Assise sur son lit, un livre à la main, Maze ne se rendait pas compte qu’elle venait de relire la même ligne pour la quatrième fois d’affilée. Ses yeux semblaient continuer de parcourir avec avidité les lettres imprimées sur la papier mais le sens des mots qu’elle lisait ne parvenait définitivement pas jusqu’à son cerveau, et pour cause. Si elle devait encore et toujours faire des efforts au quotidien pour ne pas se laisser sombrer suite au traumatisme qu’elle avait vécu, elle avait également découvert quelques jours auparavant l’existence d’une demi-soeur dont elle se serait bien passée. Elle avait décidé de ne pas confronter son père quant à cette histoire tant qu’elle n’en saurait pas davantage et qu’elle n’aurait pas la certitude qu’il ne s’agissait pas là d’une blague de très mauvais goût. Elle refusait de voir la ressemblance qui les liait, et vivre dans le déni en espérant que ce problème de taille se règlerait de lui-même lui semblait être la meilleure des solutions…Toutefois ladite solution n’était vraisemblablement pas efficace puisque cette histoire continuait de l’obnubiler. Des pensées, des souvenirs et beaucoup de questions sans réponses se mélangeaient dans son esprit, allant jusqu’à l’empêcher de lire un simple livre. Maze aurait certainement relu cette même ligne pour la cinquième fois si son attention n’avait pas été attirée par un bruit extérieur. Est-ce qu’elle venait d’entendre quelqu’un toquer à la porte ? Elle n’attendait personne et Anwar n’était pas là. Cette visite ne pouvait que le concerner lui ; après tout il s’agissait de son appartement et elle n'était qu’une invitée…de très longue durée. Elle ne savait pas comment l’inspecteur était parvenu à la supporter jusque-là mais elle lui était infiniment reconnaissante de lui avoir offert à la fois un toit et sa compagnie. Savoir qu’Anwar n’était jamais bien loin avait quelque chose de rassurant et de réconfortant pour Maze. Mais pas suffisamment pour qu’elle daigne répondre à sa porte et prendre des commissions pour lui, elle avait encore sa fierté. Fierté qui finit par voler en éclat quand la personne toqua une seconde fois à la porte. Poussant un soupir, elle daigna se lever de son lit, pieds nus et affublés d’une tenue qui ressemblait plus à un pyjama qu’autre chose, pour se diriger vers l’entrée. Elle ouvrit la porte un peu brusquement, déjà prête à annoncer d’un air peu aimable que le propriétaire du logement était absent et renvoyer l’inconnu chez lui aussi vite qu’il était arrivé. Mais elle n’en eut pas le temps, restant littéralement bouche bée en découvrant Heather face à elle. « Je…heu… » Son regard glissa du visage de Heather vers sa main, découvrant la bouteille qu’elle avait emmenée. Difficile de la renvoyer chez elle dans ces circonstances. Maze afficha un sourire de façade avant d’enfin prononcer une phrase intelligible : « Qu’est-ce que tu fais là ? » Son ton laissait transparaitre sa surprise. Elle était bien évidemment contente de voir Heather, mais elle n’était résolument pas dans les meilleures conditions pour l’accueillir aujourd’hui. Elle n’avait pas eu le temps d’enfiler un quelconque masque lui permettant de cacher tous les soucis qui la taraudaient, tout comme elle n’avait même pas eu le temps d’enfiler une tenue lui permettant de paraître un minimum présentable. « Désolée pour…ça… » lança-t-elle en se balayant elle-même d’un geste de la main. « J’attendais personne et je crois que mon look actuel le prouve définitivement. » Elle se décida enfin à faire un pas sur le côté pour laisser Heather passer. Peut-être que sa présence aurait le mérite de lui changer les idées. « Rentre je t’en prie ! »

« J’avais un photoshoot dans le coin ce matin et je me suis rappelée que tu vivais dans le coin, alors je me suis dit que je pouvais passer te voir… » Maze était bien consciente du fait qu’elle ne devait pas avoir l’air particulièrement avenante et elle s’en voulait de laisser transparaître cela face à Heather qui était bien la dernière personne qui méritait de subir son apathie. Malheureusement pour elle, elle ne contrôlait pas sur commande ses sentiments ni ses expressions et il lui fallait toujours une sorte de temps de préparation avant de retrouver quelqu’un auprès de qui elle n’avait pas envie d’afficher son moral déplorable. Or Heather venait clairement de la prendre au dépourvu et ses faux-semblants allaient être bien difficiles à mettre en place et à rendre un tant soit peu crédibles. Etait-ce une raison pour la laisser