you felt like summer and I am spring
Megan Monroe & @Saül Williams

Assise en tailleur sur mon lit, le regard dans le vide, je repense au regard du Prince alors que les gardes m’emmenaient au loin, me tenant fermement par le bras. Il a craint pour ma sécurité. Il leur a hurlé de ne pas toucher un seul de mes cheveux. Je devrais me sentir flattée, mais je suis surtout marquée par la peur que j’ai lue dans ses yeux avant de disparaître à l’angle du long couloir. Que craignait-il ? Pour qui craignait-il ? Lui ou moi ? Suis-je en sécurité au palais ? Délirait-il lorsqu’il a imaginé le roi capable d’ordonner à ses gardes de me faire du mal ? Suite à l’attaque, on m’a conseillé de rester dans ma chambre et de ne descendre que pour prendre mes repas et je ne sais pas ce que le palais cherche à éviter. Que je vois le prince ? Qu’il me croise et me considère à nouveau comme une option valable ? Que je parle de ses confessions à quelqu’un d’autre, à une autre fille ? Je ne le ferai pas, je n’ai pas fait la promesse à l’oral mais cela ne change rien : je suis quelqu’un de franc, droit et fiable. Et je n’ai pas la moindre envie de faire du mal au prince d’une quelconque façon.

La compagnie des autres pestes me manque presque, alors que je suis condamnée à ne parler qu’à mes femmes de chambres qui semblent presque déçues de ne pas avoir été affectées à une candidate plus importante. Une qui a ses chances de gagner le cœur du prince et la couronne qui va avec. Je me suis à peine rallongée lorsque les coups tapés doucement contre ma porte me font me redresser sur mon lit. Je suis vêtue d’une simple nuisette blanche mais sans réfléchir je fonce vers l’entrée pour ouvrir  à ce visiteur que je reconnais la porte à peine entrouverte. Un sourire sincère étire mes lèvres alors que mon regard croise les yeux bleus de Saül. « Je n'ai pas pu venir avant. Les médecins ont dit que ce n'était pas sûr. » - « Votre bras, tout va bien ? » Nous ne sommes plus dans le bunker, je n’ose plus le toucher pour m’en rendre compte moi même. C’est en scrutant son bras à la recherche d’une raideur ou d’un bandage que je réalise qu’il ne porte pas ses vêtements d’apparat. « Prenez de quoi vous couvrir. Il y a quelque chose que je souhaite vous montrer. » Je n’ai pas besoin de plus pour me mettre en action. Je passe un long chandail bleu sur ma nuisette et, déjà, ma pudeur me remercie.

Dans le couloir, je n’ose plus relever mes yeux vers mon interlocuteur. Nos regards se croisent à un moment, et je remercie la nuit : il ne me verra pas rougir. « L’une des filles a été blessée, elle est rentrée chez elle. Deux autres ont également décidé de quitter le palais. » Pas Mésange, malheureusement. Jordana a évidemment fait partie du convoi : une araignée aurait suffi à l’effrayer. Je m’en fiche. Je n’ai pas la moindre amie ici, de toute façon. « On m’a conseillé de rester dans ma chambre, je ne suis sortie que pour les repas, mais je ne vous y ai pas vu. » J’ai d’abord pensé que c’était une question de sécurité après les attaques, mais le roi et la reine se sont montrés et ont présidé la table royale dès le lendemain. « Vous étiez à l’infirmerie tout ce temps ? » Le silence m’écrase et, pour la première fois, je réalise qu’il m’impressionne bien plus que je ne voudrais l’admettre. Du coup, je parle pour meubler, je parle pour réussir à chasser cet étrange malaise. « Où allons-nous ? »

« Votre bras, tout va bien ? » C'est la première chose dont elle s'inquiète et Saül glousse, lui montrant son bras autour duquel ne s'enroule plus aucun bandage. Tout au plus, il aura une jolie cicatrice. La blessure n'était pas bien profonde. « C'est à vous qu'on devrait poser la question. L'expérience a dû être traumatisante. » Lui est habitué, à l'enfermement et aux coups de feu. Il sait combien ça marque la première fois. Le prince se souvient encore des premiers coups de feu qu'il a entendu de sa vie. Malheureusement pour lui, il était un tout petit garçon. Et la peur qu'il a lue dans les regards autour de lui signifiaient très clairement qu'ils n'étaient pas en train de jouer, pas comme sa mère le lui suggérait pour essayer de le distraire.

