit et le jeu d’acteur avec. Cela ne demandera aucun effort à Lily. « Ça sera facile, et propre. Mais je veux t’aider si jamais les choses tournent mal. Je veux prendre le blâme. Je veux le faire. » Ils parlent aussi froidement l’un que l’autre, détachés. Leurs chemins de vie sont différents mais ils ont le même esprit d’analyse. Ils ressemblent à des tueurs de sang froid et c’est ce que Lily va devenir ; elle ne veut pas savoir si Joseph en est déjà un. “Il n’y a pas de raison que ça tourne mal. Je sais ce que je fais. Personne ne pourrait me soupçonner.” Lily la si parfaite, Lily l’infirmière, Lily qui aime les enfants, Lily qui adore tant sa famille chez laquelle elle est retournée vivre. Personne ne pourrait soupçonner quoi que ce soit, et personne en dehors d’eux deux ne sera non plus tenu au courant. Il n’y a aucune raison pour qu’il ait à se sacrifier. “On se retrouvera à l’enterrement. Tu n’as pas besoin de pleurer, je m’en chargerai.” Etant un homme, il peut au moins se protéger derrière son image de virilité et tout ce qui en découle : les proches comprendront qu’aucune larme ne coule le long de ses joues. Celles de Lily existeront pour deux, elle les protégera. “On aurait dû le faire dès le début. Ça aurait tout changé.” Sans doute que leur mère aurait été dans le coup, elle aussi. Sans doute qu’ils auraient même pu être heureux tous les trois, au final. Assurant ses propos d’un nouveau hochement de tête, elle continue de caresser le dos de sa main avec son pouce, serrant trop fort ses doigts entre les siens. Une part d’elle a peur, c’est indéniable. Après tout, on ne tue pas son père tous les jours.

