When my eyes were stabbed by the flash of a neon light, that split the night and touched the sound of silence, and in the naked light I saw, ten thousand people, maybe more, people talking without speaking, people hearing without listening
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Les yeux perdus dans le ciel, je regarde tour à tour les nuages et les terres qui s’étendent au sol, à perte de vue. Il reste un peu plus de 5h avant d’atterrir à Perth, nous avons décollé il y a à peu près 45 minutes, et j’ai l’impression que j’ai eu de la chance en ce qui concerne mes voisins de voyage. Pas de gamins qui braillent à proximité, et pas d’ado en pleine crise qui frappe inlassablement dans le dossier de mon siège, entre autres. Le hublot d’un côté, une jeune femme brune aux yeux clairs assise de l’autre côté, l’air tranquille et sans envie particulière de discuter. La binôme de voyage parfaite quand on veut en profiter pour travailler un peu. L’avion étant à son altitude de croisière, je me détache et me baisse pour attraper la pochette où se trouve mon ordinateur portable. Il est en mode avion, mais j’ai prévu le coup en mettant dans un dossier tout ce dont j’ai besoin, à savoir les questions intimes et les témoignages qui me sont envoyés pour le courrier du coeur. Je soupire. Il va décidément falloir que je songe à aller parler à mon patron, concernant toute cette histoire. J’ai accepté ce boulot il y a des mois maintenant, et je commence à saturer. Il va falloir que je songe à demander à changer de service, ou que je cherche autre chose… Les déboires intimes qui me sont envoyés toutes les semaines sont bien trop éloignées de mes sujets habituels. Et si j’arrivais à le supporter au quotidien au début, cela devient de plus en plus compliqué. Comment donner des conseils sentimentaux aux autres quand on a soi-même des soucis pour gérer ses relations amoureuses? Mais pour le moment, je préfère me concentrer sur la lecture et ce que je vais répondre à tout ça, plutôt que de laisser mon esprit divaguer vers Vitto et ce qu’il m’inspire. Si je ne me focalise pas maintenant, si je me laisse le droit de penser à l’Italien, je mets en péril mon temps de travail. Alors je secoue la tête, plisse les yeux, et commence à parcourir des yeux les lignes qu’on m’a envoyé cette semaine, sans faire trop attention à la migraine qui pointe le bout de son nez. Avec un peu de chance, elle disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue. Le temps file, et quand je relève les yeux, c’est pour répondre à l’hôtesse de l’air qui nous propose des boissons chaudes. Je lui rends son sourire alors qu’elle me tend le gobelet de café fumant. « Grazie. » Elle hoche la tête, et après avoir servi ma voisine, s’éloigne pour satisfaire la soif des autres passagers. Je croise un instant le regard bleu de ma voisine de voyage, lui adresse un petit sourire, avant de reporter mon attention sur le paysage qu’offre le hublot. Le ciel s’est assombrit. Il n’est pas tard, mais les nuages sont de plus en plus nombreux et de plus en plus noirs. Quand nous avons embarqué, il faisait grand soleil mais maintenant que nous sommes en plein ciel, ce n’est plus le cas. Tout ce que j’espère, c’est que l’avion aura traversé la zone orageuse avant que les précipitations éclatent. Ce n’est pas gagné, le temps semble se dégrader trop rapidement pour que ça paraisse possible, mais on peut toujours espérer. Je fronce les sourcils. J’ai assez voyagé en avion dans le passé pour savoir qu’en règle générale, les pilotes sont préparés, et sont censés éviter tout ce qui ressemble à un orage, de près ou de loin. Mais j’ai comme l’impression que cette fois-ci, la météo a été imprévisible. Et le tonnerre qui gronde au loin ne présage rien de bon. Le café avalé, je cherche dans mon sac de quoi soulager ma migraine, qui s’est accentuée, sans succès. N’étant pas de nature fragile, mais peu encline à finir le voyage avec un mal de crâne grandissant, je me décide à adresser la parole à la jeune femme à mes côtés. « Désolée de vous embêter avec ça mais… Vous auriez de l’aspirine? » En attendant sa réponse, je maudis Vittorio, qui a si bien su me distraire avant mon départ que j’en ai oublié mes lunettes, celles que je porte depuis quelques temps pour travailler, et qui servent largement à m’éviter des migraines ophtalmiques. La voyant fouiller dans son sac à son tour, je prie pour qu’elle ait un analgésique, ce qui sauverait la fin de mon voyage. Un bruit particulier me fige, et je me tends légèrement quand les voyants s’allument, invitant tout le monde à regagner son siège rapidement. Je sauvegarde rapidement ce que j’ai écris, avant de refermer l’ordinateur pour le ranger dans sa pochette. Juste après, nos pilotes font résonner une annonce dans l’habitacle, annonce qui précise que le temps s’est trop dégradé, et que pour notre sécurité, il va falloir faire un détour, afin d’éviter l’orage. Je jette un coup d’oeil à ma voisine, qui a interrompu ses recherches. Elle aussi semble vaguement inquiète, mais je ne la connais pas suffisamment pour en être sûre. Dans l’avion règne un silence de mort, chacun étant plus ou moins alarmé par l’annonce qui vient d’être faite, et plus ou moins conscient de la tension qui étirait la voix du pilote. Ce silence lourd est interrompu lorsque l’avion traverse une première turbulence. Petite, certes, mais qui surprend tout le monde, et arrache un cri ou deux. Une seconde suit rapidement, plus forte que la première, de celles qui fait trembler les gobelets et frissonner les corps. Il n’y a pas encore eu de nouvelle annonce de la part du staff aérien, mais quelque chose me dit que ce n’est que le début.
Primrose a été plus qu’étonner de découvrir la si jolie enveloppe dans son courrier qui l’attendait sagement quelques semaines précédemment. Dedans s’y logeait une invitation prestigieuse pour la célébration d’une grande marque de luxe - à savoir Michael Kors. Le genre d’invitations sur du papier classé, aux couleurs, aux insignes et au style de la maison en question et franchement, rien que toucher le carton donnait la sensation à Primrose de ne pas en être digne. Les prunelles céruléennes pétillent. L’excitation grimpe. Elle est ahurie. Etonnée et effarée. Tous les synonymes fonctionnent et elle est tellement choquée qu’Adèle lui demande même si ça va. Si elle vient d’apprendre une mauvaise nouvelle. Oh non, Addie, bien au contraire. La nouvelle est merveilleuse, elle est heureuse, et elle s’ajoute aux petits bonheurs qu’elle cumule ces dernières semaines. Insensé. Le karma lui offrirait-il une pause ? Un répit ? La jolie brune l’aurait bien mérité après autant d’années à tournoyer dans l’espace temps de son existence dans la plus mauvaise des directions. Mais elle craint que tout ceci vienne se contre-balancer. Qu’un moment d’inattention et ça sera retour à la case départ. Elle ne veut pas ça. Elle n’y pense pas, pas sur ce moment de flottement où sa tête embrasse déjà les étoiles et qu’elle pourrait presque embrasser le carton, comme un remerciement et une bénédiction. Mais ses colocataires risqueraient de la regarder bizarrement et son arrêt sur image de dix secondes a suffi pour qu’ils plongent un regard perplexe avant de l’observer filer dans sa chambre.
Le seul problème, c’est la destination : Perth. Ce n’est pas à côté. C’est même carrément à l’opposé du pays. Mais les billets lui sont offerts, tout comme le logement à l’hôtel pour les trois nuits qu’elle y passera. Dommage qu’elle ne pourra pas emmener Tim avec elle ; ils auraient pu profiter d’un petit séjour seuls, tout frais payé et assez loin de leurs proches pour pouvoir s’afficher dans la rue main dans la main sans avoir peur d’être débusqué à chaque coin de rue. Mais Primrose n’est pas certaine que son compagnon serait à l’aise de l’ébauche de luxe dans lequel elle va graviter et plonger pendant ces journées-là. C’est un pan qu’il ne connaît pas vraiment, cela fait partie des choses dont il n’a pas encore connaissance pour la simple et bonne raison que la brunette ne s’en vante pas et qu’elle n’en voit pas l’intérêt pour l’instant. Elle ne voit pas non plus où est le souci à envier des chaussures qui font le double de son salaire ni même d’en claquer la moitié dans un bracelet quelconque. Elle a le droit de posséder de son argent comme elle le désire, aussi bien pour elle-même que pour ses proches. Elle pourrait en profiter pour trouver un petit quelque chose à ramener à Tim. Qui est le premier au courant, naturellement. De son angoisse de partir aussi loin parce que Perth, ce n’est pas à côté. La dernière, et seule, fois qu’elle a été aussi éloignée de Brisbane remonte à quelques années maintenant. Elle est terrifiée mais ô combien angoissée.
Cependant, c’est une occasion en or. Sous couverture d’un doré et d’un vert foncé magnifique, élégant. Alors Primrose a pris son courage et elle a fait sa valise. Être payée pour aller se pâmer devant les dernières créations de la maison, n’est-ce pas là un moment magique ? Tout ce qu’elle a besoin de faire est de mitrailler, tester, approuver, aimer et poster tout ça sur les réseaux. Mais il va y avoir du monde. De la concurrence. Un milieu hostile, une véritable jungle. Et c’est tout ça qui occupent les pensées de la brunette, les yeux rivés contre l’hublot pour tenter de se distraire avec le paysage. Mais elle n’est pas non plus forcément très à l’aise dans les airs. A en juger la façon dont elle n’ose à peine bouger, même après le décollage, ses mains restant liées dans le creux de ses cuisses, son dos raide contre le dossier malgré sa tête qui s’appuie contre l’en-tête, il est certain qu’elle n’est pas dans son élément préféré - mais bon, à quel instant Primrose s’est vraiment sentie à l’aise un jour, l’univers se demande. Elle réagit brièvement pour demander un chocolat chaud quand on lui pose la question, à sourire gentiment à sa voisine qui s’attèle bien vite à son ordinateur et retour à l’observation du paysage.
