J’ai eu mon diplôme il y a deux mois et maintenant, je peux enfin prétendre à venir dans la grande ville. Fini le lycée, je ne compte pas me lancer dans des études supérieures au grand damne de ma mère qui a pourtant tenté de me faire changer plusieurs fois d’avis. Il n’y a rien à faire, rien ne m’intéressait et je n’ai pas envie de replonger dans les études, dans les devoirs, les révisions, l’enfer des examens. Oui, j’aurai pu faire une école de pâtisserie et continuer l’honneur de la famille avec une deuxième étoile aux fourneaux mais non, ce n’est pas ce que je veux. Ce que je veux, c’est partir de cette bourgade étouffante qu’est Warwick, où les gens sont plongés dans des temps anciens, où les adolescents de mon âge se moquent de moi, de mes trop grands yeux, de ma peau trop blanche, de mon corps trop fin, de mes petites soeurs qui me voient comme un modèle que je n’ai jamais demandé à être, en plus des responsabilités que me donnait ma mère. J’en ai rêvé depuis que Caleb est parti, depuis qu’il a poussé la porte de la liberté et qu’il a renfermé sur moi ce qui me semble être une véritable prison camouflée derrière de jolis volets rouges et des fleurs dont maman prend soin comme la prunelle de ses yeux. J’en ai voulu à Caleb d’être parti, de m’avoir laissé prendre son relais alors que je me prélassais bien dans mon petit monde rien qu’à moi ; les jumelles s’amusaient avec lui et me fichaient la paix. Mais quand il est parti, tout a changé ; les jumelles se sont tournées vers moi et moi, je ne suis pas Caleb. Je n’aime pas jouer à la poupée, au thé, avec des peluches, à faire des tresses, aller à la pêche aux grenouilles. C’était sympa quand j’étais gamine mais j’ai dix-sept ans, maintenant, et je n’ai plus le temps ni l’envie pour ça.
Au-delà du fait que je ne veuille pas faire d’études, j’ai cependant travaillé pendant mes années de lycée pour mettre de côté un petit pécule non négligeable. J’ai gardé des enfants quand il y avait besoin, je travaillais dans le café du coin pendant les vacances et le reste du temps, j’avais appris à utiliser internet à mon avantage. Sur internet, je plais et certains paient pour me voir simplement les aguicher. On ne peut pas me reprocher mon manque de volonté même si les pratiques peuvent être douteuses ; je ne vois que les dollars australiens qui se cumulent sur mon compte et qu’importe si je dois laisser ma honte et mon amour propre de côté. D’autant qu’au moins, sur internet, je trouve un public et d’une façon sordide, ça me plaît de voir que je suis capable de plaire. Tout ceci dans l’ultime but de pouvoir faire ma valise et de remplir la voiture familiale. Mon père a accepté de me conduire jusqu’à la grande ville. C’est donc comme cela que je me retrouve devant la porte de ce qui va être mon chez moi pendant un petit moment. Une petite vieille qui cherchait à louer la chambre de libre qu’elle a, et me voilà à être accueillie par une odeur de cookies chauds et de chocolat chaud. Ça me rappelle presque la maison ; je ne sais pas si j’en suis satisfaite ou non. Le décor est vieux, l’odeur l’est tout autant alors que pourtant, mamie - Rosemary - est propre sur elle, coquette et qu’elle entretient les lieux. Elle a encore de la vigueur pour son âge mais je sais que je n’ai pas hâte d’en arriver là moi aussi.
Naturellement qu’après avoir dire au revoir à papa, la première personne que je vais voir après avoir déballé mes cartons dans ma nouvelle chambre temporaire et fait un peu connaissance avec Rosemary (elle qui parle et moi qui écoute, à vrai dire, elle a une plus longue vie que moi, c’est bien intéressant dans ce sens - ou plutôt, ça m’arrange), c’est Caleb. Je sais qu’il ne va pas fort en ce moment car il s’est séparé d’Alex. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais maman en est chagrinée et moi aussi parce qu’elle est sympa, Alex. Elle était riche, aussi. Et jolie. Je croyais qu’ils s’aimaient vraiment mais apparemment pas assez. Je ne pense pas vraiment à ça quand j’arrive et que je toque à la porte de mon frère, toute souriante. “Caleb, c’est Prim!” je dis en chantonnant ; je ne l’ai pas prévenu pour lui faire une surprise et j’ai demandé à mes parents leur discrétion. Je suis particulièrement joyeuse ; comment ne pourrais-je pas l’être ? Je suis enfin à Brisbane. Dans une grande ville. Ça devrait me faire peur mais pour l’instant, je ne ressens que l’excitation - discrète et retenue, propre à mes gènes mais de l’excitation quand même.
Ça fait deux mois qu’elle est partie et mon quotidien a radicalement changé. J’ai l’impression d’avoir fait plusieurs pas en arrière ces dernières semaines. De nouveau je me perds dans ma solitude, je retombe dans mes vieilles habitudes. Je suis seul. Toujours. Tout le temps, et de toute façon il n’y a aucune compagnie qui me donne réellement envie. J’ai longtemps cru qu’elle reviendrait. J’y croyais sincèrement. Parce que son départ n’a aucun sens et même si je me repasse nos derniers jours ensemble en boucle je n’y trouve toujours aucun sens. C’est de ma faute, c’est sûr. J’ai dû faire quelque chose de mal parce que je ne suis qu’un gros nul. Pourtant elle le savait, je lui ai dit dès que nous nous sommes rencontrés. Je suis nul dans tout ce qui touche de près ou de loin à l’amour et son départ ne fait que me le prouver. Ou bien peut-être que je lui ai dit quelque chose qui lui a fait mal. Des mots qui l’auraient fait souffrir. Alors j’y ai porté beaucoup d’attention. J’ai longuement réfléchi à la connerie que j’aurais pu faire mais encore une fois, rien ne me vient en tête. Il y a autre chose qui est possible mais c’est très certainement l’option qui me fait le plus mal. Elle a rencontré quelqu’un d’autre. Elle est tombée amoureuse d’un autre homme et n’a pas eu le courage de me quitter, alors elle a pris toutes ses affaires pour s’enfuir avec lui. Je savais bien que ça finirait par arriver parce qu’Alex, elle était beaucoup trop bien pour moi. Je suis nul, je n’ai rien pour moi et je faisais tâche à côté d’elle. Trop belle pour moi. Beaucoup, beaucoup trop belle pour être un mec aussi basique que moi. J’ai pas grand chose qui penche en ma faveur. Je ne suis pas bien grand, mon corps n’a rien d’attirant et contrairement à la moitié des garçons avec qui elle traînait je ne suis pas musclé. Alex a dû ouvrir les yeux, elle a dû se rendre compte qu’elle méritait mieux et qu’elle pourrait facilement avoir n’importe quel homme et elle a rencontré celui qui fait vibrer son cœur comme elle fait vibrer le mien.
Mais elle ne m’aime plus, et peut-être même qu’elle ne m’a jamais aimé. Aujourd’hui et ça depuis quelques semaines j’ai compris qu’elle ne reviendra pas. Elle a trouvé son bonheur ailleurs quand moi j’avais trouvé le mien avec elle. C’est triste mais je pense que c’est la vie et je suis en train de vivre mon premier chagrin d’amour. Alex m’a abandonné depuis deux mois mais mon cœur est encore complètement brisé en mille morceaux. Mais j’ai honte et je me sens humilié de m’être fait abandonner comme elle l’a fait alors je mens à tout le monde. On a rompu. Ça fonctionnait plus entre nous. C’est ce que je dis à tout le monde pour expliquer pourquoi Alex ne passe plus tout son temps chez moi, pour apporter des explications à notre rupture si brutale. Et si ça a été inattendu pour tout le monde je ne vous explique pas à quel point ça l’a été pour moi. Sauf que maintenant je ne passe plus mon temps à me morfondre de mon côté. Je ne passe plus tout mon temps à pleurer les souvenirs d’une histoire d’amour qui m’a semblée parfaite. J’essaie de tourner la page, j’essaie de reprendre ma vie en mains et quand on m’a proposé de sortir hier soir c’est sans hésiter une seule seconde que j’ai accepté. J’ai sûrement un peu trop bu et j’ai terminé la soirée avec une fille dans le seul espoir de ne plus pense à Alex qui hante toujours mes pensées depuis ces deux derniers mois. Et ça marche. Ça fonctionne, parce qu’à chaque verre bu je ne pense pas à elle. À chaque fois que j'embrassais cette fille, ce n’est pas à elle que je pansais. Sauf que quand j’ouvre les yeux, la première personne à qui je pense c’est bien sûr Alex. Il est tard quand je me réveille et après avoir bu un café la première chose que je fais c’est filer sous la douche.
