Encore un soir à bosser pour payer un foutu loyer alors que le reste de la promotion est en train de se mettre la mine dans une soirée étudiante hyper branchée de l’université. Accoudé au comptoir, je fais glisser mon pouce sur l’écran pour faire défiler les différentes photos et vidéos de mes camarades qui ont l’air de s’amuser bien plus que moi. Je compte plus le nombre de messages que j’ai reçu sur le groupe whatsapp de mon ancienne équipe de rugby. « J'm'emmerde. » Comme à chaque fois qu’il trouve que le bar est trop calme où que le pot à pourboire n’est pas assez rempli à son goût. « Ah bon ? J’aurais pas deviné. » que je lui réponds non sans un sourire amusé. C’est pas comme si je pouvais confondre ses multiples soupirs avec une quelconque exaltation. On a l’habitude avec Jina, de le voir tourner en rond –enfin c’est surtout les pouces qu’il aime faire tourner-, de l’entendre se plaindre, taper du pied et tout ce qui peut nous montrer qu’il se fait chier. C’est Seth, il a toujours été du genre à aimer être dans le feu de l’action. Je jette un coup d’œil à Jina qui prépare l’un des cocktails de la maison, c’est la seule qui semble être en train de bosser et je suspecte certains clients de la choisir elle plutôt que l’un d’entre nous. « On bouge ? » Je scanne la pièce du regard à la recherche de quelques habitués bien relou qu’on aurait déjà eu tendance à virer. La voie est libre, aucun lourdingues en vue qui risqueraient de faire chier la fille qui se tient non loin de moi. [color:cd5f=##009999]« J'crois qu'elle peut très bien s'en sortir sans nous. Arrête de jouer les grands frères protecteurs. » Je lève les yeux au ciel et lui lance le torchon en pleine face. « Faut bien que j’le fasse pour nous deux, tu serais capable de laisser crouler sous le travail. » Je finis de débarrasser les verres de l’égouttoir, des pintes qui prendraient certainement la poussière si Jina et moi n’étions pas là pour nous en occuper. Seth est la définition même d’être payé à rien faire, c’est à peine s’il sait confectionner deux des boissons qui figurent sur l’ardoise. Je sais même pas comment j’ai pu accepter de l’embaucher, il m’arrive parfois de le regretter car depuis cet entretien, il est en quelque sorte sous ma responsabilité. Je le regarde s’éloigner dans l’arrière-boutique,  celle qui connait désormais sur le bout de ses dix doigts à défaut de connaitre l’entièreté de ce que ce bar peut bien proposer. « On est derrière si tu nous cherches, n’hésite pas à m’appeler. » Que je dis en grimaçant, peu fier de la laisser toute seule au comptoir. Elle soupire mais fini par acquiescer tandis que je lance un regard noir aux trois péquenauds qui se tiennent au bar, qu’ils fassent ne serait-ce qu’un pas de travers et c’est la blacklist direct, dieu sait à quel point j’peux avoir le kick facile surtout quand il est question d’un acte malveillant envers Jina. Je tire le rideau qui nous sépare du comptoir et viens m'assoir sur une des caisses posées sur le sol. « Rappelle-moi pourquoi j’ai accepté de t’embaucher déjà ? » que je lui dis en levant les yeux vers lui. Une chose est sûre, il ne sera jamais élu employé du mois ni même de l'année. Je me lève pour ouvrir la fenêtre qui donne sur une impasse, celle où on aime bien trainer à la fin de notre service. « J’sais même pas s’il t’est déjà arrivé de faire un service complet sans ronchonner. » que je dis en enjambant le cadre de la fenêtre pour finir par m'assoir dessus laissant mes jambes se balancer à quelques centimètres du trottoir.  
