‌ Un long et lourd soupire s'échappe de ma bouche alors que je coupe le moteur de voiture, comme si dans un dernier moment d'hésitation, j'envisageais encore de renoncer. Ça n'a jamais été mon genre de chose, les enterrements...mais pour qui l'est-ce réellement après tout? Si certains voient ça comme une occasion de dire adieu à l'un de ces proches, moi je ne vois que ses âmes en peine qui le subissent de plein fouet, abattu par l'idée de savoir qu'ils ne croiseront plus jamais son regard ou apprécieront un simple sourire sur leur visage. Et je me souviens encore particulièrement de celui de mon père, survenu en ce début d'année, je n'oublierais jamais l'expression sur le visage de ma mère, qui semble avoir décidé de l'accompagner dans son dernier voyage ce jour là.

Les choses sont définitivement plus tragiques aujourd'hui. Si la maladie nous permet généralement de nous préparer au pire, il y a parfois des évènements bien plus atroces et inenvisageables qui viennent nous couper le souffle, nous plongeant durant quelques instants dans une sorte de déni à laquelle il est impossible d'échapper. C'est exactement ce qu'a dû ressentir Pearl après la disparition de Sean. Ils étaient jeunes, avaient la vie devant eux, et voilà qu'on avait réduit en cendres la possibilité qu'ils puissent vivre de nouveaux jours heureux. Et si je n'ai pas le cœur à subir de plein fouet sa détresse, c'est aussi et surtout la possibilité d'y retrouver Cade qui me maintient encore dans l'habitacle de la voiture. Plus d'un mois s'est écoulé depuis mon passage dans son appartement. Et si je parviens à rester impassible dans ce quotidien, que j'occupe par des journées de travail plus chargées et des moments avec Mathis que je privilégie pour oublier cet esprit torturé, la vérité est malheureusement tout autre lorsque je me retrouve seule, en proie à toute ces pensées. On m'a toujours dit que le temps se chargerait d'apaiser les mots, de les faire oublier, mais pour l'instant, cette douleur poignante ne s'est pas dissipée, et elle s'est soudainement éveillée à l'idée de revoir le doux visage de l'ancien agent. Serais-je seulement capable de l'affronter? Mon regard se perd un instant à l'extérieur de la voiture, remarquant quelques personnes qui se dirigent vers l'entrée du cimetière. La douce lumière du soleil me pousse à plisser les yeux, cherchant un dernier élan de courage au plus profond de moi pour ouvrir la portière.

Mon arrivée est discrète alors que la cérémonie semble avoir tout juste commencée. Dissimulée derrière un arbre, je perçois Pearl et le chagrin qu'elle tente d'étouffer derrière un mouchoir en papier. Ma gorge se noue, parvenant à deviner la douleur qu'elle doit ressentir face à cette perte. Et presque comme un besoin vital, mon regard se met à scruter les différents visages, à la rechercher du sien, que je ne retrouve pas parmi tous ces inconnus. Je me sens désarmée, et si mon enveloppe corporelle se fond parmi les autres, mon esprit lui, semble soudainement divaguer, laissant ce discours comme un son en arrière plan auquel je ne prête plus aucun intérêt. Il est peut être parti. Cette conversation téléphonique et l'issue fatale de notre histoire lui avait peut-être permit de pouvoir retrouver cette voie professionnelle qui le faisait vibrer, lui, à qui on semblait prêt à offrir une nouvelle opportunité. Si une partie de moi se réjouit de cette idée, parce que je ne connais que très bien son interêt pour sa vie professionnelle, l'autre souffle un vent de déception amer. Après plusieurs minutes, je me retrouve à rejoindre cette file qui m'offre la possibilité de présenter les condoléances. Mes bras viennent étreindre ce petit corps fragile, lui soufflant quelques mots qui ne suffiront jamais à effacer sa peine par dessus son épaule. Je la libère, veillant à lui transmettre tout mon soutien et le courage dans cette terrible épreuve. Et alors que ce moment chaotique semble toucher à sa fin et que je souhaite regagner ma place, je croise son regard quelques mètres plus loin.

Ce dernier me fige malgré moi, surprise et abasourdie, j'avance finalement, les jambes tremblantes, regagnant ma place initiale alors que mon palpitant semble prêt à me lâcher d'un moment à l'autre. Un mouvement de foule entraîne peu à peu les gens vers la sortie, y comprit Pearl, qui semble être bien entourée, et je suis incapable de m'y mêler comme si j'étais soudainement paralysée. Je m'efforce cependant à m'y soumettre, finalement arrêtée en remarquant la silhouette de Cade qui s'attarde près du caveau. Si je tente de garder à l'esprit cette souffrance que je nous ai imposé par cette rupture, et le respect que je lui dois en gardant mes distances, j'ai cette petite voix qui m'arrête dans mon élan. Je ferme les yeux douloureusement, subissant de plein fouet un besoin plus fort que les autres. C'est plus fort que moi, ça me dépasse, et je me maudis pour ça. Mon corps s'avance innocemment vers le sien, venant me glisser à ses côtés. Je n'ose pas croiser son regard, mais je devine déjà les douces notes de son parfum à travers cette légère brise de vent qui se mêle à la scène. Quelques secondes avant que je n'ose briser ce silence"Tu penses avoir toute la vie devant toi, et voilà qu'on te la ôte soudainement et injustement". Je ne voulais pas enfoncer le couteau alors qu'il venait de perdre l'un de ces plus chers amis, mais il était le seul avec qui je pouvais m'exprimer sur ce sujet, le seul avec qui je le voulais surtout.."Il tenait beaucoup à toi" Précisais-je finalement alors que mon regard se faufile jusqu'à ses traits, que j'étudie avec une précision certaine, comme si je les re-découvrais à nouveau. Ce n'était peut-être pas suffisant pour effacer sa peine, mais ca méritait d'être dit. Et comment pouvait-il en être autrement, finalement... 

‌ Devant le miroir, visage complètement fermé, Cade ajustait sa veste. Ce n’était pas du tout la tenue qu’il arborait quand Sean et lui se retrouvait dans un bar, en début de soirée, pour siroter un verre et plaisanter de tout et de rien jusqu’à tard. Mais c’était pourtant bien cette veste noire et austère qu’il avait enfilée pour aller lui rendre un dernier hommage ce jour-là. Quand Pearl l’avait appelé, la voix tremblante de sanglots, il avait immédiatement compris que quelque chose de grave s’était produit. Jamais il n’aurait pourtant imaginé que la route n’avait laissé aucune chance à un homme dans la force de l’âge, qui rêvait de fonder une famille et de vivre sa vie jusqu’à ne plus pouvoir se lever de son fauteuil. Sean était quelqu’un de bon, de droit, que rien ne semblait pouvoir atteindre et avec qui Cade avait partagé un petit bout de vie professionnelle et personnelle. « Non… Cade Grimes est casé ?! Nom de Dieu, faut que tu me présente l’heureuse élue, c’est un exemplaire rare ! » Il revoyait le sourire espiègle de celui qui était devenu son ami au fil du temps, qui l’avait charrié quand il lui avait annoncé que son couple avec Savannah était « officiel ». Ni Sean, ni Savannah n’était à ses côtés aujourd’hui…L’avenir se faisait bien funeste.

Depuis un bon mois, la solitude le frappait de plein fouet. Milena était partie en voyage d’affaires en Europe, ses frangins on ne savait où pourvu que ce n’était pas avec lui. Quant à Savannah, depuis qu’elle avait claqué la porte de chez lui en signant la rupture, Cade avait bien du mal à encaisser. Il sombrait malgré ses tentatives pour garder la tête haute car il était bien trop simple d’acheter une bouteille de whisky et de se laisser aller à quelques pensées négatives maintenant que personne n’était là pour l’en empêcher. Il pensait à elle, constamment. Il la revoyait lui dire qu’il n’était pas fait pour une vie bien rangée. Et ça le rongeait. Après tout, elle n’avait peut-être pas tort…  Et voilà que la mort de Sean venait en remettre une couche. Forcément attristé par cette disparition, l’ex agent fédéral avait posé sa journée pour apporter un soutien sans doute trop faible à Pearl et au petit bonhomme qui voyait en Sean, le père qu’il n’avait pas connu. La Chevrolet s’était garée non loin du cimetière. Cade s’était avancé et avait suivi le mouvement des gens qui se rendait vers le caveau. Il s’arrêta et quand la jeune femme, vêtue d’une robe noire et la mine cachée par un mouchoir humide, arriva près de lui, il la prit dans ses bras, doucement. Aucun mot ne sortit. Il n’y parvint pas. Son chagrin dépassait de loin tout ce qu’il avait pu ressentir jusqu’à présent et l’écrasait involontairement. Il déposa un baiser sur sa tempe, croisa son regard rouge et brumeux, et la laissa prendre place devant.

Grimes s’était épargné la cérémonie à l’église. Lui qui ne croyait à aucune force suprême ne pouvait supporter à la fois le cinéma d’un tel hommage religieux et la tristesse de la famille qui la subissait. Le dernier au revoir suffisait amplement. Le discours débuta. L’air grave, et perdu dans ses pensées, Cade était immobile, les yeux dans le vague. Il ne savait décidément pas ce qui le retenait de faire un sac et de se tirer loin d’ici… Pendant de longues, de très longues minutes, il s’imagina la tristesse des prochains jours de Pearl et de son fils, et égoïstement celle qui tiraillait son esprit aussi. Luttant pour balancer tout ça sans réellement y parvenir, vint le moment où il fallait dire Adieu à Sean. La famille proche passa la première, puis les amis, les collègues et les connaissances. Cade jeta un peu de terre sur le cercueil qui gisait tout au fond et il resta là quelques minutes. S’il n’avait pas dit un mot, il profitait de ce moment pour parler à son ami intérieurement.

C’est à ce moment que Savannah décide de se glisser à côté de lui, comme le dessin qui venait illustrer son état d’esprit. Il ne l’avait vu que tardivement pendant l’enterrement, et son cœur en avait fait un léger bond. Ce n’était ni le lieu ni le moment de revenir sur leur histoire, Grimes était prêt à rentrer chez lui sans même lui demander de ses nouvelles. "Tu penses avoir toute la vie devant toi, et voilà qu'on te la ôte soudainement et injustement" Redressant un peu la tête, ses yeux toujours rivés sur le caveau devant lui, il ne broncha pas. La regarder serait une torture de plus. Et commenter cette réplique lui semblait inutile, lui qui avait vu plus de cadavres dans sa vie qu'un simple civile. "Il tenait beaucoup à toi" ça aussi, c’était inutile. La mâchoire de Cade se serra instinctivement et il finit par tourner la tête. – Et toi ? Une question rhétorique qui avait l’odeur d’une pique parfaitement placée. Ça leur faisait un sacré point commun ! Il regarda le cercueil de nouveau. – C’est bien qu’tu sois venue. Pearl a besoin de soutien. Pearl et Savannah s’étaient tout de suite bien entendu et il devinait cette amitié assez sincère pour qu’il ne demeure pas la raison de la présence de la jolie blonde dans ce cimetière.

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Cette journée s'annonçait particulière. L'épreuve que traversait Pearl semblait surréaliste, alors que quelques mois plus tôt, nous nous trouvions autour d'une table, à éclater de rire face aux différentes anecdotes que chacun de nous acceptait de livrer, pour le plus grand bonheur des autres. Je m'étais surprise à être si attentive lorsque Sean acceptait de narrer quelques souvenirs qu'il partageait avec Cade et qui me donnait une image différente mais toute aussi flatteuse de l'ancien agent, comme si chaque petit détail qu'il pouvait m'offrir avait son importance. Et si je n'avais jusqu'alors jamais eu l'occasion de croiser l'entourage de ce cher Grimes, cet homme, qui dégageait quelque chose d'authentique et de bienveillant, cet homme généreux et sympathique, qu'il comptait parmi ses amis, m'avait livré la plus belle histoire. Les quelques confidences faites discrètement dans la cuisine lorsque j'avais aidé à débarrasser m'avaient conforté dans l'idée que notre couple était une chose rare et précieuse. Et aujourd'hui...Tout était différent. Sean n'était plus de ce monde pour me rappeler combien cet homme tenait à moi, et que c'était le plus important, et il n'y avait plus Cade pour m'apporter une dose de réconfort par la douceur de ces gestes. Si mon esprit divague durant la cérémonie, mon regard, lui, ne cesse de venir se poser sur les traits tirés de Pearl. Ma gorge se noue, à plusieurs reprises, devinant cette infime tristesse qu'elle affronte de plein fouet, et qui ne la quittera plus avant un long moment...

