« J’espère que cela va s’arranger alors. » Ouais. Toi aussi. Ça te fait vraiment bizarre que le sujet de ta relation vienne sur le tapis si souvent ces derniers temps. Certaines de tes personnes proches à qui tu as envie de leur confier mais tu n’as pas encore osé. C’est si compliqué… C’est si étrange d’en parler. De dire que tu es en couple mais c’est le cas. T’as pas honte de Levi. Tu aimes parler de lui et une partie de toi veut pouvoir le faire librement mais tu n’y arrives pas encore. C’est - encore une fois - trop compliqué.
« Je n’ai pas à raconter ta vie à qui que ce soit. » Thank god. Tu crois pas en dieu mais le soulagement de ces mots te fait un bien fou que tu pourrais te transformer en enfant de choeur. Tu ne connais rien de ce type mais tu veux le croire. Tu veux vraiment penser que la sincérité que tu perçois dans son timbre est réelle. Parce que tu ne peux rien faire d’autre que de prier qu’il tienne véritablement sa langue. « Je pense qu’il n’y a que toi pour savoir vraiment la raconter comme il faut. » Tu as un léger rire nerveux. Il n’a qu’à écouter toute ta discographie pour réaliser tout les maux qui te rongent. Rien que la chanson qu’il a écouté à de multiples reprises aujourd’hui est très parlante quand on a une idée de ce qui te met mal comme il a pu le remarqué aujourd’hui. « I’m not fooling anyone it’s just myself… » Une phrase de la chanson que tu chantonnes doucement. Tu vas te masser les yeux un bref instant. Soupirant ensuite. Tu ne sais pas parler de ces choses là, mais tu sais les chanter. Et puis ces choses là ? Tu veux dire quoi Asher ? Parler de toi ? Parler de l’homosexualité de manière générale ? Tu tournes les yeux vers Abel de nouveau. C’est quoi ton histoire à toi ? Tu la racontes ? Tu as tellement de questions dans la tête, mais tu ne dis rien. Tu le regardes un peu mieux et comme tu sais qu’il est danseur, tu vas vite dans les clichés et tu le penses gay. Est-ce que ça se voit ? Est-ce que tu as deviné avant de voir les messages ? Tu te demandes aussi si tu devrais lui dire que ton coeur est bel et bien pris car il a l’air intéressé par ta personne, non ? Tu sais pas quel autre motivation il pourrait avoir à te demander à propos du gars qui t’envoie des SMS enflammés. Tu n’as pas encore demandé à Levi à propos du gaydar, si c’est un vrai truc. Tu avais deviné ? Tu t’interdit de formuler cette pensée à voix haute mais bon sang ça te brûle les lèvres. « T’as une histoire à raconter? » Ca tu t’autorises. Une partie de toi se dit que ça ne serait que juste qu’il se dévoile à son tour. Histoire que tu en saches un peu plus également sur lui. Une histoire, n’importe laquelle.
Une phrase anodine pour un, une phrase tellement sincère entre mes lèvres. J’avais beau être formé pour la comédie, je n’étais pas quelqu’un qui savait vraiment la jouer dans la vie réelle. J’étais expressif, peut-être même un peu trop par moment, à tel point que cela me jouait des tours, comme dans cette précédente situation dans laquelle Asher avait détalé comme un lapin, mais aussi dans mes propres relations, dans ma propre histoire. Si sur la scène, je pouvais incarner les rôles qu’on me donnait, que je pouvais exprimer tantôt la joie, tantôt la tristesse, j’étais bien trop entier pour pouvoir jouer sur cela. Mais sans doute si j’arrivais par moment à me freiner, à être moins… moi, peut-être n’aurais-je pas tant souffert de cette histoire d’amour avec Alexandre ? Qui sait. Mais en même temps, comment renoncer à soi quand vous vous êtes enfin trouvé ?
Mes mots se poursuivent, continuent de suivre le fil de ma pensée. Une façon de me livrer sur cette histoire, sur le fait que j’avais lu des choses qui ne m’étaient pas adressées aussi, une façon de m’excuser aussi. J’avais senti la tension qui régnait chez le chanteur, une tension qui semblait s’apaiser un peu mais rien n’était certain. J’entends alors soudainement sa voix vibrer légèrement, chantant l’une des phrases de sa chanson. Je peux alors de lui répondre en fredonnant : « It’s not meaningless. ». Cette chanson était si évocatrice pour moi, pour tout un tas de choses, un tas de raison. Autant par rapport à ma carrière, que par rapport à ma propre personne. On ne trompe personne à terme, juste soi-même parce qu’on se fourvoie, on se berce d’illusions, on aime les chimères.
