(outfit) Il est parti.
Tim est parti comme un voleur. Sans un mot, sans une explication, sans rien du tout. J’ignore ce qui me choque le plus ; l’abandon pur et simple ou la violence de geste aussi imprévisible qu’égoïste. Je n’aurai pas cru Tim de cette trempe-là. Il m’avait l’air droit, honnête, fiable - beaucoup de choses que je ne suis pas forcément. Je me suis reposée sur ses épaules un bon nombre de fois, j’ai même réussi à redresser la pente de ma vie sous son impulsion. Ce n’était pas que pour lui ; c’était aussi pour moi. J’ai réalisé que je méritais mieux. Les plateformes sociales ne m’apportent pas encore assez pour pouvoir en vivre mais je peux maintenant me faire de la place, du vide aussi bien dans la tête que sur les épaules. Mon corps n’est plus mis à l’épreuve et ma tête s’est allégée.

Mais le départ de Tim me fait prendre conscience que ce n’était qu’une illusion. Que cette parfaite bulle n’était que dans ma tête. Je me suis tellement focalisée sur ma vie professionnelle, ma relation à cacher avec le jeune homme et les préparatifs du mariage de mon frère que je n’ai pas eu conscience à quel point cette pente montante n’était qu’une vulgaire bulle fragile qui vient de perdre une de ses fondations. J’ai passé ces derniers jours à pleurer dans ma chambre, à en sortir les yeux rougis que j’ai tenté de camoufler sous des tonnes de maquillage, le sourire qui ne pouvait mentir à personne concernant les émotions m’habitant depuis son départ. Mes colocataires ont eu la délicatesse de ne pas me tuer de questions - même Adèle a su faire preuve de discrétion - et je ne peux qu’en vouloir au destin d’être aussi cruel envers moi.

Pauvre petite chose fragile que l’on aime que pour quelques mois, me voilà au point de départ. Retour à la case du début. D’avant ce jour où j’ai franchi la porte de la librairie pour croiser ses prunelles claires. Je me retrouve à aller travailler sans conviction. Je le fais parce que je tiens à mon salaire. J’ai accumulé de petites économies dernièrement - malgré le fait que j’ai craqué pour gâter mes nièces comme jamais. J’ai été presque raisonnable mais voilà que j’ai dépensé la veille les trois quart de mon salaire dans une paire de chaussures de marque. Je ne regarde pas mon compte en banque. Je vais mal, j’achète. J’ai un coup de mou, j’achète. Le sentiment est grisant pendant une seconde puis il retombe aussi sec. La sensation est meilleure dans une boutique. Quand on a l’objet en main. Là, il n’y a aucune saveur ; je reçois le colis dans trois jours mais j’en suis déjà lassée. Aucune saveur.

C’est le week-end et j’ai décrété que ça sera pyjama toute la journée. Je caresse Nutella tranquillement allongée sur mon lit alors que je regarde la peluche géante koala. Mon coeur balance. Je finis par la prendre et la diriger dans le salon où j’y retrouve Will installé derrière sa manette - pour changer. C’est visiblement l’heure de l’apéro car il y des chips et du coca devant lui ; ça peut être toutes les heures l’apéro, de toute façon. “Adèle est pas là ?” je pose l’immense peluche qui fait quasiment ma taille à côté du canapé. “Tu veux une bière, quelque chose ?” que je lui demande en me dirigeant vers la cuisine ouverte. J’aimerai bien un peu d’alcool. Quelque chose pour atténuer un peu cette peine - oh, je sais que c’est futile mais ça ne coûte rien d’essayer. Je l’ai déjà fait tant de fois. Ce n’est pas une solution mais ça aide. Sur le moment, en tout cas.

@will cadburry

« Mmmh… » mon colocataire ne peut qu’être une distraction fortuite alors que je me sens terriblement mal et en perpétuel questionnement. Est-ce que Tim est parti à cause de moi ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal, est-ce qu’il a réalisé que ça ne pouvait pas fonctionner, est-ce qu’il m’a fui moi ? C’est absurde car même si je ne suis pas une enfant de choeur et que je peux faire des fautes, je ne mérite pas ce genre de réactions à mon encontre. Cependant, ayant déjà connu ça dans le passé (à une échelle moindre), je me retrouve devant un silence et une incapacité à pouvoir trouver des réponses. Ce qui me frustre et me chagrine d’autant plus car je n’ai que mon cerveau capable de penser au pire à chaque fois. Il me dit que c’est de ma faute, que j’y suis pour quelque chose, que je suis la fautive et la vilaine mais sans savoir ce que j’ai pu faire. Peut-être que la pression de devoir se cacher était trop grande - mais encore une fois, ça me paraît absurde. Tim n’est pas de cette trempe-là - enfin, c’est ce que je pensais avant qu’il me prouve le contraire en disparaissant purement et simplement. J’attends le retour de mon colocataire avec une mine à moitié absente, la porte du frigo ouverte où je ne regarde qu’à peine son contenu. « Le premier alcool que tu vois, ça me va. » donc ça sera une bière. Je n’ai pas la force de fouiller pour autre chose et j’ai besoin de calmer mes nerfs en berne, larmoyants et en pleine peine de cœur. L’alcool a toujours été une solution temporaire. Un calmant bref que j’ai consommé et abusé dans les cas les plus extrêmes. D’habitude, je suis seule. Et d’habitude, c’est plus fort qu’une simple bière. Mais la compagnie de Will, de Vanille, de Nutella et de Spider Man ne peut que me distraire ; au moins, je ne finirai pas dans un tas pitoyable au sol en pleurant ma misérable existence dans l’intimité la plus totale. J’ignore si c’est une meilleure chose que de traîner ma carcasse triste à travers l’appartement mais il est certain que ça me distrait plus de pouvoir communiquer avec un de mes pairs que de me tapir dans mon coin - je fais des progrès, il faut croire.

