Je tente un semblant de thérapie que je pense peut faire du bien. Je n’y connais rien, je ne suis pas spécialiste, je suis même quelque peu tremblante dans mes mots parce que j’ignore où je veux, que le chemin sur lequel je vais m’est inconnu et surtout parsemé d’oeufs que j’ai peur d’écraser. Je crains de m’attirer la colère de mon frère pour un mot mal placé ou de provoquer une détresse encore plus profonde en lui pour une pensée qui se voulait rassurante mais qui ne le serait pas. C’est un exercice épuisant, dont je n’ai pas l’habitude et qui me désarme totalement. Cependant, forcé de constater que j’y mets du mien quoiqu’il arrive. Je me force beaucoup pour ne pas fuir, pour ne pas le planter ; mais j’ai assez d’amour envers Caleb pour réussir à tenir le cap pour le moment. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir de la sorte mais pour le temps donné à cet instant, je me dis que je ne m’en sors pas trop mal. Et ça me rassure, même si ça me demande beaucoup d’efforts et d’incertitudes. Je ne suis pas là pour blesser ou blâmer mon frère ; je suis là pour lui offrir mon soutien et mon aide. Quand bien même il n’en veut pas et qu’il s’efforce de se rebeller (mollement) contre mes tentatives, je sais être déterminée et ferme quand il le faut - même si, encore une fois, j’ignore combien de temps je vais tenir. Je peux me surprendre autant que je peux me réduire en miettes. A défaut de ne pas être la fille ou la soeur exemplaire, je peux au moins me satisfaire d’avoir à coeur le bien-être de mes proches et de faire tout en mon pouvoir pour tendre ma main vers eux.
Alors je souris légèrement avec douceur pour inciter Caleb à s’asseoir avec moi. “Promis, je ne vais pas te manger.” quand je le vois être soupçonneux. C’est moi, pourtant. C’est Primrose. Il y aurait maman que j’aurai compris sa méfiance, sa réticence. Mais maman n’est pas là et je suis à peu près certaine qu’elle n’aurai pas approuvé mon petit manège. L’idée étant de ne plus penser à Victoria, d’éviter d’en parler comme un sujet trop épineux - et pourtant, voilà que je me retrouve à demander à mon frère son meilleur souvenir de sa fiancée. Il met du temps à répondre et je ne force pas les choses. Je le laisse venir tranquillement, à son rythme. « Quand je lui ai demandé de rester en Australie avec moi, elle a quand même dû rentrer en France pour constituer un dossier pour envoyer une demande de visa. Ça a pris plusieurs mois, presque cinq. Je pense que le plus beau souvenir que j’ai c’est quand je l’ai revu à l’aéroport après des mois sans se voir. » je souris légèrement. “C’était une vraie preuve d’amour.” d’un romantisme sans nom. Je l’ai envié, Caleb. J’ai envié leur relation. J’ai envié leur amour. Victoria a été assez mordue pour abandonner sa vie, la France, pour venir à des milliers de kilomètres par amour. Pour Caleb. Ça force l’admiration et le respect. Et la jalousie, aussi. Un peu, parce que je n’ai jamais connu ça et je doute de connaître cela un jour. « Quand j’étais en Italie on a passé un week-end tous les deux à Venise. Un soir on faisait une balade en gondole et tout à coup elle a commencé à se pencher vers l’eau et à bouger dans tous les sens parce qu’elle était persuadée d’avoir vu un poisson coloré super mignon. On a beaucoup rigolé après. » par pudeur, mes yeux se promènent sur l’appartement, sur le salon mal rangé. J’entends que Caleb pleure, qu’il renifle grossèrement, je le vois du coin de l'œil passer ses mains sur ses joues mais je ne fais rien. Je ne le regarde pas, je me nourris seulement des bons souvenirs qu’il me donne et qui me font sourire. Avec mélancolie, avec bonheur, avec amusement. Venise, après la France, le comble du romantisme. Je soupire presque d’envie - quel destin tragique, au final.