Retrouver le visage de Cade parmi la foule suscite un flot d'émotions en moi, que je dissimule parfaitement derrière cet effet de surprise, dont je me défais après quelques furtives secondes. Je regagne sagement ma place, en proie à de nombreuses pensées tandis que la cérémonie touche à sa fin. Et si je m'apprête à suivre le mouvement de foule qui se dirige vers la sortie, je distingue la silhouette de Cade face au caveau. Une courte hésitation avant que je ne cède à l'appel. Je ne suis pas particulièrement à l'aise, bien que mon attitude ne laisse rien paraître. Je lui évite les phrases de convenance et toute politesse pour une approche plus personnelle, le moment s'y prête clairement, malgré la morosité de la situation. J'ai besoin de savoir qu'il va bien, peut être égoïstement,pour tenter de me rassurer et effacer toute culpabilité en moi. C'est ce dont j'essaie de me convaincre en tout cas, alors que la véritable raison n'en est qu'évidente finalement. "Il tenait beaucoup à toi", cette phrase qui se veut réconfortante est capable de le mettre à terre, je le sais bien, mais j'avais besoin de le lui rappeler. Et s'il s’attèle à ignorer ma présence, ces quelques mots suffiront à recueillir ses iris émeraudes dans les miens.  "– Et toi ?" Le souffle coupé, mon regard qui soutient le sien, suffit à lui livrer une réponse inaudible alors que mes mâchoires se resserrent bien malgré moi. J'ai tellement envie de lui cracher tout cet amour qui pourrit au fond de moi, que je suis obligé d'étouffer et qui détruit mon quotidien par une souffrance constante ces derniers temps. J'ai envie de lui dire combien je tiens à lui, une fois de plus, pour qu'il n’assimile pas cette rupture à une forme de non réciprocité et une indifférence de ma part, mais je n'en ai pas le droit, et ça me dépasse, alors que je m'efforce à détourner le regard autour de moi pour contenir tous ces sentiments dont je ne sais que faire depuis que j'ai quitté son appartement. Je soupire doucement, discrètement, tâchant de me défaire de cette discussion, qui ne débouchera sur rien de bon.  "– C’est bien qu’tu sois venue. Pearl a besoin de soutien." Je ne suis pas convaincue par l'idée, bien qu'à première vue, elle m'a pourtant amené jusqu'ici. "Ca n'changera rien..." C'est ce dont je m'étais persuadée en tout cas. Je relève les épaules, subissant cette pensée. "Elle vient de perdre l'amour de sa vie, je doute que quelques étreintes suffisent à le lui faire oublier". C'était un tantinet pessimiste, mais tellement réaliste. Et cette simple phrase émet d'une certaine façon un message caché qu'il peut probablement saisir. Nous ne vivions définitivement pas les choses à la même échelle, mais les faits avaient quelques ressemblances non négligeables.

Mon regard se perd dans ce trou qui sera bientôt entièrement recouvert. C'est peut-être la raison pour laquelle l'entente avait immédiate entre elle et moi, Pearl avait un quotidien qui ressemblait étrangement au mien, avec un enfant qu'elle élevait, et dont Sean n'était pas le père. A la seule différence, c'est que eux, attendaient la même chose de la vie. Je me passe une main dans les cheveux, piétinant sur place pour dissimuler toute forme de malaise. "Je pense avoir oublié un foulard chez toi.." rappelais-je en fronçant les sourcils."Le noir et gris, il me semble qu'il trainait dans ton placard..." lui rappelais-je, espérant qu'il ne me déteste pas encore assez pour avoir jeter tout ce qui pouvait me concerner. "Si à l'occasion je pouvais le récupérer..." Cette approche sonne comme un point définitif à cette histoire, comme si je remuais le couteau dans la plaie en soulignant notre statut actuel, alors que finalement, il s'agit juste d'un espoir te pouvoir apprécier encore un court instant sa présence et combler ce manque béant qu'il a laissé par son absence à mes côtés.

‌ Les funérailles. Encore une manifestation dans laquelle Cade Grimes ne se sentait vraiment pas à son aide. Sans parler de l’aspect triste et rebutant de cet ultime au revoir à un proche, l’ex agent fédéral n’était pas du genre à trouver les mots justes et à faire plus qu’être présent silencieusement. Même lors de son étreinte avec Pearl, il ne s’était pas trouvé convaincant du tout. Les quelques chuchotements qu’il avait glissé à son oreille n’avaient été que de simples phrases bateau qui, même si elles avaient le mérite d’être dites, n’auraient pas un impact ahurissant sur le moral de la jeune veuve. Qu’est ce qui pouvait la soulager de toute façon ? Elle vivait certainement une des heures les plus sombres de sa vie en ayant perdu celui qu’elle chérissait. A moindre échelle, Cade connaissait cette souffrance actuellement. Lui qui avait osé laisser un peu de place aux sentiments et qui s’était attaché à Savannah d’une façon qui l’avait dépassé lui-même, prenait leur rupture récente en pleine tronche. Et bordel c’était pas du tout réjouissant ! Au regard de ce qu’il avait ressentit lorsque Joan avait disparu de la circulation malgré une enivrante relation, c’était trouble autour de lui et il ne se sentait l’humeur de rien. Il tombait dans un fossé, un trou béant, une amertume qui tenait fermement la main à une déception grandissante et qui s’approchait d’une colère fulminante. Et le voilà… devant ce cercueil qui descendrait lui aussi dans un trou pour l’éternité, emmenant la dépouille d’un homme bon et juste que cette putain de vie n’avait pas épargné !

Immobile et à présent presque seul devant le caveau, Cade se demandait encore comment cela avait pu arriver. Comment tout ça… avait pu arriver. Il rejoindrait certainement les autres convives chez Pearl pour partager un café et quelques gâteaux que la famille aura confectionnés mais il n’y resterait pas bien longtemps. Le chagrin environnant ne serait pas d’une grande aide à son état. Il préférerait revenir voir Pearl et son fils une autre fois pour lui montrer qu’il était là et qu’il le serait toujours malgré le décès de Sean. "Il tenait beaucoup à toi" Cette voix lui procura à la fois du réconfort et du mépris. Savannah connaissait bien Pearl et il était légitime qu’elle soit là aujourd’hui. Cependant, ces mots n’étaient pas bien placés et le ramena immédiatement à leur situation. – Et toi ? Il l’avait apprit et il avait usé de ça aussi.. quand on apprécie beaucoup quelqu’un, ça ne veut certainement pas dire qu’on ne va pas l’abandonner un de ces jours ! Quelques pétales de roses qui n’avaient pas trouvé le chemin du caveau autour de celui-ci tremblaient avec le souffle du vent. Cade revint à ce qui les amenait là, Savannah et lui. – C’est bien qu’tu sois venue. Pearl a besoin de soutien. Sa rancœur ne devait pas empiéter sur les funérailles de Sean. C’était le moment de lui dire Adieu et non de le rendre témoin de leur règlement de compte. "Ca n'changera rien..." Bien sûr que non. Mais c’était les formalités…Sans elles, quelle serait la raison de la présence de Savannah ici ?! "Elle vient de perdre l'amour de sa vie, je doute que quelques étreintes suffisent à le lui faire oublier" Cade capta le double sens de cette phrase et il risqua un coup d’œil sur la jolie blonde, mâchoire serrée, avant de regarder cette pierre qui avait été érigé et sur laquelle le prénom et le nom de son ami avaient été gravés. -  Ouais… Murmura t-il comme pour lui-même. La seule et grande différence entre les deux femmes, c’était que Pearl n’avait pas choisi de souffrir.

Grimes resta encore quelques instants là, immobile, mettant ces quelques minutes sur le compte temps des rares visites qu’il ferait sur cette tombe. Venir parler aux morts ne faisait pas partie de ses sorties préférées. Il pensait tourner les talons quand Savannah reprit. "Je pense avoir oublié un foulard chez toi.." Il se tourna vers elle, n’en croyant déjà pas ses oreilles. "Le noir et gris, il me semble qu'il trainait dans ton placard..." En fronçant les sourcils, il réalisait la maladresse de cette demande. Ce n’était pas le lieu, ni même le moment. Ses yeux plantés sur elle devaient lui exprimer cette incompréhension. "Si à l'occasion je pouvais le récupérer..." Soit elle tenait réellement à cet accessoire et ne voulait pas prendre le risque qu’il soit jeté aux ordures sous la colère, soit c’était là un prétexte pour ne pas le laisser filer sans remettre leur relation sur le tapis. Cade esquissa son premier sourire de la journée et laissa même échapper un léger rire jaune qui s’estompa rapidement après quelques mots. -  T’es sérieuse ? Tu as… gentiment attendu ce moment pour me demander ça ? En haussant les sourcils, il n’attendait pas vraiment de réponse. Peut-être bien que ce foulard se trouvait chez lui, il ne savait trop où, et peut-être bien aussi que Savannah n’avait pas encore effacer son numéro de téléphone pour attendre de le croiser dans un cimetière. Bref, il ne comptait pas se creuser la tête pour se rappeler où elle avait rangé ses affaires. – Passes quand tu veux, j’compte pas faire de tri dans les jours à venir ! Sur ces mots, Cade se retourna dans l’idée de passer la grille du cimetière. Il défit un bouton du col de sa chemise, n’y tenant plus d’être ainsi prit en otage par un costume de convenance. Après quelques pas, il leva la tête en ralentissant. C’était fou comme tout son intérieur ne résistait pas et continuait de s’accrocher. Il s’arrêta et se tourna de nouveau vers Savannah. – J’te raccompagne ? Jusqu’à la sortie ? Jusqu’à chez elle ? Ou bien chez Pearl ? Il n’en savait rien mais c’était encore ce foutu cœur qui avait prit le dessus. Quelque peu las, il venait de lutter contre cette rancune qui le malmenait et il était bien conscient du mal que ça allait lui flanquer.

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Je me fonds dans la foule, noyée par des pensées existentielles alors que la peine s’abat sur sur chacun d'entre nous. Ma capacité à savoir relativiser n'est plus, observer la silhouette frêle de la jeune veuve me torture le palpitant, me rappelant que nous ne sommes que de simples passagers sur cette terre, et que notre destin ne nous appartient pas toujours. Je tente de me protéger en m'attribuant cette place en arrière plan, comme si cette dernière me permettrait de ne pas subir d'avantage, en vain. La douce lumière du soleil ne suffit pas à rendre cette atmosphère moins morose, le chant des oiseaux ne résonne pas comme une douce mélodie alors que quelques hommages sont rendus. Ce n'est que lorsque mon regard croisera les traits de son visage que la réalité me rattrapera. Il est là. Et ce fait déclenche un amas d'émotions si contradictoires les unes des autres que je peine à m'en défaire. C'était pourtant prévisible, mais cela n'aura pas suffit à anticiper cette agitation en moi. Cet esprit tourmenté par la douleur, subissant la scène est finalement stimulé par sa simple présence. Il m'est difficile de me concentrer sur le reste, parce qu'égoïstement, ce sont mes propres intérêts qui surplombent ceux des autres.

Mon regard perdu sur le sol, je perçois ce mouvement de foule, qui se dirige probablement vers la sortie du cimetière. Je l'observe, et mon regard a le malheur de se poser sur la silhouette de l'ancien agent, qui s'accorde un moment solennel et plus intimiste face à la dépouille de son vieil ami. La gorge nouée par cette vision, je tente d'emboîter le pas, alors que mon corps fait et mon esprit font preuve d'une résistance sans nom. Tout me pousse à le rejoindre, et cet appel me surpasse assez pour que j'en oublie mes intentions premières. Ca m'est bien égal pour le coup de faire ce qui est le mieux, je ne fais qu'écouter cette envie qui prédomine les autres. Me retrouver à ses côtés fait naître un sentiment assez étrange en moi. Son absence à mes côtés ces dernières semaines aura suffit à dissiper cette habitude, éveillant soudainement chacun de mes sens comme si c'était quelque chose de nouveau. Je brise le silence, tâchant de lui apporter un réconfort qu'il n'attend probablement pas de moi, surtout pas de moi! Et c'est un retour de bâton que je subis de plein fouet et qui suffit à me rendre silencieuse. Comme si tout ça n'était pas assez douloureux, il fallait qu'il me rappelle combien je pouvais être insensée des fois. Mesurait-il cependant à quel point la situation pouvait être tout aussi douloureuse de mon côté? Cette rupture ne relevait pas d'un manque d'attachement, bien au contraire, et c'est d'ailleurs l'une des raisons qui m'avait poussé à prendre cette décision radicale... "Elle vient de perdre l'amour de sa vie, je doute que quelques étreintes suffisent à le lui faire oublier" Derrière ces mots, un besoin de lui exprimer un ressenti éprouvé également de mon côté, malgré un contexte bien plus différent que ce que pouvait endurer Pearl. Mon regard parvient à capter le sien, permettant de donner l'importance nécessaire à cette simple allusion qu'il est en mesure de capter plus que n'importe qui. Il détourne finalement, peu enclin à baisser la garde.  "-  Ouais… " Je me mordille intérieurement la lèvre, le scrutant du coin de l’œil en subissant de plein fouet ce que j'avais moi-même provoqué. Il était loin. Hors d'atteinte. Il n'y avait plus ce nous, plus l'ombre d'un souvenir commun pour nous rapprocher, pas même l'alliance face à la perte d'une personne de notre entourage. Mon regard suit le sien, se perdant sur cette pierre tombale récemment gravée. Quelques secondes avant qu'il ne cherche à mettre fin à la seule chose qui semble encore nous rapprocher, la distance physique de nos deux corps perdus dans ce cimetière.

