S'il a essayé de ne pas concentrer sur la petite bande qui se situait près du stand des flechettes, il avait du mal à rester concentré sur son interne en orthopédie, qui n'arrêtait pas de lui parler de l'opération sur laquelle il avait pu l'assister quelques heures plus tôt. Il s'agitait sur sa chaise, passait une main nerveuse dans ses cheveux, jouait avec sa bière sans alcool. Parfois, il détournait le regard pour assister à la scène du coin de l'oeil. Qu'est-ce qui attirait son attention à ce point ? Joy. Elle était dans ce bar elle-aussi. Elle avait une attitude nonchalante, sûrement causée par les quelques verres qu'elle avait déjà englouti. Elle riait aux éclats. Elle s'amusait avec un enthousiasme enfantin avec d'autres collègues. Elle était belle, bien trop belle. Elle rayonnait dans cet endroit pittoresque. Bordel ! Il était contraint et obligé de poser son regard sur elle et à chaque fois, il avait le sentiment qu'on lui donnait un coup droit dans les entrailles. Ca faisait mal. Ses doigts se serrèrent autour de sa bière alors que l'interne répéta soudainement : « Pas vrai, docteur Iaro ? » Oh, il allait devoir répondre quelque chose. Il se redressa, reposa son attention sur le rouquin et esquissa un sourire désolé en haussant les épaules. « Je disais que je pourrais peut-être vous assister pour les prochains jours vu que je souhaite moi aussi me spécialiser en orthopédie. » Aiden acquiesça d'un signe de tête poli avant de boire une gorgée de sa bière. « Ouais, pas de souci. Tu étais pas trop mauvais aujourd'hui … mais dis-moi, tu ne devrais pas essayer de te détendre et arrêter de parler boulot ? Genre décrocher? » Il reposa sa bière alors qu'il poussait sa chaise légérement sur le côté, pour avoir une meilleure vue sur le stand de flêchettes.
Il posa les coudes sur la table de bois et venait soudainement d'oublier l'interne face à lui. Le comportement de Joy venait de se modifier. Quelque chose était en train de se passer. Le vent tournait. Il n'y avait plus ces éclats de rire. Il avait le sentiment qu'elle se tendait. Alors, il se redressa sur sa chaise, étira presque le coup sans lâcher des mains sa bière. Un geste. Un signe et il bondirait.
☽ 20 avril 2021. Tout ce mois d'avril, la jeune interne avait tenté de s'occuper l'esprit, de voir des gens, de prendre du temps pour elle. Joy avait maintenant assimilé l'idée qu'Aiden était bien de retour. La brune faisait au mieux pour rester professionnelle, l'éviter aussi un maximum à l'hôpital sauf quand ils devaient travailler sur le même cas. Cette soirée il y a une dizaine de jours l'avait chamboulée étant donné qu'elle s'était rendue compte être jalouse de la voir tourner autour d'une autre nana. C'était plus fort qu'elle, mais l'interne voulait combattre ce sentiment. Elle s'était convaincue qu'elle ne pouvait pas retourner avec lui car ils s'étaient auto-détruits la dernière fois, en plus de ça, elle savait la volonté d'Aiden d'avoir une famille, et Joy n'était pas celle qui lui fallait. La jeune femme s'était faite une raison, et elle devait maintenant réprimer ses sentiments pour avancer. C'était aussi l'une des raisons pour laquelle elle avait continué à voir ce Blake, ils se voyaient de plus en plus souvent, même s'il ne serait pas disponible pendant quelques temps étant donné qu'il n'était pas dans le coin pour les deux prochaines semaines. La brune l'aimait bien, du moins il lui permettait de penser à autre chose, et ce n'était pas plus mal. Etant donné qu'il n'était pas disponible, Joy passait alors beaucoup de temps avec ses collègues, le matin même elle s'était promenée avec Hope au vide-grenier de la ville, elle avait pu revoir Dani d'ailleurs, une jeune coréenne avec qui elle accrochait bien. Ce soir, elle avait prévu d'aller au bar non loin de l'hôpital rejoindre ses collègues qui avaient prévu de boire un verre pour se détendre.
Elle s'était habillée plutôt simplement, jeans noir, débardeur noir, les cheveux ondulés qui tombaient sur ses épaules. Elle jouait aux fléchettes à tour de rôle avec ses collègues, un mojito dans les mains, sûrement le troisième pour l'aider à se détendre. La brune avait remarqué la présence d'Aiden dans le bar, il était éloigné, avec un interne, sûrement en train de parler boulot comme à son habitude. Alors sans savoir pourquoi, Joy se mettait en scène, de grands gestes, des rires un peu forts, elle enchaînait les verres et tentait d'oublier la présence d'Aiden dans ce bar. Elle en était à son cinquième verre quand elle prit pour cible un gars qui traînait sur le comptoir du bar, non loin du jeu des fléchettes. Elle se pencha en avant, venant lui parler, sirotant son verre. Après quelques minutes, il s'approcha d'elle, posant sa grosse patte sur ses hanches, un mouvement de recul, toujours la paille dans la bouche Joy tentait de paraître "cool", mais elle se dit qu'elle était en train de prendre le contrôle de la situation. L'homme s'abaissa vers elle pour venir l'embrasser dans le cou, et elle fronça les sourcils, un air de dégoût sur le visage. « Par contre ça, non. » dit-elle alors qu'elle se reculait d'un pas, une main sur le torse de l'homme pour le tenir à distance. La jeune femme sentait qu'elle avait peut-être un peu trop bu pour ce soir, et que l'homme l'avait bien compris. Elle s'était mise dans une situation délicate toute seule. L'homme s'approcha à nouveau pour placer sa main sur ses fesses et venir l'attirer vers lui, mais Joy vint jeter le fond de son verre sur lui en se reculant à nouveau ayant dû mal à se déguerpir de son emprise.
