“the world is too much with us ; late and soon, getting and spending, we lay waste our powers. little we see in nature that is ours.”feat @rose grant & birdie cadburry 2015
Une journée comme une autre. Birdie a fini d’écrire la page d’un journal que personne ne lit, bien trop en décalé avec le commun des mortels, mais qui a le mérite non seulement de l’amuser elle mais en plus de joindre sa passion pour l’écriture. Pour une fois qu’elle peut mettre son talent inné mais caché de tous à la vue de certains, de quelques privilégiés, c’est un bonheur simple pour la jolie blonde qui sait toujours se contenter de peu. Malgré ses extravagances, ses envies multipliées, diverses, variées qui ont tendance à rajouter des tonnes et des caisses autour du personnage qu’elle est. La Cadburn n’a pas créé ce qu’elle montre au monde ; elle est telle qu’elle a toujours voulu. On pourrait croire qu’elle se cache derrière ses tenues étranges, derrière sa vision d’un monde qu’elle seule semble voir, que tout ceci n’est qu’une mascarade afin de duper tout le monde. Mais ce n’est pas le cas. Quand on connait un peu mieux Birdie Cadburry, il est facile de voir qu’il n’y a pas de superficialité avec elle, quand bien même elle accorde énormément d’importance à l’image que l’on peut renvoyer.
Alors quand Birdie décide d’aller au parc ce jour–là, son stylo lui servant de pince pour faire tenir ses cheveux et une clope coincée sur le dessus de l’oreille, c’est forcément pieds nus qu’elle le fait. Une enfant de la nature comme elle peut l’être ne peut qu’avoir envie de communier avec ses pairs en plein milieu de la ville. Il n’est pas rare de voir la demoiselle n’être chaussée de rien, sa voute plantaire étant plus solide et résistante à force que n’importe quel roc de cette planète. La petite blonde n’a pas son pareil pour garder les yeux en l’air, pour s’émerveiller d’un simple oiseau qui piaille un peu trop – un confrère ! – d’observer les nuages et leurs formes, de râler brièvement aussi quand une balle d’une bande de gamins atterrie entre ses jambes. De mauvaise grâce qu’elle le leur renvoie, les blâmant de gêner la quiétude de l’endroit alors que vraiment, elle n’est pas de ceux qui peuvent se permettre de faire ce genre de commentaires. Il n’y a qu’à demander les habitants de la forêt de son quartier natal à Elimbah pour souligner le caractère ironique et hypocrite de telles pensées. Mais tant pis, Birdie assume qu’ici, ce n’est pas la forêt et que ces gamins sont de véritables nuisances.
Mais ce n’est rien comparé à une bouteille en verre brisée au sol, un cadavre d’alcool étalé sur l’herbe qu’elle ne voit forcément pas. « Par les enfers d’Excalibur ! » Le dessous de son pied se plante dans un morceau de verre et, même si solide comme un roc que sa peau à cet endroit peut être, cela n’empêche pas la blessure qui se forme. Birdie grimace, Birdie a mal et Birdie se retrouve à tenter de clopiner avant de s’arrêter. « Excusez–moi, vous pourriez m’aider ? » qu’elle demande au premier venu, cela même qui la regarde de haut en bas et de bas en haut, l’œil suspicieux. « Je suis pressé. » Birdie sent là l’excuse la plus bidon du monde et elle plisse les yeux. « Vraiment ? Tout ce que je demande, c’est un peu d’aide. Je pisse le sang, là, au cas où c’était pas visible. » Mais le bougre secoue la tête et se lève rapidement du banc sur lequel il est assis, regardant sa montre. « Ma pause repas est finie. Vous avez qu’à porter des chaussures comme tout le monde. » La Cadburn voit rouge, noir, jaune scintillant, un panel de couleurs devant cette réplique absolument ahurissante et scandalisant. Il n’y a rien de pire comme insulte à ses yeux et elle se raidit alors que le type commence à s’en aller. « C’est ça, et vous, retournez à votre job de petit bureaucrate merdique qui semble plus important que d’aider un de ses concitoyens qui s’est blessé ! » Vraiment, il peut aller se faire voir, chez les grecques, les russes et même les groenlandais.
Après sept ans passés à Melbourne, te voilà de retour à Brisbane. Ton diplôme de styliste en poche, tu es revenue à tes racines. Elles t’ont terriblement manquées. Même si tu es y revenue ponctuellement durant cette période, rien ne vaut de les côtoyer quotidiennement. Tu n’as pas trouvé meilleur endroit pour ta seconde naissance. Tu aimes cette ville. Tu y as grandi. Tu y as tes parents. Tu y a tes repères. Plutôt, tu les avais. En sept ans, divers travaux ont modifié les architectures et ton environnement. L’espace vert en face de ton nouvel appartement n’existe plus. Un champignon de parpaings nommé maison y a poussé. Ses propriétaires ont tout de même conservé un morceau de sa verdure via leur jardin. Ils y ont même installés une balançoire. Tu as pu apercevoir, et surtout entendre rire, leurs deux jeunes enfants s’amuser dessus. Finalement, la différence avec le coin de ton enfance est presque inexistante. Presque seulement. Tu ne peux pas profiter de ce jeu toi-même. Non pas à cause de ton âge. A vingt-trois ans, tu as toujours cette envie ludique juvénile. Il y a simplement un frein lié à la propriété privée. Il faudrait que tu deviennes amie avec tes voisins. En une semaine, tu n’as pas eu le temps de leur rendre visite et de te présenter. Tu sors à peine du déballage de ton dernier carton.
Tu y penseras plus tard. De toute façon, leurs voitures ne sont pas là à l’heure actuelle. Ils doivent être à leur travail. Tu aviseras en rentrant. Si ton esprit n’est pas en train de divaguer à autre chose. Sinon tu reporteras au lendemain comme tu fais à chaque fois. Tu es la reine de la procrastination. Mais ce n’est pas volontaire. Tu n’y peux rien si tu es étourdie à faible mémoire. Enfin, étrangement, tu ne l’es pas pour rejoindre le parc. Tu te souviens parfaitement du chemin à parcourir. Tes pas t’emmènent sans une once d’hésitation jusqu’à l’arrêt de bus. Tu revois le numéro de la ligne. Tu y montes dès son apparition. Tu souris au chauffeur en lui demandant un ticket. Il te reluque un instant avant de te le donner. Il semble surpris de ton accoutrement. Peut-être que son étonnement provient de ta crinière rosée ? Ou de ta robe courte sans manche de la même teinte parsemée de motifs de bonbons rouges ? A moins que ce ne soient tes longues bottines d’hiver à fourrure aux couleurs des friandises de ta tenue qui l’intriguent ? Vue la douce chaleur du jour, ce serait compréhensible. Tu n’as pas réfléchi à la météo en les enfilant. Tu as mises ses chaussures pour une raison simplissime : elles sont tes préférées du moment.
Tu te moques des saisons censées guider l’habillement. Tu portes ce que tu aimes. Tu as arrêté de te soucier du regard des autres. Quoi que tu fasses, quoi que tu dises, tu seras jugée. Qu’ils te jugent s’ils le veulent. Mais jamais tu ne mettras un masque pour être dans un soi-disant moule. Tu es toi-même. Ne leur en déplaise. Descendue du bus, tu restes un instant bouche bée à l’entrée. Sa devanture n’a pas changé. Hormis la peinture des grilles. Le noir est devenu gris. Ce n’est pas trop joyeux. A la place du responsable, tu aurais choisi une couleur plus chaleureuse. Pas forcément du rose. Probablement un jaune orangé, rappelant l’astre solaire et la gaité des lieux. Là, tu croirais presque pénétrer dans un cimetière. Heureusement que les sons qui parviennent à tes oreilles sont remplis de bonheur. Tu fais le pas qui te sépare de ce monde. Dès que tu foules le sol de la première allée, tu es transportée. Tu as seize ans. Tu te revois sur un tourniquet, riant aux éclats. La dernière fois que tu as autant ri avant ton départ pour l’Enfer aux apparences paradisiaques. Tu avances le sourire aux lèvres. Tes iris vagabondent à gauche à droite. Certains détails te remémores ton passé. D’autres te sont inconnus. Tu approches de ton Graal, de la zone au tourniquet.