Mais le paysage devient de moins en moins clair, bien au contraire. Les nuages s’assombrissent, le ciel se charge et Primrose se penche un peu en avant pour regarder de plus près, les prunelles dévoilant non sans peine l’inquiétude qui la hante. Ce n’est pas bon signe ça. Avant qu’elle puisse sentir la boule en elle monter, c’est une voix féminine qui vient interrompre ses pensées. « Désolée de vous embêter avec ça mais… Vous auriez de l’aspirine? » La jeune femme fronce les sourcils tout en hochant la tête. “Oui, je pense, je vais regarder.” Et elle regarde. Elle regarde bien trop longtemps, se perdant dans l’immensité de son sac tant et si bien, qu’elle ne voit pas la pluie dehors qui arrive, ni même les regards inquiets des autres passagers, sa voisine en premier lieu. C’est seulement à un bruit qui atteint ses oreilles qui la fait redresser la tête comme un faon pris sur le fait. La voisine ferme son ordinateur, les annonces se veulent rassurantes, un détour est prononcé - Primrose n’a pas le temps d’être déçue que l’avion se secoue légèrement, la crispant contre son siège. Le sac est à ses pieds, elle ne sait même plus ce qu’elle cherchait, bien trop enivrée dans sa panique qui ne faiblit pas - certainement pas quand la deuxième secousse fait trembler un peu plus l’habitacle, renversant son gobelet vide au sol qui déverse quelques gouttes sur le bas du pantalon et des chaussures de sa voisine. “Mince, désolé, j’aurai dû le jeter, je-” Mais l’avion s’exprime de nouveau et Primrose ne va pas au bout de ses excuses, la bouche et les yeux clos ; ce n’est pas comme ça qu’elle va en finir, non, non, non, ce n’est pas possible. Les pilotes savent ce qu’ils font, n’est-ce pas ? S’ils font un détour, c’est pour une raison valable - que chacun peut ressentir et apprécier. Inutile de paniquer en soi. Mais cela ne l’empêche pas de faire un léger sourire crispé à sa partenaire de siège. “C’est normal que ça dure aussi longtemps, d’après vous ?” Les secousses, les vibrations, le tonnerre au loin. Tout cela ne dure que depuis quelques minutes mais pourtant, c’est une éternité qui se prolonge à tout jamais à son jugement. La brunette ne veut pas mourir, pas comme ça en tout cas. Mais c’est sûrement le karma frappant à sa porte. Comme elle pouvait s’en douter.
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Ma voisine hoche la tête quand je lui demande si elle a de l’aspirine. Elle m’annonce qu’elle va regarder, et saisit son sac qu’elle commence à explorer, les sourcils froncés de concentration. Je détourne les yeux une seconde, pour ne pas la fixer pendant le temps où elle sera focalisée sur la recherche du fameux cachet. Je me fige le temps d’une seconde en entendant un bruit inhabituel, et voit du coin la jeune femme à mes côtés qui relève brusquement la tête alors que je referme mon ordinateur sur lui même pour le ranger au plus vite. Des voyants s’allument, les passagers qui se déplaçaient jusque là reviennent s’assoir, plus ou moins rapidement. Une voix grésille, nous annonce un détour obligatoire qui en fait râler certains. Pas longtemps cependant. La première secousse surprend tout le monde, et arrache quelques cris. La seconde, plus forte, fait vaciller des gobelets encore pleins et basculer ceux qui étaient presque vides. Dont celui de ma voisine, qui tombe et heurte ma jambe pour aller s’écraser à côté de mes pieds. Mon pantalon et mes chaussures étant tâchés de liquide, ma voisine se confond en excuses. « Mince, désolé, j’aurai dû le jeter, je- » Avant d’être interrompue par une nouvelle plainte de l’avion, qui la contraint même à fermer les yeux. Pas besoin d’être devin pour comprendre que la situation la stresse au plus haut niveau. Et j’ai beau prendre l’avion régulièrement, je n’en mène pas beaucoup plus large face aux turbulences qui nous secouent depuis tout à l’heure. « C’est normal que ça dure aussi longtemps, d’après vous ? » Elle a un sourire tendu -mais elle fait l’effort d’essayer. Sourire est un grand mot, ce qui étire son visage, ça se rapproche plus d’une grimace inquiète. Mais on ne peut pas lui en vouloir… Un coup de tonnerre au loin me fait frissonner. « Ça devrait s’arrêter bientôt… J’espère. D’ordinaire ce n’est jamais très long ce genre de perturbations. » Je ne sais plus tellement qui j’essaye de rassurer. Elle… Ou bien moi, dont la nervosité grandissante menace deviner à l’angoisse au prochain phénomène anormal. Mais elle semble se satisfaire de ma réponse bredouillante. La cabine de l’avion est silencieuse, un silence lourd, pesant. Le temps s’étire pendant de longues minutes, sans qu’il ne se passe rien de plus. Comme pour laisser à tout le monde le temps de respirer, de reprendre ses esprits. Je soupire, jette un coup d’oeil à ma voisine, qui est toujours crispée sur son siège. Ma migraine est passée au second plan, ce qui m’autorise à essayer de penser à autre chose. « Pourquoi vous êtes dans cet avion? » Une petite conversation banale, histoire de détourner son attention du ciel noir qui s’étend à travers le hublot. Son attention, et la mienne par la même occasion. C’est un peu indiscret comme question, surtout que les seuls mots que nous avons échangé jusqu’à maintenant concernaient de l’aspirine. Mais j’ai toujours été curieuse, une curiosité maladive, exacerbée par la nervosité qui crispe toujours mes doigts. « Vous êtes de Brisbane? De Perth? En transit seulement? » Je me rends bien compte que c’est intrusif, mais je ne peux pas m’en empêcher. Alors à défaut d’avoir réussi à tenir ma langue, je tente de rattraper le coup avec une nouvelle phrase. « Vous n’êtes pas obligée de répondre, c’est juste que parler m’aide à évacuer le stress. Quand je suis nerveuse, je parle. C’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour - » Turbulence. À nouveau. Mais plus importante que les précédentes. Il semble qu’une nouvelle série noire soit en train de commencer. Mes doigts se crispent sur les accoudoirs, mes yeux se ferment et ma respiration se bloque. Quand je parviens à reprendre une inspiration, en luttant, je trouve la force de souffler la fin de ma phrase. « … Pour nous changer les idées. » Mais si les perturbations continuent à ce rythme, parler ne sera peut-être plus suffisant.
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Elle semble à deux doigts de pleurer et je n’en mène pas beaucoup plus large. D’où mon envie de déblatérer avec elle sur tout et n’importe quoi, sur absolument tout ce qui pourrait me passer par la tête, sans aucun filtre. Et si, pendant un moment qui me paraît être une éternité, je pense qu’elle va refuser tout net, elle répond, alors que je me préparais à me murer dans le silence. « C’est une bonne idée. » À chaque soubresaut de l’appareil, elle ferme les yeux, fort. Je résiste encore à l’envie de le faire, mais pour combien de temps. Pour l’instant, je me contente de me crisper sur les accoudoirs. Loin d’être suffisant pour apaiser l’état de stress qui m’a prit à la gorge. « Mais je crois que- » Elle est interrompue par une nouvelle secousse. Elle ne finit pas sa phrase, mais pas besoin de ça pour lui offrir une réponse. « Ça va suffire. » Ça doit suffire. Avec un air résigné, je ne sais plus trop qui est-ce que j’essaye de convaincre, elle, moi, ou les quelques oreilles qui trainent et qui essayent comme nous de se raccrocher à quelque chose pour essayer de penser à autre chose. Nerveuse, ma voisine se tourne vers le hublot et d’un geste brusque, referme le rideau pour recouvrir ce dernier. « On va éviter de regarder dehors. » Qu’elle lance en bredouillant, malgré son envie évidente d’avoir l’air assurée. Malgré tout, son geste impulsif a eu l’effet escompté, a savoir diminuer - un peu - mon stress, et j’espère le sien par la même occasion. Le simple fait de ne plus voir les nuages noirs et les flashs éphémères qui les illuminent de temps à autre diminue vaguement mon angoisse. Vaguement seulement, car on entend toujours ce qui se passe à l’extérieur. Ma voisine se tourne vers moi, et répond finalement à la question que je lui ai posé un peu plus tôt. « Je vais à Perth pour un événement où je suis invitée. Et vous ? » Et alors même que c’est moi qui ai posé la question, au moment de répondre à sa propre interrogation, j’hésite. Sans aucune raison particulière, surtout qu’elle a fini par me répondre. Sans rentrer dans les détails, certes, mais peu importe, la conversation est lancée. Face à mon indécision, elle se sent obligée de renchérir. « Vous pouvez me parler, je ne le répéterai à personne, promis. » Je soupire. De toute façon, ne n’est pas comme s’il y avait une chance qu’elle connaisse quelqu’un de mon entourage. Et puis, échanger des banalités, ça n’a rien d’exceptionnel. Et cette petite voix derrière toutes les pensées qui m’accaparent l’esprit, qui susurre que de toute façon, si l’avion finit par s’écraser, elle ne pourra plus rien dire à personne. « Pour un reportage. Je suis censée y rester trois jours avant de repartir. Je suis journaliste, alors je voyage souvent. » Journaliste et Italienne, cela va de soi. Si l’accent ne lui a pas mis la puce à l’oreille, c’est qu’elle est définitivement trop angoissée pour faire attention aux détails. C’est le moment précis que choisissent les hauts parleurs de l’avion pour crépiter, faisant taire absolument tout le monde, même ceux qui n’arrivaient pas à s’empêcher de gémir en continu depuis la première secousse de cette longue série. On nous annonce calmement que l’avion devrait bientôt quitter la zone de turbulences, mais qu’il est également possible que le vol soit dérouté vers un autre aéroport. Au vu de la situation, et si je devais parier, je pencherais plutôt vers la seconde option. Quitter la zone de turbulences? Bien évidemment c’est possible. Mais si l’espace aérien est si dangereux que les pilotes ont été pris au dépourvu une première fois, qu’est-ce qui empêchera la tempête de les surprendre à nouveau plus tard? En attendant de savoir, une nouvelle turbulence secoue l’avion, faisant paniquer les gens à nouveau. Toujours crispée sur mes accoudoirs, cette fois je serre si fort que mes jointures blanchissent, si fort que j’arrive à me faire mal toute seule. Les yeux clos, jusqu’à ce que ça passe, je serre les dents afin de ne pas céder au cri qui me brûle la gorge. « Vous voyagez souvent vous? C’est pour le travail ce fameux évènement? Ou alors pour une passion? Vous rejoignez quelqu’un là bas? Vous avez quelqu'un dans votre vie? » Presque inconsciemment, je reprends mon babillage, les mots sortant de ma bouche avant même que j’aie eu le temps d’y penser. Les questions s'enchaînent, le lien entre elles semblant de moins en moins évident. Mais je n'y peux plus rien. Je force un sourire, pour tenter de détendre l’atmosphère. Mais pas besoin d’analyser ses traits pour savoir que cette tentative de sourire s’apparente plutôt à une grimace. « Vous pouvez tout me dire, la confiance ça va dans les deux sens, je ne répèterai rien non plus. » Et en attendant la suite, apprendre le plus d'informations possible sur une parfaite inconnue me semble être un objectif convenable pour éviter de penser à ce qui se passe à l'extérieur, derrière le rideau tressaillant qui camoufle le hublot.