Aiden observait la scène située un peu plus loin. Il l'observait, les yeux plissés, l'air concentré. A vrai dire, il avait des airs de prédateur. Quelque chose venait de se modifier dans l'air. L'atmosphère. Joy n'était plus d'humeur rieuse. Il le voyait bien que quelque chose s'était modifié. Il fronça les sourcils quand il vit la lourde main du bonhomme se poser sur la hanche de Joy. Il savait qu'elle était passée à autre chose ; elle le lui avait dit lors de leurs retrouvailles. Il avait enregistré l'information bien qu'il aurait préféré ne pas l'entendre. Il l'avait entendu … et maintenant il la voyait en direct cette information. D'autres hommes pouvaient poser leurs mains sur elle. Il avait presque envie de marmonner un juron mais au lieu de cela, il fronçait les sourcils, prêt à bondir. Son instinct lui disait qu'il devait se tenir prêt. Prêt à quoi ? Prêt pour quoi ? Il n'en avait pour l'heure aucune idée. La voix de l'interne résonnait en arrière plan mais voilà déjà quelques longues minutes qu'Aiden l'avait complétement effacé et ne s'en préoccupait plus du tout. Tenant sa bière dans la main, il bondit de sa chaise quand il vit la jeune femme balancer son verre au visage du bonhomme. En quelques enjambées, il avait rejoint le petit groupe sans même dire un mot. Il agissait, disons-le, par instinct. Sa lourde main se posa sur l'épaule du bonhomme pour le repousser un peu brutalement. Un geste vif et sec. Un geste qui remplaçait pas mal de mot. « J'crois que le moment est arrivé où tu retournes finir ta bière. » qu'il cracha sans même poser son regard sur la jeune femme. Non, son regard était ancré sur le visage humide du bonhomme légèrement imbibé d'alcool. Aiden n'était pas du genre à jouer des poings en public mais il était un homme avec pas mal de principes. Joy faisait partie de ceux pour qui il était prêt à tout. « T'es qui toi, cow-boy ? Son mec ? J'pense pas que ce soit le cas vu comment elle a trémoussé du cul sous mon nez ... » Trop c'était trop. La main du chirurgien venait de saisir le tee-shirt du bonhomme d'une poigne ferme pour le plaquer contre le mur qui se trouvait derrière lui. Les muscles saillants, il avait ce regard noir. Un regard noir qui venait s'ancrer dans le regard vitreux de celui qui avait abusé de l'alcool. Les dents serrés, il cracha : « Me pousse pas à te péter les dents. Elle n'a pas envie, elle n'a pas envie. Me pousse pas à remettre ton égo en place .... » Son cœur battait la chamade. Il était à deux doigts d'imploser. Les muscles de sa mâchoire battaient au même rythme que son cœur. Si on le connaissait, on pouvait remarquer qu'Aiden était en train de tanguer sur la corde raide. Un mot. Un geste et son poing s'abattrait sur le visage de ce connard qui avait osé touché Joy.
☽ 20 avril 2021. Ces derniers temps, Joy était méconnaissable. De vieux démons venaient l’habiter, et c’était inquiétait. C’était pourtant plus fort qu’elle, elle avait besoin de boire, elle avait besoin de se changer les idées. Et quand elle vit Aiden au loin, en second plan, c’était comme si elle se disait que toujours, il serait là… en fond, en second plan dans sa tête, dans son champ de vision, dans son cœur… Elle faisait donc tout pour l’oublier, elle préférait oublier qu’il était de retour en ville et se concentra donc sur son verre de mojito. Elle n’était pas adepte des cocktails mais elle avait eu besoin d’un peu de fraîcheur, ainsi que d’un alcool un peu plus fort que du vin. La brune n’avait toujours pas réglé ses problèmes avec son meilleur ami Nick, elle avait le cœur rempli de cicatrice et elle ne pouvait même pas en parler à son meilleur ami. L’interne s’amusait dans ce bar, du moins elle essayait, mais elle comprit assez vite qu’elle était allée trop loin. Elle le comprit à partir du moment où l’homme à qui elle parlait eut son regard qui changea. Elle le comprit quand il vint poser ses mains sur elle, et qu’elle ne l’avait pas vu venir. Jusqu’ici c’était un flirt sans conséquence, elle ne souhaitait pas aller plus loin et pourtant, elle savait qu’elle était allée trop loin. Elle fit un pas en arrière, lui jetant le reste de son verre sur lui. Joy eut un petit coup de pression, alors qu’une collègue vint l’attraper par le bras pour voir comment elle allait, elle se retourna et elle vit Aiden juste là, à côté d’elle menaçant l’homme en question : « J'crois que le moment est arrivé où tu retournes finir ta bière. » Joy avait la bouche entrouverte, ne sachant que dire ou que faire, elle voyait bien l’expression sur son visage, elle le connaissait assez pour savoir que ce n’était pas bon signe. « T'es qui toi, cow-boy ? Son mec ? J'pense pas que ce soit le cas vu comment elle a trémoussé du cul sous mon nez ... » Il n’était que son ex et pourtant il était arrivé comme un chevalier servant mais elle n’aimait pas le voir ainsi, surtout quand elle vit dans son regard qu’il était à deux doigts de vriller. Joy mit une main sur sa bouche, surprise qu’Aiden vint plaquer l’homme contre le mur, la mâchoire serrée. : « Me pousse pas à te péter les dents. Elle n'a pas envie, elle n'a pas envie. Me pousse pas à remettre ton égo en place .... » Joy secoua la tête, réalisant ce qui était en train de se passer. Elle s’avança donc brusquement pour attraper le bras d’Aiden. « Aiden ! Arrête ! » s’exclama-t-elle en venant poser ses yeux sur lui. « Il n’en vaut pas la peine, c’est bon. » ajouta-t-elle, toujours les yeux rivés sur lui. « Aiden… regarde-moi. » dit-elle d’une voix soudainement plus douce alors que le chirurgien ne lâchait pas le sale type des yeux. « C’est bon… » souffla-t-elle alors que le chirurgien relâchait la pression, de 1. Il n’en valait pas la peine, de 2. Il n’allait pas abîmer ses mains de chirurgien pour un con pareil. Joy adressa un regard noir au mec avant de se reculer, elle soupira et finit par rejoindre l’extérieur par la porte arrière du bar. Se retrouvant dans une ruelle, elle inspira un grand coup, tentant de reprendre ses esprits.