Proche d’y accéder, tu es témoin d’une altercation. Une femme blonde, aux pieds dénudés, dispute un homme en costume. Il s’en fiche et s’enfuit lâchement. Prête à poursuivre ton chemin, ton cerveau percute. La fille a prononcé blessée. Tu t’approches d’elle en douceur. Elle semble agacée. Tu ne tiens pas à recevoir son venin ou une gifle. Tu as sorti ton sourire pour t’aider. Il a le pouvoir de détendre. « Moi, je vais vous aider. » Tu n’es pas infirmière. Tu vas faire ce que tu sais faire le mieux : improviser. Ce sera toujours mieux que rien. La raison t’ordonne d’appeler les pompiers. Sauf qu’elle crie de trop loin. Tu l’as laissée à l’entrée du parc. Le parc, ce n’est que pour les enfants. Elle n’y a pas sa place. La raison est un truc d’adulte. Tu passes le bras gauche de l’éclopée autour de ton cou. Tu la maintiens de toutes tes forces de crevettes. Vous effectuez les quelques nécessaires pour rejoindre le banc. Tu la fais s’asseoir. Tu poses ton sac à main à ses côtés. Tu le fouilles en quête de bandages. Tu ne les trouves pas dans ce bazar. Qu’à cela ne tienne, tu le renverses sur le mobilier urbain. Une partie de tes affaires tombent par terre. Tu n’y prête pas attention. Tu les repères enfin. Tu saisis ton paquet de mouchoirs. Tu t’accroupis. Tu attrapes son gros orteil entre ton pouce et ton index. Tu soulèves son pied et te penches. Ce n’est pas très joli à voir mais tu gardes ton sourire. Elle n’est pas mourante non plus. « Votre numéro de fakir ne semble pas au point. » Tu glousses. Tu fais référence aux marches sur du verre de ces artistes. Normalement, ils ne se coupent pas. Là, il y a eu comme un souci. Tu éponges délicatement le sang autour de la plaie en tapotant ton mouchoir. Comme ta mère le faisait avec son coton et son rouge magique sur tes égratignures.
{outfit} Le monde est impitoyable, il est parfois cruel et absolument terne selon Birdie. Il manque de saveurs, de piquants, de couleurs, d’originalité. Tout le monde ressemble à monsieur et madame, tout le monde est poli mais dédaigneux, tout le monde est pressé tout en disant qu’il n’y a pas besoin d’être stressé. Une personne non stressée ressemble à Birdie – qui flâne, qui navigue, qui a la tête levée vers et dans les nuages au point où elle ne voit pas ces foutus débris qui lui arrachent un cri de douleur scindant. Qui aurait intérêt à laisser des débris de verre dans un parc ? Où se trouve le responsable du ledit parc ? Elle pourrait le voir, le trainer jusqu’ici et lui montrer qu’on ne laisse pas ce genre de choses. Il y a des enfants, des grands comme des petits qui peuvent se faire mal. Des gens normaux qui veulent vivre et ressentir la nature en se baladant pieds dans un environnement naturel, souhaitant sentir le chatouillement des brins d’herbe contre la voûte plantaire et non les cailloux, le goudron et encore moins des morceaux de verre. Birdie se promet qu’elle ira hurler au scandale auprès des responsables, qu’importe s’ils sont plusieurs ou seuls, ils ne font visiblement pas assez attention et ils auraient eu l’air encore plus coupable si ça avait été un enfant – pas que Birdie en est quelque chose à faire des enfants mais c’est pour le principe, et l’argument est totalement béton ; les enfants, c’est précieux et sacré, parait–il, qui voudraient leur faire du mal ? Les gardiens qui ne gardent rien du tout de ce parc.
Et il ne manquait plus qu’un homme sans aucun scrupule pour la laisser crever de sang par le pied pour que son humeur, qui fut bon jusqu’à présent, dégringole très bas dans l’échelle. Birdie n’est pas du genre à s’énerver pour rien mais le coup de sang présent – sans jeu de mauvais, vrai de vrai – est sûrement provoqué par la blessure délicate qui sévit sous son pied et qui lui fait perdre toute contenance. Sans oublier que le type lui fit comprendre qu’elle est à moitié folle, ce qui est quelque chose qui la met en rogne instantanément. En temps normal, la petite blonde lui serait sûrement rentrée dedans, ou alors elle se serait amusée à l’embarrasser plus que de raison, mais le cœur n’y est pas, le pied non plus pour pouvoir le rattraper. A moitié bancale, Birdie grimace de douleur, qui n’est pas dramatisée pour la situation pour son plus grand malheur. « Moi, je vais vous aider. » Une petite voix, puis une apparence aussi fluette que rayonnante – pourquoi est–ce qu’elle ne l’a pas vu avant ? Comment une telle apparition peut lui être émise sans que la jeune Cadburn ait pu la remarquer ? Cheveux roses éclatants, une robe toute aussi rose (et appétissante) et des bottes qui complètes un look gourmand et intriguant à tous points de vue. « J’ai jamais vu d’ange dans cet accoutrement », qu’elle dit automatiquement, reluquant la demoiselle quand cette dernière l’assoit sur un banc. Elle sourit, elle est ravie, elle est comblée qu’un ange pareil soit passée par–là. Voilà un peu de couleurs qui se jumellent à aux siennes. « Pas que je me plaigne, j’approuve totalement même. » Ne serait pas Birdie Cadburry si elle se mettait à la critiquer pour ses fautes de goûts. Il n’y a pas de mauvais goûts – à part les chaussettes avec des sandales, c’est toujours un grand non, même pour elle. Le petit ange rose a l’air mignonne, adorable en étant aussi délicate que son apparence. Elle transpire l’innocence et Birdie ne serait dire si ce n’est qu’une impression ou non. « Votre numéro de fakir ne semble pas au point. » Et elle la fait rire. « Des années d’entrainement ruinées à cause de pauvres débris de verre. Sérieusement, qui laisse trainer du verre dans un parc ? C’est complètement grotesque. » Birdie grimace alors que le bonbon rose s’occupe de sa plaie, pas une once de gêne de lui offrir comme vu première le dessous de son pied. « J’irai bien me plaindre auprès du gardien. Vous en dites quoi ? Je pense que c’est une cause suffisante, presque dramatique si j’ose dire, n’est–ce pas ? » La petite blonde regarde devant elle, puis autour d’elle avant de reporter son attention sur l’ange rose. « Merci, en tout cas. C’est pas l’autre imbécile qui m’aurait aidé, visiblement. A croire que l’entraide se perd. Ce qui n’est pas surprenant mais qui ne cesse quand même de me surprendre. » L’imbécilité humaine est d’une étendue inimaginable, même pour une cadburienne.
La mésaventure de la jeune femme, la fuite de cet homme, pas sa blessure, explique à elle seule le problème de ce monde : l’égoïsme. Sa coupure en résulte. Elle est la conséquence directe et cet acte individuel motivé par la flemme d’une personne qui n’a pas souhaité faire les, approximativement, soixante-douze centimètres qui la séparait de sa position à celle de cette poubelle publique présente à côté du banc. Probablement la faute à un empressement. Quelqu’un qui n’a pas pensé aux conséquences désastreuses de sa négligence. En plus de polluer cette zone ludique, il a posé un piège dangereux. Toi, tu ne le crains pas. La semelle de tes bottines t’en aurait protégée. Tu aurais ressenti au pire un léger picotement en marchant dessus. Au mieux, tu l’aurais survolé tellement tu es habituée à planer via tes ailes de fée spirituelles. Elles te font éviter les nombreux obstacles parsemés par terre. Sauf les flaques d’eau. Pour elles, elles se referment pour te laisser sauter dedans à pieds joints. Celles de cette éclopée se sont également refermées. Repliée sur son corps en ce grand manteau, elle n’a pas eu le temps de les déployer pour esquiver le déchet verrier. « Je ne suis pas un ange, je suis une fée. », lui rétorques-tu. Une fée qui possède tout un kit de premiers secours dans son sac. Tu as essayé une baguette magique dans les débuts de ta renaissance. Son effet a été discutable. Pour ne pas dire nulle. A contrecœur, tu as dû te résoudre à utiliser des mouchoirs et de l’eau oxygénée pour désinfecter les bobos que tu te fais en parcourant la vie et donc en chutant. « Et vous, seriez-vous la Reine des fées ? », lui demandes-tu sérieusement. Colorée, revêtue de vêtements sortant des normes, avec ses lunettes arrondies et, surtout, ses boucles d’oreille, ta question est légitime. Pour sûr, elle n’est pas un mouton de la société. Elle est en dehors des clous dictés. Elle te ressemble. Il était temps de rentrer au bercail. Ce n’est pas à Melbourne que tu aurais croisé quelqu’un d’aussi rayonnant. Là-bas, tous les gens sont gris.