« Tu sais pas où elle est Adèle ? » je me rassoies en posant les deux bières et le décapsuleur sur la table basse, prenant le temps d’ouvrir la mienne avant de l’appliquer dar-dar entre mes lèvres tout en m’affalant sur le canapé. Désolé, Will, occupes-toi d’ouvrir la tienne par tes propres moyens. “Pas plus qu’il y a deux minutes.” il est un drôle de personnage, parfois, Will. Je me demande s’il vit dans le même monde que nous par moment. Après tout, il a beau être le plus vieux de la colocation, c’est celui qui agit comme le premier des enfants. Il ne semble jamais avoir de contrariété, il est relax au possible et il trouve toujours moyen de s’enthouasiasmer de choses simples, comme une pizza ou un nouveau jeu qui sort. Je n’ai jamais vu une telle collection de consoles et de jeux vidéo dans ma vie. Venant d’une ferme, j’ai plus pratiqué l’escalade dans les arbres plutôt qu’apprendre à maîtriser une manette. Cependant, je me rattrape de temps en temps avec Will, n’hésitant pas à participer à des courses pour me détendre et me distraire. Mais ce soir, j’ai le cœur lourd, je n’ai pas la patience ni l’envie de rager sur une voiture qui n’avance pas comme je le veux ; j’ai juste envie de m’enfoncer dans ce canapé et disparaître. Ni plus ni moins. « J’espère qu’elle est pas retournée avec son italien. » son italien… Je passe un doigt sur mon sourcil en grimaçant légèrement. “Son ex, c’est ça ?” je n’ai pas trop suivi les histoires de cœur d’Adèle, pour être honnête. Tout ce que je sais, c’est qu’elle n’est pas au mieux de sa forme non plus malgré ses problèmes de santé et que Will est mariée à sa meilleure amie. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dans cette équation. "Ça serait une si mauvaise chose ?” demande-je calmement même si je réalise que Tim fait partie de cette catégorie ex. Même si j’en ai pas l’impression pour l’instant. J’aurai dû me douter que les silences et les absences de messages auraient dû être un signe. Je n’ai pas l’impression d’avoir un ex. J’ai l’impression d’avoir un fantôme. Disparu. Je porte de nouveau ma bière à mes lèvres alors que j’observe du coin de l'œil Will caresser Nutella qui est venu s’installer sur ses genoux - même mon chat préfère la compagnie d’autrui que la mienne. « Tu savais que les chats ont plus d’os que nous, les humains ? Environ 230 os pour eux alors qu’une fois arrivé à l’âge adulte on en a que 206. » j’arque un sourcil, me mordant la lèvre avant que s’y établisse un léger sourire. “Intéressant. Les chats sont plus doués que nous pour beaucoup de choses.” ils ne se laissent pas briser le cœur, eux ; c’est eux qui brisent le cœur. “Tu joues à quoi ?” même si je vois bien que c’est Spider Man, je fais mine d’être curieuse malgré tout. Will a l’air d’être le compagnon désigné pour me distraire les pensées ce soir. Je jette un coup d’oeil à Vanille ; je devrais la jeter, non ?

« Affirmatif. » je ne peux pas dire que je sois à la page des histoires amoureuses de ma colocataire. De mes deux colocataires, d’ailleurs. Je sais simplement qu’Adèle voyait quelqu’un et que Will était marié à sa meilleure amie sans pour autant sortir ensemble ou partager une quelconque relation amoureuse. Je n’y comprends pas grand chose, il faut bien avouer, et je suis sûrement un peu effarée de voir le concept du mariage bafoué en étant pris à la rigolade de la sorte. Cependant, ce ne sont pas mes affaires et je n’ai pas à juger quiconque sur leur choix d’existence, parce qu’il y aurait beaucoup à dire de la mienne. « Sachant qu’il est censé se marier avec une autre, ouais ça serait pas top. » je fronce des sourcils en ne comprenant pas une nouvelle fois. « Et puis elle mérite mieux quand même. » je passe ma main libre sur mon front que je plisse parce que c’est incompréhensible ce qu’il me raconte. “Comment ça, il doit se marier avec une autre ?” est-ce que l’italien la trompe, ou est-ce qu’Adèle est une complice et actrice d’adultère ? Non, ça se saurait si Adèle était malfaisante et elle est beaucoup de choses, mais certainement pas une mauvaise fille. Elle a eu beaucoup de problèmes qui lui sont tombés sur le visage, des problèmes qu’elle ne méritaient pas, mais elle reste toujours positive et souriante. J’admire sa force de caractère car je n’en possède même pas assez pour me remettre d’un abandon pur et simple. Je n’arrive pas à me mettre en tête que ma vie n’est pas si affreuse que je le pense ; mais comme je préfère voir le verre à moitié vide, il est clair que ça accentue encore plus le complexe de la victime du destin que j’ai sur mes épaules. Je n’y peux rien, c’est naturel chez moi. « Tu te rends compte qu’il jouait pas aux jeux-vidéos ? Encore moins que toi, genre je suis sûr que tu aurais pu le battre à n’importe quel jeu alors c’est pour dire. » Will réussit l’exploit de me sortir un léger sourire en plus d’un petit gloussement bref alors que je mène ma bière à mes lèvres. J’en bois quelques longues gorgées avant de racler ma gorge. “Tu le connais bien ?” pour qu’il sache autant d’informations, est-ce qu’il l’a vu souvent ? Est-ce qu’il est passé à la colocation si régulièrement mais que j’étais toujours absente pour le croiser ? Je m’en voudrais presque de ne pas connaître ne serait-ce que le visage de l’ex de ma colocataire et amie ; c’est elle qui m’a invité à venir ici quand je sentais l’appel de la rue se souligner avec force pendant une certaine période de transition. Quelle amie de pacotille je fais.