J'étais parvenue à résister jusqu'ici, à contrer toutes ces envies de vouloir l'appeler, ou de débarquer chez lui parce que c'était plus fort que moi, et voilà que ce moment de faiblesse allait m'être fatal. "Je pense avoir oublié un foulard chez toi.." J'ai le coeur qui bat la chamade alors que mon corps pivote pour affronter le sien, dans l'espoir que ces quelques mots parviennent encore à attirer son attention. Cet air perplexe qui s'installe sur son visage suffit à réaliser le ridicule de cette approche. "Si à l'occasion je pouvais le récupérer..." L'excuse était pourtant réelle, ce n'était pourtant pas ce bout de tissus qui voulait me pousser à vouloir emprunter le chemin jusqu'à chez lui. Le rire qu'il laisse échapper me tord les tripes, ne faisant qu'enfoncer d'avantage ce pieu enfoncé dans ma poitrine depuis bien trop longtemps. "-  T’es sérieuse ? Tu as… gentiment attendu ce moment pour me demander ça ?" J'encaisse, ne trouvant même pas la force de trouver une parade pour le contrer cette fois-ci. J'imagine que l'on peut appeler ça le karma. Je me sens stupide, vulnérable, coupable, et toutes ces émotions émergées me pousseront à détourner le regard pour ne pas supporter le sien, presque moqueur.  "– Passes quand tu veux, j’compte pas faire de tri dans les jours à venir !" Je pense que ma fierté se passera bien d'une visite chez lui finalement, contrainte de me faire à l'idée que ce bout de tissu ne me le ramènera pas. Je me tourne vers le caveau, abattue par ce simple échange qui n'aura fait qu'appuyer sur la plaie encore bien trop ouverte. Le mépris que j'éprouve à mon égard est considérable, à la hauteur de tout ce que je gâche quotidiennement, mais que je mérite. "– J’te raccompagne ?" La voix de Cade me surprend, autant par son retour que par son invitation elle-même. Je croise son regard, comme si je voulais m'assurer qu'il s'agisse bien d'une intention sincère, et qui ne découle pas d'une pitié soudaine pour ma propre personne. Je hoche doucement de la tête, n'ayant pas la moindre idée de ce que cela peut signifier, mais parvenant à oublier un instant pour me satisfaire de le savoir à mes côtés pour encore un quelques minutes.

‌ Ce n’était vraiment pas le moment ni même l’endroit pour régler ses comptes, ou du moins, pour avoir une conversation qui reprendrait les déboires d’un couple qui n’en était plus un. Face à ce caveau encore ouvert, Cade se permettait quelques minutes de réflexion où, égoïstement, il faisait le point sur sa propre vie. C’était tout juste s’il ne pensait pas que Sean avait bien plus de choses à vivre que lui. Il avait réussi à tout combiner, sa vie professionnelle avec sa vie personnelle et son avenir lui promettait de belles choses sur tous ces plans. Grimes ne pouvait pas en dire autant. Ce néant qui régissait son quotidien désormais l’affectait beaucoup, quoi qu’il en dise. Et ce n’était pas la présence de Savannah qui allait le consoler car comme le décor très représentatif de cette rencontre au cimetière, et bien que ce visage agréablement familier lui soulevait le cœur, il se doutait que leurs échanges n’allaient pas être des plus joyeux. La dernière fois qu’ils s’étaient vus, la jolie blonde lui faisait comprendre que tout était terminé. Qu’allait-elle bien pouvoir lui balancer en arrivant près de lui ? Quelques mots de soutien ? Ils étaient inutiles. Mais l’ex agent fédéral en profita tout de même pour lui envoyer un pique en référence à ses propres sentiments pour lui. C’était ça, de toute façon ! En venant papoter, il ne pouvait pas en être autrement que de remettre un peu de ce qui s’était passé sur le tapis ? Ou bien croyait-elle qu’il allait lui répondre comme si rien n’avait eu lieu ? Comme s’ils reprendraient tout à zéro et qu’avouer son attachement pour elle n’avait rien signifié ?

C’était pire. Cette excuse qu’elle trouva pour poursuivre la conversation était pire que lui adresser quelques bons mots pour son moral. "Si à l'occasion je pouvais le récupérer..." Un foulard ? Sérieusement ? Qu’en était-il des sentiments qu’elle avait fait naitre en lui de semaine en semaine, de mois en mois ? Voulait-elle aussi les reprendre ? N’en revenant pas, Cade ne pu retenir un rire jaune. -  T’es sérieuse ? Tu as… gentiment attendu ce moment pour me demander ça ? Reprenant son sérieux, il se dit que Sean, dans sa boite éternelle, ne devait pas être le témoin d’une dispute de ce genre. – Passes quand tu veux, j’compte pas faire de tri dans les jours à venir ! Il aurait clairement préféré qu’elle se montre sincère. Ou bien qu’elle ne prononce aucun mot. Grimes tourna les talons pour rejoindre la sortie du cimetière, que les invités avaient déjà tous franchis pour se disperser et encaisser l’enterrement chacun comme il le pouvait. Que ferait-il lui ? Il irait sûrement boire un bon verre en se rabâchant que le destin était un pourri. Cependant… il eut à peine fait quelques mètres que ses pas ralentirent. Cette réalité qui était au fond lui dictait qu’il avait besoin de Savannah pour faire face. S’ils avaient été encore ensemble aujourd’hui, il l’aurait probablement serré fortement dans ses bras en fermant les yeux. Tout aurait été…plus simple. – J’te raccompagne ? Il s’était tourné vers elle et il avait rencontré son regard bleu qui dénotait parfaitement avec la monotonie grise et triste du paysage. Il avait sorti ses clés de voiture et les tripotait presque nerveusement pour lui indiquer qu’il était en voiture et qu’elle déciderait de l’endroit où elle voulait être raccompagnée.

Une fois que Savannah fut arrivée à sa hauteur, il marcha à ses côtés. L’allée surplombait des dizaines et pierre tombales, toutes espacées de façon à ce que les pauvres gens puissent bénéficier d’une intimité lors d’une visite à leurs morts. Le début fut silencieux. Presque tendu. Et finalement, regardant droit devant lui, Cade ouvrit la bouche. – Si Mathis n’est pas là cette semaine, j’peux passer te rendre tes affaires.. Reprendre cette discussion qu’il avait trouvé ridicule dans un premier temps n’était qu’une excuse pour entamer la conversation et ne pas passer tout le chemin du retour dans un silence de mort. Une fois sortis du cimetière, il comptait bien laisser ce thème derrière lui. Son regard vert trouva le chemin du sol. – Comment il va ?...Mathis ? Avant la rupture, le petit bonhomme et lui avaient passés du temps ensemble. Et mine de rien, glandouiller devant un Tex Avery en mangeant des petits gâteaux, ça rapproche. Cade se questionnait bien évidemment sur la façon dont il réagissait à cette absence soudaine.

Ils franchirent la porte grillagée du cimetière. – Ca ne te ressemble pas de parler aux morts Cade ! L’ex agent fédéral aurait pu reconnaitre cette voix entre milles. Il tourna la tête et aperçu Papa Grimes, les bras et les jambes croisés, le dos appuyé sur une portière de la Chevrolet noire. Instinctivement, tout se braqua en lui. Sa mâchoire se serra, un nœud se forma dramatiquement dans sa gorge. Merde…il ne manquait plus que ça. Son père s’approcha et le prit dans ses bras comme si ces retrouvailles étaient placées sous le signe de la réjouissance. Il n’en était évidemment rien ! – Mon fils ! Cade resta immobile, oubliant presque que Savannah était là. – Tu es bien trop élégant pour les funérailles d’un collègue de travail ! J’espère que tu me fera tout autant honneur quand ce sera mon tour. Tout n’était qu’ironie. Tout, même dans son regard qui le balayait de haut en bas. – Et c’est pour quand au juste.. ? Si, il avait osé. Cade et son paternel n’arrêtait pas de se chercher sur un fond de rivalité qui n’épargnait personne. Papa Grimes eut un rire avant de poser ses yeux sur Savannah. Il lui tendit la main. – Peter Grimes. Vous êtes… la énième conquête de Cade je présume ?

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Croisant son regard, j'ai cet étrange sentiment qui parcours mon corps tout entier. Comment en étions-nous arrivés là? Cette histoire, sur laquelle aucun de nous n'avait osé parier depuis nos retrouvailles, nous avait littéralement submergé, et si elle était loin de s'apparenter à un joli conte de fée, nous ne pouvions nier la véracité de celle-ci. Elle avait été forte, enivrante, dépassant toutes les règles, tous les aprioris que nous avions. Et même face à ce caveau, ce déferlement de sentiments persiste. Cette rupture, aussi effective que déchirante, n'aura pas suffit à laisser place à l'indifférence. Je ressens cette rancune sans nom qu'il retient de ne pas me cracher au visage, et si cette dernière devrait me remettre dans le chemin de la raison, celui qui va à l'opposé du sien, je subis une envie bien plus profonde, un besoin que j'avais réussi à canaliser à de nombreuses reprises en observant l'écran de mon téléphone, mais qui, à cet instant précis s'empare de moi, se souciant bien des conséquences. La distance que l’ancien agent semble vouloir imposer ne parvient pas à m'arrêter, et c'est avec le prétexte le plus cliché que je tente une nouvelle approche. Sa réaction suffit cependant par me couper le souffle, incapable de rétorquer quoique ce soit.

Sa voix qui se fait entendre à nouveau me surprend presque, alors que j'ai besoin de croiser son regard pour m'assurer que ces mots me sont bien destinés. Serait-ce l'ombre d'un remord pour ce comportement peu réceptif qu'il arbore depuis plusieurs secondes, ou simplement un besoin qui le surpasse lui aussi? Derrière cette colère, reste t-il seulement des souvenirs auxquels il s'attache? " – J’te raccompagne ? "Mes mains qui effleurent fragilement mes coudes se relâchent finalement, alors que je me glisse à ses côtés, prête à rejoindre les abords du cimetière. Le silence prévisible qui s'installe me donne l'occasion de me torturer l'esprit, tenter de deviner la finalité de cet échange. Mes yeux, qui machinalement observent les différentes pierres tombales me rappellent furtivement ce moment éprouvant que j'avais vécu à ses côtés. J'étais en réelle souffrance quelques mois plus tôt, mais lui se tenait à mes côtés. Aujourd'hui, plus rien n'est pareil. "– Si Mathis n’est pas là cette semaine, j’peux passer te rendre tes affaires.." Je pose mon regard sur son visage, tâchant de déceler à travers cette proposition son intention première. Cherche t-il à provoquer une nouvelle rencontre, comme si la possibilité de ne plus me revoir semblait soudainement le prendre de cours à son tour, ou cherche t-il à mettre un point final par une scène qui n'en sera que plus déchirante? "Ouais, pourquoi pas..." lâchais-je comme s'il s'agissait là d'une banalité comme une autre, me raccrochant surtout à la première idée. "– Comment il va ?...Mathis ?" Mon regard cherche une fois de plus le sien, en vain. Et si la réponse semble vouloir s'échapper de mes lèvres avec une certaine spontanéité, je me questionne sur la vérité qu'il souhaite avant tout recevoir. Je prends une brève inspiration après une légère réflexion. "Il va bien" Jusque là, tout était plutôt véridique. "Il me demande ce qu'il peut manger chaque fois que j'ai le malheur d'allumer la télé désormais". Une petite anecdote face à cette habitude qu'ils avaient prit ensemble et qui parvient malgré tout à étirer légèrement mes lèvres. Si la communication n'était pas quelque chose de si naturel entre Cade et Mathis, ils avaient réussi à l'approfondir à travers des moments qui n’appartenaient qu'à eux. Mes lèvres se pincent, cherchant à retenir ces mots qui me brûlent les lèvres pourtant. "Tu lui manques beaucoup" Si le garçonnet ne l'exprimait pas clairement de cette façon, le nombre de fois où il me demandait le passage de Cade à la maison se chargeait de le faire. Si j'avais pensé que ce lien qui les unissait n'était encore qu'à ses prémisses, j'avais clairement sous-estimé les dommages collatéraux que cette rupture allaient engendrer. Mon regard se force à se perdre loin devant, retenant ce besoin de lui exprimer que ce manque, je le vivais bien trop souvent, et bien plus fort qu'il ne pouvait l'imaginer.

