| (craker #22) let us lose ourselves in the moment |
| | (#)Ven 28 Jan - 11:24 | |
| Gabriel est de plus en plus réveillé avec chaque journée qui passe, et ce ne sont plus seulement des pleurs qui remplissent ces périodes pour ton plus grand soulagement. Dans la dernière semaine, vous avez remarqué qu’il offrait de vrais sourires et vous avez même pu entendre son premier vrai rire. Si les nuits sont encore difficiles et le sommeil absent, les journées quant à elles se font de plus en plus douces, composées de doux moments malgré le caractère explosif de votre fils. Tu parviens de plus en plus à t’accrocher aux petites choses qui font du bien plutôt que de brouiller constamment du noir vis-à-vis de ce qui s’est passé pendant ton accouchement et après. Les souvenirs sont toujours aussi vifs et douloureux, mais ils ne prennent plus autant de place qu’au début. Tu te cherches toujours dans ton rôle de mère, l’impression de ne pas savoir faire demeure omniprésente et tu te demandes si ce sentiment d’incapacité finira par te quitter un jour ou l’autre ou bien si c’est seulement quelque chose avec lequel tu devras apprendre à cohabiter désormais. Tout comme le fait que tu sembles cohabiter avec Wyatt, toi qui n’as toujours pas quitter son appartement pour retrouver le tien, là où tu sais que ta sœur Haley est toujours d’ailleurs. Ce n’est pas que tu es pressée de retourner chez toi, au contraire, il faut dire que les choses sont bien plus simples alors que vous êtes deux à vous occuper de Gabriel à presque temps plein, même si Wyatt a tranquillement recommencé à écrire et quitte de plus en plus pour trouver un peu de calme, loin des cris de votre petit démon. Ce n’est pas non plus que tu n’es pas bien ici, c’est juste que plus le temps file et plus la discussion autour de ce que vous faites, de ce que vous êtes semble être évité et tu te demandes combien de temps est-ce que cela peut fonctionner. Peut-être bien que c’est la clé de votre semi-succès, de ne jamais aborder la question, se concentrer autre chose et faire comme si tout était normal alors que rien ne l’est vraiment.
L’anniversaire de Wyatt toutefois te ramenait à des souvenirs qui n’avaient rien d’une réussite, alors que tu te revoyais encore un an derrière, cette bague au doigt, les vestiges d’un jeu qui avait trop longtemps duré et un ultimatum qui aurait dû vous mener bien loin de l’endroit où vous êtes aujourd’hui. Tu peinais à croire tout le chemin que vous aviez fait dans la dernière année, les virages, les stops, les déchirures et les retrouvailles qui avaient bercé cette route sinueuse qu’avait toujours été cette relation particulière entre vous. Jamais tu n’aurais cru il y a un an à peine que tu te retrouverais ici, dans son appartement, avec son fils, votre fils dans les bras, à tenter de cuisiner un gâteau en utilisant une seule main puisque Gabriel avait évidemment choisi ce moment précis pour faire son difficile. Aujourd’hui, tu avais envie de changer le souvenir, d’en créer un meilleur, loin de ce qui vous avait finalement mené à votre perte avant que le petit garçon accroché à toi ne vienne changer la donne. Tu connaissais assez Wyatt pour savoir qu’il n’aurait pas envie que tu fasses de son anniversaire quelque chose de gros, et puis tu avais appris à tes dépends il y a longtemps qu’il n’était pas fan du tout de surprise en tout genre. Tu avais gardé ça aussi simple que possible. Un souper autre fait maison (pour une fois que vous mangiez autre chose que des repas instantanés ou quelque chose de commander), un gâteau, une petite attention et par miracle, un Gabriel d’une humeur particulièrement douce. Tu réalisais que cela pouvait faire un brin trop formel pour vous, mais à défaut de savoir ce que vous étiez, il restait le père de ton fils et tu considérais que son anniversaire méritait d’être souligné, ne serait-ce qu’aussi simplement que ça. La table était mise, le repas et le gâteau prêt et en attente d’être servi au moment opportun et tu étais assise dans le salon avec Gabriel couché sur son tapis d’éveil lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. « Regarde qui est là, c’est papa. » que tu soufflas à Gabriel en te relevant, le prenant dans tes bras pour t’approcher de Wyatt. « Joyeux anniversaire. » que tu lui souhaites, venant doucement poser tes lèvres sur sa joue. « C’est pas grand-chose, mais je voulais quand même souligner la journée. » que tu annonces tout en faisant un léger signe vers la cuisine qui se trouve à être plus propre qu’elle ne l’a été dans les deux derniers mois. Après tout, c’est son premier anniversaire avec Gabriel, son premier anniversaire en tant que père et si votre situation n’avait absolument rien de conventionnelle, tu souhaitais quand même créer autant de souvenirs à trois que possible, sans jamais savoir quand la réalité vous rattraperait vraiment. @Wyatt Parker |
| | | | (#)Dim 30 Jan - 13:55 | |
| Dans le calme ambiant de la bibliothèque, ne résonne que le bruit de mon stylo grattant les pages d’un énième carnet empli d’une trame que je ne cesse de faire évoluer. L’inspiration m’aura manqué des années durant, laissant une période de doute et des idées à jamais inachevé, enterrer dans des carnets qui ne reverront probablement jamais la lumière du jour. Depuis la dernière publication, c’est comme si tout avait subitement changé. Avec l’histoire de Jules, avec cette authenticité des épreuves passées, j’ai su retrouver le goût de l’écriture, cette envie de passer des heures enfermer dans une bulle à donner vie à une personnalité au travers des mots. Si l’on ne cesse de me tanner pour donner une suite aux aventures de la jeune femme, je préfère encore me concentrer sur une tout autre histoire. Une de celle qui n’aurait jamais dû s’échapper du carton dans lequel elle avait été enfermée, il y a des années de cela. Cette histoire que j’ai saignée par tous les bords, cette idée qui ne m’a jamais quitté avec l’envie de donner vie à ce personnage, à cette intrigue en particulier. Depuis quelques jours, j’ai la sensation de tenir une trame qui me plaît, un développement qui fait sens et qui donne enfin vie à tout cet univers, alors je m’enferme dans ma bulle. Je déserte l’appartement pour retrouver cette table isolée de tout au dernier étage de la bibliothèque. J’écris pour ne pas laisser le retour d’Ariane m’atteindre plus que de raison. Je me noie dans mon intrigue pour ne pas questionner la routine quotidienne et confortable qui s’installe avec Rosalie depuis la naissance de Gabriel. Faire diversion, utiliser l’excuse de la soudaine inspiration, pour ne pas avoir à faire face à tout une réalité qui engendrerais bien trop de remise en question et de conversation que j’ai toujours cherché à fuir. Juste encore un peu, grappiller quelques journées supplémentaires avant de se mettre à l’évidence que le jeu du silence ne pourra durer et que je n’ai strictement aucune idée de ce que je souhaite voir venir par la suite.
