J’ai fini par quitter Nathan sur le bord de la rive, lui ayant sûrement une vie à laquelle retourner aujourd’hui et moi devant retrouver Molly d’ici peu de temps. J’erre encore un peu,  tentant de faire le point sur mes pensées. Ce moment avec le cadet des Atkins aura été une bulle d’air frais dans une semaine où j’ai l’impression que tout s’effondre. Je suis passé dans un bar, incapable de tenir sans boire au moins un verre d’alcool. Je sais que je ne veux pas avoir à boire devant Molly, conscient que ça gâcherait tout si je le faisais. Alors je bois avant, quelques verres, seul assis au comptoir.  C’est assez pour combler le manque qui arrive de plus en plus vite mais pas assez pour que je sois bourré, ma tolérance bien trop grande à présent. Avant de partir je passe aux toilettes du bar et j’observe mon visage dans le miroir, grimaçant. J’ai une sale tête. Des cernes bien trop grandes, un visage de plus en plus émacié et pâle.  Je n’ai pas envie qu’elle me voie comme ça, pas envie de prétendre que tout va toujours bien quand cette semaine c’est bien loin d’être le cas. Rituel habituel, je passe un peu d’eau sur mon visage comme si ça pouvait effacer la légère odeur de rhum qui me poursuit partout où je vais. Je prends une chewing chum à la menthe, espérant le camoufler et je m’en vais dehors pour fumer un clope, espérant que l’odeur de la cigarette soit plus forte que celle de l’alcool.

On s’est donné rendez-vous non loin des berges où les gens commencent à arriver, les navigateurs organisant les derniers préparatifs pour la course des bateaux, tous plus beaux les uns que les autres. Je la repère au loin et je me force à sourire, lui faisant un signe de main. «  Bonne fête nationale Molly ! »   Je ne l’ai pas vue depuis la fête foraine. « Tu vas bien ? »

Je suis au bord de l’eau, et j’attends Pete encore une fois. Je ne l’ai pas vu depuis mon anniversaire, et ça me manque de ne pas le voir dès que j’en ai envie, de ne pas partir de chez moi pour rester dans son appartement dès que je le veux. On doit changer nos vieilles habitudes, et je m’y habitue petit à petit. Je m’y habitue parce que je trouve de nouvelles personnes, de nouvelles habitudes et de nouveaux ancrages. Hannah reste le principal, c’est celle sur qui j’ai toujours pu compter. Mais il y a Kieran aussi, et surtout, Finnley, aussi étonnant que ça puisse paraître. Je vais un peu mieux grâce à eux, et grâce à Pete qui me laisse ne pas sortir de sa vie. Je veux que ça marche, et je veux que tout le monde soit heureux. J’espère que Pete arrive à l’être lui aussi. Mais je n’ai aucune certitude, parce qu’il ne veut pas encore me parler de ce qui va et ce qui ne va pas. Il est habitué aux sourires de façade.

« Bonne fête nationale Molly ! » J’étais perdue dans mes pensées et je souris en le voyant se diriger vers moi. “Bonne fête à toi aussi.” Il se rapproche et je sens que son sourire sonne faux. Je fronce le nez mais je ne dis rien, je ne sais pas s’il a envie de parler de ça. « Tu vas bien ? » Il sait que s’il s’autorise à poser cette question je vais faire la même chose. “Mieux, petit à petit je vais mieux.” C’est long, et je sais que jamais je n’arriverai à remercier assez les personnes qui m’entourent. “Et toi ?” Je penche la tête vers lui. On reste de côté, loin de la foule qui commence à s’agglutiner. “On a dit plus de mensonges, mais t’es pas obligé d’en parler.” Pourtant, je vois à quel point il va mal.

« Bonne fête à toi aussi. » Elle a l’air d’aller mieux. Déjà loin de la Molly que j’ai vu pour son anniversaire, de celle qui m’a appelée en ayant trop bu dont le regard était bien trop triste pour ressembler à la Molly que je connais.