dehors pour autant ? Certainement pas. « T’as bien fait, ça fait longtemps qu’on m’a pas fait ce genre de surprises. » Peut-être parce qu’elle passait en général son temps à éviter soigneusement de répondre à la porte quand quelqu’un toquait. Mais c’était un détail ; passons. « Ne t’excuse pas pour ça, tu ne pouvais pas savoir que j’allais venir, ça serait à moi de le faire car je débarque à l’improviste. Et puis t’inquiète pas, le look d’intérieur te va très bien aussi, tu restes cute. » Cette remarque eut le mérite de lui arracher un sourire, comme souvent quand elles se retrouvaient ensemble. « Je sais pas si je dois te croire. Après tout, j’imagine qu’une actrice est capable de mentir comme un arracheur de dents, non ? » Elle prit un air faussement inquisiteur, comme tentant de déterminer le degré de vérité dans le compliment de son amie, avant de réafficher une expression plus normale. « Mais de toutes façons, on sait très bien qui est la plus cute de nous deux. Et ce n’est pas moi. Tout Hollywood pourrait le confirmer, j’en suis certaine. » Elle se poussa pour la laisser entrer. Son sourire se voulait taquin et amusé, mais Maze ne parvenait pas à se détacher de cette profonde mélancholie qui lui collait à la peau depuis le début de la journée et qui se lisait bien malgré elle sur les traits de son visage. Ce qui ne l’empêcha pas pour autant de se diriger vers la cuisine, bien décidée à ouvrir la bouteille qu’Heather avait ramenée. L’alcool aurait peut-être le mérite de la désinhiber quelque peu et de la détendre. « Merci ! J’espère que je te dérange pas trop, ton colloc est là ? » Maze ne put s’empêcher de sourire un peu plus en l’entendant utiliser le terme de colocataire. « Tu me déranges pas du tout, je faisais vraiment rien d’intéressant, crois-moi. Et en ce qui concerne mon coloc, non il travaille. » Elle cherchait un ouvre bouteille dans les tiroirs de la cuisine et jeta un coup d’œil en direction de la blonde avant d’ajouter : « Je sais pas si on peut dire qu’Anwar est mon coloc. En vérité c’est plutôt l’inverse. Je dirais même que je me suis franchement incrustée chez lui…bref. » Il l’avait non seulement sauvée du trafic dans lequel elle s’était retrouvée, mais il l’avait également sortie de sa chambre d’hôtel miteuse pour lui proposer de venir vivre avec lui à son retour sur Brisbane. Et Maze lui en serait toujours infiniment reconnaissante, d’autant plus qu’avec cette proposition il lui avait par la même occasion apporté un peu plus de tranquillité d’esprit par le simple fait de ne jamais être bien loin. Elle aurait pu préciser une partie de cette histoire à son amie, mais elle ne voulait pas courir le risque de dire un mot de trop qui l’aurait contrainte à se replonger dans son traumatisme et à se confier.

« Oh c’est très gentil mais tu sais si Hollywood te connaissait je suis certaine que tu me ferais concurrence. » Maze répondit par un sourire modeste à ce compliment. « Quoi qu’il en soit, il me manque des talents d’actrice. » Elle n’était pas la meilleure pour cacher ses sentiments et ses proches avaient un peu trop tendance à son goût à lire en elle comme dans un livre ouvert, la faisant instantanément se sentir si fragile, le cœur à découvert. Et elle ne pouvait même pas se rattraper derrière des mensonges bien ficelés. Ces derniers étaient bien souvent bancals et très facilement détectables. Alors si Hollywood venait un jour à la contacter, il ne faisait aucun doute qu’ils se rendraient bien vite compte de la terrible erreur qu’ils venaient de commettre en l’embauchant. Et ses talents d’actrice inexistants, elle aurait bien voulu pouvoir les utiliser à ce moment précis justement. Elle n’avait pas envie d’exposer Heather à sa morosité et à ses problèmes existentiels. Elle n’avait d’ailleurs pas envie d’y exposer qui que ce soit. Ses problèmes étaient les siens, elle était les seules à pouvoir les gérer. En théorie. Dans la pratique elle ne gérait pas grand-chose, mais c’était un détail qu’elle aurait toujours le temps de revoir plus tard. « Ooooh je t’ai pour moi toute seule ! Ça me va aussi. » Elle eut un sourire amusé à cette remarque et ne put s’empêcher de se dire qu’il valait mieux qu’il en soit ainsi finalement car : « Tant mieux, je ne suis pas certaine qu’Anwar aurait réussi à en supporter deux comme nous en même temps. » Il était déjà bien courageux de la supporter elle seule au quotidien, mais elle se garderait bien de l’admettre à voix haute. Encore moins face au principal concerné.