“Dans quelques jours.” Le cœur de Joseph s’excite et il aurait aimé que ce sentiment euphorique le traverse bien plus tôt. Il n’a jamais voulu le tuer, Cyril, parce qu’il n’est pas un assassin, contrairement à ce que les gens pourraient croire en voyant son visage fatigué, ses cheveux mis à l’abandon et les marques qui décorent son épiderme ici et là comme des souvenirs de son passé. Il n’est pas né mauvais, le garçon, et s’il a souhaité que Cyril disparaisse durant toute sa vie, jamais il ne s’est imaginé poser une lame contre sa carotide. Il a toujours pensé que le karma se chargerait d’enterrer son corps mais ce dernier semble l’avoir oublié. Il s’en est toujours sorti indemne, leur paternel : il n’y a rien qui agace davantage Joseph que cette simple idée. Dans quelques jours, selon Lily, il payera. Et le frère ne peut qu’hocher la tête en contenant l’excitation derrière ses yeux brillants d’impatience. Il se propose même pour exécuter le plan parce qu’il ne veut pas risquer que le moindre tort tombe sur sa sœur qui ne mérite rien de tout ce qui peut arriver à un tueur. La justice ne comprendrait pas qu’ils ont mis fin à la vie de leur père pour le bien de tout le monde – personne ne pourrait les croire, de toute façon. On ne retire pas l’âme d’une personne qui n’a ouvertement jamais commis de crimes. Joseph et Lily sont les deux seuls à savoir qu’il n’y a pas pire Homme sur Terre. “Il n’y a pas de raison que ça tourne mal. Je sais ce que je fais. Personne ne pourrait me soupçonner.” Elle a raison mais il déteste le penser. Les radars ne s’éterniseront pas sur elle une seule seconde. La cause de la mort sera déterminée naturelle et ils pourront retourner à leur vie sans que rien de leur quotidien ne change. Mais il est insensé, Joseph, et il secoue machinalement la tête de droite à gauche tandis que Lily insiste. “On se retrouvera à l’enterrement. Tu n’as pas besoin de pleurer, je m’en chargerai.” Un enterrement auquel il n’aurait jamais pensé assister. Ce serait presque louche de sa part d’assister à cela puisque personne n’a jamais su qui était ce fameux Cyril à ses yeux. Il sera là pour serrer sa sœur dans ses bras et jouer la comédie avec elle. Il peut bien y arriver sans diplôme en théâtre. Il lui suffira de ne parler à personne, de rester à l’écart et d’observer le jeu fantastique de Lily qui a toute sa vie fait semblant. « D’accord. » Il finit par souffler en se frottant les yeux, se battant contre lui-même pour ne pas insister davantage. « Mais s’il y a le moindre soucis, s’ils trouvent un minuscule problème lors de l’autopsie, s’ils te regardent avec insistance… Tu dis que tu m’as vu traîner dans les parages avant sa mort. Ils n’auront jamais de vraies preuves alors je m’en tirerai, c’est certain. » Il balance en l’air, avec assurance, bien qu’il sache pertinemment qu’il suffirait à la police de montrer son casier judiciaire pour l’envoyer à nouveau derrière les barreaux sans l’interroger. Il ne veut pas que Lily s’inquiète pour lui, c’est tout. Et, quant à lui, il refuse de laisser le moindre policier la toucher, elle. “On aurait dû le faire dès le début. Ça aurait tout changé.” Ses yeux se baissent à la hauteur de leurs mains liées et il exerce une pression autour de ses doigts à son tour pour lui faire savoir qu’il est là et qu’il n’a pas l’intention de fuir. Un long moment, il reste silencieux en observant leur liaison comme s’il avait peur que celle-ci se fende. « Oui. » Il se contente d’acquiescer, tout de même ébranlé de constater que sa sœur a ce genre de pensée. Inspirant profondément pour se donner du courage, il jette un coup d’œil autour d’eux par réflexe, s’assurant une énième fois qu’il n’y a aucun témoin, et il souffle rapidement, sans hésiter sur le moindre mot ni la moindre ponctuation : « L’accident de moto. C’était ma faute. » Il ne lâche pas sa main mais ses yeux sont fixés à travers la vitrine parce qu’il craint sa réaction. Pourquoi lui dire aujourd’hui, plusieurs années après la mort de son ex ? Parce qu’il a l’impression, pour une fois, que Lily comprendrait l’idée qui lui a traversé l’esprit quand il a voulu la venger de toutes ces ecchymoses sur son bras. « Je ne me suis jamais senti mal de l'avoir fait, seulement de te l'avoir jamais dit. » Il baisse la tête et sent le besoin de préciser sur un ton un peu plus faible : « Mais c'était un accident. » Parce qu'il n'a jamais été un assassin. 

« D’accord. » Ainsi fut scellé le sort de leur père, sans aucune larme.

Joseph insiste une dernière fois pour porter le blâme si les choses tournent mal et sa soeur, désireuse de ne pas provoquer une dispute inutile, se contente finalement de hocher de la tête. Elle sait par avance que jamais rien de mal ne se passera, ni pour lui ni pour elle. Pour la première fois depuis bien longtemps, ils se retrouvent à être dans la même équipe et elle se battra avec la rage d’une lionne pour que jamais rien de négatif ne leur arrive. Il a sans doute bien des torts, mais jamais il n’aurait dû payer de la manière dont leur père le faisait souffrir alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Pour le moment, le seul regret qu’elle est capable d’énoncer à haute voix, c’est celui de ne pas avoir mis fin aux jours de leur paternel plus tôt. C’est déjà un pas en avant. Lily sait qu’elle en a bien d’autres à faire encore avant qu’ils puissent moindrement ressembler à une fratrie, avant même qu’on puisse leur coller l’étiquette de “normale”.