« Et toi ? » j’arque un sourcil en portant mon attention surprise vers Caleb. “Moi ?” je répète stupidement. Je suis un peu décontenancée qu’il me rejette la question ; il n’est pas question de moi mais de lui. Cependant, je passe ma main contre ma nuque tout en m’enfonçant un peu plus dans le canapé. “Notre première séance shopping, je pense. Elle n’arrêtait pas de dire que les australiens manquaient d’élégance avec son petit accent français adorable. Je me rappelle qu’une vendeuse l’avait regardée bizarremment. J’ai voulu m’enterrer six pieds sous terre ce jour-là.” il ne m’en faut pas beaucoup et Victoria pouvait être assez extravertie quand elle le voulait. Je continue à gratter ma nuque. “Elle était beaucoup de choses que j’aurai aimé être.” que je dis, les yeux plongés dans le vague, happée par les souvenirs. Victoria était souriante, drôle, extravertie, jolie, adorable ; plein de qualiticatifs qui m’ont donné envie. Une sorte de modèle que j’aurai aimé être.
“ Don't wanna feel another touch, don't wanna start another fire, don't wanna know another kiss, no other name falling off my lips. Don't wanna give my heart away to another stranger, or let another day begin, won't even let the sunlight in. No, I'll never love again”
Je suis fatigué, et la question que me pose ma sœur m’oblige à réfléchir un petit moment. Parce que des bons souvenirs, avec Victoria, j’en ai beaucoup. Vraiment beaucoup. Durant ces cinq dernières années elle a rendu ma vie plus facile, plus légère, plaisante et elle n’a fait que renforcer les idées que j’avais déjà pour mon futur : un mariage et des enfants. On avait la même vision de la vie, on savait où on voulait aller, nous avions envie des mêmes choses et ça avait sûrement une petite part de sentiment de sécurité. Parce que oui, je me sentais en sécurité avec elle. J’avais confiance en elle. Bien plus que je n’ai jamais eu confiance en qui que ce soit. Je savais qu’elle m’aimait moi, et seulement moi. Je savais qu’elle ne me quitterait jamais même si, j’ai eu un peu de mal à lui donner cette confiance durant les premiers mois de notre relation. Pas qu’elle m’avait montré qu’elle ne la méritait pas au contraire. Mais c’est une relation passée qui avait laissée des traces. Mais Victoria a été patiente. Victoria a été compréhensive quand je lui en ai parlé. Elle a subi mes inquiétudes, ma jalousie quelque fois un peu excessive. Elle a accepté mon inquiétude constante. Parce qu’elle était amoureuse de moi, et parce que c’était quelqu’un de bien, Victoria. Elle savait voir le bon chez les autres et elle devait penser que ça en vaudrait le coup. Je pense que les années que l’on a passé ensemble ont été, de loin, les plus belles années de ma vie. Elle m’a aimé comme jamais personne ne l’avait fait avant ce qui m’a permis de m’ouvrir à elle et, après quelques mois réussir à lui faire enfin confiance. Je savais qu’elle ne partirait pas du jour au lendemain, je savais qu’elle n’irait pas voire ailleurs parce qu’elle avait quitté toute sa vie juste pour moi. Simplement parce que je lui ai demandé d’abandonner sa famille, ses amis et la vie qu’elle commençait à se construire pour venir vivre avec moi à l’autre bout de la terre, littéralement. Ce qui est, je pense, la plus belle preuve d’amour qu’on ne m’a jamais faite. J’ai trouvé mon âme-sœur. J’ai trouvé la femme avec qui je voulais passer le reste de ma vie, celle avec qui je voulais fonder une famille, celle qui porterait mon nom, celle qui pouvait me comprendre sans même que je n’ai à lui parler. C’est ça le grand amour. On ne pourra l’avoir qu’une seule fois dans une vie. Sauf que le mien a perdu la vie il y a quelques semaines. Bien trop vite. Bien trop tôt. À même pas trente ans. Comment est-ce que je suis censé vivre après ça ? Me regarder dans le miroir ? Victoria c’était la joie de vivre incarnée, elle illuminait la pièce par sa simple présence et je suis sûr que tout le monde vous dira la même chose. C’était la femme parfaite. Celle qui me fallait. Ma moitié. Et je l’ai perdue.