La colère, mue par la peur de voir Joy dans une situation critique, s’était emparé du néo-zélandais. Il était désormais habité d’un sentiment qui le faisait tout simplement vriller. Impulsif, il ne l’était pas vraiment. Violent encore moins. Mais il suffisait que l’on touche à un être aimé pour qu’il vrille. Il avait agi de la sorte toute sa vie : pour protéger sa mère, pour protéger sa fratrie. C’était sa manière de fonctionner. Le regard sombre, il sentit que main se poser sur son bras. Le contact accompagné de cette voix qu’il reconnaissait entre toutes. « Aiden ! Arrête ! » Néanmoins, cette voix demeurait lointaine. Ses muscles se détendaient doucement mais il ne lâchait pas pour autant prise, la mâchoire serrée. « Ouais écoute-la cow-boy. » Il fronça les sourcils, se demandant si lui en coller une ne lui remettrait pas les idées en place. « Il n’en vaut pas la peine, c’est bon. Aiden … regarde-moi. Il tourna la tête presque à regret vers la jeune femme qui se tenait à ses côtés. Son regard se plongea dans le sien et il essayait d’y lire quelque chose … elle essayait de le rassurer, de lui faire relativiser la situation mais il voyait bien qu’au fond de ses prunelles, elle était touchée et tourmentée. Elle était la priorité numéro un, non pas le crétin. Il lâcha alors son emprise, levant les mains en signe d’abdication. « C’est bon… » « C’est ton putain de jour de chance. » marmonna-t-il en direction de celui qui ne connaissait pas les limites du raisonnable. Ce dernier tira alors son tee-shirt pour le replacer, avant de passer une main dans ses cheveux, reprenant doucement contenance. Aiden fit un geste de la main au barmaid et propriétaire du bar pour lui faire comprendre que tout allait pour le mieux.
Il recula d’un pas, essayant de reprendre le contrôle des battements de son palpitant. Son interne et quelques collègues s’étaient approchés. Une main se posa dans son dos et il sursauta presque. La demoiselle en question lui désigna d’un signe de la main la porte par laquelle Joy s’était glissée. Il lui adressa un sourire réconfortant avant de prendre cette direction. La main posée sur la poignée, il tomba alors sur la ruelle située derrière le bar. La différence de température le surprit presque. « Hey Joy. C’est moi. Est-ce que ça va ? », lui demanda-t-il avec la plus grande prudence, sachant pertinemment qu’elle n’allait pas bien. La question était idiote. Il fit alors quelques pas dans sa direction et posa une main sur son épaule. Sa lourde main s’était posée avec la plus grande délicatesse, comme si elle était devenue un animal sauvage qu’il ne fallait pas brusquer. Il voulait simplement lui montrer qu’il était là, qu’elle n’était pas seule. Car, il lui avait promis de ne jamais être très loin. Ne pas la laisser tomber. Il veillerait sur elle quoiqu’il arrive. Elle était sa famille.
☽ 20 avril 2021. Les choses s’étaient enchaînées très vite, l’interne n’avait pas vraiment eu le temps de voir les choses arriver. En effet, cet homme se montrait insistant alors que jusqu’ici, elle n’avait fait que lui parler. Elle était peut-être allée trop loin et son état second envoyait des signaux qu’elle n’aurait pas donné en temps normal. Mais elle était en train de se perdre, elle avait senti le regard d’Aiden sur elle tout ce temps, elle avait envie de lui rendre la monnaie de sa pièce. Il flirtait avec des nanas randoms à l’hôpital, puis à des soirées entre collègues, elle aussi avait envie de lui montrer qu’elle était sur le marché et qu’elle pouvait encore plaire. C’était un jeu stupide, un jeu dont elle perdit le contrôle très vite. Alors quand il s’était brandit entre elle et l’étranger, elle ne l’avait pas vu arriver mais le voir dans cet état la perturba clairement. Une main posée sur son bras, elle tentait de capter son attention pour qu’il se calme, ça ne servait à rien d’aller plus loin. « C’est ton putain de jour de chance. » Joy avait relâché la pression, elle soupira, elle avait un besoin fou d’oxygène, elle était en train de s’étouffer dans cette ambiance glauque. Elle se faufila donc entre les gens qui s’étaient agglutinés autour d’eux, et sortit par la première porte de sortie. La brune inspira une grande bouffée d’oxygène, l’air frais était en train de l’entourer et c’était sûrement pour son plus grand bien. « Hey Joy. C’est moi. Est-ce que ça va ? » Cette voix vint la sortir de ce tourbillon dans lequel elle était. Elle rouvrit les yeux pour voir Aiden face à elle. Il déposa sa main sur elle. « Ne me touche pas. » dit-elle d’un ton sec avant de se reculer. Elle ne supportait pas sentir ses yeux posés sur elle, ses mains non plus. Elle avait le cœur qui s’emballait à chaque fois que c’était le cas, elle sentait déjà qu’elle n’avait le contrôle de rien à ce moment précis, encore moins de son corps. Elle n’avait pas envie qu’il la voie dans cet état pitoyable. « Oui ça va très bien, tu peux y aller. » ajouta-t-elle finalement avec une voix plus douce, elle croisa ses bras sous sa poitrine, et regarda dans la direction opposée d’Aiden, prenant une grande inspiration, elle se pinça les lèvres espérant qu’il soit disparu dans les prochaines secondes.
