Le jour J est arrivé. Le show au Triffid. Pas de tour bus ou de voyage. C’est toujours un feeling sans pareille quand tu fais un hometown show. Tu vis ta meilleure vie et puis ensuite tu peux aller te mettre une belle race directement chez toi. Ou encore mieux, inviter tous tes potes chez toi pour une after party non officielle. Le truc qui est bien dans l’affaire c’est que ton coloc n’est autre que ton band mate Johnny. Depuis que tu lui as annoncé ta relation avec Levi, tu ne ressens plus la nécessité de le virer de chez toi comme tu le voulais initialement. Tu as réglé ton problème - qui n’en était pas un quand on y réfléchit. Tu voulais pouvoir passer du temps avec Levi chez toi, maintenant tu l’as ce temps. Plus que tu ne l’aurais cru car Levi a un free pass pour ton appart’. Il a une clé et tu n’as pas à craindre quoi que ce soit car il n’y a plus de secret pour Johnny.

Tu es plutôt très nerveux pour ce soir car n’étant pas en tête d’affiche, tu ne sais pas s’il y aura du public pour ton groupe. Tu espères qu’ils seront réceptif dans la foule car c’est cette connexion que tu chéries tant. Tu sais combien ça peut être dur de faire un show devant une vingtaine de personne parce qu’aucun billet n’a été vendu. Ca ne devrait pas être le cas ce soir puisque vous jouez relativement tard dans la soirée. En 4e sur une affiche de 6 groupes, c’est plutôt très bon. Tu sais que l’unique raison pour laquelle vous êtes si bien placée c’est parce que votre ancien groupe était plutôt huge dans la scène musicale. T’as prévu de jouer une ou deux chansons de ton ancien groupe d’ailleurs. Tu sais que celles ci établiront une connexion forte avec le public. Tu ne sais pas encore exactement de quoi sera faite la setlist. T’en as trois différentes en tête, t’es encore en pleine reflexion à ce propos. Johnny te laisse carte blanche comme la plupart du temps.

T’es venu largement plus tôt que l’heure du show. Y’a le soundcheck, y’a les potes à voir, y’a la setlist à te décider surtout. Tu as d’ailleurs fini ton passage au soundcheck et tu vas à l’extérieur pour t’aérer, te prendre un verre aussi. Devant le bar où le barman, un nouveau que tu ne connais pas, est occupé. Tu attends et tu fronces les sourcils en reconnaissant Abel installé à une table. Seul. Tu jettes un coup d’oeil au barman qui n’est d’ailleurs plus derrière le comptoir. Ok ce n’est pas une heure de grande affluence mais quand même. Tu te mords l’intérieur de la joue et te décide d’aller dire bonjour à Abel en attendant de pouvoir te commander un truc à boire.

Affublé d’une chemise grise et d’un jeans tout ce qu’il y a de plus classique, tu vas jusqu’à sa table. Tu t’éclaircis la gorge pour annoncer ta présence. « Tu sais que le show ne commence que dans trois heures? » Tu te laisses aller à une légère boutade car les portes ouvriront dans deux heures, le premier groupe commencera une demi heure une heure plus tard. Tu te demandes s’il est là si tôt pour choper une place au premier rang. Tu veux pas croire que ça serait le cas. Tu l’imagines pas. « Merci d’avoir pris une place. » Tu reprends un peu plus sérieusement car quand même. Car c’est un truc important pour faire vivre l’industrie. Abel le sait très bien étant lui même un artiste accomplit.


@Abel Greetham

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Je me souviens que le soir même après le tournage du clip pour Hurtwave, j’avais fait un tour sur Instagram afin de voir si le duo avait une page dédiée. J’avais finalement trouvé mieux que cela : l’Instagram d’Asher. Et évidemment, il venait d’écoper d’un nouvel abonné cette nuit-même. Il faut dire que la discussion que nous avions eu – ou plutôt les interactions du début – avait été assez étrange dans une certaine mesure. Je m’étais retrouvé face à un homme relativement discret, presque trop mystérieux. Des messages évocateurs, une volonté que cela reste secret. J’avais fini par lui compter mon histoire, ma façon de voir les choses, le fait que ma sexualité était loin d’être si différente de la sienne. La tension avait laissé place à une certaine forme d’écoute, une réceptivité silencieuse mais qui j’espérais lui avait quand même fait du bien. Alors ce fut presque dans la suite logique des choses que lorsque je vis dans mon fil d’actualité, un post de sa part concernant un concert où il jouait, je me laissais tenter par l’expérience mais aussi pour avoir l’occasion de possiblement l’entrevoir. Il était la première personne que je rencontrais à titre personnelle, comme une nouvelle relation dans ma vie. Et puis, j’avais conscience aussi qu’y assister, c’était une façon de soutenir ses efforts, son travail. En tant qu’artiste, je ne pouvais qu’être sensible à cela.