 

« Tu la sous-estime. » Je ne crois pas, non. Jina est peut-être une bosseuse, mais ça ne veut pas dire qu’elle doit se taper son boulot et le mien en prime. Il en a rien à foutre, comme à peu près tout ce qui ne le touche pas de près comme de loin car si c’était lui qui se retrouvait dans les baskets de mon amie, ça fait bien longtemps qu’il aurait haussé le ton pour montrer son mécontentement. « C’est surtout toi que j’ai surestimé. » Je souris, même si je pense la totalité des mots que je viens de lui sortir. Fort heureusement pour lui, il lui arrive de travailler par moment, ça ne dure guère bien longtemps mais c’est déjà mieux que rien. Ce qui le sauve aussi, c’est son talent à pousser les gens à la consommation et c’est sûrement pour cette dernière raison qu’il se trouve être encore derrière le comptoir et non pas devant. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, ils sont deux fois plus élevés que les bénéfices de la contre-équipe. Notre trio fonctionne bien, c’est un constat qu’on ne peut négliger. Chacun y trouve son compte finalement, même si c’est Jina qui endosse souvent le mauvais rôle. Seth, c’est le bout en train, celui qui n’a qu’à ouvrir la bouche pour que les commandes fusent et que le pot à pourboire augmente. Jina, c’est la bosseuse, la fille consciencieuse sans qui le shift ne pourrait pas tourner. Et moi, je suis un peu des deux, je fais ce que j’ai à faire sans en faire plus. Je finis par céder aux demandes incessantes du mec que je considère à présent comme mon pote. Ne me demandez pas comment, ni même pourquoi, la réponse reste un mystère que je ne saurais résoudre. Je crois que c’est parce que sans le vouloir, il apporte une bouffée d’air frais à un quotidien qu’il m’est parfois difficile à gérer. « Parce que tu t'ennuyais à mourir sans moi. » Ouais, y’a peut-être aussi un peu de ça, en effet. Il rend mes responsabilités plus légères et si avant je bossais sans prendre le temps de m’amuser, aujourd’hui il m’arrive de pouvoir faire les deux en même temps. Une pensée que je me garde bien de lui faire savoir pour ne pas prendre le risque de l’entendre se vanter pendant tout le reste de la soirée. « Je ne vis que pour toi Moriarty. » que je dis sur un ton ironique alors que j'imite de ma main les battements d’un cœur qui ne lui sont en rien destinés. « Ta gueule et sors. » Je le fusille du regard, comme à chaque fois qu’il me manque de respect et que j’ai envie de le baffer et pour lui faire comprendre que ses désirs ne sont pas des ordres, je reste assis sur le rebord de la fenêtre pendant un moment, lui bloquant tout accès. Les minutes passent avant que je ne finisse par m’extirper de l’arrière salle lorsque j’en ai assez de le faire poireauter.

« Laisse la fenêtre ouverte que je puisse entendre Jina. » Même si je suis pas certain que ce soit suffisant avec le bruit des bagnoles. « T'as du feu ? » Je roule des yeux, combien de fois devrais-je lui dire que contrairement à lui, je préfère dépenser mon argent dans des trucs utiles plutôt que dans de la merde comme des paquets de cigarettes. « J’ai le tien, celui que je garde parce que je te connais trop bien. » Ledit briquet que je mets dans la poche avant chacun de mes services parce que c’est toujours la même chanson avec lui, il finit toujours par poser la même question. Je sors le briquet que je lui lance dans la gueule sans prendre le temps de le prévenir avant de poser mes yeux sur le joint qu’il vient de coincer entre ses lèvres. « T’es irrécupérable. » Il l’est et je pourrais jamais le changer. J’attrape mon téléphone pour m’occuper les mains pendant qu’il occupe les siennes en allumant le cône dont je peux déjà sentir la fumée me remplir les narines. « Y'a quoi d'bon au programme ? » Je fronce les sourcils, relevant le nez dans sa direction. « La plonge à faire, le bar à nettoyer dans genre quarante minutes et je crois que c’est tout. » Mes lèvres s’étirent en un sourire plus que satisfait. S’il pense que je vais encore lui ouvrir les portes d’une soirée étudiante, il peut toujours courir. Je fais défiler les post Instagram jusqu’à apercevoir la notification d’un message d’une fille de ma promotion. Ses parents sont en voyage d’affaire et c’est sans surprise qu’elle veut profiter de leur absence pour fêter leur départ comme il se doit. Je clique sur l’adresse qu’elle vient de m'envoyer afin d'en rechercher l’itinéraire. Une demi-heure en voiture, c’est à peu près ce qu’il faut pour se rendre d’un point A à un point B quand on habite Brisbane. « Et moi, j’ai une soirée. » Je mens puisque je n’irai probablement pas même si Samuel est chez Bonnie ce qui signifie que j'ai le droit à un quartier libre. Une demi-heure, ça fait trop d’essence à gaspiller pour une soirée que je finirais sans doute par regretter.