À me perdre dans mes écrits, il en vient à Rosalie de me rappeler que cette journée est loin d’être parfaitement anodine. Me voilà à tenter de clôturer ce chapitre avec l’idée que quelque chose m’attend à la maison pour célébrer une année supplémentaire de cette vie. Je voulais réellement mettre un point final à mon idée avant de la perdre, mais mes pensées se sont aventurées sur le personnel, à faire le bilan de l’année écoulée tout en me rappelant la dernière non-célébration du jour de ma naissance. Il y a un an jour pour jour, je donnais un ultimatum dont aucun de nous n’avait vu venir. Tout aurait dû s’arrêter ainsi, dans le chaos et dans les hurlements. Pourtant me voilà à remballer mes affaires pour m’en aller retrouver Rosalie et notre fils. Comme si c’était normal, comme si l’on avait fait cela toute notre vie. Je n’ai jamais réellement questionné cela avant aujourd’hui, mais les détails s’amusent à resurgir sur le chemin du retour. Quand on passait notre temps à s’éviter, on en vient à vivre sous le même toit. Sans se questionner, dans une normalité qui réveille bien des doutes jamais prononcés, se balançant d’un équilibre précaire depuis l’accouchement. La vérité se veut que Rosalie est restée à l’appartement, que Gabriel nous maintient l’un à côté de l’autre, à ronger notre frein pour éviter toutes les erreurs auparavant commise par nos géniteurs. « Regarde qui est là, c’est papa. » Tout résonne comme l’image de la famille parfaite alors qu’elle s’approche le sourire aux lèvres. « Joyeux anniversaire. » Va pas tout foiré Wyatt… Mais elle embrasse ma joue, quand la seconde d’avant mes yeux venait à loucher sur ses lèvres. « Merci. » le murmure cherche à dissimuler une voix peu rassurée. Dans un sourire, je viens prendre Gabriel d’entre ses bras pour embrasser son petit visage potelé. « C’est pas grand-chose, mais je voulais quand même souligner la journée. » Mon regard suit le sien à découvrir une table parfaitement dressée accompagnant la bonne odeur d’un plat fraîchement cuisiné. C’est ce que l’on devient alors ? Le cliché de la parfaite famille, la femme qui attend sagement son mari à la maison, qui l’accueil avec bien des efforts pour le soulager de sa journée ? L’image me file la nausée. Réellement ? Pourtant, il subsiste ce sentiment d’apaisement quand Gabriel paraît si calme et que le sourire de Rosalie n’a en rien l’air forcer. « Il fallait pas. » que je marmonne tout en m’avançant dans le salon pour m’asseoir dans le canapé, mon fils toujours dans les bras. « De toute façon, je sais pas de quoi tu parles, personne ne vieilli aujourd’hui. » Un léger rire m’échappe alors que mon regard se perd sur le bébé. « Dis-lui à ta mère. Elle n'existe pas cette journée. » Pour faire diversion, encore un peu. Le tourbillon de sentiments et d’émotions ne cesse de varier d’un extrême à l’autre, mais toute mon attention se focalise sur Gabriel tandis que je m’installe plus confortablement, pliant les genoux pour venir l’allonger face à moi. « T’as fait la terreur encore ? » Il m’offre un léger sourire et comme depuis la première fois, je ne peux m’empêcher de chercher le regard de Rosalie dans la seconde qui suit. C’est là que réside tout le paradoxe et que se forme l’enfer de mes pensées qui se contredisent les unes après les autres sans jamais laisser le moindre message clair entre la volonté de ne pas entrer dans un cliché de faux-semblant et cette complicité qui ne cesse d’accroître depuis qu’un petit être est venu tout chambouler sur son passage. « J’ai mal au crâne. » Et je n’étais pas l’énoncé ainsi à voix haute après m'être autant perdu dans mes pensées. |
| | | | (#)Dim 30 Jan - 19:17 | |
| Tu es une véritable tempête émotionnelle depuis la naissance de Gabriel et ça se ressent un peu partout dans ta vie, mais surtout au sein de ta relation avec Wyatt. Tu n’as jamais été aussi à fleur de peau, jamais aussi sensible et vulnérable que depuis que tu as ce nouveau rôle qu’est celui de maman et si les choses semblent enfin se placer tranquillement avec Gabriel, il subsiste cette crainte et cette impression de continuellement mal-faire, de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir t’y prendre avec ce petit être qui pourtant a besoin de toi bien plus que tu ne le réalises. Tu es tellement concentrée à vouloir bien faire les choses avec ton fils que tu en oublies trop souvent l’état de ta relation avec son père. Quand rien ne fait réellement de sens dans ce quotidien qui est pourtant devenu votre au fil des semaines passées, dans ce train-train routinier où vous vous occupez ensemble de Gabriel, où ta présence dans son appartement semble être tout ce qu’il y a de plus logique, quand c’est à coté de lui, contre lui que tu t’endors la nuit, pour ces quelques heures de sommeil que votre fils vous offre ici et là. Pourtant, tu n’as jamais moins su sur quel pied danser avec lui qu’en ce moment. Jamais moins su à quoi t’attendre, quand auparavant, les règles du jeu étaient claires quoique constamment briser. Là, ce n’est plus un jeu et vous ne pouvez plus vous permettre le moindre faux pas, alors comment faire quand rien n’est établi, quand rien ne fait de sens, quand tout se crée au fur et à mesure tout en refusant d’y attribuer la moindre définition?
Tout ce que tu sais vraiment, c’est que tu veux faire mieux. Mieux que l’an dernier, quand tout à déraper lors de cette journée précise. Le besoin de remplacer les souvenirs de votre fin imminente et les échanger pour des souvenirs de ce début d’un je-ne-sais-quoi sur lequel il vous fallait tout de même vous raccrocher, pour votre fils. Les attentions, elles te viennent naturellement. Un repas, un dessert, c’est facile, ça se gère même avec un Gabriel qui refuse de dormir. Ça ne te semble pas être trop, mais peut-être que ce l’est? Tu ne saurais dire, il y a quelque chose dans le regard de Wyatt qui est différent lorsque tu l’accueilles, Gabriel dans les bras, dans une scène qui offre un portrait de famille représentant en tout point ce dont tu as toujours rêvé, mais qui n’a jamais été ce sur quoi vous vous êtes entendus quand la nouvelle de ta grossesse est tombée. « Merci. » Tu le laisses prendre Gabriel, préférant te concentrer sur ses réactions face au petit garçon que sur tout le reste, éternellement attendrie par cet amour qu’il lui porte, de la manière qu’il le couve et le protège déjà. « Il fallait pas. » qu’il se contente de marmonner tout en prenant place sur le canapé et tu hausses les épaules. « J’avais envie. » De faire mieux. Tu ne veux pas mentionner ce qui s’est passé l’an dernier, quand vous vous êtes retrouvés ensemble à pareille date, ton annulaire orné de cette horrible bague que tu ne regrettes pas d’avoir enlever un seul instant, mais tu sais qu’ils flottent dans l’air, les souvenirs, les trahisons et les blessures, jamais loin derrière votre complicité et ce renouveau auquel vous tentez pourtant de vous accrocher. « De toute façon, je sais pas de quoi tu parles, personne ne vieilli aujourd’hui. » Tu échappes un petit rire alors que tu viens t’installer à côté de lui sur le canapé, ton regard papillonnant entre les deux Parker. « Dis-lui à ta mère. Elle n’existe pas cette journée. » « Je pense que ton père aime vivre dans le déni. » que tu répliques, utilisant Gabriel pour parler à Wyatt, comme lui venait de le faire. C’est seulement après avoir dit les mots que tu réalisais le double-sens derrière ces derniers, ce que ça pouvait laisser sous-entendre sur vous deux, sur ce qui n’était pas dit depuis trop longtemps déjà, mais tu préférais faire comme si tu n’avais rien dit, laissant tes doigts venir caresser le ventre de Gabriel. « T’as fait la terreur encore? » « À peine. » que tu répliques amusée, même si vous saviez parfaitement tous les deux qu’à peine voulait vraiment dire beaucoup pour votre fils, lui qui ne se gênait jamais pour extérioriser son mécontentement de mille et une façons. Il offre un sourire a son père le gamin, amusé sans doute à l’idée de se faire traiter de terreur, comportement typiquement Parker et les yeux de Wyatt te cherche, comme pour vérifier que tu ne manquais pas ce moment, quand bien même ça devait être le centième sourire qu’il vous offrait depuis quelques jours. « J’ai mal au crâne. » Tu fronces les sourcils, surprise de cette suite qui ne semble pas cohérente avec le moment. « Tu veux des cachets? » Tu ne lui laisses pas vraiment le temps de répondre que déjà tu t’es relevée pour te rendre à la salle de bain, aller chercher le nécessaire, réalisant qu’une fois encore, tu as bien trop pris tes aises dans l’appartement. À quel moment est-ce que tous tes produits se sont alignés sur le comptoir de la salle de bain? À quel moment est-ce que tu as appris où sont tous les médicaments en tout genre? À quel moment est-ce que tu t’es réellement installée ici, sans même le réaliser? Tu secoues doucement la tête et refais le chemin inverse pour revenir au salon et offre les cachets à Wyatt. « C’est ton nouveau projet de roman qui te donne mal à la tête comme ça? » que tu demandes d’une voix innocente, préférant toi aussi, te complaire dans le déni de la situation. « Est-ce que tu veux quand même un verre de vin? J’ai acheté ton préféré. » Son préféré dont tu avais déjà bu un verre avant qu’il n’arrive, en préparant le repas. Ce soir, tu n’allaiterais pas, tu l’avais déjà décidé. |
| | | | (#)Dim 30 Jan - 23:22 | |
| Auparavant, passer le pas de la porte signifiait être accueilli par une Ariane passablement de bonne humeur, souvent accompagner d’une vague d’insultes dont l’origine diffère à chaque jour si ce n’est chaque minute. Parfois, rentrer à l’appartement voulait juste dire retrouver le silence le plus total au travers des piles de bouquins qui se cassaient la gueule à tous les coins, parsemer de restes de dîner oubliés sur la table basse et de carnet inachevés à même le sol. Mon appartement était la limite que peu avait franchi, l’endroit où Rosalie ne s’éternisait jamais, mais où les souvenirs s’accumulaient tout de même. Il avait suffi d’une année pour que le décor se plante d’une tout autre façon. Désormais, Rosalie est là lorsque je rentre, tout le temps. Le silence a laissé, place à des pleurs de bébés, les bouquins sont sagement ranger dans la bibliothèque et le sol du salon ressemble à s’y méprendre au rayon d’un magasin de puériculture. Tel le scénario du film parfait, ma sacoche atterris dans un coin et me voilà accueilli par la brune et notre fils. Rien n’est calculé tant, nos gestes semblent parfaitement synchroniser, elle embrasse ma joue et je récupère le poupon dans ses bras. Juste comme ça, tout a changé. Du jeu d’antan, il ne reste que quelques règles tacites, de celle qui nous force au silence pour ne jamais briser la bulle éphémère que l’on a réussi à se construire. Et comme ça, elle a tout prévu pour mon anniversaire. Un dîner qui ne semble pas tout droit sorti d’une boîte, une belle table dresser et un Gabriel apaisé, vêtu de son plus beau pyjama qui résiste encore à l’inévitable tâche de lait ou de bave. « J’avais envie. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, jamais forcer, plutôt reconnaissant à la perspective d’une soirée qui s’annonce tranquille. Tout a véritablement changé.