« Ça va suffire. » Un accent aux consonances étrangères se fait entendre alors que la voix de ma voisine se veut assurée et tranchante. Je veux y croire aussi, que notre conversation éphémère et soudaine suffira. Je ne suis pas très douée pour cela, ceci dit, je m’en remets à elle pour savoir diriger notre échange. Je ne l’aurai jamais enclanchée de moi-même et encore moins poursuivie. Mais il faut croire que la panique engendre des situations inédites et me voilà à me remettre à une parfaite inconnue pour calmer l’angoisse silencieuse qui me happe et menace de m’engloutir entièrement. Je ne suis pas de ceux qui laissent échapper ses émotions, ce qui peut être un problème car l’accumulation n’a jamais rien eu de bon ni de positif. Cependant, je prends tout de même l’initiative de fermer le rideau du hublot afin d’éviter d’avoir le paysage qui ne peut qu’accentuer notre stress respectif - même si au final, ne rien voir ne serait pas aussi pire ? Je ne fais qu’exploiter les solutions qui sont à ma portée - autrement dit, elles ne sont pas très nombreuses. « Pour un reportage. Je suis censée y rester trois jours avant de repartir. Je suis journaliste, alors je voyage souvent. » Oh, voilà qui est intéressant. Je fus interrompue de potentielles questions que je pourrai me permetter de lui poser vu que je me sens légitime de lui en émettre en retour des siennes par les hauts parleurs où les pilotes nous annoncent une potentielles déviations. Je fronce légèrement des sourcils. “Vous croyez qu’ils vont dévier où ? J’espère qu’on ne va pas trop perdre de temps quand même.” Parce que j’ai l'œil sur l’heure malgré moi. C’est une remarque stupide parce que l’événement où je vais dure deux jours mais le plus tôt je serai arrivée, le mieux je me sentirai. Contrairement à ma voisine, je ne voyage pas beaucoup, mes déplacements par avion peuvent se compter sur les doigts d’une seule main. “Je prends assez peu l’avion. Ça arrive souvent, ce genre de choses ?” Ma langue se délie naturellement, la curiosité se faisant place pour étouffer l’angoisse. “Vous êtes journaliste dans quel domaine ? Pour un magazine, un journal, une chaîne, une radio ? Ou indépendante ?” Voilà qui m’étonne d’avoir des pensées et des paroles assez cohérents alors qu’une nouvelle turbulence nous secoue ; je serre les dents et les doigts contre mon siège en attendant que cette énième secousse passe.
« Vous voyagez souvent vous? C’est pour le travail ce fameux évènement? Ou alors pour une passion? Vous rejoignez quelqu’un là bas? Vous avez quelqu'un dans votre vie? » Je pourrai rire de nos bombardages respectifs si la situation s’y prêtait mais ce n’est absolument pas le cas. Le mieux que je puisse faire est de sourire légèrement d’amusement, bien consciente que l’humour ne fait pas partie de notre équation présentement. « Vous pouvez tout me dire, la confiance ça va dans les deux sens, je ne répèterai rien non plus. » Je baisse les yeux, mes lippes ne lâchant pas mon sourire amusé. “Je n’aurai pas pensé me retrouver dans une telle situation.” Que ce soit au milieu de chamboulements d’aviation ou à babiller à une parfaite inconnue. “Ce n’est pas pour le travail mais c’est un projet qui mélange la passion, oui. J’avoue que j’y vais en ne connaissant personne et ça… Me terrifie encore plus que ce qu’on est en train de vivre.” Après tout, au mieux, on atterrit quelque part, au pire, on se crashe ; au final, faire face à une foule d’inconnus est bien plus effrayants à mes yeux. “J’ai rencontré quelqu’un il n’y a pas longtemps, en effet.” Il n’y a pas de risque qu’elle connaisse Caleb ou Alex, n’est-ce pas ? “Et vous alors ? Vous avez quelqu’un qui aimerait aussi vous retrouver après tout ça ? Le reportage est sur quoi ? Vous avez un accent, non ?” Parce que je l’ai remarqué malgré tout. Sûrement la peur de ma caramade qui l’accentue un peu plus que normalement, je ne saurais dire.
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J'avoue sans trop réfléchir à mon inconnue de voisine que je vais à Perth pour un reportage. Un reportage bateau pour mon abruti de patron, pour un poste qui me convient de moins en moins dans un journal où je travaille depuis presque deux ans maintenant. Un reportage sur un sujet inintéressant, dont le trajet va peut être finir par me tuer. La seconde d'après on nous annonce que l'avion va être dérouté vers un autre aéroport, histoire d'éviter d'autres turbulences. Une secousse suit immédiatement l'annonce, comme pour appuyer les dires du pilote. « Vous croyez qu’ils vont dévier où ? J’espère qu’on ne va pas trop perdre de temps quand même.» Très bonne question, car pour être honnête je ne connais pas suffisamment la géographie australienne, et encore moins les couloirs aériens et les aéroports pour pouvoir donner une réponse. Alors je me contente de hausser les épaules en lui lançant un regard désolé. Ma voisine continue sur sa lancée, ayant apparemment décidé de suivre le mouvement, de parler, pour oublier ce qui se passe derrière les hublots. « Je prends assez peu l’avion. Ça arrive souvent, ce genre de choses ?» J'envisage un instant de lui mentir sur la gravité et la rareté de ce genre de turbulences, pour essayer de la rassurer un petit peu. Mais malgré son air paniqué, je préfère opter pour la vérité. « Oui ça arrive souvent, c'est fréquent les turbulences... » Nouvelle grosse secousse, rapidement suivie d'une autre. Je ferme les yeux, m'agrippe aux accoudoirs. Quand ça se calme, je parviens à continuer ma phrase laissée en suspens, qui à peut être vaguement rassuré ma voisine le temps d'un instant. « Mais aussi violent, non. Sinon je prendrais pas l'avion aussi souvent. » Et je risquais d'avoir un peu de mal à remettre les pieds dans la carcasse d'un avion, pendant quelques temps en tout cas. Si la situation n'empire pas. « Vous êtes journaliste dans quel domaine? Pour un magazine, un journal, une chaîne, une radio ? Ou indépendante? » Comme prévu, ça me fait du bien de parler de tout et de n'importe quoi. Surtout que cette fille, même si elle habite à Brisbane, je ne la reverrais peut être jamais... « Pour un journal... The Australian. Mais le poste que j'ai là-bas ne me convient vraiment plus, j'envisage de changer dans peu de temps. Peut être pour devenir freelance... J'en sais rien pour le moment. » Mais le courrier du coeur, et les sujets soporifiques... Ça suffit. À mon tour de la cuisiner un peu, je suis au moins aussi curieuse qu'elle quant à sa vie privée. Il ne faut pas se mentir, poser des questions personnelles à une inconnue, ce n'est pas la première fois que ça m'arrive. Néanmoins, je mets d'habitude un peu plus les formes avant d'arriver sur des sujets aussi personnels. Je lui demande sans gêne pourquoi elle va là bas, travail ou passion? Avant d'enchaîner immédiatement: peut-être qu'elle rejoint quelqu'un là bas? Voyons son hésitation face à l'intrusion plutôt brusque dans sa vie privée, je lui confirme que tout ce qu'elle me dira restera secret, et que rien de ce qu'elle me dit ne sortira de cet avion maudit. « Je n’aurai pas pensé me retrouver dans une telle situation. » Personne n'aurait pensé se retrouver dans une situation pareille. Après tout, ce genre de choses ça n'arrive qu'aux autres... Et même si ça reste possible, généralement quand on s'apprête à monter dans un avion, on évite de se monter la tête avec des scénarios noirs... « Ce n’est pas pour le travail mais c’est un projet qui mélange la passion, oui. J’avoue que j’y vais en ne connaissant personne et ça… Me terrifie encore plus que ce qu’on est en train de vivre. » À l'évidence, sa vie sociale n'est pas débordante, et elle doit avoir du mal à faire confiance, ou en tout cas avoir du mal à aller vers les autres dans la vie de tous les jours. « Faut pas avoir peur de faire de nouvelles rencontres, vous savez... Bonnes ou mauvaises expériences, c'est l'inconnu qui nous fait évoluer. » Je lui adresse un petit sourire, crispée. Je ne sais pas si ce genre de phrase l'aidera à appréhender un peu moins ce qui l'attend à Perth. Surtout que je n'ai moi-même jamais trop eu de mal à aller vers les autres, inconnus ou non. Alors j'essaye d'être rassurante, sans savoir moi-même ce qu'elle ressent exactement. « J’ai rencontré quelqu’un il n’y a pas longtemps, en effet. » Ma curiosité attisée, je ne lui laisse presque pas le temps de reprendre son souffle. « Je veux des détails! » Comme si j'avais le droit d'exiger quoique ce soit de sa part... Mais je veux en savoir plus, c'est le sujet parfait pour me changer les idées. « Et vous alors ? Vous avez quelqu’un qui aimerait aussi vous retrouver après tout ça ? Le reportage est sur quoi ? Vous avez un accent, non? » Alors même que je viens de lui poser la même question, pire, que je viens de lui demander plus de détails à ce propos, sa première question me prend totalement au dépourvu. Le temps de me remettre les idées en place, je préfère commencer par répondre à ses autres questions. « Italienne. J'habitais à Rome avant de partir pour Brisbane. Et pour le reportage, c'est sur l'Aquarium of Western Australia, apparemment ils ont ouvert une nouvelle aile avec de nouvelles espèces, ou quelque chose comme ça... Ils sont sensés m'envoyer les détails quand je serais à l'hôtel. » Voyant qu'elle me fixe toujours de ses grands yeux, je finis par répondre à sa première question, restée jusque là sans réponse, après une pensée pour Vittorio et le message reçu juste avant l'embarquement. « Et oui, il y a quelqu'un que j'irais retrouver en rentrant. Mais on est pas ensemble. C'est compliqué... » Compliqué, oui. Mais en attendant, j'ai tant de mal à m'exprimer à ce sujet que je commence presque à regretter la période où on ne se disait rien, ma voisine et moi.