J’avais fini ma répétition un peu plus tôt que prévue. En effet, un des répétiteurs avait dû partir en raison d’affaires familiales. Sachant que le répétiteur était celui qui avait conçu cette partie… autant dire que la répétition n’avait plus vraiment de sens. Cela tombait bien, j’avais pu rentrer plus tôt pour me changer et surtout pour finir de mettre de l’ordre dans mes cartons. Néanmoins une fois que cela fut achevé, je me rendais compte par la même occasion que je n’avais rien prévu avant le concert. Qu’à cela ne tienne, je décidais de rejoindre le Triffid. A peine j’avais mis les pieds dans cet endroit, que je me sentis bien dans l’ambiance qui régnait dans cet endroit. Une atmosphère lounge qui arborait le culte de la loupiotte, liée à cette végétation agréable malgré le temps automnale. Cet air frais avait de quoi me détendre. Je me dirigeais vers le bar pour me commander un verre de vin avant de prendre place sur une table à l’extérieur. Il était tôt mais j’avais pris l’habitude de me perdre dans mes pensées dans pareils endroits, un verre non loin de moi, mon téléphone en main, mon paquet de cigarettes posé sur la table à côté du cendrier. C’était une façon à moi de trouver parfois de l’inspiration. Je finis par poser mon téléphone sur la table et prendre une gorgée de mon verre alors qu’au même moment je vois apparaître Asher dans mon champ de vision, qui venait de s’éclaircir la gorge comme pour s’annoncer, avant de me faire remarquer que j’étais en avance, à sa façon. Je ne pus m’empêcher de sourire alors, reposant mon verre. « Je sais. Mais que veux-tu ? je suis quelqu’un qui aime arriver en avance ! » Boutade. « Mais je ne pensais pas que les artistes arrivaient aussi tôt non plus. » revers avec un sourire. Rien de bien méchant, mon sourire en témoigne d’ailleurs. « Il n’y a pas de quoi. J’avais envie de voir ce que tu avais dans les tripes en live. » confiais-je alors sans détour. Une façon de lui mettre un peu la pression ? Pas vraiment. Mais j’avais vu de quoi il était capable en écoutant ses chansons qui étaient si évocatrices. Alors quelque part, je m’attendais à ressentir encore davantage ce sentiment de façon décuplée lorsqu’il serait sur la scène. « Cigarette ? » demandais-je alors en prenant mon paquet, pour le porter à son regard, en guise de proposition.

« Je sais. Mais que veux-tu ? je suis quelqu’un qui aime arriver en avance ! » Tu sens un double sens. T’y penses. Tu le vois dans ses yeux, mais tu es dans un déni très fort pour imaginer ce genre de chose à son propos. Too much information. C’est vrai qu’il a déjà partagé beaucoup à son sujet et tu es resté à l’écouter, mais ce nouveau genre d’histoire sur lui, no thanks. « Mais je ne pensais pas que les artistes arrivaient aussi tôt non plus. » Il continue et tu en profites pour jeter un coup d’oeil au comptoir si le barman est de retour. Tu ne sais pas comment répondre à sa boutade alors tu préfères juste changer de sujet et parler de sa venue ici ce soir. « Il n’y a pas de quoi. J’avais envie de voir ce que tu avais dans les tripes en live. » Petit coup de pression. Tu sais très bien qu’il va y avoir pas mal de personnes de ton entourage dans la salle ce soir. Ca fait des années que cette configuration ne s’est pas présenté. T’as fait quelques shows déjà avec Hutwave. Vraiment pas beaucoup et aucun ici. Ca va être une sorte de rite de passage ce soir. Est-ce que les gens de ta ville natale vont te soutenir ? « Cigarette ? » Tu fais non de la tête. Y’a rien de pire pour un chanteur que de fumer. Tu ne le fais que très occasionnellement et surtout pas un jour de représentation. Et voilà que t’es un peu mal à l’aise sans savoir quoi dire pour relancer la conversation.

Tu jettes un coup d’oeil au comptoir pour voir si le barman est de retour et c’est le cas. Sauvé. « Je vais me prendre un truc à boire. » Et tu tournes les talons pour se faire. Vous avez de l’alcool dans votre loge mais tu sais que tu vas tout boire avec Johnny un peu plus tard. Tu n’as jamais été sur scène sobre, c’est pas aujourd’hui que ça va commencer. T’as besoin de t’oublier pour sortir ces paroles sur leurs mélodies de ta gorge. Ces cris qui te libèrent tellement à chaque fois. C’est avec un double whisky que tu reviens auprès de Abel. Tu t’installes naturellement en face de lui, en diagonale sur cette grande table à quatre places. Il y a vraiment personne à cette heure ci. Un seul gars plus loin en train de manger des frites, le nez dans son téléphone. D’ailleurs c’était aussi ce que faisait Abel avant que tu t’incrustes. Peut être qu’il a envie d’être seul. Il me le dira. T’es pas inquiet. « T’es venu seul ? T’as pas ramené un pote ou quoi ? » Bien sûr la motivation première à cette question c’est de faire entrer un peu plus d’argent. Vous avez d’ailleurs du merch qui sera disponible pour qui veut vous donner encore plus d’argent. Loin de toi l’idée d’aller à la table de merch après le show. Discuter avec les gens qui apprécient ta musique a toujours été une certaine source d’angoisse. Tu l’as déjà fait cela dit, a multiples reprises. Ta vie c’est de toujours combattre toutes tes angoisses tout le temps. C’est fatiguant. Tu préfères largement quand tu entends la foule faire qu’un à chanter tes paroles en retour. Tu ne les connais pas mais ils te connaissent tous. Ils s’identifient à tes mots. C’est toujours un sentiment étrange autant que bon.

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Asher. Toujours aussi lui. Je ne m’attendais pas à une grande éloquence de sa part, encore moins les quelques heures qui précédaient sa prestation. Mais ce n’était pas un souci, je parlerai pour deux. C’est déjà ce que j’avais fait lors de notre première rencontre. Et puis j’avais appris aussi une chose de lui, une chose plus importante que le simple fait – à mes yeux – qu’il était en couple avec un homme du nom de Levi. Pour discuter avec le chanteur de Hurtwave, il n’était pas nécessaire de l’entendre, il suffisait de regarder ses yeux céruléens qui étaient presque une sorte de fenêtres ouvertes sur ses pensées. Refusant la cigarette, je repose finalement le paquet alors sur la table tout en posant mes deux avant-bras sur celle-ci, alors qu’il m’informe qu’il va prendre quelque chose à boire. Je hoche de la tête en signe d’acquiescement ou plutôt que je l’avais bien entendu. Reprenant une bouffée de ma cigarette, mon regard se perd alors de nouveau dans le ciel automnal avec la végétation singulière de la saison. C’est vrai qu’on se sentait bien ici.