Tu croises si rarement, pour ne pas dire jamais, une consœur extravagante. Quand tu en croises, c’est souvent à l’occasion de la pride. Si tu assumes pleinement ton orientation sexuelle, le rose que tu portes ne se résume en rien à afficher ton homosexualité. Tu es comme tu es avant tout pour montrer ta joie de vivre. Tu n’es militante d’aucune cause. Si ce n’est celle de pouvoir vivre ta vie comme bon te semble, sans être critiquée de toute part. Cause qui parait malheureusement perdue. Sans doute que ta compatriote en est également victime. Elle aime vivre pieds nus. Mais ce monde n’est pas prévu pour. Pourtant, elle n’a pas renoncé à son principe de liberté et à sa différence. Elle est courageuse. D’autant plus qu’elle ne bronche pas le temps de ton soin. Elle ne peut qu’être que la Reine des fées. La grande guerrière que tu cherches depuis longtemps pour mener divers combats. Tu n’es plus seule dans ta lutte. L’effectif vient de doubler. Le monde n’a plus qu’à bien se tenir. La vague féerique est en marche et s’apprête à tout ravager sur son passage. Que les zygomatiques se préparent à rire jusqu’à se tordre de douleur. « Quelqu’un qui n’aime pas les fakirs. Je ne vous le fais pas dire ! Si je tombe sur le responsable, je le fais nettoyer le moindre centimètre du parc à la main et en tongs ! » Tu hoches la tête. Tu es déterminée. Pieds nus aurait été trop violent. Tu ne tiens pas à abîmer la personne avant la fin de son nettoyage. Le soulier choisi est bien plus judicieux en ce sens. Il protégera sa voute plantaire de la dureté du sol mais laissera s’infiltrer les petits cailloux entre ses orteils. Pour déjà avoir subi cette torture, tu sais à quel point elle n’est pas très douloureuse mais terriblement dérangeante. Ce n’est pas pour rien que tu respectes la règle des chaussures fermées en te rendant au parc. Tu as retenu la leçon. « Totalement d’accord ! Il pourra même vous indiquer le coupable à mon avis. » Il doit bien y avoir des caméras de surveillance dans le coin. Tu inspectes un lampadaire sur ta droite. Tu fixes son ampoule, tentant de zoomer dessus et d’y apercevoir un point lumineux signe d’être filmée. Sans succès.
Tu refocalises ton attention sur la plaie. Le sang ne coule plus. Tu saisis délicatement le morceau de verre entre tes doigts. Tu le jettes dans la poubelle avec tes mouchoirs teintés de rouge. Tu rinces son pied avec ta bouteille d’eau. Tu essuies une dernière fois le tout. La revoilà sur pied si tu oses dire. Un peu de repos, un peu de patience et cet incident sera de l’histoire ancienne. « De rien. Entre fées, il faut être solidaire. » Tu lui offres un franc sourire. En fait, il faut être solidaire en toutes circonstances. Davantage avec une comparse évidemment. Sur le point de remballer tes affaires, tu aperçois l’endroit où se trouvait le tourniquet de ton enfance. Le jeu n’est plus. A la place, il y a une fontaine laissant jaillir de l’eau. Tu es ravie sur le coup. Tu penses y avoir gagné au change. Jusqu’au moment où tes mirettes tombent sur cet encadré : Baignade interdite. Tu es outrée. Dans cet espace ludique, faire trempette est proscrit. Ton visage se ferme. Tu ne vois plus rose mais rouge. Il est temps de se rendre au front. Il en va de la survie du monde enfantin. Sans intervenir, il risque de disparaître et de se faire envahir par celui des adultes. Le parc est, et se doit de rester, votre bastion. Tu ranges ton bazar en vitesse. Le banc débarrassé, tu te mets devant la blondinette, un genou ployé sur les graviers. « Montez. Je vous emmène voir le responsable. Moi aussi j’ai une plainte à formuler. » Tu lui proposes ton dos en guise de monture. Dans son état, ses ailes sont inutilisables. Tu ne pas lui demander de marcher. Tu n’es pas un monstre. Tu vas la porter. Du moins essayer. Tu n’es pas très musclée. Mais tu es pleine de bonne volonté. En espérant que cela suffise. Tu étais douée à l’école à ce jeu. Tu as juste à t’y replonger quelques instants. Ce ne devrait pas t’être trop compliqué.
« Je ne suis pas un ange, je suis une fée. » Birdie sourit. “Effectivement, ça me semble plus approprié comme tenue, dans ce cas-là.” Tenue qui a sa totale approbation. Du rose, du bonbon, de la couleur inédite et osée, la petite Cadburn ne peut qu’admirer et applaudir cette audace si unique et si rare. Dans un monde parfait, cela ne serait qu'une norme parmi tant d’autres. Mais ce n’est une normalité, une banalité que de s’habiller de rose ou de jaune, et encore moins de marcher pieds nus dans la rue ou dans un parc. « Et vous, seriez-vous la Reine des fées ? » Birdie baisse ses yeux vers ses propres vêtements, déployant un peu ses bras comme de véritables ailes qu’elle aurait pu avoir. “Je préfère me voir comme un oiseau coloré mais le royaume des fées a l’air drôle à gérer.” Même si Birdie ne devrait jamais contrôler ou régner sur quoique ce soit, hormis son propre royaume fantaisiste qu’il n’existe que dans sa tête. Les responsabilités et tout ce qui va avec, elle ignore comment les gérer, le petit oiseau qui préfère s’amuser et vivre que d’assumer et survivre.
« Quelqu’un qui n’aime pas les fakirs. Je ne vous le fais pas dire ! Si je tombe sur le responsable, je le fais nettoyer le moindre centimètre du parc à la main et en tongs ! » Birdie clape ses mains entre elles, satisfaite de voir qu’elle n’est pas toute seule à s’outrer de cette façon devant un tel laisser aller de la part des gardiens - plusieurs ou non, ces personnes l’entendront de toute façon. “J’apprécie cette sentence. Elle me semble parfaitement adéquate et proportionnelle au délit.” Les tongs ne sont que des tortures pour les plus habitués, Birdie préférant presque les talons compensés à ces engins de malheur. “Même si pieds nus, ça aurait été à la hauteur de ce que je viens de subir.” Ou même leur faire subir le même sort en les faisant marcher sur du verre, qu’ils comprennent l’étendue de sa douleur à présent. Est-ce que ce n’est pas vil d’avoir ce genre de pensées ? Peut-être mais Birdie n’est pas connue pour sa demi-mesure de toute façon. « Totalement d’accord ! Il pourra même vous indiquer le coupable à mon avis. » La petite blonde grimace légèrement, sceptique à souhait. “Ou il me redirigera vers quelqu’un qui n’est pas coupable car c’est lui le coupable. L’humain peine à reconnaître ses fautes.” A qui le dis-tu, Birdie ? La Cadburn n’a pas le cerveau assez en confiance avec ses pairs pour ne pas songer que le gardien, ou qu’importe son titre, ne se montre pas franc avec eux.
L’inconnue féérique, comme elle veut l’établir, repose de nouveau son attention sur sa plaie. Birdie le voit et surtout, elle le sent alors qu’elle sort le morceau de verre qui s’est incrusté sous sa peau. Une grimace, de douleur cette fois-ci, ne peut s’extraire de son visage, malgré toute l’application et la délicatesse de sa jeune sauveuse. « De rien. Entre fées, il faut être solidaire. » L’eau pique un peu mais visiblement, le sang a arrêté de s’écouler, ce qui est une très bonne chose. “Je suis donc une fée aussi ?” Birdie en sourit parce que franchement, le titre la séduit plus qu’il ne faudrait. Son âme d’enfant jamais très loin, on ne lui avait jamais dit qu’elle pouvait ressembler à une telle créature - une chieuse, oui, une princesse, encore, une reine, ça c’est elle, un oiseau, le plus courant, mais une fée, c’est encore inédit. Alors elle est ravie d’ajouter un titre à son palmarès. La fée rose remballe ses affaires avant de lui proposer son dos. « Montez. Je vous emmène voir le responsable. Moi aussi j’ai une plainte à formuler. » Birdie arque un sourcil. “Je ne suis pas très épaisse mais vous non plus.” Un défi ? Soit, si la fée le lui propose, elle est qui pour dire non ? Alors la petite Cadburn se lève, un pied sur ses pointes parce que ça fait quand même un mal de chien sans le poser au sol, avant de s’agripper au dos du bonbon rose, bras autour du cou et cuisses contre ses flancs. “Quelle offense vous avez à défendre ?”
Fée ou oiseau, c’est du pareil au même. C’est une créature qui vole au-dessus du monde offert au commun des mortels. Probablement qu’elle connaît elle aussi le monde onirique rempli de nuages en barbe à papa, de balançoires en churros et tout le reste. A moins que son monde onirique soit différent du tien. Après tout, chacun est unique. Mais tu es persuadé qu’il est coloré. « Il est en autogestion. Il n’y existe aucune règle hormis celle de s’amuser. » Nulle loi, nulle contrainte, nulle morale ne régit ce royaume féerique. Chacun y est libre et heureux. Y être reine est un titre honorifique. Il peut également lui servir pour vous représenter dans l’univers des adultes. Une porte-parole est la bienvenue. Tu n’es pas assez douée pour endosser ce rôle. Tu planes trop pour te faire comprendre des autres d’après leurs dires. Pourtant, tu n’as pas l’impression de trop planer. Tu dirais même que tu ne le fais jamais assez. Tu te montres d’ailleurs extrêmement terre-à-terre dans ta proposition de sentence. Preuve en est que tu es une femme raisonnable. Ton acolyte est plus sévère. La faute sans doute à son agacement. Tu réagis de la même façon après avoir été victime d’un bobo. Ton pied de lit subit toujours ta riposte lorsque tu te cognes tes orteils dedans. Tu le frappes d’un coup sec. Malheureusement, sa douleur n’est pas réciproque et la tienne s’amplifie à chaque fois.