« Oui ça arrive souvent, c'est fréquent les turbulences... » mais il y a fréquent et fréquent, non ? Je sais pas mais elle aurait aussi pu me mentir et c’est une option que j’aurai sûrement préféré à bien reconsidérer les choses. Mais je prends sur moi, ça va aller, ce n’est pas la première fois que ça arrive et- nouvelle secousse qui me prouve que ça ne sera pas non plus la dernière. Je retiens mes larmes et ma panique mais ce sont mes doigts contre mes accoudoirs qui blanchissent furieusement sous la pression que leur inflige - il faut bien que j’évacue quelque part. « Mais aussi violent, non. Sinon je prendrais pas l'avion aussi souvent. » ce n’est pas… Rassurant. Mais je me gifle mentalement ; si Caleb a réussi à aller jusqu’en France, je peux bien faire le trajet jusqu’à l’autre bout du pays. Ceci dit, je vais déjà appréhender le voyage retour. Est-ce que je pourrai trouver un train pour faire le trajet ? Quitte à prendre deux jours, je m’en fiche tellement que c’est assez angoissant.
« Pour un journal... The Australian. Mais le poste que j'ai là-bas ne me convient vraiment plus, j'envisage de changer dans peu de temps. Peut être pour devenir freelance... J'en sais rien pour le moment. » ma voisine semble avoir la langue qui se délie sous le stress alors je fais ce que je sais faire de mieux ; j’écoute. Je suis plus douée pour ça que pour parler et je trouve que son ambition est honorable. “Vous êtes plus dans la politique, les faits du monde ou les gossips ?” j’ai comme l’impression que ça serait la deuxième catégorie ; quelqu’un qui apprécie les gossips doit se laisser vivre et ne pas chercher à être indépendant. Ce sont les gens de conviction qui se lancent dans des projets pareils, pas ceux de la presse à scandale. Enfin, je ne peux que supposer en attendant la réponse de ma partenaire de secousse. « Faut pas avoir peur de faire de nouvelles rencontres, vous savez... Bonnes ou mauvaises expériences, c'est l'inconnu qui nous fait évoluer. » j’aimerai pouvoir dire qu’elle a raison et, en général, il faut toujours commencer par l’inconnu avant de pouvoir se lancer. Tout le monde est inconnu avant qu’on s’efforce de prendre connaissance, c’est une science inébranlable - à part quand cela concerne sa famille, et encore. Mais je n’ai pas cette facilité à aller vers les autres, ce qui peut être compliqué dans le domaine dans lequel j’ambitionne d’évoluer plus sérieusement. Ce n’est pas pour rien que je me mure derrière un masque et que je joue un rôle dans ces moments-là. Comme là, pendant les jours à venir. Je ne serai pas moi et ça sera tant mieux ; on ne me demande pas de l’être et je n’aime pas être moi de toute façon.
« Je veux des détails! » je fais presque un sourire tétanisé parce que son enthousiasme est étrange sachant que l’on ne se connait pas mais je suppose qu’elle cherche là surtout une distraction en moi et… Cela peut me distraire aussi, surtout que je ne peux pas parler de Tim à mes proches, cela peut largement m’aider. “Je l’ai rencontré y’a quelques années dans un… bar.” on n’évoquera pas le club de striptease, je préfère éviter les questions de cet ordre-là. “On a passé une nuit formidable mais on ne s'est jamais revu après. Puis en début d’année, j’allais donner des donuts que j’avais fait à un ami qui tient une librairie en ville pour ses clients quand bim! par surprise, je tombe sur lui. Pas l’ami, hein, mais Tim, celui que j’ai rencontré y’a deux ans.” raconté de la sorte, ça a un goût presque épatant, à vrai dire. “Une chose en entraînant une autre…” je souris légèrement à Gaïa, n’ayant pas besoin de lui faire un dessin. “Le seul problème est que le monde est petit et qu’il connait ma future belle-soeur que je ne porte pas vraiment dans mon coeur.” et ça, c’est très perturbant, comme information. Le jour où je l’ai appris, j’ai été surprise ; j’aurai dû me douter que c’était trop beau pour être vrai de toute façon. Qu’il y allait forcément y avoir une aiguille sous la roche.
« Italienne. J'habitais à Rome avant de partir pour Brisbane. Et pour le reportage, c'est sur l'Aquarium of Western Australia, apparemment ils ont ouvert une nouvelle aile avec de nouvelles espèces, ou quelque chose comme ça... Ils sont sensés m'envoyer les détails quand je serais à l'hôtel. » elle me répond à tout, sauf au point le plus intéressant - parce que je suis une petite romantique et que les détails amoureux des autres m’intriguent tout autant. Cependant, j’hoche quand même la tête par politesse sur tout ce qu’elle vient de dire, me demandant même “pourquoi vous êtes partie de Rome ?” je n’ai pas beaucoup de connaissance géographique mais je crois bien que c’est une ville considérée comme belle et romantique ; je me demande ce qui l’a poussé à venir ici. « Et oui, il y a quelqu'un que j'irais retrouver en rentrant. Mais on est pas ensemble. C'est compliqué... » je fais un petit sourire en plissant mes lippes. “Vous savez que si je vous dis des informations, vous êtes obligée de m’en donner en retour. Je ne répéterai rien à personne.” je lui rappelle ses propres phrases ; et je suis d’autant plus curieuse qu’elle semble si encline à discuter mais qu’elle se ferme comme une carpe en évoquant cette personne. Je ferme alors la bouche mais j’espère qu’elle va oser ; ça ne serait que justice, après tout.