Ce fut le bruit de la chaise devant moi qui me fit baisser les yeux pour me retrouver face au blond qui venait de prendre place devant moi. Au moins, il n’avait pas fui cette fois-ci. Quelque part, cela me faisait plaisir que le chanteur décide de passer un peu de temps avec moi. Est-ce une façon de continuer notre discussion de la dernière fois ? Bonne question. Surprenant. Il vint me poser une question. Comme quoi, il n’était pas dénué de conversation quand il le désirait. Je secouais négativement de la tête. « J’avais dans l’idée au début d’amener mes frères avec moi, ou même proposer à un ami que j’ai récemment retrouvé ici. Mais mes frères sont occupés et quelque part, je ne sais pas vraiment si proposer à un ami avec qui les choses sont ambigües n’a pas des airs de rencard. Quoi que… Cela serait une façon d’aborder le sujet. » Je prends alors une gorgée de mon verre. Mais il est vrai que dans l’idée, je n’avais pas vraiment réfléchi plus qu’à cela sur le fait de venir à ce concert. J’avais vu que le groupe se produisait ici et j’avais suivi mon instinct, mon feeling finalement, me disant que je prenais une place et que je verrai ce qu’il se passerait.

Même si le blond ne semblait pas vraiment être disposé à parler de lui, je me tentais quand même. Après tout, il pourrait se lever de sa chaise et prétexter qu’il avait quelque chose à faire. Je ne le prendrais pas mal, j’avais une certaine façon de l’appréhender, c’est tout. « D’ailleurs, je sais que je t’ai parlé de mon histoire. Mais est-ce que tu voudras me conter la tienne aussi à un moment ? » Une simple question, une simple proposition. Il ne pouvait ne pas accepter et se décider d’en faire autrement. Cela était sans a priori.

Il a la tête complètement relevé vers le ciel quand tu t’installes à sa table. Tu jettes un oeil au ciel également parce que tu trouves ça intrigant qu’il soit resté dans cette position pendant si longtemps. Tu n’y vois rien que le ciel bleu de l’automne. Si y’a bien un truc qui est mieux à Brisbane qu’à Melbourne, c’est la météo, c’est certain. Sauf que toi tu te balades tout le temps en jeans et en chemises, peut être que tout ton être est fait pour Melbourne. Cette ville te fait du bien rien qu’en y pensant. Et puis tu fais ton curieux avec tes questions avant de boire une première grosse gorgée de ton verre. « J’avais dans l’idée au début d’amener mes frères avec moi, ou même proposer à un ami que j’ai récemment retrouvé ici. Mais mes frères sont occupés et quelque part, je ne sais pas vraiment si proposer à un ami avec qui les choses sont ambigües n’a pas des airs de rencard. Quoi que… Cela serait une façon d’aborder le sujet. » Cette facilité qu’il a de dire qu’il a un crush sur un ami à lui. Ca te fascinera toujours, ou en tout cas, pour l’instant. Tu as toi même mis le sujet de ta relation avec Levi avec certains de tes proches récemment et t’es vraiment pas encore à l’aise avec ça. C’est un peu mieux qu’avant. Ca ne pouvait pas être pire en même temps. T’as peur à tous les instants mais t’es aussi fier de toi au fond. Tellement de mixed feelings tout le temps. Il te faudrait une semaine de vacances sur une île déserte (avec Levi) pour te reposer comme il faut. « D’ailleurs, je sais que je t’ai parlé de mon histoire. Mais est-ce que tu voudras me conter la tienne aussi à un moment ? » Premier instinct c’est de jeter un coup d’oeil autour de vous alors que tu as toi même établi y’a quelques minutes qu’il n’y avait personne ici. Mais juste pour vérifier, au cas où. Ca ne veut pas pour autant dire que tu vas parler de ton histoire là maintenant comme il le demande. Tu bois une nouvelle gorgée de ton verre. Tu le reposes sur la table. Tu le regardes (le verre). Tu es bien plus à l’aise à l’écrit ou à chanter ton histoire avec plein de jolies phrases qui peuvent avoir mille et un sens à l’oreille d’autrui. Ton cerveau qui cogite fort. Si tu te décides de lui dire quelques bribes de ta vies par messages sur Instagram car oui, tu as bien vu qu’il t’a follow. Tu ne l’as pas follow back mais tu sais son username et tu sais aller dans ses DM pour lui écrire ce que tu aurais éventuellement envie de lui raconter. Mais tu te dis que ce serait autant de preuves qu’il aura à ton propos si jamais lui prenait une impulsion de mettre ça sur les réseaux à la vue de tous. La seule solution c’est de lui raconter ton histoire en face à face, ou ne rien lui dire du tout.