« Mieux, petit à petit je vais mieux. » Ca se voit à son sourie qui est un peu plus joyeux, à son regard un peu plus pétillant et là où moi je coule chaque jour un peu plus, elle sort la tête hors de l’eau chaque jours un peu plus. Mais je suis heureux pour elle, je n’aimais pas la voir triste et je préfère bien plus la voir ainsi. Je sais pourtant qu’elle va me retourner la question. « Et toi ? » Mon cœur se serre et mon regard la fuit et je n’ai pas envie de lui mentir et de prétendre que tout va bien aujourd’hui. « On a dit plus de mensonges, mais t’es pas obligé d’en parler. » Je m’appuie sur un pied puis sur l’autre, ne sachant pas quoi dire, pas réellement. « Je vais gâcher la journée si je t’en parle. » J’ai peur qu’elle fasse tous les reproches du monde comme tous les autres, qu’elle me déteste un peu plus pour toutes ces conneries comme tous les autres, j’ai peur de la déception dans son regard. Je m’allume une cigarette à défaut de pouvoir boire, ça ne sera que la énième de la journée.


« On pourrait se poser près de l’arbre là-bas si tu veux ? J’ai repéré qu’on avait une belle vue sur les bateaux ! » Je n’ai rien repéré du tout je cherche en réalité simplement à gagner du temps, à ce qu’on marche un peu plus loin. Je ne sais pas si j’ai envie de parler, ou non, ou peut être simplement je ne sais pas comment en parler. « Tu as fait quoi pour ton anniversaire ? » Je lui demande doucement, tentant de repousser le sujet le temps de prendre une décision, rongé autant de l’intérieur comme de l’extérieur par la culpabilité.

Je regarde autour de moi, il y a beaucoup de personnes qui viennent pour voir les bateaux. C’est magnifique, j’aime être dehors le jour de la fête nationale. Tout le monde a l’air heureux, tout le monde est joyeux. Tous sauf Pete. Il m’inquiète, et je me retiens de lui poser 1000 questions à la seconde. Je soupire, je ne sais pas quoi faire pour l’aider, et je ne sais pas comment m’y prendre pour qu’il veuille bien me parler. Il le sait pourtant que je ne veux que son bien. « Je vais gâcher la journée si je t’en parle. » Je fronce le nez. “Je suis sûre que non.” Quoi qu’il puisse me dire, il ne gâchera rien, bien au contraire. Il ne fera que renforcer le lien amical qui nous unit désormais. “Tu peux me faire confiance.” Je lui redis, pour être sûre qu’il n’ait pas oublié ce détail.

« On pourrait se poser près de l’arbre là-bas si tu veux ? J’ai repéré qu’on avait une belle vue sur les bateaux ! » Je tourne la tête, je regarde l’arbre en question et je hoche la tête. On pourra profiter du spectacle tout en étant loin de la foule. Il pourra me parler de tout ce dont il a besoin. Je sais qu’il a encore du mal, mais je veux faire en sorte qu’il se sente mieux pour qu’il soit capable de se lâcher et d’ouvrir son coeur, même si c’est pour me dire que rien ne va plus dans sa vie ces derniers temps. « Tu as fait quoi pour ton anniversaire ? » Je Il change directement de conversation et je soupire. “Kieran et Hannah sont venus chez moi, mais je savais pas qu’ils ne s’entendaient pas. Ils se sont engueulés et quand je suis revenue du travail j’ai dû les séparer… La soirée d’avant était bien mieux.” Bien sûr que je fais référence à la fête foraine, parce qu’il sait que je n’oublierai jamais ce moment. “Qu’est ce que t’as fait toi pendant tout ce temps ?”

« Je suis sûre que non. Tu peux me faire confiance. » Je peux lui faire confiance mais je ne suis pas sûr d’être prêt à voir la déception dans son regard, à prononcer à voix haute des actes que je regrette. A lui donner raison elle et à d’autre sur le fait que je bois trop et que ça gâchera ma vie. L’usage du futur n’est pas le bon cela a sans doute déjà gâché une partie de ma vie.