Passer la grille du cimetière me ramène à une réalité. Celle dans laquelle Sean ne fera plus partie, et celle qui me reprendra finalement cet homme à mes côtés. "– Ca ne te ressemble pas de parler aux morts Cade !" J'observe cet homme, tâchant de dissimuler cet air perplexe sur mon visage. L'étreinte qui se déroule sous mes yeux semble cependant me surprendre. Ce genre de témoignages affectifs, Cade n'y est pas un grand habitué.!"– Mon fils !" Oh. Intentionnellement, je tente de m'effacer face à des retrouvailles que je redoute, mais sûrement moins que le jeune homme. "– Tu es bien trop élégant pour les funérailles d’un collègue de travail ! J’espère que tu me fera tout autant honneur quand ce sera mon tour." Mon regard guette son visage, cherchant la moindre faille à une attitude qu'il ne sera contenir. "– Et c’est pour quand au juste.. ? " Cette ironie naturelle entre eux n'en est que plus malaisante, surtout lorsqu'on connaît la complexité de leur relation. Ce père connaissait-il seulement la haine qu'il avait éprouvé si souvent à son égard? Ce regard, qui semble avoir quelque chose de semblable à celui de ce cher Grimes se pose finalement sur moi. "– Peter Grimes. Vous êtes… la énième conquête de Cade je présume ?"Mon visage semble se crisper alors que j'observe cette main, à laquelle je semble vouloir échapper. "J'suis juste...Savannah" Le terme conquête n'étant clairement plus à l'ordre du jour depuis bien longtemps. Un léger sourire de convenance alors que je m'affaire à vouloir échapper à cette pression qui exerce sur ma main. "Je...Je f'rais peut-être mieux de vous laisser " suggérais-je en me tournant vers Cade. Il n'avait probablement pas envie de me mêler à ses histoires de famille, surtout maintenant que je n'y avais plus ma place. Pour autant, j'ai cette petite voix qui me pousse à m'assurer que mon départ agira bien comme un soulagement et qu'il le souhaite, comme si cette simple donnée pouvait me pousser à revenir sur ma décision. Mon regard soutient le sien, à la recherche d'un simple signe pour m'indiquer le contraire. "Restez donc avec nous Joanna, il y a finalement peu de chance qu'il daigne vous rappeler un de ces jours. Faites donc durer le plaisir". Je ne prends pas la peine de me tourner vers cet homme qui n'a même trouver nécessaire de se souvenir de mon prénom, je suis bien trop figée sur la réaction de Cade qui semble soudainement plus tendu. Un manque d'attention ou de réponse qui poussera ce cher Peter à laisser échapper un rire ironique à lui même. "Je l'ai toujours dis à ta mère...Si seulement tu pouvais réussir dans vie autant qu'auprès des femmes.." Je le perds, je le sens, et instinctivement je tente de canaliser sa colère en hochant négativement de la tête.

‌ Peut-être que retourner directement à son appartement lui aurait permit de passer à autre chose rapidement ? De laisser cette triste journée derrière lui et de faire semblant que tout allait bien ? Mais en croisant le regard de Savannah, et même si leur échange avait été bref et distant, quelque chose en lui le retenait à elle. Et il savait ce que c’était…cette chose. Rien de plus original que les sentiments qu’il éprouvait pour elle et qui arrivait à mettre K.O. ce petit démon au-dessus de son épaule. Celui-là même qui, très étroitement amouraché d’une fierté non dissimulée, lui hurlait de la laisser sans même se retourner. Son attachement pour la jolie blonde avait raison de lui et de sa rancune et Grimes lui proposa de la raccompagner pour profiter de quelques minutes où le passé, récent et réconfortant, pourrait peut-être effacer le chagrin environnant. Peut-être… car Savannah n’était pas bavarde et leur conversation tournait encore autour d’une séparation bien plus concrète, à défaut de trouver un autre sujet. "Ouais, pourquoi pas..." Il pu discerner qu’elle n’était pas enthousiaste à l’idée qu’il passe lui rendre ses affaires. Pas de date précise, pas de créneau défini, ce n’était là qu’un prétexte pour parler.

– Comment il va ?...Mathis ? Bien que Cade ne se sentait ni père, ni beau-père, il s’était rapproché de ce gamin. Et son bien être comptait tout autant que celui de Savannah désormais. Les soirées qu’ils avaient passés ensemble étaient inédites, mais vécues avec un réel plaisir, de semaine en semaine. "Il va bien" Cade n’osait la regarder, de crainte que, là encore, la réponse ne serve qu’à alimenter la conversation. Ses yeux se dirigèrent sur le sol. La terre qui dessinait le chemin vers la sortie du cimetière était jonché de cailloux blancs, présents parfois devant les pierres tombales. "Il me demande ce qu'il peut manger chaque fois que j'ai le malheur d'allumer la télé désormais" Cette anecdote était la bienvenue. Et elle tira un sourire discret à Cade. Pizza commandée à la dernière minute, chips aux poulet ou au bacon, sandwichs aux multiples étages…Grimes avait démontré au petit bonhomme qu’avec de la malbouffe, les instants devant la télévision étaient bien plus divertissants. Ce qui avait probablement causé du tord aux bonnes habitudes que sa maman essayait de lui inculquer… "Tu lui manques beaucoup" Etait-ce seulement vrai ? Parlait-elle encore de Mathis ? Il redressa la tête et regarda devant lui sans vraiment porter attention au grillage qui marquait la frontière avec l’extérieur. L’amertume le consumait après cette phrase car il ignorait encore pourquoi ils en étaient arrivés là…

– Mon fils ! La voix de Papa Grimes lui glaça l’intérieur, jusqu’aux os. Ce timbre aussi franc qu’ironique, aussi détestable que moqueur, il aurait pu le reconnaitre entre mille. Certainement le nombre de fois où il s’était refait dans sa tête les maintes disputes qu’ils avaient essuyés. L’étreinte fut tout aussi froide malgré le ton enchanté du paternel. – Tu es bien trop élégant pour les funérailles d’un collègue de travail ! J’espère que tu me fera tout autant honneur quand ce sera mon tour. La mort était une chose atroce, ils avaient pu en avoir une autre preuve ce jour là avec l’enterrement de Sean. Mais Cade ne se mettait aucune censure quand il s’agissait d’évoquer celle de son propre père. Tout en lui s’était recroquevillé, un mur infranchissable s’était dressé instantanément. Il était prêt à lancer l’assaut s’il le fallait. – Peter Grimes. Vous êtes… la énième conquête de Cade je présume ? L’ex agent fédéral avait presque oublié que Savannah se trouvait près de lui. Sans doute aurait-elle finalement mieux fait de refuser sa compagnie…Et le simple fait que son père s’adresse à elle ne lui disait rien de bon. Il aurait nettement préféré lui épargner ça. "J'suis juste...Savannah" Peut -importe ce qu’elle pouvait répondre, Peter Grimes n’était pas du genre à faire dans la dentelle et il ne laisserait rien passer. "Je...Je f'rais peut-être mieux de vous laisser " Il croise enfin le regard de Savannah et répond sans attendre. – Restes. On a terminé. C’était ce qu’il souhaitait…Se barrer le plus vite possible et ne plus rencontré la route de son père jusqu’à ce qu’il remette son cul dans l’avion pour New York. Ses yeux verts s’étaient d’ailleurs reposé sur le patriarche avec insistance. Garder Savannah près de lui était risqué, mais c’était la présence la plus rassurante qu’il pouvait avoir à ce moment précis.

"Restez donc avec nous Joanna, il y a finalement peu de chance qu'il daigne vous rappeler un de ces jours. Faites donc durer le plaisir" Quel ordure ! Son cinéma commencçait. Et il n’était pas prêt de s’arrêter. Cade serre les dents pour se retenir de lui en coller une tout de suite. L’envie y était réellement depuis qu’il avait oser s’adresse à Savannah. "Je l'ai toujours dis à ta mère...Si seulement tu pouvais réussir dans vie autant qu'auprès des femmes.." S’en était déjà trop. Malgré la véracité d’une partie de ses propos, Cade s’approcha dangereusement, jusqu’à ce que son visage soit tout près de celui de son père. On pouvait alors facilement discerner cet air de famille dans les traits des deux hommes. – Ca nous fait un point commun… attends non ! J'me souviens pas avoir mis d’autres femmes que la mienne en cloque ! Il le défiait du regard. – Boucles la tout de suite, parce que j’suis pas d’humeur à discuter. Cet affront tira un large sourire à Peter pendant que Cade s’éloignait de quelques pas en espérant que Savannah n’ait pas eu peur de cette atmosphère typiquement Grimienne et que son adversaire tire sa révérence plutôt que de surenchérir. – On doit pourtant discuter fils. Allons, ne fais pas l'insolent pour impressionner Mademoiselle joli-déhanché et montres moi le taudis dans lequel tu t’es terré comme un hermite ! Il fait le tour de la Chevrolet et ouvre la portière côté passager pour s’y installer au grand étonnement d’un Cade qui ne saurait se retenir si les choses devenaient intenables. Une main appuyée contre la carrosserie de sa caisse, l’autre triturant ses clés, il interrogea presque Savannah d’un regard fermé et déjà égratigné par la colère. Il n’aurait d’autre choix que d’emmener son père chez lui…mais la jeune femme était-elle prête à assister à ce massacre ?

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Je pensais être parvenue à dépasser tout ça, à me convaincre que c'était désormais derrière moi, que son absence ces dernières semaines avaient suffit à tout emporter...Sa simple présence à mes côtés me ramène à mes vieux démons, me mettant face à une vérité que j'avais jusqu'alors réprimer, celle dans laquelle persiste durement et inlassablement tout cet amour que je tente d'étouffer. Comment le pourrais-je? Je suis là, à quelques mètres de lui, le cœur battant, l'esprit tourmenté, je réalise encore l'emprise qu'il détient sur ma personne. Comme une junkie qui tente de se repentir, je me retrouve face à cette addiction qu'il m'est impossible de maîtriser. Ce besoin est bien plus poignant que toutes ces résolutions que je me suis affairée à respecter, et je cède, ne cherchant même pas à lutter. L'échange n'est pourtant pas le plus agréable qu'il soit, réveillant les conséquences de ce choix que j'ai souvent remis en question. Il m'a souvent consumé aussi, mais je suis incapable de lui laisser paraître, ne souhaitant pas lui donner les armes pour m'abattre alors que j'ai déjà les genoux enfoncés dans le sol, prisonnière de mes propres tourments. Est-ce ressentiment qui le pousse à être soudainement plus avenant avec moi? Je n'en ai pas la moindre idée, mais en déambulant à ses côtés, je m’enivre de cette occasion qui m'est de nouveau offerte, comme si cela suffirait à me redonner un regain d'énergie pour repartir dans cet environnement duquel il a déserté depuis si longtemps.

"– Comment il va ?...Mathis ?" Cette question m'apporte une vague d'émotions dont je ne parviens pas encore à distinguer l'impact. C'était donc vrai, ce rapprochement entre eux ne sortait pas de mon imagination, et il accordait autant d’intérêt à ce petit homme qui se retrouvait malgré lui impacté par cette rupture. Si Cade doutait quotidiennement de ce qu'il était en mesure d'offrir auprès de jeunes enfants, il avait toujours fait preuve d'une bienveillance sans nom et d'une innocence remarquable lorsqu'il s'agissait d'échanger avec Mathis. Le coeur de ce cher Grimes est bien plus imposant qu'il ne veut bien le laisser paraître. "Il me demande ce qu'il peut manger chaque fois que j'ai le malheur d'allumer la télé désormais" Si cela m'a souvent fait ronchonner face à une hygiène de vie que je tente de mener sans accroc, ce souvenir est plaisant. Il avait le recul que je ne parvenais pas à avoir, un lâcher prise que je lui enviais presque parfois.

Cette atmosphère paisible est sans plus attendre troublé par l'intrusion d'un homme que je ne semble pas reconnaître, mais qui détient visiblement un lien particulier avec Cade. Les répliques qui suivent vont rapidement me guider sur la nature de ce dernier. Son père. Figure emblématique pour certains, la rencontre avec celui de l'ancien agent suffit à faire monter la pression. Je suis spectatrice de cet échange, bien malgré moi. Et je semble finalement attirer son attention, des présentations qui réveillent un sarcasme qui bien évidemment coule dans les veines, même si pour le coup, je n'ai rien fait pour récolter ce manque de considération. Tiraillée par ma courtoisie, je parviens à répondre avec un certain détachement. Cet homme n'est clairement pas apte à émettre un jugement sur notre relation, il en ignore chaque détail. Mon corps qui se tourne vers celui de Cade est un moyen de pouvoir rendre notre échange plus intimiste, malgré l'égo surdimensionné de son père. "Je...Je f'rais peut-être mieux de vous laisser " lançais-je, tentant de capter son regard émeraude. "– Restes. On a terminé." Une réplique qui ne suffit pas à apaiser cette tension qui persiste sans qu'il y en ait une raison valable. Je soutiens son regard, dans l'attente d'un quelconque signe à travers ce dernier qui pourrait me rassurer sur la suite des choses. La colère de Cade ne m'est plus franchement destinée, mais je le ne connais assez pour savoir à quel point elle peut le ronger. Et je veux lui faire savoir silencieusement qu'il peut compter sur moi, quoiqu'il décide.. "Restez donc avec nous Joanna, il y a finalement peu de chance qu'il daigne vous rappeler un de ces jours. Faites donc durer le plaisir" Je baisse les paupières douloureusement, non pas pour l'impact que ses mots provoquent en moi, mais pour ce qu'il pourrait déclencher chez l'aîné des Grimes. "Je l'ai toujours dis à ta mère...Si seulement tu pouvais réussir dans vie autant qu'auprès des femmes.." Bon sang....Mon mouvement de main n'aura pas suffit à arrêter Cade sur son chemin. Il se trouve désormais près de lui,  soufflant ces mots sur son visage, alors que ce sentiment d'impuissance surgit en moi. – Ca nous fait un point commun… attends non ! J'me souviens pas avoir mis d’autres femmes que la mienne en cloque ! Boucles la tout de suite, parce que j’suis pas d’humeur à discuter. Si j'ai parfois eu l'occasion de provoquer sa fureur, le visage fermé qu'il expose me glace le sang. Les histoires de familles, les injures ou altercations, je les ai souvent vécu auprès des Williams, mais jamais au point de me rendre incapable d'intervenir. – On doit pourtant discuter fils. Allons, ne fais pas l'insolent pour impressionner Mademoiselle joli-déhanché et montres moi le taudis dans lequel tu t’es terré comme un hermite ! Mon regard jauge le sien alors que son père s'est déjà chargé de prendre cette place, qui m'était initialement destinée. Quelques secondes d'hésitation face à un Cade qui ne laisse rien paraître, et me voilà à attraper la poignée côté conducteur et rabattre la banquette afin de pouvoir me glisser à l'arrière, non sans quelques doutes persistants et une appréhension certaine.