Sa vision de la justice est intéressante. Comme cela, l’Homme serait hypocrite ? Tu ne le sais que trop bien. C’est une des raisons qui te motivent à ne pas grandir. Tu refuses de devenir si mesquine, corrompue par le poison appelé l’âge. « Tout l’inverse des fées que nous sommes. » Tu reconnais volontiers tes fautes. Elles se font rares tellement tu es sage. Tu hoches la tête positivement à sa question. « La Reine des fées est une fée. Vous êtes la Reine des fées. Donc vous êtes une fée. » Une logique imparable. Ta mémoire a oublié le nom de cette démonstration. Un nom barbare créé par une personne qui devait l’être tout autant tant le mot est complexe. Néanmoins moins barbare que celle qui a réalisé cette aberration. Une fontaine à eau où la baignade n’est pas autorisée. C’est comme s’il était interdit de marcher pieds nus sur l’herbe ou de prendre un toboggan à l’envers ou de réaliser des pâtés de sable à la plage. L’absurdité est démentielle. A ce rythme-là, on demandera aux enfants d’être des adultes avant le passage de leur jeunesse. Tu es déterminée à lui faire savoir. Il est hors de question que l’on envahisse l’univers enfantin sans réagir. Ce panneau marque le début de la guerre. « Le parc s’adultarise, c’est intolérable. » Tu ignores l’existence de ce verbe. L’important n’est pas là. Tu es certaine qu’elle comprendra l’idée.
Armée de ton armure humaine dans ton dos et bras sous ses genoux, tu entames ta marche. Tes pas se veulent rapides et précis. Ton regard rivé au sol, tu évites soigneusement les cailloux pour ne pas trop secouer ta cavalière. Tu te diriges vers l’entrée, là où se situe un cabanon Accueil. Le responsable ne peut qu’être là-bas, planqué derrière un bureau, assis sur une chaise à roulettes. De temps en temps, tu joues de tes biceps pour remonter la blonde. Pas épaisse, elle a tendance à glisser. De nombreux regards se posent sur votre duo pendant votre escapade. Les adultes vous jugent de leurs yeux méprisant quand les enfants vous sourient. Tu remarques même que deux amis d’une dizaine d‘années à vue de nez vous imitent à votre passage. Plus faible que toi, le porteur ne tient pas longtemps. Après trois secondes, il lâche son binôme. Mais loin de s’en plaindre, tu distingues les éclats de rire. Encore un virage et une allée et vous atteindrez votre but. Il est temps d’en finir. Tes forces de crevettes montrent leurs limites. Dernière ligne droite. Tu aperçois la ligne d’arrivée formée par le portail. A vingt mètres de votre objectif, vous croisez un homme sirotant une canette de Coca. Visiblement vide, il la jette dans une poubelle à proximité. Il se rate et le bruit métallique contre le gravier retentit à tes oreilles. Il observe son détritus. Et au lieu de faire demi-tour pour le ramasser, il s’en va. « Hey vous ! » Tu tournes les talons et te mets à courir pour le rattraper, l’éclopée toujours accrochée à toi. Ce flagrant délit mérite réparation. Bien que différent du verre, le métal reste l’ennemi des voutes plantaires. Tu en as déjà fait les frais à la plage.
« Il est en autogestion. Il n’y existe aucune règle hormis celle de s’amuser. » “Exactement le genre de royaume pour moi.” Elle n’aurait qu’à y planifier des soirées, des occasions de s’amuser toujours plus, de sortir des tenues aussi extravagantes et colorées, des idées aussi folles et variées. Reine des fées, le terme lui plaît, à la petite blonde, forcément. Cela flatte un égo qui n’est jamais avide de compliments mais qui prend quand même ce qu’on peut lui donner. Birdie sourit, attendrie par cette inconnue à l’allure de poupée sur jambes qui prend soin d’elle et qui affronte même sa voûte plantaire pour la soigner. Elle n’a rien demandé et pourtant, la voilà qui est apparue malgré tout, le sac rempli de tout le nécessaire en cas de blessure. Une véritable fée, en somme, pense avec amusement la Cadburn. « Tout l’inverse des fées que nous sommes. » Sur ce point, Birdie préfère rester silencieuse. Elle n’est pas aussi innocente, même si son visage de poupon peut laisser croire l’inverse. Elle a les traits fins, Birdie, en plus du sourire éclatant et des prunelles céruléennes qui brillent. L’apparence qui transpire la nostalgie de l’enfance mais dont les actions sont loin de l’être. Elle n’est pas blanche, elle n’est pas sans rature, sans tâche, sans erreur, Birdie. Personne ne l’est, elle ne peut déroger à la règle. Mais si la petite fée rose veut le croire, alors elle la laissera y croire. C’est bien mieux ainsi et elle ne va pas détruire les idées idylliques de sa jeune aidante.
« La Reine des fées est une fée. Vous êtes la Reine des fées. Donc vous êtes une fée. » Logique. Evidemment. “Je comprends mieux pourquoi j’adore les choses qui brillent et que j’ai une collection de couronnes chez moi. On a oublié de me reconnaître à la naissance, alors.” Birdie étire ses lippes dans un sourire amusé ; elle possède vraiment des couronnes et tout ce qui peut briller et taper à l'œil l’attire plus que de raison. Si y en a qui croient que c’est parce qu’elle est toujours une enfant, la petite blonde préfère largement la théorie de la demoiselle en face d’elle. « Le parc s’adultarise, c’est intolérable. » Elle a le regard plongé vers la fontaine, sa comparse, avec les traits de son visage de poupée qui se froissent et qui se plissent. Ce qui ne lui va pas, définitivement, il y a une erreur dans l’équation. Inutile de savoir si le mot existe ou pas, Birdie a compris le sens, alors qu’elle s’invite sur le dos que la petite fée à peine plus épaisse qu’elle. “Y a pleins de choses à redire, il faut croire.”
Birdie s’accroche en ayant ses bras autour du cou de la demoiselle, les yeux bleus rivés sur les passants et le parc qui défile au fil des pas rapides de la jeune femme. Qui va quand même vite en portant quelqu’un, comme quoi, il n’est jamais de gré de juger une personne à son enveloppe. Peut-être que l’ambition de parler elle aussi au gardien lui développe des ailes plus grandes. « Hey vous ! » Ah, visiblement, l’arrêt n’est pas loin mais sa monture humaine s’arrête avant. Birdie s’agrippe un peu plus face à ce virage, d’autant que la petite fée se met à courir - à courir! - et que franchement, cela secoue bien plus qu’on pourrait le croire. “Hey hey heeeeey!” Birdie ignore à qui elle s’adressait mais visiblement, un type finit par se retourner - il doit se sentir attaqué sûrement. “Qu’est-ce qu’il y a ? Nan mais c’est quoi, ce délire ?” Evidemment, voir deux filles comme elles, aussi originales que singulières, l’une sur le dos de l’autre, il y a de quoi avoir l’air circonscrit que le type peut avoir à présent. “Visiblement, vous allez passer un sale quart d’heure, mon bon monsieur de la terre ferme!” et c’est presque d’une voix guillerette que Birdie prononce ces mots. Il n’y a rien de mieux que de voir un homme se faire sermonner par une petite demoiselle.