Je montre la direction d’un arbre qui nous protègera du soleil, cela me permet de gagner un peu de temps, de laisser le silence reprendre ses droits alors qu’on marche jusque-là bas. J’ai envie de lui parler, j’ai besoin de lui en parler mais pourtant j’hésite, comme toujours je suis prisonnier des apparences que je montre encore et encore sans arriver à m’en défaire. Alors qu’on s’assoit dans le coin d’ombre, mon regard rencontre le sien et je change de sujet, fuyant encore un peu. Elle soupire et je devine qu’elle s’y attendait. “Kieran et Hannah sont venus chez moi, mais je ne savais pas qu’ils ne s’entendaient pas. Ils se sont engueulés et quand je suis revenue du travail j’ai dû les séparer… La soirée d’avant était bien mieux.” Je ne peux m’empêcher de sourire, un brin satisfait malgré moi qu’elle ait passé une meilleure soirée avec moi qu’avec Hannah fucking Whitemore, qui aura jugé chacun de mes actes depuis que je l’ai rencontrée. « C’est dommage pour ta soirée d’anniversaire… ils auraient pu faire un effort ! » Pour une fois que ce n’était pas moi qui avais tout raté. “Qu’est ce que t’as fait toi pendant tout ce temps ?” A cette question, je ne peux m’empêcher de rire légèrement, mon regard allant se poser sur les bateaux au loin. « J’ai bu. » Je dis d’un ton tout ce qu’il y a de plus honnête. Tout simplement parce que je suis fatigué de prétendre, surtout avec elle. « Et j’ai tout foiré. Mais ça ne change pas de d’habitude non ? » Elle est là la désinvolture qui n’est que façade, alors que je tente de garder la culpabilité au loin.

Je le laisse changer de sujet, il parlera quand il le voudra. Je ne veux pas le presser ou l’obliger à faire quoi que ce soit. J’attends patiemment, on a toute l’après-midi après tout. « C’est dommage pour ta soirée d’anniversaire… ils auraient pu faire un effort ! » “Je savais pas qu’ils se connaissaient déjà.” Et je ne savais pas qu’Hannah et Kieran se détestaient, sinon, je n’aurais pas fait l’erreur de les inviter en même temps. Je me demande ce que lui a pu faire pendant ces semaines où on ne s’est pas vu. Si lui aussi essaie d’apprendre à vivre sans que je ne sois constamment dans les parages. Moi j’apprends, et je n’ai pas l’impression de faire d’erreurs jusque là, même si je me demande comment je peux lui annoncer “J’aurais dû plus parler de Kieran à Hannah.” Parce que, dans mon esprit, c’est toujours moi qui fais les conneries.

On s’assoit et il regarde l’eau. Je le sens pensif, il est perdu et je me demande ce que je peux faire pour l’aider à aller un peu mieux. Je ne sais pas si c’est vraiment possible, mais je ferai absolument tout pour arranger les choses. « J’ai bu. » Je pince les lèvres et je baisse les yeux sur l’herbe. Qu’est ce que je peux lui dire ? Est ce que j’ai vraiment le droit de lui reprocher de s’être réfugié dans l’alcool ? Je m’en veux de n’avoir rien vu, et de ne rien avoir fait pour l’empêcher de plonger à ce point là. Je ne dis rien, j’attends seulement qu’il se décide à en dire plus. « Et j’ai tout foiré. Mais ça ne change pas de d’habitude non ? »Il tente d’en rire, mais je ne peux pas le suivre sur ce sujet. “C’est une maladie tu sais ?” Je ne le juge pas, bien au contraire. “De boire trop.” Parce que je n’oserais pas dire l’alcoolisme. “Et ça peut se soigner si tu veux plus de tout ça.” Je ne peux pas l’obliger à tout arranger, mais je peux lui montrer que je suis là pour lui. “Qu’est ce qui s’est passé ?”