« Je pense que ton père aime vivre dans le déni. » Un rire m’échappe tant elle semble parfaitement ignorer à quel point elle vise juste. Le déni de bien des situations, que ce soit la nôtre, celle en cours avec ma sœur ou bien celle qui concerne le silence éternel de Leo. On pourrait ajouter à la liste tout ce qui concerne de près ou de loin la conception de mon nouveau roman et pour parfaire la liste tout ce qui a trait au concept de paternité. Il est là Gabriel, à me faire des sourires dès que je le qualifie de petite terreur et en même temps, j’ai encore parfois l’impression de ne rien savoir de lui. Les cauchemars se sont atténués probablement parce que, désormais, la fatigue finis toujours par l’emporter sur la volonté de mon esprit à se construire tout un film, mais les doutes eux subsistent. Est-ce que je le tiens correctement ? Est-ce que je comprends ses pleurs ? À mesure que Rosalie crée un véritable lien avec lui, je me demande où se trouve ma place dans tout cela. S’en vient alors le besoin nécessaire de toujours noter le moindre progrès, de m’assurer par cent fois qu’il dort bien avant de même songer à aller me reposer. Je ne compte plus les nuits que j’ai passé a rester éveiller pour l’observer plutôt que d’en profiter pour dormir également. Tout a changé dans la panique et depuis chacun cherche sa place en marchant sur des œufs. Et pourtant, installer dans ce canapé, j’aurais presque la sensation d’avoir trouvé une place que je n’avais jamais réellement cherchée.
À trop penser, à trop réévaluer la situation, mon esprit s’en vient à déclarer la guerre à mon instinct premier. La tête me tourne à trop se demander si l’on se doit de continuer ainsi ou s’il serait temps de jouer cartes sur table. Je n’ai aucune idée de ce que je désire réellement, mais mes émotions se livrent une bataille sans merci au point de transformer quelques pensées en véritables paroles énoncées. « Tu veux des cachets? » L’espace d’une seconde, je me demande bien de quoi elle parle, avant de pleinement réaliser que je venais de parler. Je n’ai pas le temps de secouer la tête qu’elle est déjà partie en direction de la salle de bain. Mon regard se traînait à observer sa silhouette disparaître dans le couloir avant de venir se poser à nouveau sur Gabriel qui gazouille légèrement. « Forcément, ça t’amuse toi. » Je lui souris tendrement avant de venir caresser sa joue en douceur. S’il savait tout ce qu’il est venu chambouler, s’il avait conscience de tout ce qu’il représente du haut de ses deux mois de vie. Rosalie revient et on échange un regard presque complice. Chacun se sait en train de jouer un jeu dangereux, mais le subterfuge se maintient dans un silence commun. « C’est ton nouveau projet de roman qui te donne mal à la tête comme ça? » Je réalise qu’elle fixe la tranche de ma main noirci d’avoir passé et repassé sur l’encre encore humide de mes carnets. « J’avais peut-être oublié mes lunettes… » Je les vois d’ici les coupables, tranquillement posé sur le bar qui sépare le salon de la cuisine. « Et je t’interdis de faire une remarque sur mon âge. » Pourtant, je suis le premier à éclater de rire, pour faire diversion, parce que la soirée se doit d’être tranquille, parce que c’est bien trop simple de retomber dans ce pattern.
« Est-ce que tu veux quand même un verre de vin? J’ai acheté ton préféré. » - « Je refuse jamais un verre de vin. » Maintenant, tu vas arrêter de te prendre la tête Wyatt. Je soupire un coup, avant de me relever à mon tour, Gabriel toujours dans le creux de mes bras. « Tu veux le coucher avant qu’on dîne ? » Un coup d’œil à l’horloge m’indique que l’on a encore un peu de temps sur la routine que l’on a su lui créer. Ce n’est pas toujours parfait, il ne fait pas encore ses nuits, mais l’on essaye de respecter tout ce que l’on a pu entendre ou lire pour que les journées de Gabriel obéissent a un rythme qui lui est rassurant. « Qu’est-ce que vous avez cuisiné tous les deux ? » C’est juste une soirée comme les autres, à trouver notre rythme, à me balancer d’un pied sur l’autre pour bercer mon fils tout en observant sa mère qui semble plus apaiser que tous ces derniers mois réunis. Les émotions, les doutes, le champ de bataille et tout le reste, je tente de les reléguer dans un coin, probablement parce que la bulle est rassurante, que je veuille l’admettre ou non. Gabriel ronchonne parce que j’ai osé m’arrêter quelques secondes ce qui me provoque un rire. |
| | | | (#)Lun 31 Jan - 11:07 | |
| C’est facile de croire que vous êtes une petite famille heureuse vu de l’extérieur, sans contexte et sans historique de votre relation. C’est ce que tu as toujours voulu après tout. The picture perfect family. Pourtant, tu sais que ce n’est pas tout à fait ça, pas vraiment. Ça semble tout aussi facile pour vous de vous perdre dans cette illusion, vous qui clamez pourtant depuis l’annonce de ta grossesse que ce ne serait pas comme ça, qu’il n’y avait plus de vous, qu’il ne pouvait en avoir et que tout ça, ce ne serait que pour lui, que pour Gabriel. C’est impossible de faire la distinction entre ce qui a changé avec l’accouchement et ce qui a changé depuis, mais tu le sais, que l’expérience traumatisante de la naissance de ton fils est venue provoquer une avalanche autant pour toi que pour Wyatt. Pour toi, tout simple à la fois plus fragile et éphémère, consciente que tout pouvait t’être arraché en un claquement de doigt sans pour autant réellement te donner le droit d’assumer ce que tu veux vraiment, sans jamais t’offrir l’opportunité de demeurer aussi vulnérable aux yeux du Parker. Tu ne considères pas que tu as mérité le changement de comportement de Wyatt. Certes, tu repensais à celle que tu étais il y a un an à peine de cela et tu savais que tu avais changé, mais tu savais aussi qu’il y avait encore tellement de changements à faire, de manière pour toi de prouver que tu n’étais plus cette Rosalie-là justement, celle qui prend toujours sans jamais offrir quoique ce soit en retour, celle qui fait mal sans cesse sans se soucier des conséquences. Oh c’est facile, d’oublier tout ça quand vos regards se perdent de manière synchronisée sur la petite terreur entre vous, celle qui vous a ramené l’un à l’autre à un moment où ça semblait tout simplement impossible. La vérité, c’est que toutes ces pensées, tous ces questionnements, il t’est aisé de les mettre de côté quand les journées filent à vive allure auprès de Gabriel, que le manque de sommeil pousse tout le superflu dans un coin pour se concentrer sur l’essentiel, quand des mois durant la noirceur t’a poussé à des extrêmes que tu préfères ne pas revisiter maintenant que ça va mieux, maintenant que tu peux enfin souffler un peu. Difficile toutefois de s’en sauver quand le calme revient, quand les souvenirs de cette journée rejaillissent et que soudainement, tout est ouvert à l’interprétation.
Tu reviens dans le salon, cachets en main, à te demander si ça tourne aussi vite dans la tête de Wyatt que dans la tienne. Blâmer son roman, ce n’est qu’une façon de prétendre que tu n’as pas vu, que tu n’as pas compris, parce que tu ne veux rien briser, tu ne veux pas prendre le risque que cette bulle autour de vous éclate sans savoir de quoi sera fait le reste. « J’avais peut-être oublié mes lunettes… » Tu secoues la tête d’un air désapprobateur alors qu’un sourire habite déjà la commissure de tes lèvres. « Et je t’interdis de faire une remarque sur mon âge. » Pourtant, c’est lui le premier à s’esclaffer dans un rire que tu n’avais pas entendu depuis bien longtemps, avant la naissance de Gabriel. De ce genre qui vient dans les petits moments, qui adoucissent le quotidien. Le genre auquel tu n’avais pas le droit quand votre relation était majoritairement composé d’ébats dans les draps et d’engueulades à constamment se prouver que l’autre ne voulait plus rien dire pour soi, le pire des mensonges quand tu y repenses. « T’es beau quand tu ris. » Le commentaire, il est sorti tout seul, sans que tu ne réalises que les mots venaient de franchir la barrière de tes lèvres. Commentaire qui s’accorde avec le moment, mais qui trahit tout ce que vous n’osez toujours pas dire. Tu baisses le regard sur Gabriel, si tu ne t’y attardes pas trop longtemps, tu peux prétendre que tu n’as rien dit, que ça ne change rien, que c’était seulement des mots comme ça. « Je refuse jamais un verre de vin. » La réponse te convient davantage et tu te lèves pour aller remplir la seconde coupe que tu avais sorti, remplissant la tienne à nouveau au passage. Wyatt t’a suivi dans la cuisine, Gabriel toujours dans les bras et tu t’efforces de te concentrer sur le moment présent plutôt que de te perdre dans les vestiges de questions auxquelles tu ne possèdes pas les réponses de toute façon. « Tu veux le coucher avant qu’on dîne? » Il est encore un peu tôt pour le mettre au lit, mais comme Gabriel n’a pas fait sa dernière sieste de la journée, tu ne doutes pas du fait qu’il sera sans doute facile de l’endormir malgré l’avance sur cette routine que vous avez mis en place dans les dernières semaines. « Tu veux t’occuper du bain et du biberon, et je me charge de tout préparer ici? » Wyatt a été parti une bonne partie de la journée et tu te doutes bien qu’il préfère s’occuper de Gabriel que de ranger le salon ou finir de préparer son propre repas d’anniversaire. « Qu’est-ce que vous avez cuisiné tous les deux? » Wyatt s’est approché des fourneaux où repose les différents éléments de ton dîner, mais tu viens te placer devant de façon à lui obstruer la vue. « Ha, ha. C’est une surprise. » Et si tu sais qu’il déteste normalement tout ce qui est surprise, tu sais que celle-là ne fait pas mal, que celle-là n’a rien de grandiose, qu’aucun chamboulement ne sera créé à faire perdurer le mystère autour de ce repas pour une petite heure encore, le temps que Gabriel s’endorme paisiblement et que vous vous retrouviez seulement tous les deux.