Toujours occupée à chercher un tire-bouchon pour ouvrir la bouteille de son amie, Maze réalisa enfin qu’il s’agissait d’une bouteille de champagne et…qu’il n’y avait donc nullement besoin d’un tire-bouchon pour l’ouvrir. Elle regarda Heather avec un air contrit sur le visage. Non seulement elle n’était pas en état de jouer la personne enjouée, mais en plus ses problèmes lui prenaient suffisamment la tête pour la faire passer pour une girouette peu attentive. « Qu’est-ce que tu dirais qu’on découvre ce champagne ensemble maintenant ? J’aurais bien besoin d’un petit remontant pour me détendre de ce petit photoshoot matinal. » Elle acquiesça peut-être un peu trop vite pour respecter la bienséance, mais l’idée de boire de l’alcool pour tenter de chasser ses idées noires lui paraissait potentiellement salvatrice. La question à peine posée que deux flûtes à champagne faisaient déjà leur apparition dans les mains de Maze. « Un photoshoot ? Pour un magazine ? Tu fais la promo de quelque chose de particulier ? » La vie d’Heather était si éloignée de la sienne ; elle avait l’impression de passer dans un univers parallèle quand elle l’écoutait parler de ses journées, mais elle ne s’en lassait jamais. Et elle lui était reconnaissante de lui offrir par la même occasion l’opportunité de ne pas parler de ses problèmes et de lui changer les idées. « J’ai acheté un champagne assez cher mais comme il est français, je me suis dit qu’il pouvait qu’être bon. Je vais aussi essayer de l'ouvrir correctement pour éviter de faire un trou dans ton plafond...Et puis un peu de champagne nous donnera l’impression de fêter noël un peu avant l’heure non ? » Ayant les capacités d’attention d’un enfant de 5 ans, Maze venait de bloquer sur la première partie de sa phrase. « Attends, est-ce que tu veux dire que tout ce qui est français est forcément bon ? » Son cerveau était déjà en train de chercher de quelconques plats ou boissons françaises étranges, mais elle fut rapidement rattrapée cette fois-ci par la fin de la phrase de son amie. Qu’elle soit dans un état assez pitoyable ou non, Maze n’était jamais indifférente à une quelconque mention de sa fête de fin d’année préférée. « Il n’est clairement jamais trop tôt pour fêter Noël. En revanche pour le trou dans le plafond évite…Dans le mur à la limite, je collerai un horrible dessin dessus et ça ne devrait pas éveiller les soupçons d’Anwar. » Il était bien trop habitué à ses frasques à présent pour s’étonner d’un simple dessin sorti de nulle part. « Par contre accrocher un dessin au plafond pour camoufler le trou ? Là je pense que ça devient compliqué à expliquer. » Un petit sourire amusé apparut sur son visage ; cette conversation avait au moins le mérite de lui faire oublier sa réalité et ses problèmes très concrets l’espace d’un instant.

« Avec un peu d’entrainement, tu pourrais t’en sortir. Et crois moi j’ai vu les talents du meilleur ami, d’une amie à moi. On peut difficilement faire pire. » L’intention était louable et la fit doucement sourire, mais elle restait malgré tout peu convaincue qu’un quelconque entraînement lui permette un jour de pouvoir développer ne serait-ce qu’une infime partie du talent d’actrice d’Heather. « C’est gentil. Mais à moins d’avoir un énorme secret à cacher… » elle marqua une pause dans sa phrase en se rendant compte que ça n’était même pas vrai. Des énormes secrets à cacher, elle en avait à la pelle. Et pourtant elle restait bien incapable d’afficher ne serait-ce qu’un sourire de façade pour tenter de les dissimuler. « …je pense que mes talents seraient du même acabit que ceux de cet ami. » Par ailleurs Maze se souvenait encore parfaitement qu’Heather était censée lui apprendre à maîtriser d’autres accents. Cette compétence-là lui semblait bien davantage dans ses cordes que l’acquisition de quelconques talents théâtraux ; mieux valait se concentrer sur ce qui restait de l’ordre du possible. « Tout de suite, je pense qu’on aurait bien rigolé à l’embêter dans le pire des cas. » Son sourire s’étira un peu plus en visualisant la scène. Il ne faisait aucun doute qu’Heather et elle auraient très vite pu faire tourner Anwar en bourrique. Et cela n’aurait pas manqué de lui plaire et de la faire rire si… « Oui, mais je pense que j’aurais fait les frais de sa vengeance par la suite ! » Et elle l’aurait sûrement bien mérité. Mais si éviter d’impliquer Anwar dans une bonne partie de rigolade avec Heather lui permettait d’échapper à une quelconque vengeance qui aurait certainement inclus son diabolique perroquet d’une manière ou d’une autre, elle préférait qu’elles restent toutes les deux. « Oui pour un magazine, tu devrais me voir dans Elle Australia le mois prochain » Si les yeux avaient pu lui sortir de la tête, c’est certainement ce qui se serait produit à cet instant précis. Maze affichait présentement une grimace incrédule. Elle savait pourtant qu’Heather n’était pas une amie comme les autres et qu’elle comptait des fans à travers le monde entier, pourtant la brune ne cessait jamais d’être surprise par son quotidien d’actrice de renommée. « Compte sur moi pour l’acheter. Et si t’es sympa peut-être que j’afficherai la couverture sur un mur de ma chambre. » Haaa, l’adolescence et les millions de posters et pages de magazines arrachées de célébrités tendances leur servant de papier peint improvisé. Maze hocha la tête, écoutant attentivement la longue liste de tous les sujets qu’Heather avait évoqués avec le journaliste. Elle avait hâte de lire le résultat de cette interview. « Wow. Et ça te prend combien de temps dans ta journée de te préparer pour une interview comme ça et de la faire ? » Elle visualisait la séance maquillage et habillage pour le shooting, puis la longue liste de questions du journaliste…comment avait-elle trouvé la force de passer encore la voir après ça ? De son côté, elle serait probablement rentrée faire une bonne sieste méritée.  