Un nouveau coup d’oeil autour, surtout vers la porte qui mène à l’intérieur de la salle où d’autres de tes amis musiciens sont là au cas où une de leur tête sortirait de leur taverne. Mais non. Personne. « Des parents qui ont déjà tout prévu pour ta vie. Un père homophobe. » Tu déglutis après avoir dit ces trois derniers mots à voix haute. Les dire c’est aussi réaliser un peu plus combien ça t’a brisé le jour où tu l’as compris de plein fouet. Combien tu entends en boucle dans ta tête toutes les remarques qu’il a fait durant ton adolescence vis à vis de la moindre chose en rapport avec la communauté gay. Tout autant de coup de poing qu’il n’a pas vu qu’il t’a mis en pleine face. Tu les as tous senti plus fort les uns les autres. « Une image à maintenir. » Tu hausses une épaule. Tu sais que tu ne dis pas beaucoup de choses mais tu en dis énormément en même temps. Tu bois une nouvelle gorgée de ton verre. Puis deux. « Je me suis laissé entrainer dans le métal quand j’avais 19 ans parce que je savais que mes parents n’écouteraient jamais. C’est, je cite, de la musique de barbare. » Tu te gardes bien de leur envoyer les versions acoustiques ou autres chansons bien plus douce que tu as écrit. Ils ont décrété que ce que tu faisais c’était démoniaque et tu sais que jamais ils n’écouteront. Tu les connais. Quand ils s’intéressent pas à quelque chose, il en faut pour leur faire perdre leur temps avec cette dite chose. C’est parfait. C’est ton jardin à toi, où ils ne mettent pas les pieds. C’est tout ce que tu veux. T’as appris à aimer le métal avec le temps. Ce n’était pas ce que tu préférais mais la cohésion avec tes potes et les paroles qui allaient si bien sur leur musique, c’était une évidence en même temps. Ca a marché dès le premier jour même si vos premières chansons n’étaient pas si bonne. Il ne faut pas en demander trop à un groupe de jeune de 19 ans qui vient enfin de commencer à vivre de manière indépendante dans une grande ville comme Melbourne. Tu bois une gorgée de ton verre de nouveau. T’as besoin de tout ton fuel pour ce soir. T’es en préparation déjà. « Plus longue histoire de ma vie que j’ai jamais raconté. » Tu ajoutes ça pour lui faire comprendre qu’il y a peu de chance qu’il ait plus que ça. Mais vu qu’il a déjà réussi à te faire décrocher tout ça, on est peut être pas au bout de nos surprises.

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Sa réaction me tire naturellement un sourire. Il regarde aux alentour, comme pour être certains de voir qu’il n’y a personne qui peut nous écouter, nous entendre, avoir ne serait-ce qu’une bride de conversations. Quelque part, je comprenais sa volonté de vouloir se préserver, de vouloir garder certaines – beaucoup – choses pour lui et ceux qu’il estimait suffisamment digne pour en discuter. J’avais posé ma question, comme on jette une bouteille à la mer, sans être certain du résultat. Je vois que son regard se pose sur la table, son verre. Il n’avait jamais fait preuve d’éloquence à mon égard, je ne m’attendais pas à ce qu’il en fasse davantage aujourd’hui, surtout que cela faisait la deuxième fois que nous nous voyons. Et puis, cela restait en soi une relation professionnelle initialement. Face à ce silence, qui pourrait en gêner plus d’uns, je souris alors pour prendre mon verre et boire de nouveau une gorgée, profitant finalement de l’ambiance qui régnait au Triffid. Je constate que ma cigarette est d’ailleurs terminée. Alors que je viens en saisir une nouvelle, j’entends alors sa voix, ses mots. L’information qu’il me transmet. C’est concis, bref. C’est très Asheresque. Cela lui ressemble. Silencieux, j’allume de nouveau ma cigarette. Nous avions finalement vécu des choses similaires, dans des cadres différents. Cependant, sans doute lui manquait-il une personne pour faire barrage, une personne pour le tirer de là comme ma grand-mère l’avait fait. Une image à tenir, je n’avais de cesse d’entendre encore la voix grave de mon père et les hochements de la tête de ma mère. Tu es un Greetham. j’entendais encore sa voix clairement. Je pourrais faire un parallèle mais je ne dis rien. Il accepte de se livrer, de dire quelque chose, autant ne pas le couper.

musique de barbare. Cette citation me fait alors bouffer légèrement. Sans doute n’écoutait-il pas toute la palette de ce style si particulier. Mais d’un autre côté, est-ce que ce genre de parents était prêt à sortir de ce qu’ils connaissaient ? A voir le monde autrement qu’au travers de leurs propres yeux, de leur propre prisme. Non, j’en avais l’exemple même. Alors on dit que les gens changent. En réalité, ils évoluent seulement. Ils peuvent s’améliorer, régresser ou pire stagner. Même si je resterai sans doute ce petit garçon qui espérait voir un jour dans le regard de mon père une certaine forme de fierté, je savais tout autant qu’il était préférable de ne pas chercher à en attendre. Ma cigarette à la main, je le regarde boire de nouveau son verre. « Par contre, boire ne semble pas déconseillé pour un chanteur. » Boutade. Cela se voit sur mon visage, avec ce sourire que lui adresse tout en levant mon verre alors pour en faire de même. Il pourrait me retourner la même réflexion. Après tout, j’avais bien accepté du whisky sur le tournage de son clip. Néanmoins, ce fut bref, presque comme une sorte de pensée qui vint à prendre forme dans la réalité, sous la forme de mots. « Et est-ce que tu es heureux maintenant ? » Peut-être s’attendait-il à ce que je lui pose davantage de questions sur sa vie, sur son enfance, sur son histoire. Mais non, je préférais orienter la conversation différemment. Il n’était pas à l’aise avec cela, je l’avais bien compris alors pourquoi le tourmenter davantage ? Peut-être que cela était sans doute amusant de voir ses grands yeux clairs s’écarquiller un peu, se demandant si ce que je lui donnais, c’était du lard ou du cochon mais qu’à cela ne tienne à dire vrai. Néanmoins, il n’était pas non plus très à l’aise pour parler tout court d’après ce que j’avais compris mais bon autant continuer dans cette voie puisqu’il semblait quand même décidé à se montrer plus bavard que la dernière fois.