« Wyatt? » Tu n’oses pas, et pourtant, tu ne sais pas comment prétendre plus longtemps que ce n’est pas dans l’air, que ça ne subsiste pas derrière chaque morceau de conversation, derrière chaque regard échangé. Gabriel a été particulièrement facile à endormir ce soir, sans doute trop facile à déposer dans sa couchette sans jamais rechigner, sans demander à être bercé plus longtemps que de raison. Le repas d’anniversaire partagé, le gâteau coupé, les coupes de vin vidées à quelques reprises, la conversation tourne sans cesse autour de votre fils et de ses derniers accomplissements, sujet qui se veut rassurant et sûr, loin des conflits qui ont pourtant toujours bercé ce que vous êtes incessamment l’un pour l’autre. « À quoi tu penses? » Tu oses, la question n’est qu’un murmure toutefois, facilement ignoré si c’est trop difficile, s’il n’a pas envie de parler. Tu ne devrais pas lui laisser le choix et pourtant, toi non plus, tu n’es pas certaine d’avoir la force d’entendre, d’avoir envie de réellement prendre ce chemin-là alors que la soirée est si agréable, alors que ce serait bien plus aisé de faire perdurer le moment sans trop se soucier de ce qui cloche. Tous les deux installés confortablement dans le canapé, tes doigts qui dansent sur son bras, sans trop y réfléchir, ton autre main qui entoure toujours cet énième verre de vin à moitié rempli. Tu devrais arrêter, parce que Gabriel pourrait se réveiller d’un moment à l’autre et t’as besoin d’avoir les idées assez claires pour pouvoir t’en occuper même si tu ne l’allaites pas ce soir. Mais ton regard se pose sur Wyatt et tu prends une autre gorgée, un peu de courage liquide avant de lâcher un léger soupir qui se veut plus évocateur que n’importe quel mot. « T’es loin, ce soir. » Loin dans ces pensées et tu voudrais qu’il revienne encore un peu, avant que tout n’éclate. |
| | | | (#)Jeu 3 Fév - 22:38 | |
| « T’es beau quand tu ris. » Le commentaire entraîne un silence comme suspendu dans le temps, dans l’incompréhension d’une telle franchise avec le désir flagrant de ne jamais laisser les regards se croiser. Ce serait presque dangereux de s’aventurer à chercher la moindre étincelle dans le fond de ses prunelles, la sincérité résonne dans ses quelques mots échappés maladroitement, mais qui reflètent une réalité qui dépasse tout ce qui semblait encore possible. Dans l’air flotte un sentiment familier d’une aisance que l’on ne s'était pourtant accorder qu’en de très rare occasion. Ces moments d’apaisement qui jure avec le contexte, donnent à croire que bien trop de sentiments s’aventurent dans notre relation. Heureusement, Gabriel s’apparente comme la meilleure des distractions, laissant le silence filer sans qu’aucun d’entre nous ne se sente obligé de renchérir. Son commentaire à provoquer bien des sensations qui viennent s’ajouter à la déferlante qui m’envahit depuis mon retour à l’appartement. À constamment vouloir se prouver que l’autre ne comptait plus, on a parfois oublié que l’autre avait tant pu compter avant les cris et la volonté de se blesser pour mieux s’éloigner. Bien des éléments se sont vus remis en question ces derniers mois, chambouler par l’arriver du petit être au creux de mes bras, complètement révolutionner par cet accouchement qui nous a brutalement rappelés que la vie ne tenait qu’à un fil. Mon regard s’attarde sur Rosalie dès l’instant où elle se lève pour filer dans la cuisine, à trainer un peu trop sur sa démarche tout en me remémorant chaque courbe de sa silhouette. Elle a changé Rosalie, sans jamais se défaire de cette petite étincelle qui m’a toujours ramené vers elle. L’intimité, c’est retrouver à reléguer au dernier rang depuis la naissance de Gabriel, et bien avant même. Comme si l’on agissait dans un monde parallèle, trop focaliser sur notre rôle de parent pour oser déborder, on s’en vient à dormir dans le même lit sans jamais se toucher, à évoluer dans un quotidien rythmé par la présence de l’autre sans jamais s’accorder un regard plus long que l’autre. S’en viennent alors les doutes et les remises en question, l’envie de ramener sur la table le bilan de notre relation tout autant que creuser un trou dans le sable pour se donner encore le temps de faire semblant. Alors que l’on sait parfaitement, l’un comme l’autre, que la bulle finira par exploser.
La soirée est douce, le dîner était parfait, la conversation chemine sur le seul terrain que l’on s’autorise, évoquer Gabriel en long, en large et en travers. Qu’importe si les regards se font plus longs, si l’on enchaîne les verres de vin avec insouciance sans jamais relever que son corps, c’est rapprocher du mien sur le canapé au point que ses doigts s’en viennent à dessiner des arabesques sur la peau nue de mes bras. Mon corps est présent, ancrer dans le moment par ce geste si singulier, tandis que mon esprit ne cesse de vagabonder à sauter d’une comparaison à une autre, multipliant les questions qui resteront sans réponse tant que le courage se verra aux abonnés absents. Longtemps j’ai tout fait pour ne jamais m’installer dans une routine qui se voudrait confortable à ses côtés. Je me satisfaisais de sa double vie, en n’y prenant que les avantages et en me nourrissant de tout ce que je pouvais lui reprocher sans que jamais elle n’est assez d’éléments pour me contrer. Aujourd’hui, on se bat à armes égales, dans un quotidien qui dépasse tout ce que j’aurais pu imaginer, au sein d’une famille qui est notre, lié à jamais par notre fils qui dort paisiblement dans sa chambre. Mon regard se perd sur le babyphone au point où j’en viens à me couper de la réalité si longtemps que Rosalie est obligé de répéter mon prénom plusieurs fois afin d’attirer mon attention. « Wyatt ? » - « Hmm ?! » Je tourne la tête pour croiser son regard qui se veut inquiet. Elle pourrait ne rien dire de plus tant le message paraît clair. Il s’inscrit sur toutes les lignes de son visage, s’ancre dans ses prunelles en jouant avec une crainte que je ne pensais plus connaître. Elle hésite autant que je vacille à ne pas me lancer dans cette conversation que l’on aurait dû avoir, il y a bien longtemps pourtant. « A quoi tu penses ? » La liste est longue. Je pense autant à ce nouveau nous que je ne saurais définir, qu’à notre fils qui est la raison de tout ce chamboulement. Je pense à ma famille, pas celle que je cherche à créer, mais celle qui a toujours bel et bien exister. Entre une sœur égoïste qui se croit capable de réapparaître dans nos vies sans que cela n’est aucune conséquence et une cousine démissionnaire qui se cache dans un silence qui en dit bien trop long. Je pense à elles, autant que je pense à elle, Rosalie. Je pense à ce que l’on aurait dû être et ce que l’on a fini par devenir et au milieu de tout cela, je me perds. « T’es loin, ce soir. » La nuance se veut d’être légère quand elle aurait pu ajouter bien des soirs à tout cela, sans que je ne cherche à la contredire. Je me maudis d’avoir fini mon verre avant sa question quand il ne me reste aucune distraction, rien de tangible qui m’aiderait à modifier la question, à chercher n’importe quel tour de passe-passe pour détourner l’attention. Un instant, j’hésite même à