Lorsque Misty s'est couverte, Saül l'entraîne dans le dédale du palais. La nuit, tout est si calme... Le Prince sait comment éviter les gardes et les deux jeunes gens ne croisent personne, sur leur passage. « L’une des filles a été blessée, elle est rentrée chez elle. Deux autres ont également décidé de quitter le palais. » Saül opine du chef, l'air grave. « On m’a conseillé de rester dans ma chambre, je ne suis sortie que pour les repas, mais je ne vous y ai pas vu. » A ces mots, Saül se crispe. Ses yeux, qui cherchaient autrefois l'éclat rassurant de ceux de Misty, se détournent désormais. « Je suis là, désormais. » Le roi le laissera sortir d'ici dès demain. C'est d'ailleurs pour cela que ce soir, il a regagné sa chambre - et sa liberté. « Ils ne vous ont pas fait de mal ? » Les bleus qu'elle pourrait porter sur sa peau ont dû s'estomper, désormais. Il ne doit plus subsister de preuves des violences que Misty aurait pu vivre, sauf si elles sont récentes. Saül se promet d'insister pour vérifier lorsqu'ils seront arrivés à destination. « Vous étiez à l’infirmerie tout ce temps ? » Pour ne pas avoir à épiloguer, Saül se contente d'opiner du chef. « Où allons-nous ? » Sa floppée de questions donne à sourire au jeune homme, qui s'empresse d'attraper la main de Misty dans la sienne. Le geste semble si naturel que le prince n'y a pas pensé à deux fois. « Respirez un grand coup. Je vais vous montrer qu'ici aussi, on trouve de la beauté. »

Une fois qu'ils ont passé une patrouille de gardes et qu'ils ont réussi à sortir à l'extérieur des murs du palais, c'est le grand jardin qui s'offre à eux. Avec ses buis et ses jardins taillés au cordeau, le jardin est magnifique même de nuit. On y trouve un grand labyrinthe ainsi qu'une gigantesque étendue d'eau qui servait autrefois à la baignade. Désormais, ce divertissement est interdit. Et plus loin, derrière quelques arbres, se cache un bâtiment rond, un peu semblable à une tour. Il n'en a cependant pas la hauteur. De sa poche, le prince sort une clef en argent. Elle scintille dans la nuit. « Je vous prie de n'en parler à personne. Mon père tolère ma présence ici mais j'ai promis de ne plus beaucoup m'y rendre et surtout pas en présence d'une prétendante. » Sans lâcher la main de Misty, Saül grimpe la volée de marches qui le séparent de la grande étendue où se cachent de nombreux oiseaux. L'endroit est plutôt propre, pour une volière. Un coin de paille plus propre que les autres témoigne de la présence du prince, qui y a laissé quelques affaires. Un bureau couvert de cartes du ciel et de la Terre est aussi caché dans un coin, à côté de deux piles de livres. Saül ne lâche la main de Misty que pour s'avancer au centre de la petite tour. « Bienvenue chez moi. Mon vrai chez moi. » Un grand sourire illumine le visage du prince. Bientôt, une chouette hulotte vient se poser sur son épaule. « J'espère que vous ne craignez pas les oiseaux. Ils ne pincent pas, pour la plupart. » La chouette s'envole quand elle a eu sa caresse et file vers une alcôve d'où elle peut atteindre l'extérieur. « Est-ce que j'ai la permission de vous tutoyer ? Vous pouvez faire de même. Ici, je ne suis pas prince. » Ici, il n'est personne. Ici, il est lui-même, tout simplement.