Ses doigts se resserrent autour de ceux de son aîné dès qu’il exerce une pression à peine plus poussée. Joseph ne fait que réagir aux paroles de sa cadette; elle ne veut que pouvoir profiter de ce simple geste affectif aussi longtemps que possible. Les raisons sont différentes mais ils en viennent à la même conclusion, pour une fois. Cette soirée dénote des trois dernières décennies de leur existence et déjà Lily s’en veut d’avoir attendu aussi longtemps pour se rendre compte de ce poids qui lui pesait sur la poitrine: elle ne veut plus avoir à sans cesse repousser son frère. Au delà de ça, elle sait avoir besoin de lui. Jamais il ne décidera à sa place, jamais elle n’avouera ne pas être une personne indépendante et autonome, jamais elle ne lui demandera conseil non plus,... mais ça ne l’empêche pas de se sentir mieux lorsqu’il est présent, pour certaines raisons que son esprit scientifique et cartésien ne peut décemment pas expliquer.

A ses côtés, Joseph semble plutôt laisser son esprit vagabonder vers des horizons bien différents, en témoigne sa soudaine confession. « L’accident de moto. C’était ma faute. » Les yeux de la brune remontent instinctivement dans ceux de son aîné, lequel est bien plus occupé à observer une faune inexistante à travers la vitre passager. Et si les sourcils de l'infirmière se froncent, ce n'est en rien parce qu'elle est en colère, bien loin de là. Elle ne s'attendait tout simplement pas à ce que le sujet revienne sur le devant de la scène, encore moins d'une telle façon. C'est un événement du passé qu'elle fait au mieux pour justement garder bien loin de son esprit, bien plus pour tout ce qu'il signifie que pour l'accident en lui même. Des personnes meurent chaque jour, cela ne signifie rien du tout. L'homme dont vous venez à peine de vous séparer après des larmes et des coups, par contre, c'est bien plus rare. Muette sous la surprise, Lily ne sait quoi répondre à son frère, hésitant encore à lui demande s'il est en train de lui faire une blague de mauvais goût. Depuis qu'il lui a un jour avoué savoir ce que son ex petit-ami lui faisait subir, la jeune femme ne doute cependant pas de la véracité de ses propos. « Je ne me suis jamais senti mal de l'avoir fait, seulement de te l'avoir jamais dit. » Le reste du monde ne comprendrait pas la raison de tels sentiment mais, pour avoir grandi dans les mêmes conditions que lui, sa soeur ne peut que hocher de la tête. Elle sait bien mieux que personne ce que ça fait que de ressentir de telles choses, si bien qu'elle ne pense pas à lui en vouloir de quoi que ce soit. « Mais c'était un accident. » Parce que des deux, il a toujours été le good cop, peu importe ce que Lily voudrait bien dire au reste du monde ou même laisser paraître. Il a toujours été bien plus bon qu'elle ne le sera jamais et, finalement, sa main toujours logée dans la sienne sert de bascule de pacotille pour qu'il se rapproche un peu d'elle et qu'elle puisse gommer les centimètres restant, venant le prendre dans ses bras. La brune ne se souvient pas de la dernière fois où ils ont pu agir d'une telle façon l'un envers l'autre, mais elle n'a aucun mal à donner une date à leur dernière dispute. "Je t'aime." A ses yeux, ce n'est pas aussi fort qu'une demande de pardon mais elle a besoin de temps supplémentaire et de l'assurance qu'ils ne feront pas machine arrière pour enfin s'oser à de telles paroles. En attendant, elle préfère lui rappeler délicatement qu'elle continue de l'estimer énormément, et ce peu importe la façon dont elle a toujours pu le traire et dire à son propos. Il est le seul frère qu'elle n'aura jamais et elle continuera de le chérir comme tel. Ses secrets deviennent les siens et celui-ci tout particulièrement l'accompagnera jusque dans sa tombe. "Merci." Son visage toujours posé contre son épaule, elle argumente d'un mot supplémentaire. "De me l'avoir dit." Lily précise une première fois. "Et de l'avoir fait." Et confesse une seconde, sans qu'il n'y ait besoin d'explications supplémentaires.

