you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

Je ne peux m’empêcher de penser que j’ai commis un impair, mais j’ignore lequel. Cette explication là reste tout de même plus satisfaisante que l’autre que je trouve : je ne l’ai jamais intéressé. Pas vraiment. Il a simplement été curieux de voir qui était cette fille habillée comme une dame de chambre, curieux de rencontrer quelqu’un d’un caste si basse pour la première fois de sa vie - en dehors du personnel du palais. Un peu comme voir un animal dans son habitat naturel. Je sais cependant que c’est l’explication la plus convaincante. J’ai à peine échangé un regard avec lui en cinq jours, alors je vois mal comment j’aurais pu l’offenser d’une quelconque manière.

Les autres prétendantes parlent au boudoir et elles me mettent sur les nerfs. Toutes racontent leurs rendez-vous avec le prince, certaines prétendent même avoir eu droit à un premier baiser sans que je n’arrive à savoir s’il s’agit d’un mensonge ou bien de la vérité. La six avec laquelle il a ouvert le bal ? Plus personne ne se soucie d’elle. Même Mésange, de loin la plus grande peste de la compétition, a renoncé à s’en prendre à moi : elle se s’attaquent qu’à celles qui comptent. Celles qui constituent une vraie menace.

Malgré tout ça, je n’étais pas préparée à la froideur du prince. J’espérais que me voir ainsi forcer le destin le ferait au moins sourire et mon sang se glace lorsqu’il s’adresse à moi comme si je n’étais qu’un palefrenier ou, pire, une jument des écuries.

« Quand je suis occupé, vous n'avez pas le droit de m'interrompre. N'avez-vous pas lu le règlement ? »
« Je suis désolée, je ne pensais pas que... »
« Ils ne vous ont peut-être pas appris à lire, là où vous venez. »

Mes yeux s’écarquillent et mes balbutiements cessent alors que le blond m’insulte avec un détachement et une froideur sans nom. Il n’a rien à voir avec le jeune homme avec lequel j’ai dansé au bal, et je me demande si je n’ai pas idéalisé le court instant que nous avons passé ensemble parce que j’avais besoin d’y croire. « Je ne sais pas ce qui vous fait penser que vous aviez le droit à certains privilèges. » Me voilà rhabillée pour l’hiver et, si je sens les larmes me monter aux yeux, je fais de mon mieux pour les contenir. Alors tout ça, son discours les castes et notre égalité à toutes, ce n’était que des foutaises ? Des jolis mots pour satisfaire la plèbe ? « Je sais lire. » Mon ton se calque sur le sien : froid et indifférent. Je ne tolèrerais pas d’être traitée d'illettrée sur une chaîne nationale.  « Je pensais simplement que si vous ne vouliez plus de moi au palais, vous auriez l’honnêteté de me le dire et de me faire sortir officiellement de la compétition. » Et pas de la façon dont il le fait : en me privant de toute interaction avec lui. Est-ce ça le plan ? Que j’abandonne, que je parte de moi-même pour ne pas virer la petite va-nus-pieds ?

                                       

« Je suis désolée, je ne pensais pas que... » Elle ne pensait pas et c'est bien ce qu'on attend d'elle. Des faux pas comme s'il en pleuvait. Le roi pense que Misty donnera elle-même aux peuples des raisons de la détester. Pour l'heure, ils ne font que compatir avec elle, comme le montrent les scores d'audience. Rien ne laisse entendre que Misty n'est pas bien lancée pour la suite de la compétition. Après tout, elle est l'une des leurs - et c'est bien ce qui dérange le roi.

« Je sais lire. » « Ce n'est pas l'impression que ça donne. » Elle se tiendra loin. Elle partira d'elle même et c'est pour le mieux. Saül et Misty n'ont rien en commun et son enfermement a fini par lui faire accepter l'idée qu'il ne s'est intéressé à elle que pour s'opposer à son père. Elle est issue d'une caste largement inférieure, une caste qui n'aura rien à apporter à personne sinon la dissension et la ruine de la réputation du prince. « Je pensais simplement que si vous ne vouliez plus de moi au palais, vous auriez l’honnêteté de me le dire et de me faire sortir officiellement de la compétition. » « Vous n'aurez pas de traitement de faveur. Si vous deviez êtres éliminée, vous le seriez à la fin de la semaine. Comme les autres. » Aucun rictus mauvais ne se glisse sur son visage. Non, Saül n'a pas envie de voir partir Misty. Bien qu'il n'ait plus échangé avec elle depuis l'épisode du bal, il ne peut s'empêcher de la guetter, au loin. Des regards si discrets que l'œil de la caméra ne les a peut-être pas remarqués...

« Mésange m'a dit que vous ne faisiez aucun effort pour vous intégrer. » Mésange. Une caste supérieure, une véritable allure de reine. C'est la favorite du roi, assurément. Elle n'a pas perdu son temps et c'est d'ailleurs avec elle que Saül passe le plus clair du sien. « Avez-vous abandonné vos petits stratagèmes ? » A-t-elle arrêté d'essayer de le voir ? Ou est-il trop préoccupé par l'idée de la fuir ? Quoi qu'il en soit, c'est de la déception qui point dans la voix du prince. « Vous aviez promis de ne pas vous laisser marcher sur les pieds. » Et cette fois-ci, des reproches. Le coup de grâce.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« Ce n'est pas l'impression que ça donne. » Mes yeux s’écarquillent encore un peu plus, outrée qu’il m’insulte de la sorte en plein bal et devant les caméras. Son père sera certainement ravi, lui qui nous observe du coin de l'œil, un rictus mauvais sur les lèvres. Le prince ne lui a jamais autant ressemblé qu’en cet instant et j’esquisse un mouvement de recul sans même m’en rendre compte.

