@edward rhodes
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Je n’avais jamais vraiment compris l’intérêt des courses de bateau qui se déroulaient année après année lors de la fête nationale. Chaque année, je participais aux différentes célébrations organisées par la ville et chaque année, j’allais jeter un coup d'œil aux courses sans vraiment en comprendre l’intérêt. Entre deux séances de baignade dans l’océan et beaucoup de fous rires sur la plage avec de vieilles copines, je me décide à aller jeter un coup d'œil à ses fameuses courses. Il y a de plus en plus de monde qui se rapproche près du quai alors que les bateaux sont pour le moment encore immobile dans l’eau. Je regarde partout autour de moi, tentant de comprendre ce qu’il peut y avoir d’intéressant à regarder des bateaux d’abord immobile et ensuite courser jusqu’à l’autre bout du fleuve, seulement pour mieux revenir et recommencer le même trajet encore et encore. Je ne comprends pas et je me dis que c’est peut-être mieux ainsi. On ne peut pas avoir un intérêt pour tout dans la vie. Je vois les sourires de ceux qui s’y intéressent et ça me suffit. Ils sont heureux d’être là et moi, je suis heureuse de pouvoir fêter la fête de l’Australie et pas à Los Angeles comme je le pensais d’abord. Je me retourne, prête à refaire le chemin inverse du quai jusqu’à la plage lorsque j’aperçois un jeune homme qui me semble très familier. Ça me prend quelques secondes avant de comprendre qu’il s’agit du Dr. Rhodes, celui qui m’a annoncé le décès de la petite Jackie quelques jours après Noël. Je suis encore secouée juste à y repenser. Il n’avait pas vraiment eu le temps de me parler lorsque j’étais partie à la recherche de la gamine lors de ma dernière journée à Brisbane avant de repartir pour Los Angeles. La nouvelle était tombée et il avait dû quitter pour une quelconque urgence, me laissant toute seule à gérer avec la nouvelle d’une gamine qui m’avait profondément marqué lors de mes premières semaines de bénévolat pour l’association. J’hésite un instant avant de m’approcher de l’homme. Je me dis qu’au moins ici, il y a moins de chance que je le dérange qu’à l’hôpital. « Dr. Rhodes? » que je demande d’une voix douce, tentant d’attirer son attention sans le faire sursauter. « Je ne sais pas si vous vous rappelez de moi, je suis une bénévole à l’hôpital... » Je pense à mentionner le nom de la petite Jackie, mais n’en fait rien, préférant voir si le docteur se souvient de moi avant d’emmener le sujet.

@Penny Stringer
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Il est doué pour annoncer les mauvaises nouvelles, Edward. Face à la détresse d’une famille en deuil, il trouve le mot juste avec aisance des suites de son expérience personnelle. Pour faire mouche, il suffit d’énoncer ces mots qu’il aurait souhaité entendre lorsqu'il n’était qu’un gosse ayant perdu son père et d’éviter les formules bateaux qui ne soulage personne. Force est cependant d’admettre qu’il ne s’encombre de ses précautions qu’à l’égard des proches. Il ne s’en embarrasse pas vis-à-vis de ces collègues hors contexte médical - l’hôpital grouille de bénévoles - puisqu’il estime qu’à son image, ils sont rôdés à l’exercice et, par conséquent, capable d’encaisser. La preuve étant, il n’a jamais eu à se confronter à cette situation où son interlocuteur est heurté sensiblement ou effectivement par le décès d’un patient. Autant dire qu’il a regretté sa brusquerie face à la dénommée Penny. Appelé par une urgence, il n’eût pas le temps de réparer sa bévue en s’asseyant avec elle le temps d’un café pour lui rapporter les causes et les circonstances du décès de cette petite fille qui croyait aux contes de fées. Alors, il l’a cherché, cette princesse déguisée dont le seul but est d’apporter un lot de bonheur aux enfants malades. Il a investigué pour découvrir son identité et lui présenter à mots cachés des excuses pour sa rudesse. Or, il ne l’a pas trouvée. D’après les coordinateurs d'événement, elle n’a plus endossé son rôle au sein de l’établissement depuis des jours et, le docteur, nanti d’empathie, a souvent pensé à ses yeux arrondis par la fatalité, ceux qu’il a abandonné au milieu du couloir au profit d’un patient. Aurait-il dû rester auprès d’elle ? Non ! L’ordre de ses priorités est une mécanique bien huilé : d’abord la science à la faveur des malades et l’émotionnel ensuite. Ceci étant, il admettra volontiers qu’il fut content de la croiser au hasard de Brisbane et qu’elle ose le héler. « Oui ! Je sais qui tu es... » a-t-il avancé, probablement aussi avenant qu’elle ne l’est elle-même. Nul besoin de s’attarder sur les salamalecs ou les vouvoiements formels. Elle peut se permettre quelques familiarités puisqu’ils sont liés par un fait : la perte d’une enfant qui aurait mérité mieux qu’un pied de nez du destin. « Et j’ai cherché après toi d’ailleurs. Je voulais être sûr que tu allais bien… » Il aurait pu citer Jackie et ajouter des détails sur l’impression et les émois soulevés en lui par sa sollicitude. Il s’est néanmoins gardé de s’épancher. Il s’est fié à l’implicite parce que, souvent, le langage corporel est plus éloquent qu’un commentaire. Lui, il est susceptible de mettre mal à l’aise. Mais, un sourire qui promet l’humanité, un signe de la tête qui encourage à s’épancher est souvent plus rassurant que toute assertion bancale, mal amenée et, de temps à autre, intrusive.