« Par contre, boire ne semble pas déconseillé pour un chanteur. » Tu te serais jeté du haut d’un immeuble depuis bien longtemps si tu ne pouvais pas boire d’alcool. C’est ton unique échappatoire. Tu en as décousu avec les drogues par le passé mais ton état était plus que déplorable, frôlant les overdose et ne pouvant plus réellement bosser sur la musique. Tu as arrêté après une belle frayeur, jetant tout ton dévolu sur l’alcool. Tu aurais très mal pris quelconque remarque à propos de ta préférence pour les hommes, mais sur ce qui est de ton penchant sur l’alcool, t’en as rien à faire. Il plaisante mais il pique quand même. Si t’étais plus à l’aise avec lui tu aurais sûrement répliqué quelque chose lié à ton lifestyle de rockstar, mais tu n’en fais rien. Te contentant d’un léger sourire pour toute réponse et une nouvelle gorgée de ton verre qui descend trop rapidement. « Et est-ce que tu es heureux maintenant ? » Voilà qu’il a envie d’en savoir encore plus sur toi. Est-ce que t’es heureux Asher ? C’est une très bonne question. Toi qui détestes les ‘salut ça va?’ Parce que tu veux pas plomber l’ambiance en disant que nope, ça va pas. T’as passé la nuit dans les bras de Levi, chez toi, dans un vrai lit. Cette simple pensée suffit pour qu’un sourire se dessine sur tes lèvres. Est-ce que ça le fait si tu lui réponds que tu n’as plus envie de mourir tous les jours ? Juste quelques fois par semaines. Ca compte comme heureux ? Tu veux pas paraître morbide ou lui donner une mauvaise (non) idée de ta personne et de ce qu’il se trame encore dans ta tête.

« Là maintenant je suis nerveux. » Oh comme tu détournes la question. Boutade aussi de ton côté, mais pas totalement car c’est la vérité. C’est d’ailleurs pourquoi tu es en train de boire. Ca ira mieux de ce côté là quand tu auras un taux d’alcool dans ton sang plus élevé. « Je suis plus heureux qu’avant. Oui. » Tu finis par lui répondre sincèrement. Il n’a aucune idée de ta vie, si tu as eu d’autres mecs avant Levi. Si tu as déjà eu besoin de te cacher comme ça aux yeux des autres. « Je ne suis plus seul. » Tu as beau avoir des amis proches, ce que tu as avec Levi c’est au delà de tout ça. T’es réellement toi même, sans filtres et c’est super flippant. Mais tu combats tes peurs à tous les instants, trouvant un certain confort dans tout ces moments au fil du temps. Tu t’habitues doucement même si t’as du mal à parler à lui aussi. Y’a des mots qui n’arrivent juste pas à sortir de tes lèvres, mais tu t’en donnes à coeur joie par messages. Déjà tu termines ton verre. « Tu veux boire autre chose ? » Parce que tu vas aller au bar. T’es sur le point de lui payer un verre, comme la dernière fois après votre conversation. Ou plutôt son monologue. T’as limite l’impression que c’est ta façon de payer son écoute. Comme un psy et son client. Abel a de la patience ça c’est une chose que tu peux pas lui enlever. Ca t’impressionne qu’il soit encore là intrigué par ton histoire.

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Dire que j’ai le sourire facile, c’est un euphémisme. A croire que je suis constamment de bonne humeur. C’était bien le cas en réalité. J’avais toujours cette faculté à prendre les choses de façon optimiste, de la façon la plus agréable qu’il soit. Mais aussi, parce que cela me faisait me sentir particulièrement bien. J’étais bien trop spontané pour contenir une quelconque émotion, ne pas rire d’une réflexion désabusée. Alors une fois n’est pas coutume, la réflexion d’Asher me tire ce sourire si caractéristique. « Rien de plus normal avant une prestation. » répondis-je alors en haussant alors légèrement les épaules, alors que j’ai croisé mes mains devant moi, appuyant mon menton sur le bord de mes indexes. Qui ne le serait pas avant ? Mais ce frisson qui parcourt l’échine avait à force une sensation agréable, quelque chose de stimulant, pour ma part en tout cas.

Sa réponse me touche. Ou plutôt son honnêteté. J’avais pu être témoin – et victime ? – des réactions très asheresques, qui éludaient bien rapidement les questions, préférant répondre à côté pour détourner la conversation. Pourtant, je sens bien qu’il fait un effort, un réel effort pour me répondre de cette façon. Alors certes, j’avais sans doute eu connaissance de quelque chose – si ce n’est LA chose – la plus importante à ses yeux. Celle qui constituait sans doute sa base, son élément fondamental de vie sans ne l’avoir cherché. Le sort avait réellement son sens de l’humour bien à lui. « Et cela fait du bien. » Ma réflexion était concise, brève, à l’image de  ces mots qu’il pouvait prononcer pour me répondre. Je me risquais à compléter ses pensées de façon orale, de mettre finalement une consistance physique à ce qu’il pouvait ressentir. Il n’était pas bavard et quelque part, je lui avais fait comprendre que si c’était nécessaire, je pouvais très bien parler pour deux.

Je me redresse alors face à sa proposition, quittant mon tabouret pour récupérer mon téléphone et mes cigarettes. « Volontiers. La même chose que toi, cela te va si je t’accompagne ? » Une autorisation. Une demande. Pas besoin d’en dire plus. Après tout, il représentait à mes yeux le diction qui dit que la parole est d’argent, là où le silence est d’or.

« Rien de plus normal avant une prestation. » La façon dont il te dit ça, t’as l’impression qu’il fait de son devoir de te rassurer peu importe la situation. Ca fait plus de dix ans que tu fais ce métier de chanteur, que tu te représentes sur scène. Tu sais que c’est normal, tu sais aussi comment palier à ces émotions. Tu es d’ailleurs en train de t’en occuper comme un grand. Oui. C’est ça en fait. T’as l’impression qu’il te parle comme à un enfant. Il t’a vu vulnérable, effrayé, sur le bord de la crise de panique et voilà qu’il doit t’imaginer faible. I’m not. Oh Asher. T’es cute de penser ça mais en attendant c’est qui qui se cache de tout le monde parce qu’il a peur ? Mais tu ne comptes pas le reprendre, t’espères juste qu’il ne va pas recommencer à te faire sentir comme ça. T’es peut être légèrement susceptible Asher.