faire du bruit pour réveiller Gabriel, pour qu’il se mette à pleurer et que l’on oublie avoir eu ne se serait que quelques heures de tranquillité. Mais je ne bouge pas et Gabriel dort encore profondément. Dans un soupir, j’estime qu’il est peut-être tant de se lancer dans le vide. « Il y a un an, tout ce que je voulais, c’était que tu sortes de ma vie. » La phrase d’accroche ne pouvait pas être pire, pourtant, elle est le parfait résumé de tout ce qui m’obsède depuis des jours. Il y a un an, douze mois, je voulais juste la voir partir, ne plus jamais entendre parler de Rosalie Craine et refaire ma vie autrement. L’ultimatum n’avait pas été balancé au hasard d’une dispute, il avait été profondément réfléchi, dans une véritable volonté de mettre fin à ce jeu stupide qui avait bien trop duré. Et aujourd’hui, Wyatt, qu’est-ce que tu veux ? « Et maintenant je… » Je ne sais pas. Enfin, je pense ne pas savoir. Ou bien, j’ai peur de savoir ? Les mots s’emmêlent, les pensées tourbillonnent à nouveau sans donner le moindre espoir d’obtenir un discours clair. « T’a failli mourir et je sais plus trop quoi penser. » C’est bien tout ce que je peux lui offrir, sans jamais croiser son regard et en me relevant avec l’excuse parfaite de devoir me resservir un verre de vin. Je ne sais pas si c’était une bonne idée. |
| | | | (#)Ven 4 Fév - 11:55 | |
| « Hmm?! » C’est ta chance de faire comme si tu n’avais rien dit. De dire complètement autre chose que cette question qui t’obsède pourtant. Ta chance de garder ce moment léger et agréable, comme il se devrait de l’être, pour faire un contraste complet avec la manière dont s’est terminée son anniversaire l’an dernier. C’est ta chance et pourtant, tu n’es pas capable de la prendre parce que l’obsession est trop grande, le besoin de savoir prend toute la place et soudainement, la bulle qui se voulait si réconfortante dans les derniers mois se veut contraignante, forçant à un silence que tu ne saurais supporter plus longtemps. Le film de la dernière année se joue dans ta tête, à répétitions depuis plusieurs heures, depuis plusieurs jours même, à tenter de comprendre comment vous en êtes arrivés à ce moment précis sans jamais comprendre le comment, ni le pourquoi. Ou peut-être bien que vous savez tous les deux parfaitement comment vous en êtes arrivés là, mais que le dire à voix haute demeure encore trop difficile, malgré tout ce qui s’est pourtant dit, malgré cette promesse répétée à multiples reprises qui stipulait plus de mensonges. Est-ce un mensonge, si vous vous cachez tout simplement de la vérité? Est-ce un mensonge, si vous tentez simplement de protéger vos cœurs qui ont bien trop souvent soufferts à la main de l’autre? Est-ce un mensonge si c’est une vérité que vous n’osez même pas vous admettre à vous-même? Tu ne sais pas si c’est le vin qui te monte à la tête, si c’est l’appréhension de ce qui pourrait être dit, ou pas dit, mais ça tourne de plus en plus vite dans ta tête et tu parviens de moins en moins à faire du sens de toutes tes pensées, alors tu as besoin qu’il te parle, tu as besoin de savoir à quoi il pense. Elle est là, la question. Elle pèse lourdement entre vous deux, même si tes doigts s’accrochent à sa peau, juste au cas où ce serait ton dernier point d’ancrage. Vos regards se croisent quelques secondes à peine, avant qu’il ne baisse les yeux sur son verre qui est pourtant vide et tu peines à retenir un soupir, parce que tu le sens, qui s’échappe un peu plus. « Il y a un an, tout ce que je voulais, c’était que tu sortes de ma vie. » Tu l’as entendu si souvent cette phrase-là, mais c’est toujours aussi désagréable même s’il n’y a pas l’agression et la certitude dans sa voix comme autrefois. Ta mâchoire se serre légèrement, tu pinces les lèvres et malgré toi, tu te refermes peu à peu. Tes doigts quittent son bras pour venir entourer ton verre et tu prends une nouvelle gorgée, regrettant déjà d’avoir emmené le sujet. Ça ne peut pas bien finir tout ça, pas vrai?
« Et maintenant je… » Maintenant quoi, Wyatt? La fin de sa phrase reste en suspens et ça te rend complètement folle, même si tu fais ton possible pour ne pas le montrer. Tu tournes ton regard vers lui, mais ses yeux se font toujours aussi fuyant alors que les mots mettent du temps avant de filer entre ses lèvres. « T’a failli mourir et je sais plus trop quoi penser. » Il étale le peu qu’il est capable et puis il se lève Wyatt, déjà à prêt à fuir sans pourtant avoir de porte de sortie à sa disposition. Tu laisses quelques secondes filer, ton regard dans son dos alors que tu l’observes se verser un nouveau verre de vin et tu finis par te lever à ton tour. Tu viens déposer ton verre sur l’ilot de la cuisine qui représente maintenant le seul élément physique qui se trouve entre vous deux, toi d’un côté, lui de l’autre, image représentative de cette impression que même si vous êtes là tous les deux, sous le même toit, vous semblez parfois être si loin l’un de l’autre. « Je vais bien. Et Gabriel aussi. » Tu mets l’emphase sur ça, pour ne jamais avoir à parler du traumatisme qui t’habite toujours, qui ronge tes songes, qui te rend encore si fragile et vulnérable quand tu préfères croire que tout est rentré dans l’ordre. Tu sais pourtant que ce n’est pas seulement toi qui garde les séquelles de cette journée-là. Que c’est peut-être ton corps qui en garde les cicatrices visibles, mais que tu n’es pas la seule victime de ce qui s’est passé, de ce qui aurait pu se passer. « T’avais dit… » Tu prends une inspiration profonde avant de changer le début de cette phrase se voulant déjà trop maladroite. « On avait dit qu’on jouait plus, qu’il y aurait plus de mensonges entre nous et je… J’ai l’impression qu’en évitant tous les sujets sauf Gabriel, c’est exactement ce qu’on fait. » Que vous jouez, que vous mentez, à un niveau bien différent que par le passé mais des mensonges tout de même. Le jeu se veut toutefois bien plus dangereux que le précédent quand ce n’est pas seulement vous deux qui êtes en cause dans tout ça désormais. Quand c’est à votre fils que vous devez penser, par-dessus tout. « Tu m’as demandé de rester, une fois. » Et c’est depuis cette fois-là, que plus rien n’est vraiment clair, que plus rien n’est vraiment défini. Parce que vous aviez brisé les règles une fois encore et plutôt que de les renforcer, vous aviez laissé couler, laissant l’ambiguïté reprendre toute la place, sachant pourtant trop bien que ça finirait par vous bouffer tout rond. Tu poses tes mains sur l’ilot, ton regard cherchant toujours celui de Wyatt, reconnaissante pour cette distance entre vous qui empêche une quelconque proximité de brouiller encore plus les cartes. « J’ai besoin de savoir si c’est toujours ce que tu veux. » Tu te distances de tout ça, lui remet la décision entre les mains sans jamais spécifier ce que toi tu veux, ce que toi tu penses, bien trop effrayée d’étaler à nouveau tes sentiments pour lui seulement pour les voir à jamais compromis. Tu préfères croire que dans un cas comme dans l’autre, tu vas t’en sortir, quand tu sais pourtant très bien que sans lui, ta vie perd incessamment son sens, que tu aies envie de l’admettre ou non.