@edward rhodes
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Jamais je n’aurais pu me douter croiser le jeune docteur ici, de tous les endroits. J’avais cette notion probablement un peu déplacée et hautement influencée par les émissions médicales que j’adorais écouté depuis ma jeune adolescence que tous les médecins, les chirurgiens surtout, vivaient à l’hôpital à temps presque complet. Après tout, on les voyait toujours dans les émissions être présents pour des urgences toujours en lien avec leur spécialisation et ça ne semblait jamais anormal ou exceptionnel. Tout comme tous les médecins de l’hôpital semblaient soudainement disponible pour un mariage et tout autre évènement se déroulant en dehors des murs de leur lieu de travail. J’avais définitivement écouté beaucoup trop de Grey’s Anatomy. Malgré ma réaction initiale de surprise, j’ose m’approcher du jeune homme qui lui aussi semble tout de suite me reconnaître. « Oui! Je sais qui tu es... » Je voudrais lui demander s’il sait qui je suis de part mes différents rôles à la télévision ou de part ma présence en tant que bénévole à l’hôpital, mais je n’ai pas le temps de penser à comment formuler la question que déjà il reprend la parole. « Et j’ai cherché après toi d’ailleurs. Je voulais être sûr que tu allais bien... » Il se souvenait donc. Il se souvenait de notre échange bref et légèrement brusque d’il y a plus d’un mois, lorsque la petite Jackie était décédée. « Oh. » Je passe une main dans mes cheveux. « Je n’avais pas beaucoup de temps cette journée-là et je ne suis pas repassée à l’hôpital depuis. » Je pourrais m’avancer sur les raisons qui m’ont tenu loin de l’établissement, lui dire pour mon tournage à Los Angeles et tout ce qui a suivi, mais je n’en fais rien, me contente de regarder le jeune homme avec un léger sourire sur les lèvres. « Je ne sais pas si vous vous souvenez ou même si vous êtes en droit de me le dire mais… » J’échappe un léger soupir. « Qu’est-ce qui s’est passé? J’ai vu Jackie quelques jours auparavant et elle allait bien. » Du moins, aussi bien que pouvait aller une gamine de son âge vivant à l’étage de pédiatrie d’un hôpital. Sa mort avait donc été un choc pour moi et si j’essayais de ne pas trop y penser, ça demeurait un sujet sensible pour moi.

@Penny Stringer
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Il ne s’est pas contenté de poser sur Penny un regard absent comme s’il n’était de bon ton de l’interpeller en dehors de l’hôpital. Il l’a étudiée, Edward. Il l’a jaugée afin d’évaluer qu’elles étaient les chances pour qu’elle revienne sur le décès de Jackie et ce, pour deux raisons. La première s’édifie sur le besoin de contrôle. Deviner, c’est préparer. C’est anticiper les questions auxquelles il aura droit et tisser mentalement les réponses qui lui seront acceptables et abordables. Elle n’est pas médecin, la jeune femme. Inutile de l’inonder dans une baignoire de mots propres au jargon de son métier. La seconde s’explique par la prudence qu’exige l’intelligence. Il ne peut s’avancer sur un terrain sous prétexte d’une intuition. Il lui a semblé que Penny avait été bousculée par la nouvelle, mais est-il idiot d’envisager que, durant ce mois écoulé, elle est déjà passé à autre chose ? Serait-ce anormal de le lui souhaiter parce que c’est un réflexe humain que de refouler, principalement quand la victime n’a tapissé de rires notre quotidien que quelques jours sur un trimestre et par intermittence ? De son point de vue, le réflexe aurait été sain. C’est celui auquel il se fie lui-même pour ne pas être meurtri par ses échecs. Le cas échéant, ce mécanisme fait l’objet d’une formation et il doute que l’association à laquelle Penny alloue son temps lui ait donné toutes les armes pour affronter le départ définitif et prématuré d’une enfant pétrie de joie de vivre. « Je n’en avais pas non plus.» Du temps à disposition afin de corriger le tir. « Mais, comme je me suis dit que tu aurais eu envie ou besoin de plus de détails. Alors, j’ai cherché après toi.» s’est-il justifié, ponctuant le pronom pour l’inciter à l’imiter. A force d’user de la forme polie, il prenait un coup de vieux alors qu’il quittait fraîchement l’heure bénie de la vingtaine. « Je ne pensais pas que tu... » Que dire ? Qu’ajouter ? Il s’est lancé trop tôt, Edward. Il a oublié de penser les mots avant de les prononcer et il hésite à présent. Doit-il dire : “que tu t’étais attachée ?” ou “que tu étais assis sensible ?” De peur d’être insultant, il renonça. Il balaya le reste de sa phrase d’un geste significatif de la main, un qui sous-entend le “tu as compris où je voulais en venir”. « Et je me souviens. Je ne peux pas l’oublier. Elle était trop faible, à cause de la chimio sans doute.» Il était contre ce qu’il aurait qualifié de “surdosage”, mais il n’est qu’un “assistant” à l’hôpital, un élève en charge d’apprendre des meilleurs, du meilleur résident en faction et qu’il trouve quelquefois trop cavalier. « Son cœur a lâché. On a pas pu réanimer.» Ils en déployèrent des efforts. « Mais, j’aimais bien cette gamine. En parler de façon aussi détachée, c’est une façon de ne pas laisser la déception et la frustration prendre le pas sur le boulot.» Au contraire, il arrêterait. Il ne serait plus médecin. Toutefois, il le tait. Il se contente de lui adresser un sourire compatissant : il comprend. « C’était soudain pour tout le monde. Elle se confiait à toi je présume.» Etait-elle consciente qu’elle était sur la fin, cette enfant privée d’insouciance ?