Ton retour à Brisbane commence bien. A défaut d’avoir trouvé la princesse de ton cœur, tu viens de trouver la Reine des fées. Intérieurement, tu remercies l’individu responsable de sa blessure. Tu remercies également ce vil égoïste qui a refusé de l’aider. Sans eux, tu ne l’aurais probablement pas croisé. Votre royaume édulcoré serait encore gouverné par une reine imaginaire. Bien que débordante d’imagination, tu es ravie d’avoir un visage à mettre sur le trône. Tes neurones vont pouvoir se reposer. Ils se fatiguaient à essayer de visualiser toujours la même personne. Tu ne réussissais jamais à réaliser une projection identique deux fois d’affilée. La tâche devient plus simple avec elle. Sa bouille, sa coiffure, ses vêtements, sont ancrés dans ta mémoire. Tu ne les oublieras pas de sitôt. Il ne reste plus qu’à apposer un nom à cette reine multicolore. Tu lui demanderas plus tard. « Vous n’êtes pas la seule. J’ai tellement galéré à faire reconnaître mon statut de fée. » Tu en as fait des caprices. Tu en as poussé des hurlements. Tu en as pleuré des larmes de crocodiles. Tu as tant fait tourner tes parents en bourriques. Tu étais tellement bruyante qu’on t’a prise pour un démon. Il était pourtant si simple de te faire taire. Tu ne demandais pas la lune, juste d’avoir ce que tu voulais. Ce qu’une fée veut, Dieu le veut. Heureusement que ta mère a compris tes messages y a tout mis en œuvre pour te satisfaire. « Et votre amour des couleurs vives. » complètes-tu. Les teintes chaleureuses et l’extraversion vous caractérisent. Vous êtes loin d’être les moutons de cette société, fondues dans la masse dans ce que l’on appelle la normalité. Que ce mot est moche. Tes gencives souffrent rien qu’à le prononcer dans ton esprit. Tu te prépares à l’entendre de la bouche du responsable. Pour sûr il va vous critiquer. Il risque même de sortir de son chapeau des arguments sécuritaires, réglementaires et législatifs. Aucun ne fera le poids contre les tiens. Dans un parc, l’amusement se doit de primer sur tout. Sinon, son existence n’a pas de sens et autant le nommer rue.
Portant la Reine des fées, tu es déterminée à faire valoir votre cause. Le responsable a de quoi être inquiet. Il va voir de quel bois tu te chauffes. Ta voix fluette va le gronder. Il va sans doute en rire tant tu manqueras de crédibilité. Tu comptes sur l’appui de ton acolyte. Du peu que tu l’as entendue parler, son timbre est plus grave. Il reste très loin d’une gravité masculine. Les notes sortant de bouches sont mélodieuses et aigües. Son octave est un brin supérieur. Puis, elle est votre porte-parole. Avant d’affronter le boss, vous rencontrez l’un de ses sbires. Ta raison t’ordonne de le laisser tranquille. Ton enfant interne crie plus fort et couvre sa directive. A tous les coups, il s’est souvenu de ton dernier passage à la plage et de l’entretien entre ton pied et une canette. Il n’avait rien d’agréable. Ce sous-fifre sera un bon échauffement. Il serait quand même dommage d’abîmer vos cordes vocales. Tu l’interpelles sans hausser le ton. Lui courant après, tu envisages plus de l’attraper pour le faire s’arrêter. Ton acolyte t’imite. Ce qui a le don de le stopper dans sa marche. Le pouvoir de la reine est impressionnant. Tu reprends doucement ton souffle. Ta course a vidé l’air de tes poumons. Le criminel, non le mot n’est pas trop fort, joue la carte de l’ignorance. Tu faisais de même pour masquer tes bêtises. Il est malin. Sauf qu’on n’apprend pas à une enfant cette technique. Tu la maîtrises depuis ta jeunesse. Tu ne te feras pas avoir. « Je vous le demande ! Alors comme ça on sème des pièges anti-fées sur la voie publique ?! Ça vous amuse ?! Vous voulez nous obliger à porter des chaussures et à regarder où nous marchons en regardant devant nous ?! Ça ne se passera pas comme ça ! » Tu as essayé d’être le plus sévère possible. Tu n’es pas certaine du résultat vu le rictus affiché sur le visage de l’homme. Il semble sur le point de vous rire au nez. « Allez ramasser immédiatement votre déchet sinon… » Tu pivotes ta tête à la recherche des yeux de ta cavalière colorée. De par ce fait, tu l’invites à poursuivre ta phrase. Reine, c’est à elle de décider de la sentence en cas de refus. Tu es persuadée qu’elle sera adaptée à la situation.
« Vous n’êtes pas la seule. J’ai tellement galéré à faire reconnaître mon statut de fée. » C’est mignon comme façon de dire les choses. Comme si maintenant, dans les formulaires administratifs, la petite rose doit écrire “fée” dans la case “profession” ou même dans son nom, refusant les mademoiselles et autres madames qui donnent toujours l’impression d’être bien plus vieilles que son âge. C’est une lutte admirable et personne n’est surpris de voir que Birdie hoche la tête avec le plus grand des sérieux. Une personne lambda aurait sûrement éclaté de rire ou, pire, traité la petite demoiselle de folle - un peu à l’image de ce qu’on vient de lui dire - mais Birdie n’est pas de ceux-là. C’est plaisant de pouvoir avoir une conversation de la sorte avec quelqu’un, qui ne vous regarde pas de travers. « Et votre amour des couleurs vives. » Ah. Les couleurs font partie du quotidien de Birdie. Elle noie et cache la mocheté de sa personnalité, ses ombres de noirceur, le secret de ses actions derrière des tenues exubérantes, qui détournent l’attention, qui camouflent à merveille. Elle ne se force pas, elle est juste comme ça. Ce n’est pas un personne, c’est elle. Mais les deux se mélangent, elle est son propre personnage, qu’elle vit et qu’elle crée au gré de ses envies. Tout un art dont la Cadburn passe un temps infini à concevoir, à peaufiner, à sublimer. Cela plait donc forcément à son égo qu’on puisse la qualifier de “reine des fées” dans un royaume qui est le sien. Cela lui donne encore plus de légitimité pour contrôler le monde à sa façon.
Quand bien même le monde finit forcément par perdre de son contrôle quand sa coéquipière se met à courir et à courser un monsieur qui vient de rater la cible de la poubelle, sans pour autant prendre le temps de remettre le déchet dedans. Non, peut-être qu’à l’extérieur, il respirera mieux et qu’il pourra mieux empoisonner la terre, les racines, la végétation parce qu’après tout, un peu plus ou un peu moins, à quoi ce combat rime-t-il ? « Je vous le demande ! Alors comme ça on sème des pièges anti-fées sur la voie publique ?! Ça vous amuse ?! Vous voulez nous obliger à porter des chaussures et à regarder où nous marchons en regardant devant nous ?! Ça ne se passera pas comme ça ! » Ah, voilà qui est un autre argument qu’elle avait oublié - comment tu peux l’oublier alors que tu as ton pied sous traitement, souffrant d’une douleur causée par ce genre d’individus ? A croire que Birdie est un oiseau bien trop volatile, qui se laisse distraire par tout et qui oublie rapidement, le bon comme le mauvais, les images comme les gens. Sauf la petite rose qui est visiblement gravée dans sa mémoire la plus profonde. « Allez ramasser immédiatement votre déchet sinon… » Le type prend ces points de suspension pour en profiter à s'esclaffer et rire à gorge déployée. Il se moque ? “Tu te moques?” Parce que la courtoisie, chez Birdie, ça n’a jamais été son truc. Elle n’est pas sa partenaire d’infortune, qui a une voix bien trop douce et un vocabulaire bien trop moelleux pour être convaincante dans ses reproches. C’est admirable de rester aussi polie même si énervée. “Ouais, j’me moque. Vous êtes des gamines qui pensent pouvoir me menacer juste à cause d’une canette ? Vous vous êtes vues dans un miroir, d'abord ? Vous avez d’la chance que je frappe pas les fillettes.” La Cadburn lâche ses bras et ses jambes pour glisser sur le sol. Tant pis pour le pied, elle n’aime pas l’attitude du type devant elles qui n’est pas fichu de respecter les règles de base. Le non-respect de l’environnement et du genre. Elle s’approche du type, l’air mauvais au visage. “Pourquoi, parce que t’es un homme ? T’as peur de t’en prendre une en retour par des fillettes ?” Le type ricane et Birdie le gifle, ce qui le calme assez rapidement. Enfin, si on oublie qu’il finit par l’empoigner par le col, les traits de son visage loin d’être amusés cette fois-ci, mais qui se veulent plus menaçant. “Tu cherches quoi, là ? Que je te foutes au sol ? T’es rien d’autre qu’une poupée de chiffon. Je te jette, tu te fracasses la tête.” Ce qui n’est pas faux, même Birdie ne pourrait pas clamer le contraire. Mais par esprit de contradiction, elle émet un léger sourire, un rictus moqueur. “Continue et je dis à ma copine ici présente d’aller chercher le gardien. Ou mieux, d’appeler les flics. Nous, tout ce qu’on veut, c’est que tu foutes ta putain de canette dans la poubelle. C’est trop compliqué pour tes deux pauvres neurones ?” Soit le type ne sait plus quoi faire. Soit il décrète qu’il a d’autres chats à fouetter. Mais l’un dans l’autre, il la lâche, la scrute dans les yeux et voyant que la Cadburn ne se dédouane toujours pas, il râle tout en allant remettre sa canette. “Contente ?” Birdie croise les bras. “Et tu t’excuses auprès de nous.” “Pardon?” “Tu t’es moqué de ma copine et tu m’as menacé. Je pense qu’on mérite des excuses. Tu crois pas ?” La question est posée à la petite rose, spectatrice d’une scène qui a dû lui échapper totalement des mains.