« Les animaux en règle générale sont plus doués que nous dans bien des domaines. » j’hoche mollement la tête ; il est fan de dinosaures, ce n’est pas étonnant qu’il dise ça. Même si j’ignore si les dinosaures entrent dans la catégorie “animaux” ; ce n’est qu’un détail qui n’a pas beaucoup son importance alors que je regarde Nuts sur les genoux de Will et que je lève ma main pour aller caresser sa jolie frimousse de chaton qui grandit bien trop vite à mes yeux. « Spider-Man Miles Morales. » Miles Morales ? Je ne connais pas. Je n’ai pas de grandes connaissances en matière de superhéros, il faut dire. Je me contente d’aller les voir au cinéma et de les laisser me vider la tête pendant deux heures sans y réfléchir plus que ça. “Ca a l’air joli.” le jeu, en tout cas. “J’avoue que je connais Peter Parker mais pas de… Miles ?” je me rappelle déjà même plus de son nom de famille. Ce n’est pas une information importante à mes yeux malgré que je regarde avec hésitation sur le dernier mot Will, qui va sûrement s’insurger que je manque une telle connaissance. Si cela peut l’inciter à se mettre à parler, que grand bien lui fasse. Si je suis sortie de ma chambre, c’est pour me changer les idées et Will semble parfait pour ça, entre son jeu vidéo, sa bouffe salée et ses bavardages incessants. Je suis à peu près sûre qu’il peut tenir une conversation à lui tout seul et c’est absolument parfait à ce moment-là pour m’occuper un esprit qui divague beaucoup trop ailleurs. « Sers-toi si tu veux. » cependant, je regarde le bol de chips sans grande conviction malgré mon léger sourire reconnaissant. “Merci.” pour autant m’y avancer ; j’ai envie de boire et pas vraiment de manger. Et de le regarder jouer à son jeu en parlant, pestant, rageant, poussant des cris de victoire. Il fait une ambiance toute cafeutrée avec les rideaux à moitié fermés - Adèle râlerait, très certainement.

« Elle est presque flippante ta peluche. Elle est trop grande et elle a un regard diabolique, tu t’étonneras pas si un jour elle essaie de t’égorger, je suis sûr que c’est son genre. » perdue dans mes pensées, je n’ai pas vu Will qui observait Vanille. Je porte mes yeux vers le koala géant, un sourire mélancolique sur le visage alors que je me dis que Vanille ne serait pas capable de ça. Je ne pensais pas non plus Tim capable de m’abandonner et pourtant, c’est bien ce qu’il a fait. “Je sais pas quoi en faire. Tu le veux ?” ça me ferait mal au coeur de jeter une peluche pareille, même si elle est “trop grande” et qu’elle aurait “un regard diabolique”. Tout ce que je sais, c’est ce que je ne la veux plus dans ma chambre ni dans mon périmètre de vision. J’ai le coeur qui se brise à chaque fois que mes prunelles se posent dessus et je ne suis pas apte à affronter le regard d’une pauvre et misérable peluche grandeur nature. Sûrement qu’elle manquera plus à Nutella qu’à moi ; une trace du passé que je veux déjà arracher de moi parce que ça fait trop mal. Sentant que mes yeux commencent à s’embuer de tristesse, je détourne rapidement la tête en posant mon attention sur son jeu. “Tu me montres ?” je ne veux pas jouer mais je peux lui tenir compagnie. Après tout, Will a déjà réussi à me faire sourire une fois, il peut peut-être réussir une deuxième fois et, en toute honnêteté, ça me ferait du bien. Je me sentirai bien moins coupable de cette façon. Même si j’ignore de quoi exactement.