« Et cela fait du bien. » Là tu ne penses pas mal à sa réponse parce que c’est un territoire qu’il connait mieux que toi. Qu’il a foulé avant toi et que tu n’abordes avec personne. Tu te sens encore moins seul qu’il dise ça comme ça. Pour te valider. T’es bien content qu’il ne cherche pas à élaborer un peu plus. Il reste quand même super respectueux de ce que tu lui racontes, le peu de chose que tu lui racontes. C’est peut être bien un coup d’esquive ta proposition de lui payer à boire. « Volontiers. La même chose que toi, cela te va si je t’accompagne ? » Et il chope la perche aussitôt. Tu hoches la tête instinctivement. Il est libre de se déplacer comme bon lui semble. Peut être bien que t’es curieux de voir jusqu’où vos échanges peuvent aller. Le bar n’est pas bien loin, y’a toujours personne. Tu commandes vos deux verres avant de te tourner vers Abel qui est - doux jésus - beaucoup plus grand que toi. La musique de fond qui change pour le dernier single de Trash Boat, He’s so good. T’es légèrement trigger par cette chanson mais tu ne laisses rien apparaître. Tu en as juste énormément entendu parlé lors de sa sortie il y a quelques semaines. Tu sais qu’elle traite d’un père qui renie son fils queer. Good stuff.

Vos verres qui sont servit et vraiment, t’as aucun soucis à rester dans le silence en ce qui te concerne. Peut être bien que t’écoute la musique, celle ci précisément qui n’est pas anodine à tes oreilles. T’es de plus en plus ouvert à ce sujet des LGBT… Tu fais des petits pas dans la bonne direction. Même si ça apporte également son lot de mauvaises nouvelles vu comme l’homosexualité est pas spécialement accepté dans la communauté du métal. Mais tu n’en es pas encore là, même si t’y penses.

« Y’a Jenna qui vient de me texte, elle devrait être à l’heure pour notre set. Hey salut Abel. »
« Elle vient vraiment? Elle est tarée. »

Mais un immense sourire est présent sur tes lèvres de cette confirmation de la part de Johnny qui ne faisait que passer, il est déjà en train de prendre le chemin de la sortie de ces lieux. « Va y avoir beaucoup de monde important ce soir… » Que tu dis en te détournant du comptoir après avoir payé. Tu devrais aller t’acheter une bouteille au supermarché le plus proche. Ce sera plus rentable. T’es pas riche. Levi par contre, c’est une autre histoire. Ca te fait un peu sourire d’y penser.

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Récupérant mes affaires, je suis alors Asher qui rejoint le bar, qui n’est qu’à quelques pas de là. C’était assez amusant de se dire que j’étais en train de boire un verre avec quelqu’un qui connaissait la célébrité, qui connaissait la gloire dans sa carrière musicale. J’avais quand même – je l’avoue – fait quelques recherches sur lui, au-delà de son Instagram. Ce n’était pas un amateur, encore moins un débutant. Un nouveau groupe. Un nouveau départ. Ce n’était pas rien mais quelque part, cela faisait comme un écho une sorte de parallèle aussi à ma propre histoire. Quitter l’Opéra lorsque j’étais Etoile ne fut pas une décision facile. Être nommé si jeune était un avantage non négligeable : cela permettait de se fixer, d’ancrer un style tout le long des saisons, au sein de la compagnie. Elle permettait de bâtir une carrière durable. Pourtant, j’avais décidé de tout quitter pour l’Australie. Je ne m’étais pas vraiment intéressé à toutes les breaking news de son ancien groupe en toute honnêteté. La seule chose que je connaissais de lui, c’était finalement quelque chose d’assez générale et… son plus grand secret aussi. Néanmoins, c’était toujours amusant de côtoyer quelqu’un qui n’est pas un monsieur tout le monde. Sans doute que cela pouvait faire envie à plus d’une personne : boire un verre avec le parolier de Hurtwave.

Prenant le verre qui m’est tendu, je le remercie alors d’un mouvement de la tête et d’un sourire. D’ailleurs, je remarque alors l’air peut être absent du chanteur face au changement d’ambiance. Les paroles étaient évocatrices. Coïncidences ? Peut-être mais cela était si parfaitement synchronisé avec ce qu’il m’avait confié tout récemment. Pourtant, je reste silencieux me contentant de boire une gorgée de mon verre. C’est alors qu’une tête familière apparaît alors. C’est la deuxième tête du groupe : Johnny qui me salue d’ailleurs après avoir informé son band mate que Jenna était de la partie. Néanmoins, malgré son commentaire le sourire sur les lèvres d’Asher est sans équivoque. « C’est ce que j’ai cru comprendre. Une amie de longue date ? » je prends le risque de demander. Après tout, je n’en serais pas à une question près et s’il n’avait pas envie de me répondre, il se contenterait d’une réflexion Asheresque ou d’un de ses silences qui était très Asheresque aussi. Pourtant, si cela pouvait en frustrer plus d’un, cela me tirait toujours un petit sourire et un haussement d’épaules.

Je sens une vibration alors dans la poche de mon pantalon. Sortant mon téléphone, je fais une légère moue. « J’avais espoir que Logan ou Paolo viennent, mais non… » d’ailleurs, je tournais le téléphone pour lui montrer une photo de mes frères. Oui, j’avais quand même insisté mais cela n’avait rien donné de concluant.