“Caleb, c’est Prim!” Étonné, c’est en fronçant un peu les sourcils que j’avance vers la porte contre laquelle ma sœur vient de toquer. « Prim ? » Ma main se pose sur la poignée de la porte que j’ouvre, et c’est bien ma sœur qui se tient juste devant moi. Je lui souris doucement et si j’ai peut-être envie de la prendre dans mes bras tant je suis heureux de la voir, je reste sur la réserve. Parce que la désinhibition de tout l’alcool que j’ai ingurgité hier soir s’est évaporée, mais par contre la gueule de bois est toujours bien présente. « Je suis super content de te voir. » Même si ce n’est pas flagrant, mais je n’ai jamais été le plus expressif. Je me décale pour la laisser entrer et referme la porte derrière elle. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Maman et papa sont avec toi ? » Je lui demande alors que ma main se perd dans mes boucles. Je sais qu’elle avait pour plan de venir poser ses valises à Brisbane mais je ne sais absolument pas quand elle compte franchir le pas. En même temps, on ne peut pas dire que j’ai réellement pris beaucoup de nouvelles de qui que ce soit ces derniers temps.
Je suis assez fébrile même si cela se démontre sous des traits anxieux et stressés chez moi. Chaque énergie positive se transforme et transparaît par des biais négatifs chez moi ; je ne suis pas encore pleinement habituée, et je ne peux pas dire que je sois à chaque fois la plus heureuse, même quand je le suis. Car s’il s’agit d’ici un rêve que je nourris depuis des années, de pouvoir prendre mon envol, être dans une grande ville, avoir ma propre habitation, voilà que je reste complètement terrifiée et remplie d’incertitude. Mais tout est mis en arrière pour l’instant, du mieux que je peux, alors que mon sourire est plutôt imposant sur mon visage - plus que d’habitude en tout cas - car je toque à la personne que je sais ne pourra que m’aider à m’aiguiller et me repérer dans cette grande ville dont je n’ai pas connaissance. J’ai de la chance d’avoir un frère déjà habitant des lieux depuis quelques années, je l’admire encore plus à ce moment précis de l’avoir fait sans connaître personne - mais dans le cadre de ses études, il a forcément dû avoir déjà un premier lien avec la population. Alors que moi, je ne compte pas faire d’études ; je compte gagner ma vie. Et profiter de cette rue commerçante que j’ai déjà repéré sur internet.
Mais avant d’aller dans les commerces, voilà la porte qui s’ouvre et je me force à sourire avec un poil de vigueur supplémentaire quand mes prunelles bleutées croisent les mèches bouclées brunes de mon aîné. « Je suis super content de te voir. » les effusions n’ont jamais été de notre ressort et cette phrase suffit à me contenter et à me faire plaisir. Le contraire aurait été très malheureux, en vrai - j’aurai peut-être dû informer mon frère que je débarquais à Brisbane, ceci dit. J’ai un doute sous l’effet de surprise mais j’ai réussi à faire tenir la langue de maman - enfin en tout cas, je l’espère, tout comme j’espère qu’elle n’a pas déjà appelé Caleb pour lui dire de veiller sur moi et qu’il joue la comédie. Non, impossible, Caleb est un piètre menteur, contrairement à moi. Oh si tu savais, Anderson, qu’il peut être bien plus doué que tu ne le crois. Mais sûrement que le coup de fil arrivera un moment ou un autre. Je connais maman pour savoir qu’elle le fera un jour ou l’autre. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Maman et papa sont avec toi ? » je rentre dans son appartement en serrant mon sac contre moi tout en pinçant ma lèvre. Je suis presque fière de secouer la tête à la négative. “Non. Papa m’a déposé mais je suis toute seule.” je me retourne vers Caleb avec mon sourire de nouveau sur mes lippes. “Je suis officiellement habitante de Brisbane.” que je m’exclame légèrement en levant mes mains. “Donc pas de chaperon, juste moi et…” un bruit se fait vers le couloir attirant mon regard et je m’arrête net en voyant une fille. Comme une étrange créature venant d’un autre monde. “Peut-être que je dérange, non ?” je demande avec le teint qui rosit légèrement - il y a une fille ici, ce matin, et j’ai une foule de questions dans ma tête. Interrogations que je garde pour l’instant dans ma cabosse alors que je n’ose même pas m’asseoir ; même si Caleb m’a invité, signe que non, je ne dérange pas, est-ce que ça ne serait pas par simple politesse ? Ou est-ce qu’il a juste oublié la présence de cette fille ? Je n’en sais rien et, pour être honnête, je ne sais pas si je veux le savoir. Je me doutais qu’il pouvait se sentir seul depuis sa rupture avec Alex mais mon frère n’avait pas l’air de ceux qui ramènent une fille à la maison. Ou est-ce que c’est plus qu’une fille ? Des questions, toujours des questions, mais mes lèvres restent closes. Contrairement à mes yeux qui passent de la fille à Caleb. Je ne sais pas trop où me mettre, là.
Mon mode de vie a totalement changé ces dernières semaines et je ne suis pas sûr que ce soit quelque chose de très positif. J’ai retrouvé ma solitude qui ne m’avait clairement pas manqué. Mon petit appartement semble bien vide sans elle, sans toutes ses affaires qui prenaient le peu de place que j’avais. La salle de bain aussi a regagné beaucoup de place sans tous ses produits de beauté ou son maquillage qui occupait presque tout l’espace des petits meubles. Ne parlons pas de mon lit dans lequel je ne me suis jamais senti aussi mal. J’y ai de nouveau toute la place que je veux sauf que moi, j’aimais beaucoup pouvoir m’endormir en la serrant dans mes bras tous les soirs mais ça n’avait pas l’air réciproque puisqu’elle est partie. Ça fait mal, ça déchire le cœur, c’est même terriblement humiliant se faire abandonner du jour au lendemain sans un mot sans aucune explication. Tous les jours encore je pense à elle, à ses yeux dans lesquels je me perdais tous les jours, à son rire qui était de loin le son le plus adorable jamais entendu de ma vie. Mais ça me fait plus de mal que de bien alors j’essaie de tout mettre en œuvre pour l’oublier et la chasser de mon esprit, puisqu’elle n’a pas eu beaucoup de mal à le faire, elle. Elle a disparu, elle n’est plus là et elle doit certainement déjà bien s’amuser avec son nouveau copain, parce qu’après réflexion c’est bien la solution la plus logique que j’ai trouvée : elle a rencontré un autre homme et n’a pas eu le courage de me le dire. Alors moi aussi j’essaie de rencontrer de nouvelle personne, j’essaie de l’oublier avec d’autres femmes. Méthode complètement ridicule parce que si je ne pense plus à elle quand je suis avec une autre, c’est bien toujours vers Alex que mes pensées se tournent à longueur de journée.