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Megan Monroe & @Saül Williams

« C’est à vous qu’on devrait poser la question. L’expérience a dû être traumatisante. » Bien sûr qu’elle l’a été, mais je crois que je ne réalise pas encore. Il n’y a eu aucune perte humaine chez les prétendantes, seulement parmi le personnel et la vie a déjà repris son cours, comme si de rien n’était. La façon dont les gens semblent ignorer les récents événements m’effare, moi qui garde encore le bruit des coups de feu à l’esprit. Mais le prince a été clair : celles qui n’ont pas les épaules pour affronter ça n’ont pas les épaules pour devenir reine, alors je prétends qu’il n’en est rien. « Un jour comme un autre au palais. C’est ce que vous disiez, non ? » J’esquisse un sourire face, qui manque de sincérité mais qui a le mérite d’être là : je fais ce que je peux pour prétendre que les attaques et assassinats font partie du paysage, comme les bals et les fabuleuses fêtes organisées par le palais.

« Je suis là désormais. »
« Et j’en suis ravie. »
« Ils ne vous ont pas fait de mal ? »
« Non. Mais je ne comprends pas pourquoi j’ai été tenue à l’écart de la sorte. »

Après tout, qu’ai-je fais de mal ? Ce n’est pas ma faute si le prince m’a attirée avec lui dans son abri, et je ne crois pas avoir fait le moindre faux pas. Ma seule faute finalement, c’est d’être une six et de penser que j’ai la moindre chance de remporter cette fichue sélection. De continuer à me battre pour, en tout cas.

Je frissonne quand la main du prince attrape la mienne le plus naturellement du monde. Je pique un fard, avant de baisser les yeux sur nos doigts entrelacés. « Respirez un grand coup. Je vais vous montrer qu’ici aussi, on trouve de la beauté. » Je n’en doute pas. Je n’en doute plus. Je n’ai pas l’habitude d’être aussi niaise, mais c’est pourtant ce que je me dis, alors que je me perds dans le bleu de ses yeux. « Je vous suis. »

Il déjoue la surveillance des gardes, trompe la vigilance de ceux affectés aux portes du palais et, alors que je découvre avec plaisir les jardins à la lumière de la lune - nous n’avons pas le droit de sortir non accompagnées et de nuit - et alors qu’un ravissant bâtiment rond se dessine au loin, je fronce les sourcils. « J’ignorais qu’il y avait quelque chose ici. » Autre chose que des jardins à perte de vue. « Je vous prie de n’en parler à personne. Mon père tolère ma présence ici mais j’ai promis de ne plus beaucoup m’y rendre et surtout pas en présence d’une prétendante. » - « Je vous promets que je ne dirai rien. » Et certainement pas à son père : le souverain semble mépriser tout ce que je représente. Il pousse la porte et, alors que j’entre à l’intérieur de la pièce, j’écarquille les yeux.

« Bienvenue chez moi. Mon vrai chez moi. J’espère que vous ne craignez pas les oiseaux. Ils ne pincent pas, pour la plupart. » Je parcours la pièce du regard, posant un regard émerveillé sur deux colombes blanches qui volent plutôt bas et si près de nous. « Est-ce que j’ai la permission de vous tutoyer ? Vous pouvez faire de même. Ici, je ne suis pas prince. » Sa remarque me fait à nouveau rougir, et je m’arrache à ma contemplation pour fixer mon regard sur lui. « Bien sûr que vous pouvez. » Un sourire gêné étire mes lèvres et je rectifie. « Que… Que tu peux. » Je me sens ridicule lorsque je le tutoie. « C’est magnifique ici. Ce sont des oiseaux d'apparats ? Certains sont-ils utilisés pour la chasse ?  » J’ai du mal à imaginer ces sublimes créatures comme des prédateurs. « J’ignorais qu’il existait autant d’espèces différentes. » Je glisse à travers la pièce, avant de me retourner vers lui, me sentant pousser des ailes. « Je peux te poser une question ? » A nouveau, je me sens si déplacée lorsque j’emploie le pronom tu. « Tu… Votre père, il me déteste. » Le sujet est si sérieux que je bascule à nouveau sur une forme plus respectueuse, mais je parviens surprenamment à garder mon regard vissé au sien.