« C’est ce que j’ai cru comprendre. Une amie de longue date ? » Tu hoches la tête à sa question. Jenna est vraiment quelqu’un qui t’a énormément aidé dans le milieu de la musique. Elle n’avait que quelques années de plus d’expérience que toi mais elle t’a appris beaucoup. Simplement aussi. Et puis faut avouer que vos voix s’accordent parfaitement et vos personnalités aussi. Son groupe comme le tient avaient, ont toujours des atomes plus que crochus. C’est avec eux que vous avez fait le plus de tournée par le passé. Tellement le pied de travailler avec ses amis. Comme ce soir. Et le fait qu’elle soit là, ça compte beaucoup pour toi. « Ouais… Jenna McDougall, Tonight Alive. » Que tu annonces pour donner un meilleur contexte si jamais il connait le groupe australien. Elle habite à Melbourne. C’est ça le détail qui a toute son importance. Elle doit certainement être à l’aéroport prête à embarquer vu l’heure qu’il est, vu le timing que Johnny t’a donné. Bon sang, t’en reviens pas qu’elle sera réellement là. Cette information est en train de te débloquer plein de questionnement que tu avais vis à vis de la set list. Si elle est là, tu vas l’inviter à chanter une chanson avec toi, comme vous faites à chaque fois que vous vous trouvez au même endroit pour la représentation de l’un ou de l’autre. C’est votre truc à vous et beaucoup vous ont déjà prêté une relation plus qu’amical. Peut être bien que ces rumeurs t’arrangeaient à l’époque pour dorer ton image d’hétéro car tu n’as jamais été vu en couple.

« J’avais espoir que Logan ou Paolo viennent, mais non… » Tu tournes les yeux vers lui qui te tend son téléphone pour que tu puisses apercevoir une photo de deux gars. « Tes frères. » Que tu dis pour lui souligner que tu avais écouté ce qu’il t’a dit un peu plus tôt et pour relancer la conversation également. Tu penses à ton frère également à ce moment là. Ton frère que tu n’as pas vu depuis octobre dernier. Ton frère qui ne veut plus de toi dans sa vie. Good stuff. Tu l’as vraiment pas simple Asher. Heureusement que t’as quand même des gens dans ton entourage qui sont là pour te soutenir inconditionnellement. « C’est le genre de musique qu’ils écoutent ? » Car tu sais combien c’est compliqué d’inviter des gens qui ne sont pas dans ce kiffe là. Combien certains peuvent dire que c’est une torture. Ils n’ont pas saisit les messages derrière tous ces cris voilà tout. Tu ne leur en veux pas, toi non plus tu n’aimes pas tout. On peut plutôt dire que tu détestes plus que tu aimes d’ailleurs. Pour faire plus rapide.

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Ma surprise peut se lire sur mon visage. Sans doute parce que je ne suis pas quelqu’un de familier avec les relations au sein de ce monde qui n’est pas le mien. D’ailleurs, j’avais toujours eu une profonde admiration pour cet univers qui possédait une si grande palette de personnalités, que de styles. Un monde où il n’était pas simple d’y rentrer et où il était très facile d’en sortir et d’être mis de côté aussi d’après ce qu’on pouvait lire dans les tabloïdes. Cependant, la nouvelle que le chanteur de Hurtwave connaisse celle qui était la parolière principale du groupe de rock australien avait fait son petit effet. Il est vrai que connaître quelqu’un au-delà de sa musique provoque toujours un sentiment particulier. « Eh bien ! tu vas avoir du beau public pour t’écouter. » dis-je alors avec un hochement de tête. D’ailleurs, je notais également le fait que c’était la première fois que le chanteur était… troublé si on peut dire. En effet, celui qui apparaissait comme si taciturne et renfermé semblait avoir accueilli la nouvelle avec une certaine joie. « Vous avez déjà collaboré ensemble ? » demandais-je d’ailleurs. Cela pouvait sembler mal placé de demander pareille chose. Mais vu que le sujet était déjà lancé. Et puis, je crois que dès qu’il était question de musique, la conversation était moins difficile aussi.

Je hoche de la tête avant de hausser les épaules. Je ne m’attendais pas à ce qu’on partage une relation fraternelle fusionnelle du jour au lendemain mais dans un autre sens, je ne savais pas encore vraiment comment situer tout cela. Ce n’était pas simple mais qu’est-ce qui l’était vraiment ? Je souris intérieurement à cette pensée tout en verrouillant mon téléphone pour le ranger dans la poche de mon jean. « Je pense qu’ils sont plutôt Pop, du moins Paolo. Logan… Logan est assez hétéroclite dans ses goûts. » Même s’ils étaient jumeaux, mes frères n’en restaient pas moins quand même assez opposés ; il faut dire que leur parcours, leur chemin de vie avait pris des directions divergentes. Là où Paolo était le rebelle, Logan était plutôt celui qui était resté dans les clous. Mais bon, au-delà de tout ça, c’était surtout passer un moment ensemble. Mais bon, peut-être une autrefois. D’ailleurs, est-ce qu’Asher avait des frères ou des sœurs ? il avait évoqué ses parents mais aucunement le reste d’une possible fratrie. Insister ? Peut-être pas. Je crois qu’il en avait sans doute trop dit sur lui en peu de temps à quelqu’un qui avait découvert son secret par la force des choses.

Buvant une nouvelle gorgée de mon verre, je regarde alors Asher, silencieux. « D’autres personnes proches de toi seront de la partie ? » Bonne question ? Aucune idée.

Vu son air à l’annonce du nom du groupe de Jenna, tu comprends que le gars connait. Il monte un peu plus dans ton estime de ce fait. Les gens qui connaissent les petits groupes Australiens sont importants. C’est grâce à tout ce monde que tu as fait ton bout de chemin avec Empire of the Sun et c’est grâce à ce même monde que tu vas refouler cette même route. « Eh bien ! tu vas avoir du beau public pour t’écouter. » Ouais. Tu espères tu vas pas fuck up, même si y’a pas de raisons. Tu sais faire ton boulot, t’as dix ans d’expérience dans les pattes. Tu te rassures comme ça ouais. « Vous avez déjà collaboré ensemble ? » Tu hoches la tête sans vraiment y réfléchir. « Pas officiellement mais on envahit la scène de l’autre dès qu’on peut. » Ça te fait doucement sourire de l’avouer. De vous visualiser. De repasser en revu les différents moments que vous avez vécu ensemble. Y’a quelques vidéos de vos nombreuses prestations sur youtube. Il n’y a rien sur Spotify car tout ça a toujours été une sorte de rébellion en premier lieu. Vos labels n’étant pas les mêmes, rien n’a jamais pu se faire par les bons channels. Ça vous a bien desservit au final même s’il n’y a rien qui a été monétisé sur ces duos que vous faites fréquemment. C’était pour l’amour de le faire purement et simplement. Pour le kiffe. Pour faire chier vos boss comme les petits cons aux visages d’anges que vous êtes.