@edward rhodes
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« Je n’en avais pas non plus. » J’hoche la tête en approbation. Évidemment qu’il n’avait pas de temps, il s’agit d’un médecin après tout. De quelqu’un qui a la responsabilité de la vie de ce que je présume être une dizaine de personnes, ou une vingtaine, peut-être plus, la réalité c’est que je n’en ai pas la moindre idée. J’ai souvent eu envie de demander aux différents professionnels que je croise dans le cadre de mes fonctions de bénévoles combien de patients ils ont réellement sous leur responsabilité, mais ça, comme tout le reste, ça semblait n’être qu’une bonne façon de leur faire perdre du temps. J’étais là pour les enfants après tout, pas pour me faire une éducation dans le domaine médical. « Mais, comme je me suis dit que tu aurais eu envie ou besoin de plus de détails. Alors, j’ai cherché après toi. » « Pardon, je ne savais pas. J’espère que je ne t’ai pas trop fait perdre ton temps. » Je n’ai pas l’habitude de tutoyer les professionnels de la santé, mais je me dis que vu le contexte plus informel de notre présente rencontre, je peux me permettre de transiger à ma règle habituelle. « Je ne pensais pas que tu... » Que quoi? Que je m’étais attachée? Que je prenais trop à coeur la mort d’une petite que je n’avais vu que quelques fois en quelques semaines? C’était possible, je n’avais jamais vraiment eu à faire face à la mort de cette façon avant ce jour-là. « Et je me souviens. Je ne peux pas l’oublier. Elle était trop faible à cause de la chimio sans doute. » Il y a un autre soupir qui quitte mes lèvres, il y a mon coeur qui se serre. Je tente de rester neutre parce que ce n’était pas ma sœur, ni ma fille, ni même une gamine que je connaissais particulièrement bien, pourtant la nouvelle me chavire autant aujourd’hui que la journée de sa mort. « Son coeur a lâché. On a pas pu réanimer. » Ma main vient malgré moi se porter contre ma poitrine alors que je déglutis difficilement. « Mais, j’aimais bien cette gamine. En parler de façon aussi détachée, c’est une façon de ne pas laisser la déception et la frustration prendre le pas sur le boulot. » Détaché. Un adjectif qui n’avait jamais réellement été utilisé pour me décrire. J’ai toujours tendance à m’investir un peu trop. J’aurais été une terrible médecin, sans aucun doute. « Mais tu te souviens de chaque patient que tu traites? » Ça semble tellement contradictoire. Une chose est certaine, j’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui font ce métier. « C’était soudain pour tout le monde. Elle se confiait à toi, je présume. » Je secoue légèrement la tête, haussant légèrement les épaules. « Autant qu’une gamine de son âge pouvait se confier à sa princesse préférée j’imagine. » Elle ne m’avait rien dit de particulier ou d’extraordinaire, mais elle avait ce petit quelque chose que je ne parvenais pas à expliquer. « Elle est la première enfant que j’ai côtoyé à l’hôpital à mourir. » Elle était la première. Et pas le genre de première qui laisse de doux souvenirs, malheureusement.

@Penny Stringer
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Est stupide celui qui s’imagine que les patients ne sont, pour un médecin, que des numéros de dossiers. Peut-être existe-t-il de ces charlatans déshumanisés… Edward mettrait sa main à couper que de tels énergumènes, des ordures dénuées de sens moral, d’empathie et de professionnalisme existe, mais il ne compte parmi ces derniers. Il a choisi ce métier par vocation. Il embrasse sa carrière comme si elle était une fin en soi, sans doute parce que sa réussite serait sa plus belle revanche sur la vie. Elle n’a pas été simple pour lui. Sa mère, dépressive depuis le cancer fatale à son mari, a été démissionnaire. Très tôt, il a dû se substituer à la figure paternelle qui lui manquait de jour en jour. Très jeune, il a compris qu’il était forcé de prendre du recul pour vivre en égoïste si ses rêves comptaient pour lui. Dès lors, lorsque son service déborde sur celui de la pédiatrie, lorsque la victime de ce maudit crabe n’est pas un adulte, mais un enfant, il a mal. Il subit un sentiment d’échec qui lui est difficile à gérer. Il a mal parce qu’il a l’impression que l’abandonné du sort a vu ses ambitions avortées sans que nul ne puisse les sauver. Comment rester insensible à ce genre de fait ? Comment, en conséquence, aurait-il pu l’oublier ? « Non !! J’aimerais bien faire le malin et te dire que je me souviens de tout le monde, mais ce serait te mentir. Et je n’y gagnerais pas grand-chose.» Se mettrait-il en tête de lui faire du charme qu’il aurait peut-être fanfaronner un peu. Il ne serait ni le dernier ni le premier. Toutefois, si l’échange n’a rien de professionnel, il ne nécessite de ce type de subterfuge. Aussi Edward est-il lui, simplement, édifié dans sa sensibilité, celle que nombreux qualifieraient de palpable une fois sorti du cadre médical. « Je me souviens surtout des enfants… et de tous les patients qui m’ont touché, peu importe l’âge. Les enfants, c’est le plus difficile, tu sais. Il y en a toujours bien un pour te rappeler ton petit frère, ta soeur ou même toi quand tu avais leur âge. On s’identifie et ils font la même chose. C’est une des raisons pour lesquelles on aimerait tous les sauver même si c’est pas toujours possible. » Un haussement d’épaules a ponctué cette fatalité, cette impuissance avec laquelle les docteurs apprennent à vivre au quotidien. Ils sont forcés d’en faire leur amie, d’accepter qu’ils peuvent asseoir leur autorité sur les impondérables. Est-ce pour autant facile ? Grand Dieu non ! C’est un apprentissage au quotidien. « Est-ce que je peux te poser une question ? » a-t-il jeté précautionneusement, presque déçu de lui-même. Elle vient d’admettre que c’était la première gamine qu’elle perdait dans l’exercice de ses fonctions gratuites. Sans doute devrait-il attendre avant de remuer le couteau dans une plaie superficielle - peut-être - mais pas entièrement refermée. Néanmoins, il a besoin de savoir lui aussi. Il est curieux autant qu’elle ne l’a été elle-même sur les circonstances. Il est en quête de réponses sur les aspects de l’histoire qu’il ne maîtrise pas. « Est-ce qu’elle t’a laissé sous-entendre qu’elle savait ? Qu’elle avait pu décoder les signes de son corps ? » Savait-elle que sa fin était proche par instinct ? A-t-elle fait mine de dire au revoir à sa princesse préférée ? « En général, ils en sont conscients avant nous et ça aide pour accepter. Que ça soit la première, la deuxième ou la troisième, quand ce sont des enfants, c’est toujours aussi… injuste et jamais sans conséquence.» a-t-il conclu, preuve qu’il l’a entendu et qu’il n’élude ni n’ignore la confidence. Il n’a simplement pas la méthode pour se prémunir des affres de la folie du destin.