« Vous n'aurez pas de traitement de faveur. Si vous deviez être éliminée, vous le seriez à la fin de la semaine. Comme les autres. » Mes sourcils se froncent un peu plus et je sens un nouveau coup au cœur. Comment mes jambes me portent-elles encore alors que j’ai la sensation qu’elles se transforment en coton ? « Vous m’avez gardée. Si c’était pour m’ignorer toute la semaine, vous auriez pu vous séparer de moi lors de la dernière cérémonie. » Tant pis si cela ne se fait pas de s’adresser à un Prince de la sorte. Tant pis si mon esclandre fait baisser ma côté de popularité, je ne supporterai pas d’être plus humiliée que je ne le suis déjà.

« Mésange m'a dit que vous ne faisiez aucun effort pour vous intégrer. » A nouveau, mes lèvres s'entrouvrent et sa remarque me laisse sans voix. Est-ce donc une fille comme elle qu’il se voit épouser ? Grand bien lui fasse, s’il s’intéresse autant à la brune que leurs petites escapades le laissent penser, je n’ai pas une minute de plus à perdre avec lui. « Avez-vous abandonné vos petits stratagèmes ? » Qu’attend-t-il de moi exactement ? « Vous aviez promis de ne pas vous laisser marcher sur les pieds. » Ma fureur monte encore d’un cran mais je la contiens, consciente que je ne peux la laisser se déverser sur le Prince d’Illéa. « Mésange a mis des bouts de verres dans les escarpins de Jordanna le second soir. » Il n’y a aucune preuve officielle, mais toutes les prétendantes savent qu’elle est à l’origine des pieds ensanglantés de la pauvre Jordanna. « Si c’est d’un femme comme elle que vous tirez vos informations, je suis finalement bien heureuse que vous ne vous interressiez pas à moi. » Cette phrase là, je la lui adresse à voix basse, pour me préserver des caméras qui ne ratent rien de notre échange. « J’ai promis que je ne laisserai pas les autres prétendantes me marcher sur les pieds. Mais je n’ai pas la moindre envie de me battre contre vous. » Et de me tourner en ridicule à courir après un jeune homme qui, de toute évidence, n’existe pas. Le prince charmant du premier soir, je l’ai de toute évidence rêvé et, sur ce, je tourne les talons et m’éloigne de lui, bien décidée à ne pas lui donner la satisfaction de me ridiculiser moi-même et d’être la cause de la chute de ma cote de popularité.

                                       

« Vous m’avez gardée. Si c’était pour m’ignorer toute la semaine, vous auriez pu vous séparer de moi lors de la dernière cérémonie. » « Mais pour qui vous prenez-vous ? » C'est un ton qui porte les traces de son statut de prince. Un ton qui lui rappelle celui de son père. Un ton qu'il déteste employer et qui ferait probablement lever les yeux au ciel à sa mère - si elle était encore en vie.

« Mésange a mis des bouts de verres dans les escarpins de Jordanna le second soir. » Le regard de Saül se fait plus mauvais alors que Misty ne cesse de lui tenir tête. On dirait qu'elle a oublié qu'ils sont surveillé par les caméras. On les oublie vite, il faut dire. « Ce sont des accusations graves, Misty. Vous ne pouvez pas- » « Si c’est d’un femme comme elle que vous tirez vos informations, je suis finalement bien heureuse que vous ne vous interressiez pas à moi. » La petite foule qui s'est massée autour d'eux étouffe un murmure outré. Des soupirs et des chuchotis se perdent dans le couloir alors que le prince ouvre et referme la bouche. La compétition est rude, mais Misty a choisi une autre voie que ces filles là. Elle s'emploie à dire tout haut la vérité que Mésange et ses petites suivantes s'affairent à cacher par des coups-bas. « J’ai promis que je ne laisserai pas les autres prétendantes me marcher sur les pieds. Mais je n’ai pas la moindre envie de me battre contre vous. »

Et alors que Saül s'apprête à répliquer, un grand bruit fait taire tous les chuchotis. Le prince lève la tête vers une fenêtre et alors que la colère fait place, sur son visage, à la surprise, des tirs retentissent dans le couloirs. Un cri féminin éclate alors qu'un caméraman s'effondre. Aussitôt, des soldats poussent le prince en avant, qui attrape de justesse la main de Misty. Sans qu'ils n'aient le temps de s'interroger sur l'évènement qu'ils sont en train de vivre, les voilà poussés dans une cache. Barricadés, ils ne peuvent qu'écouter les bruits qui, au dehors, laissent penser à une attaque. La faible lumière rouge qui baigne la pièce donne à Saül le tournis. Ainsi enfermé, il se sent comme dans une tombe. Ses yeux n'osent pas aller chercher ceux de Misty. « Vous ne voulez pas vous battre contre moi, mais regardez ce que les vôtres viennent faire aux miens. » Le ton du prince est dur, alors qu'il ferait peut-être bien de garder de l'air pour essayer de survivre à l'angoisse de l'enfermement. « Vous n'êtes pas blessée ? »

Il en a oublié la douleur qui, lancinante, le rappelle pourtant à lui. Une balle a éraflé son bras et le sang transperce désormais sa chemise. La douleur dans sa poitrine est pire, pourtant. C'est elle qui lui indique qu'il mourra probablement enfermé ici. Etouffé.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« Ce sont des accusations graves, Misty. Vous ne pouvez pas - » Je ne peux pas quoi ? Oh, je me fiche bien qu’il en tienne compte ou qu’il prétende ne pas avoir entendu ce que j’ai dit. Je me fiche même qu’il continue de flirter avec cette peste, si c’est ce genre de femme qu’il veut épouser grand bien lui fasse : je n’ai rien à faire à ses côtés.

Pourtant, dès que je tourne les talons, je ressens une angoisse et une culpabilité sans nom. Pas vis-à-vis de lui, je ne connais à peine, mais parce que mon esclandre causera certainement mon départ en fin de semaine, et donc la fin des chèques adressés par le palais à ma famille. Ma mère a besoin de cet argent pour nourrir mes frères et sœurs. Nous avons besoin de cet argent pour nous en sortir et je n’ai même pas réussi à prendre sur moi pour eux. Je me suis laissée porter par mes ressentis de jeune fille impressionnée par le Prince, et je m’en veux pour ça.