Je n’avais pas prévu de recevoir de la visite ce matin mais quand je vois ma sœur de l’autre côté de la porte, je suis content, même si je ne suis clairement pas le plus doué pour le montrer. Habituellement pas parmi les personnes les plus souriantes ni les plus expressives, depuis ces dernières semaines je garde d’autant plus pour moi tout ce que je ressens. “Non. Papa m’a déposé mais je suis toute seule.” Je referme la porte derrière elle et me retourne vers ma sœur quand elle reprend la parole. “Je suis officiellement habitante de Brisbane.” Cette fois c’est un vrai sourire qui s’étire sur mes lèvres. « C’est vrai ? » C’est avec une pointe de surprise dans ma voix que je lui réponds, parce que si je savais que ma sœur avait envie de venir poser ses bagages à Brisbane je ne savais pas quand son projet aller se concrétiser. « T’as trouvé un appartement ? » La réponse semble assez logique, en soit, et j’ai déjà hâte que ma sœur me fasse visiter son petit cocon douillet. “Donc pas de chaperon, juste moi et…” Mon regard suit celui de ma sœur pour se poser sur cette fille avec laquelle j’ai passé la nuit, et à cet instant précis je sens mon rythme cardiaque s’accélérer. “Peut-être que je dérange, non ?” Très rapidement et sans oser croiser le regard de Primrose je secoue énergiquement la tête de gauche à droite. « Non, non. Assieds-toi, j’arrive. » Je désigne d’une main le petit canapé et rejoins ladite fille dans le couloir. Elle se chausse rapidement tout en jetant quelques coups d’œil à Primrose. « Il y a ma sœur qui vient d’arriver, t’as bientôt fini ? » Je lui parle doucement, ne voulant pas que Prim puisse m’entendre. « Oui, oui. » Elle prend sa deuxième chaussure qu’elle enfile rapidement et se redresse pour m’embrasser sur la joue. Je me décale légèrement en grimaçant un peu et l’accompagne jusqu’à la porte de sortie nous obligeant ainsi à passer juste devant Prim. Je suis gêné, vraiment très gêné et je pense que ça se voit sur mon visage. Elle me glisse encore quelques mots et dès que je la vois tourner les talons je referme la porte derrière elle. Ma main passe dans mes boucles bien plus longues qu’à l’accoutumée et je masse un instant ma nuque et il me faut quelques secondes avant d’oser croiser le regard de Prim. « Désolé…je… » Je ne m’attendais pas à avoir de la visite ce matin et je commence à découvrir les joies de ma nouvelle vie de célibataire. Non, bien sûr que non je ne lui dis pas ça parce que ce nouveau mode de vie ne me plaît absolument pas. . « Désolé pour ça. » Je m’excuse encore une fois, jamais je n’aurais voulu que ma sœur assiste à une scène pareille surtout parce que je ne suis absolument pas fier de lui montrer cette toute nouvelle facette de moi.
« C’est vrai ? » Caleb a l’air surpris et je ne comprends pas vraiment pourquoi ; après tout, j’ai déjà évoqué plusieurs fois l’idée de vouloir aller dans une grande ville et celle où se trouve mon frère, qui est la plus proche de Warwick, me semble tout à fait adaptée. C’est même carrément un rêve éveillé que de pouvoir me dire que j’ai mon indépendance à moi toute seule - même si en contrepartie, je panique déjà de savoir combien de temps mes économies seront suffisantes pour mener une vie décente. Je ne compte pas rester habiter avec une vieille dame, aussi charmante soit-elle. Mais je hoche la tête avec un léger sourire ; je suis véritablement heureuse d’être là, au milieu de ces grandes tours, cette agitation, les voitures, les magasins, tout à portée de main. Je suis peut-être un peu trop euphorique sur le moment mais il faut mettre ça sur l’excitation du premier jour. Ce premier jour où je me retrouve malgré tout à me précipiter chez mon frère - c’est assez ironique au final. Je quitte Warwick pour m’éloigner de ma famille mais au final, savoir qu’un membre est proche de moi me rassure grandement. Ce n’est pas pareil, je peux le voir quand je le veux, je n’y suis pas forcée si je ne le souhaite pas. « T’as trouvé un appartement ? » là, je rougis légèrement en baissant les yeux, mes mains contre la lanière de mon sac. “Mmh… J’ai trouvé une chambre. Chez une vieille dame.” ce n’est pas dans mes goûts, ce n’aurait pas été mon premier choix, je veux croquer dans bien plus grand que de la tapisserie pour vieux et de la décoration de vieux et de me faire appeler “ma mignonne” mais Rosemary ne m’a laissé qu’une bonne impression, je ne peux que lui donner le bénéfice du doute.
Mais une chambre chez une vieille n’est rien comparée au petit cocon que Caleb a réussi à avoir et que je n’ai eu de cesse de voir avec envie quand je venais ici à de rares occasions. Je me demande dans combien de temps je pourrai avoir mon propre appartement moi aussi. J’ai vraiment beaucoup trop hâte de pouvoir décorer comme je le souhaite sans personne pour me dire de faire autrement ou que c’est moche ou que ça ne va pas. Mais pour l’instant, ce qu’il ne va pas, c’est qu’il y a une fille dont j’ignore l’identité à l’autre bout du couloir. « Non, non. Assieds-toi, j’arrive. » il ne faut pas me le dire deux fois ; je me détourne complètement de mon frère qui s’en va parler à cette fille alors que je m’installe sur le canapé , le dos contre le dossier, les mains docilement posées sur mon sac qui loge sur mes cuisses. Mes prunelles bleutées dévient légèrement sur Caleb et cette fille qui a l’air de se précipiter à partir, mais non sans un baiser sur la joue de mon frère qui me surprend. Mais par pudeur, je détourne rapidement les yeux, d’autant qu’ils passent juste devant moi et que… C’est gênant, d’accord. Il y a des chances qu’ils ont… Je ne préfère même pas y penser et ma nuque reste coincée dans l’autre sens que les deux autres qui se quittent sur le seuil de l’appartement, forçant mes oreilles à se faire sourdes afin de ne rien entendre.
La porte se ferme et je desserre légèrement mes lippes en regardant le plafond, le silence se faisant place alors que je suis persuadée que Caleb a encore plus envie de s’enfuir six pieds sous terre que moi. On est proches, oui, mais pas à ce point. Chacun a son jardin secret et il est clair que nous vivons très bien l’un et l’autre sans savoir ce qu’il se passe chez l’un et l’autre. « Désolé…je… » je hoche la tête lentement, gardant mon visage levé vers le plafond, car oui, c’est malaisant. « Désolé pour ça. » d’autant qu’il a rompu avec Alex il n’y a pas si longtemps ; je ne pensais pas mon frère capable à se remettre en selle aussi rapidement. Je finis quand même par reposer mes yeux sur mon aîné en tripotant toujours mon sac. “Je vois que tu te remets vite de ta rupture, en tout cas.” ce n’est pas un jugement, mais un constat - et si c’est dit sous le ton du jugement, ce n’est pas volontaire. Je n’ai jamais compris pourquoi ils avaient rompu en premier lieu car ils étaient le couple parfait à mes yeux - si parfaits que je les jalousais profondément. Je pensais voir mon frère malheureux (au moins un peu) mais visiblement non, il va bien. Et je ne sais pas pourquoi, mais ça me frustre. Il devrait être malheureux, en étant en pleine peine de coeur, n’est-ce pas ? “Maman te passe le bonjour.” pas besoin de parler de papa ; nous savons tous dans la famille que le cœur y est quand même.
C’est officiel, je ne suis plus le seul Anderson à avoir quitté la ferme familiale pour poser mes bagages à Brisbane. Prim m’a rejoint et si je savais que c’était dans ses projets et envies futures je ne pensais pas la voir de sitôt ici. Mais je ne m’en plains pas bien au contraire, on ne peut pas dire que je sois dans la meilleure période de ma vie en ce moment et peut-être qu’avec l’arrivée de ma sœur dans la même ville que moi elle pourrait m’aider à tourner un peu la page ? Ou ne serait-ce que me sentir un petit peu mieux. Un peu moins perdu. Un peu moins minable. Avoir un peu moins mal, bien que pour ce dernier point je ne suis pas sûr que qui que ce soit puisse faire grand-chose pour moi. Alex a emporté avec elle ma sérénité et le bonheur qu’elle m’avait apporté en entrant dans ma vie et je la déteste pour ça. Bien qu’en réalité je sois incapable d’avoir le moindre sentiment négatif à son égard. “Mmh… J’ai trouvé une chambre. Chez une vieille dame.” J’hoche la tête. Je ne sais pas si j’aurais aimé devoir louer une chambre chez un particulier, manque d’intimité bien trop important pour le solitaire et le grand complexé que je suis.