Alors dis-moi Wyatt, qu’est-ce que ce sera? Est-ce que tu veux que je reste ou que je parte? |
| | | | (#)Mer 9 Fév - 19:30 | |
| Revenir sur les événements de l’an passé apparaît comme une esquive quelque peu déplacer, à mieux lui rappeler sa faute et la direction vers laquelle notre relation était censée s’en aller. Il y a douze mois de cela, je lui jurais notre perte, l’ultimatum était lancé sans aucune possibilité de pouvoir faire machine arrière. J’étais déterminé à dire non, persuader de pouvoir stopper cette relation malsaine, déterminée à faire autre chose de ma vie que l’attendre en vain. À dire vrai, je ne saurais réellement pointer du doigt l’instant précis où ma décision a pris un virage de travers pour nous amener à ce que nous sommes aujourd’hui. Les deux amants sont devenus parents et, désormais, les contours de la relation se font plus flou que jamais. Le temps d’une grossesse ne nous a pas été suffisant pour adresser la réalité des événements. Rosalie a eu des soucis de santé et je n’ai jamais feint mon envie de lui venir en aide ou mon intérêt pour le dérouler de sa grossesse. Aucun comportement ne s’est vu calculer, tout s’est fait petit à petit. Ma présence à ses côtés pour chaque rendez-vous, les soirées à son appartement qui s’allonge et se transforme en des jours successifs sans se quitter. Les angoisses se terraient dans un coin, il était trop simple de prétendre à une quelconque normalité, on avait bien trop à penser pour le bébé à venir sans jamais ressentir le besoin de définir ce qui allait changer entre nous. Elle a appris bien des choses, j’ai su m’ouvrir à elle. La complicité est revenue sans crier gare, parce que c’est ce que l’on savait faire dans nos bons jours, parce que c’est un élément que l’on n’a jamais faussé. Il était simple d’être à deux, de penser à l’arrivée de Gabriel, sans jamais nous définir autrement que comme ses parents. Mais dans le processus Rosalie à failli perdre la vie. En un claquement de doigts, dans l’espace d’une seconde, j’ai compris que j’aurais pu la perdre pour toujours. Pas la savoir loin de moi et heureuse avec un autre, mais juste loin, inatteignable, sans plus jamais pouvoir m’adresser à elle. En quelques minutes, dans le couloir de cet hôpital, j’ai cru ne jamais la revoir. Et cette idée-là, cette frayeur causée par cet accouchement chaotique, je ne saurais la décrire. Ce n’était que la matérialisation d’une angoisse informulée, la détresse et l’incapacité d’imaginer ma vie sans elle à mes côtés. Au point de m’en tenir éveillé une fois le danger écarté, au point de redéfinir le regard que je pose sur elle. Au point de ne plus savoir quoi dire ou quoi faire. Alors les mots sont murmurés dans la précipitation pour combler l’impossibilité de formuler mes pensées. « Je vais bien. Et Gabriel aussi. » Elle insiste et je soupire. Debout dans la cuisine, l’un en face de l’autre, il semblerait qu’il soit temps de jouer cartes sur table. « Lui, il va bien. » Il est un bébé en pleine santé, qui développer son petit caractère, mais qui suit toutes les courbes de croissance comme il faudrait. « Tu peux mentir à qui tu veux Rosalie, mais pas à moi. » Elle va mal et je ne sais pas quoi faire. Pour la première fois, je me sens comme incapable de lui venir en aide. Avant, on hurlait. On attendait le point de non-retour et on se balançait toutes les horreurs du monde à la tête, pour prétendre aller mieux ensuite, pour jamais s’impliquer de trop. Aujourd’hui, je crains de la voir exploser en mille morceaux rien qu’en s’engageant dans cette conversation. « Tu ne vas pas bien. » Et dans le fond, moi non plus. Parce que l’on n’a jamais su se parler vraiment, parce qu’on préfère laisser ouverte la boîte de Pandore, jusqu’à ce que l’un commette une faute qui engendra une dispute et qui pourra justifier le silence. On aura beau continuer à prétendre, elle restera à jamais la personne qui m’a toujours comprise sans un mot et l’inversement s’avère cruellement vrai ces derniers temps.
« T’avais dit… » J’attends le reproche, la sentence qui va tomber pour déclencher les hostilités. « On avait dit qu’on jouait plus, qu’il y aurait plus de mensonges entre nous et je… J’ai l’impression qu’en évitant tous les sujets sauf Gabriel, c’est exactement ce qu’on fait. » Est-ce réellement mentir que se conforter dans le silence ? Ne pas adresser le contexte de notre relation, laisser les espaces en blanc, n’amène aucun problème supplémentaire si ce n’est laisser libre cours aux angoisses diverses. Une part de mon esprit ne sait se défaire de l’idée qu’un jour – demain, dans un mois ou dans un an – Rosalie choisira de partir avec un autre, emmenant Gabriel avec elle. Cette peur-là se veut plus tenace que les autres, à se réveiller dans les pires moments, me rappelant que tout cela n’est qu’éphémère, qu’un jour, on fera tout exploser comme on sait si bien le faire. « Ne pas en parler, ne veux pas dire que l’un de nous ment. » On évite le sujet, on se contente de ce que l’on sait se donner sur l’instant. N’est-ce pas ? Je n’ai pas la sensation de me voiler la face ou tout du moins, je cherche à m’en convaincre désespérément depuis leur retour de l’hôpital. C’est mieux ainsi, ils ne pouvaient pas rester seuls, la chambre de Gabriel était prête ici. Rien de plus. Pas vrai ? « Tu m’as demandé de rester, une fois. » Une fois, il y a des années-lumière de cela, quand on avait encore eu aucune frayeur, quand je pensais que mon angoisse allait me bouffer et que je n’avais aucune idée de ce que l’on avait traversé. J’avais demandé, mais je ne voudrais pas avoir a supplié. « J’ai besoin de savoir si c’est toujours ce que tu veux. » Pourquoi ? Parce que si j’hésite, ne serait-ce qu’un peu, il sera bien plus facile de partir ? Pourquoi elle tient tant à savoir, ce soir ? Pourquoi maintenant alors que la soirée se déroulait sans accroc, alors que je cherchais à me convaincre que le côté si domestique de notre relation n’avait rien d’alarmant en soit. Un soupire m’échappe tandis que je bois une gorgée de vin. Je sens son regard sur moi, sa détermination à parler de cela, maintenant, à définir notre relation pour aller de l’avant. Si tu veux partir, Rosalie, ne me rejette pas la faute… « T’as jamais défait ta valise. » Deux mois et cette fichue valise traînent encore du côté de son lit. « Tu laves tes fringues et tu les remets dedans, à chaque fois. » Sans exception aucune, je n’ai eu de cesse de le remarquer. Elle est toujours prête à partir. Ou bien le problème qu’elle souligne se tient juste là. J’ai remarqué, je me suis créé bien des scénarios autour de cette valise, sans jamais envisager que tout ce qu’elle attendait, c’était un feu vert de ma part. « Le tiroir du haut est vide depuis votre retour de l’hôpital. » Je pensais qu’elle s’installerait sans demander, depuis tout ce temps… Parce que l’on a jamais su se parler. |
| | | | (#)Jeu 10 Fév - 6:25 | |
| « Lui, il va bien. » Tu sais déjà que la distinction entre Gabriel et toi ne va pas te plaire, même si tu devrais d’abord et avant tout être rassurée d’entendre que comme toi, Wyatt pense qu’il va bien, le petit bonhomme. Que de vous trois, il est certainement celui qui garde le moins de séquelles de la journée de sa naissance. Que malgré un départ un peu houleux, il a su être fort et défier les prognostiques qui lui prédisaient un certain nombre de complications. Gabriel va bien, oui. Mais toi, Rosalie, ce n’est pas la forme, pas vrai? Ce soir, tu t’en sors. La journée a été plutôt bonne, tu étais nerveuse mais excitée de partager cette soirée d’anniversaire avec Wyatt, mais tu as trouvé l’énergie de tout organiser, de te concentrer sur ça pour tenter de chasser le reste et ça vous a bit réussi, jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, c’est un high, mais ils sont bien plus rares que les low, tu le sais ça, pas vrai? Et tu n’es pas la seule à le savoir, il suffit d’entendre le soupir de Wyatt et cet air plus sévère qui s’installe sur son visage. Il n’est pas aveugle, le Parker, et il te connaît mieux que personne, même quand vous refusez de vous parler, même quand vous évitez de dire les choses, ça ne les efface pas pour autant. « Tu peux mentir à qui tu veux Rosalie, mais pas à moi. » Ce n’est pas que tu voulais lui mentir, ni à lui ni à qui que ce soit d’autre. C’est plutôt que tu n’assumes pas cette faiblesse, cette vulnérabilité qui ne te quitte plus, qui s’est accrochée à toi comme une ombre dont tu voudrais pourtant te débarrasser. « Tu ne vas pas bien. » « Je vais comme je peux. » Tu fais ton possible, ce n’est pas facile tous les jours, quand la dépression semble voler des morceaux de toi à chaque jour, quand elle t’arrache des souvenirs et des moments que tu voudrais pourtant tant créer avec ton fils. Le mélange de la dépression et du choc post-traumatique se veut des plus cruels, mais c’est la réalité qui te suit depuis deux mois déjà et tu cherches le plus possible à ce que cela n’affecte pas trop les deux hommes qui partagent ton quotidien, un échec lamentable puisqu’ils sont inévitablement les plus atteints par tes humeurs imprévisibles et cette fragilité nouvelle qui ne te ressemble pas. « Je fais de mon mieux. » Tu échappes un léger soupir et viens prendre une nouvelle gorgée de ton verre de vin. Tu essayes de ne pas voir le commentaire de Wyatt comme une attaque autant que tu essayes de ne pas te défendre en retour, mais c’est le mécanisme par défaut, bien que tu t’efforces de prendre une grande respiration, que tu laisses ton regard se perdre sur les différents éléments de la cuisine qui rappellent la douce soirée que vous venez de passer, avec l’envie plus forte que tout le reste que cette dernière se termine tout aussi doucement, malgré la direction délicate que prend cette conversation.