Mais je n’ai pas le temps de m’en vouloir bien longtemps. Presque dans mon angle mort, je crois apercevoir l’un des caméramans s’écrouler, et le cri strident qui s’échappe certainement de la gorge d’une autre prétendante me confirme que je n’ai pas rêvée.Choquée, hébétée, je me glace et reste là, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Sans le prince qui attrape ma main au bon moment, qui vient me chercher pour m’entraîner avec lui à l’abri, je serais certainement restée là, comme une idiote, en plein milieu de cette véritable scène de guerre. Mais mes doigts se referment autour des siens et, bien vites, nous sommes conduits à travers les couloirs du palais et enfermés dans une cache à peine plus grande que le dressing de ma chambre au palais. Quatre ou cinq personnes doivent pouvoir se cacher là, mais il n’y a que nous deux. « Vous ne voulez pas vous battre contre moi, mais regardez ce que les vôtres viennent faire aux miens. » Son ton est froid, mais ce qu’il me dit n’a aucun sens pour moi, au point que je reste là, la bouche entrouverte et les yeux qui fixent sa chemise qui se teinte en rouge au niveau de son bras. « Vous n'êtes pas blessée ? » Je relève enfin les yeux vers lui pour le dévisager. « Non je… Mais vous, vous l’êtes. » Il transpire, il semble souffrir et je me méprends : je pense qu’il est gravement blessé au niveau de son bras. « Qu’est ce que c’était que ça ? Qui sont ces gens ? » Ne sommes nous pas en sécurité, au sein du palais ?

Le bunker est minuscule. Ils sont dispersés à travers le palais, prêt à recevoir les membres de la famille royale et leurs proches en cas d'attaque, et ce depuis des années. Maintenant que les rebelles ont intensifié leurs attaques, la donne a changée. Les prétendantes n'ont pas été informées de tout cela, bien sûr. Rien ne servait de les alarmer. Le roi, en bon optimiste - ou en véritable idiot - n'avait en effet pas prévu que les rebelles frapperaient si tôt dans la compétition. Le prince a lui-même été informé qu'une attaque avait été déjouée durant la soirée du premier bal. Beaucoup de serviteurs seront questionnés, torturés et peut-être même exécutés. Lord Wright, en charge de la sécurité intérieure, n'a que faire de ces gens. Pour lui aussi, ils sont remplaçables. Si le roi est cupide, arriviste et pragmatique, Lord Wright est quant à lui cruel, faussement dévot et doué d'une perfidie sans bornes.

« Non je… Mais vous, vous l’êtes. » Saül porte une main maladroite à son bras. Ses doigts se colorent de sang alors que le prince pâlit. Ce n'est pas la blessure qui le rend si fébrile, mais bien l'étroitesse de la pièce dans laquelle il est enfermé avec Misty. « Ce n'est pas grand chose. » J'ai l'habitude. Dans un éclair de lucidité, Saül s'empare de la boite de secours. « Qu’est ce que c’était que ça ? Qui sont ces gens ? » Alors, elle ne sait pas. « Les rebelles. Du nord ou du sud, je ne sais guère. » Ceux du sud sont beaucoup plus agressifs. Ils n'ont que faire de blesser et de tuer sur leur passage et n'ont rien à revendiquer. Ils se contentent de prendre ce qu'ils veulent et ne laissent derrière eux que la désolation.

Les mains maladroites de Saül se battent avec les boutons de sa chemise. Ses doigts tremblent et les murs se rapprochent doucement, alors qu'il a du mal à respirer. Lorsque enfin le prince parvient à évaluer les dégâts sur son avant bras, il ne parvient tout de même pas à appliquer le bandage. L'enfermement lui donne de la peine à respirer et il lui faut jeter quelques regards à Misty avant de comprendre qu'ici, il n'a pas le droit de paniquer. « Vous n'avez jamais entendu parler des rebelles ? » Un peu de conversation, pour essayer de faire passer cet amer sentiment de terreur qui brûle le prince des pieds à la tête.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« Ce n'est pas grand chose. » Le sang qui trempe peu à peu sa chemise dit pourtant le contraire, et si je me fie à son front moite et sa respiration courte, il minimise. Il ne va pas aussi bien que ce qu’il le prétend et pas un seul instant je ne me doute que la source de son mal être soit autre chose que la blessure par balle à son bras. Après tout, de quoi peut avoir peur un prince ? Il s’empare de la trousse de secours que je n’avais pas encore remarquée alors que je reste pour l’instant tétanisée, partagée entre l’envie de lui demander de me laisser l’aider et la certitude que je n’ai pas le droit de le toucher. Je ne devrais même pas être seule ici avec lui : le roi sera furieux. « Les rebelles. Du nord ou du sud, je ne sais guère. » Je fronce les sourcils, prêtant un peu plus d’attention à ses paroles mais vite déconcentrée par ses doigts qui tremblent et tentent maladroitement de soigner sa plaie. Ma réflexion s’arrête là : je n’écoute plus que mon instinct. « Laissez-moi vous aider... » Je ne lui laisse pas le choix : je prends les compresse et le désinfectant de ses mains pour tapoter doucement sa blessure. « La balle vous a juste effleuré. Vous avez eu de la chance. » Gênée par le silence, je ne retiens plus mes mots. « Le caméraman, il n’en a pas eu autant n’est-ce pas ? » Je l’ai vu s’écrouler du coin de l'œil et, si je ne suis pas naïve, je crois que j’ai besoin de l’entendre à voix haute pour y croire : il est mort.

