“Si tu le dis.” Elle n’est pas convaincue et je parierai même qu’elle doit être vexée. De la façon dont j’ai pu la prendre, de la façon dont j’ai interprété les choses. Je ne me rappelle pourtant pas lui avoir donné de quoi espérer plus mais il faut croire que j’ai un talent certain pour la comédie. Ce qui n’est pas franchement un compliment dans ce contexte-là, surtout quand je m’en sors pour manipuler le monde à ma guise, que je mens et j’omets sans (presque) aucun scrupule. Heather s’en fichera de savoir que j’ai passé des jours, des semaines à m’en vouloir, à me maudire, à même songer de lui envoyer un message. Pour m’excuser. Mais ma conscience était si lourde, si intense que je savais que si Heather ne me répondait pas ou, pire, si elle m’envoyait dans le mur un peu plus fort, j’aurai creusé le trou de ma propre tombe tellement que la culpabilité m’a rongé. Je m’en veux encore maintenant, une nouvelle fois en revoyant ses prunelles claires et ses cheveux solaires ; je n’ai jamais réussi à faire la paix avec cette histoire, d’autant plus que le karma s’est vengé quelques années après en faisant de moi la victime, pour une fois. Je n’ignore pas ce qu’Heather a donc pu ressentir mais il est de toute façon trop tard pour réparer mes fautes. Mes erreurs sont difficilement assumables et il est certain que je n’irai pas m’en vanter. Je ne me vante de rien quoiqu’il arrive en premier lieu. “Est-ce que tu peux écouter correctement ce que je te dis pendant 5 putains de minutes. Je ne te dis pas de vivre à ses dépens, je te dis juste que si lui a réussi dans le secteur de la restauration. Pourquoi tu ne réussirais pas dans celui de la pâtisserie ? Tu sais, c’est grâce à toi que j’ai découvert mon dessert préféré et depuis, je n’ai pas trouvé celui pour t’égaler.” Je pourrai presque sourire à la fin de son discours mais non, parce que le reste me désespère autant qu’il m’en fout de nouveau sur les épaules. Mon frère par-ci, mon frère par-là, vois comment ton frère a réussi, vois qu’il fait ce qu’il aime, pourquoi tu ne peux pas faire pareil, Primrose ? Parce que lui est Caleb et que je suis Primrose et que cette différence qu’honorent nos cartes d’identité est la raison même pour laquelle cette raison n’est pas valable. C’est le genre de discours qui me fait bouillonner de l’intérieur, en ayant par-dessus la tête que l’on me foute toujours et encore le succès de mon frère au visage. Je n’ai pas besoin de toi pour en avoir conscience, Heather. Je m’énerve contre elle intérieurement tout en essayant de paraitre le plus calme possible face à l’actrice. Cela ne servirait à rien d’hausser le ton et je ne préfère pas aller sur ce terrain avec Heather. Ce ne sont pas ses oignons, après tout. “Heureuse de l’apprendre.” De savoir que ma tarte au citron reste la meilleure qu’elle ait mangé. C’est ma fierté à moi, clairement. Pour le reste, je ne répondrai pas. C’est un terrain bien trop miné pour moi, je m’y refuse catégoriquement.

“Tu te balades en ville alors qu’un gâteau cuit dans ton four ? Enfin qu’importe comme tu te doutes j’ai des choses à faire aussi de mon côté.” Je l’observe en balayant ma main dans l’air. “C’est une expression. Je ne suis pas assez stupide pour partir de chez moi avec un gâteau qui cuit.” D’autant que je n’habite pas à côté et que je n’ai pas assez confiance en mes colocataires pour qu’ils gardent un oeil sur une cuisson potentielle. “Je vais te laisser alors.” Comment finit-on ce genre d’interaction ? “Passe une bonne journée” ? “Je suis contente de t’avoir revu” ? (non) “A plus tard” ? Non, franchement, je l’ignore. Mes yeux passent furtivement sur l’actrice avant de regarder la vitre du restaurant tout en m’approchant maladroitement de la porte. “Je- Euh, bye.” Voilà qui est sobre, non ? Si on veut, bien sûr. Carrément ridicule aussi mais c’est mieux que de partir comme une voleuse. Contrairement à la dernière fois.