« Je savais pas qu’ils se connaissaient déjà. J’aurais dû plus parler de Kieran à Hannah. » Comme toujours Molly s’attribue la faute, se décarcasse pour les autres et prend en charge les malheurs causés. Je secoue la tête de droite à gauche, pas du tout d’accord avec elle. « Non, même si tu ne lui en avais pas parlé, ça ne veut pas dire qu’ils ont le droit de se prendre la tête pendant ta soirée. C’était ton anniversaire, c’est de leur faute et pas de la tienne. Toi tu n’as rien demandé. » Je me demande si elle arrêtera un jour de se sentir coupable pour les autres, de s’excuser pour tout. Ca me parait difficile, mais lentement elle commence un peu à changer.

On s’assoit sous les feuillages de l’arbre et je décide qu’il est peut-être temps d’essayer de parler et d’être honnête. Elle est finalement une des rares personnes qui ne me déteste pas en cette fin de mois ou qui n’est pas en froid avec moi. J’ai peur, terriblement peur de lui avouer, peur de la déception dans son regard, peur qu’elle me souligne à quel point j’ai tout raté, peur finalement qu’elle me dise la vérité. Je lui dis que j’ai passé ces dernières semaines à boire et que j’ai réussi à tout foirer. « C’est une maladie tu sais ? » Je grimace, mon regard la fuyant. J’entends le mot qu’elle ne prononce pas. Alcoolisme. « De boire trop. » Une maladie cela implique que je n’ai aucun contrôle dessus. Mais ce sont mes choix qui m’ont fait arriver ici et je ne peux pas me cacher éternellement derrière ma bouteille. « Et ça peut se soigner si tu veux plus de tout ça. » Je n’en sais rien, l’idée de ne plus boire me terrifie, peut être parce que je verrais le vide que l’alcool laisserait. « C’est pas une maladie, je peux m’en prendre qu’à moi-même Molly. J’ai décidé de boire, personne ne m’a forcé. » J’hausse les épaules. « Mais je suis pas alcoolique. » Je suis juste un connard. J’ai envie d’ajouter. Mais je ne le fais pas. « Qu’est ce qui s’est passé ? » J’arrache l’herbe de mes mains, ne la regardant pas. « J’ai loupé l’opération de Tessa. Lawrence a débarqué dans ma chambre d’hôtel trois jours après pour tirer par la peau des fesses à l’hôpital. » Je refuse de la regarder tellement j’ai honte.

« Non, même si tu ne lui en avais pas parlé, ça ne veut pas dire qu’ils ont le droit de se prendre la tête pendant ta soirée. C’était ton anniversaire, c’est de leur faute et pas de la tienne. Toi tu n’as rien demandé. » Je n’ai pas envie de dire que c’est de leur faute. Je ne veux pas dire à Pete qu’ils ont gâché une partie de mon anniversaire parce que l’histoire est compliquée, et que j’aurais pu être au courant si j’avais parlé de mon colocataire à ma meilleure amie. Je suis encore perdue après ces annonces et ces engueulades, mais je tiens le coup, et je suis restée au travail plusieurs jours après mon anniversaire. Je vais devoir finir par me faire construire une chambre au refuge, ça pourrait être pratique non ? Surtout quand je décide de passer près d’une semaine avec les chiots et les chatons. “C’était compliqué entre elle et lui, il y avait un passif que je connaissais pas. Mais ce n’est rien, c’est passé. Je m’organiserai mieux l’année prochaine.” Heureusement, je n’accorde aucune réelle importance à mon anniversaire.

Il explique ses problèmes, des problèmes que je connais mais que je n’ai pas vraiment voulu voir. « C’est pas une maladie, je peux m’en prendre qu’à moi-même Molly. J’ai décidé de boire, personne ne m’a forcé. » Je pince les lèvres. « Mais je suis pas alcoolique. » Il sait qu’il a un problème avec l’alcool, et je sais que je serai là quand il l’acceptera et qu’il voudra arranger les choses. Mais qu’est ce que je peux faire pour l’aider à s’en rendre compte sans qu’il pense que je le juge ? Je ne sais pas comment m’y prendre. « J’ai loupé l’opération de Tessa. Lawrence a débarqué dans ma chambre d’hôtel trois jours après pour tirer par la peau des fesses à l’hôpital. » J C’est compliqué, et j’essaie de croiser son regard en vain. J’attrape sa main avec laquelle il est en train de torturer l’herbe. “J’avoue que je sais pas quoi dire là Pete…” Je regarde en face de nous. “Je suis sûre qu’il y a une raison, pourquoi t’as décidé de boire à ce moment là ? Je sens qu’il y a bien plus de choses qui vont mal et que tu fais juste que les garder pour toi.”