La présence de la Reine des fées te fait pousser des ailes. Seule, jamais tu n’aurais interpellé cet individu. Tu l’aurais grondé dans ta barbe, ronchonnant son comportement irrespectueux en le laissant voguer à ses occupations. Tu n’aurais tout de même pas laissé cette canette, objet si ce n’est mortel, extrêmement dangereux pour ton espèce, par terre. Tu l’aurais ramassé toi-même à l’aide de tes petits doigts. Aujourd’hui, la donne est différente. Tu laisses s’exprimer ton côté rebelle. Côté rebelle qui vaut ce qu’il vaut. Peu habitué à être invité à s’exprimer, sa force de conviction est faible voire néante. Tu n’as ni les mots ni les intonations nécessaires pour être crédible. Et ton look de guimauve sur pattes n’arrange rien. Ta crédibilité laisse à désirer. Qui croirait à l’autorité d’un bonbon ? A sa place, tu rirais aussi. Tu envisagerais certainement de te manger tellement tu es gourmande aussi. Tu espères fortement que cet homme ne partage pas ce point de vue. Tu ne désires en rien être à son menu. Ta binôme édulcorée est moins doucereuse dans ses propos. Elle semble prendre la justice féérique à cœur. Là où tu étais prête à faire demi-tour, à admettre ta défaite face à ce rire mesquin moqueur, la blondinette quitte ton dos et brandit les armes. Tu es admirative de son courage. Tu la soutiens, restant à une distance respectable du criminel malgré tout, c’est-à-dire plus loin que la portée de son bras, des fois que l’envie de te gifler lui passe par la tête. « Lâchez-la ou je crie ! », répliques-tu à ses menaces de violence. Mieux que le gardien ou la police, tes hurlements sont une arme redoutable pour neutraliser les méchants de son genre. Si ta voix fluette n’est guère efficace pour réprimander, il en est tout autre quand il s’agit de casser les oreilles. La puissance de tes cordes vocales est démentielle. Le rugissement d’un lion est un ronronnement de chaton comparé à l’un des tes hurlements. Si tu l’utilises, il n’aura qu’autre choix que de la lâcher et de mettre ses mains sur ses oreilles pour protéger ses tympans. Il risque même de prendre ses jambes à son cou et de fuir tel un dératé. Tu racles ta gorge. Tu es prête à dégainer. Sur le point de le faire, le vilain monsieur abdique. Il desserre son étreinte, file récupérer son détritus et je jette dans la poubelle.
Un large sourire orne ton visage. Vous avez gagné. Une simple bataille pour le moment mais chaque victoire se fête. Tu n’applaudis qu’intérieurement quand même. Tu ne tiens pas à titiller l’égo du contrevenant. Son méfait réparé, le voilà libre. Enfin, à tes yeux. Ta partenaire n’en décide pas ainsi. Elle parait trop fière pour cela voire rancunière. Tu es tiraillée. Tu ne souhaites ni la contredire ni perdre davantage de temps avec ce sous-fifre. Il n’est qu’un vulgaire poisson dans le monde du parc, loin du grand requin blanc responsable de son aldultarisation. « Ne lui en demandons pas de trop chère Reine. Je me contenterai d’une promesse que vous ne recommencerez plus. » Tu as le don pour choisir les sanctions. Une simple promesse. Une promesse qu’il ne tiendra probablement pas. Un acte symbolique, l’infantilisant. Ce qui pourrait ne pas lui plaire. Les adultes détestent se faire traiter comme des enfants. Et tu viens de le faire avec ta demande, imitant les paroles d’un parent face à son enfant après une bêtise. Enfin, plus précisément, imitant ta mère envers toi. Tu croises tes bras toi aussi, déterminée à ne pas céder. Le regard de l’homme alterne de l’une à l’autre. Il semble désemparé. « Je le promets. », finit-il par prononcer en soupirant. « Je n’ai rien entendu. », lui annonces-tu. Tu exagères un peu. Ce n’est pas gentil de jouer avec sa patience. Surtout que tu as parfaitement entendu ses mots. Tu préfères être prudente et le faire répéter et t’assurer qu’il a compris la leçon. On n’est jamais trop prudente. « Je le promets ! Ça te va, là ?! », s’égosille-t-il. « Ce n’est pas la peine de vous énerver. Ça me va, vous pouvez partir. » Tu lui dis pas au revoir. Tu n’as clairement pas envie de le revoir. Il s’éloigne de vous d’un pas pressé. Tu bombes le torse en l’observant, un rictus de satisfaction sur tes lèvres. Hors de vos portées, tu sautilles sur place en faisant claquer tes paumes l’une contre l’autre. « Et un vilain de mater ! » Un parmi des millions à y regarder de plus près. Un premier succès dans votre quête d’un monde meilleur plus féérique. Tu les présentes ensuite à ton acolyte, l’invitant à frapper dedans et se joindre à toi pour ébruiter votre succès. Et au Diable de perturber la quiétude des passants. A peut-être pas en ce qui concerne celle de la personne qui avance en votre direction. Son ombre avale l’allée à vitesse grand V. Un homme, proche des deux mètres de haut vous rejoint. Sa carrure imposante t’impressionne. Une nouvelle fois, tu te recules légèrement, te réfugiant derrière la porte-parole de votre royaume avant même qu’il n’ouvre la bouche. Si tu es courageuse, tu n’es pas téméraire.
« Lâchez-la ou je crie ! » Visiblement, le petit bonbon rose n’est pas impressionnant, que ce soit par sa taille, sa tenue, ses traits adorables ou ses propos juvéniles et enfantins, mais elle a le mérite d’avoir du coffre. La petite voix fluette ne suffit pas pour les menaces, cela est clairement inutile quand on veut en imposer, mais sa comparse rosée a l’air d’avoir l’habitude d’utiliser une arme que l’on pourrait qualifier de faible à des fins bien plus destructrices que prévu. Tourner un désavantage en force, voilà qui est preuve majeure d’un esprit qui ne se laisse pas abattre. « Ne lui en demandons pas de trop chère Reine. Je me contenterai d’une promesse que vous ne recommencerez plus. » Elle est bien trop gentille mais Birdie ne dit rien. Elle se contente de garder les bras croisés, les deux prunelles bleutées plantées sur l’apparence de l’homme, comme une chienne en garde et prête à montrer de nouveau les crocs et les griffes s’il le faut. Elle n’a jamais eu peur de la confrontation, la petite blonde, c’est bien là aussi une force et une faiblesse. Elle a toujours trouvé plus fort qu’elle mais ne se laissant pas impressionnée, elle a toujours réussi à trouver son avantage, même dans des causes qui semblent être désespérées. « Je le promets. » Est-ce que les promesses sont faites pour être tenues ? Certainement pas. Birdie fut la reine pour briser les promesses, surtout celles imposées par son aînée. Mais les promesses sont une barrière face à la liberté, c’est une frontière masquée pour empêcher les gens de franchir une ligne rouge sous le joug d’un engagement prononcé à voix haute et qui se veut preuve d’une bonne foi quelconque. « Je n’ai rien entendu. » A partir de là, sans le cœur ni l’entrain qui vont de paire, il est clair que la promesse ne sera tenue que le temps qu’elles s’échappent de son champ de vision. Sa collègue féérique - dont elle ne se lasse pas de l’entendre l’appeler ‘ma Reine’ soit dit en passant - prend le sujet bien à cœur et c’est bien pour cette ultime raison que Birdie n’intervient pas. « Je le promets ! Ça te va, là ?! » Le ton qui monte de nouveau de quelques crans, agressant l'ouïe des deux filles qui ne demandent pourtant pas la lune ; un simple respect de la nature et de ses pairs, est-ce que cela est si compliqué pour le commun des mortels ? « Ce n’est pas la peine de vous énerver. Ça me va, vous pouvez partir. » Il ne demande pas son reste - on se demande pourquoi - et c’est en le suivant des yeux tout en dévissant sa nuque que Birdie suit son pas pressé de s’éloigner d’elles - bon débarras!