« Ne me touche pas. » « Entendu. », souffla-t-il aussitôt de cette voix posée et apaisante alors que son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il la vit reculer d’un pas et leva aussitôt les mains pour lui montrer qu’il ne la touchait pas, ne la toucherait pas. Contrairement aux connards qui courraient les rues, il allait la respecter. Il faisait la différence. « Oui ça va très bien, tu peux y aller. » Elle croisait les bras, fuyaient son regard, se pinçait les lèvres. Tous les symptômes possibles et imaginables pour le faire rester ici, près d’elle. Hors de question de la laisser ici, seule. Il glissa les mains dans les poches de son jeans tout en reculant d’un pas pour s’adosser au mur. «Je vais quand même rester ici, juste ici. » qu’il dit tout en croisant les bras, lui aussi. Il ne la regardait pas. Il ne voulait pas qu’elle ait le sentiment d’être épiée, dans un instant comme celui-ci où elle devait avoir envie de fuir et de rester seule. Il fixait la pointe de ses chaussures. «Histoire de prendre un peu l’air. » ajouta-t-il comme si rien de tout cela ne s’était passé. Il ne savait pas vraiment ce qu’il pouvait dire ou faire. A une autre époque, il aurait pris la jeune femme dans ses bras. Il l’aurait serré contre lui pour lui montrer qu’il était son bouclier. Elle et lui, contre tous. Aujourd’hui, il ne pouvait même pas poser une main amicale sur son épaule. Elle le détestait. Encore et toujours. Et ça lui brisait le cœur. «Est-ce que ça te va si je reste ici ? » demanda-t-il alors en relevant la tête vers elle. Il tendit les bras en croix, penchant la tête sur le côté, un sourire complice aux lèvres : «Avec cette distance de sécurité. » Il essayait une nouvelle fois de la sortir de ces tourments, de ce tourbillon de pensées négatives. Il essayait de détendre la situation, de relativiser les choses. Il ne s’était rien passé. Il était là. Pour elle. Juste pour elle. Un collègue sympa.
☽ 20 avril 2021. Elle sentait chaque parcelle de son corps bouillir, une sensation qui lui fit rougir les joues, elle pouvait le sentir. La fraîcheur de l’extérieur l’enveloppa pour venir la faire redescendre tout doucement. Ce petit coup de pression lui avait secoué les méninges et elle tentait de se contrôler. Elle sentait l’alcool lui tambouriner les tempes et elle avait dû mal à reprendre le contrôle d’elle-même. Peut-être qu’elle avait trop bu, peut-être qu’elle n’y pouvait rien, qu’elle devrait juste attendre quelques heures pour se retrouver maîtresse de ses émotions. Elle avait exagéré avec cet homme, elle le savait au fond d’elle et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de sentir ses grosses pattes sur elle, ce regard vitreux, cette haleine nauséabonde. Ses pensées tourbillonnaient, elle tentait de se contrôler mais c’était impossible alors quand elle sentit cette main se posait sur elle, elle n’eut qu’un réflexe de recul. « Entendu. » C’était pourtant lui, Aiden. Mais elle ne pouvait pas le laisser briser ce mur de glace entre eux, il devait avancer et d’ailleurs il le faisait très bien sans elle. Pourquoi était-il là d’ailleurs ? Il n’avait pas mieux à faire ? Dans la foulée elle finit par lui dire de partir, elle allait très bien. Elle n’avait besoin de personne, jamais. Elle avait appris à ne compter que sur elle-même. « Je vais quand même rester ici, juste ici. » Ses yeux continuaient de le fuir, son regard dans petite ruelle sombre qui n’inspirait pas confiance. « Histoire de prendre un peu l’air. » Elle restait muette, elle n’avait pas la force de se battre, de le contredire, elle sentait un mélange de sentiments l’envahir et elle n’était pas sûre que prendre la parole maintenant était une bonne idée. « Est-ce que ça te va si je reste ici ? » Une question directe ? Elle soupira avant de finalement tourner la tête pour le regarder un peu plus loin. « Avec cette distance de sécurité. » Elle se mordit l’intérieur des joues comme pour réprimer tout sentiment, ou même un sourire. Elle n’était pas d’humeur à jouer ce petit jeu avec lui. La dernière fois dans la voiture, ça avait été une erreur. « Pourquoi tu veux rester ici Aiden ? Je vais très bien, tu peux retourner t’amuser. » répondit-elle finalement, toujours les bras croisés, elle tentait de paraître bien, de garder une certaine contenance pour qu’il la croie. Il n’avait pas besoin de garder un œil sur elle, c’était ce qu’elle pensait. Elle avait beaucoup trop bu, elle devrait probablement juste appeler un taxi et rentrer chez elle. L’interne ne se sentait pas encore de monter dans une voiture, rien qu’imaginer être dans un endroit clos mouvant, elle eut une envie de vomir, elle ferma les yeux un court instant pour retrouver le contrôle de sa respiration. Ce n’était pas le moment de vomir, ça ne ferait que montrer à Aiden qu’elle n’allait pas bien, et ce n’était pas le but. Elle rouvrit les yeux, plongeant son regard dans le sien pour lui montrer que tout allait bien.