When my eyes were stabbed by the flash of a neon light, that split the night and touched the sound of silence, and in the naked light I saw, ten thousand people, maybe more, people talking without speaking, people hearing without listening
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Les gossips, très peu pour moi, même si c’est un peu mon dada en ce moment. Le courrier du coeur, tout ça tout ça… Je me débrouille avec ces enfantillages, mais à la base, ce sont les faits du monde qui m’attirent… Ça et la justice, tout ce qui s’en rapproche. Et pour répondre à sa question sur les aspects de mon métier, c’est ce que je lui réponds. Quand je lui demande davantage de détails, en ce qui concerne sa vie sentimentale, je ne m’attends pas à ce qu’elle réponde. Et son sourire crispé renforce l’idée que me suis faite; elle ne se confiera pas à moi à ce sujet. Et pourtant, elle finit par amorcer une phrase, à ma grande surprise. « Je l’ai rencontré y’a quelques années dans un… bar. On a passé une nuit formidable mais on ne s'est jamais revu après. Puis en début d’année, j’allais donner des donuts que j’avais fait à un ami qui tient une librairie en ville pour ses clients quand bim! par surprise, je tombe sur lui. Pas l’ami, hein, mais Tim, celui que j’ai rencontré y’a deux ans. » Son histoire me fait sourire. Des fois les coïncidences tombent vraiment bien. À voir si le revoir avait été bénéfique… Ou si ça n’avait donné suite à rien du tout. « Une chose en entraînant une autre… » Le sourire qui a animé ses traits quand elle m’a répondu veut tout dire. Un sourire qui s’efface un petit peu quand elle continue sur sa lancée. Parce que bien évidemment, il y a un mais dans la plupart des histoires. « Le seul problème est que le monde est petit et qu’il connait ma future belle-soeur que je ne porte pas vraiment dans mon coeur. » Des soucis classés familiaux… Pourquoi est-ce que ça ne m’étonne qu’à moitié. « Il la connait… De quelle façon? C’est pas une de ses exs ou quelque chose comme ça, j’espère? » Ce serait trop moche, surtout qu’elle a l’air de s’y être un peu attachée, au petit Tim. Curiosité en avant, je décide de poser une autre question. Étant indiscrète depuis le début, autant l’être jusqu’au bout. « Et si c’est pas indiscret… Pourquoi vous ne la portez pas dans votre coeur? » Bien sûr que c’était indiscret, pourtant, j’avais bien envie de connaître toute l’histoire, maintenant qu’elle s’était mise à table. Rapidement, elle change de sujet, me tirant les vers du nez à son tour, posant plusieurs questions, portants sur mon accent, mon reportage et… Sur si quelqu’un m’attends à la maison, ou non. « Italienne. J'habitais à Rome avant de partir pour Brisbane. Et pour le reportage, c'est sur l'Aquarium of Western Australia, apparemment ils ont ouvert une nouvelle aile avec de nouvelles espèces, ou quelque chose comme ça... Ils sont sensés m'envoyer les détails quand je serais à l'hôtel. » En apparence, elle semble se contenter de la réponse, où j’ai omis une question bien spécifique. Elle enchaîne rapidement, comme si de rien n’était, mais je sens bien, je vois bien même, que je vais devoir finir par répondre. Après tout, elle a répondu, elle… « Pourquoi vous êtes partie de Rome ? » J’ai un sourire pétrifié. Elle a mis les pieds dans le plat, sans même s’en rendre compte. Elle n’a pas fait exprès, comment aurait-elle pu savoir que tout ça est en réalité lié. Je reste silencieuse un instant, avant de prendre une grande inspiration. « Oui, il y a quelqu'un que j'irais retrouver en rentrant. Mais on est pas ensemble. C'est compliqué... » Je fais une nouvelle pause. En parler est plus compliqué que ce que j’aurais cru… Elle me fait un petit sourire. « Vous savez que si je vous dis des informations, vous êtes obligée de m’en donner en retour. Je ne répéterai rien à personne. » Pourquoi pas après tout? Peut être qu’avoir un avis extérieur serait bénéfique… Et en même temps, si ça ne l’est pas, plus vite je me mettrais à table, plus vite on parlera d’autre chose. J’ai beau essayer de me motiver, je n’arrive pas à me lancer. C’est une nouvelle secousse qui me pousse à parler, précipitamment. Moi qui commençais à croire que les turbulences étaient terminées… « Je suis partie de Rome à cause de lui. » Après avoir lâché la bombe, je m’aperçois que ça pourrait être compris comme quelque chose de presque romantique, et m’empresse de corriger. « Ne vas pas t’imaginer des choses. À Rome on avait une sorte de… Relation améliorée. Il était substitut du procureur, on s’échangeait des infos concernant des affaires en commun, et on partageait un peu de tendresse. Ça a duré des années, mais pas de sentiments, l’un et l’autre on avait pas le temps, ou l’envie. Et puis finalement… » Une turbulence plus violente que les autres nous agite, et je me crispe à nouveau sur les accoudoirs, alors que les lumières de l’habitacle vacillent de plus en plus. Si ça continue comme ça, nous allons finir par nous retrouver dans le noir. Et c’est certainement la chose la moins pire qui pourrait nous arriver. « J’ai massacré sa carrière pour gagner en renommée. On a eu une violente dispute après ça, et il est parti. Peu de temps après j’ai été agressée et j’ai terminé à l’hôpital. J’étais persuadée que ça venait de lui. Alors je suis partie pour le retrouver. » Et le confronter. En face de moi, je la vois suspendue à mes lèvres. En me posant la question, je ne sais pas si elle s’attendait à recevoir une histoire aussi compliquée. Je secoue la tête. « Il s’avère que j’avais tord, que ça venait pas de lui. Du moins, pas directement. Mais ça c’est une autre histoire. » Et je n’avais vraiment pas envie de m’attarder sur celle-la. Pas du tout. Parler de Vittorio et de notre histoire compliquée ne faisait du bien, bizarrement. Finalement, maintenant que j’étais lancée, j’avais moins de mal à enchainer les phrases, pour expliquer toute l’histoire. « Il a débarqué peu de temps après chez moi, dans l’appartement que je venais de louer. Lui aussi voulait des explications… Et finalement, une chose en entrainant une autre… » J’ai un petit sourire en coin, quand je reprends mot pour mot ce qu’elle m’a dit il y a peu de temps. Ça me semble si loin, maintenant…
« Il la connait… De quelle façon? C’est pas une de ses exs ou quelque chose comme ça, j’espère? » j’émets une légère exclamation de surprise avant de secouer la tête à la négation tout en essayant de ne pas imaginer Tim et Alex dans une position qui me ferait rougir… Ou donnerait envie de vomir. Plutôt la deuxième option, maintenant que j’y repense un peu mieux. “Oh non, non. Ils sont meilleurs amis, rien de plus. Ils se sont connus quand ma future belle-sœur est venue la première fois à Brisbane et qu’elle a rencontré mon frère.” il n’y a rien de sexuel, rien d’amoureux, rien de déplacer entre Tim et Alex ; je peux douter de l’anglaise sur beaucoup de choses mais pas sur son amour pour Caleb - même si ce n’est pas ça qui l’a empêché de lui briser le cœur en partant sauvagement. “Il a seulement eu un petit crush pour elle à leurs débuts mais rien de plus.” je ne vais pas dévoiler que Tim n’a jamais connu ni relation sérieuse ni acte sexuel avant la trentaine dépassée, c’est carrément déplacé et ça me met mal à l’aise de parler en son nom. Je reste alors donc dans mon territoire. « Et si c’est pas indiscret… Pourquoi vous ne la portez pas dans votre coeur? » là, je passe une main contre ma nuque car je ne pensais pas que ma voisine aurait été si curieuse et avare en détails - il faut dire que la situation de l’avion qui continue à déconner au milieu des nuages ne peut que renforcer un intérêt divers pour occuper son attention ailleurs, une technique que j’approuve même si ça me force à me mettre à nue moi aussi. “Elle a brisé le coeur de mon frère une fois. Elle lui a caché sa grossesse quand elle est partie sans rien dire à personne. Enfant qu’elle a abandonné. Elle a un sale caractère. Et elle est riche.” oui, le dernier détail semble absurde mais Alex vient d’une famille riche et je l’envie terriblement pour ça. De toute façon, n’importe quel critère venant d’elle se suffit pour que je finisse par la détester - même si je fais du mieux que je peux pour maintenir les efforts. “Mais j’évite d’y penser. J’aime mon frère et elle le rend heureux alors… Je n’ai pas vraiment mon mot à dire. Et j’aime mes nièces aussi, je ne veux pas me couper d’une partie de ma famille à cause d’une personne.” d’autant que le reste entier de la famille apprécie Alex ; il n’y a que moi qui, comme d’habitude, a des opinions qui tergiversent. Il faut dire que c’est moi qui ai récolté les morceaux cassés de Caleb quand Alex est partie - l’excuse était parfaite pour venir dans la grande ville. Mais c’est moi qui ai vu tout le mal qu’elle a causé, évidemment que mon opinion sur elle va être différente.
« Italienne. J'habitais à Rome avant de partir pour Brisbane. Et pour le reportage, c'est sur l'Aquarium of Western Australia, apparemment ils ont ouvert une nouvelle aile avec de nouvelles espèces, ou quelque chose comme ça... Ils sont censés m'envoyer les détails quand je serais à l'hôtel. » j’hoche la tête. Je ne veux pas la vexer mais ça ne m’a pas l’air très intéressant. Je ne suis pas très passionnée par les animaux, à part les chats et les chevaux. Faire un article complet sur ce genre de choses n’a cependant pas l’air de la réjouir ; son timbre n’offre aucun signe d'enthousiasme à l’idée. Par contre, le fait qu’elle vienne de Rome, ça me donne plus à rêver. Caleb est déjà allé en Italie ; je rêverai d’y aller aussi un jour. Quand j’aurai les moyens. « Oui, il y a quelqu'un que j'irais retrouver en rentrant. Mais on est pas ensemble. C'est compliqué... » je tourne ma tête vers elle parce que le mot ‘compliqué’ intrigue toujours. Ca ne serait pas intéressant si ce n’était pas ‘compliqué’ : d’autant que j’ai du mal à concilier ‘quelqu’un à retrouver’ et ‘ne pas être ensemble’. Ca me semble un peu l’opposé de ne pas être ensemble, non ? « Je suis partie de Rome à cause de lui. » oh, donc il y a un historique. Je suis toute ouïe ; j’aime bien écouter les histoires des autres. Je suis très douée pour écouter - beaucoup moins à donner des conseils. « Ne vas pas t’imaginer des choses. À Rome on avait une sorte de… Relation améliorée. Il était substitut du procureur, on s’échangeait des infos concernant des affaires en commun, et on partageait un peu de tendresse. Ça a duré des années, mais pas de sentiments, l’un et l’autre on avait pas le temps, ou l’envie. Et puis finalement… » substitut du procureur, journaliste… J’ai assez regardé de téléfilms à la noix pour que ça peut produire du bon comme du mauvais, ça. Une secousse reprend, j’en avais presque oublié l’avion, et je me cramponne fermement à mon siège. « J’ai massacré sa carrière pour gagner en renommée. On a eu une violente dispute après ça, et il est parti. Peu de temps après j’ai été agressée et j’ai terminé à l’hôpital. J’étais persuadée que ça venait de lui. Alors je suis partie pour le retrouver. » alors là, j’en écarquille les yeux parce que je n’ai pas pensé que ça tournerait de façon aussi violente. Donc elle a fait le voyage à l’autre bout du monde pour le confronter ? Il y a bien que l’amour pour faire réagir de la sorte, et peut-être aussi la vengeance ? « Il s’avère que j’avais tort, que ça venait pas de lui. Du moins, pas directement. Mais ça c’est une autre histoire. » elle ne peut pas me tendre des perches avant de les reprendre, c’est presque cruel, là. Je suis à la fois curieuse et effarée de cette histoire d’agression. Soulagée aussi que ce ne fut pas son prétendant. Je suis friande de romantisme et je sens qu’il y a quelque chose qui va se pointer. « Il a débarqué peu de temps après chez moi, dans l’appartement que je venais de louer. Lui aussi voulait des explications… Et finalement, une chose en entrainant une autre… » il y a une nouvelle secousse et je serre les dents tout en fermant brièvement les yeux pour éviter de voir les lumières qui chancelent de plus en plus. Cependant, je finis par sourire légèrement quand ça s’arrête. “Mais vous n’êtes pas ensembles ? Est-ce que vous l’aimez ? Vous ne seriez pas restée à Brisbane, sinon, si ?” car pourquoi s’envoler pour l’autre bout du pays juste pour demander une justice qui n’a pas lieu d’être et rester dans la même ville si ce n’est par amour pour cet homme ? Je ne peux pas croire que Gaïa soit restée par amour pour son métier - si elle faisait déjà celui-là en arrivant. A part si elle a une autre raison d’être restée à Brisbane. Appelez-moi niaise, mais j’ai envie de croire que non. “Vous avez retrouvé ceux qui vous ont agressé ?”