La vérité, c’est que tu trouves ça de plus en plus compliqué de voir le temps filer sans jamais réellement savoir sur quel pied danser avec Wyatt, quoi attendre de cette complicité qui s’est inexplicablement réinstallée entre vous sans que rien ne soit forcé. Gabriel comme bouclier de vos cœurs, comme ultime distraction pour ne jamais avoir à parler ni même penser à vous deux ou votre relation, c’est de plus en plus difficile de ne pas laisser les questions remplir tous les silences que vous laissez ici et là, dans les regards qui se font plus long, dans les bonnes nuits qui s’attardent quand tu t’endors à côté de lui, seulement pour mieux te réveiller blottie dans ses bras sans jamais réellement comprendre comment tu t’es retrouvée là. « Ne pas en parler, ne veux pas dire que l’un de nous ment. » « J’ai pas l’impression d’être honnête. » que tu avoues parce que c’est comme ça que tu te sens, ainsi que tu vois les choses, quand tu as l’impression que rien n’est clair entre vous et que c’est pire que jamais, que tu retiens toute manifestation qui pourrait trahir un peu trop à quel point tu as besoin de lui, maintenant plus que jamais, quand c’est pourtant la seule chose que tu veux vraiment, savoir qu’il est là et qu’il sera toujours là. Ce soir, il n’y a pas d’ultimatum. Pas de décision à prendre, pas de promesse à faire ou à briser, rien de ce qui avait rempli cette soirée il y a un an de ça. Il n’y a que la volonté de comprendre un peu mieux, d’entendre ces mots qui se voudraient rassurants, de se positionner face à lui, face à vous, face à ce que vous faites et ce que vous êtes, ou ce que vous pourriez devenir, si vous vous en donniez réellement la chance. Tu observes sa réaction, le soupir suivi de la gorgée de vin, les secondes qui sont gagnées avant de devoir t’offrir une quelconque réponse et tu fais de ton mieux pour ne pas laisser la panique te gagner. « T’as jamais défait ta valise. » Tu fronces les sourcils, surprise par cette réponse qui n’est définitivement pas ce à quoi tu t’attendais. « Tu laves tes fringues et tu les remets dedans, à chaque fois. » « Parce que c’est plus simple comme ça. » Parce que tu n’as jamais aimé t’éparpiller ici et là et que tu n’allais certainement pas lui demander un espace pour toi alors que tu n’étais même pas certaine de savoir combien de temps cet arrangement était censé durer, parce que ce n’était pas ça, le plan. Il te l’avait dit, il y a bien longtemps après tout. Que de garder le bébé ne voulait pas dire que vous étiez ensemble de nouveau. Et pourtant, les lignes sont aujourd’hui plus floues que jamais et tu te perds entre tous les non-dits. « Le tiroir du haut est vide depuis votre retour de l’hôpital. » Oh. « Je savais pas. » Tu comprends enfin où il voulait en venir avec cette histoire de valise, et un léger sourire vient s’installer sur tes lèvres. Il ne l’a jamais dit, mais il a fait l’espace et deux mois se sont écoulés sans que jamais tu n’en viennes à réellement comprendre ce que cela voulait dire. « Et tu veux que je l’utilise? » Tu demandes confirmation, même si tu penses bien connaître la réponse déjà. Tes doigts glissent le long de l’ilot alors que tu le traverses pour enfin te rapprocher de lui, briser la distance physique au fur et à mesure que vous tentez de la briser la distance entre vos esprits. « T’aurais pu me le dire. » Ce n’est pas un reproche, c’est dit avec un sourire qui trahit et de loin le soulagement que tu ressens à l’idée que pour lui aussi, cette vie à trois se veut plus douce et confortable qu’il ne l’avait anticipé. Tu te retrouves plantée devant lui, ton regard plongé dans le sien, ton visage qui se rapproche tant que vos nez se frôlent sans que jamais vos lèvres ne se retrouvent. « J’ai jamais eu envie de partir. » Et ce que tu devrais dire aussi, c’est que tu n’as pas envie de te demander si tu as le droit de faire ça, de te rapprocher autant. Si tu as le droit de vouloir passer tes bras autour de son cou et ne plus jamais lâcher prise, mais peut-être que ça aussi, il peut le deviner, le lire dans le fond de tes yeux et y répondre pour toi, pour une fois. |
| | | | (#)Dim 13 Fév - 19:35 | |
| C’est facile de croire que tout va parfaitement bien depuis l’arrivée de Gabriel, de prétendre que les traumatismes n’existent pas et que la violence du jour de sa naissance n’a eu strictement aucune répercussion. Il serait si simple de tomber dans le panneau lorsque Rosalie s’efforce à chaque jour qui passe de tout prendre avec le sourire, elle qui avait tellement rêvé de ce rôle de mère. D’un œil extérieur, elle tient son rôle à la perfection, elle qui fait passer les besoins de son fils avant les siens, elle qui veille sur lui avec tant d’efforts et de force. Il est pratiquement impossible de faire la distinction entre la personne qu’elle était durant sa grossesse et celle qui se présente depuis l’accouchement. Il faudrait rester des heures à observer les détails, pour voir son sourire s’effacer bien plus d’une fois, pour noter l’envergure des cernes sous ses yeux ou encore pour relever que son rire n’a pas résonné dans l’appartement depuis bien des jours en affilés. Rosalie est devenue fragile, prête à exploser à tout moment, sans prévenir, me laissant dans l’incapacité la plus totale d’anticiper quoi que ce soit. Les remarques acerbes ont toujours existé entre nous, mais elles ont un goût de nouveauté bien étrange ces deux derniers mois. « Je vais comme je peux. » Elle note le reproche avant même de souligner l’inquiétude. Bien sûr qu’elle saute sur le mode défensif pour ne rien laisser paraître quand il est désormais bien futile de tenter a faire croire que nous sommes encore capables de cacher quoi que ce soit à l’autre. « Je fais de mon mieux. » - « Je sais. » Rien de tout cela ne s’apparentait à un reproche qui demande correction. Il s’agit juste d’un constat quand je me décourage de comprendre comment je pourrais lui venir en aide. Légèrement cacher derrière mon verre, je lui offre un sourire. Vaine tentative de signe de paix au milieu d’un conflit que je ne souhaite voir naître. C’est bien quelque chose de nouveau, cela aussi. Cette volonté de conserver la paix, cette décision délibérée de mieux marcher sur des œufs plutôt que d’exploser à tout-va, en lui reprochant ses sautes d’humeurs et le ton qu’elle emploi parfois. Tout vient dans la restriction, la juste mesure des choses, pour ne rien envenimer, pour laisser planer la bulle dans laquelle nous n’avons de cesse de nous renfermer. « J’ai pas l’impression d’être honnête. » Elle a probablement raison quand il y a bien des sujets que l’on se refuse d’aborder. On vit comme deux colocataires qui dorment dans le même lit sans en tirer aucun avantage quelconque que la facilité de s’échanger les rôles auprès de Gabriel lorsqu’il hurle en pleine nuit. Tout tourne autour de notre fils, il est devenu la meilleure excuse, le drapeau blanc que l’on agite sans cesse pour faire durer le silence, pour mieux jouer à l’autruche encore un temps. « On n’a jamais été très bon, au jeu de l’honnêteté. » Je tente une moquerie pour alléger l’atmosphère quand en réalité, il ne s’agit que d’un triste constat résumant nos dernières années. À trop, osciller entre vérité et mensonges déguisés l’ont a fini par se perdre au point de ne plus savoir faire. La moindre des conversations déclenche l’anxiété de tout voir voler en éclats entre les cris et les reproches jamais digérer.
Néanmoins, il reste un sujet en particulier qui se doit d’être abordé. Cela fait deux mois que je les ai ramenés dans mon appartement, tout autant de jours que Rosalie n’est pas retournée chez elle sans pour autant défaire cette stupide valise qui traîne dans un coin de la chambre. De mon propre accord, sans jamais lui en faire prendre connaissance, j’avais débarrassé un tiroir de la commode. De manière probablement insouciante, je pensais que la brune prendrait ses aises comme elle a toujours su le faire. Le geste me paraissait évident et ne nécessitait en rien une discussion qui amènerait à redéfinir notre relation. L’accord se devait d’être tacite, dans un silence parfait et sans équivoque. « Je savais pas. » Elle n’a jamais pris le temps de fouiner, elle était trop fatiguée pour se poser la question, trop accaparer par son rôle de mère pour tenter de se définir une place à mes côtés. Loin de la Rosalie jalouse, celle qui tenait à sa place, celle qui ne laissait rien au hasard. « Et tu veux que je l’utilise ? » Je déteste lorsqu’elle fait cela, quand elle tire sur la corde pour me faire dire tout ce que je retiens. Elle n'aura le droit qu’à un haussement d’épaule, lui laissant toujours le choix de conserver la valise ou bien d’investir le tiroir. Qu’est-ce ça changera de toute manière ? Tout est temporaire, pas vrai ? Elle finira par en avoir marre de la colocation, elle voudra retrouver son indépendance et partira avec Gabriel sous le bras, sans avoir oublié de mettre en place quelques règles stupides qui me forceront à voir mon fils aux moments qu’elle aura déterminer préalablement. Qu’importe la promiscuité entre nous, mes angoisses n’ont pas décider de disparaître, elles s’ancrent un peu plus à chaque jour qui passe, se matérialise dans des cauchemars bien trop réalistes venant grignoter le peu d’heures de sommeil disponible. « T’aurais pu me le dire. » J’en ai eu l’occasion à de nombreuses reprises, c’est vrai. Lui dire revenait à me mettre devant le fait accompli, à lui donner la possibilité de choisir une tout autre option, étant celle de partir. Alors, j’ai préféré ne rien dire, attendre que le couperet tombe, le plus tard possible.