« Nope. Je l’ai vu une fois quoi. » j’hoche la tête, ne sachant pas quoi dire de plus. Je n’ai jamais vu le petit-ami d’Adèle et malgré la profonde affection que j’ai pour elle, je n’ai pas non plus chercher à le faire. Je donne l’impression de me déconnecter de tout, de m’intéresser à rien, mais je me réconforte dans l’idée que même son cousin ne l’a vu qu’une seule fois. Je ne suis pas assez proche d’Adèle pour pouvoir justifier une rencontre avec son copain - ou ex-copain, celui-là même qui va se marier avec une autre. Autant dire que je me perds dans toutes ces unions sacrées qui se font sans avoir rien de très sacrés en premier lieu. Tout comme le mariage de Will avec sa meilleure amie ; une fois que Sofia me l’a dit, j’ai effectivement remarqué la bague au doigt de Will que je n’avais pas vu quand il était revenu de son voyage - sûrement parce que j’avais les yeux dans les étoiles de mon début de relation avec Tim. Je ne comprends toujours pas le principe qui a l’air d’être une bonne tranche de rigolade. Dans quel monde se marier est devenu aussi dérisoire et pris comme une blague ? Je n’assimile pas mais je ne juge pas ; ce ne sont pas mes affaires. D’autant que Will a été marié de façon traditionnelle avec Sofia, donc je me dis qu’il y a des chances pour qu’il y ait de la valeur à ses yeux, non ? Vu qu’il n’habite cependant pas avec sa femme et que pour le peu de fois que je l’ai croisé, je ne les ai jamais vu s’embrasser, autant dire que c’est un gros point d’interrogation qui se forme dans ma tête. Mais encore une fois, ce ne sont pas mes affaires et encore moins ma vie, les gens font ce qu’ils veulent.

« T’as pas vu l’animé Spider-man into the spider-verse ? » je fais une petite moue désolée avec un “nope” tout discret, presque comme si j’admets une faute que j’ai commise ; en l’occurrence de ne pas avoir vu un film qui m’aurait permis de comprendre qui était ce Spideman qui m’est inconnu. « C’est le spider-man d’un autre univers, en gros. Dans le MCU il y a ce qu’on appelle le multiverse et là pour être plus précis on parle même de spider-verse. T’as par exemple le Peter Parker de Tobey Maguire, celui d’Andrew Garfield ou celui de Tom Holland. Après t’as aussi Gwen Stacey qui devient Spidey dans un autre univers. Enfin c’est un truc de ouf. Et en 2018 ils ont fait un animé principalement sur le Spider-man de Miles Morales, et du coup ça c’est le jeu sur ce spider-man. » il est enthousiaste quand il parle de quelque chose qui le passionne, Will, et j’en souris légèrement même si je n’ai retenu qu’un tiers des informations qu’il m’a donné. Non pas que ça n’a pas l’air intéressant mais je ne suis pas aussi friande de superhéros que lui, visiblement. Je me contente d’aller voir les dernières sorties au cinéma, sans chercher plus. Je sais qu’Amaya a aussi une jolie connaissance dans ce domaine et je me sens parfois conne de ne pas comprendre certaines références. « Je l’ai en blue-ray si ça t’intéresse. Ça pourrait peut-être te plaire il est génial. » je joue de mes mains entre elles avant d’attraper la bière pour la lever à mes lèvres. “Ca peut être mon film d’un dimanche prochain, effectivement.” depuis que je ne suis plus stripper, je peux encore mieux prévoir mes dimanches après midi spécialement cinéma. Alors la perspective de pouvoir regarder un film qui me permettrait de me connecter un peu mieux avec un de mes colocataires me paraît être une bonne chose sur le moment. D’autant que je n’avais pas d’idée donc c’est encore mieux.

« Nope, je lui fais pas assez confiance. » je lâche un bref rire en regardant ladite peluche ; je la trouvais mignonne, Vanille, mais elle a clairement perdu de l’attrait à mes yeux. Sûrement parce que je ne vois plus à travers des coeurs, mais à travers des larmes et de l’amertume. J’ai la mélancolie quand je regarde la peluche, repensant à ce premier vrai rendez-vous que nous avons eu et qui a été adorable à souhait. Je ne sais même pas quoi faire des photos non plus ; une partie de moi veut les supprimer mais l’autre me hurle de les garder. Je peux toujours les sauvegarder dans un fichier quelconque sur mon ordinateur que je pourrai retourner voir quand le coeur me le dira. Car retomber sur les clichés de son visage me fait bien trop mal au coeur pour l’instant. « Pourquoi tu veux t’en débarrasser ? SI ça te semble difficile de la lâcher c’est sûrement que c’est pas une bonne idée. » je lâche un souffle comme pour me donner du courage alors que ma main libre s’en va gratter ma nuque. “C’est mon copain qui me l’a offerte lors de notre premier rendez-vous. Mais il est parti donc…” donc je n’ai plus envie de voir traîner ce koala géant dans ma chambre. Ni dans ma vie. Ce n’est qu’un rappel de l’échec que peut être ma vie, de ma nullité même dans une relation que je pensais sincère et belle. Que je ne suis pas assez pour que l’on reste ou au moins qu’on soit honnête avec moi. Je reprends de longues gorgées de bière avant de la reposer sur la table. “C’est difficile de la lâcher mais il le faut.” pour mon bien à moi, car je sais que je peux vriller quand je ne me sens pas bien. Même si me débarrasser de la peluche ne suffira pas à calmer mon mal être intérieur.

« Ok. » me voilà avec la manette dans les mains et je me mords la lèvre d’un air soucieux en la regardant sous toutes les coutures. « Là il va falloir que tu arrêtes ces gars qui sont en train de braquer une supérette. Il te reste encore toutes tes vies et t’as encore pas mal de toiles donc tu devrais être tranquille. Pour sauter c’est croix, donner des coups c’est carré. Pour esquiver des coups tu peux spammer le rond. » “Okay, okay, okay…” non, pas okay du tout car je peine à trouver les touches en premier lieu et que mon incapacité à pouvoir faire sauter mon homme araignée se résulte à une vie de perdue. “Merde.” je me mortifie sur place tout en grimaçant et regardant Will ; j’ai presque peur qu’il me dispute, à vrai dire, parce que je ne suis pas douée, je suis douée en rien, je ne suis même pas foutue de savoir m’y prendre avec une foutue manette. “Désolée, je- J’ai jamais vraiment joué avec une manette, je sais pas trop où se trouve le rond et le carré et tout ça, j’espère que c’est pas grave pour la suite, je suis vraiment nulle, désolée.” je crois que je pourrai me mettre à pleurer tellement que je me sens incompétente à tout point de vue. Je me déteste tellement, et je déteste encore plus d’avoir laissé à Tim la possibilité de me rendre aussi misérable. Je le déteste de tout mon coeur.