“C’était compliqué entre elle et lui, il y avait un passif que je connaissais pas. Mais ce n’est rien, c’est passé. Je m’organiserai mieux l’année prochaine.” Encore une fois cela doit être à elle de s’arranger. A elle de faire des efforts pour les autres, à elle de toujours faire plus pour que ça se passe bien. Ca ne devrait pas être le cas et j’espère qu’un jour elle se choisira un peu plus, plutôt qu’à essayer de faire plaisir aux autres. Pour ça on a toujours été très différents, moi sûrement bien trop égoïste, elle, bien trop généreuse.

Pour la première fois je parle, décidant de m’ouvrir un peu dans l’espoir au fond que ça calmera ma culpabilité. Je n’arrive pas à accepter que je puisse être alcoolique, même si lentement la pensée commence à prendre son importance dans mon esprit. Je repense à ce que Maxence m’avait dit début janvier et je me dis que peut être au fond je suis un peu comme la personne qu’il était à l’époque. Je finis par avouer avoir loupé l’opération de Tessa quand j’aurais dû être là. Elle ne réagit pas sur la chambre d’hôtel. C’est peut-être mieux que de devoir avouer que je n’ose pas rentrer chez moi dans les états où je me mettais de peur de tomber sur Dylane. Je n’ai pas envie d’être bourré devant elle. Je suis incapable de croiser le regard de Molly, honteux, arrachant l’herbe de mes doigts jusqu’à ce qu’elle se décide finalement à l’attraper. « J’avoue que je sais pas quoi dire là Pete… » Je n’ai même pas encore dit la suite, je n’ai pas annoncé que j’avais brisé la confiance de Mia et de Jax, révélant des secrets qui n’étaient pas les miens. “Je suis sûre qu’il y a une raison, pourquoi t’as décidé de boire à ce moment-là ? Je sens qu’il y a bien plus de choses qui vont mal et que tu fais juste que les garder pour toi.” Ma main quitte la sienne, alors que je souhaiterais la garder, j’ai trop honte pour la regarder, trop honte pour assumer. Pourquoi ? Peut être parce que l’opération de Tessa m’avait fait peur. Peut être tout simplement parce que boire était une habitude. « Il y a pas de raisons qui justifient ça Mo’. J’ai pas été là pour ma sœur. J’ai promis d’être là et j’ai pas été là. Elle aurait pu crever sur cette table d’opération Molly. » Ma voix s’étrangle dans ma gorge, mes yeux s’humidifiant. « Et moi j’étais occupé à quoi ? A boire jusqu’à pas me souvenir de son existence. » Je ris d’un rire jaune qui s’étouffe dans ma gorge.

Je tente de lui prendre la main, je veux le rassurer mais je n’ai rien à lui dire. Je soupire, je déglutis, je sais que n’importe qui lui aurait hurlé dessus, mais je suis persuadée que ce n’est pas de ça dont il a besoin. Il a besoin d’aide, et j’aimerais qu’il s’en rende compte enfin. Mais il dit ne pas avoir de problème d’alcool. Il le sait au fond de lui que ce n’est pas vrai, que c’est à cause de ça qu’il lui arrive autant de malheur ces derniers temps. Je continue de soupirer, et je tiens sa main fort dans la mienne en lui parlant.