« Un jour comme un autre au palais. C’est ce que vous disiez, non ? » C'est effectivement l'idée et le prince ne peut que tenter de réprimer un sourire. Naturellement, le palais n'est pas toujours agité d'évènements de ce genre, mais il faut dire que les dernières années ont rendu les murs du château moins sûrs. Fort heureusement, Misty n'a pas l'air de trop en souffrir sur l'instant - ou, du moins, elle sait le cacher. Sa hâte, Saül ne sait pas la dissimuler, en revanche. Plus les deux jeunes gens avancent vers le monde extérieur, plus les pas du jeune prince se font précipités. Peut-être Misty croira-t-elle que c'est la peur de se faire attraper en plein délit qui motive le jeune homme. Rien ne le motive, pourtant, sinon l'envie de partager avec elle ce qu'il a de plus cher: un endroit à lui. Un endroit dont il partagera bientôt les secrets.

Sur le chemin, pourtant, les paroles de Misty sont encore amères. « Non. Mais je ne comprends pas pourquoi j’ai été tenue à l’écart de la sorte. » Elle ne sont plus teintées de colère, et Saül ne peut qu'y répondre par une pointe de culpabilité. « Mon père m'a rappelé que le but de ces rencontres était de vous connaître toutes. » Rappelé à coups de tours de clef dans la serrure du placard qui a été la demeure du prince ces derniers jours. « J'aurais dû essayer de vous faire porter un message. » Une demande de pardon n'est pas bien loin, mais le jeune homme se ravise. Il n'y avait aucun monde dans lequel quiconque aurait pu faire porter un message à Misty, mais elle n'est pas obligée de le comprendre. Savoir qu'elle est au courant des souffrances endurées par le prince est plus douloureux encore pour ce dernier que de la laisser croire qu'il est le seul responsable du silence des derniers jours. Et c'est dans les derniers mètres qui les séparent de l'air frais de la nuit que Misty accède enfin à la proposition de Saül, qui la gratifie d'un sourire ravi. « Je vous suis. »

La volière est d'autant plus belle la nuit qu'elle est silencieuse. Seuls les quelques hululements des chouettes fendent son masque tranquille. Au dehors, la faune s'agite. Les oiseaux vont et viennent à travers les meurtrières qui laissent passer la lumière de la lune dans la grande pièce aux murs de bois et de chaux. « J’ignorais qu’il y avait quelque chose ici. » « Tout le monde ignore qu'il y a quelque chose ici. » Et cela arrange bien le jeune homme. L'endroit est trop reculé au fond du fastueux jardin pour que quiconque s'approche de ces grands murs dont certains morceaux tombent en ruine. « Et c'est justement pour cela que j'y viens. » Saül a l'habitude de passer son temps en pleine lumière. Ici, il peut se reposer tranquillement dans l'ombre. « Je vous promets que je ne dirai rien. » C'est un sourire soulagé qui orne maintenant le visage du prince. « Je le savais. Je ne vous aurais pas emmenée ici si je n'en étais pas absolument certain. »

Et puis, doucement, les murs de chaux laissent place aux véritables jeunes gens qu'ils sont. « Bien sûr que vous pouvez. » Saül laisse échapper un rire, encourage Misty d'un regard malicieux. « Que… Que tu peux. » « Ca demande encore un peu de pratique ! » Quel dommage qu'ils doivent se tenir dans cet endroit si reculé pour que cette règle s'applique. Qu'elle est douce à l'oreille de Saül, la manière qu'a Misty d'essayer de le tutoyer. « C’est magnifique ici. Ce sont des oiseaux d'apparats ? Certains sont-ils utilisés pour la chasse ? » « C'était son usage initial, il y a longtemps. Je refuse d'utiliser ces oiseaux pour mon propre divertissement, cependant. Ils vont et viennent comme ils le souhaitent. » Ils sont certes devenus obéissants au fil du temps, mais Saül ne peut se résoudre à les porter comme des trophées qu'on exhibe. Le Roi, bien sûr, voudrait que son fils se livre à de tels spectacles. Qu'il aurait fière allure, le prince, avec un oiseaux de proie au poing sur les champs de bataille. Mais cela, le père de Saül n'avait pu le lui imposer. « J’ignorais qu’il existait autant d’espèces différentes. » « Personne ne s'intéresse vraiment à eux. Les gens les trouvent beaux, impressionnants, mais ils ne connaissent rien de leur vie secrète - et n'ont pas envie de la connaître. » D'un geste, Saül retire une plume du perchoir de l'un des oiseaux. « Ils ne sont considérés que comme des objets d'apparat. » Tout comme le prince, tous les jours de sa vie. Ici, au moins, il peut-être Saül - et juste Saül.