Je viens prendre de nouveau ma bière, portant le goulot à mes lèvres pour boire une nouvelle gorgée quand j’entends de nouveau la voix du parolier, me demandant si j’avais une histoire à raconter. La question me surprend. Lui qui semblait si renfermé et taciturne, est-ce qu’il tenterait une approche à sa façon ? Je repose alors la bouteille, levant alors les yeux un peu plus haut, presque vers le plafond, un fin sourire étire mes lèvres. « J’ai mille et une histoires à raconter. La mienne est celle que je connais le mieux. Est-ce que tu veux vraiment que je te la raconte ? Ou préfères-tu connaître un chapitre de ma vie en particulier ? » Une tentative, une esquisse. Je sais que je peux véhiculer tout un tas de clichés, de préjugés. Je suis un danseur, ce n’est pas anodin et cela ne le sera sans doute jamais vraiment. Mais cette singularité pour certains, j’en avais fait une force, ou même titre que tout ce qui pouvait faire partie de moi.
« It’s not meaningless. » Ca te fait quelque chose qu’il prenne la peine de chanter la suite. Comme si ça marquait une connexion entre vous deux. Une connexion d’une autre sorte que celle d’un peu plus tôt qui t’a surtout fait t’échapper. Il a tellement entendu cette chanson aujourd’hui qu’il l’a connait visiblement plutôt très bien. Tu ne sais pas si ça sera une personne de plus à cliquer sur Follow sur Spotify mais oui, c’est à ça que tu penses quand tu as l’impression que quelqu’un apprécie ta musique. Tu veux voir ces stats Spotify augmenter.
Tu le vois qui sourit à ta proposition et il ne prend pas longtemps à te répondre. « J’ai mille et une histoires à raconter. La mienne est celle que je connais le mieux. Est-ce que tu veux vraiment que je te la raconte ? Ou préfères-tu connaître un chapitre de ma vie en particulier ? » Ecouter c’est bien plus facile que parler. Tu sentais qu’il serait ouvert à partager son histoire mais de là à écouter toute son histoire ? Tu trouves ça trop pour être honnête. Il n’y a donc aucune partie qu’il veut garder juste pour lui ? « Toute l’histoire. » La sienne, bien entendu. Encore surpris qu’il soit si ouvert à ce point là. « T’as le temps ? » Peut être bien que tu ajoutes ça comme une sorte de défi. C'est marrant comme doucement tu reprends la confiance Asher. C'est tellement plus facile quand c'est les autres qui parlent et toi qui reste sans rien dire.
Tu te doutes que ce n’est pas ce soir que tu pourras entendre l’intégralité, mais au moins qu’il commence par le début. La suite… Si ça t’intéresse tu pourras certainement lui donner quelque chose pour qu’il te contact. Tu as un tas de question à son propos que tu n’oses lui poser. Tu espères qu’elles seront répondues sans que tu n’aies rien à dire. Au cours de son histoire, naturellement. Pour être si sûr de lui il doit avoir une grande confiance en lui. T’en es persuadé, de toute façon ça se voit sur son visage. Sa carrure si grande aide aussi alors que ton mètre soixante dix reste un complexe chez toi. T’es curieux de voir comment il va commencer son récit. S’il va se défiler. Non. Tu sens qu’il va t’en dire bien plus que tu ne le penses à son propos.
Pour le danseur que j’étais, la musique constituait une grande part de ma vie. Même si j’avais créé ma carrière autour du répertoire classique et contemporain, j’étais ouvert sur bien d’autres styles de musiques. Il n’y avait qu’à ouvrir ma playlist pour constater à quel point, elle était hétéroclite. Mais depuis que j’avais débuté ma carrière professionnelle, que j’avais gagné en maturité artistique, j’avais commencé à entrevoir la musique différemment. Elle était au même titre que la danse, une forme d’expression, une forme de quintessence de la transmission en matière d’émotions. Combien de frissons ai-je eu en écoutant des chansons ? Trop pour les compter. Just hold your breath faisait partie de ces chansons si singulières. Et c’était d’ailleurs pour cela que j’avais accepté le projet, car cela me parlait. Mais est-ce pour autant que l’un de ses auteurs allait me parler tout autant ? C’était autre chose, mais cela semblait être en bonne voie à en juger par ses réactions.