Mais ça ne lui plaît pas. Il enlève sa main et retourne torturer les brins d’herbe qui se tiennent autour de lui. Il va mal, et j’ai le coeur brisé de voir à quel point il s’enfonce et comment je ne peux pas l’aider. J’ai l’impression que personne ne le peut. Pourtant, j’aimerais l’empêcher de toucher le fond. Est ce qu’il n’est pas trop tard pour ça ? Je n’en ai aucune idée. Je réfléchis et je lie mes doigts entre eux en continuant de regarder la mer. Pendant un temps, j’oublie les personnes qui nous entoure et les bateaux qui s’apprêtent à partir. « Il y a pas de raisons qui justifient ça Mo’. J’ai pas été là pour ma sœur. J’ai promis d’être là et j’ai pas été là. Elle aurait pu crever sur cette table d’opération Molly. » Je sais que ce n’est pas vrai, qu’il y a bien une raison pour laquelle il s’est plongé dans l’alcool. “Tu veux que je te dise que t’es un con ? Que t’aurais dû faire attention à la date ? Parce que ça aussi c’est vrai, et oui tu aurais dû faire un effort pour ta soeur. Mais je te connais, et je sais très bien que tu bois autant parce que tu vas mal, et ça depuis bien avant cette histoire avec ta soeur.” Je hoche la tête, il sait que j’ai raison.

« Et moi j’étais occupé à quoi ? A boire jusqu’à pas me souvenir de son existence. » “Je pensais pas que ça allait aussi loin.” Et j’aurais dû m’en rendre compte bien avant aujourd’hui.

Je repousse sa main de peur de craquer, mon masque se fissurant en morceaux devant ses yeux sans que je n’arrive à faire quoique se soit. J’ai honte alors que je parle enfin un peu, tentant d’expliquer les évènements de ces derniers jours. « Tu veux que je te dise que t’es un con ? » Je tressaillis, secouant la tête de droite à gauche, comme si chaque parole menaçait d’être la parole de trop.

« Que t’aurais dû faire attention à la date ? Parce que ça aussi c’est vrai, et oui tu aurais dû faire un effort pour ta sœur. Mais je te connais, et je sais très bien que tu bois autant parce que tu vas mal, et ça depuis bien avant cette histoire avec ta sœur.” Mes épaules se replient et inconsciemment j’aimerais me faire plus petit, disparaître complètement, ne plus affronter cette conversation. Elle est peut-être la seule à réellement le voir pourtant. La seule à poser des questions, plus que d’autres. La seule à tenter de voir plus loin que le problème d’alcool, à tenter d’en comprendre les raisons. “Je pensais pas que ça allait aussi loin.” Je secoue la tête, le regard embrouillé de larmes, refusant toujours de la regarder. « Je pensais pas que ça prendrait des proportions comme ça. » Les paroles s’étranglent dans ma gorge. « Tu sais ce qu’elle m’a dit ? Elle m’a dit que de toute façon j’étais pas foutu d’arrêter parce que j’étais qu’un putain d’égoïste. Que je suis irrécupérable. » Je relève les yeux vers elle, mon regard brillant de larmes qui refusent pourtant de couler. « Et Mia m’a dit que je méritais pas de porter leur nom, que j’étais une déception pour eux. Elle a raison. » Je suis incapable de voir le positif, incapable de me sortir de ce trou noir dans lequel je suis plongé, incapable de voir le bon côté ou de tenter d’expliquer un peu plus pourquoi je bois. Au fond est ce que je sais pourquoi je me sens si mal ? Mais surtout est ce que j’ai vraiment envie d’aller mieux ? Je n’ose pas reprendre sa main dans la mienne et pourtant, j’en ai terriblement besoin.

J’essaie de l’aider à comprendre, de lui montrer qu’il doit changer les choses. Mais pour le moment il ne veut pas en entendre parler. C’est énervant, mais je ne dis rien. Je ne veux pas le brusquer, et on dit que le seul moyen pour qu’il aille mieux c’est qu’il s’en rende compte par lui même et qu’il prenne ses propres décisions. Alors je suis là, pour l’écouter, et pour l’aider si jamais il a besoin de moi. Je ne sais pas vraiment où il en est, et je suis attristée par chacune des informations qu’il me donne. Il se passe trop de choses pour lui, et ça me brise le coeur. Plus ça va, et plus je m’inquiète pour lui, et une question tourne sans cesse dans ma tête. Comment est ce que je peux l’aider ?