« Ah non pas du tout, genre les escargots… Faut être fou pour manger ça. Mais bon leur champagne est connu pour être bon, donc j’ai voulu faire confiance. Après on ne va pas se mentir, leur bouffe est meilleure que la nôtre. » Maze afficha une grimace passagère à l’évocation des escargots. Définitivement un plat qu’elle n’avait jamais goûté mais qui ne lui faisait pas envie. En revanche sa main vint se placer sur son cœur dans un geste dramatique, accompagné d’une expression exagérément blessée : « Comment oses-tu critiquer ainsi la nourriture de notre patrie ? » Elle fit semblant d’être vexée encore quelques secondes avant de laisser retomber sa main contre son flanc et d’ajouter : « Oui bon ok. J’avoue que la jelly et la gelée d’anguilles c’est pas ce qu’on a inventé de meilleur…mais on peut pas être bons dans tous les domaines ! » Et c’était bien pour ça qu’elle ne se risquerait pas à prendre des cours de théâtre. Elle ne savait pas dans quels domaines elle pouvait se considérer comme bonne, mais celui-ci n’en ferait définitivement jamais partie.
« Roh je suis certaine qu’avec un peu d’imagination, un dessin dans le plafond ça serait génial. Genre des petites étoiles comme pour faire une constellation ça serait mignon. » Elle leva la tête vers le plafond comme pour mieux visualiser la scène, réfléchissant sérieusement à la question. « Oui, ça ou bien…la couverture du prochain Elle Australia ? » Elle reposa son regard dans celui de son amie avant d’afficher un sourire en coin. Ce dernier disparut en revanche bien vite pour laisser place à la panique que la blonde venait de provoquer en ouvrant la fameuse bouteille. Les mains de Maze s’agitèrent dans tous les sens, ne servant strictement à rien et brassant littéralement du vent. Elle finit enfin par avoir l’idée d’attraper un torchon pour éponger le désastre. « Oh fuck désolée, j’en ai mis partout. » Un rire lui échappa avant de répliquer tout naturellement : « C’est pas grave, ça c’est un problème qui se règle plus facilement qu’un trou dans le plafond. C’est juste dommage pour le champagne ! » True story. Elle attrapa finalement une des deux flûtes et tendit l’autre à Heather avant de demander : « On trinque à quoi ? Une interview réussie ? » Ça méritait au moins ça.

« Si ça continue en plus de t’apprendre à faire des accents, je vais t’apprendre les bases du jeu d’acteur. Comme ça tu pourras te sortir de n’importe quelle situation. » Maze ignorait à quel point son propre sourire était sincère et elle savait que les mots d’Heather ne suffiraient pas à faire en sorte que tous ses dramatiques problèmes s’évaporent soudainement, mais ses mots parvenaient tout de même à la toucher et à l’éloigner un peu de tous ces sujets auxquels elle ne voulait pas penser. « Je te remercie et j’accepte cette hypothétique proposition avec plaisir. J’ai l’impression que c’est une compétence importante à maîtriser de nos jours. » Mais elle maintenait en revanche le fait qu’elle allait donner du fil à retordre à la blonde. Si Heather parvenait à lui faire adopter un quelconque jeu d’acteur convaincant, elle mériterait bien plus qu’un Oscar. « S’il se venge ensuite, il aura affaire à moi ! Je suis moins gentille que j’en ai l’air ! » Elle pinça ses lèvres pour se retenir de rire avant de finir par pouffer. « Est-ce que je t’ai précisé qu’il était inspecteur de police ? » Lui aussi saurait sûrement comment s’y prendre pour se montrer moins gentil qu’il en avait l’air malheureusement pour son amie. Mais Maze aurait donné cher pour assister à cette scène. « Je dis pas qu’il serait capable de t’emmener au poste…mais je dis pas non plus qu’il ne serait pas capable de le faire. » Elle se demandait elle-même ce qu’il en était à vrai dire et elle se plaisait à croire qu’il oserait abuser allègrement de son pouvoir pour agir de la sorte. Tout comme elle, il ne résisterait certainement pas à l’envie de donner une bonne leçon à quelqu’un s’il en avait la possibilité (ils passaient leur temps à agir comme ça l’un envers l’autre après tout). Il avait simplement en sa possession des moyens un peu plus phénoménaux que ceux dont disposait Maze pour le faire. Un détail.