Sa réponse d’ailleurs me fit sourire. Pour quelqu’un qui semblait si secret, si mystérieux, il semblait plutôt curieux. « Je n’aurai peut-être pas le temps de tout te compter en une seule soirée. » indiquais-je alors en levant légèrement les sourcils, sans que mon sourire ne disparaisse, au contraire. Je croise alors mes bras devant moi, face à ma bière. Mon regard se perd alors légèrement dans le vide. Comment commencer mon histoire ? J’avais aussi mille et une façons de la raconter mais peut-être que la meilleure des façons, c’était comme je lui avais dit : à ma façon. « C’est l’histoire d’un garçon qui est né le 25 janvier 1988, à Brisbane. Ses parents étaient originaires du Queensland. Cela va sans dire que l’empreinte de cet état se retrouvait dans l’éducation qu’il a reçu. Ce garçon n’avait aucun rêve, aucune aspiration au début. Il suivait sagement ce qu’on lui disait ou ordonnait. Cela semblait normal pour lui car il ne connaissait que cela. » Marquant une courte pause pour prendre une gorgée de ta bière, je reprends bien vite. « Mais un jour, ce garçon rencontre alors la danse. Il rencontre une façon de s’exprimer différente à tous les niveaux pour lui. Une façon de communiquer autrement qu’avec les mots. Une envie naît en lui : celle de danser. Sa grand-mère y est pour quelque chose. Cependant, cette envie devient peu à peu une obsession, quelque chose qu’il désire plus que tout et qu’il finit par vivre en rentrant dans une école spécialisée : la Queensland Ballet Academy. Le temps passa sans que sa passion ne s’effrite jusqu’à un drame familial. L’ainé de la famille ne peut décemment pas être un artiste. Vivre de sa passion est une illusion. L’enfant qui avait désiré tant entrer au Ballet d’Australie voit sa chance lui passer sous le nez alors il décide de quitter son pays pour la France. » Je m’arrête alors pour lancer un regard à Asher. « C’est très factuel mais… si tu veux qu’on parle d’avantage de la passion dévorante qu’a connu ce garçon, il va me falloir une cigarette. Tu me suis ou tu m’attends, si tu as le temps ? » Je m’étais livré si facilement sur cette partie de ma vie et à juste titre : j’avais déjà compter cela mille et une fois. Cependant, Paris, ma vie d’Etoile… et tout ce qui s’en suivait. Est-ce que j’allais me livrer de la même façon ?
« Je n’aurai peut-être pas le temps de tout te compter en une seule soirée. » Tu hoches la tête, ayant quand même envie de savoir les grandes lignes de son histoire. Tu ne proposes pas déjà de vous revoir éventuellement parce que si son histoire te fait perdre ton temps, tu veux pas te mettre dans une situation de merde pour rien. Un pas après l’autre. T’es prudent, toujours. Surtout quand t’as l’impression que ça reste assez ambigüe tout ça. Pourquoi il est autant intéressé par toi ? Tu vas clairement pas lui raconter ton histoire en retour. T’espères que ce n’est pas ce qu’il a en tête. T’as dit que c’était privé quand lui est prêt à te raconter toute sa vie. Le jour et la nuit vraiment. « C’est l’histoire d’un garçon qui est né le 25 janvier 1988, à Brisbane…» Ça te surprend vraiment beaucoup la façon qu’il a de raconter son histoire. Il fait ça comme si ce n’était pas lui. Tu le regardes, essayant de lire un peu plus d’information au travers de ses traits. « Mais un jour, ce garçon rencontre alors la danse. Il rencontre une façon de s’exprimer différente à tous les niveaux pour lui. Une façon de communiquer autrement qu’avec les mots…» Tu te retrouves dans ce qu’il dit même si c’est toujours avec des mots que tu t’es exprimé. Sauf que ceux qui valaient la peine, ceux qui étaient un bout de ton âme étaient couché sur du papier dans tes multiples carnets. Ils sont encore tous en ta possession chez toi. Jamais tu laisseras personne les lire. A part peut être Levi. T’as pas non plus eu le coeur de les brûler ou les jeter. Il se trouve que parfois en les relisant, tu es inspiré de plus belle pour écrire. Mais pas depuis que Levi est entré dans ta vie. Toutes ces nouvelles chansons sont quasiment que sur lui et tu ne l’avoueras à personne. Que chacun se fasse son interprétation, mais il est certain qu’il est ta muse. Autant que tu es la sienne.