« Je pensais pas que ça prendrait des proportions comme ça. » “Tu perds le contrôle Pete.” C’est peut-être dur à entendre, c’est encore plus dur à dire. Je ne veux pas lui faire du mal, et je veux qu’il arrête de s’en faire. Parce qu’il se fait mal en buvant autant et en brisant tous ses liens. « Tu sais ce qu’elle m’a dit ? Elle m’a dit que de toute façon j’étais pas foutu d’arrêter parce que j’étais qu’un putain d’égoïste. Que je suis irrécupérable. » Il me regarde, les larmes aux yeux et je déglutis. Je n’ai pas le droit de parler, je dois être forte pour rester auprès de lui. Je pince les lèvres et je le laisse parler, il a l’air de vouloir se confier et je ne le couperai pas en si bon chemin. « Et Mia m’a dit que je méritais pas de porter leur nom, que j’étais une déception pour eux. Elle a raison. » “Elles étaient énervées.” Et je n’ai aucun moyen de l’aider, de lui dire des choses rassurantes. Je ne sais pas quoi faire, alors je le prends dans mes bras. Il va peut-être me rejeter, il pourrait s’éloigner, mais je sais qu’il a besoin de moi et je ne bougerai pas. “Je t’abandonnerai pas Pete, t’es pas tout seul.” Parce que je sais que c’est toujours ce qui lui a fait le plus peur, d’être seul.

« Tu perds le contrôle. » Elle a raison. Je le perds, chaque jour un peu plus, sans même m’en prendre compte. Le contrôle me fil entre les doigts sans que je n’arrive à tenir les bouts de ma vie, sans que je n’arrive à garder les apparences. Mon verre s’est transformé en plusieurs, puis en trop. Une soirée de temps en temps est devenue une soirée tous les jours et à présent je n’ai plus vraiment besoin de soirées, le premier verre commence souvent le matin. « Je sais… » Mais je ne sais pas vraiment, je commence vraiment seulement à m’en rendre compte. Je lui explique alors les mots qu’elles ont prononcé, ceux qui ont blessé bien plus que je ne le souhaite l’avouer, qui se sont ancrés dans mes insécurités pour les amplifier un peu plus. « Elles étaient énervées. » Je sais bien qu’elles étaient sous le coup de la colère et pourtant je suis persuadé qu’elles pensent tout ce qu’elles ont dit, qu’elles n’en doutent pas une seconde. Et là soudain, ses bras s’entourent autour de moi et je me fige, ne sachant pas si je veux fuir ou non son étreinte. « Je t’abandonnerai pas Pete. » Mes épaules se relâchent, la tension présente dans mon corps s’atténue et mes bras viennent entourer son dos alors ma tête se réfugie dans le creux de son épaule et je la serre contre moi comme si elle était la dernière chose qui me rattachait au monde entier. « Merci Molly. » D’être là, de pas être partie, d’être toujours là malgré toutes les conneries que j’avais pu commettre. Mon merci est un murmure étranglé alors que je lutte contre les larmes, que j’essaye de retrouver contenant et un long moment plus tard je me détache, tentant de retrouver un sourire fictif. « Tu vois que j’ai salement cassé l’ambiance. » Je ris un peu gêné. « On a loupé le départ des bateaux. » J’annonce avec une moue alors mon regard se tourne vers les bateaux décorés. » Je soupire, passant une main sur mes paupières pour effacer une larme qui perle. « Je sais pas quoi faire Molly… »

