| (#)Sam 7 Mai 2022 - 1:41 | |
| Raphael ne s’était pas levé ce matin-là en pensant dénicher une nouvelle opportunité de travailler dans le domaine qui l’intéresse réellement. Depuis son renvoi de l’école, tous les jours les cours de danse lui manquent ; les sourires, les soupirs, les déceptions et les succès de ses élèves aussi. Ils lui donnaient une raison de se réveiller avant midi, ce qu’il n’arrive plus vraiment à faire aujourd’hui maintenant que son horaire est aussi libre que Spirit l’étalon des plaines. Ses nuits sont soit trop longues, soit trop courtes, et la fatigue appuie constamment sur ses paupières pour cette raison. Son propre corps le déteste de prendre de telles décisions irresponsables.
Mais, l’enthousiasme et l’excitation, il n’arrive pas beaucoup à les contenir lorsque Jessalyn lui fait preuve d’intérêt quant à son talent en danse, qu’elle n’a même pas encore vu. Faire des chorégraphies pour un groupe de musique ? Pour des clips musicaux ? Coordonner des danseurs et faire aussi partie de l’un d’eux ? Oui. Absolument. Son petit cœur se met à battre rapidement dans sa poitrine, et, pour une fois, ce n’est pas parce qu’il a vu Kieran traverser le salon avec un verre de jus d’orange et une boîte de cookies coincée sous l’aisselle. « T’sais moi je suis du genre à beaucoup improviser. Des fois j’vois des opportunités et j’me dis, c’est maintenant, tu vois ? Là j’ai l’opportunité d’avoir un chorégraphe et de mettre en place un truc, j’vais pas passer à côté. » Il opine de la tête, la bouche à moitié ouverte, gobant les mouches au passage. Ça existe réellement des êtres humains comme elle ? « T’auras qu’à m’envoyer une démo ou m’en faire une en live, je sais que je trouverai quelque chose. » Il s’exclame aussitôt, son débit de voix étonnamment rapide, comme s’il ne voulait pas louper l’occasion qu’elle lui tend comme un joli cadeau bien enveloppé et décoré : « Ouais, ouais, je t’enverrai une démo. » Facile. Il en a des centaines, de vidéos de chorégraphie. Classique, hip hop, contemporain, il a tout testé au cours de son adolescence. La qualité de sa caméra est comparable à celle des caméras de sécurité dans les épiceries mais c’est mieux que rien. « Et puis si jamais tu veux voir ce qu’on a déjà pu faire, on a une chaîne youtube pas mal remplie. » Parfait, il utilisera l’ordinateur de son colocataire pour l’énième fois, ou se rendra à la bibliothèque pour en emprunter un.
Il devrait vraiment investir pour mieux s’équiper…
Il ne le mentionnera pas à voix haute, mais il se rend compte que c’est particulièrement agréable de se faire caresser le visage avec un pinceau à maquillage ou de sentir la pointe des ongles de la jeune femme lui frôler les joues. Il s’agit là du plus grand contact qu’il a eu avec une autre personne depuis des mois. C’est peut-être pour cette raison qu’il se voit se confier à Jessalyn lorsqu’elle lui colore les paupières. Leur proximité l’encourage mais, aussi, elle semble particulièrement empathique. Il a l’impression qu’elle et lui ont vécu des choses similaires, seulement parce que leur drapeau est arc-en-ciel, à tous les deux. C’est la première fois qu’il se sent confortable dans cette petite bulle colorée. Jessalyn l’enveloppe d’une couverture moelleuse et chaude. Et, lorsqu’il termine de raconter ses malheurs, son attachement pour un garçon qui ne veut pas que leur amitié évolue vers autre chose, il demande timidement si elle n’aurait pas vécu une chose similaire et si elle n’aurait pas des conseils à lui refiler, justement. « Pas exactement ça mais, j’ai déjà eu quelques déceptions de la part de gens qui comptaient beaucoup pour moi, ouais. » Et il écoute la suite de son histoire avec une oreille attentive, les paupières toujours closes pour la laisser lui peindre la peau de vert. C’est agréable de ne pas avoir besoin de maintenir un contact visuel. Ça l’épuise moins. Il peut réellement l’entendre, pas seulement se demander si fait bonne figure, si ses cheveux sont correctement placés, s’il n’a pas une miette entre les dents. « Au lycée, y avait cette fille que j’appréciais beaucoup. C’était le genre de personne qui voulait plaire au plus grand nombre et qui se souciait un peu trop de son image, tu vois ? En public, elle était bien propre sur elle et calculait à peine les gens comme moi. Le coup classique, quoi. » Il pense à Diana ; se mord la lèvre inférieure et hoche de la tête. Ces gens-là sont nés avec un charme irrésistible. Le problème ? Ils en sont conscients. « Le fait est que loin de tous ses copains et des regards indiscrets, on passait beaucoup de temps ensemble. Au début j’disais trop rien parce que ça m’allait et que je voulais pas la brusquer, mais bon… C’était trop compliqué pour elle d’assumer cette part là alors un jour elle a juste tout arrêté. » Était-elle amoureuse ? « J’vais pas te mentir, c’était dur de se détacher au début, mais finalement j’ai pas eu le choix. J’en avais besoin pour pouvoir avancer, et tant pis pour elle si elle préférait vivre dans ses mensonges. J’pouvais pas passer ma vie à l’attendre. » Il réalise seulement maintenant que le maquillage est terminé et il rouvre les yeux. La sensation sur sa peau est étrange mais pas désagréable. Ce qui est désagréable, c’est cette boule qui se forme dans son ventre tandis qu’il comprend où Jessalyn veut l’amener avec ce sujet. « C’est peut-être pas ce que tu veux entendre, mais si sa présence te fait plus de mal qu’autre chose, il va falloir songer à aller de l’avant, toi aussi. Peut-être qu’en voyant que toi t’es près à aller de l’avant, il aura un espèce de déclic. Faut que tu penses à toi, des fois. » Voiler ses émotions pour aller de l’avant. Plus facile à dire qu’à faire pour celui qui tente depuis près de deux ans de faire taire les sentiments qu’il ressent à l’encontre de Kieran. C’est le problème avec lui : lorsqu’il s’attache à quelqu’un, il refuse de voir ses défauts ou se laisse aveugler par ses qualités pour ne plus jamais le lâcher. Loyal, certes. Mais avec les mauvaises personnes qui ne lui rendent pas la pareille. Un sourire mélancolique étire ses lèvres pincées et il tend la main vers le petit miroir de poche posé près des pinceaux pour enfin regarder son reflet. D’abord, la surprise de se découvrir ainsi le fait ricaner nerveusement mais, très rapidement, il s’attache à ce Raphael-là. Pendant un moment, il a l’impression d’avoir fait un bond dans une autre dimension. Peut-être que dans cette dimension-là, il est heureux. « Merci Jess… » Il murmure sans lâcher son reflet, ses mains enveloppées autour du petit objet rond. « Pour les conseils et le relooking. » Il précise en lui jetant un autre coup d’œil, se sentant à la fois vulnérable et protégé devant elle. « Je ne ressemble pas trop à un zombie, c’est réussi. » Il plaisante en retournant à la contemplation du vert sur ses paupières. Un vent de fraicheur. Il a l’impression de respirer à nouveau.
@Jessalyn Oxton |
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