Abel parle de sa famille, de la danse, de la France. Y’a encore aucun élément vis à vis de sa sexualité. Est-ce qu’il est hétéro ? Est-ce qu’il fait exprès pour te frustrer et te donner envie de l’écouter un autre jour ? En tout cas tu es pendu à ses lèvres attendant une partie qui t’intéresse plus que les autres. Si elle y a une place dans son histoire. « C’est très factuel mais… si tu veux qu’on parle d’avantage de la passion dévorante qu’a connu ce garçon, il va me falloir une cigarette. Tu me suis ou tu m’attends, si tu as le temps ? » Il fait durer le suspense. « T’en as une pour moi ? » Que tu dis en te levant de ton siège, ta bière à la main pour aller à l’extérieur avec lui. Tu te sens tellement plus relax par rapport à plus tôt. Tu vois Asher, c’est pas la mort. Il s’en fou que tu aimes un homme. Il va pas aller le raconter non plus. I got lucky. Parce que tu sais que tout le monde n’est pas comme ça. T’as réellement peur des premiers fils de pute que tu croiseras sur ta route. Tu garderas ta vie privée, privée. Toujours. Une fois dehors, tu le regardes, attendant la suite. T’es pressé, mais tu ne dis rien pour qu’il aille plus vite non plus. Tu dis jamais grand chose mais tes yeux parlent beaucoup.
Il y a des choses que je livrais facilement, qui n’avaient pas vraiment une raison de rester cachée. Cependant, d’autres plus personnelles restaient toujours plus compliquées à aborder, toujours plus compliquées à expliquer. Mais allez savoir pourquoi, j’avais envie de lui dévoiler un bout de moi, comme une façon de m’excuser peut-être aussi du mal aise que j’avais insufflé en lui tout à l’heure. Mais dans un autre sens, parler de moi, je savais faire. J’avais appris à le faire. Appris au contact de personnes qui étaient entrées dans ma vie, sans prévenir et avec qui je m’étais lié à bien des niveaux. Cela peut sembler étrange, mais je ne m’étais jamais senti aussi bien que lorsque je décidais de me confier. Même, si c’était à de parfaits inconnus. Parfois, cela est plus simple. Car même s’ils vous jugent, ils ne vous connaissent pas plus et leurs avis semblent souvent plus avisés.
Je lui proposais alors de sortir pour fumer une cigarette. Il m’en demande une. J’acquiesce d’un signe de tête. Je me lève, prends ma bière et me dirige vers la sortie. L’air frais me fait frissonner légèrement. J’avais toujours aimé ce climat si caractéristique du pays de mon enfance. Je sors d’une de mes poches mon paquet pour le tendre à Asher qui semble plus détendu qu’au début. Le laissant en prendre une, je récupère à mon tour une cigarette avant de l’allumer, tendant mon briquet dans la direction du chanteur si jamais celui-ci n’en avait pas. Première bouffée. La fumée envahit mes poumons sans attendre. Cela m’a toujours fait un bien fou. Ce n’est pas très compatible avec le fait d’être danseur, mais c’était sans doute bien l’un de mes seuls excès. Je m’étais mis à fumer tardivement et malheureusement, je n’avais jamais arrêté. Mais qu’importe. Je sens bien vite son regard sur moi, je baisse alors les yeux pour croiser le sien. Il attend la suite. Ses yeux te le disent, te le crient presque. Je prends une gorgée de ma bière avant de la poser sur le rebord de la fenêtre.