« Oh mon dieu ça me touche, telle une ado qui met son crush en poster au desssus de son lit. Je suis certaine que j’irais à côté de celui de Michael Bubblé avoue. Mais attention je vais me faire des idées à force. » Elle explosa cette fois-ci franchement et sincèrement de rire. « Je crois que là c’est la preuve ultime que tu me connais trop bien. Et évidemment que je t’accrocherai à côté du Dieu Bublé ! Tu mérites au moins ça ! » Elle avait maintenant presque envie de vraiment aller accrocher une photo de Michael Bublé à côté de laquelle elle pourrait faire fièrement figurer la future couverture d’Heather. Pour l’heure elle l’écouta parler de son métier, un sourire attendri aux lèvres. A la voir et à l’écouter, il était évident qu’elle aimait ce qu’elle faisait. « T’es vraiment passionnée et passionnante. C’est un plaisir de t’écouter. Et par contre tu dois aussi avoir un emploi du temps de ministre avec tout ça ! » Elle ne savait vraiment pas comment pas son amie parvenait à jongler avec toutes ses obligations, et trouvait encore moyen de se libérer du temps pour avoir une vie sociale. Son respect était total. « Mon dieu quel jour on est aujourd’hui ? Il faut le marquer dans les annales, le jour où la grande Maze Crawley a dit du mal de l’Angleterre. Elle rigola. Mais bon même si on n’est pas bon en bouffe, on ne pourra jamais nous enlever le thé. » Elle afficha une fausse moue boudeuse avant de rétorquer : « Il y a pas de témoins et si on me demande, je nierai tout en bloc ! » Et elle n’hésiterait pas à le faire. Hors de question de donner des arguments à quiconque pour critiquer leur patrie. Plutôt mourir ou être kidnappée (oh wait, déjà fait) plutôt que ça. « Oui pauvre champagne, il aura juste servi à laver le sol mais heureusement il reste plus de la moitié de la bouteille. J’ai cru que j’allais devoir mettre la bouche sur le goulot pour éviter le gaspillage. » « Alors si t’avais vraiment fait ça je t’aurais demandé de tenir la pose quelques secondes le temps de me laisser prendre une photo. Y a des choses à graver dans le marbre et ça, c’en aurait certainement été une ! » Elle en revenait presque à regretter que la situation ne se soit pas produite à présent. Pour l’heure, elle leva son verre pour trinquer avec Heather, un sourire aux lèvres avant de se faire rattraper par sa question suivante. « On parle de moi mais sinon Maze est ce que ça va ? » Son sourire disparut définitivement de son visage cette fois-ci et ses lèvres se pincèrent signe qu’elle n’avait pas l’envie, ou plutôt la force de répondre sincèrement à cette question. « Vraiment ? » Elle observa le visage de son amie et resta silencieuse de longues secondes, hésitant encore quant à la marche à suivre. Elle aurait bien volontiers tenté un ridicule mensonge et un changement de sujet mais Heather voyait clair dans son jeu, qui n’était par ailleurs pas très difficile à deviner. Sa question sonnait sincèrement préoccupée et c’est peut-être ce qui poussa Maze à soupirer avant d’enfin admettre la vérité : « Non ça va pas vraiment je t’avoue. C’est compliqué depuis pas mal de temps et j’ai l’impression que j’ai atteint le summum du mauvais karma ces derniers jours. » Elle fixait à présent sa coupe de champagne pour éviter le regard de son amie. Ses épaules vinrent se hausser dans un geste de défaite avant qu’elle n’ajoute : « Mais c’est comme ça. Je dois faire avec…je vois pas bien ce que j’ai d’autre comme solution de toutes façons. » Tout était très clair dans sa tête. Elle voyait précisément de quoi elle parlait et la réalité que reflétait chacun de ses mots. En revanche elle ne réalisait pas bien que son discours devait sembler parfaitement obscur à Heather.  