 

« J'vais t'pousser en bas Sutton. » Qu'il essaye, qu'il tente de me pousser et c'est mon poing dans la gueule qu'il risque de se prendre, Seth. Je finis par descendre, non pas parce que je crains de le voir mettre ses menaces à exécutions, mais plus parce que le rebord de la fenêtre commence à me scier le cul. Il fait de même et je le regarde faire en croisant les doigts pour qu'il fasse un atterrissage sans encombre, parce que je le connais Seth et qu'il serait capable de se mettre en arrêt maladie pour une cheville foulée. Je suis d'ailleurs étonné qu'il n'est jamais sauté sur l'occasion pour feinter une entorse en mettant ça sur le compte d'un accident de travail. « Alors c'est vrai que tu vis que pour moi. » Je roule des yeux, tout est prétexte à l'exagération avec lui surtout quand c'est pour se prendre pour le roi du monde. Le centre de l'univers, le soleil de nos vies et tutti canti parce que c'est bien connu que le monde se doit de tourner autour de lui. Je lui balance le briquet en priant pour que la force gravitationnelle  se charge du reste et lui abime ce nez bien trop gros pour qu'il puisse voir plus loin que le bout de son pif. Raté, il le rattrape de justesse dans un geste guidé par un réflexe instinctif. La prochaine fois sera la bonne et le joint qu'il sort de sa poche me pousse à garder espoir car bientôt son esprit sera trop pollué par l'herbe qu'il est sur le point de fumer pour esquiver la moindre de mes attaques. « T'es trop sage. » Il confond sagesse et responsabilité. Être 'sage' c'est réservé aux gens qui obéissent au doigt et à l'œil ce qui n'est pas mon cas. Alors non, la sagesse ne me caractérise pas, j'ai simplement trop à perdre pour prendre le risque de tout foutre en l'air à cause d'un simple joint. Lui, en revanche, a tout à gagner. C'est ce qui est bien avec les gens qui sont au fond du gouffres : ils ne peuvent pas tomber plus bas. Et je l'envie, Seth. J'aimerais avoir la liberté de pouvoir en faire qu'à ma tête sans me préoccuper des conséquences que mes actes pourraient avoir sauf que c'est pas le cas et que si je flanche, c'est Samuel et ma mère qui en payeront le prix. Je plisse le nez lorsque la fumée de son bâton m'arrive jusqu'aux narines guettant le moindre passage pour être certain de ne pas se faire coincer par un habitué qui pourrait aisément tout répéter au patron.

« Toi ? » Qu'il me demande lorsque je fais la liste des choses qu'il lui reste à faire et de cette soirée qui n'attend plus que moi. J'ai pas le temps de riposter qu'il m'arrache le téléphone des mains, cet enfoiré. "Je te laisse deux secondes pour me rendre mon portable." Et je rigole pas, il joue avec mes nerfs et si y'a bien un truc qui m'exaspère c'est qu'on touche au seul objet qui renferme à peu près toute ma vie privée. « Spring Hills hen ? Elle est friqué ton amie ? » Plus friquée que lui, ça c'est sûr. En même temps, elle claque pas tout son fric dans de l'herbe et des boissons alcoolisées. Je me rapproche pour tenter de reprendre ce qui me revient de droit alors qu'il repousse ma main pour me donner son joint. "Seth, j'te le redemanderais pas." Cette fois-ci le ton est plus froid et mes mots ont tout l'air d'une véritable menace. "Cherche pas, elle est trop bien pour toi." Comme à peu près toutes les filles qui peuplent cette planète, je l'aime bien, Seth mais je sais aussi qu'il ferait le pire des petits-amis. « Fais pas ton coincé. » La pression sociale, c'est ce qui nous pousse à faire des conneries. Je coince le joint entre mes