« Pourquoi tu veux rester ici Aiden ? Je vais très bien, tu peux retourner t’amuser. » Il avait un milliard de raisons pour rester ici, près d’elle. Il y avait des je t’aime, des je me fais du souci pour toi, des je ne veux pas être ailleurs qu’ici, des j’ai peur. J’en passe. Il avait envie d’être là car c’était sa place. Sa place était à ses côtés. Il le savait. Son corps, son être entier le lui criaient. Alors, il ne bougea pas d’un cil. Il posa finalement son regard sur la jeune femme au regard vitreux. Il reconnaissait ce regard. Il avait déjà vécu une Joy ivre. Il la connaissait. Il lui avait tenu les cheveux une ou deux fois après des soirées un peu trop arrosées, il lui avait tendu des verres d’eau fraîche et un médicament contre les maux de tête les lendemains de soirée. Ils avaient même leur petit rituel malbouffe lors des lendemains de soirée. Il la connaissait suffisamment pour savoir que tout n’était pas rose. « Je ne reste pas ici parce que je me dis que tu ne vas pas bien, je reste ici parce que je veux rester ici. L’air frais. Le ciel dégagé. » Il agita la main en même temps que ses propos avant de se redresser. « Et crois-moi, ça me rend presque un service de rester ici … Doug me colle aux basques depuis que je suis arrivé. Disons qu’on y gagne tous les deux, si on reste quelques minutes ici. », qu’il ajouta pour une fois encore détendre l’atmosphère. Son dos se détacha du mur, et il lui désigna d’un geste de la main les différentes caisses de livraison qui se trouvaient contre le mur et sur lesquelles les employés s’asseyaient sûrement pour fumer leur clope. « Ca te dit de t’asseoir juste quelques minutes ? » Il lui demanda alors avec la plus grande prudence, sourire aux lèvres. Il savait que sa tête tournait. Elle devait sans doute avoir le sentiment que tout tournait. Il connaissait la Joy ivre, et savait qu’elle avait parfois juste besoin d’une petite pause. S’asseoir, fermer les yeux, respirer à plein poumons, récupérer ses esprits. Il allait rester là jusqu’à ce qu’il soit assuré qu’elle prenne place dans un taxi et qu’elle retrouve sa Hope. Il se le promettait. C’était devenu sa mission de la soirée.
☽ 20 avril 2021. Joy faisait mine que tout allait bien, elle n’avait besoin de personne pour s’en sortir. Elle devait assumer ces verres de trop, personne ne l’avait forcé, il lui fallait juste un peu de temps pour retrouver un peu de contenance. La présence d'Aiden n'arrangeait rien car elle devait redoubler d'efforts pour paraître "bien". Elle ne voulait pas qu'il s'inquiète même si ça semblait ancrer dans son ADN de vouloir s'inquiéter pour elle. Elle avait tellement dû mal à le comprendre. « Je ne reste pas ici parce que je me dis que tu ne vas pas bien, je reste ici parce que je veux rester ici. L’air frais. Le ciel dégagé. » Joy sentait une colère l’envahir, elle ne pouvait pas vraiment l’expliquer. Depuis qu’il était revenu, il agissait comme s’il n’était jamais parti, et encore une fois il l’avait prouvé ce soir. « Et crois-moi, ça me rend presque un service de rester ici … Doug me colle aux basques depuis que je suis arrivé. Disons qu’on y gagne tous les deux, si on reste quelques minutes ici. » Elle tentait de se mordre la langue pour ne pas craquer, pour ne pas lui déverser tout ce qu’elle était en train de penser, toutes les questions qu’elle se posait depuis qu’il était revenu et qu’elle s’était interdite de poser. « Ça te dit de t’asseoir juste quelques minutes ? » Elle haussa les épaules alors qu’il s’était avancé avant de passer devant elle pour rejoindre ses caisses. Elle s’y assit à côté de lui, gardant une certaine distance. Elle pensait à ce qu’il venait de dire, elle soupirait, toutes ses pensées s’entremêlaient, elle sentait cette colère envahir son cœur. « Je ne comprends pas. » dit-elle de but en blanc, sorti de nulle part alors qu’elle joignit ses mains pour jouer avec ses doigts. Elle ne le regardait pas. Jamais. « Tu ne sembles pas vouloir me lâcher les basques depuis que t’es revenu alors que cela t’a semblé si facile de partir sans te retourner l’année dernière. » finit-elle par dire, passant sa langue sur ses dents, puis sur ses lèvres, elle sentait encore le goût de l’alcool dans sa bouche, mais plus que tout, elle ressentait cette colère, cette rancœur envers lui qu’elle avait réprimé tout ce temps. Elle n’était pas sûre que rester avec lui après avoir autant bu était une bonne idée…
Assise à ses côtés, il espérait simplement qu’elle puisse reprendre ses esprits et se calmer. Au lieu de cela, il avait signé son arrêt de mort. « Je ne comprends pas. » dit-elle de but en blanc, sorti de nulle part alors qu’elle joignit ses mains pour jouer avec ses doigts. Il fronça les sourcils, surpris par la question qu’il ne comprenait pas encore. Qu’est-ce qu’elle ne comprenait pas ? Pourquoi il était là ou alors pourquoi est-ce qu’un connard de type dans un bar pouvait se permettre ce genre de comportement ? Il tourna la tête vers elle pour poser son regard sur elle. « Tu ne sembles pas vouloir me lâcher les basques depuis que t’es revenu alors que cela t’a semblé si facile de partir sans te retourner l’année dernière. » finit-elle par dire à son grand regret. Il hocha la tête. Il voyait hélas exactement où elle voulait en venir. Pas sûr que ce soit le bon moment pour lui expliquer son comportement. Pas sûr qu’elle soit dans le meilleur des états pour comprendre et surtout entendre ce qu’il avait à lui dire. Le regard d’Aiden s’écrasa sur le sol. Il aurait tué pour se fumer une clope. Pour occuper ses mains et son esprit. Pour ne pas rester comme un con ici.