« Je pense que ça peut toujours être utile oui, j’avoue que ça a pu m’aider à me sortir de certaines situations. » Ses paupières se plissèrent légèrement au moment où son amie prononça cette phrase, piquant bien évidemment immédiatement sa curiosité. Elle prit un air mystérieux, comme si elle s’apprêtait à lui demander l’information la plus confidentielle de l’univers : « Ha oui ? T’as des exemples en tête ? » Après un tel aveu, Maze était persuadée que Heather devait avoir quelques bonnes histoires à raconter sur les fois où son talent d’actrice (et du même coup de menteuse malhonnête ?) lui avait sauvé la peau. Mais ses talents d’actrice seraient-ils capables de la sauver dans une joute verbale qui l’opposerait à Anwar ? Elle en doutait quelque peu. « Si tu crois que ça serait le premier inspecteur avec qui j’aurais affaire ! Il m’en faut plus que ça. » Son sourire se fit un peu plus marqué en l’écoutant. Il lui semblait pourtant avoir vu une once d’inquiétude traverser son regard quand elle avait fait mention de la profession de son colocataire. « T’inquiète pas…si ça se tourne mal, je viendrai t’apporter des oranges en prison. Tu peux compter sur moi. » Quel sens du sacrifice, vraiment. Heather devait être fière de son amie et de sa dévotion entière et totale. « Olala du Dieu Bubblé carrément ! Ca me touche, je veux une photo quand ça arrivera, je te ferais même une dédicace si tu veux. » La mention du Dieu Bublé la fit franchement éclater de rire. Elle la connaissait définitivement très bien elle et son obsession pour tout ce qui se rattachait de près ou de loin à Noël. « J’y compte bien pour la dédicace. Je suis sûre que je vais faire une tonne de jaloux avec tout ça. Peut-être que je devrais plutôt l’accrocher dans mon bureau au boulot pour être sûre de faire pâlir d’envie un maximum de personnes ? » Ca n’était certes pas très professionnel, mais ça l’aurait fait beaucoup rire. Elle était même prête à déplacer la photo de Michael Bublé avec s’il le fallait. Pour l’heure, son sourire se fit un peu plus marqué en entendant qu’elle était parvenue à se dégager un peu de temps pour venir la voir malgré un planning résolument chargé. « Et je t’en remercie, ça me fait toujours plaisir de te voir débarquer. Même quand j’ai l’air de sortir du lit et que j’ai pas eu le temps de me rendre un minimum présentable. » L’un dans l’autre, elle sortait véritablement du lit quand Heather avait sonné…il aurait donc été difficile d’adopter un look différent de celui qu’elle affichait présentement. Mais elle n’aurait pas dit non à quelques minutes de plus pour tenter de s’habiller comme une personne normale et pour pouvoir afficher un sourire de façade. Certes la blonde parvenait à la faire rire et sourire, et elle lui en était extrêmement reconnaissante, mais ses problèmes continuaient de lui peser et de rester obstinément bloqués dans un coin de son esprit en permanence. « Je savais que j’aurais dû t’enregistrer ! De toute façon à qui on fera confiance si jamais ? La wedding planner ou la super star internationale aux millions de fans ? » « La wedding planner, ça ne fait aucun doute. Qu’est-ce qu’une fanbase de plusieurs milliers de personnes face à quelques dizaines de couples heureux d’être mariés et prêts à soutenir leur wedding planner préférée ? » Vraiment, les calculs étaient faciles non ? Ou bien l’important c’était au moins d’y croire en tout cas. « Je pense qu’il va me falloir un peu plus d’alcool dans le sang si tu veux que je pose comme ça. Tu devras faire une soirée avec moi pour ça. » Ses paroles ne tombaient pas dans l’oreille d’un sourd. « C’est bien noté et le rendez-vous est pris. J’apporterai mon appareil photo ! Et peut-être que finalement c’est cette photo là que tu pourras me dédicacer ? » Elle serait en revanche suffisamment gentille pour la garder pour elle et ne pas l’exhiber aux yeux de tous. Une vraie amie : prête à immortaliser de légers moments d’humiliation de ses proches, mais bien consciente qu’elle devra les garder pour elle…et simplement occasionnellement faire semblant de les menacer de s’en servir pour arriver à ses fins : comme faire admettre à Heather que l’Angleterre était la meilleure des patries qui puisse exister par exemple. Elle s’y voyait déjà.