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Un drame familial serait-il dissimulé dans l’esprit de ma voisine? Quand elle en vient à me parler de sa belle soeur et du fait qu’il y a un lien entre elle et son crush, ma curiosité est piquée. Encore plus lorsqu’elle m’annonce qu’elle ne la porte pas vraiment dans son coeur. Est-ce que ce manque d’affection envers la copine de son frère résulte d’une ancienne histoire entre elle et le fameux Tim? Je ne résiste pas le moins du monde, et décide de lui poser la question. Elle secoue la tête, avec un air sincèrement surpris. « Oh non, non. Ils sont meilleurs amis, rien de plus. Ils se sont connus quand ma future belle-sœur est venue la première fois à Brisbane et qu’elle a rencontré mon frère. » Rien qui paraît compliqué, en soi. D’ailleurs, pour le moment, rien de ce qu’elle m’a dit n’explique pourquoi elle ne l’aime pas, cette fille. « Il a seulement eu un petit crush pour elle à leurs débuts mais rien de plus. » Peut être une première raison dans cette phrase. Ça paraît logique, en tout cas si ma voisine est d’un naturel jaloux, mais je ne la connais pas suffisamment pour pouvoir affirmer que c’est le cas. Dans tous les cas, je ne vais pas me contenter de si peu, je ne peux m’empêcher de chercher à savoir ce qui la dérange vraiment, chez sa belle-soeur. « Et si c’est pas indiscret… Pourquoi vous ne la portez pas dans votre coeur? » Elle passe une main derrière sa nuque, affreusement gênée. En la voyant faire, je suis à deux doigts de m’excuser pour ma curiosité maladive… Mais finalement la jeune femme décide de tout me dévoiler, d’une traite, comme si elle se débarrassait d’un poids. « Elle a brisé le coeur de mon frère une fois. Elle lui a caché sa grossesse quand elle est partie sans rien dire à personne. Enfant qu’elle a abandonné. Elle a un sale caractère. Et elle est riche. » Le dernier détail me fait hausser un sourcil. Pour qu’elle ait ressenti le besoin de le préciser, c’est qu’elle-même ne doit pas venir d’un milieu favorisé, comme sa belle-soeur… Ou comme moi. Mais si elle est mal à l’aise avec ce genre de choses, c’est un détail que je vais éviter de lui dévoiler. Quant au reste de l’histoire… Ça ressemble bel et bien à une histoire d’amour compliquée… Ce qui est sûr, c’est que de la façon dont ma voisine la dépeint, ça n’a pas l’air d’être une femme à qui on peut faire confiance. « Mais j’évite d’y penser. J’aime mon frère et elle le rend heureux alors… Je n’ai pas vraiment mon mot à dire. Et j’aime mes nièces aussi, je ne veux pas me couper d’une partie de ma famille à cause d’une personne. » Malgré le portrait peu flatteur, il semble que finalement, l’histoire compliquée ait une fin heureuse. Comme quoi… C’est un beau geste de la part de la jeune femme. S’effacer comme ça pour le bonheur de son frère. Et ce même si la rancoeur de la soeur paraît plus tenace que celle du frère, alors que les faits sont les mêmes et qu’ils concernaient principalement ce dernier. Une rancoeur exacerbée par l’amour fraternel qu’elle lui porte. Et pourtant. Je hoche la tête quant à sa réponse. Elle m’a donné suffisamment de détails pour que je n’aie pas envie d’insister plus. Pour le moment en tout cas. La jeune femme finit par changer de sujet, pour me demander pourquoi je fais ce voyage, pourquoi j’ai un accent, d’où me vient cet accent, et si quelqu’un m’attend à la maison. La dernière question me prenant clairement au dépourvu, je décide sciemment de l’ignorer, tant que je peux. Je commence par l’informer de mon reportage sur l'Aquarium of Western Australia, avant de lui parler de mon pays, de Rome. Evidemment, elle rebondit là-dessus, et me questionne sur les raisons de mon départ de Rome pour l’Australie. Je soupire. Si je pars là dessus, alors je devrais répondre à la fameuse question que je souhaitais éviter. Maintenant que je n’ai plus le choix, je me jette à l’eau, en commençant par admettre que, oui, quelqu’un attend mon retour à Brisbane. Puis j’hésite, et elle arrive à me convaincre en me rappelant qu’elle s’est mise à nu en ce qui concerne sa propre histoire. C’est à ce moment que je commence mon histoire. « Je suis partie de Rome à cause de lui. N'allez pas vous imaginer des choses…» Je prends soin de préciser qu’à l’époque, le retrouver n’avait rien de romantique. Elle semble captivée, mais ne dit rien, ce qui facilite grandement mon monologue. Un monologue assez peu fluide tant les mots me pèsent, le tout entrecoupé par des secousses de l’avion, qui se rappelle régulièrement et brusquement à notre esprit. Je lui explique tout en détails, de notre rencontre aux tréfonds de notre relation à Rome, du jour où j’ai démoli sa carrière à celui où je me suis faite agresser. Quand je lui annonce que j’ai quitté l’Italie pour le retrouver, persuadée que l’agression venait de lui, les yeux de ma voisine se font ronds comme des soucoupes. Mais là non plus, elle ne pipe mot. Heureusement pour moi, que la moindre interruption aurait découragée. « Il s’avère que j’avais tort, que ça venait pas de lui. Du moins, pas directement. Mais ça c’est une autre histoire. » Sur cette phrase, la jeune femme en face de moi à presque l’air mécontente, que je ne m’attarde pas sur les détails. J’ai déjà du mal à parler de Vittorio et de notre relation, aborder le sujet Nino est au dessus de mes forces. Comme elle semble y tenir, j’accepte de lui donner une information, en espérant qu’elle s’en contentera. « J’aimerais éviter de m’attarder sur le sujet, mais pour satisfaire un minimum votre curiosité, sachez juste que c’est lié à sa famille… Vous voyez le genre. » Ou peut-être pas. Je continue, encore, et aborde cette fois les débuts de ma nouvelle relation avec Vitto, à Brisbane. Et son évolution. À peine ai-je finis qu’une énième turbulence nous fait trembler. Nous nous crispons sur nos sièges, et quand la secousse prend fin, ma voisine parvient à m’adresser un fin sourire. « Mais vous n’êtes pas ensembles ? Est-ce que vous l’aimez ? Vous ne seriez pas restée à Brisbane, sinon, si ? » Sa succession de questions me laisse bouche-bée. D'où est-ce qu'elle les sort ses questions? « Quoi? Non! Bien sûr que non. C’est la même relation que celle que nous avions à Rome, avec le boulot en moins.. Qu’est-ce qui vous fait penser ça? » Ai-je parlé de sentiments à un moment donné? Ce ne serait pas possible, nous avons un passé commun trop compliqué. J’aime passer du temps avec lui, et lui avec moi, si bien que nous avons échangé des clés, pour pouvoir se voir plus facilement. C’est tout. C’est tout? « Je suis restée à Brisbane parce que je voulais découvrir de nouveaux horizons professionnels, c’est tout. » C’est la vérité, à l’époque c’est tout ce qui me motivait. Ça et les relations compliquées que j'entretiens avec certains membres de ma famille. Mais maintenant?
« J’aimerais éviter de m’attarder sur le sujet, mais pour satisfaire un minimum votre curiosité, sachez juste que c’est lié à sa famille… Vous voyez le genre. » non, je ne vois pas vraiment vu que je ne connais pas la famille du ledit gentleman dont elle me parle. Mais je ne peux que me soumettre aux clichés des italiens mafieux et mon esprit divaguant fort et si bien que je suppose naturellement que je vais trop loin et qu’il n’est pas question d’affaires aussi dangereuses. Ce n’est qu’au cinéma, ce genre d’histoires, ce n’est pas vraiment dans la réalité, n’est ce pas ? Ceci dit, vu la discrétion et le refoulement clair de ma voisine à ne pas m’en dire plus suffit pour que je me demande, peut-être que, et si, sait-on jamais ? Je l’ignore et je m’inquiète légèrement, en me disant que j’avais peut-être là un contact que je ne souhaitais pas avoir dans mon entourage ; mais nous sommes à des pieds d’altitude du sol, je ne risque rien et il y a des chances pour que nous partions chacune de notre côté sans jamais se revoir. Je ne risque rien, je me répète de nouveau, et si elle ne veut pas s’attarder sur le sujet, je ne m’y attarderai pas non plus. Je ne suis pas instrusive, encore moins quand j’ai le sentiment d’en avoir trop demandé. Mais c’est un échange de bons procédés, à mes yeux, même si moi, il n’y a aucune histoire d’affaires de famille. Disons qu’il y a d’autres histoires mais comme Gaïa, je me tiens à une discrétion personnelle sur des pans de ma vie que même mes proches ne sont pas au courant.