“C’était une vraie preuve d’amour.” Elle ne croit pas si bien dire, Prim. Tout plaquer en France pour venir vivre en Australie oui, c’était complètement fou. C’était beau. Je sais que d’ailleurs certains de ses amis avaient essayé de l’en dissuader, parce qu’elle pourrait trouver un mec pour elle en France, aussi, qu’il lui disaient. Mais elle ne les a pas écoutés, et heureusement pour moi. Pour nous. Mais pas pour elle, puisqu’elle a fini par mourir par ma faute. Ce qui ne serait jamais arrivé si elle était restée en France. « Je l’aurais fait moi aussi, tu sais. Partir vivre en France. Si elle me l’avait demandé. » Parce que je suis fou amoureux d’elle oui, mais j’ai également eu un coup de cœur pour Paris et pour la France en général. Pour elle j’aurais été capable de tout. De beaucoup de chose. Par amour. Je lui explique quelques souvenirs et je suis bien soulagé de ne pas la voir continuer à me poser des questions, j’en profite pour lui retourner sa question. “Moi ?” Je renifle une nouvelle fois avant de prendre une grande inspiration, comme si ça m’empêcherait de craquer à nouveau. J’hoche positivement la tête pour lui confirmer que oui, j’aimerais l’entendre me parler de ma défunte fiancée. J’aimerais qu’elle me parle de Victoria parce qu’écouter quelqu’un me parler d’elle semble bien plus simple qu’en parler moi-même. C’est bizarre, non ? “Notre première séance shopping, je pense. Elle n’arrêtait pas de dire que les australiens manquaient d’élégance avec son petit accent français adorable. Je me rappelle qu’une vendeuse l’avait regardée bizarremment. J’ai voulu m’enterrer six pieds sous terre ce jour-là.” Dans d’autres circonstances j’aurais presque pu sourire mais je pense que j’en suis encore incapable pour l’instant. « À Paris elle m’avait fait une après-midi relooking. » Parce que oui, elle disait souvent qu’ici les gens manquaient de style et d’élégance. “Elle était beaucoup de choses que j’aurai aimé être.” « C’est vrai ? » Je lui demande, surpris, et je la regarde quelques secondes avant de me laisser tomber dans le fond de canapé tout en lâchant un long soupir. Ma tête tombe en arrière je ferme les yeux pour venir me frotter les paupières. « Tu veux bien me parler d’elle ? Ce que tu as pensé en la voyant pour la première fois, par exemple. » Bonne ou mauvaise idée je n’en sais rien. Ce qui est sûr c’est que je n’ai pas envie de parler aujourd’hui et bien que ma sœur ne soit d’ordinaire pas plus bavarde que moi, je préfère l’écouter elle.
« Je l’aurais fait moi aussi, tu sais. Partir vivre en France. Si elle me l’avait demandé. » je pourrai être blessée de l’entendre dire ça. De comprendre qu’il aurait été capable de nous abandonner, nous, sa famille, pour l’autre bout du monde, pour une jolie blonde. Mais je ne peux pas l’être. Au nom de l’amour, je pense que l’humain est capable de tout. Il n’y a sûrement rien de plus beau que d’écouter son cœur et de le laisser nous guider à travers les aléas de la vie. L’amour est le plus beau sentiment du monde, celui que je meurs d’envie de connaître un jour ; et je parle du véritable, du sincère, de l’âme sœur, de la moitié. Je l’ai vu avec Caleb et Victoria, je les ai enviés si fort et même si j’en suis arrivée à en être jalouse par moment, jamais je n’aurai souhaité un destin aussi tragique pour eux. Ni pour moi, car j’avais fini par m’attacher à elle. Une sorte de grande sœur que je n’ai jamais eu, qui avait un sens incroyable du style et qui a été de très bons conseils, un soutien incroyable pour me lancer dans le jeu des réseaux sociaux. Avec elle, je ne me sentais pas comme une étrangère ni comme un mauvais caneton. Un modèle que j’aspirai à devenir un jour, elle qui était toujours souriante et optimiste. Ironiquement, tout ce dont mon frère n’est pas. C’est sûrement pour cela que l’équilibre était parfait entre eux. Les contraires s’attirent, ils l’ont montré et démontré. “Je sais.” que je réponds simplement. Je ne doute pas de la capacité de Caleb à agir par amour et par instinct. Est-ce que je serai comme lui ? Est-ce que je pourrai faire autant, au nom du cœur et des sentiments ? Je ne peux que l’imaginer vu que je ne l’ai toujours pas connu.