« Je peux te poser une question ? » « Tu viens de le faire. » fait-il, moqueur. « Tu… Votre père, il me déteste. » En quelques pas, Saül rompt la distance qui le sépare de Misty. La plume qu'il tient entre les doigts est d'un blanc aussi pur que l'était la robe de la jeune femme, le soir de sa rencontre avec le prince. « Ce n'est pas une question. » Une moue pensive se glisse sur le minois du jeune homme. Comment aborder la chose ? Et puis, soudain, Saül se souvient qu'il n'a pas emmené Misty dans la volière pour porter sur ses épaules l'affreux manteau de prince. Ici, il peut-être juste Saül, le garçon effrayé par son père et dont l'absence de la mère a creusé un terrible gouffre dans la poitrine. Juste Saül et c'est déjà beaucoup - et Dieu qu'il est difficile de laisser tomber le masque ! « Mon père déteste tout le monde. Il me déteste aussi. » Il adore le Prince, bien sûr. Le jeune homme malléable qui inspire crainte et respect. Il déteste Saül, en revanche, parce qu'il ne le connaît pas - et qu'il ne veut pas le connaître. Saül est une part à tuer avant que le prince n'accède au trône. « Il voulait t'évincer. Tu n'étais là que pour donner à tout ce cirque une... bonne conscience. » Entre les doigts du jeune homme, la plume roule doucement. Ses prunelles ne lâchent pas celles de Misty. Ce n'est pas en cet instant qu'il dénouera son regard de celui de la prétendante, pas alors qu'il se doit d'être honnête avec elle. « Il ne te déteste pas toi, il déteste ce qu'il croit que tu représentes. Il ne te connaît pas, et c'est ça qu'il n'aime pas: ce qu'il ne peut pas contrôler. » Doucement, Saül attrape la main de Misty pour y glisser la plume. « Je n'ai pas envie qu'il apprenne à te connaître. Il trouverait un moyen de te faire plier. » Et malheureusement, le regard de Saül ne laisse pas de place au doute: lui, a déjà courbé l'échine devant cet homme qu'il déteste. « Il trouve toujours un moyen. »

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« Mon père m’a rappelé que le but de ces rencontres était de vous connaître toutes. » Je comprends un peu mieux l’attitude du prince maintenant que j’apprends que, là aussi, le roi était responsable. En lui rappelant qu’il devait faire la connaissance de toutes les prétendantes, le roi me visait-il directement ? Je ne veux pas devenir paranoïaque, mais j’ai surpris trop de regards du roi dans ma direction pour ne pas me poser la question. « J'aurais dû essayer de vous faire porter un message. » - « Vous aviez d’autres choses auxquelles penser. » Je me mords la lèvre, sachant déjà que je vais regretter les mots qui m’échappent. « Vous avez passé beaucoup de temps avec Mésange. » Que lui trouve-t-il à ma rivale ? A part sa richesse et sa bonne naissance ? Je ne peux concevoir qu’il nous apprécie toutes les deux, je suis bien trop différente de la prétentieuse blonde.