@edward rhodes
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« Non !! J’aimerais bien faire le malin et te dire que je me souviens de tout le monde, mais ce serait te mentir. Et je n’y gagnerais pas grand-chose.» Tout de suite je baisse la tête, me sentant presque mal d’avoir assumé une chose aussi grotesque, mais il doit percevoir mon malaise que déjà il renchérit. « Je me souviens surtout des enfants… et de tous les patients qui m’ont touché, peu importe l’âge. Les enfants, c’est le plus difficile, tu sais. Il y en a toujours bien un pour te rappeler ton petit frère, ta soeur ou même toi quand tu avais leur âge. On s’identifie et ils font la même chose. C’est une des raisons pour lesquelles on aimerait tous les sauver même si c’est pas toujours possible. » Il y a quelque chose qui me parle particulièrement dans ce qu’il dit et c’est seulement lorsqu’il mentionne que nous avons tendance à voir en eux des personnes qui nous sont proches que je comprends pourquoi ça me touche d’autant plus. « Je pense que je voyais beaucoup mon jeune frère en elle. » Certes, David n’avait pas le cancer et même si beaucoup de personnes s'entêtent à traiter l’autisme comme une maladie, il n’était pas malade, encore moins mourant. Mais c’était sans doute l’espièglerie de la petite Jackie qui m’avait rappelé David, malgré moi. « Est-ce que je peux te poser une question? » Je fais signe que oui de la tête, incertaine toutefois de savoir à quoi moi je pourrais répondre à ce sujet qu’il ne sache pas déjà. « Est-ce qu’elle t’a laissé sous-entendre qu’elle savait? Qu’elle avait pu décoder les signes de son corps? » Je tente de me souvenir de notre dernière rencontre, des mots qui ont été échangés et je ne parviens pas à mettre le doigt sur une indication de ce genre, alors je secoue la tête légèrement devant le jeune médecin, me pinçant les lèvres. « En général, ils en sont conscients avant nous et ça aide pour accepter. Que ça soit la première, la deuxième ou la troisième, quand ce sont des enfants, c’est toujours aussi… injuste et jamais sans conséquence.» « Je n’arrive pas à me souvenir de ce qu’on s’est dit cette journée-là, je... » J’essaye d’oublier parce que ça fait trop mal de me souvenir. « Je trouve ça difficile, de penser à elle. Alors je le fais le moins souvent possible, je l’avoue. » Je me sens monstrueuse de laisser ses mots échappés de mes lèvres, mais quelque chose me dit qu’il va comprendre. Du moins, je l’espère. « Mais je me souviens de son rire. Elle riait pour tout et n’importe quoi, surtout cette journée-là. » Je ne l’avais pas vu la journée de sa mort, seulement quelques jours auparavant. « Travailles-tu majoritairement auprès des enfants? » Je ne suis pas certaine de l’avoir croisé si souvent sur l’étage. Ou alors peut-être ai-je seulement gardé le souvenir de cette seule et unique rencontre.

@Penny Stringer
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Ce n’est pas un souvenir qui, la nuit, titille sa conscience jusqu’à le réveiller ou l’empêcher de se rendormir. Pourtant, il se rappelle l’âge, la pathologie et le prénom de ce bambin au système immunitaire un peu faiblard. Edward a gravé à jamais dans sa mémoire la couleur de ses yeux et cette lueur d’espoir inspirante qui y brillait lors de son admission à l’hôpital. Il n’a pas non plus oublié la vitesse fulgurante avec laquelle la chimio a étouffé cette flamme d’ailleurs. Elle a étanché la soif de vivre du petit Nathan et, à l'époque, le mentor du jeune oncologue lui a confié que le gosse savait. Il a mis en lumière tous les indices qu’il a semés derrière lui, à commencer par ses sourires surfaits en présence de ses parents et à ses larmes lors de ces minutes solitaires. Lorsque sa réalité l’a frappé - de plein fouet, certainement - il a autorisé le désarroi à l’engloutir tout entier jusqu’à accepter sa fin avec ce que les vivants décrivent comme du soulagement. Bien sûr, Ed n’est pas dupe. Il se doute que cette supposition est un pis aller, un empêcheur de tourner en rond, une façon inventées par ceux qui restent de se rassurer. Mais, médicalement parlant, ce n’est pas stupide. Les traitements sont lourds. Ils affaiblissent. La douleur est réelle quand on souffre d’une tumeur maligne. Elle n’est pas somatisée pour attirer l’attention ou manquer un jour d’école. Alors, il a choisi de croire en cette excuse parce qu’elle l’aura aidée à mieux digérer son propre sentiment d’abandon, celui qui le poursuit depuis la mort de son père. Certes, il s’en est servi sur le tard, mais pour l’heure, il estime que c’est une clé qu’il se doit de partager avec Penny. Elle est ébranlée : elle est trahie par cette main sur son coeur et ses nombreux soupirs. De plus, sa mémoire a éludé les informations se rapportant à Jackie, réflexe naturel pour s’éviter toute culpabilité inutile. Elle n’est responsable de rien. « C’est normal ! Et on devrait marcher un peu d’ailleurs. » Rien ne les oblige à rester au milieu de la foule comme des poteaux. Il est seul. Elle aussi. Quoi de plus salutaire pour l’esprit que quelques pas ? « C’est normal et c’est une bonne chose. Tu prends du recul. Tout le monde le fait. Même quand c’est un proche, ce qui est source de complications après… d’après ce que j’en sais en tout cas.» Ce n’est pas écrit dans les livres de médecine que rire est mal perçu quand on est en deuil d’un proche. « Et, pour répondre à ta question, non… c’est assez rare et heureusement. Au départ, j’aimais bien ça, surtout quand ça se passait bien, tu t’en doutes. Mais, j’en ai un depuis… et ça change la perception des choses, même de mon métier. Je suis toujours un peu ébahi par votre gentillesse.  » La sienne et celle de tous les collègues déguisés en super-héros ou en Jasmine. « Moi, si je pouvais éviter l’étage ad vitam aeternam, je n’hésiterais pas. Mais aucun d’entre nous n’est là par hasard.»  Par là, il faut entendre “hôpital.” Ils ont tous une raison justifiant leur choix de carrière ou d’associations caritatives. Celle de Penny, quelle est-elle ? A-t-elle côtoyé un enfant malade ? En fin de vie ou qui en jouit d’une extraordinaire au regard de la normalité sociétale ? « Moi, c’est mon père !!!  » a-t-il avoué, soudainement étonné par sa propre révélation. « Et toi ? C’est ton frère ? » s’est-il aussitôt permis pour faire la part belle à son aveu et l’émotion qu’il génère en lui. Il se l’autorise parce qu’elle l’a évoqué plus tôt dans la conversation et qu’il est attentif, Edward. Il ne rebondit pas toujours à la seconde, mais il entend… toujours.