"J'me demande bien c'qui vous a tous amener ici, cette ville est démesurément ennuyeuse à mourir." Brisbane n'avait pourtant rien à envier à New-York sur certains points. " J'me doute que toi ça doit bien t'convenir, mais ta soeur..." je retiens un souffle agacé. Il se charge de le lâcher à ma place, cherchant probablement à fuir ce sujet qui semble le miner. "Alors dites-moi Savannah, vous bossez dans quoi?" Tiens donc, mon prénom lui est donc revenu. Un petit moment avant que je daigne lui offrir cette réponse. "J'suis assistante de direction pour une société qui gère des projets immobiliers". Il pivote légèrement sur son siège afin de pouvoir croiser mon regard. Un brin surprit, il hoche finalement de la tête. " Ca ne parait pas si évident en vous voyant...Mais c'est bien." Crétin. Son regard tente de croiser celui de Cade, cherchant à partager une fierté paternelle, celle que son fils soit parvenu à trouver une femme qui ne se limite pas qu'à un physique j'imagine."Et donc vous deux, vous vous êtes connus comment?" Mon regard croise celui de Cade à travers le rétroviseur, un échange qui ne passera peut être pas inaperçu aux yeux de Peter, qui ne parvient à retenir un rire amusé. "Évidemment, dans un bar..." Il hausse les sourcils, exprimant par une moue faciale la déception qu'il éprouve sur ma propre personne, sur laquelle il misait peut-être plus que les autres. Il soupire à nouveau, se replaçant sur la banquette en cuir. "J'ai du mal à comprendre comment les femmes d'aujourd'hui peuvent-elles avoir aussi peu d'estime d'elle-même pour finir par se faire avoir par le premier homme qui leur propose un verre." Bien trop pour que je parvienne à rester de marbre. "Parfois, un seul petit billet glissé sur le coin de la table suffit à nous convaincre..." Il voulait me faire passer pour une traînée, il avait désormais la parade.

‌Peter Grimes avait certes pris de l’âge, et cela s’entendait dans le timbre de sa voix un peu plus accroché et sur son crâne où se battaient quelques mèches de ses cheveux blancs, mais il n’avait rien perdu de son caractère tranchant et insolent. Cette personnalité qui avait soulevé tant de colère en Cade qu’ils en étaient quelques fois venus aux mains devant les yeux effarés et désolés de Mme Grimes. Avec le temps, rien ne s’était apaisé. Au premier mot, à la première syllabe que son père avait prononcée, la haine était montée au cœur du fils ainé. Tout en lui s’était replié, l’archer avait déjà braqué sa flèche en direction de sa cible et il n’attendait que la réflexion de trop pour décocher. Le pire dans tout ça, c’était qu’il se ramenait dans un moment qui était loin d’être facile et qu’il risquait d’envenimer, quoi qu’il dise ou fasse. Cade avait pourtant tenté d’améliorer l’atmosphère de la journée en voulant raccompagner Savannah, pour ainsi se délecter de sa présence, aussi douloureuse et réconfortante à la fois qu’elle était en ce moment. A croire qu’il n’en avait pas fini avec les emmerdements et que tous ces efforts étaient voués à l’échec puisqu’autre chose venait dépasser la simple complexité de leur relation.

Cade n’avait jamais présenté de petite copine à ses parents comme pouvaient le faire bon nombre de jeune homme en découvrant des sentiments sérieux et durables. Et le comportement de son paternel face à Savannah était la preuve qu’il avait bien fait de s’abstenir. Peter l’avait déjà surpris en bonne compagnie dans la chambre de la grande demeure familiale quand son fils n’était âgé que de 16 ans, mais en tombant sur le regard désobligeant du patriarche, la petite brunette avait pris la poudre d’escampette bien rapidement. C’était donc sans surprises que les aventures furtives de son ainé ne lui soient pas inconnues puisque Cade avait commencé à fréquenter les bars dés son entrée au lycée. Ses seules histoires sérieuses, Peter n’en avait jamais eu connaissance et c’était bien mieux ainsi. – Restes. On a terminé. Les yeux verts de l’ex agent fédéral étaient braqués sur son père alors même qu’il s’adressait à Savannah, la sommant presque de devenir témoin de cette confrontation. Car c’était bien de ça qu’il s’agissait toujours quand les deux hommes se retrouvaient l’un en face de l’autre. Au fond, peut-être que la présence de la jeune femme lui assurerait de rester calme alors qu’en lui, tout bouillonnait déjà en écoutant les remarques méprisables que Peter vomissait à l’encontre de Savannah.

– Ça nous fait un point commun… attends non ! J'me souviens pas avoir mis d’autres femmes que la mienne en cloque ! Boucles la tout de suite, parce que j’suis pas d’humeur à discuter. Il l’avait rencontré…cette demi-sœur cachée, victime d’un père sans remords qui avait délaissé cette pauvre femme tombée enceinte. Mr. Grimes était loin d’être aussi blanc qu’il le pensait et Cade ne s’empêcherait pas de lui foutre tout son égoïsme dans les dents, dés qu’il le pourrait. – On doit pourtant discuter fils. Allons, ne fais pas l'insolent pour impressionner Mademoiselle joli-déhanché et montres moi le taudis dans lequel tu t’es terré comme un hermite ! Résistes Cade. Ne lève pas le poing tout de suite. Pas là… pas devant un cimetière où tant de personnes endormies auraient rêvé que leur seul souci eut été un père abominable et quelques non-dits familiaux ! Bien que ça le tuait, il accepta de se mettre au volant de la Chevrolet, non sans un regard à Savannah qui semblait être son seul point d’accroche pour garder la tête froide. Qu’elle ne fuit pas devant cette difficulté supplémentaire le rassurait et le faisait tenir…encore un peu.

"J'me demande bien c'qui vous a tous amener ici, cette ville est démesurément ennuyeuse à mourir." Ah, il ne pouvait pas la fermer deux minutes d’affilées. C’était bien trop demander ! " J'me doute que toi ça doit bien t'convenir, mais ta soeur..." Milena devait être au courant de la visite du père. Elle qui avait gardé un lien subtil avec lui et qui s’évertuait à le rendre fier quoi qu’il advienne… C’était bien là un point sur lequel ils n’étaient pas d’accord. Le fils observait la route en serrant les dents et resta muet, pas du tout prêt à débattre sur ce genre de remarques sans fonds et uniquement balancé pour le déstabiliser. "Alors dites-moi Savannah, vous bossez dans quoi?" Ne trouvant pas de réponse, il osa s’adresser à Savannah avec un sérieux qui cachait forcément quelque chose. Cade jeta un œil dans le rétroviseur intérieur en lui hurlant silencieusement qu’elle n’était pas obligée de lui faire la conversation. Qu’elle ferait d’ailleurs mieux de ne pas le faire. "J'suis assistante de direction pour une société qui gère des projets immobiliers" Réponse courte et efficace, elle sera pourtant commentée à son grand désespoir. " Ca ne parait pas si évident en vous voyant...Mais c'est bien." Quel abruti ! S’il commençait à évoquer le physique de Savannah ou même un quelconque détail physique ou moral la concernant, Cade ne pourrait pas rester très longtemps de marbre. Ce qu’il n’admettrait jamais de toute façon, c’était que son fils ainé avait toujours eu de très jolies femmes à ses côtés, même pour un court moment. – Tu vas finalement te décider à me dire ce que tu fous là… ? Tentant de dévier la conversation vers un sujet qui l’intéressait vivement, Grimes n’obtint pas de réponse. "Et donc vous deux, vous vous êtes connus comment?" Il était sûrement bien plus divertissant pour Peter d’envoyer encore quelques critiques plutôt que de justifier sa présence à Brisbane. Présence que personne, hormis Milena, ne pourrait supporter plus de quelques heures ! "Évidemment, dans un bar..." Dans son imagination, Cade se voyait déjà le pousser sans ménagement hors de la caisse encore en marche. Il se retenait pour ne pas s’exécuter. "J'ai du mal à comprendre comment les femmes d'aujourd'hui peuvent-elles avoir aussi peu d'estime d'elle-même pour finir par se faire avoir par le premier homme qui leur propose un verre." Le premier homme… Fronçant les sourcils, l’ex agent fédéral fut devancé par la jolie blonde. "Parfois, un seul petit billet glissé sur le coin de la table suffit à nous convaincre..." Elle entrait dans son jeu. C’était une façon de faire. Pour autant, Cade n’admettait pas l’image de Savannah, bien que futile et sans importance, qu’il venait de dépeindre. Elle était tout sauf l’une de ces filles qui ne mérite pas que l’on s’attarde sur leur personnalité ! Et même si elle avait cédé à ses avances dés la premier soir, elle n’était pas comme toutes les autres ! - Si tu veux avoir des détails, faudra repasser ! Et épargnes lui ton côté sexiste, ça te rend désagréable ! Non pas que le reste de sa personnalité était plus supportable mais c’était le provoquer que de s’en prendre à elle… et malheureusement, il le savait bien. – Alors… ? Qu’est ce que tu viens foutre dans ce bled si « ennuyeux » ? Tu viens constater les dégâts d’une fratrie disséminée ou simplement lécher les bottes de ta fille chérie ? Peter esquissa un mince sourire jaune et regarda le profil de son ainé. Il y avait du vrai là-dedans, et il en était conscient. Ses enfants ne s’entendaient pas tous, et ils étaient si différents que beaucoup trop de choses les gardaient loin les uns des autres malgré leur nouvelle proximité géographique. Tout ça, c’était de sa faute à lui ! – Milena m’a demandé de l’aide sur un dossier, tu sais que je ne peux rien lui refuser ! Non, certes ! – Avant de me rendre à son cabinet, je voulais m’assurer que mes garçons se portaient bien. Et qu’ils étaient épanouis dans leur vie professionnelle… Là, il empruntait la montée vers la pente la plus vertigineuse que Cade connaissait à l’heure actuelle… La Chevrolet arriva à Redcliffe et dans la rue où se trouvait la tanière de Cade… - Tout va pour le mieux, maintenant tu peux vaquer à tes occupations avec Milena ! Fit-il en braquant pour heurter le trottoir et garer la voiture.

Peter sortit du véhicule en explorant les environs des yeux. Il épousseta un peu sa veste noire comme si la Chevrolet pouvait la lui salir en l’espace de quelques minutes. Cade, lui, fit claquer sa portière et se rendit immédiatement vers l’entrée de son immeuble. – Hm… ce n’est pas Broadway, c’est le moins qu’on puisse dire. Qu’est ce qu’il sortira quand il verrai le modeste deux pièces que son fils louait depuis son arrivée ici… ?