« Tout le monde ignore qu’il y a quelque chose ici. Et c’est justement pour ça que j’y viens. » Les yeux écarquillés, un air ébahi sur le visage, j’observe les oiseaux qui volent d’un perchoir à l’autre. Un immense sourire étire mes lèvres, tant je suis ravie par la beauté du lieu. « Je le savais. Je ne vous aurais pas emmenée ici si je n’en étais pas absolument certain. » A regret, je lâche les volatiles des yeux pour fixer mon attention sur le prince et, alors que nos regards se croisent, mes joues rougissent. Être digne de confiance, c’est un bien plus beau compliment que d’être belle, bien élevée ou de bonne naissance à mes yeux. « Je suis touchée que vous m’accordiez ce genre de confiance. » Soudainement plus timide, je murmure dans un souffle. « C’était son usage initial, il y a longtemps. Je refuse d’utiliser ces oiseaux pour mon propre divertissement, cependant. Ils vont et viennent comme ils le souhaitent. » J’ai l’impression d’être dans un rêve et je comprends sans mal l’attrait du prince pour le lieu. Ici, il doit avoir le sentiment de s’évader. Ici, il doit avoir l’impression d’être bien loin du palais. « Personne ne s’intéresse vraiment à eux. Les gens les trouvent beaux, impressionnants, mais ils ne connaissent rien de leur vie secrète - et n’ont pas envie de la connaître. » - « Mais pas vous. » J’ai toujours trouvé qu’il avait la parfaite allure d’un prince. Aujourd’hui, il semble tellement loin de cette image. « Ils sont magnifiques. Combien d’espèces différentes vivent ici ? » De mon côté, je serai bien incapable des les différencier, je les trouve beau, et ça me suffit. « Ils ne sont considérés que comme des objets d’apparat. » - « Au moins, ils sont votre secret. » Et, au moins, ici, il peut être certain d’avoir le droit à un peu de tranquillité. « Vous semblez différent, ici. » Il a l’air plus simple, plus abordable. Plus heureux, aussi.

« Tu viens de le faire. » L’entendre me tutoyer est si surprenant et, de mon côté, il apparaît comme évident que j’ai encore besoin d’un peu d’entrainement. « Ce n’est pas une question. » La question arrive. La question se devine déjà facilement. Je veux savoir pourquoi, je veux savoir s’il y a quelque chose que j’ai fait de mal, un manquement à l’étiquette, ou si ma condition m’a condamnée dès le début. « Mon père déteste tout le monde. Il me déteste aussi. » - « Il a pourtant l’air d’être fier de toi. » Pour l’instant, je me force à ne pas le vouvoyer et, immédiatement, j’ai l’impression de lui manquer de respect. Il est pourtant la première personne avec laquelle je mette ce genre de distance. « Il voulait t’évincer. Tu n’étais là que pour donner à tout ce cirque une… Bonne conscience. » - « Je vois… Je suis la candidate du petit peuple. » Je pousse un soupir, avant de fixer un magnifique faucon blanc en train de se nettoyer les plumes. « Je m’en doutais, pour être tout à fait honnête. J’espérais simplement me tromper. » Je ne suis pas naïve, pourtant. Rien d’autre qu’une énorme fraude ne peut expliquer que la majorité des prétendantes viennent de castes aisées. « Il ne te déteste pas toi, il déteste ce que tu représentes. Il ne te connaît pas, et c’est ça qu’il n’aime pas : ce qu’il ne peut pas contrôler. » Mon regard à nouveau plongé dans celui du prince, je retiens ma respiration, de peur de briser ce moment. « Je n’ai pas envie qu’il apprenne à te connaître. Il trouverait un moyen de te faire plier. Il trouve toujours un moyen. » Je voudrais lui dire qu’il n’en trouvera pas. Mais les miens comptent sur moi, et nous ne joignons plus les deux bouts depuis la mort de mon père. Des moyens de pression sur moi, le roi peut en trouver des tas. « Et toi, il te contrôle ? » Par quel moyen ? « Il contrôlera aussi le résultat de la sélection ? » Fébrile, je joue avec mes doigts. Si c’est le cas, je n’ai pas la moindre chance.

« Vous avez passé beaucoup de temps avec Mésange. » Ce qu'elle insinue ne plaît pas beaucoup au prince, qui se contente de souffler du nez dans un petit rire discret. Passer beaucoup de temps avec Mésange, oui, mais pas parce qu'elle lui plaît. Elle semble le comprendre dans une certaine mesure, disant qu'elle aussi elle se sent prisonnière des décisions de ses parents. Saül n'apprendra pas tout de suite combien Mésange est motivée par de mauvaises intentions. Il ne sait pas encore l'avenir que la jeune femme réserve à cet endroit qu'il aime tant et dans lequel il a emmené Misty. Mésange, elle, n'y a jamais eu accès. « Vous seriez jalouse ? » C'est pourtant le principe de l'émission, et le jeune homme n'a pas envie d'épiloguer quant aux règles auxquelles il doit lui aussi obéir.