@edward rhodes
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« C’est normal! Et on devrait marcher un peu d’ailleurs. » Je n’avais même pas réaliser que nous étions restés là, plantés l’un devant l’autre au beau milieu de la foule alors que différents groupes s’excitent derrière nous. J’en déduis que les courses de bateaux sont sur le point de commencer pour vrai si je me fis à l’excitation commune et l’engouement soudain autour du quai. On se met à marcher en sens inverse avec le docteur Rhodes, dont le prénom m’échappe toujours. Je regarde droit devant moi, me permettant pour une rare fois de me souvenir pleinement de mes quelques moments échangés avec la jeune fille atteint d’un cancer. Selon ce que le jeune homme m’a dit, le traitement aurait été trop difficile a supporté pour son corps déjà faibli. J’essaye de comprendre comment ça se fait que la chose qui est censée guérir puisse faire plus de mal que de bien. Elle méritait tellement mieux, Jackie. Comme tous ceux qui sont morts avant elle, et ceux après elle qui meurent jour après jour. J’ai le coeur lourd d’y penser, je ne sais pas si j’ai la force de réellement me plonger dans quelque chose d’aussi triste. « C’est normal et c’est une bonne chose. Tu prends du recul. Tout le monde le fait. Même quand c’est un proche, ce qui est source de complications après… d’après ce que j’en sais en tout cas. » [color=mediumorchid]« Je n’ai jamais perdu qui que ce soit auparavant… Quelqu’un de proche, je veux dire. » Est-ce que c’était quelque chose de particulier qu’à mon âge, si près de la trentaine, je n’ai jamais été confronté à la mort avant le mois passé? Mes parents étaient en pleine santé et j’avais encore mes quatre grands-parents, même si la santé se faisait de plus en plus fragile pour chacun d’entre eux de différentes manières. Pas de tante ou de cousine à la mort suspecte non plus. Ça viendrait évidemment, je ne me faisais pas d’idée là-dessus, mais j’avais l’impression que la mort de Jackie était venue éveillée quelque chose de nouveau chez moi, cette réalisation soudaine que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. « Et, pour répondre à ta question, non… c’est assez rare et heureusement. Au départ, j’aimais bien ça, surtout quand ça se passait bien, tu t’en doutes. Mais, j’en ai un depuis… et ça change la perception des choses, même de mon métier. Je suis toujours un peu ébahi par votre gentillesse. » Je secoue la tête légèrement. « Pour être bien honnête, c’est mon agente qui m’a proposé de faire du bénévolat pour aider à redorer mon image. » Je suis gênée de l’avouer, surtout que j’ai réellement pris goût à ce rôle depuis. « Mais depuis que j’ai commencé, je le fais vraiment pour les enfants. Si je peux adoucir leurs douleurs et leurs peines ne serait-ce que pour quelques minutes, je me trouverais bien égoïste de ne pas le faire. » Même si je peinais plus que de raison avec le contre-coup quand l’histoire ne se terminait pas aussi bien que dans les livres. « Moi, si je pouvais éviter l’étage ad vitam aeternam, je n’hésiterais pas. Mais aucun d’entre nous n’est là par hasard.» J’échappe un léger rire. Je ne peux pas le blâmer après tout, l’idée même d’y retourner depuis la mort de Jackie me met toute à l’envers. « Moi c’est mon père!!! Et toi? C’est ton frère? » Je fais signe que oui de la tête. Tant qu’à être dans la confidence, aussi bien tout dire. « Oui, mon petit frère autiste. J’aime croire que si c’est lui qui devait se retrouver à l’hôpital, il y aurait des gens bienveillants pour venir le voir. » Certes, il est maintenant trop vieux pour être dans l’aile pédiatrique. Je n’ose même pas imaginer comment il gérerait, si jamais il tombait malade. « Et toi? C’est ton père qui t’a inspiré à faire le métier que tu fais? » Il a déjà dit oui, mais j’espère qu’en retournant l’information, il comprenne que je suis curieuse d’en savoir davantage.

@Penny Stringer
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Il ne la jugeait pas d’être ébranlée par la mort de cette petite fille. Edward, pour côtoyer différentes personnalités de par ses fonctions, sait qu’il existe des gens émotionnellement robuste et d’autres plus sensibles. D’instinct, et si tant est que ça soit convenable et nécessaire, il avait classé Penny dans la seconde catégorie. Est-ce grave ? Pas le point du monde. Lui-même n’est pas dénué de sensibilité. Le cas échéant, alors que la jeune femme lui confie qu’elle n’avait jamais été confrontée à la mort d’assui près, il comprend tant et si bien que les mécanismes de l’empathie s’active en lui. Il aimerait trouver les mots pour l’aider à prendre du recul autrement que par la fuite, mais est-ce son rôle ? Est-ce le leur que d’être abattu à cause du sort d’une presque inconnue ? Penny n’a visiblement aucune envie de s’épancher sur ce qu’elle ressent et que faire de plus si ce n’est respecter ? Que se taire ? Que garder sur leur trousseau les clés qui aide à accepter la fatalité ? Se promener le long des quais lui semblant soudain plus à propos, il l’y a donc invitée et, sans méfiance, la brunette lui a emboîté le pas. En chemin, il prend la peine de répondre à sa question, de lui confier que la naissance de son fils a quelque peu chahuté ses choix de carrière. C’est compliqué de se frotter à la réalité des gamins coincés à l’hôpital quand on craint, au jour le jour, qu’une catastrophe ne fauche le fruit de nos entrailles. Malheureusement, il n’a pas toujours le choix contrairement à la bénévole qui a sciemment décidé de flirter avec la mort quelques jours par semaines ou sur le mois. Il est admiratif et il l’admet, un sourire sur les lèvres, une grimace qui s’est affadie alors que la vérité tombe. Bien entendu, elle n’est pas teintée d’un quelconque mépris. L’oncologue est davantage surpris par sa franchise et le virage à 180 degrés qu’elle emprunte. Ce qui n’était au départ qu’une obligation s’est transformé en réel plaisir a priori. « Et ? Tu ne regrettes pas maintenant ? » l’a-t-il questionnée, un regard curieux tourné dans sa direction dès lors qu’il prend conscience de ce qu’implique le vocabulaire utilisé. Agente ! Image ! Tout cela sous-entend célébrité, renommée et, en conséquence, personnage public. «C’est quoi ton vrai métier ? Tu es mannequin ? » A moins qu’elle ne soit trop petite ? « Actrice ? Chanteuse ?» Machinalement, il la détailla avec l’espoir de reconnaître un trait qui lui serait familier, mais rien ne lui vient. Pour lui, elle n’est qu’une inconnue avec laquelle il partage une épreuve désagréable et affligeante, une qu’elle semble aujourd’hui s’imposer pour ce que représentent ces gosses. A-t-elle perdu un frère comme il a perdu son père ? Étonnamment, il ne tait pas sa propre perte. Il fait, via des sous-entendus, état de son propre deuil, ce qui est assez rare pour être souligné. « Il a quel âge ? Ton frère ?  » Vivant d’après ce qu’il entend de son commentaire et c’est une chance, quoiqu’il est lui-même différent par rapport aux diktats de la société actuelle. “Que Dieu le bénisse” pensa-t-il aussitôt, l’évocation de cette Supériorité le ramenant toujours à son papa. « Oui ! Il est parti trop tôt pour moi. » Autrement dit, il avait encore besoin de lui quand il est décédé dans des souffrances physiques non contagieuses et d’autres, psychologiques, qu’il aura transmises à ses proches. « Je me suis dit qu’en étant médecin, je pourrais éviter à d’autres gamins de vivre la même situation que moi. Sauf que c’est pas aussi efficace que je ne l’aurais voulu. »a-t-il conclu en haussant les épaules, signe de déception, à défaut de regrets.