Turbulence, crispation, stress, la tension qui monte puis qui redescend, me rappelant à quel point nous sommes vraiment peu de choses. En temps normal, je n’aurai eu sûrement aucun mal à vouloir tomber dans le vide pour m’écraser quelque part - je gagnerai peut-être des galons dans le coeur de mes proches par ce fait - mais là, il se trouve que j’ai un amoureux à retrouver, quelqu’un qui m’attend quand je reviendrai et notre histoire commençant tout juste, je ne souhaite pas la voir se terminer aussi sordidement et aussi brutalement. Je ne souhaite pas non plus la tristesse pour Tim, lui qui donne l’impression d’être éternellement rempli d’un chagrin et d’un poids sur les épaules. Je ne veux pas être un fardeau mais un bien-être. Je me découvre tellement à ses côtés, dont l’envie de reprendre ma vie en main et de tenter d’arrêter de broyer du noir. C’est dur, c’est long, c’est compliqué mais je pense ne pas trop mal m’en sortir. Surtout quand je me retrouve enfermé dans un oiseau d’acier en train de voler au dessus de la terre et que je n’ai pas le choix que de prier que les pilotes savent ce qu’ils font.
« Quoi? Non! Bien sûr que non. C’est la même relation que celle que nous avions à Rome, avec le boulot en moins.. Qu’est-ce qui vous fait penser ça? » je suis assez surprise de sa vive réaction, comme si je venais de l’offenser. Peut-être que ma question était trop brutale, trop indiscrète, mais voilà qu’elle me demande des justifications. Il est vrai qu’elle n’a pas parlé de sentiments mais je ne peux m’empêcher de me dire que, quand même, parcourir la moitié du globe… Ce n’est pas rien, à mes yeux. « Je suis restée à Brisbane parce que je voulais découvrir de nouveaux horizons professionnels, c’est tout. » mmh, à mon sens, elle tient plus à cet homme qu’elle semble vouloir l’assumer mais je ne suis pas vraiment en droit de juger ni de faire de remarques. Alors je regarde mon accoudoir que je martyrise à coup d’ongle dans un tic nerveux - envers les turbulences ou ma réponse, j’en sais rien. “Vous savez, j’ai déjà connu quelqu’un qui a quitté son pays natal pour venir en Australie. C’était celle qui aurait dû être ma belle-soeur. Elle a tout plaqué en France pour rejoindre mon frère ici.” je passe ma langue sur mes lèvres, toujours impossible pour moi de relever la tête afin de croiser son regard alors je continue à torturer ce pauvre accoudoir sous mes yeux dans le vague. J’ai la sensation de pouvoir froisser Gaïa au moindre mot mal placé et ce n’est pas mon intention. “Enfin, je sais que je ne devrai pas faire d’un cas une généralité. C’est juste que… Enfin, vous m’avez dit que quelqu’un vous attendait une fois à Brisbane, donc j’ai supposé que…” je ne finis pas ma phrase car je pense que Gaïa peut comprendre ce que j’ai supposé, maladroitement et en toute innocence. “J’avoue avoir aussi du mal à concevoir une relation intime avec quelqu’un sur des années sans qu’il n’y ait de sentiments.” car il se trouve que même si je suis stripper, je suis une romantique et ça me paraît un peu insensé comme histoire. “Enfin, excusez-moi si ce n’est pas le cas, je ne veux pas vous vexer ou quoique ce soit. Je me mêle de ce qui me regarde pas.” que je finis par dire en bredouillant, l’intention noble d’arrondir les angles avant qu’ils ne deviennent trop pointus. Un sourire que je relève vers elle dans un bref élan de courage.
When my eyes were stabbed by the flash of a neon light, that split the night and touched the sound of silence, and in the naked light I saw, ten thousand people, maybe more, people talking without speaking, people hearing without listening
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Mais vous n’êtes pas ensembles ? Est-ce que vous l’aimez ? Vous ne seriez pas restée à Brisbane, sinon, si ? Sa phrase m’avait prise au dépourvu, et je m’était lancée dans une tirade pour lui répondre sans prendre le temps de peser mes mots. Ce qui finalement s’était soldé par un babillage quasiment incompréhensible, presque incohérent, et surtout peu convainquant si on en croyait la grimace qui s’étirait sur le visage de ma voisine. Un enchaînement de bafouillements pour tenter de convaincre mon interlocutrice que non, je ne suis pas amoureuse de Vittorio. Qu'il n'y a pas le moindre sentiment de cet acabit entre nous deux. C’est la même relation que celle que nous avions à Rome, avec le boulot en moins... Avec peut être de un brin de complicité et un début d'amitié en plus. Mais rien de plus, voyons. Ce serait ridicule d'être tombée amoureuse de l'Italien, ça compliquerait tellement les choses... Ces choses qui étaient déjà bien assez compliquées sans qu'un en rajoute une couche. Non, Primrose se trompe, mais je ne lui en veut pas, après tout, il lui manque quelques détails de l'histoire. Mon regard est attiré par ses doigts, par ses ongles qui pianotent nerveusement sur son accoudoir. Ces mêmes accoudoirs sur lesquels nous nous accrochons depuis que cet épisode effrayant a commencé. « Vous savez, j’ai déjà connu quelqu’un qui a quitté son pays natal pour venir en Australie. C’était celle qui aurait dû être ma belle-soeur. Elle a tout plaqué en France pour rejoindre mon frère ici. » La jeune femme est hésitante, et à aucun moment elle n'ose lever la tête pour confronter mon regard. Je ne pense pas être quelqu'un d'effrayant, quelqu'un d'intimident, peut être un peu froide face à un ou une inconnue, mais de là à ce qu'on évite clairement de me regarder en face... Cette jeune femme semble bien timide. Pourtant, alors que je n'ai toujours pas dit un mot, elle continue sur sa lancée, vite, très vite. Comme si les mots menaçaient de lui brûler la langue. « Enfin, je sais que je ne devrai pas faire d’un cas une généralité. C’est juste que… Enfin, vous m’avez dit que quelqu’un vous attendait une fois à Brisbane, donc j’ai supposé que… » Je secoue la tête. J'imagine bien ce qu'elle a supposé, et si je reste objective, je parviens à entrevoir pourquoi. Et pourtant, c'est si confus dans ma tête. Chaque argument qu'elle avance me rend un peu plus incertaine quant à mes certitudes. « J’avoue avoir aussi du mal à concevoir une relation intime avec quelqu’un sur des années sans qu’il n’y ait de sentiments. » Souffrant presque d'un vertige en me rendant compte que ça fait 5 ans que je suis arrivée à Brisbane, et presque autant que j'ai renoué avec Vittorio. Une relation sans sentiments peut-elle vraiment durer aussi longtemps...? « Enfin, excusez-moi si ce n’est pas le cas, je ne veux pas vous vexer ou quoique ce soit. Je me mêle de ce qui me regarde pas. » Je lui adresse un fin sourire, touchée par les pincettes qu'elle prend avec moi depuis le début de sa tirade concernant ce qu'elle croit. « Je ne suis pas vexée. Et nous mêler de se qui ne nous regarde pas, dans la vie de l'autre, c'était précisément le but de notre conversation. Vous savez pour échapper un peu à... » Je suis interrompue par une turbulence violente, qui survient brutalement alors que tout semblait s'être apaisé depuis un petit moment maintenant. « À ça. » La suivante nous secoue dans tous les sens. Des cris terrifiés retentissent dans l'habitacle. Les lumières vacillent, mais sans s'éteindre complètement. Pour oublier tout ça, j'essaye de me focaliser sur une réponse à donner à Primrose. « Peut-être que vous... Peut-être... » J'inspire longuement pour tenter de calmer les battements désordonnés de mon pauvre coeur, qui s'affole à la moindre secousse, au moindre cri qui retentit. « Peut-être que vous avez raison. » Peut-être que je l'aime. Puis les lumières s'éteignent, arrachant d'autres hurlements aux passagers qui nous entourent. Plongée dans une obscurité angoissante, en proie à une panique grandissante j'attrape la main de ma voisine, la serre. Dans mon autre paume, mes ongles ont entaillé la peau. Peut-être que je l'aime. Et face à cela, tout devient de plus en plus clair dans ma tête. En parfait contraste avec le chaos qui sévit autour de nous. Le tout se muant peu à peu en certitude. Je l'aime. Et je ne pourrais jamais lui dire. Et bizarrement, au dessus de tout ce qui se passe, au dessus de la situation qui semble s'aggraver de seconde en seconde, c'est ce qui semble le plus important.
Je me montre intrusive mais Gaïa me donne l’opportunité de l’être. Elle me donne des informations plus personnelles que je n’aurai jamais pensé une inconnue capable de dévoiler. Parler de ma vie n’est pas franchement une habitude que je possède, moi qui suis plutôt discrète et silencieuse. Je privilégie l’écoute à la parole, sûrement parce que c’est moins compliqué d’écouter les problèmes des autres et de tenter de les aider en trouvant des solutions que d’entendre mes propres soucis en sachant pertinemment que jamais je n’aurai le courage de prendre une solution honnête et sincère pour les résoudre. Et puis, il faut dire que c’est une distraction des plus intéressantes, même si ma pudeur m’aurait fait taire depuis longtemps, il faut croire que je suis assez terrifiée pour que ma bouche se mette à parler sans même que j’y prête attention. Parler de mon frère et de sa relation avec Victoria me semble de mise à ce moment-là, sachant que la française a fait le même choix de vie à l’époque que Gaïa en quittant tout dans leurs pays natals. Mais visiblement, l’italienne ne semble vouloir entendre que son histoire avec celui qui l’attend est plus profonde qu’une simple amitié améliorée. Je ne peux même pas comprendre le principe même de cela, moi qui n’a connu que des relations vacillantes mais avec un attachement malgré tout.