lèvres avant de tirer dessus. "Tu sais ce qu'il te répond le coincé ?" Va te faire foutre, voilà ce qu'il lui répond. Il sait comment me faire céder, Seth. Il a bien compris que j'étais pas du genre à me laisser rabaisser sans riposter. Il lui suffit de commencer sa phrase par un 't'es pas cap' ou de la terminer par un 't'as la trouille' pour que je me retrouve à faire le contraire de ce que ma conscience m'ordonne d'accomplir. Je profite d'un moment d'absence de sa part pour lui reprendre mon portable des mains et lui rendre son stick à l'arrière goût de culpabilité. «J'vais demander à Jina si ça lui gêne de fermer. » Mais bien sûr, tout prétexte est bon à prendre  pour ne pas avoir à faire la fermeture. "Laisse Jina en dehors de ça sauf si t'acceptes de lui filer ton salaire à la fin du mois ?" C'est pas sa boniche, elle a aussi une vie en dehors du boulot contrairement à lui qui ne vit que pour se mettre la tête à l'envers. En revanche, j'y vois pas d'inconvénients si ça permet à la brune de se faire un peu plus d'argent. Qu'il accepte, Seth, de lui filer une partie de sa paye et on pourra peut-être discuter plus sérieusement de cette fameuse soirée. « On a une soirée. » J'ai une soirée, on en aurait si nos deux corps étaient en fusion et que nous étions de putains de siamois. Or, c'est pas mon frère et  - Dieu, merci - son corps est bien dissocié du mien. "Tu peux venir à la soirée seulement si tu acceptes de laisser ta part de pourboire à Jina et que t'échanges une fermeture avec elle le mois prochain. " que je lui propose en étant plutôt satisfait du compromis que je viens de lui proposer. Ce serait tout benef pour celle qui se tue au boulot et ça m'éviterait d'avoir à me ramener seul à la soirée. Non pas que ça me dérange, mais je dois avouer que je préfère quand Seth est présent parce qu'il fait la conversation pour deux.

 « Sinon quoi ? » C'est qu'il me cherche en plus, Seth. Parce que c'est ce qu'il sait faire de mieux, pousser les gens à bout. Je me mords la joue intérieure pour ne pas avoir à lui rentrer dans le lard. Le rugby me manque, les placages aussi. Et si j'ai toujours su rester calme face à ses gamineries, je ne pense pas pouvoir m'y tenir ad vitam æternam. C'est pourquoi, il ne faudra pas qu'il vienne pleurer lorsqu'il se retrouvera avec le nez cassé et deux dents en moins, parce que je l'aurais prévenu cet enfoiré et plus d'une fois. Néanmoins, Seth me ferait presque de la peine, à lire les détails d'une soirée à laquelle il n'est même pas convié. Je l'observe loucher sur la photo de la fille de ma promo, une jeune étudiante qui aspire à devenir tout sauf la petite copine de ce dernier. Elle est trop bien pour lui, c'est que je tente de lui faire comprendre à Moriarty pour tuer la lueur d'espoir qui anime ses pupilles avant qu'elle ne se propage et qu'il finisse par en avoir le cœur brisé. « Tu dis ça parce que tu veux t'la faire ? » Tout de suite les grands mots, on a pas tous une bite à la place du cerveau. Elle ne m'intéresse pas et quand bien même ce serait le cas, Seth serait bien la dernière personne que je considérerais comme étant un concurrent à la hauteur. Il a peut-être le physique, mais comme citer un peu plus haut, y'a pratiquement rien dans sa cervelle de moineau si ce n'est la réplique d'un membre tout aussi petit que l'oisillon en question. Alors il peut bien s'en mettre plein les yeux avec la photo de la blonde parce qu’un c’est tout ce qu’il obtiendra d’elle de la soirée, un simple sourire figé à travers les années.