« Cool ! » il est enthousiaste, Will, et j’aimerai moi aussi avoir une passion qui puisse me faire briller les yeux comme il le fait à ce moment-là. Certains diront que j’ai la pâtisserie mais ce n’est pas pareil. C’est quelque chose qui demande de l’effort, de l’énergie, de l’organisation. J’aimerai avoir quelque chose qui me passionne sans que j’ai besoin de m’y préparer. « On le regardera ensemble, et je pourrais même te faire pleins de commentaires et te donner des anecdotes j’en ai au moins une tonne. » je souris timidement en hochant la tête. "Ça serait sympa.” j’y connais pas grand chose en superhéros, je me contente seulement de voir leurs films et de m’amuser à m’imaginer si j’avais les pouvoirs de Captain Marvel. Mon ignorance n’est pas volontaire mais il se trouve que je ne porte qu’un intérêt modéré à ces choses-là, alors que pourtant j’ai ma meilleure amie qui en est complètement friande. C’est Amaya qui m’apprend la plupart des choses que je peux connaître sur ces univers. Ce n’est pas étonnant qu’elle s’entende aussi bien avec Will ; ils parlent un langage que je ne connais pas, que je ne peux pas prétendre pouvoir suivre. Comme d’habitude, sûrement. J’ai l’habitude de me sentir exclue ou pas à ma place. Mais quand il s’agit de ma meilleure amie, je le vis plutôt bien car je sais qu’elle ne m’oublie pas, Amaya, jamais.

Mais en attendant, c’est face à Will que je me trouve, celui là qui observe Vanille avec moi, ce koala si mignon que j’ai tant aimé par son symbolisme dont j’ai juste envie de me débarrasser. « Désolé pour ton copain. » tu baisses les yeux en haussant les épaules. C’est la vie, je m’en remettrai. Je ne sais pas comment, je ne sais pas quand, mais j’y arriverai. J’ai envie de ôter son odeur de mes vêtements tellement que ça devient presque insupportable. Je suis complètement humiliée car ce n’est pas qu’une simple rupture, c’est un abandon pur et simple. Il a plié bagages en me laissant des incertitudes et des questions. Je ne saurai sûrement jamais pourquoi, ni où il est parti. Et au final, je ne suis pas sûre de vouloir le savoir car est-ce que parfois l’ignorance n’est pas mieux ? Cela dépend car l’ignorance laisse place à l’imagination qui peut faire mal. « Bon allez, je peux la récupérer si tu veux mais si un jour on me retrouve assassiné je compte sur toi pour parler de mes soupçons à la police. » j’ai un léger sourire qui se pointe ; il n’est pas très joyeux, presque mélancolique, mais au moins il est présent. « Je vais l’appeler Christian. Il a une tête de Christian. » “Très bien, Christian le futur suspect. Promis je le garderai à l'œil si jamais t’es assassiné.” le pauvre koala qui n’a rien demandé à personne, le voilà que je me retrouve à l’observer avec méfiance. Je me prends au jeu, il faut croire que c’est plus simple comme ça. « Tu pourras lui rendre visite quand tu veux. » je fronce du nez en secouant la tête. ““Y’a peu de chance mais c’est bon à savoir, merci. Qui sait, c’est peut-être toi qui vas le tuer avant lui.” j’imagine le scénario dans ma tête où Will aura oublié qu’il y a un koala géant dans sa chambre et qu’il se mette à le taper de surprise - ça, c’est une image drôle qui me fait un peu plus sourire.

Bien plus que mes compétences avec une manette qui sont absolument désastreuses. J’échoues lamentablement en à peine deux minutes et ça fait peine à voir, autant que ma tête à l’heure actuelle, sans maquillage, sans réel coup de peigne et avec les épaules voûtées d’un poids qui m’incombe alors que je n’avais rien demandé à personne. « Heeeeey. C’est pas grave, t’inquiètes. » Will me rassure, mais pourtant j’ai quand même ce sentiment d’échec car j’ai l’impression d’être inutile. De n’être douée en rien. Je suis juste moyenne. Et encore. C’est déplorable. Voilà que je vais remettre toute mon existence une nouvelle fois en question. Je vais avoir mal à la tête. Je reprends donc de la bière. Logique. « Et puis si c’était vraiment important pour la suite je t’aurais pas laissé jouer crois-moi. » je pince mes lèvres en avalant ma gorgée tout en hochant la tête. Je veux bien le croire. Je suis clairement nulle. Je n’y prête aucun intérêt, il faut dire. Regarder les autres jouer ne me dérange pas. Je le fais souvent avec Amaya. Mais ce n’est pas fait pour moi. Je préfère sortir et faire les boutiques. C’est bien plus simple. Et plus compliqué à gérer, aussi. « Ça faisait longtemps que vous étiez ensemble ? » Will a éteint le jeu, déposé ses lunettes et voilà qu’il me regarde frontalement. Ses yeux donnent l’impression de m’épier et je n’aurai pas pensé qu’il se serait montré curieux. Alors mes prunelles le sont tout autant tandis que je le scrute en retour. « T’es pas obligée de me répondre si tu veux pas. » il m’a demandé depuis combien de temps j’étais avec Tim. Je déglutis en secouant la main. ““Ca va aller.” j’espère en tout cas. ““Depuis février.” je ne sais pas si ça fait long ou pas. Pour moi n’ayant jamais connu de relation, je peux penser que oui. Mais Will a été marié, et assez longtemps si je me rappelle bien. ““Est-ce que… Est-ce que je peux te demander comment t’as vécu ta rupture ? Avec Sofia, je veux dire.” savoir si lui aussi, ça a été un gouffre sans fin. S’il a aussi eu l’impression de se sentir trahi, ou désabusé ou que sais-je. S’il a été triste, malheureux ou au contraire, si ça l’a libéré. Est-ce que je cherche des conseils auprès de mon divorcé puis remarié colocataire ? Totalement.