Malheureusement le timing d’arrivée de ma sœur n’est pas le meilleur qui soit et la fille avec qui j’ai passé la nuit ressort tout juste de la salle de bain au moment où j’invite Primrose à s’installer. Je suis mal à l’aise et je n’essaie même pas de le cacher. Je rougis certainement un peu sans m’en rendre compte et je disparais un instant pour rejoindre cette fille dans le couloir l’invitant ainsi gentiment à terminer de se préparer pour me laisser seul avec ma sœur. Elle fait vite, elle essaie de se dépêcher sans trop attirer l’attention sur elle. Je suppose qu’elle doit être gênée, elle aussi. Je ne connais pas grand-chose d’elle et vu ce qu’il s’est passé entre nous cette nuit cette pensée peut paraître dingue mais elle reste pourtant cruellement vraie. Elle m’embrasse sur la joue et instinctivement j’éloigne mon visage et me recule un peu. Encore une fois, ça doit paraître ridicule mais je n’aime pas les marques d’attention devant autrui et encore je ne suis pas du tout tactile. Sauf quand je suis amoureux et là, ce n’est pas le cas. Je l’accompagne jusqu’à la porte d’entrée et sans oser croiser le regard de ma sœur je m’excuse pour cette situation tout aussi embarrassante pour elle que pour moi. “Je vois que tu te remets vite de ta rupture, en tout cas.” Simple. Efficace. Elle ne le sait peut-être pas mais elle vient d’appuyer sur une plaie encore totalement ouverte et ça fait mal. Je sens mon cœur se serrer et la culpabilité et la honte m’envahir. Je baisse les yeux et c’est maintenant des larmes qui me montent aux yeux, je prie surtout pour que ma sœur ne le remarque pas. Quoi que. Je passe pour un enfoiré, un monstre sans cœur, ce que je suis certainement. Je secoue énergiquement la tête de gauche à droite lui signifiant ainsi que non, je ne me suis absolument pas remis de ma rupture. “Maman te passe le bonjour.” Toujours le regard baissé je n’ose pas croiser celui de ma sœur de peur de ce que je pourrais lire dans ses yeux. Je me torture la lèvre inférieure et il me faut certainement une bonne minute pour que je daigne lui répondre. « Tu veux boire quelque chose ? » L’art d’éviter les sujets qui fâchent. Maman me passe le bonjour. Maman n’aimait pas beaucoup Alex, elle doit être contente d’apprendre que je ne suis plus avec elle. Je me lève d’un bond pour me réfugier dans la cuisine mais Prim a toujours un visu sur moi. Il est petit, mon appartement, alors je ne suis finalement qu’à quelques petits mètres d’elle. Je me sers un verre d’eau pendant que la machine à café se met en marche et je vide le verre d’une traite en prenant des médicaments, qui, je l’espère, devraient m’aider à faire disparaître cette gueule de bois.
Non je ne vais pas bien, Prim. Non je ne me suis pas remis de ma rupture, Prim. Il n’y a même pas réellement eu une vraie rupture, d’ailleurs. Des mots que j’aimerais lui dire mais rien ne sort. C’est seulement quelques larmes qui coulent mais rapidement je les essuie d’un revers de la main. « Elle est dans quel quartier, la chambre que tu loues ? » Je déglutis et ose enfin relever les yeux brillants vers ma sœur. J’essaie tant bien que mal de ne pas repenser à sa réflexion qui m’a fait beaucoup de mal en me concentrant sur elle.
Ce n’est pas tant un reproche qu’un constat ; j’aurai pensé que sa relation avec Alex fut assez sérieuse pour que Caleb soit encore en train de se morfondre mais ce n’est pas le cas. Je suis à la fois surprise et un peu déçue mais en même temps, j’ai peut-être idéalisé leur relation comme j’ai tendance à le faire pour tout et n’importe qui. J’idéalise car ça m’est inaccessible, j’en rêve mais ça ne m’est jamais arrivé. Je débarque à Brisbane avec l’ambition précaire de vouloir trouver ma place quelque part, ailleurs que dans ma fratrie, plus loin que Warwick. Pouvoir aussi me fondre dans la masse sans être vue comme une paria. Mes derniers mois au lycée ont été particulièrement horribles puisque certains de mes camarades sont tombés sur des vidéos de webcaming que je faisais pour économiser un peu plus pour pouvoir m’offrir cette chambre chez Rosemary. Autant dire que me retrouver dans cette grande ville où personne ne peut me reconnaître est un nouveau départ pour moi. Cependant, l’ironie veut que j’aille voir mon frère en guise de première visite de mon installation officielle dans le coin et si je pensais le trouver effondré, je me suis plantée en beauté.
« Tu veux boire quelque chose ? » si je l’avais regardé quelques minutes auparavant avec plus de concentration et de considération, j’aurai pu voir que Caleb n’est pas si bien que cela. Qu’il y a un mensonge derrière sa vérité qu’il ne souhaite pas dire, pas dévoiler. Mais je ne vois rien, trop occupée à regarder la décoration de son appartement alors qu’il y a une légère gène qui persiste - voir une conquête de mon frère à mon arrivée à Brisbane n’était pas franchement dans ma liste à faire. “Je veux bien un chocolat s’il te plaît et si tu as.” même si nous rentrons au printemps, j’ai une envie de sucré immédiat. J’observe Caleb aller dans sa cuisine pour nous servir alors que je reste le cul enfoncé dans le canapé, les mains sur mon sac, avec la sensation soudaine de déranger. J’aurai dû prévenir. “La prochaine fois, je préviendrai.” que je marmonne légèrement. Il faut dire que ce n’est vraiment pas une scène que j’aurai associé à Caleb - est-ce que sa relation avec Alex l’a changé à ce point ? Je n’ose pas l’imaginer si c’est le cas. Je ne veux pas non plus voir mon aîné se transformer en Don Juan qui enchaîne les femmes sans les respecter. Ca serait absolument affreux.
« Elle est dans quel quartier, la chambre que tu loues ? » je plisse le front pour tenter de me rappeler. “Euh… Fortitude, je crois.” je pince ma lèvre avec mes dents. “J’espère ne pas y rester trop longtemps mais en attendant d’avoir un emploi, c’est le bon deal.” ce n’est pas comme si je pensais à mon manque d’intimité - ayant grandi dans une famille nombreuse, on peut dire que je ne connais pas la signification de ce mot. “Est-ce que… tout va bien ?” que je demande quand même malgré tout. Il n’y a pas à dire, voir une étrangère chez mon frère me rend toute chose et pas dans le bon sens du terme. Quand on le connaît, c’est même inquiétant - c’est bien pour cela que je pose la question en le regardant à distance.
Je n’ai jamais été le plus doué pour montrer mes sentiments, l’idée de les cacher au maximum m’a toujours semblée plus simple et bien plus attrayante. Présenter Alex à mes parents avait été un vrai défi pour moi, parce que j’appréhendais ce moment-là de peur qu’ils n’apprécient pas la femme grâce à qui j’étais sur un petit nuage depuis plusieurs mois. Mais aussi parce que pour la première fois, mes parents allaient me voir amoureux et cette idée me faisait peur. Idiot, non ? Oui, c’est certainement un mot parfait pour me décrire. Imbécile, idiot, ridicule, nul, pas doué ; et j’en passe. Pas si étonnant que ça qu’Alex soit partie, elle méritait mieux. Un homme, un vrai, qui la fasse vibrer et qui n’ait pas peur de tout et rien. Trouillard aussi, sûrement encore un mot qui passe par la tête de beaucoup en parlant de moi et je ne peux pas leur en vouloir ni même essayer de le nier puisque c’est simplement la pure vérité. Quand j’ai appris à mes parents que ma relation avec Alex avait pris fin, ils n’étaient pas étonnés je le sais, je l’ai vu dans leurs yeux dans leur comportement ils n’avaient pas besoin de me dire quoique ce soit. Une fille aussi belle qu’Alex n’avait rien à faire avec un mec comme moi. C’est simple, clair, mais pourtant moi j’ai fini par y croire. Beaucoup trop. Bien trop vite, je pense et c’est sûrement aussi ça qui l’a fait fuir. Oui parce qu’elle ne t’a pas quittée, elle t’a fui comme un pestiféré. Et tu le mérites Enfin ça c’est ce que tu t’es mis en tête parce qu’en vérité ce n’est pas vrai. D’autant qu’il faut bien dire que rester dans cet appartement ne m’aide pas vraiment à oublier ma relation passée, et si sur un coup de tête, de colère j’ai jeté toutes les photos d’Alex et moi les souvenirs persistent et ne s’oublient pas si facilement.