Je finis par lui rendre son joint en prenant soin d'essuyer mes doigts qui sentent la weed sur son t-shirt puis je fais de même avec l'écran de mon portable pour éponger la bave imaginaire de ce mec en chien. « Et j'fais comment pour vivre sans salaire ? » Il peut pas et c'est bien pour cette raison qu'il est forcé de rester ici avec Jina. Quelle tristesse, vraiment, ça me fait mal au cœur de devoir le laisser là. J'agite mon téléphone devant ses yeux lorsqu'il se met à sonner, une fois, puis deux et m'éloigne pour lire les nouveaux messages de l'hôte de la future soirée. Quelques échanges furtifs dont la liste des invités qui me donne envie de revenir sur mon offre. Il se trouve qu'il existe des gens bien plus cons que Seth et qu'en lui proposant de m'y accompagner ça me donnera une bonne excuse pour ne pas avoir à leur tenir la jambe. « C'est bon, c'est bon. » Qu'il finit par répondre lorsque je revois mes conditions à la baisse. Évidemment qu'il accepte surtout quand ça lui laisse la possibilité de s'acheter ses clopes, son alcool et de pouvoir tester ses techniques de drague à la con. « Va lui faire tes adieux qu'on puisse se tirer d'ici. » Je lui montre mon majeur en guise de réponse avant de disparaitre dans l'arrière-boutique pour aller prévenir Jina.


L'adresse laissée sur une serviette en papier, je finis par rejoindre ma caisse ainsi que l'idiot de service qui me sert de pote. "Tu me dois un plein d'essence." C'est le strict minimum, je devrais même pas avoir à lui demander vu toutes les fois où je l'ai trimballé aux quatre coins de Brisbane. Le problème avec Seth, c'est qu'il rend rarement la pareille pour ne pas dire jamais. C'est pas du tout le genre de type à dépenser de la thune pour les autres, par contre il s'attend souvent à ce qu'on le fasse pour lui. Je suis sûr que sa petite-sœur est moins dépensière et qu'elle passe pas son temps à gâcher sa vie comme il prend plaisir à le faire. Le poste de radio se met en marche lorsque je démarre la voiture. Je jette un dernier coup d'œil au bar dans lequel Jina se retrouve désormais seule avant de quitter l'impasse pour rejoindre l'avenue principale. "Je compte pas y rester des heures et par pitié, ne nous fait pas remarquer." J'ai une réputation à tenir et j'ai pas envie de voir mon prénom se transformer en 'le-pote-du-demeuré'. L'université, c'est déjà assez compliqué comme ça et la compétition est telle que je préfère encore qu'on me craigne plutôt qu'on me prenne en pitié.

"Sutton, t'en as mis du temps." Là voilà, la blonde de la photo, en chair et en os. C'est quoi son prénom déjà, Bettany, Brittany ? Ses yeux bleus se posent sur Moriarty, qu'elle reluque de la tête aux pieds en mordillant le rebord de son verre en plastique. "Il a un prénom, ton ami ?" Je lève les yeux au ciel, parce qu’elle n’est finalement pas plus intelligente que celles qui sont passées avant elle. "Ouais, il se nomme 'à-tes-risques-et-périls-" que je rétorque pour la mettre en garde. Je connais l'histoire, elle va se laisser tenter, il va jouer avec elle et puis c'est chez moi qu'elle va venir se plaindre alors que je serais trop occupé à suivre les cours pour avoir envie de la consoler. J'attrape le bras de mon 'ami' et m'engouffre dans un amas de jeunes étudiants en sueurs pour me rapprocher de la table à boissons. La musique est beaucoup trop forte, les gens beaucoup trop proches et puis putain qu'est-ce que ça sent le renfermé. "Tu veux boire quoi ?" que je gueule dans son oreille. Pour une fois que c'est pas moi qui paye, il peut bien consommer ce qu'il veut. "Pincez-moi, je crois rêver. Le major de promo qui lâchent ses livres pour nous faire grâce de sa présence." que scande le gosse de riche appuyé contre la table de ping-pong. "Et c'est qui ta copine ?" qu'il ajoute en direction de Seth avant de lui lancer la petite balle blanche en plein visage.