« Ouais, je compte sur toi, parce que si je meurs à cause de ta peluche, Birdie va sûrement venir te tuer juste après. » j’ai un léger sourire, à la fois mélancolique et amusé, très petit mais présent malgré tout. J’ignore comment il fait mais Will réussit à me sortir un peu de ma torpeur de tristesse et je me dis presque que j’aurai dû sortir de ma chambre depuis bien plus longtemps. J’avais oublié à quel point mon colocataire a beau être plus âgé que moi, il n’en reste pas moins un grand enfant. "Ça ne sera que légitime.” je ne connais pas Birdie mais je sais juste des propos de Sofia que c’est sa femme en plus d’être sa meilleure amie. Ou l’inverse. Qu’importe, une situation qui me dépasse totalement en tout cas. Je n’y comprends rien à ces mariages qui ne veulent plus rien dire - heureusement que j’ai assisté à celui de mon frère il y a quelques semaines et que celui-là, au moins, me redonne de l’espoir que le romantisme n’est pas perdu. « Par respect pour toi je te promets de ne pas le tuer. » je lève mes prunelles sur lui alors qu’il me fait un numéro digne d’une pièce de théâtre, très solennel et plutôt drôle, il faut l’avouer. Dans d’autres circonstances, j’aurai sûrement éclaté de rire mais là, je me contente seulement et toujours de mon sourire amusé qui est le mieux que je puisse faire. « Ou essayer, du moins. » je hoche la tête. “Je te fais confiance.” même si au final, on ne se parle pas beaucoup malgré le fait que nous habitons sous le même toit, je l’aime bien, Will, et oui, je lui fais confiance, au moins avec Vanille qui devient Christian.

L’écran de télévision s’éteint en même temps que je lève ma bière à mes lèvres et que je la finis d’un seul coup, comme un besoin et un manque à combler. Je regretterai presque de ne pas avoir plus fort sous la main. « Forcément, ça m’a fait du mal. » en plus, j’en viens à lui demander des conseils sur sa propre rupture qui a finit en divorce, d’une relation bien plus longue que la mienne. Même si Will ne me paraît pas être le candidat propice à ce genre de discussions - ironiquement, Sofia aurait été mieux placée, d’autant que je sais qu’elle est aussi romantique que moi - il se trouve que vers lui que je pose mes questions et mon regard pour tenter d’y voir plus clair. Et aussi parce qu’au final, ça peut me montrer que Will n’est pas qu’un enfant coincé dans un corps d’homme mais une véritable personne qui a aussi connu son lot de déception. « On est restés huit ans ensemble, c’est pas rien. Mais c’était pour le mieux. Elle m’a trompée deux fois. » huit ans, c’est si long… Je me sens ridicule alors que ça ne faisait même pas un an avec Tim. Si eux ont réussi à s’en remettre, je m’en remettrai aussi. Par contre, la fin de sa phrase me fait ouvrir les yeux ronds comme des soucoupes tellement que je ne m’y attendais pas. “Elle t’a trompé ? Deux fois ?” je suis soufflée, choquée. Non pas que je vais juger Sofia car je suis persuadée qu’elle avait ses raisons. Mais quand même… Deux fois! Je ne m’y attendais pas vraiment.

« Enfin, on avait tous les deux des torts mais moi personnellement je lui en ai voulu. Beaucoup. Vraiment beaucoup. Pendant plusieurs années. Mais je pense que j’étais plus vraiment amoureux d’elle quand on a divorcé. L’amour c’est pas éternel, il y a forcément un moment où la flamme s’éteint sauf qu’on a mis du temps avant de s’en rendre compte. » c’est pessimiste. Si pessimiste. Mon visage perd son sourire alors que je baisse les yeux. “Tu penses que c’est pour ça qu’il est parti ? Parce que la flamme s’est éteinte ?” j’en sais rien, je ne peux que supposer sachant que je n’ai aucun mot, aucune explication, rien du tout. “Est-ce que tu l’aimais plus parce qu’elle t’a trompé ? Ou juste… Parce que c’est la vie ? Comment tu as pu rester avec elle si elle t’a trompé deux fois si ce n’est par amour ?” je suis si ignorante, débordante d’interrogations en tout genre. Je me tue le cerveau et les neurones avec pour donner un sens à tout ça mais j’ai du mal, j’y arrive pas et cela ne changera pas le fait que je ne saurai sûrement jamais le pourquoi du comment. Je regarde ma bière vide. “T’en veux une autre ?” que je demande en me levant. Car je vais en avoir besoin, l’éthanol détend mes nerfs, je l’avais presque oublié après des mois sans boire. “En tout cas, c’est plutôt pessimiste comme vision des choses…” choses que je préfère voir du bon côté, pour une fois, car je vois assez la vie en sombre comme ça.