« Je sais… » Je suis réellement la plus sincère possible. Je ne veux pas le blesser, mais je me dois de tenir ma parole. On a dit qu'on ne se mentait plus, qu'on ne s'abandonnait pas et qu'on allait essayé de devenir ami. Et je ne veux pas lui mentir en lui disant que tout va bien, qu'il n'a rien a se reprocher et qu'il n'a aucun problème. C'est tout le contraire, plus il boit, plus il gâche sa vie le jeune homme, et j'ai beaucoup de mal à l'accepter. J'aimerais qu'il veuille se battre pour son bonheur, qu'il arrive à voir un peu plus souvent le bon côté des choses. Et en attendant, elle essaie d'être là pour lui de la manière dont il a besoin, sans qu'ils ne soient trop proches. Meme si à cet instant, j'aimerais pouvoir l'embrasser et lui donner tout mon amour pour l'aider à aller mieux. Mais ce n'est plus nous, et je commence à m'y habituer ces derniers temps. J'ai l'impression de passer à autre chose, et j'espère qu'il fait pareil et qu'on ne va pas finir pas s'enfermer à nouveau dans un cercle vicieux. Je ne dis rien de plus pour le moment, j'attends de voir s'il a d'autres choses à dire ou non. 


« Merci Molly. » je le prends dans mes bras sans lui demander la permission maintenant. Je le serre contre moi et j'attends de voir quelle va être sa réaction. Et il répond à l'étreinte, il enroule ses bras autour de moi et je suis rassurée de voir qu'il sait qu'il peut compter sur moi. « Tu vois que j’ai salement cassé l’ambiance. » "Je suis contente que t'arrives à me parler." Parce que c'est ça que j'ai toujours voulu, cette communication dont j'ai toujours eu besoin. « On a loupé le départ des bateaux. » "On vit à Brisbane, au bord de l'océan, y'en a tout le temps des courses de bateaux." Je ne peux m'empêcher de sourire en parlant, il est bien plus important qu'une course de bateaux à mes yeux.  « Je sais pas quoi faire Molly… » Je pince les lèvres, restant proche de lui. "Qu'est ce que t'as envie de faire." 

Je n’ai jamais su parler et encore moins à Molly. Prisonnier des apparences toujours, prisonnier d’émotions plus simples à exprimer plutôt que d’essayer de comprendre tout ce qui n’allait pas. Aujourd’hui c’est différent. Peut-être parce que la culpabilité m’écrase au point que j’ai besoin de l’exprimer. Peut-être parce qu’on a décidé d’arrêter de mentir, d’enfin de tenter d’être honnête l’un envers l’autre. Peut-être que cette fois j’ai envie d’essayer de m’ouvrir. Mais tout est difficile, les mots incapables de sortir de ma gorge. Si je lui explique ce qui s’est passé je n’arrive pas à donner les raisons du pourquoi je bois. Pourquoi je me sens si mal. Peut-être parce qu’au fond je ne suis pas sûr de pouvoir réellement l’expliquer moi-même. Elle me serre dans ses bras et je sens la pression s’effacer un peu de mes épaules. Je m’accroche à elle comme à une bouée de désespoir, espérant aller mieux. On reste un long moment comme ça avant que j ne me détache un peu pour dire en riant à moitié que j’ai réussi à casser l’ambiance. « Je suis contente que t'arrives à me parler. » « Moi aussi j’aimerais juste… » je ne sais pas, arriver à parler plus, arriver à changer, arriver à ne pas être dans cet état là ? Que tout aille mieux. Je ne sais pas moi-même et je ne dis rien. Me contentant de dire qu’on a loupé le départ des bateaux. « On vit à Brisbane, au bord de l'océan, y'en a tout le temps des courses de bateaux. » Je souris parce qu’elle a sans doute raison. Je me détache un peu, prenant une grande inspiration, lui disant que je ne sais pas quoi faire. "Qu'est ce que t'as envie de faire ? " Je ris d’un rire triste, sans la regarder. « Arrêter de tout foirer et boire. » Deux envies entièrement contradictoires. « Pourquoi t’es restée aussi longtemps avec moi alors que je faisais que de la merde Molly alors que je buvais autant ? » Je ne comprends pas pourquoi elle est restée contre vents et marées, je ne comprends pas, n’imagine pas qu’elle ait pu m’aimer à ce point. Est-ce qu’elle pensait que j’allais changer ? Est-ce qu’elle espérait que j’allais arrêter de boire ?