 

« J'dois payer pour l'essence que tu dépenses pour une soirée que tu comptais aller sans moi c'est ça ? M'prend pas pour un con. » « Exactement. Putain c’est fou à quel point tu peux être intelligent par moment, je suis fier de toi. » Je le regarde du coin de l’œil avant de reporter mon attention sur la route. Il a raison surtout la ligne : je le prends pour un con et il me doit un plein d’essence pour un trajet que j’aurais fait avec ou sans lui. Je vois pas pourquoi ça marcherait pour les transports en commun ou les gens qui font du covoiturage et pas pour moi. Un chauffeur de bus exerce toujours le même trajet, pourtant faut quand même payer le ticket et bien là, c’est pareil. « Ouais, ouais. » Je lève les yeux au ciel comme à chaque fois qu'il me donne l’impression de parler dans le vent ce qui arrive trop souvent en sa compagnie. Discuter avec Seth, c’est comme pisser dans un violon, les seules fois où il écoute réellement, c’est quand il peut tirer profit de la situation, là ça lui parle, pour le reste c’est une autre histoire. On finit par arriver et j’ai à peine le temps de sortir de la bagnole que Blondie accourt pour venir à notre rencontre. Je la soupçonne presque d’avoir fait le pied de grue devant l’entrée pour filtrer les allées et venues des voitures à la recherche de celle qui fait le plus de bruit et qui est considérée comme étant la plus cheap de la promotion, la mienne en l’occurrence. Je relève le menton de Seth quand je l’aperçois en train de lorgner sur le décolleté de celle qui ne le lâche pas des yeux. Elle n’en manque pas une pour demander son prénom et j’en fais autant pour lui faire comprendre qu’il vaudrait mieux pour nous deux qu’elle reste bien loin de lui. Seth n’est évidemment pas de cet avis et le fait bien comprendre en me foutant son coude dans les côtes, j’accuse le coup en serrant les dents avant de lui foutre une tarte sur le derrière de la tête. Enfoiré, s’il pense qu’il peut m’en foutre sans s’en prendre en retour, c’est raté. Je l’attrape par le bras et le tire à l’intérieur ne lui donnant pas le temps de protester. Des mecs, y’en a des tas sur le marché et j’espère que Blondie sera assez intelligente pour se laisser distraire par d’autres clients plutôt que par l’emmerdeur de service que je tire jusqu’au buffet. Je mise sur la boisson, si y’a bien quelque chose qui peut rivaliser avec la gente féminine, c’est l’argent, l’alcool et la bouffe. « File moi une bière. » Petit joueur, pourtant Dieu sait qu’il aime prendre des risques, mais visiblement pas lorsqu’il est question de boissons alcoolisées et pour une fois, ça me va parce qu’en restant sobre, il minimise les chances de foutre en l'air la soirée. Un type que j’aurais aimé ne pas croiser en présence de Seth vient surplomber la musique de sa voix rauque alors que je n’ai pas d’autre choix que celui de lui faire face. Le goulot de la bouteille sur le bord des lèvres, je lève un doigt pour lui montrer discrètement mon majeur. Ses propos ont l’air d’amuser mon pote chez qui je crois déceler un sourire, une mimique qui s’efface rapidement lorsqu’on le prend pour ma copine. Cette fois-ci, ce sont mes lèvres qui s'étirent en un sourire moqueur. Seth rattrape la balle de ping-pong avec une dextérité digne du petit voleur qu’il est. « Celui qui va t'foutre une raclée. » J’examine la scène sans rien dire à choisir entre l’enfoiré de la promo et mon enfoiré de pote, le choix est vite vu, c’est aux côtés de Moriarty que je me tiens. « T'as pas intérêt à nous faire perdre. » J’aurais tendance à lui dire que cette bataille ne concerne qu’eux, mais en réalité elle me concerne bien plus que lui. Ça fait un bail que je rêve de lui mettre la pâtée et ce soir, Seth me donne l’occasion de le faire en présence d’un grand nombre d’étudiants de l’université. Des tas de personnes, de témoins qui ne manqueront pas d’ébruiter sa défaite dans les couloirs de l'établissement. « Compte sur moi. » Ou pas, j’ai dû faire trois parties de beer pong dans ma vie, c’est à peine si je me souviens des règles. Je bois ma boisson d’une traite et me dirige vers la table. Dieu merci, Seth est trop pressé d’en finir pour me laisser commencer. « Si tu rates, tu rentres à pieds. »Il lance la balle blanche qui atterrit directement dans le gobelet rouge, c’est au tour de l’équipe adverse. « Si t'étais en couple, tu serais cocu. » Le bras droit de l’enfoiré de première attrape une balle qu’il lance tellement loin qu’elle ne touche même pas la table. Une belle brochette de loosers, voilà ce qu’ils sont. À croire que y’a pas que sur les bancs de l’université qu’ils servent à rien, j’attrape la balle et vise l’un des gobelets qui se trouve dans le camp d’en face. Si je perds, je suis bon pour en entendre parler pendant longtemps.