« Ca n’a pas été facile, Joy. » dit-il dans un souffle. « Je suis parti quand tu m’as dit que tu ne voulais plus me voir, que tu n’avais plus rien à faire avec moi … Je suis parti car j’étais simplement paumé et je ne savais pas vraiment où aller. » Il se pinça les lèvres en se demandant s’il ne ferait pas mieux de la fermer. Là. Tout de suite. Maintenant. « Je me suis dit que tu avais pris ta décision et que je devais la respecter … Je ne pouvais pas me battre contre. » Non, il avait été une merde. Alcoolisé, dépressif, il avait été l’ombre de lui-même, incapable de se battre pour l’amour de sa vie. « Mais, sans toi …. » Il soupira en se laissant tomber sur le mur qui se trouvait derrière lui. Assis sur ses box, l’air paumé, il était presque pathétique. « Tu veux vraiment qu’on parle de nous maintenant ? » demanda-t-il timidement, en posant son regard sur elle.
☽ 20 avril 2021. Joy restait au bord de ces palettes, elle balançait ses pieds qu’elle ne quittait pas des yeux. Pour rien au monde, elle ne relèverait la tête pour croiser son regard. C’était sa faiblesse, ses deux émeraudes pour lesquelles, fût un temps, elle aurait tout donné. Elle ne comprenait pas ce qu’il fichait ici à s’assurer qu’elle tienne encore debout. L’interne était sûrement soûle, le regard vitreux, la bouche sèche. C’était sûrement pour cela qu’elle se permit cette remarque d’ailleurs, elle aurait pu se sentir gêner de dire une telle chose, et sûrement qu’elle ne l’aurait jamais fait si elle n’avait pas bu quelques verres de trop. Elle sentit ce court silence qui montrait sa surprise, son hésitation. Elle n’en fut pas plus mal à l’aise mais ce qu’elle ne savait pas c’était qu’Aiden était sobre lui, qu’il vivait ce moment au présent comprenant tout ce qu’elle pouvait dire. Joy ne prenait pas en mesure ses mots, elle les disait comme ils sortaient de sa tête. C’était Aiden qui avait décidé de rester malgré la requête de la brune qu’il s’en aille. Très bien, alors assis sur ces boxs, elle lâcha cette bombe ne sachant pas vraiment qu’elle venait de lancer une discussion glissante. « Ca n’a pas été facile, Joy. » Et à chaque fois qu’il prononçait son prénom, son cœur se resserrait un peu plus. « Je suis parti quand tu m’as dit que tu ne voulais plus me voir, que tu n’avais plus rien à faire avec moi … Je suis parti car j’étais simplement paumé et je ne savais pas vraiment où aller. » Joy était parti après qu’il ait frappé dans ce mur, elle s’était réfugiée chez Niamh quelques jours et quand elle était revenue, il n’était plus là. Plus chez eux, plus à l’hôpital. Elle avait lâché cet appartement rempli de souvenirs qu’elle ne pouvait plus affronter. « Je me suis dit que tu avais pris ta décision et que je devais la respecter … Je ne pouvais pas me battre contre. » Et même si ce jour-là, c’était Joy qui avait abandonné. C’était elle qui avait mis un terme à leur relation, n’ayant plus la force de se battre pour eux deux, au fond d’elle, une toute petite part de son âme lui en voulait d’être partie de la sorte. « Et pourquoi maintenant tu voudrais te battre ? » demanda-t-elle finalement alors qu’il avouait que lui aussi avait abandonné à l’époque, que lui aussi il avait eu besoin d’avancer sans elle. Pourquoi maintenant cela serait différent après tout ce temps ? « Mais, sans toi… » Elle le sentit basculer en arrière, elle ne bougeait pas, restant au bord de ces palettes, le regard sur ses mains. « Tu veux vraiment qu’on parle de nous maintenant ? » Elle hocha la tête doucement, sans même savoir s’il pouvait la voir. Entendre ce ‘nous’ lui resserra une fois de plus son cœur, comme s’il l’essorait de ses propres mains, elle ferma ses yeux un court instant pour essayer de se retirer l’image d’Aiden de ses souvenirs, cette image où il la prenait entre ses mains pour venir l’embrasser, l’enveloppant de ses bras musclés, toujours là pour elle. Elle rouvrit les yeux, déglutit difficilement, ses images s’évaporant dans son esprit. « Pourquoi partir ? Tout quitter ? » dit-elle finalement en guise de réponse, oui elle voulait parler d’eux. Elle était soûle, elle était triste, il était là, il l’écoutait.