« Paris. La ville des arts, voilà comment le garçon la voyait. Mais elle était surtout sa chance, sa chance de pouvoir vivre sa vie, de monter sur les planches et danser à en perdre la tête. Il est reçu au concours et gravit les échelons pour devenir alors Etoile du Ballet de l’Opéra de Paris. C’est le sacre, la consécration. Cependant, le garçon avait appris qu’être nommé Etoile ne fait pas de lui une Etoile, mais qu’il allait le devenir par la suite. » Parler de cela était toujours un moment émouvant. « Mais pour lui, c’est déjà une avancée, un grand pas pour montrer à son père qu’il était doué, qu’il était fait pour cela. Qu’être danseur n’était pas un rêve de gamin qui se berçait d’illusions. » Un commentaire. Un avis. Je poursuis. « C’est aussi à ce moment-là que le garçon connaît sa première véritable histoire d’amour. Si les flirts étaient monnaie courante, jamais encore il n’était tombé amoureux. Il ne s’était jamais posé vraiment de question sur son identité à ce sujet. Pourtant, une part de cette identité n’était pas la plus acceptée, souvent rejetée, stigmatisée. Pourtant qu’importe quand on aime. On se sent invincible. Et… c’était bien le sentiment que j’avais. Dans ses bras, j’étais le roi du monde, dans ses yeux, j’étais tout ce qui comptait. Il était mon premier amour. » Digression. Le garçon avait laissé place au narrateur, le garçon avait laissé place à l’homme que j’étais. « Cependant… Je crois que j’aimais plus ce que je devais. »
Comme tu t’y attendais il te passe une clope. Il te passe le feu qui va avec et ce simple échange n’est pas anodin pour toi. Ça fuse dans ta tête et tu tires fort sur ta clope après l’avoir allumé. Tu lui rends le briquet en le regardant, attendant qu’il aille sur la suite de son histoire. C’est rare que tu fumes. Tu préfères jeter ton dévolu sur l’alcool et les quelques joints que tu partages avec Levi de temps à autre. « Paris. La ville des arts, voilà comment le garçon…» Mais l’heure de la suite de l’histoire est arrivé alors tu l’écoutes avec attention, t’appuyant contre le mur. Bière dans une main. Clope dans l’autre. Tu n’y connais rien dans le milieu de la danse mais ça n’en reste pas inintéressant pour autant. Juste que… Tu attends autre chose de plus. T’es peut être un peu déçu qu’il ne parle pas des clichés qui sont liés à être danseur en étant un homme. Il n’a pas eu de problème avec ça tout le long de sa vie ? De sa formation ? « Mais pour lui, c’est déjà une avancée, un grand pas pour montrer à son père qu’il était doué, qu’il était fait pour cela. Qu’être danseur n’était pas un rêve de gamin qui se berçait d’illusions. » Il a l’air d’avoir des Daddy issues lui aussi. Tu préfères ne pas penser à ton propre père mais t’aimes que le sien vienne sur le tapis. Tu veux en savoir plus encore. Tu tires sur ta clope, continuant d’écouter son récit. « C’est aussi à ce moment-là que le garçon connaît sa première véritable histoire d’amour. » Ton attention qui redouble mais de l’extérieur il n’y a que tes yeux qui changent d’intensité. « Si les flirts étaient monnaie courante, jamais encore il n’était tombé amoureux. Il ne s’était jamais posé vraiment de question sur son identité à ce sujet. » Hmmm. Tu attends la suite. Tu veux l’entendre le dire. Tu veux pouvoir être jaloux de l’entendre le dire si facilement alors que tu oses à peine formuler cette pensée dans ta tête. « Pourtant, une part de cette identité n’était pas la plus acceptée, souvent rejetée, stigmatisée. » Hi Dad. Que tu penses ironiquement. Vraiment il aura gâché tellement de chose dans ta vie… Et les simples mots de Abel te font comprendre qu’il n’y a plus aucun doutes. « Pourtant qu’importe quand on aime. On se sent invincible. » Hmmm. Ca t’énerves d’être d’accord avec ses mots. « Et… c’était bien le sentiment que j’avais. » Tu captes bien le changement de personne de son récit. « Dans ses bras, j’étais le roi du monde, dans ses yeux, j’étais tout ce qui comptait. Il était mon premier amour. » Il. Voilà, il l’a enfin dit concrètement. Si simplement. Pourquoi tu n’arrives pas à faire de même Asher ? Regarde comme c’est simple.
« Cependant… Je crois que j’aimais plus ce que je devais. » Tu hausses les sourcils en entendant cette dernière phrase. « Qu’est ce qu’il s’est passé ? » Tu demandes alors que c’est carrément indiscret mais t’en as clairement rien à faire. Il s’arrêtera de raconter s’il n’a pas envie d’en parler. Il passera à autre chose. Tu parles du futur dans ta question, il peut le prendre dans le sens qu’il veut, même si tu veux en savoir plus à propos de sa vie avec son premier amour. Ton coeur qui se met à battre bien plus vite alors que tu oses une question supplémentaire. « Et ton père..? » Un point crucial qui t’importe fort. Son expérience de ce côté là.