Il est mort alors que je pensais être en sécurité au château, que toutes les prétendantes pensaient être en sécurité au château puisqu’aucun récit d’attaque ne parvient jamais jusqu’aux régions : un des nombreux secrets de la cour, sûrement. « Vous n'avez jamais entendu parler des rebelles ? » Je secoue la tête, mes doigts s’appliquant maintenant à enrouler son bras dans un bandage blanc qui se teinte de sang à l’instant où il touche sa peau. « Non, et n’y voyez pas là une preuve de plus de mon ignorance. » Le sourire qui étire mes lèvres est mi figue mi raisin : je suis toujours blessée qu’il m’ait traitée comme une idiote, une illettrée de surcroît, mais la colère est retombée suite à l’attaque : comment pourrait-il en être autrement. « Je suis presque certaine qu’aucune autre des filles n’en a entendu parler non plus. Nous pensions être en sécurité, ici. » Combien d’autres choses est-ce que le peuple ignore ?

                                       

« Laissez-moi vous aider... » Et Saül est bien obligé d'abdiquer, contraint de donner son bras à Misty. Habituellement, seuls les serviteurs habilités à le faire ont le droit de toucher les membres de la famille royale. Une erreur si grave donne au prince de quoi écarquiller les yeux. Pour cela, Misty pourrait être punie en place publique. Pour autant, Saül se laisse aller au contact, les yeux rivés sur la plaie qui saigne abondamment. Le contact lui donne de quoi penser à autre chose et l'espace d'un instant, il respire un peu mieux. « La balle vous a juste effleuré. Vous avez eu de la chance. » « De la chance. » Elle appelle cela de la chance, il appellerai cela une malédiction bien volontiers. Devant la Cour, Saül prétendra qu'il a soigné cette blessure tout seul. Bien sûr, son père devinera la vérité. Il est celui qui punit Saül de ses erreurs en l'enfermant dans des pièces plus petites que celle dans laquelle il se trouve avec Misty depuis que son fils a perdu sa mère. Le roi est responsable des angoisses de son fils - des angoisses qu'il considère comme de la faiblesse, évidemment. « Le caméraman, il n’en a pas eu autant n’est-ce pas ? » Il n'aura pas besoin de confirmer pour que Misty comprenne. Un mouvement de la tête suffira.

Ces gens n'ont pas l'habitude de la mort. Ils n'y sont jamais confrontés. On ne leur en parle pas, quand ils choisissent ce métier. Qui s'imaginerait être confronté à un sort si funeste, en tenant une caméra au milieu d'un palais dont on ne cesse de vanter la tranquillité ? A l'évidence, la guerre a aussi lieu entre ces murs. « Non, et n’y voyez pas là une preuve de plus de mon ignorance. » Les yeux du prince retrouvent ceux de Misty. Il voudrait s'excuser, mais les mots lui manquent. « Je ne vous trouve pas ignorante. Ni stupide. » Ce sont des mots qu'il n'a employé que pour les caméras et parce qu'ils sonnaient juste, après l'enfermement vécu les jours précédents. Ils ne sonnent plus juste depuis que Misty est avec lui dans son malheur. « Je suis presque certaine qu’aucune autre des filles n’en a entendu parler non plus. Nous pensions être en sécurité, ici. » « Les attaques des rebelles comme celles-ci se font plus nombreuses, ces temps-ci. » Le prince et sa Cour ont toujours vécu avec la menace des attaques. « Ceux du Sud tuent sur leur passage, ils ne se contentent que de piller. Ceux du Nord ont plus d'idées. » De convictions. Des envies de révolution, aussi. Mais cela, le Prince n'en parlera pas. Misty n'est pas supposée le savoir, le peuple ne doit pas l'apprendre. Misty, bien sûr, n'est pas comme la foule de sans-visages que Saül ne rencontre qu'à la télévision. Elle est plus que cela, désormais.

Après un court silence, l'angoisse revient, plus vive. « Quand j'étais petit et que nous étions enfermés, ma mère m'occupait en me faisant faire des anagrammes. » Le visage de Saül s'éclaire d'un léger sourire. « Cela arrivait souvent, vous savez. » Jusqu'à ce que ça n'arrive plus. « C'est comme cela qu'elle est morte. » Un accident obscur. « En ouvrant la porte de l'abri à l'une de ses servantes, qui était en fait l'une des leurs. » Un accident sur lequel personne n'a jamais enquêté.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

Oui, il a eu de la chance : il en a eu toute sa vie et prétendre le contraire serait insulter ceux qui, à mon instar, vivaient dans l’incertitude d’avoir de la nourriture à poser sur la table chaque soir. Il a eu de la chance puisque, dans les districts, même une éraflure comme celle ci peut entraîner une infection qui finira par causer la mort du blessé. « Je ne vous trouve pas ignorante. Ni stupide. » Je plonge mes yeux dans les siens, et d’un ton neutre - mais toutefois moins froid que celui qu’il a employé devant les caméras - je lui rappelle qu’il prétendait le contraire il y a quelques minutes à peine. « Ce n’est pas ce que vous disiez tout à l’heure. » Et s’il ne l’a dit que pour les caméras, c’est presque pire à mes yeux : quel intérêt trouve-t-il à me ridiculiser publiquement s’il ne pense pas un mot de ce qu’il a dit ?

« Les attaques des rebelles comme celles-ci se font plus nombreuses, ces temps-ci. » A nouveau, je fronce les sourcils. Comment est-il possible que de telles attaques aient lieu régulièrement au palais sans que le peuple ne soit au courant ? « Ceux du Sud tuent sur leur passage, ils ne se contentent pas que de piller. Ceux du Nord ont plus d'idées. » - « Des idées ? Quel genre d’idées ? » Mes doigts habiles et habitués à manipuler tissus et aiguilles terminent d’enrouler son bras dans le bandage, avant d’en glisser l’extrémité sous le tissu pour le fermer. « Pourquoi le cacher au peuple ? » Cela ne restera pas un secret très longtemps : les prétendantes traumatisées risquent d’informer leurs familles de l’accident, certaines demanderont peut-être même à quitter le palais suite à cet incident. « Certaines filles risquent de prendre peur. De demander à quitter la Sélection. » La soif de certaines s’arrête certainement là : là ou leur sécurité ne peut plus être garantie.

