Le réveil fut tardif après les événements de la nuit. Seuls, face à la nature, nous avons pris le temps d’émerger, de boire un bon café et surtout d’échanger sans jamais lâcher du regard le lac qui s’offrait à nos pieds. Aucun de nous ne souhaitant quitter notre bulle trop rapidement, on a mis de côté le planning que je cherche toujours à respecter, pour s’offrir une journée de farniente à juste prendre le temps d’apprécier le moment et surtout la présence de l’autre. On s’est définitivement perdu quelques heures à discuter de nos envies concernant une cérémonie de mariage et l’on a fini par s’accorder au moins sur un point : ce sera simple. À notre image, sans chichi et sans s’obliger à respecter tout un tas de traditions dont on ne comprend guère le sens. Je sais que je finirais par me faire emporter par la folie des préparatifs, mais je lui promets de faire de mon mieux pour ne pas devenir un control freak à ce sujet.

Puis nous sommes repartis sur les routes, pour découvrir de nouveaux paysages, faire de nouvelles rencontres. À chaque instant, je suis fasciné par tout ce que je vois, la beauté des endroits et surtout le plaisir de voguer au rythme de nos envies. L’idée du van était excellente, et même si l’arrière est drôlement exigu, on finit par s’habituer à cette vie quelque peu différente. Surtout, on prend le temps. D’apprécier chaque instant, de se retrouver surtout. Je crois que l’on n’a jamais autant pris de temps pour se parler, pour s’accorder sur ce chemin qui se déroule devant nous pour la suite des évènements. On va mieux et cela se ressent à chaque instant.

Lorsque l’on finit par arriver sur les terres de son enfance, Clément semble presque différent. Il m’a tellement parlé de ce parc qu’il est presque surexcité lorsque l’on trouve enfin un emplacement pour laisser le van et mieux aller vadrouiller sur les sentiers. L’endroit est magnifique, mais je me retrouve avec le souffle coupé lorsque l’on atteint enfin la plage. Ma main vient trouver celle de mon compagnon alors que nos pieds nus s’enfoncent dans le sable. « Raconte-moi tes souvenirs ici. » Il en parle rarement de son enfance, mais j’ai comme le sentiment que c’est le lieu pour le faire. « Tu venais avec ton frère ? » Là encore, il s’agit d’un sujet peu évoqué, mais j’ai envie de croire que le moment est bien choisi pour oser s’aventurer là-dessus.

Le réveil, après cette nuit pleine de voluptée, est doux et léger. Bien que réveillé relativement tôt, c'est avec un bonheur sans nom que je reste encore longtemps lové contre Loan, à sentir la chaleur de son corps nu contre le mien et à me caler sur sa respiration lente et profonde. La suite de la journée est tout aussi magique que cette dernière nuit. Nous décidons d'un commun accord de ne pas partir tout de suite et de profiter encore un peu de cet endroit et cette solitude dans laquelle nous nous trouvons, parlons de tout ce qui nous intéresse. Et c'est ainsi, les têtes emplies de projets, que nous repartons sur les routes. Nous échangeons régulièrement de conducteur, nous nous arrêtons souvent et nous prenons réellement notre temps. Peu importe si nous tombant en arrière sur notre planning, nous décidons qu'il est plus important de nous concentrer sur les moments présents plutôt que d'être trop dans le futur.

Lorsque nous arrivons enfin à l'endroit que je souhaitais réellement redécouvrir, c'est une joie incommensurable qui naît en moi. Loan trouve un endroit pour garer notre van et nous nous mettons en route sur les chemins de randonnées que je ne connais que trop bien. Sous couvert de discussion et de récit de souvenirs, j'entraîne mon désormais fiancé à travers la forêt dense jusqu'à ce que nous ne nous retrouvions sur la plage qui a toujours été mon endroit préféré dans ce parc national. Après avoir descendu une petite dune, nous nous retrouvons pieds nus sur le sable et c'est là que Loan me demande de lui parler encore de mes souvenirs d'enfance, évoquant cette fois-ci mon frère.

Je tourne mon regard sur mon partenaire de vie et incline légèrement la tête sur le côté, surpris par cette précision, me rendant en même temps compte que je n'ai que très peu voire jamais parlé de mon frère depuis que nous nous fréquentons. Et pourtant dieu sait à quel point j'aimais Stephen et combien sa mort m'a affectée. J'ai, certes, réussi à faire mon deuil et j'arrive assez facilement à vivre sans lui, mais il est vrai qu'il y a des moments où ses souvenirs refont surface  «Ouais, on venait quasiment tous les week-end ici » dis-je finalement en reportant mon attention sur la mer  «Avec comme indication de ne jamais dormir deux fois au même endroit. J'avais quelque chose comme 9 ans et lui 14 ans la première fois qu'il m'a entraîné avec lui. » Je souris doucement regarde autour de moi  «Maintenant que j'y repense, on était quand même pas mal inconscient quand même mais à l'époque on se croyait inatteignable et imbattable » je pince les lèvres  « Et puis tout à basculer en 2004» j'hausse les épaules  «Les week-end camping n'étaient plus d'actualité malgré les tentatives de mon père de nous sortir tous les deux de nos habitudes » je croise les bras devant moi en refoulant la dure nostalgie  «Enfin bref » je toussote pour reprendre contenance et revenir sur terre alors que je ne me tourne vers Loan pour lui offrir un doux sourire  «Je m'y suis fait. Vraiment. Je ne dis pas que sa mort ne m'a pas affectée, c'est juste que j'ai réussi plus facilement que d'autre à faire mon deuil et même si je ne pourrais jamais oublié Stephen et qu'il m'arrive encore de temps en temps à regretter sa mort, je me dis que ma vie ne pourrait pas être plus épanouissante qu'actuellement et que c'est tout ce qu'il aurait souhaité pour moi » je m'approche de Loan et lui vole un baiser  «Je sais que je ne parle pas souvent de lui, mais c'est juste par pure habitude en vrai, tant le sujet était tabou pendant tellement d'années à la maison  » j'attrape sa main et lui vol un baiser  «mais si t'as envie d'en apprendre plus sur lui et notre relation faut pas que tu hésite à me poser des questions, ok ?  »

Et c'est avec la même douceur dans nos faits, nos gestes, nos souvenirs et nos discussions, que se déroule la suite de notre séjour Néo Zélandais. Dans notre maisons à quatre roues nous trouvons rapidement nos habitudes et nous retrouvons les plaisirs simple de notre couple. Si bien que lorsque nous arrivons au moment de rendre véhicule, c'est avec un pincement au cœur que nous redonnons les clefs à la société de location. Mais c'est pourtant le cœur et l'esprit bien plus léger que 15 jours auparavant que nous nous rendons à l'aéroport et que nous attendons le boarding, persuadés tous les deux que nous laisserons la plupart de nos soucis et de nos lourds bagages émotionnels ici, en Nouvelle Zélande afin de rendre notre quotidien Australien plus doux et plus léger.