‌ Embarquée dans ces retrouvailles inattendues, je découvre bien assez vite ce lien qui unit les deux hommes. Ou plutôt ce qui les sépare. Le portait qu'a pu me dépeindre Cade à plusieurs reprises concernant son paternel prend tout son sens, il est fidèle, déstabilisant, glaçant. Ce qu'il avait omit de préciser, c'est l'ironie perpétuelle dont il faisait preuve, donnant l'impression de se moquer ouvertement par ce sourire détestable qu'il esquisse chaque fois que Cade semble vouloir le confronter. Cade a peut-être hérité de ce trait de caractère, mais il n'a jamais cherché à s'en servir afin de nuire à l'autre, jamais par pure méchanceté. Impuissante, et ne voulant pas donner matière à cet homme de pouvoir s'immiscer une fois de plus dans cette histoire qui ne le regarde pas, je tente à travers un regard insistant et réconfortant de sonder ce qui se passe dans l'esprit de l'aîné de la famille, et de canaliser, tant bien que mal,par une lueur de douceur cette tension qui semble l'animer. Et on ne peut pas dire que Peter Grimes me facilite la tâche, s’évertuant à sortir les plus grosses conneries possibles dans le seul but de faire réagir son fils, pour certainement ensuite le faire passer pour le seul fautif de tout débordement et jouer la victime. Mes paupières se referment un instant après que Cade ait disparu de mon champ de vision, s'effarant à me ressaisir au cas où les choses m'échapperaient. Cette proximité soudaine n'éveille rien de bon, et je n'aurais heureusement pas le devoir d'intervenir pour séparer ces deux corps, puisque l'ancien agent s'efforce à s'y atteler de lui-même.– On doit pourtant discuter fils. Allons, ne fais pas l'insolent pour impressionner Mademoiselle joli-déhanché et montres moi le taudis dans lequel tu t’es terré comme un hermite ! Si ce genre de paroles aurait suffit à me faire bondir dans d'autres circonstances, je fais preuve d'un calme absolu, sachant très bien que ma colère soudaine pourrait attiser celle d'un Cade qui arriverait bien vite à un point de non-retour. Et étrangement, ses paroles ne parviennent pas à m'atteindre, probablement aveuglée et focaliser sur ce que Cade peut éprouver lui-même. C'est certainement ce qui me pousse à prendre place à l'arrière de la voiture, ayant pourtant cette étrange impression d'être de trop dans l'habitacle. Mais je le fais, pour lui, sans même pouvoir expliquer clairement les raisons, je sais juste que c'est plus fort que moi.

Le paysage agréable par lequel nous passons semble n'avoir aucun effet sur cet homme. Mais je préférais que ce sujet soit au centre de son attention plutôt que d'occuper cette place. Mon regard croise celui de Cade, ayant cette étrange impression d'être sur un fil rouge alors qu'il semble s’intéresser d'avantage à moi. "J'suis assistante de direction pour une société qui gère des projets immobiliers" lançais-je après quelques secondes d'hésitation." Ca ne parait pas si évident en vous voyant...Mais c'est bien." J'encaisse, ne pouvant dissimuler un sourire ironique sur mes lèvres. Cette remarque réveillera sans plus attendre l'impatience du jeune homme, qui cherche probablement à m'épargner des remarques désobligeantes de son père.. – Tu vas finalement te décider à me dire ce que tu fous là… ? Je me mordille la lèvre intérieurement, dans l'espoir de voir disparaître cette atmosphère pesante. Mais monsieur Grimes n'est pas de cet avis, poursuivant sur sa lancée en s’intéressant soudainement à notre rencontre. Et malheureusement, je ne peux que lui donner raison sur ce point. L’originalité n'avait pas trouvé sa place à l'époque, j'avais, comme toutes les autres, succomber au sourire charmeur et au regard enivrant du bel agent autour d'un verre. Un début d'histoire qui n'était pas glorieux, mais qui aujourd'hui ne caractérisait pas ce lien unique qui nous liait, il en était bien loin. "J'ai du mal à comprendre comment les femmes d'aujourd'hui peuvent-elles avoir aussi peu d'estime d'elle-même pour finir par se faire avoir par le premier homme qui leur propose un verre." Si mon silence lui donnait raison jusqu'alors, je ne peux rester de marbre face à de telles allusions. "Parfois, un seul petit billet glissé sur le coin de la table suffit à nous convaincre..." Il voulait nourrir la piètre image qu'il avait de moi, grand bien lui fasse, je ne lui donnerais pas l'opportunité d'avoir de l'emprise sur moi."-Si tu veux avoir des détails, faudra repasser ! Et épargnes lui ton côté sexiste, ça te rend désagréable !" La bienveillance persiste, malgré nos rapports compliqués." – Alors… ? Qu’est ce que tu viens foutre dans ce bled si « ennuyeux » ? Tu viens constater les dégâts d’une fratrie disséminée ou simplement lécher les bottes de ta fille chérie ?" Ce schéma me rappelle sans plus attendre celui de ma propre famille. Moi, qui volait malgré moi les louanges de mon père à l'époque, ce dernier n'était pas si détestable que celui qui se tient devant moi, j'en reste persuadée. Une version qui pourrait cependant être contestée par le reste de la fratrie Williams..." Avant de me rendre à son cabinet, je voulais m’assurer que mes garçons se portaient bien. Et qu’ils étaient épanouis dans leur vie professionnelle…" Ma gorge se noue, et sans plus attendre, mes yeux tenter d'observer une réaction sur le visage de Cade. Peu de chance qu'il lui ait confié les déboires de sa vie professionnelle, ce qui rend ce sujet extrêmement sensible. M'enfermant dans un mutisme volontaire, l'architecture qui nous entoure m'indique l'arrivée imminente chez Cade. - Tout va pour le mieux, maintenant tu peux vaquer à tes occupations avec Milena ! Je m'extirpe de l'habitacle, m'emparant d'une bonne dose d'oxygène pour parvenir à tenir pour la suite. Je passe la porte en dernier, redécouvrant cet endroit comme si je ne l'avais jamais quitté. Et pourtant..."J'peux peut-être vous préparer quelque chose, un café?" demandais-je, alors que Peter semble plus occupé à observer l'environnement dans lequel son fils se plonge que de vouloir m'accorder une réponse. C'est donc auprès du jeune homme que je la cherche, mais ce dernier a le regard figé sur son paternel. "Tu f'rais peut être mieux de penser à investir dans un bien immobilier plutôt que de claquer tout ton argent dans des bars ou dans cette vieillerie qui te sert de voiture" lance t-il en relevant les sourcils. Ma silhouette est venue se glisser machinalement près de l'ancien agent, comme si les clans semblaient déjà bien formés.

‌A ce moment, il semblait à Cade que rien ne pouvait plus le rendre fou que d'entendre son paternel s'adresser à Savannah comme s'il s'agissait d'une fille quelconque qui était simplement de passage dans la vie de son fils. Pire, cette image d'elle qu'il dépeignait était complètement débile et avait clairement le don de faire monter la pression. Savannah avait certes succombé dés le premier soir, mais elle était loin de ces filles que l'on retrouve régulièrement alcoolisées et prête à s'adonner à toute sorte de fin de soirées. Cade pouvait maintenant dire qu'il la connaissait bien et qu'il respectait chaque traits de sa personnalité et chaque événement qui s'était produit dans sa vie. "J'ai du mal à comprendre comment les femmes d'aujourd'hui peuvent-elles avoir aussi peu d'estime d'elle-même pour finir par se faire avoir par le premier homme qui leur propose un verre." Plutôt que de surenchérir, l'ex agent fédéral préféra serrer les dents, crisper ses lèvres et garder ses yeux figés sur la chaussée. "Parfois, un seul petit billet glissé sur le coin de la table suffit à nous convaincre..." Nourrir le discours de Papa Grimes était une possibilité mais c'était une façon très dangereuse de lui donner une confiance en lui sans limites. -Si tu veux avoir des détails, faudra repasser ! Et épargnes lui ton côté sexiste, ça te rend désagréable ! C'était ça ou il lui collait directement son poing sur la tronche s'il émettait encore une fois l'idée que la jeune femme qui se trouvait derrière lui était peu recommandable ! Il ne connaissait rien de Savannah et Cade ne lui donnerait même pas l'occasion de la connaître ! – Alors… ? Qu’est ce que tu viens foutre dans ce bled si « ennuyeux » ? Tu viens constater les dégâts d’une fratrie disséminée ou simplement lécher les bottes de ta fille chérie ?


Peter n'était pas là pour rendre une simple visite de courtoisie à son fils ainé. Quand il se pointait, c'était par intérêt, ou pour se délecter des ennuis et des malheurs de sa progéniture. "Avant de me rendre à son cabinet, je voulais m’assurer que mes garçons se portaient bien. Et qu’ils étaient épanouis dans leur vie professionnelle… Leur vie professionnelle ?" Bordel de merde... il allait vraiment en venir à ce point pour le moins sensible ? Instinctivement, Cade adresse un bref regard à Savannah, une des seules personnes par ici à être au courant de toute l'histoire. Il cherchait son soutien, du réconfort dans ses iris bleu pour faire face à tout ce qui allait être dit. - Tout va pour le mieux, maintenant tu peux vaquer à tes occupations avec Milena ! Cette conversation n'aurait pas lieue ! Grimes n'était pas sûr de pouvoir se contenir s'il recevait des remontrances de son père au sujet de son licenciement. C'était déjà un coup dur pour lui-même alors subir la leçon d'un père qui n'en avait jamais été un et qui était loin d'être un sage serait probablement insupportable !


Ils entrèrent dans le modeste appartement de l'ex agent. Cade leva l'interrupteur et la lumière éclaira faiblement le petit salon où des affaires traînaient encore ici et là. Peter fit quelques pas, le nez en l'air, les yeux balayant la pièce et une grimace presque logée sur son visage marqué par l'âge qui avançait doucement. - Hmm. C'est encore pire que ta chambre d'adolescent immature. Sans se préoccuper plus de lui, ou même d'une Savannah qui devait encore chercher sa place dans cette scène familiale, Cade retira sa veste de costume et la laissa tomber sur le dossier du canapé. "J'peux peut-être vous préparer quelque chose, un café?" La douceur de sa voix était grandement apprécié et lui permettait de contrôler encore cette colère qui voulait éclater comme la lave d'un volcan en éruption. "Tu f'rais peut être mieux de penser à investir dans un bien immobilier plutôt que de claquer tout ton argent dans des bars ou dans cette vieillerie qui te sert de voiture" Peter n'avait jamais adhéré aux passions de son ainé. Le baseball ? Il trouvait ça ringard et aurait préféré que Cade s'adonne au basket ou au football américain. Les voitures de collection ? Très peu pour lui, il les préférait de luxe, ou de sport et moderne pour impressionner de jeunes minettes ou pour égaler de vieux riches qui n'y prêtaient même plus attention. Grimes soupira et lui fit face en posant ses deux mains sur ses hanches. L'autre observait toujours le manque de décoration flagrante de l'appartement. - T'as fini ? Parce que j'ai pas de temps à perdre... Peter le regarda et devint soudain très sérieux. Il s'immobilisa. - Tu plaisantes Cade ! Tu as bien le temps qu'il faut puisque tu as réussi à te faire virer de ton poste chez les fédéraux. Outch ! Cette lame de couteau tournait et s'enfonçait encore plus profondément dans la blessure encore ouverte et sanglante de Cade. Il serra la mâchoire pendant que son père s'approchait de lui et le défiait du regard. - Moi qui pensais que tu n'pouvais pas tomber plus bas... ! Comment avait-il apprit ? Qu'est ce qu'il savait exactement ? Cade n'en avait rien à foutre. Il savait et il était là, à lui mettre dans les dents. Un genou à terre, l'ex agent tentait de garder la tête froide, mais la difficulté était grandissante et sa fureur pouvait maintenant se lire dans ses yeux verts, hérités de sa mère. - Fermes la Papa... Rarement, très rarement il avait appelé son père de cette façon. Mais ce petit surnom ne signifiait en rien que le calme pouvait revenir, bien au contraire. - Regardes toi ! Quarante ans et tu es loin de maîtriser un seul aspect de ta vie ! Ce ne sont pas les femmes que tu met dans ton lit qui te feront réussir, c'est la persévérance dont tu dois faire preuve dans ta vie professionnelle ! Savannah était encore une fois visée dans cette phrase et c'était peut-être la goutte de trop. Sans l'ombre d'une hésitation et en laissant parler sa rancoeur et sa fureur, Cade attrapa son père par le col et le poussa sans retenu sur le mur. Son visage près du sien, ses yeux dans les siens, il lui semblait revivre une scène du passé dont la seule témoin de l'époque avait été sa mère. - Rien ne te sert de leçon Cade. Tes années au FBI ne t'ont donc pas fait mûrir ! Il aurait pu s'arrêter là... il aurait du. Mais les mots de son paternel étaient trop forts. Et peut-être trop vrais aussi. Il relâcha la chemise de son père  sans parvenir à réfléchir, son poing se leva et vint directement s'écraser contre le pan de mur, à quelques centimètres du visage d'un Peter qui ne laissa rien paraître de sa surprise. La cloison, légèrement enfoncée, n'avait pas prit aussi cher que son nez si Cade en avait décidé autrement. Et la douleur dans ses doigts ne parvint même pas à le détourner de ce monstre qui se prétendait être son père ! - Tires toi ! Peter se redressa et réajuste sa chemise pour retrouver la classe qu'il pouvait avoir laissé de côté quelques secondes. - J'AI DIS TIRES TOI ! SORS DE CHEZ MOI ! Grimes hurlait et la poussa pour qu'il emprunte le chemin de la sortie.