Les mots s’enchainent. L’histoire se poursuit. Cela pouvait être pourtant une belle histoire, un véritable conte de fée. Une vie rêvée dans la capitale française, à danser du soir au matin pour mon plus grand bonheur et ma plus grande joie. Le travail ne manque pas, les représentations s’enchainent encore et encore, tout comme les cours. Un tourbillon enivrant dans lequel j’avais trouvé l’amour que je lui avais dit. Un amour intense, passionné. Un amour qui m’avait comblé, qui m’avait fait battre mon cœur toujours plus vite, presque comme lorsque je montais sur la scène, me retrouvant sous les feux de la rampe. Cependant, tout le long de mon récit, je regarde de tant à autre le chanteur. S’il reste silencieux, s’il ne dit rien : ses yeux parlent pour lui. Je vois à quel point mon histoire peut retenir son attention, qu’il attendait de savoir, de connaître finalement ce bout de moi qui n’était loin d’être un secret pour celles et ceux qui m’avaient approché. Mes mots n’étaient pas choisis avec soin, ils sortaient du cœur, de mon âme encore blessée sans doute par cette histoire. Il n’y avait plus de filtre, plus de jolis récits, simplement moi qui m’exprimais, qui me confiait sur ce que j’avais pu vivre, sur ce que je pouvais encore ressentir. Je crois voir que certaines choses font écho chez le chanteur de Hurtwave, mais jusqu’à quel point ? Je ne le sais pas.
C’est alors que j’entends ses mots. Que j’entends sa question. Anodine me direz-vous, une simple question qui invitait à poursuivre, qui invitait à continuer le récit pour comprendre. Un intérêt soudain ? Ou une curiosité mal placée ? Je n’en savais rien et cela n’avait pas d’importance. Les quelques secondes de silence qui s’écoulent face à sa demande me permettent d’accrocher de nouveau son regard azuré. Le coin de mes lèvres s’étire. « C’est privé ? » tentais-je alors. On pouvait sentir la note d’humour, de taquinerie même si dans le bleu de mes yeux, il était si aisé de voir que j’avais souffert de cette histoire. J’y repensais avec une mélancolie encore empreinte de douleur. Je tire de nouveau sur ma cigarette alors que je m’appuis contre la façade en levant les yeux vers les étoiles. « Il a préféré ma meilleure amie à moi. » J’avais lâché cela comme une bombe, sans préambule. Cette histoire, je l’avais vécue comme une trahison véritable, comme un affront personnel. Qui ne le prendrait pas de la sorte me direz-vous ? Je m’étais encore réfugié dans le travail, me lançant corps et âme dans la danse, ne contant pas mes heures que ce soit au sein de la compagnie ou lors de collaboration. Je donnais le change, gardant ce professionnalisme sympathique. Je n’étais pas devenu plus froid, plus distant. Simplement que cela a drastiquement changé ma vie. Pourtant si aujourd’hui, j’y repense. Aucune de mes pensées sont empreintes de violence à leur égard, de malveillance aussi. La seule chose que je leur souhaite, c’est d’être heureux ensembles si c’est ce qu’ils avaient décidé. Le reste. Moi. Quelle importance. Inutile de se formaliser, inutile de pleurer encore même si cela faisait du bien. Si je ne suis pas méfiant en amitié, je le suis en amour. Je sais comment je suis. Quand je donne, je ne compte plus, je ne regarde plus. J’aime tout simplement. Et le pire sans doute, c’était que je n’attendais rien en retour, si ce n’est sans doute de l’honnêteté si cela n’était plus possible. D’ailleurs, je n’avais pas ajouté un mot mais il était si simple de deviner toutes les émotions qui éclataient dans mes yeux.
Lorsqu’Asher me demande alors mon père, je fus pris comme d’un soubresaut ; un rire s’élève. Un rire jaune. « C’est peut-être idiot mais malgré ma carrière, je suis encore ce garçon qui cherche désespérément la reconnaissance d’un père que je n’aurai jamais. » indiquais-je alors sans détour. « Je pense qu’il a eu vent de mon histoire, eu vent que son ainé, en plus de le décevoir sur le plan professionnel, devait s’adonner aux pires bassesses, avoir une vie sexuelle débridée, comme le veut si bien le cliché sur les artistes. Mais si je suis encore à penser que je pourrais avoir son attention pour ce que j’ai accompli. En ce qui concerne… ce que je suis. Qu’importe son avis. Le fait que je puisse aimer un homme, une femme qui que ce soit. Cela me concerne. L’avis des uns ou des autres est sans importance. Car ce n’est pas eux qui vivent ta vie. Et ce ne seront pas eux non plus qui seront là quand tu auras des problèmes ou que tu auras besoin d’aide. »
« C’est privé ? » Fair. Parce que tu vois son sourire, tu sais qu’il plaisante. Il te l’a bien placé le connard. Well played. Surtout parce qu’il t’arrache un léger sourire. Plus il se confie, plus tu te détends. Et il reprend. « Il a préféré ma meilleure amie à moi. » Fuck. Parce que ça te fait penser à quelque chose aussi chez toi. Mais c’est de l’histoire ancienne. Tu comprends sa douleur cela dit. Genre. Vraiment.