« Je pense qu’ils sont plutôt Pop, du moins Paolo. Logan… Logan est assez hétéroclite dans ses goûts. » T’es aussi plus pop de ton côté, même si t’as beaucoup d’amour pour le métal et le rock. Si tu dois établir une liste de tes albums préférés, il y a plus de la moitié qui sont pop. Tu peux être qualifié de hétéroclite à défaut d’hétérosexuel.

« D’autres personnes proches de toi seront de la partie ? » Tes yeux sur ton verre à ce moment là. Il te sort d’une légère absence, te perdant bien trop souvent dans tes réflexions. Un sourire trouve place instantanément sur tes lèvres. T’es intimement convaincu que c’est une question déguisé pour demander si Levi sera là ce soir. « Ouais. Des amis… » La phrase qui reste en suspend une poignée de secondes. « … et Levi aussi. » Dire son nom à voix haute à l’adresse de quelqu’un c’est pas du tout chose commune pour toi. Il n’empêche que ça te procure à tous les coups un sentiment profond de joie. De parler de lui. Vous êtes assez isolé de votre côté depuis que vos verres ont été servi. Tu te sens assez confiant pour le faire. Tu bois une gorgée de ton verre, repartant doucement dans tes pensées. Tu vas d’ailleurs jeter un oeil à ton téléphone ensuite, au cas où tu aurais un message de l’homme que tu aimes. Nope.

le dé:

❝ 3 hours before show time

(@Asher Buckley)

Un sourire. « J’ai du mal à te voir envahir l’espace de quelqu’un en toute honnêteté. » Commentaire sérieux ? Non une boutade. Cela se voit d’ailleurs bien sur mon visage. Un sourire en coin, léger mais bien discernable. Il faut dire qu’Asher ne dépeignait pas une image de lui des plus sociables. Avait-il seulement envahi de l’être ? Je le voyais plutôt comme quelqu’un de très introverti, à juste titre sans doute sans pour autant qu’il n’en pense pas moins. Ses yeux étaient réellement une baie vitrée sur ses pensées. Encore fallait-il se risquer à s’y plonger me direz-vous ? Mais quel Australien qui se respecte ne ferait pas un saut dans cet océan ? Je vous le demande. Quoi qu’il en soit, cela annonçait du beau monde pour lui, mais du spectacle de haut vol aussi. Si je suivais le raisonnement, il y avait fort à parier que Jenna se retrouverait sur la scène dès le passage de Hurtwave.

D’ailleurs, le fait qu’il soit entouré, contrastait sans aucun doute l’état de fait de la solitude dont je faisais preuve pour le coup. Paolo et Logan ne seraient pas de la partie et je me posais encore bien des questions par rapport à Byron. Même si nous nous étions tournés autour pendant – bien trop – longtemps pour céder récemment, je me demandais encore comment envisager notre relation. Est-ce que cela était clair ou limpide ? Serait-il d’accord pour quelque chose de sérieux ? Croyez-moi, je le suis. Je n’avais jamais rêvé du prince charmant ou de la belle princesse ; malgré le fait que je sois acteur d’un monde de fantaisie et de rêve, je restais étonnamment pragmatique. D’un autre côté, je n’étais pas sorti indemne de ma relation avec Alexander non plus. Néanmoins, je note quand même ce sourire qui prend place sur les lèvres du blond. Un sourire qui est sans équivoque d’ailleurs. C’est bien la première fois que je le vois faire preuve d’une pareille expression. Mais semblait-il que Levi constituait aussi tout son monde aussi, un morceau de sa vie qu’il chérissait mais qu’il préférait garder loin des regards, loin des projecteurs. Ce n’était pas plus mal de ne pas s’exposer mais dans un certain sens, est-ce que le vainqueur de The Voice Australia n’était-il pas aussi sujet à médiatisation en tant que personnalité publique ? Cela ferait sans doute des vagues dans la communauté musicale et people aussi. Je lui rends d’ailleurs un sourire, lourd de sens. Je comprenais bien tout le poids que cela avait pour lui. Et je préférais ne pas non plus trop m’étendre davantage. Il avait très bien compris le sens de ma question après tout.

Alors que j’allais récupérer mon verre pour boire une nouvelle gorgée, une coupe de champagne, suivi d’une autre, vienne alors dans mon champ de vision. Quelque chose pour nous ? Pourtant, je n’ai pas le temps d’en savoir davantage que mon regard délaisse bien rapidement ces dernières pour le serveur qui était en train de tomber sur moi, littéralement. Une chute libre, plateau en main, verres dessus. Adieu les verres. Adieu le serveur ? Pourtant par réflexe, j’attrape celui-ci par les épaules alors qu’il m’entraine dans sa chute, déséquilibré, je me retrouve alors établé de tout mon long, du champagne partout et… le serveur que j’avais gardé contre moi, lui évitant une chute désagréable, jouant le rôle d’amortisseur, de coussin, de matelas, de filet – rayez la mention inutile. Ah ben je ne l’avais pas vu venir celle-là. Premier réflexe. Redresser la tête alors pour dévisager le pauvre bonhomme qui devait encore être un peu déboussolé. « Hé, tout va bien ? » Il y a des gens qui sont agacés, qui s’énervent et s’emportent. D’autres qui restent coi, honteux. Et il y a les gens qui sont les plus mal lotis mais qui demandent quand même si ça va. Choisissez votre catégorie, j’ai décidé de la mienne.