« À Paris elle m’avait fait une après-midi relooking. » j’ai un léger sourire mélancolique qui s’accroche sur mes lèvres. “J’aurai aimé voir ça.” lui qui n’aime pas le shopping. Lui qui grimace et qui ronchonne silencieusement quand il y a besoin, quand je le traîne de force pour passer un peu de temps avec lui. Il n’a pas besoin de dire qu’il n’a pas envie d’être là pour le faire sentir. Mais encore une fois, par amour pour Victoria, il a dû se plier. “Et j’aurai aimé être à ta place.” que je rajoute en portant mon sourire vers lui. J’aurai fait beaucoup pour avoir une séance de relooking à Paris. J’aimerai y aller un jour - Victoria m’avait promis qu’un jour, on irait ensemble. Malheureusement, elle est partie avant que nous en ayons eu le temps. « C’est vrai ? » j’hausse les épaules, étonnée de l’entendre surpris. “Comment ne pas l’être ? Elle était jolie, souriante, joviale, optimiste, drôle… Je ne pouvais que l’envier.” même là, je réussis à faire preuve d’égoïsme - mais Caleb m’a posé la question et je lui ai répondu. Il sait très bien ce que c’est que d’avoir des complexes et même si j’adorais Victoria, je voyais encore plus tous mes défauts quand j’étais avec elle. Elle était quasiment parfaite, Victoria. Elle avait même un accent. « Tu veux bien me parler d’elle ? Ce que tu as pensé en la voyant pour la première fois, par exemple. » il me demande de parler alors qu’il a conscience que ce n’est pas mon activité préférée ; cependant, quand je le vois les yeux fermés et la tête retombant en arrière, je me dis que je peux faire encore un effort. Alors je me replonge dans mes souvenirs en même temps que mes yeux observent mes mains qui se pétrissent l’une et l’autre sur mes cuisses. “La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé très belle. Je me suis demandée comment tu avais réussi à ramener une fille pareille dans notre famille.” je tente le ton léger alors que je repense à ma première rencontre. “J’ai été assez surprise de voir à quel point elle était différente de toi. Plus extravertie, plus bavarde… Ton contraire.” même s’il ne me voit pas, je souris à Caleb malgré tout. “Mais… J’ai vu à quel point elle t’aimait. Je sais que je n’y connais rien en relations mais… Un coup d'œil sur sa façon de te regarder et on savait.” ils m’ont vendu un peu de rêve, tous les deux. Que le vrai bonheur existe vraiment - quand celui-ci n’est pas fauché en un quart de seconde. “Je ne lui avais pas beaucoup parlé, la première fois, car maman accaparait son attention.” forcément, le grand fiston qui ramène une deuxième femme à sa famille, ça ne pouvait qu’être source de curiosité pour notre mère. “C’est Victoria qui m’a enseigné comment reconnaître un bon vin.” et qui m’a plongé dans la passion de ce liquide. “Typique, n’est-ce pas ?” car elle est française, donc forcément… C’est très cliché mais aussi très réel.
“ Don't wanna feel another touch, don't wanna start another fire, don't wanna know another kiss, no other name falling off my lips. Don't wanna give my heart away to another stranger, or let another day begin, won't even let the sunlight in. No, I'll never love again”
“J’aurai aimé voir ça. Et j’aurai aimé être à ta place.” Alors que moi j’aimerai être à sa place aujourd’hui. Ne pas ressentir ce poids insupportable, ne pas avoir mal au cœur, tellement mal qu’on a envie d’en crever. J’ai vécu une belle relation avec Victoria, je l’ai aimée comme un fou. J’ai aimé cette femme de manière démesurée, j’aurais pu faire n’importe quoi pour elle. Si elle me l’avait demandé. Elle a apporté de la joie dans ma vie, de la légèreté, elle m’a rendue bien plus heureux que je ne l’avais jamais été avant. Entre nous c’était une évidence et pourtant on ne peut pas dire qu’on se ressemblait beaucoup mais elle rendait les choses bien plus faciles, plus légères, plus belles tout simplement et faire d’elle ma femme et la mère de mes enfants ça aussi, c’était une évidence. Pour elle tout était possible, elle était positive, Victoria, c’était une femme optimiste et dieu seul sait à quel point j’en avais besoin. Elle était mon contraire sur beaucoup de points mais c’est aussi ce qui m’a plu chez elle. Elle m’apportait tout ce dont j’avais besoin et je savais que mes parents l’adoreraient et qu’elle trouverait facilement une place dans la famille. Ma mère l’a rapidement