@edward rhodes
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« Et ? Tu ne regrettes pas? » Même si dans le moment je suis tentée de lui dire que je trouve ça difficile suite à la mort de Jackie, il m’est tout simplement impossible de répondre autrement que par la négative. Je ne regrette pas mon adhésion comme bénévole au sein de l’association du Royaume Enchanté. J’en garde trop de doux souvenirs pour complètement tourné mon chapeau de bord. « Non, pas du tout. Je savais que le moment où je devrais faire face à la mort viendrait tôt ou tard. J’aurais préféré plus tard, mais je sais bien que ce n’est pas le genre de choses que l’on peut choisir. » Au contraire. La faucheuse ne prenait pas de rendez-vous, ne respectait aucun ordre ou aucune formule. Elle allait au gré du vent et de ses envies, et si les plus scientifiques se basent sur des données X et Y pour conclure des raisons de décès, je ne pouvais que voir le tout comme un cruel coup du Destin. Impardonnable, mais nécessaire. « C’est quoi ton vrai métier? Tu es mannequin? » J’échappe un léger rire à la simple idée, secouant doucement la tête alors qu’il émet d’autres hypothèses, toutes en lien avec des métiers nécessitant un agent, détail que j’ai laissé glisser pensant naïvement qu’il savait qui j’étais. J’avais pris la mauvaise habitude de prendre pour acquis que tout le monde me connaissait à Brisbane, bien que ce n’était évidemment pas le cas. « Actrice? Chanteuse? » Je le vois me regarder, probablement désireux de répondre lui-même à sa question mais devant son silence, je me décide finalement à lui offrir l’information. « Actrice. Plus ou moins populaire grâce à l’émission The Neighborhood dans laquelle j’ai joué pendant plusieurs années. » Ça commençait toutefois à dater de presque cinq ans et je réalisais que si ce n’était des articles multiples sur ma fausse vie amoureuse, je n’étais pas apparue dans un film ou une émission depuis bientôt deux ans. Heureusement, cela allait changé cette année. « Il a quel âge? Ton frère? » « 19 ans. » La vingtaine en approche, la vie devant lui, bien que soudainement il semblait plus compliqué qu’autre chose de trouver une place pour David. Il ne pouvait travailler de manière autonome et il était désormais trop vieux pour le système scolaire, ce qui emmenait un lot de problèmes et de questionnements à mes parents qui devaient s’occuper de lui à temps plein. « Oui! Il est parti trop tôt pour moi. » « Je suis désolée de l’apprendre. » Une fois de plus, je me retrouve sans mot devant la révélation du médecin. « Quel âge avais-tu? » Si cela a influencé son choix de carrière, je m’imagine déjà qu’il a perdu son père très jeune ce qui me serre le coeur à nouveau. « Je me suis dit qu’en tant que médecin, je pourrais éviter à d’autres gamins de vivre la même situation que moi. Sauf que c’est pas aussi efficace que je ne l’aurais voulu. » Je hoche doucement la tête, n’imaginait même pas le poids qui vient avec la responsabilité de vies humaines entre ses mains. « Ne sois pas si dur avec toi-même. Très peu de gens sont capables de faire ce que tu fais dans la vie de tous les jours. » J’en serais complètement incapable, je ne me fais même pas d’idée à ce sujet.