“Je veux bien un chocolat s’il te plaît et si tu as.” J’acquiesce d’un signe de tête et part me réfugier à quelques mètres de ma sœur, dans la cuisine pour lui préparer son chocolat et me faire couler un café. J’en aurais bien besoin pour me réveiller, et peut-être que le café aide avec la gueule de bois ? Je ne sais pas, je n’ai pas l’habitude de me sentir comme ça et je me dis qu’Alex doit le savoir, elle. Elle sort beaucoup, et les lendemains de ses soirées trop arrosées je lui préparais toujours une aspirine et un petit-déjeuner que je lui ramenais au lit. Mais personne ne se préoccupe de moi, personne pour me faire ce genre de petite attention tout simplement parce que tout le monde se fiche royalement de moi. Et je les comprends. “La prochaine fois, je préviendrai.” Et voilà qu’à cause de moi et de mon comportement pitoyable ma sœur ne se sent pas la bienvenue. Je me déteste à un point inimaginable. « Non arrête. » Je secoue la tête de droite à gauche. « Je suis désolé. Tu seras toujours la bienvenue Prim, je t’assure. » Mais mes paroles ont finalement pu de valeur et je ne peux pas lui en vouloir pour ça. C’est de ma faute et simplement de la mienne.
J’essuie d’un revers de la main les larmes qui ont coulées le long de mes joues avant de rejoindre ma sœur avec son chocolat qui est accompagné d’une petite brochette de chamallows. “Euh… Fortitude, je crois. J’espère ne pas y rester trop longtemps mais en attendant d’avoir un emploi, c’est le bon deal.” Je bois une première gorgée de mon café. « Tu me montreras ? » Je relève les yeux brillants vers ma sœur. « Ça me fait plaisir que tu sois à Brisbane. » Qu’un membre de ma famille soit proche de chez moi. Parce que si je suis un grand solitaire depuis toujours, en ce moment la solitude m’étouffe et me fait extrêmement peur. Comme quoi même mes sentiments ne sont plus logiques. “Est-ce que… tout va bien ?” Oui tout va très bien. J’ai envie de lui répondre ça mais ça serait un énorme mensonge mais depuis la fin de mon histoire avec Alex je n’ai de tout façon pas vraiment l’impression que qui que ce soit ne soit réellement intéressé de savoir comment je vais vraiment. Je baisse les yeux et j’hoche positivement la tête de haut en bas. Oui je vais bien. Mais pas crédible pour un sou. Je déglutis alors que mes doigts se resserrent autour de la tasse de café. Il y a sûrement de longues secondes qui s’écoulent entre sa question et la réponse verbale que je vais enfin lui apporter. « Elle me manque. » Ça c’est vrai et c’est tout doucement que je prononce ces mots. « On a pas rompu. Elle est juste partie. Du jour au lendemain, sans un mot. » Comme si je n’avais jamais compté à ses yeux. Et c’était sûrement le cas. Quel imbécile j’ai été d’y avoir cru.
« Non arrête. » je ne comprends pas ce qu’il me dit. Arrêter quoi ? Je ne suis pas polie à me pointer comme une fleur sans prévenir. Evidemment que Caleb a une vie. Bien sûr qu’il a ses préoccupations, ses problèmes, ses histoires à lui. Je n’aurai pas dû passer à l’improviste. Ce n’est pas correct et je m’en veux. Autant dire que la leçon est apprise et enregistrée. J’aurai seulement aimé d’une manière différente. Parce que là, ça a été beaucoup trop d’informations en très peu de minutes et en très peu de temps. « Je suis désolé. Tu seras toujours la bienvenue Prim, je t’assure. » je le connais ; il s’en veut. Je ne sais pas de quoi exactement mais il s’en veut. Et parce que notre famille, ou en tout cas mon frère et moi, est logique, je m’en veux aussi. De passer à l’improviste, sans prévenir, et de lui faire sentir de l’ingratitude à son égard. Serais-je trop sauvage ? Je ne m’en rends pas compte. Je ne comprends pas forcément tout ce qui se passe dans ma tête ni comment peuvent ressortir mes gestes et mes mots. Ma mère me dit que je suis parfois trop brutale. Trop agressive. Je ne m’éparpille pas mais j’ai un mauvais caractère. Je ne suis pas aussi souriante et solaire que les jumelles. Et je suis loin d’être aussi douce que Caleb peut l’être. Comme d’habitude, je navigue en eaux troubles. Je ne dis rien de plus parce que ça ne sera qu’une spirale sans fin du serpent qui se mord la queue ; d’autant que j’ai décrété que je préviendrai, un point c’est tout. C’est bien plus poli et clean comme ça.
Je souris néanmoins à Caleb en le remerciant du chocolat, ne pouvant que m’amuser de voir les petits chamallows qui débordent de la tasse pour mon plus grand bonheur. Il connaît ma dent sucrée et les chamallows sont une douceur dont je ne me prive jamais. « Tu me montreras ? » je lève mes yeux vers lui en levant ma tasse. “Bien sûr. Tu rencontreras Rosemary qui fait les cookies les plus appétissants du monde.” je suis persuadée qu’elle connaît des recettes de famille vu son âge avancé qu’elle pourrait partager avec Caleb mais je ne lui ai pas encore assez parlé pour savoir. « Ça me fait plaisir que tu sois à Brisbane. » oh, je suis assez émue de l’entendre me dire ça. “Moi aussi.” que je réponds simplement mais le coeur y est ; les élans affectifs ne sont pas fait courant entre nous. C’est sûrement pour cela que je suis prise de court par cette simple affirmation. D’autant que le Caleb en face de moi n’a rien de celui que j’ai l’habitude de croire. Il a l’air de se réveiller d’une mauvaise nuit, les traits tirés - et j’évite de penser à cette fille pour ne pas m’attirer de nouvelles rougeurs de la gêne sur mon visage.
Par contre, à ma question, le hochement de tête de Caleb me laisse perplexe. J’ai du mal à le croire. Dans mon esprit, il est impossible de se remettre rapidement d’une relation amoureuse. Je suis déjà assez surprise de le retrouver avec une fille dans son appartement, me demandant comment il peut en être déjà là. Le silence s’installe et j’attends patiemment car il doit sûrement débattre dans sa tête pour savoir comment et quoi me répondre ; car il est clair que je ne me contenterai pas de son hochement de tête. Ou alors qu’il débat sur un changement de conversation. « Elle me manque. » je relève mon attention sur lui alors que j’étais plongée lèvres puis yeux dans mon chocolat. Trois petits mots dont je ne m’attendais pas. Trois petits mots qui ne me surprennent pas, cependant. « On a pas rompu. Elle est juste partie. Du jour au lendemain, sans un mot. » mais ça, par contre… “Quoi ?” est-ce que j’ai bien entendu ? Elle est partie ? Me voilà complètement choquée. “Comment ça, elle est partie ? Elle a pris ses affaires et… Disparu ?” je suis sonnée par cette annonce ; comment est-ce qu’Alex avait fait ça ? Elle qui avait l’air si amoureuse, si éprise ? C’est clairement différent d’une rupture convenue à deux. Elle a abandonné mon frère. Pourquoi ? Il a bien dû se passer quelque chose, non ? “Sans rien dire ? Tu ne sais pas pourquoi ?” je réalise que Caleb nous a caché tout ça depuis tout ce temps ; je ne peux pas lui en vouloir, j’aurai sûrement fait la même chose.