« Et un vilain de mater ! » La petite rose sautille, satisfaite et heureuse et Birdie rit légèrement tout en tapant dans sa main qu’elle lui tend en guise de célébration. “Même si tu as été gentille. Je suis sûre qu’il recommencera, malheureusement. La bataille est gagnée aujourd’hui mais la guerre est loin d’être finie.” Et elle dit ça avec toute l’intonation d’une Reine qui se respecte, le ton qui s’aggrave et le regard qui se veut plus sérieux, plus dramatique, avant de détendre le tout et de lâcher un nouveau rire bref. Birdie ne voit pas l’autre type qui arrive, pas plus qu’elle ne remarque que son interlocutrice perd de sa joie. “Au faites, tu t’appelles comment ?” Parce que même si elle risque d’oublier et/ou de l’appeler la fée/le bonbon rose, la chamallow rosé ou autre surnom ridicule, la Cadburn met un point d’honneur pour au moins poser la question. Mais la réponse ne vient pas puisque sa comparse recule et se planque derrière elle, Birdie n’ayant qu’à se retourner pour voir l’armure devant elles qui se tient. “Qu’est-ce qu’il se passe, encore ? Est-ce que toute la gente masculine des environs va venir nous emmerder encore longtemps ?” Non parce que là, c’est le troisième en même pas un quart d’heure de sa vie, tous peu aussi agréables les uns que les autres et Birdie commence à s’en agacer profondément. Qu’il soit là pour demander sa route, par pitié.
Une victoire, aussi petite soit-elle, est une victoire. Tu n’en demandes pas plus pour te lancer dans une célébration. Toute occasion d’exprimer ta joie de vivre est bonne à prendre. Désormais retrouvée, tu t’es promis de profiter de chaque moment agréable de la vie. Tu as assez broyé du noir au centre de soin. Et même si tu as d’accord avec ta comparse sur le succès relatif d’une promesse orale, la tienne est interne. Tu la respecteras jusqu’à ta mort. De toute façon, si tu l’oublies par instant, ton âme d’enfant saura te la rappeler. Elle, elle n’a aucune chance de l’oublier. « Bien sûr qu’il recommencera. » Tu n’es pas naïve à ce point. Tu connais parfaitement le pouvoir de ces mots prononcés pour acheter une paix éphémère. Combien de fois as-tu promis à ta mère de ne plus faire de caprice ? Autant de fois que tu en as fait un à peu près. « Mais moi aussi je recommencerai à le sermonner. Et je t’assure qu’il en aura marre avant moi. » Déterminée à conserver l’état d’esprit du parc, tu feras la leçon de morale autant de fois qu’il le faut dans cette optique. Tu te mues en la véritable gardienne des lieux en quelque sorte. La fée rose qui fait la police. Ta crédibilité aura de quoi faire sourire. Tant mieux. Les gens sont plus beaux quand ils sourient. Ils riront moins quand ils te verront les gronder, avec l’aide de ta reine tout de même. Tu ne peux nier que si tu as l’attention, ta pratique laisse à désirer. Puis vous ne serez pas trop de deux pour lutter contre les dangereux criminels pollueurs. Elle ne sera pas de trop pour appuyer tes propos et te défendre. Tu restes une jeune femme fragile à l’autorité contestable. Et à la crainte facile. Comme le prouve ta disparation derrière sa silhouette affinée à l’approche de ce colosse. Sans avoir eu le temps de répondre à sa question, elle peut déjà te surnommer la fée peureuse.
Tout l’inverse de ce qu’elle dégage. Remplie d’assurance et de répartie, le géant n’a encore rien dit qu’elle s’offusque préventivement. Elle en fait un peu de trop. Ma foi, on n’est jamais trop prudent. Et vrai qu’après sa mésaventure en solitaire et celle en duo, elle a eu sa dose pour la journée. Sauf que la vilainerie ne se repose jamais. A moins que ce grand gaillard ne soit un postulant à votre royaume coloré. Vue les airs sérieux de son visage et son accoutrement d’une banalité ordinaire, tu en doutes. Il est plutôt là pour le critiquer à coup sûr. « Je viens seulement m’assurer que tout va bien mesdemoiselles. C’est mon devoir en tant que responsable. Je vous entends de l’accueil. » Tu as vu juste. Il n’est pas venu à votre rencontre pour devenir membre de votre monde féérique. Il ne vous dispute pas non plus. En soi, c’est un point positif. Tu ne feras pas ses éloges pour autant. Il est loin de les mériter. Tu as encore au travers de la gorge ce panneau devant cette fontaine et ce détritus. Lentement, tu passes ta tête par-dessus l’épaule de la blondinette. Sa carrure est impressionnante. Il fait vous facile deux Rose de large pour une Rose et une tête de haut. Un géant qui impose le respect. Tu en as vu d’autres. Dans ta carrière de mannequin, tu as souvent croisé des asperges humaines. « Vous nous entendriez moins si vous le parc était correctement entretenu. » Tout est dû à cette bouteille en verre cassée à la base. Sans elle, pas d’histoire. Sans histoire, pas de bruit. Et sans bruit, de l’ennui. Tristesse, non ? « Vous devriez faire attention à la propreté. Mon amie s’est blessée en marchant, vous trouvez ça normal ? Et où est passé le tourniquet ? Depuis quand les jeux enfantins ne sont plus la priorité ici ? » Tu te le demandes profondément. Pas au point de venir le défier du regard non plus. Toi, petite crevette, restes gentiment planquée derrière sa reine qui fait office de bouclier humain.
« Bien sûr qu’il recommencera. » Malheureusement, le monde est peuplé de petits êtres malfaisants et têtus, voire carrément bornés et qui cherchent par tous les moyens de trouver la faille du système pour être le plus pénible possible. Des individus qui donnent envie de prendre une batte de baseball pour jouer de leur crâne avec - outch, c’est peut-être un peu trop violent mais c’est comme ça que sa façon de pensée fonctionne. Birdie a délaissé son espoir en l’humanité il y a bien des années et il lui faudra plus, à l’humanité, pour rétablir cette confiance qu’elle a jadis eu. Autant dire que pour l’instant, elle en est loin et que la scène qui vient de se jouer devant ses yeux enflammés des portes de la frustration ne joue pas à avoir du poids positif dans la balance. Seule la petite rose qui tourne autour d’elle tel un petit atome coloré lui rappelle que tout le monde n’est pas pareil et que l’espérance n’est pas vaine non plus. « Mais moi aussi je recommencerai à le sermonner. Et je t’assure qu’il en aura marre avant moi. » Birdie lâche un léger rire parce qu’elle est drôle, cette petite fluette. Elle n’a toujours pas le prénom à lui coller sur le visage mais au final, ça ne la dérange pas plus que cela parce qu’elle est sûre de le perdre une fois qu’elle lui aura tourné le dos - mais certainement pas son apparition. “Les avoir à l’usure, la meilleure arme du monde!” C’est en tout cas celle de Birdie qui passe son temps à pousser les limites d’autrui, prouvant qu’elle reste la plus patiente que n’importe qui qu’elle a pu rencontrer.
En parlant de patience, voilà qu’il va falloir de nouveau en user et abuser - les réserves vont finir par s'amenuiser dans l’heure qui suit si le rythme se poursuit sur cette lancée - alors qu’il y a une grande carrure qui s’approche des deux jolies oisillons, l’une qui s’envole derrière son dos. Birdie ne perd même pas un instant pour se braquer, n’appréciant ni qu’on vienne encore les embêter et encore moins le creux des yeux du monsieur qui a l’air presque inquiet. Est-ce qu’elles ont l’air de nuisance, vraiment ? « Je viens seulement m’assurer que tout va bien mesdemoiselles. C’est mon devoir en tant que responsable. Je vous entends de l’accueil. » Il est grand mais il a une voix tranquille. Pas une once d’agressivité, juste véritablement concerné par le brouhaha de deux jeunes femmes qui chahutent et qui s’activent à quelques pas de son fief. “Justement-” qu’elle commence à dire avant que son acolyte finisse par se faire vivante derrière elle de sa voix fluette. « Vous nous entendriez moins si vous le parc était correctement entretenu. » Birdie pointe du doigt la fée rose avec un regard soutenu vers le gardien, prouvant que c’est une parole qui mérite d’être entendue, appréciée et prise en compte. « Vous devriez faire attention à la propreté. Mon amie s’est blessée en marchant, vous trouvez ça normal ? Et où est passé le tourniquet ? Depuis quand les jeux enfantins ne sont plus la priorité ici ? » Elle reste à parler derrière toi et Birdie lève son pied dans sa souplesse la plus totale pour montrer le bandage de fortune que le bonbon rose a été contraint de faire en cette si jolie journée australienne. “Je trouve pas ça normal et c’est même révoltant. Il y a des enfants, il y a des animaux, il y a des gens, des êtres humains, ils ne devraient pas à risquer leur vie, et leur peau, parce que vous faites un sale travail.” Plus concernée par ce que le sol peut être jonché parce qu’elle a cette fâcheuse habitude de marcher pieds nus, Birdie tient le menton relevé face au type qui finit à son tour par croiser les bras. “Si vous croyez que mon travail est si mal fait, pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?” Est-ce qu’il est réel, lui aussi ? “Vous êtes payé pour, non ?” Il la regarde de haut en bas avant de décoincer sa tête pour regarder l’apparence rosâtre derrière la blonde. “Pourquoi vous acharnez sur un pauvre tourniquet ou même sur les jeux pour mômes en général ? Il faudrait songer à grandir, jeune fille.” Il a osé. Birdie ignore ce qui l’empêche de lui rentrer dedans - le manque d’énergie certainement, la lassitude aussi et juste l’envie d’aller naviguer ailleurs tant que c’est loin de toute cette énergie nocive. “Wow, quelle ouverture d’esprit! Tout ça parce que ma copine souligne l’absence de son tourniquet, vous vous permettez de dire telles horreurs ?” Elle plisse les yeux tout en s’approchant un peu plus. “Ce tourniquet représente beaucoup pour elle. Elle l’adorait et vous avez profité de son absence pour le lui retirer. Vous croyez qu’elle mérite qu’on le lui retire ? Non, je crois pas. Alors la moindre des choses, mon bon monsieur, est de lui apporter des réponses à ses questions. Et soyez sûr que plus jamais vous ne nous reverrez dans le coin.” Il y a du mensonge, là-dedans, mais tant pis. Il n’est pas censé le savoir, pas vrai ?