T’as pas vraiment hâte d’entendre le volet en rapport avec son père. Tu le sens mal vu l’intro qu’il a fait à son propos. « C’est peut-être idiot mais malgré ma carrière, je suis encore ce garçon qui cherche désespérément la reconnaissance d’un père que je n’aurai jamais. » Cette phrase que tu sens passer comme une claque bien forte sur ton beau visage. Tu le savais déjà mais l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre qui a vécu ce que tu redoutes le plus, ça confirme que ce ne sont pas que des craintes irrationnelles. « Je pense qu’il a eu vent de mon histoire, eu vent que son ainé, en plus de le décevoir sur le plan professionnel, devait s’adonner aux pires bassesses, avoir une vie sexuelle débridée, comme le veut si bien le cliché sur les artistes. » Il sait même pas. Il ne parle plus à son père. C’est déjà le cas pour toi. Tu ne veux pas lui parler à ce vieux con qui ne s’est jamais intéressé à rien de ce que tu as fait dans ta vie d’artiste. Tu préfères ne pas penser aux termes qu’il a utilisé pour parler des relations homosexuelles. Ç’était tout autant de petites claques que tu as senti passé. « Mais si je suis encore à penser que je pourrais avoir son attention pour ce que j’ai accompli. » En ce qui te concerne tu n’as pas envie que ton père mette son nez dans les textes de tes chansons. Pour ce qui était de Empire of the Sun il y a beaucoup de noms en tant que crédit sur chacune des chansons. Les mentions de collaborations avaient très bons dos pour esquiver de prendre le sens des titres uniquement sur toi. En ce qui concerne Hurtwave c’est bien plus compliqué vu qu’il n’y a plus que Johnny et toi. Mais c’est tout naturellement que Johnny est sur tous les crédit. Suffit qu’il ait décidé de placer une virgule à un endroit précis des paroles pour qu’une partie du crédit lui revienne de droit à ton plus grand plaisir. « En ce qui concerne… ce que je suis. Qu’importe son avis. Le fait que je puisse aimer un homme, une femme qui que ce soit. Cela me concerne. L’avis des uns ou des autres est sans importance. » Bien pour ça que tu gardes tout pour toi. T’as toujours été quelqu’un de très privé Asher. C’est pas demain que ça va changer, même si tu assumes ta relation ailleurs qu’entre quatre murs. « Car ce n’est pas eux qui vivent ta vie. » Tu kiffes pas trop qu’il ait commencé son récit à la troisième personne du singulier, pour continuer à la première et finir à la deuxième. « Et ce ne seront pas eux non plus qui seront là quand tu auras des problèmes ou que tu auras besoin d’aide. » Tu sais que c’est une façon de parler pour être plus général mais tu ne peux pas t’empêcher de te dire qu’il parle de toi. Tu restes un moment silencieux, traitant tout ce qu’il vient de te dire. Tu bois la dernière gorgée de ta bière. Il a raison. C’est clairement pas ta famille que tu iras voir en premier si tu as un problème.
Tu restes dans tes songes un moment, te battant avec tes démons que tu connais si bien depuis le temps. Et puis tu tournes la tête vers Abel. « Je te paie un verre ? » Ou ta façon à toi de le remercier pour tout ce qu’il vient de te dire. Tout ce qui est encore en train de te faire cogiter. Qui va très certainement t’aider à aller encore plus de l’avant. Merci. Que tu lui dis au travers des yeux mais le mot en lui même t’arracherait la gorge. Tu ne sais pas s’il a d’autres choses à te raconter, mais déjà ça, c’est énorme. Il ne s’en rend sûrement pas compte puisqu’il ne sait rien de toi.