« Quand j'étais petit et que nous étions enfermés, ma mère m'occupait en me faisant faire des anagrammes. » Doucement, je me laisse glisser sur un vieux sofa qui a été déposé dans l’abri pour aider ses prisonniers à patienter. Combien de temps faudra-t-il aux gardes pour s’assurer qu’aucun rebelle ne demeure dans le château ? Plus d’une heure ? Plus d’une soirée et d’une nuit ? Je fouille mes souvenirs à la recherche de bribes d’information concernant la première reine, la mère de Saül. Elle est morte en montant à cheval, ou c’est la version officielle tout du moins. Elle avait épousé le roi Elon suite à une Sélection, alors que sa seconde épouse est une alliée de la couronne. Du reste, je ne me souviens pas de grand-chose à son sujet. « Cela arrivait souvent, vous savez. » - « Mais depuis combien de temps frappent-ils le palais ? Qui arme ces gens ? » En dehors des gardes et de l’armée, personne n’a le droit d’en posséder une à Illéa. Je doute qu’il soit simple de s’en procurer : elles ont été bannies lors de la création de notre nouveau pays. « C'est comme cela qu'elle est morte. » L’information, certainement difficile à partager pour lui, me rend muette. Je l’observe dans toute sa fragilité, et je compatis à son deuil. Ainsi, la version officielle n’est qu’un conte. « En ouvrant la porte de l'abri à l'une de ses servantes, qui était en fait l'une des leurs. » Je me tais un instant qui se transforme en quelques minutes. Quelques minutes au bout desquelles, timide, j’attrape sa main dans la mienne et j’enroule nos doigts. « Ce doit être difficile de revivre sans cesse des attaques similaires. » Elles doivent toutes lui rappeler celle qui fut fatale à sa mère. « Et cela doit être difficile de faire confiance au personnel après ça. Et à votre peuple. »

Les doigts de Misty sont agiles mais Saül ne se détend pas à leur contact. D'habitude, seuls les soigneurs sont habilités à panser ses blessures. Ces gens ne lui adressent jamais la parole. Ils se contente d'appliquer des bandages, de dispenser des soins et de repartir comme ils étaient venus. Ces gens sont de vraies ombres si bien que Saül n'a jamais pensé à leur adresser la parole autrement que pour guider leurs mains. Misty, elle, se débrouille bien comme elle le peut. Saül ne la lâche pas des yeux, soudain absorbé par sa dextérité. « Des idées ? Quel genre d’idées ? » Le prince lui adresse un regard hésitant. « Pourquoi le cacher au peuple ? » A cela, il sait répondre. On le lui a assez enseigné. « Pour sa propre sécurité. » Et surtout pour ne pas éveiller les esprits. Même le prince est parfaitement conscient que le peuple n'est pas seulement une masse qui suit bêtement ses maîtres. Saül n'est pas comme son père. Le Roi ne cesse de se voiler la face au sujet de la rébellion qui gronde, aux portes de la cité. « Certaines filles risquent de prendre peur. De demander à quitter la Sélection. » « Et où iraient-elles ? Le palais est ce qu'il y a de mieux. Vous ne savez pas tout ce que nous mettons en place pour la sécurité soit garantie au sein de ces murs. » Le ton agressif du prince retombe en même temps que son bras. Sa colère se mue en culpabilité. Saül s'est emporté et il le sait - et pour la première fois, il compte présenter ses excuses à la jeune femme. « Je vous prie de m'excuser. Je trouve toujours le temps long, dans les abris. »

Misty s'installe dans son coin et Saül fait de même, incapable de rester en place très longtemps. Sa jambe ne cesse de tressauter. « Mais depuis combien de temps frappent-ils le palais ? Qui arme ces gens ? » « Des ennemis de l'extérieur, certainement. Ils les aident depuis La Grande Catastrophe. » Un évènement dont ils n'ont pas le droit de parler. Le sujet est tabou, depuis que la monarchie a été mise en place il y a des décennies.

Et plutôt que de parler de guerre, les deux jeunes gens se mettent à parler d'eux. Paradoxalement, le sujet détend un peu Saül et lui permet de respirer un peu plus correctement. « Ce doit être difficile de revivre sans cesse des attaques similaires. » Si les attaques ne cessaient pas, Saül les vivrait de toute façon dans ses cauchemars. « Et cela doit être difficile de faire confiance au personnel après ça. Et à votre peuple. » « Je crois que le plus difficile, c'est de se faire confiance à soi-même. Je n'ai pas su la protéger. » Il n'était alors qu'un tout petit garçon. D'un revers de la main, Saül balaie les nuages qui s'amassaient au fond de ses yeux bleus. « Parlez-moi plutôt de vous. De votre famille. De dehors. » Au delà des murs du palais. Le regard de Saül a changé. Soudain, il se fait un peu plus émerveillé.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« Pour sa propre sécurité. » Mauvaise réponse. On ne cache pas une information de cette importance à quelqu’un pour le garder en sécurité, mais pour le garder dans l’ignorance. Ce que le peuple ne sait pas ne peut pas servir à donner à ses sujets des raisons de plus de vouloir se débarrasser d’un système archaïque, ce que le peuple ignore ne peut pas servir à embraser la flamme de la révolte. « Sauf votre respect, vous recommencez. » Je pousse un soupir, avant de laisser un silence désagréable s’installer puis, je précise le fond de ma pensée. « A me traiter comme si j’étais une ignorante ou une idiote. » Autrement dit : je préfère entendre un ”je n’ai pas le droit ou l’envie de vous dire la vérité” qu’une excuse si bateau qu’elle insulte mon intelligence. Il a pourtant prétendu me trouver maligne. « Et où iraient-elles ? Le palais est ce qu’il y a de mieux. Vous ne savez pas tout ce que nous mettons en place pour que la sécurité soit garantie au sein de ces murs. » Le ton est agressif et il me surprend. Pourtant, il se calme rapidement, il arrête de parler avec ses mains et je crois lire de la culpabilité sur son visage. C’est nouveau, et je me doute que se montrer vulnérable doit lui coûter. « Je vous prie de m’excuser. Je trouve toujours le temps long, dans les abris. » - « Je comprends. » Est-ce le fait d’être enfermé ou bien ma présence, qui le met si mal à l’aise ? « Chez elles. Je pense que c’est là qu’elles iraient. » Je tente de garder la tête froide malgré la situation : il faut bien que l’un de nous deux nous ramène vers un air plus respirable pour nous deux, si bien que j’amorce ma réponse avec autant de douceur que je la complète. « La peur de ne pas être en sécurité, la peur d’une nouvelle attaque, c’est peut-être la limite de l’avidité de certaines.  » Moi, je ne suis pas là pour le pouvoir. Je suis venue pour la compensation financière et je ne sais pas trop pourquoi je reste. Plus uniquement pour ça, en tout cas.