adoptée comme une troisième fille et se sentir intégrée chez les Anderson alors qu’elle était si loin de sa famille, je sais à quel point c’était important pour elle. “Comment ne pas l’être ? Elle était jolie, souriante, joviale, optimiste, drôle… Je ne pouvais que l’envier.” Elle était parfaite, Victoria. Elle avait toutes les qualités que je recherchais chez une femme et surtout elle avait les mêmes envies que moi. Elle voulait aussi se marier ; et nous étions sur le point de le faire. Elle voulait des enfants, elle voulait bouger, voyager, découvrir le monde et pour elle j’aurais pu partir aux quatre coins de la terre. C’était une aventurière, Victoria, elle aimait partir à la découverte du monde et je sais qu’avec elle la routine n’aurait jamais pu s’installer. Elle avait toujours de nouvelles idées pour pimenter un peu les choses, elle était romantique comme moi, le cliché typique de la française qui croit dur comme fer en l’amour. Et de toute façon accepter de vivre avec moi en Australie, c’est de loin la plus belle preuve d’amour qu’on ne m’ait jamais faite. Prim aussi connaissait Victoria, d’une manière différente de moi. Mais elles étaient belles-sœurs, elles étaient même presque amies ou du moins Victoria aimait considérer ma sœur ainsi. Alors je lui demande de me parler un peu de la femme de ma vie. “La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé très belle. Je me suis demandée comment tu avais réussi à ramener une fille pareille dans notre famille.” Moi aussi la première fois que je l’ai vu je l’ai trouvé très belle. Sauf que je n’ai pas accepté son invitation. Parce que je pensais encore à mon ex et je n’étais pas sûr d’être prêt à me relancer dans une nouvelle relation. Mais elle a été patiente et m’a proposé un rencard une deuxième fois, elle a insisté un peu, j’ai fini par accepter et finalement j’ai très vite craqué pour elle. “J’ai été assez surprise de voir à quel point elle était différente de toi. Plus extravertie, plus bavarde… Ton contraire.” C’est sûrement de ça, dont j’ai besoin. Une femme qui ne me ressemble pas, mon contraire sur bien des points et c’est ce que Victoria était. “Mais… J’ai vu à quel point elle t’aimait. Je sais que je n’y connais rien en relations mais… Un coup d'œil sur sa façon de te regarder et on savait.” Je ne sais pas si je dois sourire ou pleurer. Ce qu’elle me dit me touche mais la réalité est toujours là pour me rappeler qu’aujourd’hui j’ai perdu tout ça. J’ouvre les yeux pour fixer un point imaginaire et c’est finalement un sourire qui s’étire sur mes lèvres. Léger sourire. À peine visible. Mais surtout un sourire sans joie, sans bonheur, un sourire qui démontre seulement de la tristesse et de la nostalgie. Mais un sourire quand même. “C’est Victoria qui m’a enseigné comment reconnaître un bon vin. Typique, n’est-ce pas ?” Typique oui, mais quelque fois Victoria aimait jouer sur le cliché des français, ça l’amusait, apparemment. Je ne pleure plus. Ou du moins pour l’instant. J’essuie mes larmes d’un revers de la main, la respiration légèrement tremblante et je baisse les yeux. Par pudeur et un peu comme si ainsi, elle ne verra pas mes yeux encore remplis de larmes qui menacent de couler à tout moment. « À Paris elle m’avait inscrit à des cours d’œnologie. » Parce qu’elle connaissait mon amour pour le vin et elle voulait je cite me transformer en un vrai Parisien. « Merci, en tout cas. Ça me fait du bien t’entendre me parler d’elle. » Je relève les yeux mais pas pour regarder ma sœur. Au lieu de ça je les pose sur une photo de Victoria et moi, prise à Paris. On ne se connaissait que depuis quelques mois mais à ce moment-là je me souviens que je savais déjà qu’entre elle et moi c’était différent, c’était spécial et qu’une grande histoire d’amour était en train de voir le jour. Sur ce cliché c’est surtout sur elle que je me concentre, sur son sourire que je ne verrais plus jamais et après de longues secondes pendant lesquelles je me perds dans les souvenirs de nos premiers mois ensemble, je secoue la tête. « Tu peux y aller si tu veux, t’en fais pas pour moi. Ça va aller. » Moi-même moyennement convaincu par ces mots, je lui laisse la possibilité de quitter son frère déprimé pour retourner vivre sa vie. Pendant qu’elle le peut encore, parce que la vie est courte, il faut en profiter.