« Et pourquoi maintenant tu voudrais te battre ? Pourquoi partir ? Tout quitter ? » Aiden secoua la tête doucement. Apparemment, elle voulait parler. Apparemment, elle voulait entendre ce qui avait agité le chirurgien quelques années plus tôt. « J’ai paniqué. Je crois que j’ai juste paniqué. » Commencer par dire les premiers mots, c’est toujours le plus difficile, non ? Alors, il fallait se lancer. Il fallait qu’il se lance et qu’il parle, qu’il lui explique même si elle savait combien il n’était pas doué pour trouver les mots justes, les bons mots. « Quand tu as franchi la porte de notre appartement, mon monde s’est écroulé … ou tout juste implosé. Je suis resté planté là pendant des heures, à constater mes échecs. Je n’ai pas su te protéger, je n’ai pas su t’aimer comme tu le méritais, comme je te l’avais promis. Je n’ai pas su nous sortir de ce chaos. Je n’ai pas su nous sauver. Je me suis dit que tu avais raison, que ce serait sans doute mieux pour toi que je disparaisse alors j’ai disparu. » dit-il dans une traite, les sourcils froncés. Parler de cet événement avait l’effet d’un couteau que l’on remue dans une plaie infectée. Il se revoyait lamentable. Il se revoyait pathétique. Il se revoyait au fond du trou. Il soupira, tourna légèrement la tête pour poser son regard sur son épaule car il lui était impossible de cette perspective de percevoir son regard. « C’est ma plus grosse erreur. » confirma-t-il sur le ton de la confidence. « Je n’aurais jamais dû partir. Je n’aurais jamais dû te laisser partir. Je te l’ai dit, toi et moi, on n’est pas comme les autres. Notre histoire n’est pas comme les autres. Sans toi, je ne suis pas complet, Joy. C’est un fait contre lequel je ne lutte pas, je ne souhaite même pas lutter contre ce fait … même si tu me dis que toi et moi, c’est fini et ça restera à jamais ainsi. » Il se redressa. « Je vais me battre. Crois-moi que je vais tout faire pour te montrer, te prouver que toi et moi, c’est bien trop beau, bien trop fort pour avoir une fin. » Nouvelle confidence. Il avait les mains posées entre ses genoux, le regard fixé sur cette femme pour qui il remuerait terre et mer. Il se rendait compte que ses propos avaient des sons de comédie romantique … qu’il détestait. Mais ses propos étaient simplement la vérité. Il parlait sans filtre. Avec elle, il avait toujours su et pu parler de cette manière. Du moins, avec elle, il pensait qu’il pourrait encore aujourd’hui lui confier ses sentiments. « Mais pour l’heure, je reste le collègue sympa que tu m’as demandé d’être. » dit-il en lui adressant un sourire complice. Elle lui avait demandé d’être un collègue, un simple collègue. Et il n’allait pas se battre contre elle. Il allait se battre pour elle.
☽ 20 avril 2021. Enivrée, Joy était en train de poser des questions qu’elle ne devrait pas. Des questions qu’elle s’était promise de garder pour elle car entendre ses réponses ne feraient que remuer un couteau dans une cicatrice béante qui n’a jamais voulu se refermer. Une cicatrice qu’elle avait pansée pendant longtemps, espérant pouvoir un jour passer à autre chose. Elle y avait cru, elle avait eu des histoires, des histoires qui avaient duré quelques semaines dans lesquelles elle s’était investie mais qui avaient étrangement toutes menées à une impasse. La vie amoureuse de Joy était un échec depuis qu’elle avait mis fin à cette histoire avec Aiden. Elle ne voulait pourtant pas croire qu’ils étaient destinés à être ensemble. Elle ne voulait pas y croire car au fond elle connaissait le désir profond d’Aiden de fonder une famille, et qu’elle ne pouvait pas l’empêcher de devenir le père extraordinaire qu’il serait très probablement. Elle n’était pas cette nana-là, la femme qui l’empêcherait de construire la famille qu’il voulait, la famille idéale qu’il s’était toujours imaginé dans sa tête pour venir recouvrir les mauvais souvenirs qu’il avait longtemps accumulés avec sa propre famille, cette image du père qui le hantait et qu’il voulait détruire. Mais l’interne les avait quand même posées ces questions, alors maintenant elle devait l’écouter. « J’ai paniqué. Je crois que j’ai juste paniqué. » Paniqué ? Il avait paniqué au point de prendre toutes ses affaires et de se barrer ? Elle avait cru comprendre qu’il était carrément retourné à la Nouvelle Zélande. Ce n’était pas rien comme départ. Il n’était pas juste parti en vacances pendant deux semaines comme elle avait pu le faire avec Penny pour se changer les idées. Non, il était parti 14 mois en tout. 14 mois sans un mot, sans une explication. « Quand tu as franchi la porte de notre appartement, mon monde s’est écroulé … ou tout juste implosé. Je suis resté planté là pendant des heures, à constater mes échecs. Je n’ai pas su te protéger, je n’ai pas su t’aimer comme tu le méritais, comme je te l’avais promis. Je n’ai pas su nous sortir de ce chaos. Je n’ai pas su nous sauver. Je me suis dit que tu avais raison, que ce serait sans doute mieux pour toi que je disparaisse alors j’ai disparu. » Ces souvenirs. Elle les avait aussi en tête. Le regard brisé face à un Aiden à la main en sang. « C’est ma plus grosse erreur. » Joy ferma les yeux, elle avait la tête qui tournait, elle sentait toutes ses émotions l’envahir sans savoir comment les gérer. « Je n’aurais jamais dû partir. Je n’aurais jamais dû te