Les oiseaux se livrent à leur ballet habituel, parcourant les perchoirs et filant à travers les petites meurtrières qui leur donne leur liberté. « Je suis touchée que vous m’accordiez ce genre de confiance. » C'est un endroit où Saül aurait aimé pouvoir emmener les êtres chers qu'il aurait été ravi de compter dans son entourage. Malheureusement, les gens qui appartiennent à cette catégorie n'existent tout simplement pas. Au fil du temps, les oiseaux ont eux-mêmes rempli ce rôle, devenant des confidents autant que des amis. Plus que de simples oiseaux, Saül considère ces majestueux volatiles comme des membres de sa famille. D'aucun pourrait réduire leur présence à du simple apparat « Mais pas vous. » « Mais pas moi. » « Ils sont magnifiques. Combien d’espèces différentes vivent ici ? » En quelques mots, Saül décrit les espèces et leur nombre. Il présente à Misty une chouette hulotte et un grand duc, qui s'ébroue avant de filer au dehors de la volière. « Au moins, ils sont votre secret. » « Je n'en ai pas beaucoup. » « Vous semblez différent, ici. » Le prince prend la remarque comme un compliment et peut-être Misty ne s'en rend-elle pas compte, mais Saül a le rouge aux joues.

Et enfin, les deux jeunes gens parviennent à se tutoyer. Le sujet du Roi vient évidemment sur la table, ce qui a pour effet d'effacer le sourire qu'arborait Saül jusque là. « Il a pourtant l’air d’être fier de toi. » « Je ne suis son fils que lorsque je me montre sévère, ou quand je fais montre de qualités qui justifient mon statut. » Le reste du temps, Saül est un moins que rien. Une fillette, un idiot, un caillou dans la chaussure d'un père qui n'a jamais pour son enfant aucune tendresse. Heureusement, le temps que Saül a passé avec sa mère et avec les nourrices a permis de ne pas le transformer en l'homme qu'il déteste le plus au monde: le roi. Ce roi qui, justement, n'a accepté la venue de Misty que sous une condition. « Je vois… Je suis la candidate du petit peuple. » Le prince n'a pas besoin d'hocher la tête pour qu'elle comprenne combien elle a raison. « Je m’en doutais, pour être tout à fait honnête. J’espérais simplement me tromper. » Il est difficile de se tromper quant le roi se rend aussi détestable, et ce depuis le premier soir.

La plume que glisse Saül dans la main de Misty n'est qu'un moyen de sentir les doigts de la jeune femme contre les siens, froids. « Et toi, il te contrôle ? » « Il m'enferme dans un placard. J'y ai passé beaucoup de temps après l'évènement de... » Des rebelles. La phrase ne trouve de fin que parce que le prince se rend soudain compte de ce qu'il vient de dire. Ces mots sont sortis précipitamment. Maintenant, Misty sait. « Il contrôlera aussi le résultat de la sélection ? » « Je voudrais qu'il en soit autrement. » Mais le silence de la nuit n'a qu'une réponse claire à offrir: c'est le roi qui aura le dernier mot. C'est ainsi que fonctionnent les choses depuis trop longtemps déjà. Une braise illumine pourtant le fond des yeux de Saül. Un feu qui brûle depuis que Misty est arrivée dans sa vie. « Tu as vu cet endroit. Je voudrais y rester tout le temps, loin de leurs yeux. Je voudrais pouvoir voir l'extérieur, laisser ces gens à leurs machinations. » Jamais Saül n'a mis un pied en dehors de ces murs dans lesquels il se sent à l'étroit. Ses doigts s'accrochent fermement à ceux de Misty. « Tu partirais, avec moi ? On en ferait notre secret. Tu connais le mien, mais je ne sais rien des tiens. Et je voudrais qu'on les laisse, qu'on en fasse un pour nous. » Quelque chose à avoir, comme cet endroit. Comme le peu de secrets que Saül a pour lui.