Peut-être que c’est un signe du destin de voir Primrose s’installer à Brisbane au moment où je me sens plus seul que jamais. Je sais qu’elle appréciait beaucoup Alex, ce qui pourrait expliquer l’amertume dans sa voix me reprochant ouvertement d’avoir déjà oublié mon ex il y a quelques minutes de ça. Oh mais si elle savait, Prim je n’ai clairement pas oublié Alex. Si elle savait qu’il n’y a pas réellement eu de rupture, et secrètement j’espère sincèrement qu’elle va revenir. Parce qu’elle me manque terriblement et même si les sentiments que je ressens pour elle sont encore extrêmement contradictoires, je suis toujours amoureux d’elle. Elle pourrait revenir du jour au lendemain que je la laisserais sans aucun doute rentrer chez moi et reprendre la place dans mon appartement qu’elle semblait bel et bien s’être appropriée. Je l’aime oui, mais je la déteste aussi tout simplement parce qu’elle m’a fait mal. Elle me fait mal. Elle a pris mon cœur, l’a déchiré en deux et l’a piétiné sans l’ombre d’un regret. Sauf qu’elle ne reviendra pas mais ça j’ai beaucoup de mal à l’intégrer. Elle ne reviendra pas car elle se fiche royalement de moi, elle ne m’a sûrement jamais aimé et si vous saviez à quel point cette pensée me déchire à nouveau le cœur. “Bien sûr. Tu rencontreras Rosemary qui fait les cookies les plus appétissants du monde. ” Je souris doucement à ma sœur. Un sourire timide et certainement même à peine visible. Habituellement j’aurais rebondi sur ces fameux cookies mais ce matin j’ai bien trop mal à la tête pour ça. “Moi aussi.” Ce n’est pourtant pas grand-chose mais pour ma sœur et moi c’est déjà finalement beaucoup. On se ressemble beaucoup tous les deux, on garde tout pour nous, on ne parle pas beaucoup, pas autant que maman ou les jumelles. Prim et moi tenons bien plus de notre père et de son côté discret peu loquace et observateur.
Si j’avais voulu éviter cette question j’aurais sans aucun doute dû jouer le jeu, faire comme si tout allait bien pour moi, ne pas montrer à ma sœur à quel point je me sens encore triste, ne pas lui montrer combien sa remarque sur cette fille présente chez moi cette nuit m’a blessée. C’est ce que j’aurais dû faire mais voilà autre chose sur moi : je ne suis pas un bon comédien. J’essaie tout de même, j’hoche positivement la tête quand elle me demande si tout va bien mais je finis par me résigner ; je sais que je ne suis pas crédible. “Quoi ?” Oh tu as bien compris, Prim. Alex est partie sans penser une seule seconde à tout ce que j’allais pouvoir ressentir. “Comment ça, elle est partie ? Elle a pris ses affaires et… Disparu ?” Effectivement, elle a tout compris, oui. Et c’est d’ailleurs ce que je lui dis en hochant la tête. “Sans rien dire ? Tu ne sais pas pourquoi ?” Ma tête bouge de droite à gauche. J’aimerais savoir pourquoi, mais malheureusement je suis dans le flou depuis plusieurs semaines. « Tout se passait très bien entre nous, un soir je suis rentré du travail et…elle était plus là. » Mes épaules se lèvent et me remémorer cette soirée-là n’est pas une partie de plaisir, bien au contraire. « Au début je pensais juste qu’elle était partie passer la soirée chez une amie mais c’est quand je me suis rendu compte qu’elle avait embarqué toutes ses affaires… » Je n’arrive même pas à terminer ma phrase. C’est à partir de ce moment-là que j’ai compris que quelque chose n’allait pas et qu’elle n’était pas juste partie pour la soirée ni même pour la nuit. « J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois des centaines de fois mais elle ne répondait plus. » Je tombe directement sur sa messagerie et les sms que je lui ai envoyés sont également restés sans réponse. J’ai l’impression que parler de tout ça me détruit encore plus le cœur, comme si c’était possible. « Elle a dû trouver un autre mec, mais elle n’a pas eu le courage de me le dire. » Je déglutis difficilement le regard perdu, au loin. « Ça ne serait pas vraiment étonnant de sa part. » Elle n’a jamais été très courageuse, Alex, et il était assez clair que de nous deux j’étais clairement le plus amoureux. Elle ne m’a peut-être jamais aimé, d’ailleurs, ce qui ne serait pas étonnant.
Alex est partie. Comment c’est possible ? Comment c’est envisageable ? Leur couple semblait si idyllique. Parfait. Dans leurs différences, ils se retrouvaient mutuellement et tu aspires à la même ambition toi-même. Un jour tu aimerais rencontrer, vivre cet amour véritable. Ce n’est pour l’instant que des rêves de gosse. Ce petit jardin secret qui est si énorme tellement que tu es pudique et sur la réserve. Tu ne laisses pas n’importe qui entrer. Tu es discrète. Tu es pudique. Tu te laisses attendrir facilement, comme avec Ryan. Ryan qui a réussi à te séduire au lycée jusqu’à ce que tu apprennes que ce n’était qu’un défi. Ca empilé sur le scandale de tes séances de striptease sur le net, tu n’as pas connu des moments glorieux. Tu as besoin d’un nouveau départ. Suivre les pas de ton grand frère, les études en moins, la volonté en plus. Tu n’es pas une ambitieuse. Mais tu as des envies. La relation qu’a connue Caleb en fait partie. Mais voilà qu’Alex est partie et tu as l’impression d’être trahie toi aussi. Comment cela peut-il être possible ? L’aberration te prend de cours. Le choc, la surprise, l’étonnement. Caleb n’a pas pu la retenir ? Non, puisqu’elle a l’air d’avoir tout simplement disparu. Evaporé. Balayé le plancher. C’est un concept qui te dépasse. Comment peut-on abandonner quelqu’un que l’on aime ? Comment est-il possible de faire cet acte aussi égoïste que lâche ?
« Tout se passait très bien entre nous, un soir je suis rentré du travail et…elle était plus là. » juste comme ça. Tu es pendue à ses lèvres, tes prunelles bleues sont bloquées sur lui alors que tu assimiles ce qu’il te dit. Tu ne comprends pas plus que lui ; comment le pourrais-tu ? Tu n’étais même pas là. Tu n’étais pas impliquée. Du peu que tu as vu de leur relation, elle comblait ton frère de bonheur. Suffisamment pour que tu l’envie et que tu les jalouse. En plus, Alexandra avait tout ce qu’il fallait pour te faire crever de jalousie : elle était belle et elle était riche. Elle l’est toujours. Est-ce qu’elle s’est rendue compte que Caleb n’était pas assez bien pour elle ? Est-ce que madame a jugé que le pauvre petit Anderson n’était pas à la hauteur ? Cette pensée t’effleure et t’enrage ; de l’intérieur. De l’extérieur, tu reste les mains autour de ton mug. « Au début je pensais juste qu’elle était partie passer la soirée chez une amie mais c’est quand je me suis rendu compte qu’elle avait embarqué toutes ses affaires… » ton buste éternellement droit malgré qu’il prend forme contre le dossier du canapé. Tu es tellement choquée. Elle a prévu de partir. Elle a attendu qu’il s’en aille. « J’ai essayé de l’appeler plusieurs fois mais elle ne répondait plus. » tu n’en doutes pas une minute. Ton frère s’est accroché du mieux qu’il pouvait. Bien sûr. Oh tu n’imagines pas l’état de son petit coeur à ce moment-là. Tu avais déjà été assez choqué quand il vous avait annoncé qu’ils avaient rompu ; mais là, ce n’est pas une rupture, c’est un abandon. « Elle a dû trouver un autre mec, mais elle n’a pas eu le courage de me le dire. » tes sourcils se froncent et tu sens la colère en toi - c’est rare, mais ça arrive. « Ça ne serait pas vraiment étonnant de sa part. » tu secoues la tête. “Pourquoi ?” tu te rends compte que tu ne connais pas vraiment Alexandra. Tu as dû te laisser attendrir trop rapidement par votre séance shopping et les paillettes qu’elle a pu te mettre dans les yeux. Tu t’es laissée charmer comme n’importe qui dans la famille, et tu as été heureuse de sa présence car elle rendait Caleb heureux ; mais à présent que Caleb ne l’est plus, tu ne l’es plus non plus.
Tu déglutis légèrement, tu montes ton mug à tes lèvres, tu prends une respiration. “Je ne comprends pas comment ça a pu arriver. Je pensais qu’elle t’aimait vraiment. Ca aurait dû suffire pour qu’elle reste.” mais encore une fois, tu n’en sais rien. Tu n’étais pas dans leur intimité. “Vous vous étiez disputés ? Tu es sûr de n’avoir rien fait qui aurait pu la contrarier ?” tu hasardes mais tu doutes pouvoir trouver des réponses ; seule Alex les possède mais Alex n’est plus. Tu sers ta mâchoire avant de baisser la tête vers le sol. “Tu trouveras quelqu’un d’autre, Caleb.” que tu murmures doucement. Caleb n’est pas comme toi, il est honorable et droit. Il trouvera facilement quelqu’un. Il n’y a pas de casseroles à supporter ou à cacher. Contrairement à toi.