« À Paris elle m’avait inscrit à des cours d’œnologie. » je ne suis pas surprise ; ça ressemble bien à Victoria. La princesse aux cheveux d’or et son visage angélique, elle aura fait plier toute la famille avec un simple sourire. Un don, une aura pétillante, l’attitude joviale, il y avait absolument tout de différent avec Caleb. Est-ce que c’est pour cela que ça a fonctionné aussi bien ? Que ça aurait continué à fonctionner s’il n’y avait pas eu cet accident ? Tout ne peut être que supposition à ce niveau car malheureusement la fin a été brutale et personne ne s’attendait à un point final comme ça. Dans l’idée collective, Caleb et Victoria auraient dû avoir toute une batterie de petits gamins pour faire perdurer la famille et mourir de vieillesse dans leurs lits respectifs ; voilà comment ça aurait dû se finir. Mais non, le destin en a décidé autrement et je ne peux que constater de mon vivant qu’une partie de Caleb est morte avec Victoria. C’est du romantisme morbide mais ça reste romantique ; quand bien même j’ai peur, car je n’ose imaginer ce que l’on peut faire par amour - voler à l’autre bout du monde, oui, mais est-ce que l’on ne pourrait pas aussi rejoindre l’autre dans l’au-delà ? Je ne pourrai savoir la réponse mais j’ai une peur irrationnelle (ou pas tant que ça quand je vois son état) et ça ne me met pas à l’aise. Je ne sais pas ce que je vais dire à maman quand je serai sortie d’ici car elle va m’appeler pour me demander comment ça s’est passé, des nouvelles rassurantes de son fils et je ne me sens pas capable de le lui en donner. D’un côté, j’aimerai lui mentir pour que Caleb puisse respirer. Mais de l’autre, être honnête permettrait de lever les drapeaux rouges vers un membre de notre famille qui ne va pas bien. Je ne tourne pas la tête vers lui car j’ai peur d’y voir son visage avec l’empreinte de tristesse ; je n’ai pas besoin de le voir pour savoir. Tout l’appartement transpire la mélancolie et le chagrin. Si j’avais été plus futée, j’aurai pu voir son sourire ; mais je ne vois rien, je préfère regarder mes mains qui se torturent entre elles en laissant peser le plus grand silence dont nous avons l’habitude - mais aujourd’hui, il a un goût amer et douloureux, ce silence.
« Merci, en tout cas. Ça me fait du bien t’entendre me parler d’elle. » je secoue la tête en haussant les épaules. “Je fais du mieux que je peux.” pour t’aider, pour t’épauler, pour être là. J’essaie, vraiment j’essaie mais je n’ai pas l’impression d’être à la hauteur. Caleb n’a pas l’air d’être mieux et en toute honnêteté, qu’importe les plans décidés par maman, rien ne pourra le guérir que le temps. Le temps de faire son deuil, panser ses blessures, couvrir ses plaies. Je ne suis pas certaine que venir le voir toutes les cinq minutes soient la meilleure des solutions, même si je comprends la démarche car son attitude, sa position, son habitat présent m’inquiètent tous autant qu’ils sont. Je pourrai songer à mettre une caméra cachée quelque part, juste pour être certaine. Non, ne sois pas aussi absurde, Anderson ; ton frère est blessé et meurtri mais il va se relever. Laisse-lui donc le temps au temps. « Tu peux y aller si tu veux, t’en fais pas pour moi. Ça va aller. » je passe ma langue sur mes lèvres ; je suis pas convaincue par ses mots et il le sait. “Okay.” cependant, je vois là comme une façon pour lui de me dire qu’il veut être seul alors j’obéis sagement en me levant. Je serre les dents tout en tenant avec vigueur la lanière de mon sac, soucieuse de le laisser seul malgré tout. “Je suis pas loin si t’as besoin de quoique ce soit. Ou même si t’as besoin de rien.” je serai toujours là, il le sait, tout comme je sais qu’il m'appellera jamais mais c’est l’intention qui compte. Je commence à me tourner vers la porte avant de rebrousser chemin et de me pencher vers mon frère pour le prendre dans mes bras. Je ne dis rien, je ne fais que l’enlacer brièvement, je sens qu'il me serre un peu plus contre lui - chose rare entre nous - avant de me tourner et de filer. Les larmes au bord des yeux parce que quoiqu’il arrive, ma famille est mon pilier et j’en vois un qui s’effondre. Je me sens impuissante et inutile. Comme toujours.