« Des ennemis de l’extérieur, certainement. Ils les aident depuis la Grande Catastrophe. » Je hoche la tête, tout ça étant nouveau pour moi. Dans les districts, tout le monde croit que tout Illéa vit en paix. Que les mécontentements sont rares et facilement contenus. Que le terme de révolte n'existe plus. Pourtant, personne n’est réellement satisfait de son sort. « Je crois que le plus difficile, c’est de se faire confiance à soi-même. Je n’ai pas su la protéger. » Il était avec elle, donc. « Quel âge aviez-vous ? » Moi-même, je me souviens à peine de mon père, j’étais encore toute jeune lorsqu’il a trouvé la mort. « Parlez-moi plutôt de vous. De votre famille. De dehors. » - « J’ai bien peur que mon quotidien vous semble ennuyeux. Il est bien différent du vôtre. » A côté de lui, je ne suis rien ni personne. « Ma famille aussi est différente de la vôtre. Mais nous avons pourtant vécu des choses similaires, vous et moi. » De deux manières complètement opposées : la mort de la reine a été un drame national, quand mon père n’est qu’un inconnu de plus à être mort de froid. Il a été retrouvé dans la rue au petit matin, avec un taux d’alcool dans le sang battant des records. « C’est mon père que j’ai perdu. J’étais encore jeune. J’ai quatre frères et deux sœurs, et je suis l’enfant du milieu. » Je joins mes deux mains l’une à l’autre tandis que mon regard se perd dans le vide. « Ma mère fait des ménages dans ces familles de quatre et de trois. Deux de mes aînés ont déjà quitté la maison et vivent la même vie qu’elle.  » Moi, je couds, mais le Prince le sait déjà. « Et vous avez déjà eu un aperçu de la façon dont moi je mets du beurre dans les épinards. Même si la plupart du temps, je m’occupe plutôt de simples retouches ou réparations. » Tout ça doit lui sembler bien futile, à côté d’une vie à gérer un pays.

« Sauf votre respect, vous recommencez. » « Quoi donc ? » « A me traiter comme si j’étais une ignorante ou une idiote. » La moue qu'arbore le prince aurait pu être moquée par son père. Mais le roi n'est pas là; avec Misty, ils sont seuls dans le bunker. Avec elle, au moins, Saül se sent un peu plus tranquille. La panique lui prend un peu moins la gorge qu'à l'accoutumée. Dans le bunker, pourtant, rien n'a changé. Le sang du prince a arrêté de couler et bien que le bandage soit trempé d'hémoglobine, Saül ne prête plus attention à la douleur. Son ton mord, pourtant. Le prince, semble-t-il, est en capacité de présenter ses excuses à celle qu'il a attirée avec lui sans trop savoir pourquoi. Peut-être un geste désespéré pour ne pas se trouver seul dans un endroit comme celui-ci ? « Je comprends. » Non, elle ne comprend pas. Elle ne peut pas comprendre. Elle ne sait pas, ne saura jamais. Quand elle sera partie, elle oubliera qu'un jour, le petit Prince d'Illéa a failli lui confier ses peurs les plus enfouies. « Chez elles. Je pense que c’est là qu’elles iraient. » « C'est ici, chez elles, pour le moment. Celles qui ne considèrent pas cet endroit comme leur foyer n'auront pas les épaules pour la suite. » Le regard qu'il renvoie à Misty est injuste, brûlant d'amertume. Elle ne se sent pas ici chez elle, probablement. Même le Prince n'a pas le sentiment que ce toit est le sien. Il n'y a bien que le Roi pour apprécier les murs sans couleur et la rudesse de la décoration.

« La peur de ne pas être en sécurité, la peur d’une nouvelle attaque, c’est peut-être la limite de l’avidité de certaines. » « Les reines ne sont jamais en sécurité. » Sur ces derniers mots, la voix du jeune homme se brise légèrement. Il faudra un toussotement pour balayer la mélancholie qui prend alors place sur le visage du Prince. C'est quand il parle d'elle, de sa mère, que Saül se sent le plus vulnérable. « Quel âge aviez-vous ? » « Un âge trop jeune pour voir sa mère mourir. » En réalité, il ne s'en souvient pas. Personne n'a jamais discuté de cet évènement avec lui. Jamais.