@Penny Stringer
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Redorer son blason, sa réputation, ce fut au départ le moteur de son investissement pour les gamins, un moteur somme toute égoïste dont elle a lourdement payé le tribut. Elle a flirté avec les conséquences pendables de biens des gosses enfermés dans cet hôpital. Toutes actions, qu’elles soient gratuites ou intéressées, comportent son lot de conséquences. Aussi, l’écoute-t-il avec attention, curieux de comprendre, admiratif de son honnêteté et ça fonctionne : elle est convaincante. Il entend que ce qui n’était qu’au départ une manoeuvre “politique” est devenu au contact de ces mômes un réel plaisir. Peut-être prend-il des raccourcis, mais il jurerait que, comme lui, elle est consciente que ces mômes ont énormément à nous apprendre sur la vie et sur nous-mêmes. Ils sont riches d’apprentissage pour les gens lambda dont la principale peur n’est pas de mourir, mais de vieillir. Il mettrait par ailleurs sa main au feu que Penny ne fait pas l’exception : elle est actrice. Son métier dépend de deux qualités : son physique et son talent. A priori, s’il en croit les quelques détails dont il lui fait cadeau, il est supposé l’avoir déjà vue à la télévision, mais le titre même de l’émission ne lui dit absolument rien. « Je suis désolé. » a-t-il donc lancé, les lèvres tordues par la honte. Il a vécu une bonne partie de sa vie dans une grotte avec pour seuls compagnons ses syllabi et sa petite amie, aujourd’hui devenue sa femme. « Enfin, si, le titre me parle, mais je n’ai jamais regardé. Ma soeur oui, je crois. Et, depuis ? Tu bosses sur quoi ? Si je peux savoir» Il nota dans un coin de sa tête de ne surtout pas fouiller google en quête d’informations complémentaires. La presse à scandale grouille de rumeurs en tout genre et Penny, elle lui fait bonne impression, bien assez pour qu’il ne prenne pas le risque de la ternir, bien assez pour outrepasser ses propres habitudes sous prétexte qu’elle parle librement de son petit frère : jamais il ne parle de son père. « Autiste. Dix-neuf ans. Ça ne doit pas être facile tous les jours pour lui. Il s’en sort ?» s’enquit-il en jetant quelques regards vers la foule. Inutile de mettre la jeune femme mal à l’aise tandis que la conversation prend un tournant étrange. « Jeune. Très jeune. Beaucoup trop à mon goût et au goût de mes frères et soeurs et même de ma mère. Elle a eu du mal à gérer. » Sur la question, il n’ajoutera rien. Ellie Rhodes est un sujet tabou pour toute la fratrie. « Je me dis juste que… que je pourrais en faire plus. Si pas pour les malades eux-mêmes au moins pour ceux qui restent. Tu sais combien de gosses se retrouvent dans la même situation que moi sans savoir comment gérer ? Sans savoir où est leur place ? »
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@edward rhodes
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« Je suis désolé. » Je m’empresse de faire des signes des mains en secouant la tête, l’air de dire que ce n’est pas grave du tout. Je dois vraiment arrêter de croire que tout le monde a vu cette série, même s’il s’agit d’un classique australien qui tourne depuis des dizaines d’années et qui continuera de jouer des dizaines d’années après mon passage temporaire quoique définitif pour ma carrière. « Enfin, si, le titre me parle, mais je n’ai jamais regardé. Ma sœur oui, je crois. Et depuis? Tu bosses sur quoi? Si je peux savoir. » La série venant tout juste d’être terminée, je peux me permettre de partager quelques détails qui sont encore inédits pour le moment. Si je me méfie normalement d’un peu tout le monde, ne sachant pas qui serait assez tordu pour utiliser ce que je dis en confidence contre moi, quelque chose me dit que le médecin me faisant face n’est pas le genre à téléphoner très fréquemment à la presse pour mentionner des informations sur des actrices dont il ignorait jusqu’à l’existence quelques minutes auparavant. « Je viens de boucler le tournage d’une série romantique pour Netflix qui paraîtra dans le temps des fêtes 2021. » Aucune promotion n’avait encore été faite pour la série romantique sous thématique de Noël, Netflix tenant à surprendre son audience en temps et lieu pour faire l’annonce du retour de Rory Craine et Penny Stringer à l’écran pour jouer des amoureux. « J’ai eu la chance de tourner en dehors de l’Australie pour la première fois. D’où mon absence à l’hôpital dans les dernières semaines. » Et si je ne me sentais pas encore tout à fait prête à y retourner, je savais que le moment viendrait, bien plus vite que je ne le voudrais. Je m’attends à voir cette pitié habituelle dans le regard du médecin lorsque je mentionne David, mais rien. Juste cet air sérieux mais compatissant qu’il m’offre depuis le début de cet échange. « Autiste. Dix-neuf ans. Ça ne doit pas être facile tous les jours pour lui. Il s’en sort? » Je secoue vaguement la tête. « C’est compliqué en ce moment. Il n’y a pas beaucoup de services pour quelqu’un de son âge. » La responsabilité complète revient donc à mes parents de s’occuper de lui à temps plein, chose qui est de plus en plus difficile à faire. Je redoute le jour où ma mère ne pourra plus suivre son rythme Je ne sais pas encore quelle sera la meilleure décision à prendre à ce moment, je préfère ne pas y penser trop souvent. « Jeune. Très jeune. Beaucoup trop à mon goût et au goût de mes frères et sœurs et même de ma mère. Elle a eu du mal à gérer. » Je me pince les lèvres, je ne sais pas quoi dire de plus que ce désolée que j’ai déjà laissé filer il y a quelques secondes. Ça me semble bien peu pourtant, mais existe-t-il vraiment des mots réconfortants dans cette situation? Il doit le savoir mieux que quiconque. « Je me dis juste que… que je pourrais en faire plus. Si pas pour les malades eux-mêmes au moins pour ceux qui restent. Tu sais combien de gosses se retrouvent dans la même situation que moi sans savoir comment gérer? Sans savoir où est leur place? » Je fais signe que non de la tête. Je n’en ai aucune idée. « Beaucoup trop j’imagine. » Des centaines, des milliers sans doute. Il en croise tous les jours, sans aucun doute. « Tu fais déjà beaucoup, en voulant sauver les blessés et guérir les malades. Le reste, c'est hors de ton contrôle, tu ne penses pas? » Dure à dire, sûrement encore plus difficile à entendre.