Mais la conversation avait fini par prendre un tout autre tournant. Heather n’était pas aveugle et elle avait dû constater que quelque chose clochait à partir du moment où Maze avait ouvert la porte d’entrée. Que ce soit dans son apparence ou dans son comportement, elle ne respirait définitivement pas la joie de vivre. « Il s’est passé quelque chose ? Tu veux en parler ? Peut-être que je pourrais t’aider. » Elle observa la main de son amie à présent posée sur son bras de longues secondes avant d’oser faire glisser son regard vers son visage. Elle resta silencieuse encore un peu avant de finir par répondre, toujours pas très sûre des informations qu’elle voulait ou non lui délivrer. Elle se rendait en revanche bien compte qu’elle en avait déjà trop dit pour ne pas plomber l’ambiance. Alors un peu plus ou un peu moins… « Je crois qu’il n’y a que moi qui puisse m’aider… » Le problème était qu’elle ne savait absolument pas comment. Et qu’elle ne faisait donc rien. Mais elle n'était même pas certaine d’avoir vraiment envie de faire quoi que ce soit. « Oui il s’est passé quelque chose il y a plusieurs mois de ça maintenant….et puis il y a quelques jours j’ai appris une autre nouvelle assez….bouleversante ? » Elle avait tourné sa phrase sous forme de question car elle n’était pas certaine que bouleversant soit véritablement le bon terme à utiliser. Irritante, rageante, voilà d’autres adjectifs qui lui semblaient tout aussi appropriés que bouleversante. « C’est compliqué et je t’avoue que c’est pas les histoires les plus joyeuses de l’année. » Elle continuait de l’observer du coin de l’œil, cette dernière phrase ayant vocation à lui offrir encore une porte de sortie. Si Heather voulait s’échapper de cette conversation pour que leur discussion puisse conserver un ton léger, il en était encore temps.

Maze but une nouvelle gorgée de champagne avant de s’accouder au plan de travail de la cuisine pour écouter l’histoire d’Heather. Son sourire s’étirait un peu plus au fur et à mesure qu’elle avançait dans son anecdote, avant de franchement finir par éclater de rire une fois celle-ci terminée. « Je te reconnais bien là. C’est à la fois vile mais aussi très ingénieux. Je te visualise tout à fait reproduire ce genre de situations encore aujourd’hui…enfin pour d’autres choses qu’une glace en revanche j’imagine ! » Quoi qu’une glace gratuite ne se refusait pas, même avec une quinzaine d’années de plus. « Tu peux faire comme dans les films et glisser une lime à ongle dedans pour que je tente de m’échapper si ça arrive ? » Elle fit mine de réfléchir quelques secondes. « Mh…ça doit pouvoir se négocier. Tant que tu me demandes pas de la cacher à l’intérieur d’un gâteau, ça devrait être faisable. Je suis pas certaine que cacher une lime à ongles dans une orange soit particulièrement discret, mais si ça ne fait pas appel à mes piètres talents culinaires alors ça se tente ! » Elle avait presque envie de tenter l’expérience pour de vrai maintenant qu’elles étaient en train d’en parler. Quand il s’agissait de tester tous les pires clichés des films qu’elle avait l’habitude de regarder, elle était évidemment toujours partante. Et quelque chose lui disait qu’il en était de même pour Heather, même si cela impliquait qu’elle se retrouve quelque temps derrière les barreaux. A bien y réfléchir, est-ce qu’une histoire pareille ne l’aiderait pas à faire davantage encore la Une des journaux ? « Vendu je te ferais la meilleure dédicace possible. Qui sait peut-être même que ça attirerait des clients de savoir que tu connais une actrice qu’ils aiment bien. En tout cas ils sauront qu’ils ont du bon gout car ils feront affaire à une wedding planner que même moi je valide. » « Alors là, je n’ai en effet absolument aucun doute sur le fait que ça nous apporterait quelques clients supplémentaires. Ou bien alors est-ce que ça risquerait de briser des couples parce que nos clients chercheraient finalement à obtenir ton numéro de téléphone ? » Elle sourit à cette idée qui restait somme toute assez probable malgré la boutade qu’il y avait derrière.