Je reste épatée que Will ait pu rester dans une relation aussi longtemps alors qu’il ne donne pas l’impression d’être de ceux qui se marient, ni même qui s’engagent tout court sur le long terme. Je le vois à la colocation où il est entouré de filles, il ne nous prête pas d’autres regards que ceux qu’une sorte de grand frère par moment ou d’un gamin à Noël à d’autres. Pour le peu que j’ai appris de lui en un an et demi, c’est quelqu’un qui se contente de jeux vidéos et de sucrerie, le reste n’est que complications à ses yeux. Mais pour moi, Tim représentait ce qu’il y avait de plus beau et j’y ai vraiment cru jusqu’au bout - même si certains trouveront que je me suis emballée trop vite trop fort. Ils auraient raison et cela justifie sûrement mon humeur complètement maussade et en berne, pire que d’habitude car je ne suis pas un rayon de soleil à la base. Alors la conversation qui se déroule m’intrigue autant qu’elle m’interpelle, je m’y raccroche comme je peux alors que je l’observe presque sans ciller, mais avec le coeur lourd et ma bière vide. « Après toutes les fautes ne sont pas les siennes. J’étais pas un bon mari. Je lui portais pas toute l’attention dont elle avait besoin. » je mords ma lèvre car Will a le mérite d’être honnête et de reconnaître ses torts ; dans de telles conditions, je suppose que l’amour n’est parfois pas suffisant pour assurer la pérennité d’un couple. Non, à la vue de Will et Sofia, le mariage n’est pas une garantie mais cela ne m’empêchera pas d’en rêvasser quoiqu’il arrive. J’ai encore les images de celui de mon frère dans la tête, de son bonheur apparant et je me demande si Will et sa femme furent aussi heureux le jour de leur union.

« Non peut-être pas. » je suis idiote de demander à Will quelque chose que moi-même je ne peux pas savoir. Personne ne peut savoir à part Tim lui-même et ce dernier n’étant plus dans les environs, je désespère de trouver une réponse qui suffira à me satisfaire un jour. Il faudrait que j’enterre cette idée et que je me fasse à celle qu’il m’a juste abandonnée tout comme il a abandonné Alex et tout le monde dans le processus. Alors naturellement, au lieu de continuer sur cette lancée qui ne mène de toute façon à rien, je le bombarbe de questions aussi indiscrètes et personnelles, boostée par le peu de bière que j’ai dans le sang ainsi que la sensation d’avoir l’attention et la sympathie de Will. Et puis, il est clairement en train de me répondre et d’ouvrir un voile sur son existence, je ne peux qu’essayer d’y voir un peu plus clair, ça ne peut que m’aider à le connaître un peu plus. « La première fois qu’elle m’a trompée si je suis resté c’est parce que j’étais vraiment amoureux d’elle et je voulais tout faire pour que les choses s’arrangent entre nous. Mais la seconde fois, je pense qu’au fond je ne l’aimais plus depuis quelque temps. C’est pour ça que je lui ai dit que je voulais divorcer. » je pince mes lèvres en jouant avec le verre dans ma main avant de me lever tout en l’écoutant continuer de parler pour nous ravitailler. « Je trouve que c’est surtout réaliste. Après c’est peut-être aussi parce que c’est ma seule relation sérieuse et que ça ne s’est pas très bien terminé. » je trouve sa vision réaliste triste quand même. Je retourne m’asseoir à côté de lui, ouvrant les bières une à une avec le décapsuleur avant de lever la mienne vers mes lèvres sans préavis ni cérémonie. Comme une envie que je ne peux pas réfréner, c’est pitoyable. « En tout cas s’il t’a quitté c’est sûrement ce que mec était un imbécile, Prim. Et puis on a besoin de personne pour être heureux, tu penses pas ? »

La question me fait arrêter de boire à grosses gorgées alors que je l’observe tout en méditant ses propos. “Je suis pas heureuse seule.” c’est brutal mais c’est la vérité. J’ai le coeur trop en berne pour me donner la sensation d’être heureuse, là, alors que je l’étais avec Tim. “Avec Tim, je me sentais aimée.” et ça, ce n’est pas la valeur la plus importante du monde ? Mes paupières battent rapidement la mesure alors que je tente de ravaler la boule de tristesse qui remonte jusqu’à mon visage. Je baisse les prunelles brièvement entre nous, dans un vague incertain, me mordant la joue dans une méditation que je refuse d’avoir. “Est-ce que ce n’est pas le sentiment le plus beau du monde ? Celui de se sentir important et chéri pour quelqu’un ?” je repense à tous ces moments passés avec Tim et ce ne sont que des coups de plus dans mes côtes, me décimant un à un pour me mettre toujours plus à terre. Puis je relève la tête vers Will et j’ai presque l’impression de le voir pour la première fois. “Tu t’es jamais dit que Sofia était juste pas la bonne ? Qu’il y a… quelqu’un d’autre quelque part qui t’attend ?” pourquoi j’ai l’impression que mon coeur se compresse dans ma poitrine, tout d’un coup ?