Trois personnes. Deux mondes. Une collision. Une collision non violente, juste un échange de paroles. Des paroles qui montrent à quel point vos points de vue divergent. Le colosse ne comprend pas vos réquisitions féeriques. Il n’a pas l’état d’esprit nécessaire pour cela. Il est loin de l’ancien gardien. Un homme souriant, amoureux du parc et de sa représentation. Toujours bienveillant avec les enfants, il te demandait régulièrement tes résultats aux concours de mini-miss. Il était adorable, bon, parfait. Visiblement il n’est plus là. La couleur poivre et sel de sa chevelure peut expliquer son absence. En sept ans, la retraite l’a sans doute prise. Son remplaçant est moins agréable. Sans vouloir tomber dans un jugement, son physique est inadapté à son poste. Une telle carrure fait peur. Peut-être est-ce fait pour faire fuir les enfants et transformer l’aire ludique en zone adulte. Ce serait fourbe mais pas impossible. La nature humaine est pleine de vices. En tous cas, tu ne laisseras pas ce monde détruire tes rêves sans te battre. La guerre sera rude et perdue d’avance face à l’ogre urbain à l’appétit irrationnel. Ta reine semble partager ton avis. Loin de se laisser impressionner par la répartie du géant, elle réplique. Ses mots sont remplis de raison. Ses arguments sont percutants. Un large sourire rejoint tes lèvres, fière d’être sa soldate. Tu ne regrettes en rien de l’avoir prôné reine de ton royaume. Par contre, tu regrettes de ne pas l’avoir connue plus tôt. « Donnez-moi des sous et je ferai votre travail ! », lances-tu en sortant de ta cachette humaine. L’argent régit le monde. Tu as beau ne pas le cautionner, c’est ainsi. Avec le budget alloué à l’endroit, tu reconstruirais un tourniquet. Il serait bien plus intéressant que cette fontaine décorative. Et tu ne parles pas des innombrables fleurs parsemées le long des allées accompagnées d’un écriteau indiquant leur nom latin. Si tu ne nies pas leur beauté, tu ne comprends pas l’intérêt d’apposer ce terme barbare. Une étendue verte de pelouse serait mieux. Les gens pourraient se rouler dedans sans se soucier de casser une plante. Vivre dans l’insouciance de la vie. Loin des tracas quotidiens. Tout simplement s’amuser.
Il ne le comprend pas non plus. Connait-il seulement la définition de ce mot ? Critiquer est facile. Se servir du prétexte de la grandeur est bas malgré sa silhouette. Ta reine te défend. Une larme s’échappe et roule sur ta joue, à la fois heureuse d’être soutenue et triste du comportement du responsable. Tu sors de derrière la blonde, venant te poser face à l’armoire à glace. La tête relevé, tes noisettes plantées dans ses iris, tu le défies. « Vous me trouvez pas assez grande comme ça ?! » Du haut de ton 1m78, tu as plutôt bien poussé. Une véritable asperge sur pattes. Les mauvaises langues évoqueraient de la mauvaise graine. « Vous avez oublié ce qu’est être un enfant. N’avez-vous jamais joué dans un parc dans votre jeunesse ? Vous êtes-vous mis à la place des enfants ? » Non. Sinon, il validerait vos plaintes. Un énième adulte parachuté à un poste sans fondement. Probablement un coup de piston. Tu ne serais guère étonnée d’apprendre qu’il est le fils qu’un politicien. Il ne peut être ici par ses compétences. Ou alors, le recrutement a été fait au rabais. « Écoutez mesdemoiselles. Le monde évolue. Il est plus écolo qu’avant. Je ne suis qu’un pion. La mairie décide et impose ses choix. Si vous voulez vous plaindre, allez directement là-bas. Moi, je ne peux rien. » Il soupire. Il parait désemparé. Tu as envie de croire en sa sincérité. Peut-être essaye-t-il seulement de se débarrasser de vous en vous donnant un os à ronger. Peu importe. Tu reportes ton attention sur ta reine. Tu lui souris. Pliant le genou au sol, tu lui roffres ton dos. « Monte ma reine. Allons plaider notre cause à la mairie. » Tu ignores si elle est aussi motivée que toi. Tu ignores si elle a le temps pour cela. Tu ignores même si le maire va vous recevoir. Tu fonces tête baissée vers l’inconnue, boostée par ton esprit enfantin qui se moque des règles. Prendre rendez-vous ? Pour quoi faire ? C’est un coup à perdre encore du temps. Et chaque seconde perdue est une seconde où le royaume juvénile est en danger.
« Donnez-moi des sous et je ferai votre travail ! » Le petit bonbon rose n’est pas si effarouchée que ça. Elle donnerait l’impression de râler beaucoup, de faire des caprices comme une enfant mais de ne pas réussir à les exprimer, à les sortir quand il le fallait. Et pourtant, une fois la crainte passée, elle se sent poussée les ailes, la charmante créature, et Birdie ne peut que sourire devant ce comportement qu’elle ne peut qu’applaudir. Cela n’aurait été qu’elle, elle aurait déjà foutu le feu au kiosque du gardien ou elle aurait fait un scandale encore plus grand jusqu’à ce qu’on la force à partir. Mais sa jolie comparse réussit à calmer les ardeurs trépidantes de la blonde, sans pour autant se déloger de cet appétit de vouloir quand même crier dans les oreilles de quelqu’un, même si ce n’est ni juste, ni les bons arguments. « Vous me trouvez pas assez grande comme ça ?! » C’est même d’ailleurs surprenant qu’elle se soit cachée derrière Birdie et son 1m63 qui la force à redresser sa tête vers la jolie rose qui la fait arquer des sourcils devant autant de témérité. Il faut croire qu’à force de se rapetisser, on en oublierait presque qu’elle n’est pas si petite que ça, le bonbon. Elle fait même une tête de plus ; c’est sûrement la différence de comportement qui modifie et floue les conceptions. « Vous avez oublié ce qu’est être un enfant. N’avez-vous jamais joué dans un parc dans votre jeunesse ? Vous êtes-vous mis à la place des enfants ? » Parfois Birdie se dit que revenir à son enfance serait la meilleure chose du monde. Elle pourrait oublier et enlever toutes les contrariétés et les erreurs et les fautes de l’adulte qu’elle est devenue. Mais d’un autre côté, il y aurait des choses qu’elle ne pourrait plus faire et ça serait un grand malheur pour elle.
« Écoutez mesdemoiselles. Le monde évolue. Il est plus écolo qu’avant. Je ne suis qu’un pion. La mairie décide et impose ses choix. Si vous voulez vous plaindre, allez directement là-bas. Moi, je ne peux rien. » Birdie ricane. “Pauvre petit employé à la merci des grands méchants dans leur bâtiment d’ivoire.” Le gardien la regarde avec un air désabusé avant de soupirer une nouvelle fois. “C’est ça, vous avez tout compris.” La jolie rose ne se laisse pas abattre pour autant alors que Birdie ne rêvait que de mettre la main et la dent sous quelque chose de sucré. « Monte ma reine. Allons plaider notre cause à la mairie. » La jolie blonde se mord la joue en regardant autour d’elle. “Y aurait moyen de s’arrêter pour de la barbapapa ou des bonbons ? J’ai mon système sanguin qui a besoin de sucre.” Elle a la dent et le corps fait pour accueillir son poids en glucose - une expression car imaginez avoir le poids de Birdie en sucre, elle finirait aux urgences même si elle ne pèse pas grand chose. “Je crève d’envie de langue de chat.” qu’elle ajoute en se plaçant sur le dos de la grande rose. “Au faites, comment s’appelle la jolie militante porteuse de voix des enfants ?” Parce qu’après tout, là, ça va être une des rares fois où elles vont pouvoir converser. Et elle ignore toujours comment elle s’appelle.