Let's play:

 

Je suis partagé entre l'envie de le voir rater son tir pour qu'il puisse nous faire perdre et de ce fait avoir à rentrer à pieds ou à l'inverse, le voir miser en plein dans la mille pour foutre la raclée du siècle à au petit prétentieux de l'équipe adverse. Finalement, je suis gagnant dans les deux cas et cette pensée m'arrache un sourire qui s'étend lorsque Seth lance la balle dans le gobelet. C'est qu'il est doué, le con. « Et si c'est toi qui rate hen ? » "Aucune chance" Non, aucune. C'est quoi le proverbe déjà ? 'Pour réussir, il faut d'abord y croire' ou un délire dans le genre et c'est bien ce que je compte faire. « J'ai cinq ans de pratique à l'Université. »Je lâche un rire. Ce qu'il peut-être drôle parfois, surtout quand il tente de se la jouer plus intelligent qu'il ne l'est, c'est dans ces moments là qu'il en devient hilarant. "Y'a une différence entre y suivre des cours et squatter les soirées étudiantes." Le mec d'en face lance la balle tellement loin que je fais mine de la chercher à l'autre bout de la pièce pour me foutre un peu plus de sa gueule. C'est à mon tour de montrer mes talents pour le lancer de beer pong, je remercie une fille qui me ramène la balle blanche et ferme un oeil pour viser l'un des gobelets rouges en priant tous les saints de cette foutue terre pour ne pas rater mon coup. "J'ai tout appris dans mes livres." que je lance en direction du gosse de riche tout en levant une main vers Seth pour lui faire un high five. Pas de doutes, on est doué pour s'en mettre plein la gueule mais on l'est encore plus pour faire taire les enfoirés. Son collègue attrape la balle et l'envoie pile dans le premier verre offrant une boisson de plus à Seth qui la descend sans grande difficulté. S'il est du genre à tenir l'alcool, je suis du genre à commencer à être bourré dès le quatrième verre.  
"Tu rentres à pieds." Il peut même courir derrière la bagnole si ça le chante, mais hors de question qu'il pose son cul sur le siège passager. Il suffisait d'un point, d'un seul lancer pour pouvoir gagner. Je montre mon majeur à l'équipe adverse qui ne casse pas sa joie en gueulant comme des porcs. « On dirait que vous faites pas bonne équipe. » Je me retourne vers cette voix que je ne connais que trop bien. J'étais tellement pris par le jeu que je ne l'ai même pas vu arriver, elle attrape une balle qu'elle lance sans grand effort dans le gobelet adverse. « J'arrive trop tard. » Je ne lui fais pas dire, on leur aurait mis la mine si elle avait joué à mes côtés au lieu de la merguez qui me sert de pote. "En même temps ce con était trop occupé à zieuter le décolleté de blondie pour pouvoir viser juste." Parce que c'est sa faute, si on a perdu même si j'ai moi aussi manqué un gobelet de peu. Je passe mon bras par dessus les épaules de Jina pour la serrer contre moi. "La fermeture s'est bien passée ?" Je regrette de ne pas être resté avec elle, ça m'aurait évité de me faire humilié devant une grande partie de l'université. "Faut pas pleurer les gonzesses, c'est pas votre faute si même votre pote sait mieux viser que vous. D'ailleurs c'est quoi son petit nom à votre copine ?" Il fait le tour de la table pour se rapprocher en détaillant Jina de long en large. "Ta gueule !" Je sais pas si c'est l'alcool ou l'année passée à devoir me le coltiner, mais plus il tire sur la corde et plus j'ai envie de lui montrer à quel point je sais viser. Il suffirait d'un rien pour que la soirée parte en couille et pour une fois, je suis pas certain d'arriver à me contrôler.