@Penny Stringer
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Série. Netflix. Fêtes 2021. Douterait-il du propos de la jeune femme qu’il devrait accepter que tout sonne juste dans ce qu’elle raconte. Doit-il lui demander un autographe ? A-t-il le droit de plaisanter un peu ? Il estima que pour la première option, il éviterait. Il n’a pas envie de voir son interlocutrice comme une actrice étant donné qu’il sera amené à la recroiser dans le cadre de l’hôpital. En revanche, quel mal y-a-t-il à l’asticoter un peu ? « Je présume que bientôt tu n’auras plus besoin de ton déguisement pour faire briller les yeux des gosses… ou du même déguisement pour qu’on te fiche la paix.» s’amusa-t-il, lui adressant un sourire en coin. Il n’était pas narquois, simplement taquin. « Tu as tourné où ? Et avec qui ? Quelqu’un de...» De notable ? D’assez connu pour qu’il ait l’air moins ignare en matière de media ? « Quelqu’un que ma femme aimerait par exemple ? » Il a opté pour cette formule parce qu’il sembla plus délicate et n’en ont-ils pas besoin alors que la discussion s’annonce de suite moins anodine ? On commença par les difficultés de son frère à s’intégrer et Ed actionna d’emblée la mécanique des coudes. « A l’hôpital peut-être. C’est l’endroit idéal. Brancardier ou au service du courrier. A quel point son autisme parasite sa communication ?  » Son intégration au monde appartement à la majorité, le seul pour qui il s’adapte puisqu’il a tendance à ignorer les autres, les moins bien représentés, comme les gosses en deuil finalement.   Malgré le contexte de cette rencontre - sans la mort de Jackie, sans doute ces deux-ci n’auraient rien échangé de plus qu’un signe de la tête poli  dans les couloirs de l’hôpital - il est quelque chose d’amusant et de révélateur dans cette conversation. Lui, plus hardi et moins secret qu’à l’habitude, il traite de la mort de son père. Certes, il n’entre pas dans les détails. Il n’explique pas à Penny comment le cancer l’a fauché sans la moindre hésitation en quelques mois à peine. Il ne rapporte pas non plus comment ses proches et lui en ont souffert, comment certains d’entre eux ne s’en sont par ailleurs jamais relevés. Il se contente du minimum et, pour cause, l’espace d’un instant, il s’est convaincu que le frère qu’elle évoque a entrepris ce voyage en aller simple vers les jardins d’Eden. Il s’est également imaginé qu’il n’était qu’un gosse à peine entré dans l’adolescence ou y approchant, raison pour laquelle Jackie avait inspiré à Penny un souvenir si percutant qu’elle s’est prise d’affection pour la gamine bien malgré elle. Sauf qu’il a fait erreur. Il a tissé seul cette histoire sur base de détails qu’il aura cru saisir dans le discours de son interlocuteur.  Regrette-t-il toutefois de s’être épanché sur son histoire ? Pas le moins du monde. Lui, qui à l’accoutumée évite le sujet, se prête à un nouveau jeu de déduction dont l’issue est presque une évidence : il a parlé parce qu’il en avait besoin. Il s’est exprimé parce que Penny est une inconnue qui ne compte pas parmi le cercle de ses proches. Il n’a pas à craindre sa pitié. Au mieux, elle hochera de la tête. Au pire, elle l’observera d’un regard compatissant et lui glissera en quelques mots qu’elle est désolée. S’en vexera-t-il ? Non ! Il considérera simplement qu’elle ne sait que faire de cette confidence. Elle ne sera par ailleurs ni la première ni la dernière. Or, elle tente de le rassurer alors qu’il se montre exigeant envers lui-même. A son sens, il n’en fait pas assez. De son point de vue, il passe à côté de son objectif et de ses ambitions. Mais comment faire pour les atteindre quand ses journées sont, comme pour toutes autres, limitées à vingt-quatre heures dont six ou sept sont allouées à recharger ses batteries. « Non ! Je pense que j’ai choisi la mauvaise spécialité et pas le bon combat. Je pense qu’il faut que me concentre sur ce qui moi m’a blessé quand j’étais petit et c’était pas le cancer, mais l’abandon, l’impression d’être seul après coup.» a-t-il confessé, bien trop pensif. « C’est ça que je dois faire. Mais, je ne sais pas encore comment m’y prendre pour être tout à fait honnête.»
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@edward rhodes
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« Je présume que bientôt tu n’auras plus besoin de ton déguisement pour faire briller les yeux des gosses… ou du même déguisement pour qu’on te fiche la paix. » « Je crois que les enfants vont toujours préférer La petite sirène à mes autres rôles et puis la perruque me permet un anonymat qui est plutôt agréable, je l’avoue. » C’est d’ailleurs pour cette raison que j’arrive généralement déjà déguisé à l’hôpital et que j’attends d’être dans ma voiture pour retirer ma perruque. Les grands ne voient alors qu’une princesse et non pas une actrice et les enfants sont tout de suite transportés dans le monde magique de Disney. « Tu as tourné où? Et avec qui? Quelqu’un de… Quelqu’un que ma femme aimerait par exemple? » « J’étais à Los Angeles jusqu’à il y a quelques jours à peine. » J’échappe à nouveau un léger rire. Je ne suis pas la plus impartiale pour parler des looks de Rory, mais je sais que même en dehors de mes propres sentiments pour le Craine, son look a toujours été apprécié par la gente féminine. « Je ne sais pas si le nom Rory Craine lui serait familier? Il a fait quelques films et séries australiennes lui aussi. » Dans mon univers, tout le monde sait qui est Rory, mais j’ai conscience que tout comme moi, il n’est pas connu par toute la population australienne même s’il est facile de croire le contraire. « À l’hôpital peut-être. C’est l’endroit idéal. Brancardier ou au service de courrier. À quel point son autisme parasite sa communication? » Je n’ai pas l’habitude de faire face à quelqu’un qui s’y connaît autant et c’est le regard au sol que je secoue finalement la tête. « Il est non-verbal. Il a aussi une déficience intellectuelle. Impossible pour lui de faire ce genre de métier. » Ou quelconque métier, vraiment. Je tente de remettre un sourire sur mes lèvres, je ne veux surtout pas qu’il pense que j’ai mal pris ses questions. De savoir pour la mort de son père et du trou que cela a créé dans son univers me chagrine et j’essaye tant bien que mal de le rassurer quant au fait qu’il offre déjà beaucoup de lui-même dans un univers qui n’a rien de facile. « Non! Je pense que j’ai choisi la mauvaise spécialité et pas le bon combat. Je pense qu’il faut que je me concentre sur ce qui moi m’a blessé et c’était pas le cancer, mais l’abandon, l’impression d’être seul après coup. C’est ça que je dois faire. Mais, je ne sais pas encore m’y prendre pour être tout à fait honnête. » « Ça semble être des blessures psychologiques plutôt que physiques... » Je ne savais pas quel était sa spécialisation, oncologie peut-être selon ses dires, mais je pouvais facilement entendre qu’il se remettait en question. « Tu es interne ou résident? Tu pourrais encore te réorienter? » Je ne sais pas si c’est aussi simple qu’on le voit dans les films, mais ça semble assez le troubler pour que je ressente le besoin de le mentionner.