Qu'elle parle plutôt d'elle, alors. Quitte à ce qu'ils soient enfermés ensemble, autant faire ce qu'on leur demande: apprendre à se connaître. « J’ai bien peur que mon quotidien vous semble ennuyeux. Il est bien différent du vôtre. » Son quotidien sera tout sauf ennuyeux, pour un garçon enfermé dans une cage dorée - mais elle ne le sait pas encore. « Ma famille aussi est différente de la vôtre. Mais nous avons pourtant vécu des choses similaires, vous et moi. » Assis à côté de Misty, Saül écoute. Sa peur est oubliée. « C’est mon père que j’ai perdu. J’étais encore jeune. J’ai quatre frères et deux sœurs, et je suis l’enfant du milieu. » « Je suis désolé. » Que dire, sinon ? « Au moins, avec tant de frères et de sœurs, vous ne deviez jamais vous ennuyer. » Le roi n'a jamais eu d'autres enfants. Saül n'a jamais eu de camarades d'école non plus. Seul, depuis l'enfance. « Ma mère fait des ménages dans ces familles de quatre et de trois. Deux de mes aînés ont déjà quitté la maison et vivent la même vie qu’elle. » Au moins, ils voient le monde extérieur, voudrait ajouter le Prince. Mais il reste attentif. Pour une fois, il n'est pas celui qui suscite l'attention. « Et vous avez déjà eu un aperçu de la façon dont moi je mets du beurre dans les épinards. Même si la plupart du temps, je m’occupe plutôt de simples retouches ou réparations. » « Votre vie est donc bien plus intéressante que ce que vous promettiez. » Un sourire s'accroche au visage du Prince. « Et votre robe était splendide. Je n'appelle pas cela "de simples retouches". » Mais après tout, il n'y connaît rien.

Soudain, la bulle explose. De l'autre côté de la porte, des coups retentissent. Le sang de Saül se glace dans ses veines alors que ses yeux s'accrochent à la porte. Cette dernière résiste malgré les coups. La gorge sèche, Saül tend une main vers Misty. Par réflexe, le jeune homme a attrapé les doigts de la jeune femme. Saül voudrait s'excuser mais rien ne sort. Face au bruit assourdissant qui règne dans le bunker, le prince est pétrifié. « N'ouvrez pas, je vous en supplie. » Le chuchotement est autant adressé à Misty qu'à ceux qui cherchent à ouvrir la porte. Saül est de nouveau le petit garçon dont la mère a été tuée, l'enfant fébrile qu'on a sacrifié sur l'autel du pouvoir. Avait-il un jour disparu ?

Dé:

YAY - Les intrus sont en fait des soldats. Ils parviennent à ouvrir la porte et annoncent que les rebelles ont fui/sont morts.
Meh - Le bruit indique que derrière la porte se trouve une prétendante. Il faudra ouvrir pour le découvrir... ou pas.
AH! - Les intrus sont des rebelles et ils parviennent à ouvrir la porte. C'est un cauchemar dont Misty et Saül ne se réveilleront pas de si tôt.

you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

« C’est ici chez elles, pour le moment. Celles qui ne considèrent pas cet endroit comme leur foyer n’auront pas les épaules pour la suite. » Je n’ai pas dit que j’étais du côté des fuyardes ni même que je n’en ferai partie : j’ai simplement défendu leur point de vue puisque, à mon sens, il s’explique et s’entend. Si le palais nous a caché des informations de cette importance, que cachent-ils d’autre ? Les enjeux sont bien trop importants pour que je fasse le choix de quitter volontairement la compétition, malgré tout, malgré les risques que je n’avais pas anticipés. Et il y a Saül, le prince, qui est bien différent de ce que j’avais imaginé. Plus déroutant, aussi. « Les reines ne sont jamais en sécurité. » « Je suppose seulement. Certaines filles n’avaient peut-être pas deviné les petits caractères. » Je n’y avais pas pensé, à vrai dire. Mais je suis trop pauvre et côtoie trop de gens révoltés pour tomber des nues pour autant. « Je ne partirai pas en tout cas. Sauf si vous me le demandez. » Je ne suis plus certaine de rien, après notre éclat de voix de tout à l’heure.

« Un âge trop jeune pour voir sa mère mourir. » Y’a-t-il un âge qui ne l’est plus ? J’ai la sensation que si mon père m’avait été arraché plus tard, cela n’aurait fait aucune différence. J’envie presque mes plus jeunes sœurs, celles qui n’ont de lui que peu de souvenirs à pleurer. Je fouille mes souvenirs à la recherche de l’information de l’année de la mort de la reine, mais je me souviens juste des images de son enterrement, et cet enfant habillé tout de noir qui suivant le cercueil en baissant les yeux. Mon coeur se serre, et l’exercice de parler de moi et de ma famille me permet au moins de changer de sujet. « Je suis désolé. Au moins, avec tant de frères et de soeurs, vous ne deviez jamais vous ennuyer. » Avec tant de frères et de sœurs, il est surtout compliqué de mettre à manger sur la table pour tout le monde. Mais je n’ai pas envie d’attirer la pitié du prince, alors je me tais. « C’est surtout la certitude de grandir dans le chaos. Mais je ne les échangerais pour rien au monde. » Puisqu’on apprend à se serrer les coudes dans la misère. A faire des autres ce qu’il existe de plus important dans notre vie. « Votre vie est donc bien plus intéressante que ce que vous promettiez. Et votre robe était splendide. Je n’appelle pas ça “de simples retouches”. » - « Cette robe était le travail de toute une vie. » Comment lui expliquer que la jeune rêveuse que j’étais avait travaillé dessus depuis des années en vue de son futur mariage ? « C’était un projet qui me tenait énormément à cœur. A présent, elle est irrécupérable, j’en ai bien peur. » Une tâche de vin rouge sur du blanc, ça ne pardonne pas.

Soudain, des coups contre le porte blindée nous tirent de cette discussion calme et plus intime. Je ne sursaute pas lorsque les doigts du prince se joignent aux miens, mais c’est un miracle : un courant presque électrique me parcourt l’échine, une sensation étrange me pique au cœur. Pourtant, je resserre mes doigts sur les siens, pourtant, ça parait si naturel. « N’ouvez pas, je vous en supplie.  » Et si c’étaient les secours ? Face à sa précédente confession, je ne bouge pas, trop consciente de ce qui l’effraie. Il a peur d’être mis face à son cauchemar, et qui pourrait le railler pour ça ? « Votre majesté, ouvrez ! » Les gardes ouvrent la porte, et, instinctivement, alors que mon regard croise celui du roi qui les accompagne, je lâche la main du prince. « Messieurs, veuillez raccompagner la demoiselle dans sa suite. » Le ton est sec, le regard est froid, et alors que les gardent m’attrapent par le bras, heureusement délicatement, je jette un dernier regard presque affolé à Saül qui disparaît déjà de mon champ de vision.