laisser partir. Je te l’ai dit, toi et moi, on n’est pas comme les autres. Notre histoire n’est pas comme les autres. Sans toi, je ne suis pas complet, Joy. Oh God. Il n’a le droit de dire ce genre de choses. C’est un fait contre lequel je ne lutte pas, je ne souhaite même pas lutter contre ce fait … même si tu me dis que toi et moi, c’est fini et ça restera à jamais ainsi. » Il se redressa. « Je vais me battre. Crois-moi que je vais tout faire pour te montrer, te prouver que toi et moi, c’est bien trop beau, bien trop fort pour avoir une fin. » Il était clairement en train de lui dire qu’il voulait qu’ils se remettent ensemble et alors elle pensa à ce que lui avait dit Niamh, Dani ou encore sa sœur. C’était du passé, cela n’avait pas marché, pourquoi cela marcherait maintenant ? Et sans vraiment le voir venir, elle sentit une larme coulée sur sa joue. « Mais pour l’heure, je reste le collègue sympa que tu m’as demandé d’être. » Sans jamais se tourner pour le regarder alors qu’il s’était redressé pour lui accorder ces derniers mots. Elle leva la tête pour regarder le mur en face d’eux, un mur de briques déplorables, assez représentatif de son cœur qui était en miettes. Elle se souvenait de leurs baisers, de leurs caresses, de leurs rires, mais aussi de leurs disputes, de leurs incompréhensions, du temps où ils arrivaient parfaitement à se déchirer. Un tas d’émotions était en train de l’envahir, l’alcool lui tapait aux tempes, et elle inspira une grande bouffée d’oxygène avant de dire : « T’es parti Aiden. T’as abandonné. Tu m’as abandonné. » Elle tourna la tête pour finalement réussir à le regarder alors que ses yeux étaient remplis de larmes. Elle était triste, elle était en colère. « T’as tout gâché. Tu m’as dit être celle qui avait gâché tes rêves de paternité. Tu m’as mis plus bas que terre. Tu m’as détruite et depuis je n’arrive pas à me reconstruire. » Sa voix était tremblante, elle sentait les larmes coulées sur sa joue, elle sauta alors pour se remettre debout et se tournait vers Aiden, elle secouait la tête négativement, repensant à tout ce qu’il venait de dire. Elle n’aurait peut-être pas dû lui dire qu’elle n’arrivait pas à se reconstruire, alors que depuis tout ce temps, elle lui avait dit et maintenu qu’elle était passée à autre chose. Qu’elle était heureuse. Elle vint alors le frapper au torse, se mettant à pleurer dans de gros sanglots incontrôlables. « Je te déteste Aiden. » cria-t-elle en venant le frapper, comme si elle se souvenait de tous ces moments où elle avait frappé dans ce punching ball imaginant que c’était lui face à elle. Voilà, le moment était venu pour elle de se défouler sur lui.
« T’es parti Aiden. T’as abandonné. Tu m’as abandonné. » La voilà la cruelle vérité. Les mots sont durs. Les mots sont secs. Et pourtant, ils ne sont rien par rapport aux sentiments qui s’emparent du néo-zélandais quand elle vient poser son regard sur lui. Ces yeux brillants. Ces yeux pétillants. Jadis pétillants, désormais remplis de larmes. Son cœur se serre pour finir par tomber dans ses chaussures. Il déglutit difficilement. La voir pleurer : une torture. Une torture d’autant plus grande quand il sait être la raison de ces larmes. « T’as tout gâché. Tu m’as dit être celle qui avait gâché tes rêves de paternité. Tu m’as mis plus bas que terre. Tu m’as détruite et depuis je n’arrive pas à me reconstruire. » Sa soif de la paternité. Sa soif de brandir son majeur au destin en faisant de lui un bon père. Il déglutit mais ne quittait pas ce regard. Il ne la quittait pas des yeux. Son regard s’ancrait dans le sien. Il avait décidé de faire front. Il avait décidé de rester là. Il allait les affronter ces larmes, ces vérités cruellement justes. Ses sourcils se froncèrent doucement quand il l’entendit lui confier ne pas être parvenue à se reconstruire. Deux êtres cabossés, amochés par la vie, par leur vie. Il ne savait plus s’il aurait aimé lui entendre dire à quel point elle était heureuse. Peut-être que cela aurait été préférable … savoir qu’il était la raison de ses larmes, de toute cette tristesse qui venait agiter son corps et son âme. Il était responsable. « Je te déteste Aiden. » Quatre mots. Quatre mots et il se retrouvait un genou au sol. Blessé. Néanmoins, il les encaissait silencieusement. Il les encaissait, ces mots, ces gestes. Ses poings venaient marteler son torse alors qu’il fermait les yeux devant cette colère qu’elle devait avoir enfui depuis bien longtemps. Quatorze mois.
« Je sais, je sais … » souffla-t-il et répéta-t-il de cette voix discrète alors qu’elle martelait son torse. Un de ses bras s’enroula néanmoins autour de la jeune femme, alors qu’il baissait le regard sur elle. « Je suis désolé, Joy. » ajouta-t-il alors que son bras venait s’enrouler autour d’elle, comme s’il pouvait canaliser cette colère et ses sanglots après les avoir provoqué. « Je ne voulais pas, je ne savais pas … J’aurais vraiment aimé avoir été capable de parler, d’expliquer, … Tu n’as gâché aucun de mes rêves, jamais. Tu as toujours été, tu es mon rêve. Je suis désolé. » Et sans qu’il ne s’y attende, un sanglot vint se loger dans sa gorge. Le genre de sanglot qui fait que votre voix tressaille. Il les sentait même ses larmes qui montaient, qui venaient même chatouiller son nez comme à chaque fois qu’il s’apprêtait à pleurer.