‌ Assise à l’arrière de la voiture, je me sens prise au piège, enfermée dans ce conflit familial qu’il me sera impossible de résoudre. Il ne s’agit pas d’une simple querelle passagère, leur lien repose uniquement sur des conflits d’intérêts, des divergences qui ont toujours existées, provoquées par un père intransigeant et autoritaire. Si je suis là, ce n’est pas pour jouer les fouines du moment, ou pour tenter de rattraper les blessures que j’aurais provoquées par cette rupture brutale chez l’ancien agent, le sujet est bien plus profond. Notre relation, qui aurait pu être qualifiée d’éphémère, est bien plus sincère et profonde qu’il n’y paraît. Cette séparation n’aura pas suffit à altérer ces sentiments que j'éprouve à son égard, et ce sont ces derniers qui guident désormais chacun de mes actes. Étrangement, le contexte tendu semble apaiser nos propres problèmes. Je suis de son côté, et ce soutien s’exprime par quelques échanges de regard que je parviens à lui soutirer, n’ayant pas besoin d’employer des mots pour y parvenir. L’attitude de son père confirme les différents souvenirs qu’il a prit le soin de me raconter, et si je reste plutôt passive face à ses différentes attaques, c’est uniquement dans l’intérêt de cet homme qui occupe une place particulière dans ma vie. Je ne peux pas l’encourager à jouer à ce jeu, duquel il sortira forcément perdant. Et peut-être que ma seule présence peut parvenir à contenir une fureur qui le dépasserait dans d’autres conditions, je l’espère en tout cas. Notre entrée dans l’appartement soulève au plus profond de moi un sentiment étrange. Ce lieu renferme tous ces souvenirs que j’étais parvenue à ignorer et qui soudainement reviennent à la surface. Je n’aurais pas imaginé repasser cette porte, et c’est pourtant cette situation des plus étranges qui m’y amène. Pour Cade, et uniquement pour lui, je m’affaire à lui offrir les meilleures conditions pour cet échange qu’il redoute certainement, mais cette proposition futile ne suffira pas à détourner l’attention qu’il réserve à son père, qui occupe tout l’espace par son égo surdimensionné et sa mine si expressive. Ce dernier ne tarde pas à faire une énième réflexion. Je piétine, encaissant silencieusement ces mots qui alimentent cette haine que je lui voue à mon tour, mais que je m'abstiens d'exprimer, avec une frustration certaine. Cade, quand à lui, semble perdre patience. - T’as fini ? Parce que j’ai pas de temps à perdre... Une simple remarque qui suffit à changer l’expression sur le visage de Peter Grimes.  - Tu plaisantes Cade ! Tu as bien le temps qu’il faut puisque tu as réussi à te faire virer de ton poste chez les fédéraux. Oh gosh. Il sait. Ma gorge se noue, observant de dos la silhouette de Cade qui ne semble pas flancher malgré le sujet douloureux qu'il aborde. Je baisse finalement le regard, profitant de me trouver en arrière plan pour déchanter. Il a le bâton pour abattre son fils définitivement, et ça me tue. Je ne connais que trop bien la souffrance et la déception ressentie par Cade pour avoir échouer, personne n'a le droit de venir le traiter de moins que rien après tout ce qu'il a pu endurer. C’est l’histoire de sa vie, son talon d’Achille, et voilà que sa seule faiblesse se trouve entre les mains de la personne la plus cruelle qu’il soit. - Moi qui pensais que tu n’pouvais pas tomber plus bas... ! Malgré qu’il me tourne le dos, je sens son agitation, et instinctivement, je suis à l’affût du moindre signe qui me pousserait à devoir intervenir, alors que son père se charge de le provoquer en réduisant cette distance entre eux. - Fermes la Papa... Ses seuls mots sont le signal d’alarme, et je m’approche doucement de cette confrontation, glissant mes doigts sur l’avant-bras de Cade pour tenter de l’empêcher de sombrer et le ramener à la raison. Céder à cette colère suffirait à satisfaire l’égo de son père, à satisfaire un besoin vital qu'il regrettera sûrement par la suite

- Regardes toi ! Quarante ans et tu es loin de maîtriser un seul aspect de ta vie ! Ce ne sont pas les femmes que tu met dans ton lit qui te feront réussir, c’est la persévérance dont tu dois faire preuve dans ta vie professionnelle ! La remarque de trop, sans grande surprise, l’agressivité jusqu’alors maitrisée de l’agent surgit brutalement, rendant cette scène douloureuse à mes yeux, alors que tout ne semble tenir qu'à un fil. Je n’aime pas voir cette facette de lui, elle n’est pas représentative de cet homme que je côtoie depuis plusieurs années désormais. "Cade" La voix presque tremblante, je le supplie de ne pas céder à cet état de fureur, alors qu’il maintient son père plaqué contre le mur. - Rien ne te sert de leçon Cade. Tes années au FBI ne t’ont donc pas fait mûrir ! Il le provoque, attendant sans aucun doute une réaction prévisible de son fils, histoire de le faire passer une fois de plus pour le vilain petit canard. Et je suis incapable de savoir comment l’en empêcher sans me prendre un coup. "Fais pas ça..." repris-je agissant comme le petit ange par dessus son épaule alors qu’une autre partie de moi ressentirait certainement un soulagement de taille si lui remettait les idées en place. Le coup part, et fort heureusement - ou pas - , c’est contre le mur que son poing s’écrasera, sous mon regard ahuri. Le temps semble s’être suspendu, dans l’attente d’un enchainement d’actions incontrôlables. «CADE!» répétais-je, manquant clairement de prestance par cette voix faiblarde. Mon palpitant me fait mal, terriblement mal. Et je prie intérieurement pour un retour au calme. - Tires toi ! Je parviens à reprendre mon souffle, soulagée qu’il veuille s’en tenir à arrêter ce massacre. - J’AI DIS TIRES TOI ! SORS DE CHEZ MOI ! Sans vraiment réfléchir, je viens presque me mettre sur leur passage, servant de barrage entre les deux hommes, anticipant un éventuel nouvel assaut. L’homme tente de faire bonne figure, probablement ravi d'avoir provoqué un tel déferlement d'émotion chez l'aîné des Grimes, sans avoir subit le moindre coup. Mais il s'éloigne, offrant là une liberté sans nom. Pourtant...Mes lèvres se pincent, cherchant à retenir ses mots qui me brûlent les lèvres. "Vous ne le connaissez pas." Le bruit de ses talonnettes sur le parquet cesse soudainement, alors qu'il s'est probablement arrêté avant d'atteindre la porte d'entrée. Je me tourne, voulant m'assurer d'avoir son attention. "Cet homme que vous décrivez n'est pas celui que je côtoie depuis plusieurs années." Mon regard se plonge dans le sien, n'ayant pas peur de l'affronter par des mots qu'il ne souhaite probablement pas entendre. "Il est courageux, il a la tête sur les épaules, et fait preuve d'une bienveillance absolue, qualité qu'il n'a visiblement pas hérité de vous." Je hausse doucement les sourcils, reprenant rapidement. "Il a été le seul capable de me relever lorsque tout s’effondrait. Alors vous pouvez continuer cet acharnement, vous ne parviendrez pas à l'abattre. " affirmais-je avec un sourire sincère mais provocateur. "Peut-être qu'il ne sera jamais l'enfant prodige à vos yeux, la grande réussite de la famille...Mais s'il est devenu cet homme avec des valeurs et un sens inné pour la justice, ce n'est clairement pas grâce à vous Monsieur Grimes " Les dents serrées, je m'affaire à lui exprimer par un dernier regard toute cette haine que je suis parvenue à dissimuler depuis le cimetière. Je me tourne, subissant le silence qui suit comme peut-être une entracte à une réponse qui ne ferait que relancer les hostilités, mais le claquement de la porte témoignera d'un abandon de sa part. Et contre toute attente je me sens libéré de ce poids. Il est probablement l'une des raisons de cette séparation, pouvoir me décharger sur lui avait été libérateur. Je relève finalement le regard pour croiser celui de Cade, ne sachant pas vraiment si mon intervention aura été apprécié, et m'efforce a faire comme si de rien était alors que je lâche un soupir tout en m'approchant de lui. "Montres-moi ça" mes mains viennent doucement se poser sur son poignée, voulant constater l'ampleur des dégâts.

‌"Tu plaisantes Cade ! Tu as bien le temps qu’il faut puisque tu as réussi à te faire virer de ton poste chez les fédéraux." Si Cade avait voulu garder son licenciement loin des oreilles sournoises de son paternel, c'était peine perdue. Et à ce moment, il se foutait bien de l'identité de la balance et des circonstances par lesquelles Peter Grimes l'avait apprit. Il savait. Et rien que ça, ça donnait la nausée à l'ex agent qui gardait un regard noir braqué sur son père, comme si ça ne le touchait pas et qu'il savait résister à cette nouvelle attaque. Au fond, il n'ignorait pas qu'il s'agissait là d'une arme capable de le mettre à terre et de le mettre dans une fureur qu'il ne pourrait probablement pas contrôler. Peter adorait ce genre de situation, il adorait avoir le dessus sur lui et brandir des arguments qui pouvaient lui rappeler qu'il n'était qu'un bon à rien. Depuis tout petit, Cade subissait les assauts de son père. Il n'avait jamais été ce fils prodige, bon en tout, dont il pouvait être fier et qui reprendrait le cabinet familial. L'ainé avait un tout autre caractère et s'était choisit une autre voie, loin, très loin de ce que la fierté de son père pouvait encaisser. - Moi qui pensais que tu n’pouvais pas tomber plus bas... ! Immobile. Ecrasé par la prestance et les mots de Peter, Cade fulminait. - Fermes la Papa... Ce surnom qu'il ne méritait pas suffirait-il à éviter un acte redouté ? Autour de lui, tout était noir. Il ne sentit presque pas cette main sur son avant-bras, sensée le retenir avec bienveillance. Savannah était invisible face à la trop grande place au prenait désormais la haine et l'envie de le faire taire une bonne fois pour toute. C'était insensé...de ressentir autant de colère à l'égard de son propre père.


-Regardes toi ! Quarante ans et tu es loin de maîtriser un seul aspect de ta vie ! Ce ne sont pas les femmes que tu met dans ton lit qui te feront réussir, c’est la persévérance dont tu dois faire preuve dans ta vie professionnelle ! Cette façon de le rabaisser à un abruti qui ne pense qu'à baiser était écœurante. Et le manque de connaissance était triste. Il n'en fallu pas plus pour que Cade sorte de ses gonds et saute sur son père comme s'il s'agissait d'un simple taré qui aurait eu un mot plus haut que l'autre dans un bar, en fin de soirée. Sauf que le regard menaçant qu'il lui lança, lui, était bien plus expressif. Il évoquait du dégoût, et une envie incroyable de lui faire manger bien plus que la moquette. Tout son passé s'y lisait et pourtant...cela ne l'empêcha nullement de l'ouvrir encore une fois. - Rien ne te sert de leçon Cade. Tes années au FBI ne t’ont donc pas fait mûrir ! Ignorant les supplications prévenantes de Savannah, Grimes n'écouta que sa pulsion présente. "Fais pas ça..." Trop tard. Il était bien trop tard pour l'arrêter. Il aurait voulu lui refaire son portrait d'avocat réputé et de piètre père, mais justement... il était père. Son père. Etait-ce le sang Grimes qui coulait dans ses veines qui l'avait retenu ? Ou bien simplement la volonté de lui montrer qu'il n'était pas celui qui, viré du FBI, s'abaissait à frapper sur son père ? - Tires toi ! Il ne lui donnait que quelques minutes avant de l'attraper par sa jolie veste et de le foutre à la porte. - J’AI DIS TIRES TOI ! SORS DE CHEZ MOI ! Ce hurlement sortait de son fort intérieur et c'était le dernier avertissement. Il ne subirait pas une remarque de plus... Peter le regarde, sans broncher, témoin une nouvelle fois du caractère impulsif de son ainé et presque effrayé de l'avoir un peu trop chatouillé. Et enfin, il tourne les talons ! Cade, la mâchoire serrée, ne le quitte des yeux que lorsqu'il passe près de lui pour prendre le chemin de la sortie.

"Vous ne le connaissez pas."  Sa voix féminine vint heurter ce silence de tension et Cade tourne la tête vers Savannah. "Cet homme que vous décrivez n'est pas celui que je côtoie depuis plusieurs années." Elle prend des risques, elle qui venait d'avoir un aperçu de ce que Peter Grimes était. Un sans pitié, sans peur hormis celle de l'affront physique qu'il ne peut assumer. "Il est courageux, il a la tête sur les épaules, et fait preuve d'une bienveillance absolue, qualité qu'il n'a visiblement pas hérité de vous." Ces compliments, elle ne lui avait jamais réellement dit, et elle les balançait à la figure de Peter comme pour prouver qu'elle connaissait mieux Cade Grimes que son propre père. Et c'était sans aucun doute le cas. Les yeux verts de l'agent se reposèrent sur l'homme qui était désormais à plusieurs mètres de lui et qui écoutait comme s'il prenait une leçon de vie. "Il a été le seul capable de me relever lorsque tout s’effondrait. Alors vous pouvez continuer cet acharnement, vous ne parviendrez pas à l'abattre. " Cade baissa la tête en se rappelant cet épisode compliqué mais dont ils étaient sortis plus forts tous les deux. Le genre de difficulté que Peter n'avait jamais affronté avec son fils. "Peut-être qu'il ne sera jamais l'enfant prodige à vos yeux, la grande réussite de la famille...Mais s'il est devenu cet homme avec des valeurs et un sens inné pour la justice, ce n'est clairement pas grâce à vous Monsieur Grimes " Plus touché par cette volonté de le défendre que par les qualités qu'elle exposait, Cade la laissa dire avec l'appréhension que son paternel réplique et que ça le mette une nouvelle fois de mauvaise humeur. S'adresser à Savannah serait encore moins supportable, surtout si c'était pour la mettre dans un moule qui ne lui correspondait en rien du tout. Savannah était spéciale à ses yeux. Aujourd'hui encore, il en avait la preuve.