Alors je parle et je tente de le faire vite mais bien afin d’éviter toute protestation de la part de ma voisine. Cette dernière a l’air plus tempêtueuse et plus énergique que moi, mais clairement ça ne vaut rien face au stress que nous engendre ce foutu oiseau de ferrailles qui ne cesse de gigoter dans tous les sens. « Je ne suis pas vexée. Et nous mêler de ce qui ne nous regarde pas, dans la vie de l'autre, c'était précisément le but de notre conversation. Vous savez pour échapper un peu à... » elle n’a pas tort mais je n’ai pas le temps de réagir que l’avion le fait de nouveau, au moment où tout semblait s’apaiser et de façon plutôt violente. « À ça. » je serre mes accoudoirs, mes fesses, mes jambes, mon dos, mes pieds, mes dents, ma mâchoire, tout ce qui peut être contracté et à ce moment-là, je jure que je vais aller clamer à Tim à quel point je l’aime car il est celui qui est dans mes pensées jour et nuit. Et que si je réussis à faire réaliser à une inconnue qu’elle est amoureuse aussi, je ne peux pas me voiler la face - plutôt une sorte de révélation qui ne me surprend pas mais qui m’émeut alors que j’ai une puis deux larmes qui coulent car s’il vous plait, je ne veux pas mourir, pas maintenant, pas quand ma vie semble avoir des rails plutôt droits. Je renifle légèrement en passant ma manche contre mon nez et mes joues pour essuyer les traces d’eau. « Peut-être que vous... Peut-être... » oui, peut-être, peut-être ? j’essaie de focaliser mon esprit sur Gaïa et non pas sur les lumières clignotantes, les cris qu’il peut y avoir ici et là, la terreur qui s’immisce toujours plus dans l’habitacle de la carlingue. « Peut-être que vous avez raison. » je n’ai pas le temps de demander sur quoi que les lumières s’éteignent. Je sens une main s’agripper à la mienne mais cela ne suffit pas pour calmer les tambours de mon coeur. J’ai envie de pleurer, j’ai envie de partir, je ne veux plus être ici ; s’il n’y a plus de lumière, est-ce que cela signifie que les coupeurs vont être coupés ? Ou est-ce que ce sont seulement les lumières ?
Je déglutis alors que l’avion se secoue une nouvelle fois, trop longtemps à mon goût, qu’il y a des cris et des pleurs. Je suis incapable d’émettre le moindre son mais je suis capable de tenir la main de Gaïa d’un côté et de mon siège de l’autre. Quelques minutes ou secondes plus tard qui m’ont semblé une éternité, l’avion cesse de gigoter et la lumière vacille de nouveau en revenant par à coup. Je tremble de partout et quand j’ouvre les yeux, je souffle fort pour tenter de m’apaiser. Je ravale ma salive une nouvelle fois tout en tentant de reprendre une respiration normale. “Je… Je crois que je ne prendrai plus l’avion pendant un moment.” je ne sais pas si je parle vraiment à Gaïa ou seulement à moi-même mais je suis en train de vivre ma pire expérience alors que j’ai déjà fait un voyage plus long que celui-ci. “J’espère qu’on va bientôt atterrir.” car je ne suis pas sûre de pouvoir tenir toute cette angoisse encore très longtemps. Promis, à ma descente, j’enverrai un message à mes proches pour leur dire que je tiens à eux. Le pilote prend la parole à travers les hauts parleurs et nous informe qu’il est désolé pour les turbulences pour que nous devrions continuer notre voyage jusqu’à l’atterrissage d’urgence dans des conditions plus favorables. Je soupire de soulagement avant de me tourner vers Gaïa. “J’avais raison pour ça et sur quoi d’autre ?” mon esprit me fait défaut et les émotions ont été trop intenses tout d’un coup.
When my eyes were stabbed by the flash of a neon light, that split the night and touched the sound of silence, and in the naked light I saw, ten thousand people, maybe more, people talking without speaking, people hearing without listening
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Je l'aime. Et à chaque fois que la phrase se répète dans ma tête, l'avion subit une secousse. Si bien qu'on aurait pu se croire au fond d'une bouteille d'Orangina, si la situation n'était pas aussi dramatique. Les lumières éteintes, l'angoisse qui plane dans l'avion augmente d'un cran. La main de Primrose toujours dans la mienne, yeux clos, j'essaye tant bien que mal de respirer plus lentement, en vain. La panique a pris possession de tout mon être, et me donne la nausée. Les gens pleurent, les gens crient. Je rouvre les yeux, et face au spectacle, les referme aussi sec. Les spots lumineux se rallument, s'éteignent à nouveau, puis commencent à clignoter si vite que ça pourrait déclencher une crise d'épilepsie chez quelqu'un qui souffre de cette maladie. Et puis au bout d'un moment qui semble interminable, tout se rallume. Les cris cessent d'un coup, mais des sanglots continuent de résonner dans l'habitacle. Je rouvre les yeux, doucement, et mon premier réflexe est de regarder à côté de moi. Primrose cligne des paupières, souffle un grand coup, déglutit. Je ne dis rien, lui laisse le temps de reprendre sa respiration, quand j'essaye de faire la même chose. « Je… Je crois que je ne prendrai plus l’avion pendant un moment. » Le coeur battant encore à tout rompre, je hoche la tête, toujours incapable de prononcer un mot, contrairement à elle. Le fait est que moi aussi j'éviterai probablement les aéroports pendant un moment. Pourtant, j'en avais fait, des voyages en avion. J'avais traversé le globe en long, en large, et en travers depuis que j'avais commencé comme journaliste, et jamais je n'avais été confrontée à une telle situation. De petites turbulences par ci par là, mais aussi violentes, jamais. Heureusement pour tous les passagers du vol jusqu'à Perth, l'épisode de secousses semblait finalement terminé. « J’espère qu’on va bientôt atterrir. » Je hoche la tête, bien d'accord avec elle. Et comme si il nous avait entendues, la seconde d'après le pilote nous annonce que nous avons été déroutés vers un autre aéroport, à Alice Springs. Mais qu'à priori, les turbulences ne secoueront plus l'avion jusqu'à l'atterrissage. Une très bonne nouvelle, de mon point de vue personnel. En arrivant, il faudra que j'envoie un texto à Vittorio pour lui raconter tout ça. Pour l'informer, aussi que j'arriverai plus tard que prévu à Perth, qu'il ne s'inquiète pas... Pour lui dire, aussi, qu'il faudra que nous parlions une fois que je serais rentrée à Brisbane. Mais tout ce qui m'importe actuellement, c'est que Primrose avait raison, et que nous allons bientôt nous poser. Et cette nouvelle parvient à faire baisser mon angoisse considérablement. « J’avais raison pour ça et sur quoi d’autre ? » Je sursaute presque quand ma voisine se rappelle à mon bon souvenir. Le temps que ses mots prennent un sens dans mon esprit, et un petit sourire se dessine sur mes lèvres. « À propos de mes sentiments à propos d'une certaine personne. » Ça me fait clairement bizarre d'en parler à voix haute, surtout à quelqu'un que je connais à peine. Mais dans un sens, c'est grâce à elle si j'ai réussi à admettre que je me voilais certainement la face depuis des mois. Pour moi, c'était impossible d'éprouver une telle émotion pour lui, maintenant, quand rien de ce genre n'était né entre nous lorsque nous étions encore à Rome. Et pourtant. « Vous êtes... Très douée pour pousser les gens à se comprendre eux-mêmes. » Et puis, avec un soupçon, le nez plissé: « Vous êtes pas psy, des fois? » Psy ou pas psy, la jeune femme m'avait aidée, sans même s'en rendre compte, apparemment. Et pour ça je lui suis redevable. Je fouille dans mon sac, récupère un papier et un crayon. J'y griffonne mon numéro de téléphone, et le tend à Primrose. « C'est mon numéro, faites-en ce que vous voulez. Mais si un jour vous avez besoin d'un coup de main... » Comme dit plus tôt, je lui suis redevable. Bien sûr, si elle décidait de l'utiliser, je ne serais peut-être pas en mesure de l'aider, selon ce dont elle avait besoin. Mais peut-être que si. « Je suis pas magicienne mais... J'ai des ressources. » Ça pouvait paraître un peu beaucoup par rapport à ce que la jeune femme avait fait, en réalité. Mais pour moi, ça reste assez important. Je lui adresse un sourire, et les voyants d'alarme éteints, je me lève pour aller aux toilettes. J'ai à peine le temps de faire quelques pas en direction de mon objectif, quand l'avion subit une nouvelle turbulence. Avant même de me rendre compte de ce qu'il m'arrive, je perds l'équilibre, et vais heurter violemment un siège, alors qu'un coffre rempli de bagages s'ouvre pour déverser son contenu sur les passagers qui se trouvent en dessus. Des cris se font entendre. Une douleur intense fuse dans mon épaule, alors que je me retrouve plaquée au sol en plein milieu de l'allée centrale. Une autre secousse me fait légèrement décoller du sol. Mais je n'ai pas le temps de paniquer. Un autre coffre à bagages s'ouvre, et la dernière chose que je vois avant de perdre connaissance, c'est une valise.