« Je ne partirai pas en tout cas. Sauf si vous me le demandez. » Le prince opine du chef, un léger sourire aux lèvres. Non, il ne lui demandera pas de partir. De toutes les gamines qui arpentent le château, Misty est celle avec qui il a le plus de discussion sans avoir besoin de beaucoup de mots. Elle a l'air de le comprendre et de l'entendre, de lui dire ce qu'il n'a pas forcément envie d'entendre. Et même si Saül a passé plus de temps à l'éviter qu'à solliciter sa compagnie, il n'en reste pas moins indéfectiblement attaché à la savoir dans son champ de vision, là, quelque part, au-cas-où il serait en mesure de lui demander de passer du temps en sa compagnie.

La bulle éclatera bientôt mais ils ne s'en doutent pas encore. Pour l'heure, les deux jeunes gens échangent des morceaux d'histoire et des bribes d'eux-mêmes. « C’est surtout la certitude de grandir dans le chaos. Mais je ne les échangerais pour rien au monde. » Oh qu'il aurait aimé avoir des frères et sœurs, Saül. Des enfants avec lesquels partager des moments, des confidences, des jeux et des histoires. Cela, son père n'a pas réussi à lui offrir. Pourtant, nombreux sont ceux qui savent qu'un autre enfant, le Roi en voudrait bien un. Pour remplacer son aîné qui se rebiffe et qui a besoin qu'on le corrige, plus souvent que de raison. Dans son malheur, Misty a de la chance: elle n'a jamais été seule. Se sent-elle seule, aujourd'hui, entre ces murs ? En tout cas, le prince ne s'est jamais senti aussi entouré. « Cette robe était le travail de toute une vie. » Les lèvres de Saül se pincent de culpabilité. S'il n'avait pas été l'objet des convoitises dès la première soirée, si les filles avaient pu avoir l'occasion de tisser des liens d'amitié avant que ne vienne la rivalité, les choses se seraient passées autrement. « C’était un projet qui me tenait énormément à cœur. A présent, elle est irrécupérable, j’en ai bien peur. » « Je dois pouvoir arranger cela. » Déjà, Saül s'imagine solliciter les marchands de tissus qui viennent de temps à autre au palais pour présenter leurs nouvelles trouvailles. Oui, cela ferait un merveilleux cadeau, pour se racheter. Mais comment ce geste sera-t-il pris par l'entourage du prince ? Le roi le laissera-t-il faire ?

C'est alors que la tranquillité du bunker est brisée par des coups contre la porte. Quelqu'un essaie d'y entrer et Saül attrape la main de Misty. Elle est le phare dans la tempête, en cet instant. Le seul repère dans la panique qui monte à la tête du prince qui, soudain, revoit sa mère mourir sous ses yeux. « Votre majesté, ouvrez ! » Saül prend soudain conscience qu'il enserre les doigts de Misty avec un peu trop de force. Cette dernière ne bouge pas, pas plus que quand les gardes parviennent à ouvrir la porte. C'est sur le roi que s'ouvre la porte. Quand ce dernier comprend qui se tient en compagnie de son fils, le bref soulagement qui avait pris forme sur ses traits s'efface au profit du dégoût. « Messieurs, veuillez raccompagner la demoiselle dans sa suite. » Déjà, les gardes emmènent Misty. La main de Saül est froide. « Ne me touchez pas. Ne la touchez pas ! » Les gardes s'interrompent et le roi braque son regard perçant sur son fils. « Ne joue pas les imbriaques. Tu es blessé et cette jeune fille n'a rien à faire dans un bunker royal. » « Vous auriez préféré qu'elle meure ? Cela vous aurait procuré une grande joie, n'est-ce pas ? » Le ton du prince est chargé d'amertume et les gardes ne savent plus qui écouter. Leurs regards vont du prince à son père. « Emmenez le prince dans sa chambre. Il est visiblement fatigué. » « Je ne veux pas aller là-bas. Si vous la blessez, je vous tuerai ! Je m'assurerai de faire payer vos familles ! » C'est aux gardes que le prince s'adresse alors qu'on l'emmène de force vers ses appartements, où il passera certainement quelque jours enfermé. Il goûtera certainement au placard, un endroit sombre de terreur où cette fois, il n'y aura pas Misty pour lui tenir la main.

***

Le temps, Saül en a perdu la notion tout de suite. Le placard a changé ses traits et a fait de lui un garçon plus docile. Les prétendantes ayant survécus à l'attaque ont été prévenues que le prince était souffrant et que ses blessures étaient graves. Ceux qui ont assisté à la tentative de rébellion du prince contre son père murmurent que ses blessures l'avaient probablement épuisé et qu'il ressemblait à son père, dans toute sa vulnérabilité.

La première chose qu'a fait Saül une fois sorti de son placard, c'est d'aller, en pleine nuit, frapper à la porte de Misty. Vêtu de vêtements tout à fait ordinaires, il a profité de l'absence de gardes pour se présenter à la porte. Armé d'un bougeoir, le prince compte bien profiter de sa première nuit de liberté avec celle qu'il considère désormais comme une amie - et tant pis si ce n'est pas réciproque. « Je n'ai pas pu venir avant. Les médecins ont dit que ce n'était pas sûr. » qu'il chuchote. Les médecins, bien sûr, ne se sont jamais adressé au prince. Ils disaient cela au roi, lui conseillaient de garder le prince enfermé. Ses traits sont tirés à cause des jours passés dans le placard, mais son regard n'a pas perdu de son éclat malicieux. « Prenez de quoi vous couvrir. Il y a quelque chose que je souhaite vous montrer. »