« On est les adultes, on donne l’exemple, darling. » Sawyer ne put retenir un rire. Merde, ça n’était probablement pas la réaction appropriée ; mais à quel moment étaient-ils censés parvenir à se considérer comme des adultes ? Elle aurait même franchement éclaté de rire à cette idée si la majeure partie de son cerveau n’avait pas été absorbée par un essaim d’abeilles à éviter du mieux qu’elle pouvait. N’étant pas non plus la pire des adultes qui soit, elle avait d’abord veillé à la sécurité des enfants avant la sienne…mais son instinct de conservation (on pouvait même parler de survie en pareille circonstance aux yeux de la brune) restait toutefois suffisamment présent pour vérifier qu’aucun insecte ne s’approchait trop près de sa peau.
Maintenant à l’abris entre les quatre murs de la station-service, Sawyer s’autorisait enfin à se faire un peu plus sereine. Elle en profita pour noter intérieurement de faire en sorte de ne plus jamais être redevable envers Hassan. Elle en avait déjà vécu des journées éprouvantes…mais rarement à la hauteur de celle qu’ils étaient en train d’affronter. Et avoir la responsabilité de plusieurs enfants prêts à sauter sous les roues d’une voiture au premier papillon aperçu ? Très peu pour elle. « C’est sûr, sa mère va l’inscrire au footy à la rentrée prochaine. » Elle jeta un coup d’œil en direction de Liam avant d’afficher un sourire amusé : « Compte sur moi pour être présente à tous ses matchs et être sa plus fervente fan. » Elle avait déjà hâte de voir quelles nouvelles péripéties il serait capable de leur réserver et il ne faisait aucun doute qu’un gamin comme lui en avait un sacré stock à revendre. Son sourire s’estompa en revanche bien vite en découvrant ce qu’il était advenu de leur trousse de secours. Son visage venait de se décomposer. C’était une blague ? « Tu as brisé un miroir, récemment ? Contrarié une vieille dame amatrice de vaudou ? » Excellentes questions. Vraiment. Elle lui jeta un regard désespéré en secouant la tête. « Rien de tout ça…je sais pas…J’ai dû vraiment mal me comporter dans une vie passée, je vois rien d’autre que ça. » Bon, même si elle ne s’était pas toujours exactement bien comportée dans cette vie-là, mais certainement pas au point d’accumuler autant de catastrophes en si peu de temps. « Eh ! T’es pas un saint non plus à ce que je sache ! » Sa riposte arrivait un peu tard mais elle refusait de porter le chapeau toute seule. En attendant, déterminer qui était le coupable de toute cette histoire ne les aiderait pas à sortir de cette situation. Sawyer s’était donc risquée à se diriger vers l’employé de la station-service pour lui demander de l’aide. A la tête renfrognée qu’il affichait d’ores et déjà en la voyant s’approcher de lui, elle ne put s’empêcher de songer qu’elle avait le mauvais rôle. Puis elle jeta un rapide coup d’œil en arrière et observa les enfants s’agiter autour d’Hassan, très prompts à poser des questions dans tous les sens alors qu’il tentait tant bien que mal de s’occuper des blessés. Non, finalement son rôle n’était peut-être pas le pire après tout. Prenant son courage à deux mains ainsi qu’une grande respiration, elle avait posé ses mains sur le comptoir, un air sérieux et décidé sur le visage. Elle avait gardé son calme pour expliquer la situation au gérant, tentant même un sourire poli, ce qui n’avait pas suffi pour autant à l’empêcher de la remballer sèchement. Sawyer s’était pincée les lèvres pour empêcher les insultes fleuries qui lui traversaient l’esprit de franchir la barrière de ses lèvres. Elle ne savait pas comment, mais elle était parvenue à rester stoïque et mesurée en lui répondant : « Ecoutez...vous ne l’avez peut-être pas remarqué…c’est vrai qu’ils font à peine 1m40 les bras levés, c’est pas flagrant…mais il s’agit d’enfants. » Garder son calme ne l’empêchait en rien de se montrer sarcastique. Elle avait déjà gardé ses insultes pour elle, il ne fallait pas non plus trop lui en demander. « Des enfants qui n’ont qu’une envie : rentrer chez eux pour voir leur parents. Présentement on a juste des larmes de crocodile, des piqûres douloureuses et un foutu bus en panne et vraisemblablement irréparable vu que le chauffeur ne nous a toujours pas appelés pour nous dire qu’on pouvait repartir. Alors faites un effort. » Son ton était cette fois-ci plus menaçant que calme, ses nerfs commençant doucement à lâcher. Le gérant lui avait lancé un regard méprisant avant d’aller chercher une trousse de secours et de la poser abruptement sur le comptoir, déclarant : « Ça fera 30$. » Sawyer avait haussé un sourcil dans sa direction, l’air soudain bien plus revêche que lui. « Ok…15$. » Elle n’allait pas pouvoir lui soutirer mieux que ça. Elle sortit son porte-monnaie de la poche arrière de son jean et déposa les billets devant lui, attrapant la trousse sans un sourire et sans un merci. Moins stressée mais toujours aussi désespérée, Sawyer fit demi-tour pour se diriger vers Hassan et les enfants quand son regard fut attiré par un moyen de locomotion plus grand qu’une voiture qui venait de se garer à l’extérieur de la station. « Putain. » Le mot lui avait échappé alors qu’elle était encore fort heureusement plus proche du comptoir que du groupe. Elle les rejoignit, un sourire incrédule se dessinant sur son visage alors qu’elle lança aussi enjouée qu’une enfant un matin de Noël : « Le bus est réparé ! Il est dehors, on va pouvoir repartir !! » On aurait pu lui annoncer qu’elle venait de gagner au loto qu’elle n’aurait pu se montrer plus enjouée que ça. « On s’occupera des blessures dans le bus. » Elle préférait qu’ils montent tous dedans avant de risquer qu’il ne s’évapore comme par magie. Rassemblant les enfants avec l’aide d’Hassan, elle jeta un dernier coup d’œil en arrière en direction du gérant qui les fusillait toujours du regard. Elle lui adressa un sourire volontairement forcé, portant sa main à son front avant d’effectuer un vif salut militaire. Etait-ce assez clair pour lui signifier qu’elle espérait bien ne jamais avoir à le recroiser ?