J’ai été bête de croire qu’Alex puisse s’intéresser à une personne aussi minable que moi. Il n’y a pas grand monde qui y a cru en notre couple, Alex même n’y croyait pas vraiment. Nombreuses sont les fois où elle m’a prouvé n’avoir aucune foi en nous et son départ précipité ne fait que renfoncer toutes ces impressions que j’ai pu avoir : elle ne t’aime pas, Caleb, regarde-toi. Personne ne pourrait t’aimer, tu n’es pas beau pas intelligent, pas intéressant, tu n’as pas d’argent et tu n’as absolument rien à donner à une femme comme elle. Je le savais, tout ça. Je savais que je ne la méritais pas mais pourtant comme un imbécile je suis tombé amoureux à la seconde même où mon regard a croisé le sien et je me suis promis de ne jamais lui faire du mal et de tout faire pour la rendre heureuse. Résultat des courses : c’est elle qui m’a fait du mal et me voilà plus malheureux que je ne l’ai jamais été. L’amour est le plus beau des sentiments qui existe. Je le sais, je l’ai ressenti pour Alex mais le retour à la réalité fait mal il est difficile à encaisser. “Pourquoi ?” J’hausse les épaules, c’est plus une impression qu’autre chose. Mais Alex c’était le genre de femme qui n’avait qu’à claquer des doigts pour avoir tous les hommes qu’elle voulait à ses pieds. Elle est belle, elle est charmante, elle pouvait même être cruellement adorable et me faire fondre en un battement de cils. C’est fou comme une personne peut prendre de la place dans notre vie en si peu de temps. Un an et demi, ce n’est pas grand-chose mais pourtant j’ai l’impression qu’elle laisse un immense vide dans ma vie depuis son départ. Dans mon cœur aussi. Et dans cet appartement où elle passait le plus clair de son temps. Et dire que je voulais lui demander d’emménager officiellement avec moi. Heureusement que je ne l’ai pas fait, je pense m’être assez ridiculisé comme ça. « Parce que je ne pouvais rien lui apporter. J’ai jamais été à la hauteur. » On le sait tous, ses amis le savaient tous et même ma famille devait le savoir. J’étais le seul à ne rien voir et c’est finalement assez pathétique. Le petit Anderson, fils de fermiers avec bien trop peu d’argent sur son compte bancaire, bien sûr qu’il ne pouvait rien apporter à la belle Alexandra Clarke qui était tellement riche qu’elle n’avait même pas besoin de travailler pour pouvoir vivre plus que convenablement.
“Je ne comprends pas comment ça a pu arriver. Je pensais qu’elle t’aimait vraiment. Ca aurait dû suffire pour qu’elle reste.” Je ne comprends pas non plus comment tout cela a pu arriver. Je ne comprends pas non plus pourquoi elle est partie du jour au lendemain, pourquoi elle n’a pas eu le courage de me quitter. Je pensais moi aussi qu’elle m’aimait vraiment mais j’ai dû me tromper. Encore une fois. Comme d’habitude. “Vous vous étiez disputés ? Tu es sûr de n’avoir rien fait qui aurait pu la contrarier ?” Je secoue énergiquement la tête de gauche à droite. « Non je ne vois vraiment pas ce que j’ai pu faire pour la contrarier... » Maintenant la question de ma sœur va me hanter et je vais également me torturer l’esprit pour essayer de trouver quelque chose que j’aurais pu dire ou faire et qui aurait pu lui déplaire. Primrose a raison, ça doit être de ma faute au fond. “Tu trouveras quelqu’un d’autre, Caleb.” Personne ne peut s’intéresser à moi, c’est bien la leçon que je retiens de tout ça. Ma poitrine se resserre et je me demande au bout de combien de temps on finit par se remettre d’une telle déception amoureuse. « Je ne pense pas. » Triste vérité. « Et puis c’est avec elle que je voulais faire ma vie. » Et avec personne d’autre, ça c’est une autre certitude que j’ai. « Je peux te demander de ne pas en parler aux parents ? » Parce que je me sens humilié au plus haut point et je ne veux pas que mes parents sachent à quel point leur fils est un raté qui s’est fait abandonner par sa copine.
« Parce que je ne pouvais rien lui apporter. J’ai jamais été à la hauteur. » c’est tellement faux. Même si une partie cruelle de ton être te hurle que c’est bien fait pour lui. Parfait Caleb trop idéalisé à tes yeux de cadette, celui qui réussit sur tous les plans et qui a même rajouté la copine parfaite - et riche - sous ton flair d’adolescente en quête d’elle-même. Tu as envie de protéger ton frère contre les effets visiblement néfastes de sa séparation mais dans un autre sens, ça te fait un plaisir malsain de le voir un peu se rétamer. Pourtant, tu oublies vite qu’il a déjà eu des moments dans sa vie où il n’a pas été glorieux. A l’école, notamment, il n’était pas plus populaire que toi. Au contraire, tu as suivi glorieusement ses pas. Mais lui a fini par devenir quelqu’un. Tu ne peux pas te blâmer, Primrose ; tu viens tout juste de quitter le lycée. Tu as encore tout à bâtir. Seulement, Caleb, lui avait un but, un objectif. Il avait des ambitions d’avenir, une envie de faire un métier honorable. Il a travaillé dur, il fait les études pour. Mais toi, tu viens avec la seule perspective de t’éloigner de Warwick, des critiques, des œillades, des moqueries et de ta famille. Tu n’aspire qu’à gagner de l’argent et faire du shopping tous les matins parce que ça doit ressembler à ça, la vie en ville, pas vrai ? Tu n’en sais rien, tu idéalises sûrement ça aussi mais tu le découvriras par toi-même avec le temps. En attendant, à peine arrivée, et te voilà assaillie par la détresse visible de ton frère qui finit enfin par craquer - c’est qu’il a tenu bon jusqu’à maintenant. Tu n’oses pas le prendre dans tes bras mais le coeur y est - ça ne fonctionne pas vraiment comme ça mais tant pis. Vous n’êtes pas expressifs dans vos sentiments, ça se voit car tu ne sais pas trop comment réagir. Tu n’as jamais subi une peine de coeur - juste l’humiliation. Tu ne peux pas non plus comprendre le pourquoi du comment du départ d’Alex. Tu croyais que l’amour, c’est éternel, pour toute la vie et au-delà. Surtout qu’ils avaient vraiment l’air amoureux. Mais tu es bien placée pour savoir ce que sont les apparences et les masques, n’est-ce pas, Primrose ?
« Non je ne vois vraiment pas ce que j’ai pu faire pour la contrarier... » tu n’as pas besoin de lire dans sa tête pour savoir qu’il va s’endormir avec tes questions tournant dans sa tête. Tu te mords la joue de l’intérieur tout en grattant la peau de ton pouce. « Je ne pense pas. » tes paupières se relèvent vers lui - évidemment qu’il va penser ça maintenant. Tu n’as aucune expérience, encore une fois, mais tu veux croire que personne n’est fait pour être seul indéfiniment. “C’est encore trop tôt pour que tu le conçois.” c’est drôle comment c’est plus facile à dire qu’à faire, n’est ce pas. Surtout quand ce n’est pas soi-même qui est impliqué. « Et puis c’est avec elle que je voulais faire ma vie. » il était vraiment amoureux - l’est toujours probablement. « Je peux te demander de ne pas en parler aux parents ? » tu le regardes, un peu surprise. “Euh… Oui, bien sûr.” tu restes silencieuse quelques secondes avant de gratter l’arrière de ton oreille. “Pourquoi ?” tu es toute innocente à poser ta question, réellement interrogative. Pourquoi cacher ce détail ? Au pire, maman va encore plus vouloir le couver, qu’est-ce qui peut arriver de mal à dire la vérité ? Tu es une bonne menteuse, de toute façon, une véritable petite cachotière professionnelle, ça ne devrait pas être trop compliqué.