Maze balaya d’un geste de la main l’excuse d’Heather quant au fait qu’elle ne l’avait pas prévenue avant de passer. Ça n’était pas de sa faute et ses intentions étaient à la fois louables et adorables ; comment aurait-elle pu lui en vouloir ? Par ailleurs, c’était plus elle qui ne se sentait pas normale de paniquer aussi vite au sujet d’une visite impromptue. Les gens normaux ne craignait pas à chaque instant de répondre à leur porte et de devoir être soudainement confrontés à la réalité sans avoir pu s’y préparer psychologiquement au préalable. « Dis comme ça, on dirait le résumer d’une nouvelle émission de télé réalité. Je crois que tu tiens quelque chose. » C’était une façon de voir les choses. « C’est vrai que je suis sûre qu’on devrait trouver un public pour ça. Bon, on signe où pour lancer ce projet ? » Après tout, ça n’était qu’un projet en plus parmi les dizaines qu’elles avaient déjà imaginés et évoqués. Un de plus ou un de moins. A sa plus grande surprise, malgré leur capacité à dévier facilement et à laisser leur imagination s’exprimer un peu trop vite et trop fort, elle était convaincue que certaines de ces idées restaient tout à fait envisageables et réalisables. Il restait juste à faire le tri. « Ah ah ah non ! Je suis bien partante pour la soirée, tu me diras quand tu veux qu’on sorte ensemble. Mais si je dois te dédicacer une photo ensuite je veux que ce soit une sous mon meilleur jour. Mais promis on fera plein de photos pendant la soirée. » Elle hocha la tête pour appuyer cette idée. Si lesdites photos étaient au moins aussi exceptionnelles que celle qu’elles avaient prise avec le Père Noël (aussi dérangeant l’homme fut-il), alors il ne faisait aucun doute que cela valait le coup. « Deal. Je note pour la soirée, et je note pour les photos. » Et elle ne manquerait pas de lui rappeler ce programme.
Et puis la conversation avait dévié sans qu’elle ne le voit véritablement venir quand bien même elle restait parfaitement consciente de son incapacité à enfiler un quelconque masque neutre pour cacher tous les soucis qui la préoccupaient. « Tu sais Maze tu as été là pour moi à l’époque quand j’en avais besoin. Tu sais ce qui c’est passé avec ma famille. Tu as vu ce que ma mère été capable… et pout tout de dire ça ne s’est pas arrangé quand on a déménagé. » Elle observa son amie, son regard se faisant un peu plus triste encore en entendant ses mots et en se remémorant cette période de leur vie qui, pour elle, n’avait que des bons côtés puisque sa famille était (à l’époque) tout ce qu’il y avait de plus normale et qu’elle était ravie d’avoir trouvé une véritable amie en Heather. Mais elle se souvenait tout aussi bien de ce que la blonde avait dû subir à la même époque. Si elle n’avait pas pu en réaliser toute la gravité étant donné leur jeune âge, c’était de plein fouet que cette vérité revenait la frapper aujourd’hui. « Mais je t’ai toujours été reconnaissante, d’avoir été là pour moi et de m’avoir permis d’oublier un petit peu mes soucis à l’époque. Donc si je peux quoi que ce soit pour toi Maze sache que je serais toujours là pour toi aussi, peu importe de quoi il s’agit. » Elle avait glissé sa main sur son avant-bras en geste de soutien. Elle n’était pas la personne la plus démonstrative de la terre, mais elle tenait à lui faire savoir d’une manière ou d’une autre qu’elle était tout aussi là pour elle si elle en avait besoin. « Comment ça se passe avec ta mère aujourd’hui ? » Elle marqua une légère pause avant de se reprendre assez vite : « Enfin si t’as envie d’en parler évidemment… » Elle n'avait pas envie de forcer son amie à lui confier quoi que ce soit. Et la réciproque était vraie. Mais elle espérait vraiment que toutes ces histoires étaient derrière elle aujourd’hui et qu’elle pouvait simplement vivre la vie dont elle avait toujours rêvé. Les fantômes du passé, elle connaissait trop bien et elle ne lui souhaitait pas d’y être aussi confrontée. Elle récupéra sa main pour la placer autour de son verre, fixant le liquide d’un air soudain lointain. « Y a plus deux ans de ça j’ai… » Malgré le temps qui passait, les mots étaient toujours aussi coincés dans sa gorge et son histoire toujours aussi difficile à raconter. Il fallait qu’elle arrache le pansement d’un coup sec. Elle n’avait pas besoin de rentrer dans des détails sordides. « …j’ai été droguée et enlevée. Je me suis retrouvée au cœur d’un trafic d’êtres humains. » Ses sourcils s’étaient froncés, ses traits se faisaient de plus en plus durs à l’évocation de ces souvenirs qui étaient encore aujourd’hui un véritable cauchemar. « Et récemment j’ai appris que j’avais une demi-sœur. » Mentionner Jina aussi facilement était un moyen pour elle de passer rapidement à autre chose et de ne pas s’éterniser sur l’histoire de son enlèvement. Parce que parler d’une demi-sœur non désirée et d’un père infidèle et menteur était horrible…mais malgré tout bien plus facile que de revenir sur ce qu’elle avait vécu deux ans auparavant. Quelle ironie. Maze releva la tête pour observer son amie. Un triste sourire apparut sur ses lèvres avant qu’elle n’ajoute : « Alors j’ai quelques traumatismes à gérer et c’est…compliqué. » Heather ne pouvait probablement pas l’aider, mais elle lui était malgré tout profondément reconnaissante de simplement exister et de se montrer présente pour elle. Elle n’avait pas besoin de plus au fond.