L'ex agent fédéral redouta quelques secondes la réponse mais, fin des hostilités, Peter lui lança un regard désobligeant avant de se retourner et de quitter l'appartement. Avait-il saisit qu'il avait loupé des choses en entendant Savannah décrire un homme qu'il ne connaissait pas ? Ce n'était même pas dit...Quand la porte claqua, la douleur dans les os de sa main le lança immédiatement. Jusqu'à ses phalanges qu'il ne sentait plus et qu'il ne pouvait plus bouger. Il lui fallait un remontant ! C'est ça, un bon verre ! "Montres-moi ça" Après tout ce qu'elle venait de dire, elle n'allait pas non plus jouer à l'infirmière. - Ça va... Ça va passer... C'était en partie égratigné mais le sang colorait de plus en plus son poing et impossible de tendre les doigts. Ça attendrait. Sa chemise blanche lui rappelant qu'il venait du cimetière l'étouffait. Il contourna le mini-bar en osant à peine affronter la jolie blonde des yeux. La culpabilité de lui avoir fait endurer cet épisode grandissait maintenant que Peter Grimes avait mit les voiles. Il sortit un verre et cherchait ce fond de bouteille qu'il lui semblait avoir laissé l'autre soir. - J'suis désolé. Pour tout ça. Il dévissa le bouchon et toujours sans la regarder, il se servit en continuant. - J'aurais du te raccompagner chez toi plutôt que d't'inviter à cette petite réunion de famille... En refermant la bouteille de scotch, il leva enfin la tête. - C'était un beau portrait. Un peu trop idéaliste au fond mais... Tu l'as scotché. Encore légèrement tendu, le liquide qu'il s’apprêtait à mettre dans sa bouche l'aiderait à redescendre.

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‌Ce moment que je subis me torture le palpitant, pas tant pour les idées préconçues que peut se faire le patriarche à mon égard, ni pour la distance qu'impose naturellement Cade dans ces retrouvailles, mais pour ce qu'il provoque simplement chez l'aîné des Grimes. Les histoires de famille sont toujours compliquées, mais j'ai compris depuis bien longtemps que le problème pour eux ne s'arrêtait pas à quelques désaccords intergénérationnels, il est bien plus profond, bien plus nuisible qu'il n'y paraît. Et même si sa fierté ne lui permettra jamais d'assumer clairement le malêtre que son père provoque en lui depuis son plus jeune âge, je ne devine que trop bien cette irritabilité qui le guette depuis qu'il l'a retrouvé appuyé nonchalamment contre la chevrolet. Je découvre peu à peu l'étendue des dégâts, et chaque remarque désobligeante qu'il peut avoir à son égard, si futile soit-elle, suffit à resserrer mes mâchoires et à le haïr intérieurement, à défaut de pouvoir me liguer face à cet homme qui le malmène depuis bien trop longtemps. Et bien que cela puisse paraître assez contradictoire, c'est pourtant bien dans l’intérêt du jeune Grimes que j'agis. Cet homme qui garde une certaine emprise sur lui ne mérite pas qu'il se laisse aller à des émotions ingérables. L'ignorance est la meilleure des réponses, et peut-être que cela lui permettra de retrouver plus rapidement cette vie, dans laquelle son père n'a jamais cherché à s'impliquer. C'était censé se passer ainsi. C'était sans compter sur cette information qu'il allait balancer, mettant à rude épreuve la retenue dont faisait preuve l'ancien agent du FBI jusqu'à présent. Il savait pour son licenciement, et ca suffisait à faire monter d'un cran cette tension déjà bien palpable."-Moi qui pensais que tu n'pouvais pas tomber plus bas...!" Ce soupire que je lâche est probablement inaudible par ces deux hommes, aveuglés par le combat qu'ils mènent en duel. "-Fermes la papa". Ces quelques mots sont le signal d'alerte, et instinctivement, mes doigts, bien trop frêles face à cette situation, tentent de le retenir avant qu'il ne réponde plus de lui. Le grand Peter Grimes semble avoir ce qu'il attend depuis le début, et il s'assure rapidement de l'achever par quelques provocations supplémentaires. La réaction de Cade est sans appel, et rapidement, je me retrouve à subir visuellement cette agressivité qui le dépasse. J'ai le souffle coupé, n'ayant plus aucune notion du temps alors que ce dernier semble s'être suspendu, attendant avec une appréhension démesurée la suite de ce chaos grandissant. Mes mots n'ont aucun impact, je le sais, et c'est la gorge nouée que j'observe la violence de Cade, se répercuter sur l'un des murs de son appartement. "Tires toi !" Je déteste le voir ainsi, mais je ne peux que comprendre ce comportement malgré tout. Ce sentiment de soulagement reste incertain, et je prie intérieurement pour que l'avocat fasse preuve de bon sens. Je parviens à reprendre mon souffle en voyant qu'il s'y soumet, mais rapidement, j'ai ce besoin de balancer quelques mots avant qu'il ne passe le pas de la porte. C'est plus fort que moi, ça me dépasse, et mon impulsivité va rapidement prendre le dessus alors que l'accalmie du moment devrait m'en empêcher. Il ne s'agit pas là de lâcher quelques répliques désobligeantes pour s'assurer que cet homme se retrouve blessé à son tour, bien que ces dernières ne soient pas agréables à entendre, mais des vérités que je me sens obligée de rétablir. La vision qu'il a de son propre fils est dénigrante, faussée par des idées persistantes qui ne caractérisent pas Cade Grimes. Ce jugement se veut objectif, bien que je sois certainement bien trop impliquée moi aussi pour m'exprimer sur la personne. "Il a été le seul capable de me relever lorsque tout s’effondrait. Alors vous pouvez continuer cet acharnement, vous ne parviendrez pas à l'abattre. " Je le pensais, pourtant, une infime partie de moi continuait de croire que les problèmes que nous rencontrions dans notre couple résultait du manque de considération qu'il vouait à son propre fils, le faisant passé pour le raté de la famille, celui qui était destiné à échoué. Quand bien même l'avenir de Cade ne se liait plus au mien, je restais persuadée qu'il n'abandonnerait pas, et qu'il trouverait un jour ou l'autre quelqu'un capable de penser ses blessures, avec ou sans mon aide."Peut-être qu'il ne sera jamais l'enfant prodige à vos yeux, la grande réussite de la famille...Mais s'il est devenu cet homme avec des valeurs et un sens inné pour la justice, ce n'est clairement pas grâce à vous Monsieur Grimes " Ma voix n'a pas faiblit à travers ces derniers mots, et je me retiens plus encore de lui dire combien cet homme a changé ma vie, je me contente de lui adresser un dernier regard avant de me retourner, espérant ne pas avoir déclencher le deuxième acte de cette guerre. Le bruit de la porte se fait entendre, alors que dans un même temps, je me dirige vers Cade, souhaitant observer l'étendu des dégâts qu'il s'est lui même infligé. "Montres-moi ça" Mes yeux ont à peine le temps de remplir cette mission qu'il s'extirpe de ce contact. "- Ça va... Ça va passer... " Sans relever le regard, sa silhouette disparait de mon champ de vision, me laissant là l'occasion reprendre un souffle silencieux alors qu'il semble se fermer à nouveau. J'encaisse. "- J'suis désolé. Pour tout ça." Je relève les sourcils, tentant de me défaire de quelques pensées passagères en reprenant un attitude plus naturelle en me tournant vers lui "- J'aurais du te raccompagner chez toi plutôt que d't'inviter à cette petite réunion de famille..." Regrettait-il ma présence ici? Les paroles que j'avais pu avoir face à ce père tyrannique? Je suis incapable de le deviner, ayant l'impression que le mystère Cade Grimes s'intensifie par cette rupture que je nous aie imposée. Il me semble hors d'atteinte, alors qu'il se trouve pourtant si près de moi "- C'était un beau portrait. Un peu trop idéaliste au fond mais... Tu l'as scotché." Je m'approche dur bar, tirant nerveusement sur les manches de ma veste pour y dissimuler mes mains. "C'était pas le but...J'voulais juste qu'il te voit, tel que tu es...Tel que je te vois moi." Parvenir à avoir le dernier mot face à Peter Grimes pouvait certainement faire naître une certaine fierté en moi, mais mon besoin premier n'était pas celui de l'égo. C'était lui. Je le fixe inconsciemment, tâchant de retrouver sur ses traits l'ombre de cet homme qui me manquait tant. Et lui doit sentir ce regard, puisqu'il s'efforce à l'ignorer, une fois de plus, comme si se plonger dans mes iris pourrait être un pas en avant qu'il ne souhaite m'accorder. Je me mordille intérieurement la lèvre, face à cette frustration certaine que cela provoque en moi. N'appelle donc pas ça le karma? Mes yeux se perdent à nouveau sur cette blessure, qui, bien qu'il minimise, semble bien plus douloureuse qu'il ne veut le reconnaître. Et dans un second souffle, je parviens à ne pas me laisser envahir par cette barrière qu'il érige entre nous. "Vas t'asseoir" lançais-je, le coupant dans son élan pour poursuivre. "Fais pas ton enfant, et vas t'asseoir!" repris-je en haussant les sourcils, cherchant à le convaincre par un ton plus autoritaire. Il n'est pas d'accord? Il peut me demander de partir, mais je ne démordrais pas cette fois. Il sait combien je peux me montrer têtue, et je lui montre en soutenant son regard, attendant qu'il lâche les armes pour aller fouiller quelques placards pour trouver de quoi penser cette blessure. Je reviens auprès de lui, ayant trouver quelques trucs dans l'armoire de la salle de bains. Alors qu'il se trouve assit sur le canapé, je viens m'asseoir sur la table basse, me rappelant inévitablement cette scène que nous avions vécu près d'un an auparavant. Les choses étaient bien différentes à l'époque, malgré quelques similitudes. J'attrape quelques compresses de gaz, que je viens humidifier avec du désinfectant, me concentrant sur cette tâche pour ne pas affronter son regard, craignant peut-être d'y lire encore ce rejet constant. Mes doigts viennent soutenir sa main, parvenant à ressentir la chaleur de ce contact alors que je me racle la gorge, m'affairant à nettoyer la plaie par mon autre main. "T'arrives encore à la bouger?" demandais-je finalement, remarquant sans plus attendre ses doigts figés par la douleur. Je hausse les sourcils. "Il aurait p't'être été préférable que tu t'en prennes à lui, ce mur t'a mit une sacrée raclée..." J'esquisse un léger sourire, remarquant en voulant croiser son regard la proximité perturbante que ce rapprochement suscite. Et cette fois-ci, c'est moi qui éprouve le besoin de baisser les yeux, par peur de ressentir cette vague déferlante qu'il provoque en moi, et qui pourrait me mettre chaos. "Pourquoi tu lui as pas dis?" demandais-je, suscitant probablement sa curiosité par ces quelques mots alors que je tente de me convaincre de m'arrêter là. Trop tard, et cette couleur émeraude que je retrouve me pousse à poursuivre "...Qu'on t'avait proposé de retrouver tes fonctions au FBI?" Parce que c'était ce que j'avais conclus en surprenant l'une de ses discussions téléphoniques. La question dépassait cependant la précédente, pourquoi n'était t-il pas reparti sur le continent américain alors que la chance de sa vie s'était présentée à lui? Je sens son regard insistant, et bien que je me charge toujours de soigner sa blessure, je finis finalement par avouer. "J'ai surpris l'une de tes discussions téléphoniques un jour..." avouais-je avec une certaine douceur. N'ayant pas envie de le culpabiliser, je reprends, veillant à hausser les sourcils pour dissimuler toute émotion de mes traits. "Mais c'est bien...Je suis contente pour toi". Je l'étais, ou je l'aurais été s'il avait prit le premier avion pour retrouver cette insigne, qu'il avait si souvent regretté. La question était : Qu'est ce qu'il l'en avait empêché? Alors que je l'avais libéré de ce lien qui le retenait probablement de sauter le pas....S'apprêtait t-il à le faire? Ce léger sourire d'apparence faiblit face à la douleur que le savoir loin de moi suscite à l'intérieur.