L’humiliation est bien là. La douleur ainsi que l’incompréhension. Voilà plusieurs longues semaines que je suis seul dans ce petit appartement qui était devenu notre cocon à tous les deux. Je suis triste mais en même temps en colère. Je me sens démuni et cette première peine de cœur est bien plus compliquée que je n’aurais pu le penser. J’ai l’impression de ne jamais avoir été important et de n’avoir été finalement qu’une distraction, un mec parmi tant d’autre. Peut-être même que je n’étais pas le seul qu’elle voyait, pas le seul qui la faisait rire, ni même le seul avec qui elle couchait. Ça serait logique, ça expliquerait bien des choses mais ça n’enlève pas pour autant la douleur que je ressens à chaque fois que je pense à Alex – c’est-à-dire encore bien trop souvent. C’est bête, mais je pensais sincèrement que coucher moi aussi avec d’autres femmes pourrait m’aider à l’oublier mais je suis bien forcé de constater que ce n’est pas le cas. Elle reste celle que j’ai envie de retrouver tous les soirs quand je rentre du travail. Elle reste celle avec qui j’ai envie de partir en vacances l’été prochain. Londres, elle s’est bien foutue de moi en me faisant croire qu’elle voulait m’y emmener pour me faire visiter sa ville natale. C’est très certainement un autre qu’elle emmènera. Un homme qui ne fera pas tâche à côté d’elle si elle venait à croiser quelqu’un de sa famille ou quelqu’un qui connait sa famille proche. Parce que moi aux côtés d’Alex j’ai toujours eu l’air ridicule, pas à la hauteur et pathétique. Mon cœur me fait presque tout aussi mal qu’au premier jour mais c’est bien fait pour moi. C’est ce que la petite voix dans ma tête ne cesse de me dire. J’aurais dû m’en douteur. J’aurais dû écouter ma mère. « Elle est gentille et très jolie qu’elle m’a dit , mais vous êtes tellement différents. » Et ça, dans le langage Mary Anderson je savais très bien ce que ça voulait dire. Qu’elle n’avait rien contre ma petite-amie, mais qu’elle savait que notre relation e pourrait pas durer. Et pourquoi ça ? Parce qu’on est différents. Trop différents peut-être, pas assez semblables sauf que pour moi, ça faisait partie de nos forces.
“C’est encore trop tôt pour que tu le conçois.” C’est pourtant ma sœur qui m’a aussi reproché tout à l’heure d’avoir tourné la page trop vite en apercevant cette fille quitter mon appartement. Je me contente de lever les épaules alors que mon regard, lui, fixe un point imaginaire sur le sol. De toute façon, oui, c’est bien fait pour moi et peut-être même que je me demande sincèrement si l’amour et les moments de joie et de bonheur valaient le coup. Parce que la descente est difficile à gérer pour moi, je suis plus seul que jamais et j’ai l’impression que personne ne pourra m’aider. “Euh… Oui, bien sûr.” Je ne veux pas que ma mère et mon père sachent que leur fils n’est qu’une merde qui s’est faite abandonner, jeter comme une vieille chaussette inintéressante que l’on utilise plus. “Pourquoi ?” Question légitime puisqu’on ne peut pas réellement dire que je sois un très bon menteur bien au contraire, je suis ridiculeusement nul pour ça. « Parce que c’est humiliant. » que je lui réponds, doucement. Ce que mon entourage pense de moi a toujours été important et une source de stress importante pour moi et je ne veux pas que mes parents connaissent ma vérité sur cette non-rupture et cet abandon dont j’ai été victime. « Et ça me regarde. » Ce qui est totalement vrai et je commence à me ronger les ongles en relevant le regard vers ma sœur. « Ils aimaient pas vraiment Alex, de toute façon. » Plus ou moins vrai. Ils n’avaient rien contre elle mais ils ne comprenaient pas vraiment notre couple je pense.
J’ai sûrement l’esprit encore trop innocent concernant l’amour. Celui avec un grand A, celui qui transperce, qui fait vibrer, qui rend dingue et fou. Il faut dire que je n’ai jamais été amoureuse. J’ai eu des crushs, comme tout le monde, mais je n’ai jamais pu sentir mon coeur battre sous autre chose que du stress ou de la honte. D’humiliation ou de gêne. Mais quand j’ai vu Caleb et Alex pour la première fois ensemble, j’ai cru au fond de moi que c’était ça. L’Amour. Le vrai. Il faut dire aussi que je n’ai pas eu beaucoup de couples dans mon entourage. Je suis pauvre en amis, mes parents sont mariés depuis bien trop longtemps pour agir comme un jeune couple et mes sœurs sont bien trop jeunes pour les envisager avec quelqu’un. Alors forcément, voir mon aîné en couple fut quelque chose de revigorant à mes yeux. Cela m’a donné l’espoir que tout peut arriver dans une grande ville. Ce n’est pas à Warwick et ses regards de jugement que j’arriverai à trouver, à faire quoique ce soit. Caleb a nourri l’espoir en moi et j’étais sincèrement très heureuse de le voir aussi comblé. Je voulais quelqu’un comme Alex - je le veux toujours. Les attentions discrètes qu’ils avaient l’un pour l’autre, même sans être très démonstratives, certaines étaient perceptibles. J’enviais ça, je le désirais moi aussi qui n’a connu que le rejet jusqu’à présent. Que ce soit sur le plan amical et, évidemment, amoureux. Je reste dans ma coquille parce que les gens de Warwick ne sont pas agréables et pour le peu que je me sois ouverte, je n’ai été que le dindon de la farce.
Mais maintenant, j’apprends que non, Caleb n’a pas rompu avec Alex ; Alex l’a tout bonnement abandonné. J’en suis totalement sidérée mais aussi révoltée. Je le prends comme une attaque personnelle parce qu’après tout, elle m’a fait nourrir un rêve pour le détruire aussi rapidement ? Elle a attrapé le coeur de mon frère pour le délaisser ? Est-ce qu’il n’est pas assez bien pour elle ? Est-ce que ma famille n’est pas assez bien pour elle ? Si je me rappelle bien, Alex vient d’une famille aisée anglaise. Peut-être que la petite famille australienne de campagnards n’était pas à son goût. Je suis choquée. Comme si elle m’avait abandonné moi aussi. « Parce que c’est humiliant. » je veux bien le croire. C’est vraiment la princesse qui laisse tomber le gueux. C’est dégueulasse. Caleb est pourtant parfait - ce que je pense sans aucune objectivité mais qu’importe, à mon ressenti, c’est ce que je ressens. Une preuve que non, mon frère n’est pas infaillible mais en même temps, il est la victime de cette histoire. Comment n’a-t-il pas pu voir venir la chose ? « Et ça me regarde. » j’insuffle de l’air dans mes poumons en fermant les yeux. « Ils aimaient pas vraiment Alex, de toute façon. » j’y revois quelques repas après le séjour de Caleb avec sa copine. Maman parlant de l’anglaise avec passion, ponctuant que c’est une jeune fille agréable mais qu’elle a le sentiment que ça ne va pas durer. Qu’elle va forcément devoir repartir en Angleterre ou que les ambitions de Caleb viendront mettre à mal leur couple. Maman a une opinion sur tous et tout le monde ; personnellement, je préfère manger silencieusement et laisser maman parler. Seules les jumelles lui répondent, ce qui n’est pas surprenant. “Ils l’aimaient.” que je finis par dire en ouvrant les yeux sur mon frère. “Ils l’aimaient bien. C’est juste… Tu connais maman. Elle voit souvent le pire.” je gratte mon pouce nerveusement. “Parfois elle a raison. Mais c’est parce qu’elle s’inquiète pour nous.” j’imagine que c’est un truc de parents. “Elle ne vous trouvait juste pas très… compatibles.” c’est le mot. “J’arrive pas à croire qu’elle ait fait ça. Vous aviez l’air vraiment amoureux…” que je finis par murmurer doucement, en regardant fixement le sol devant moi. “Enfin, pour ce que j’en sais.” que j’ajoute car après tout, j’y connais rien. Mais leur histoire semblait belle et sincère.