Ils ne se posent aucune question. Le silence est lourd de mots. Comme si la fin du roman avait été écrite depuis le début, le frère et la sœur savent qu’ils ne peuvent plus faire marche arrière – et, de toute façon, ils ne voudraient probablement pas. Le regard cru qu’ils se sont lancés à peine quelques secondes plus tôt a scellé le sort de Cyril et il peut à présent compter les secondes avant que ses poumons accueillent une dernière bouffée d’air. Il aura créé les responsables de sa mort. C’est ironique pour un homme qui a élevé ses enfants comme des soldats de Dieu. Il rencontrera l’Homme perché dans le ciel plus tôt que prévu. Avec un peu de chance, la vie après la mort n’est qu’une invention et il ne pourra jamais punir les coupables. Et personne ne pourra les punir dans le monde des vivants parce que Joseph en confiance en sa sœur. Elle saura faire disparaître le moindre doute en laissant des larmes rouler le long de ses joues lorsque les quelques proches de la famille viendront couvrir le cercueil d’un peu de terre. Personne ne se doutera de rien. Les autopsies ne révéleront qu’une crise cardiaque, la fin la plus normale pour les personnes d'un âge avancé comme lui.

Ils sont complices pour la première fois de leur vie. Ils n’ont pas envie de débattre du bien ou du mal et de s’échanger des regards foudroyants. Il ne fait pas semblant, elle ne fait pas semblant, et la pression qu’ils exercent chacun dans la main de l’autre les lient pour le meilleur ou pour le pire. C’est peut-être parce qu’il a l’impression que rien ne pourra plus jamais les séparer que Joseph est traversé par le besoin de se libérer d’un secret qui pèse sur ses épaules depuis longtemps. Il ne regrettera jamais d’avoir tué cet homme qui frappait sa sœur mais il a besoin qu’elle sache la vérité. Qu’elle lui en soit reconnaissante, ou qu’elle retire sa main de la sienne par dégoût de son être – après tout, il est habitué à ce genre de réaction. Elle n’a jamais approuvé toutes les mauvaises décisions qu’il a prises dans sa vie. Et pourtant, la vérité révélée et le silence imposé dans l’habitacle, le garçon ne se ressent pas le moindre rejet de la part de la jeune femme. Il cesse d’observer les paysages civils à travers la vitre et finit par reposer son regard sur elle, le visage crispé et les lèvres pincées par l’angoisse. Mais ce qu’il lit dans ses magnifiques perles bleues, ce n’est ni de la colère, ni des reproches, ni de la tristesse. Elle le couvre d’un voile d’affection juste avant de le tirer vers elle, et de s’approcher de lui, pour l’enrouler de ses bras. Son cœur bascule dans sa poitrine et aussitôt ses paupières se gorgent d’eau saline sans arriver à la contenir plus longtemps. Une première larme trace la courbe de sa pommette, puis une seconde, et il enfouit son visage dans les cheveux de sa sœur peut-être pour se cacher. "Je t'aime." Les larmes prennent en nombre mais il n’émet pas le moindre son, serrant sa silhouette fine à son tour, humant son parfum qui n’a jamais changé après toutes ces années malgré les couches de maquillage, malgré les faux sourires, malgré les masques qui se sont collés à sa peau de façon permanente. Pendant un instant, il a l’impression de se retrouver dans la chambre qu’ils partageaient à un jeune âge et, pourtant, la sensation ne le terrorise pas. Cyril n’a jamais existé dans cet univers-là. "Merci." Il reste muet. "De me l'avoir dit." Il sert les dents et ferme ses yeux pour se laisser immerger par cette sensation de libération. Les barreaux de la prison ne semblaient jamais l’avoir quitté jusqu’à présent et, pourtant, il ne les sent plus collés à son dos. Il n’y a plus que lui et la seule personne qu’il a chérie toute sa vie de la mauvaise façon. "Et de l'avoir fait." « Je t’aime aussi, Lily. » Il arrive à couiner la voix basse, incapable de prononcer un mot de plus. Après tout, il n’y a qu’une seule explication derrière cet acte qu’il a commis : à son cœur, Lily vaut plus que tout l’or du monde et, s’il doit agir dans l’ombre pour la protéger, il le fera sans jamais craindre pour son propre sort.  

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