Je suis assez pathétique d'aller chercher des réponses que ni les bouteilles de bière ni mon colocataire ne possèdent. J’ai l’impression d’enquiquiner mon monde avec mes problèmes alors que je ne suis pas la plus expressive et encore moins celle qui partage le plus ses états d’âme. Pour une fois que je sors de ma tanière autre que pour aller au travail, ce n’est que pour mieux échouer sur le canapé avec l’air déconfit et abruti par autant de questionnements. Je ne peux pas m’empêcher de tourner mon cerveau dans tous les sens pour trouver un sens, une cohérence à tout - mais même Alex n’en savait rien donc ça ne peut pas être seulement contre moi. Je lève ma nouvelle bière à mes lèvres et je bois beaucoup trop de gorgées pour ne pas que ça me monte à la tête. Au moins, l’éthanol est une drogue rapide qui n’est pas illégale, ce qui est bien arrangeant dans mon cas. J’ai presque oublié à quel point ça apaise les maux et à quel point ça fait du bien de se sentir légèrement amorphe. Ce n’est pas beaucoup mais c’est déjà un bon début. « Je pense que je suis trop un loser pour répondre à tous tes questionnements. » Je suis attristée d’entendre une si mauvaise opinion qu’il a de lui-même. Bon, je dois bien avouer que si ce n’était pas mon colocataire, je l’aurai aussi mis dans cette catégorie. Il collectionne des figurines de superhéros et de dinosaures, il a des références geeks pour à peu près chaque situation et je crois savoir qu’il va à des conventions de fans et qu’il s’y déguise parfois. Autant dire qu’il est la définition même du loser, le genre de type vers qui on ne se retourne pas à l’école.

Cependant, Will évoque ce terme dans une conversation au sujet si important que ça m’attriste véritablement. “Tu n’es pas un loser. Tu es un… Solitaire.” Dans un sens, je le suis aussi. Parait-il qu’il vaut mieux être seule que mal accompagnée, et j’ai été mal accompagnée trop souvent. Jusqu’à l’arrivée de Tim dans ma vie qui m’a emporté dans le plus beau tourbillon de mon existence. J’ai été heureuse comme je ne l’avais jamais été et j’y ai cru comme une folle à cette histoire. J’ai cru que c’était le bon, l’idéal, l’âme soeur, l’homme de ma vie. Mais comme d’habitude, la réalité est revenue à moi et tout m’a été arraché. J’envie Will de pouvoir se détacher de la sorte, lui qui a déjà donné dans la vie de couple et le mariage sans franc succès et qu’il sait qu’il est bien mieux seul. Ou alors ne serait-ce qu’une façade ? Ma question a l’air de le rendre perplexe, il me fixe avec une force incroyable et je crois que je n’ai jamais aussi bien vu son visage avant que là maintenant tout de suite. Je penche la tête très légèrement en inclinaison et c’est… Bizarre. Je n’avais jamais remarqué que mon colocataire était mignon, à vrai dire. Il faut dire que j’avais déjà mon propre copain et mes problèmes à m’occuper. Ma relation avec Tim a tout remis en question ; il semblerait que j’attende de la vie encore plus que ce que j’espère.

Will secoue la tête et je décroche mon regard du sien, le teint légèrement cramoisi alors que je tripote ma bière. « Je suis pas sûr qu’il y ait vraiment quelqu’un pour moi. » J’ai les mains terriblement moites et aussi ma poitrine qui se compresse ; je comprends les signes mais je n’en connais pas la cause. Est-ce que ce sont les bières qui me rendent toute nerveuse tout d’un coup ? Ce qui ne m’empêche pas de boire une nouvelle et longue gorgée à m’en faire retourner les papilles. « Mais tu finiras par retrouver quelqu’un, Prim. » Je ne sais pas forcément quoi dire ni quoi faire alors que mon doigt va gratter mon arcade sourcillère. Je sais seulement que Will est trop gentil avec moi mais trop cruel avec lui-même. « T’es belle, drôle, gentille, intelligente, il y a forcément quelqu’un pour toi. Je ne me fais aucun souci pour ça. » Je ne sais pas ce qui me surprend le plus mais voilà que ma tête se relève rapidement vers lui avec l’air étonné. Je n’ai rien de drôle ni de très intelligent. Quant à belle et gentille… Oh, je la sens de nouveau, cette pression sur ma poitrine alors c’est moi qui me perd de nouveau sur les traits de son visage. “J’entendais souvent ces compliments au club… Mais venant de toi, même si je doute de leur réalité, ça me touche plus.” Au club, ce n’était souvent que des malpropres et des malins qui disaient ça pour avoir ce qu’ils voulaient. Alors que Will… Je déglutis avant de me pencher pour embrasser sa joue. Ce qui est bizarre une nouvelle fois, ne m’empêchant cependant pas de rester beaucoup trop proche de lui au lieu de reculer. “T’es beaucoup plus drôle et intelligent et gentil que moi. Et t’es beau aussi. Faut pas que tu te sous-estimes.” Je suis si proche que je sens son souffle contre mon visage - je suis persuadée qu’il va entendre mon cœur battre beaucoup trop fort. C’est juste insensé.

Mais pas tant que moi me penchant pour l’embrasser.
Sur les lèvres, cette fois.