« J’ai jamais eu envie de partir. » Son sourire traduit bien des pensées virevoltants, laissant imaginer un soulagement qui l’amène à se rapprocher au point de m’en faire loucher. Elle est juste là, à portée de mains, si proche de mes lèvres et je hais encore, parfois, à quel point mon corps tout entier réagit à sa proximité. « Je voulais pas te laisser l’option de pouvoir le faire. » C’est maladroit et les mots se bousculent dans un murmure à peine audible. Pour mieux cacher le reste, mes lèvres viennent se déposer sur son front, tandis que mon bras vient s’enrouler autour de ses épaules pour mieux l’attirer contre moi. Il serait stupide de brûler les étapes, de se laisser retomber dans des schémas maintes fois visités et aux conclusions toujours négatives. Il est plus simple de prétendre à une étreinte qui se veut rassurante et presque inédite tant cela fait des semaines que l’on s’interdit une quelconque proximité. Le silence s’étire de manière familière, pour mieux faire durer le moment et ne pas obliger à de plus de profondeur dans la conversation.
Du coin de l’œil, j’aperçois le spectacle offert par le soleil à l’horizon qui s’en vient à colorer le ciel de nuance pastel. « Viens. » A défaut de trop vouloir en dire, ne sachant comment exprimer le reste, étant bien trop effrayé de me laisser diriger sur ce chemin, je préfère encore l’attirer à l’extérieur. On abandonne les verres de vin avant de dire des choses bien trop réelles et je récupère le babyphone avant d’ouvrir en plus grand la baie vitrée. Sur la terrasse trône deux transats, vers l’un d’eux un cendrier de fortune et un paquet de cigarettes à peine dissimuler. Je n’ai pas su arrêter, mais je tiens la promesse de ne fumer qu’à l’extérieur sans la présence de Gabriel. Par instinct ou par envie, je récupère une cigarette sans l’allumer pour le moment, les yeux collés sur l’horizon. À trop vouloir éloigner une discussion qui impliquerait que je parle de mes émotions, je préfère encore me concentrer sur Rosalie et sur ce qui me semble être le véritable problème, dans le fond. « Tu n’es pas toute seule. » que je souffle maladroitement, mon regard plongé dans le sien. Elle n’est pas seule qu’importe ce qu’elle traverse, qu’importe si je suis en capacité de comprendre ou non. « Qu’est-ce que je peux faire ? » Elle disait ne pas se sentir honnête, il est peut-être temps de débloquer cet aspect. Step by step. |
| | | | (#)Lun 14 Fév - 13:36 | |
| Comment est-ce que deux personnes qui se connaissent si bien peuvent avoir tant de mal à se comprendre, à se dire les vraies choses? Il n’y a personne au monde que tu saisis aussi bien que lui, personne au monde qui arrive à lire en travers de tes lignes, qui sait comprendre tous tes sous-entendus comme tu es capable de saisir chacun de ses soupirs, tout ce qu’il retient constamment. Alors comment ça se fait qu’encore aujourd’hui, après tout ce que vous avez vécu, il soit si difficile pour vous de vous regarder droit dans les yeux et de vous dire clairement ce que vous voulez, ce qui va, ce qui ne va pas? Pourquoi est-ce que c’est si difficile quand tu sais pourtant qu’il voit chaque faille, analyse chaque travers et qu’il s’efforce quand même de ramasser peu à peu les morceaux de ce qu’il reste de toi depuis ton accouchement? Tu t’en veux d’être autant sur la défensive, mais c’est le seul mécanisme que tu connais, la seule chose que tu saches faire pour tenter de protéger le peu qu’il reste de celle que tu étais avant tout ça, de celle que tu tentes maladroitement de reconstruire sans avoir la moindre idée de ce que tu veux, de qui tu es réellement désormais. « On n’a jamais été très bon, au jeu de l’honnêteté. » Et il est juste là, le problème. Vous avez tellement joué, vous vous êtes tellement mentis, pendant si longtemps, que c’est bien plus facile maintenant de refouler ce qui pourtant tente de se refaire une place entre vous deux. Ils sont nombreux, les jeux auxquels vous excellez tous les deux, mais pas celui-là, pas le plus important, le seul qui compte vraiment maintenant que tout ne dépend plus seulement de lui et toi, mais bien de votre fils qui ne mérite pas de grandir entre deux parents qui ont toujours été meilleurs à se faire du mal qu’à se faire du bien.
Alors vous tentez de rectifier le tir, maladroitement, lentement, mais sûrement. À coups de vérités dites à demi-mots et de questions poser avec toute l’incertitude du monde. À coups de bien vouloir et l’envie de faire tellement mieux que tout ce que vous avez pu faire par le passé. Ta valise est encore pleine, mais il suffit d’un mot, d’un geste pour que tu acceptes de la vider, pour que tu remplisses ce tiroir que Wyatt t’avoue avoir vider pour toi. Tu pousses pour une réponse, il hausse les épaules et tu serais presque tentée de forcer un peu plus de sa part, mais ça, ce serait de jouer encore pour seulement obtenir toujours plus de lui et tu t’es promis que tu ne ferais plus ça. Alors tu te contentes de t’approcher doucement, de laisser ton sourire répondre pour toi, de réduire peu à peu le fossé qui s’est machinalement installé entre vous ce soir, tous les deux perdus dans vos pensées et dans vos peurs, trop occupés à craindre demain pour profiter de la simplicité du moment présent. « Je voulais pas te laisser l’option de pouvoir le faire. » Tu voudrais lui dire que tu veux qu’il te les donne, les options. Qu’il étale ses choix devant toi pour que tu puisses lui prouver encore et encore que tu es là parce que tu en as envie, pas parce que tu t’y sens obligée. Que tu es là parce que c’est lui que tu choisis, peu importe ce que ça veut vraiment dire, là maintenant tout de suite. Et si tu devrais peut-être le dire, tout ça, laisser les mots exprimer clairement pour une fois tout ce qui se joue dans ton esprit, tu abats toi aussi la carte du silence, laissant ses lèvres se poser sur ton front alors qu’il t’attire contre lui dans une étreinte qui se veut aussi rassurante qu’essentielle dans l’immédiat, qui traduit peut-être un peu, à sa façon, tout ce que vous n’osez toujours pas vous dire.
« Viens. » Tu sursautes légèrement quand il se remet à bouger, qu’il te force en quelque sorte à remettre les pieds dans la réalité alors que tu aurais pu te perdre encore longtemps, juste là contre lui, à sentir son parfum, à retrouver sa chaleur même de la plus innocente des façons qui soit. Tu le suis alors qu’il prend la direction de la terrasse, remplaçant son verre de vin par le babyphone qu’il dépose à ses côtés après s’être installé sur l’un des transats et tu prends place sur le deuxième, le regard porté vers le soleil qui poursuit sa course dans le ciel, laissant bientôt place à la nuit et toutes les angoisses qui viennent généralement avec cette dernière. Tout est toujours pire, quand il fait noir, quand les cauchemars prennent toute la place et que les heures s’étirent sans que jamais tu ne trouves le sommeil, autant parce que Gabriel est réveillé que parce que tes pensées ne te permettent pas de te reposer même si tu en as cruellement besoin. Tu laisses ta tête tomber contre le dossier du transat, t’allonge aussi confortablement que possible sur ce dernier alors que tu t’efforces de te concentrer sur ta respiration, que tu t’obliges à penser à ce qui va bien pour faire changement. Gabriel a eu une bonne journée et il dort paisiblement présentement. Tu as passé une belle soirée. Vous avez réussi à parler un peu, avec Wyatt. Ce sont des petites choses, mais tu sais qu’elles s’accumulent et qu’elles te font du bien. Et tu t’y accroches, pour ne pas te perdre dans la tempête de tout ce qui ne va toujours pas. « Tu n’es pas toute seule. » Tu jurerais qu’il vient de lire dans tes pensées quand tu tournes la tête et que tu sens le regard de Wyatt qui se fait imposant sur toi. Tes yeux accrochent les siens et tu hoches doucement la tête. « Je sais. » Ça ne veut pas dire pour autant que tu trouves ça facile de lui tendre la main, de lui demander de l’aide. « Qu’est-ce que je peux faire? » Tu soupires doucement, c’est bien la question que tu redoutais. « Tu peux rien faire. » De plus, parce qu’il en fait déjà tellement, mais les mots restent coincés dans ta gorge alors que tu détournes le regard pour te concentrer sur le ciel qui se fait de plus en plus sombre. Tu passes une main sur ton visage, la fatigue te frappant d’un coup. Ce n’est pas que physique pourtant. C’est tout. C’est le corps, c’est l’âme, c’est le cœur qui est épuisés de chercher pour des réponses qui ne viennent pas, à espérer des moments de répits qui ne durent jamais assez longtemps. « Tu en fais déjà beaucoup, avec le petit… » Avec Gabriel oui, mais avec toi aussi, quand bien même tu es incapable de le dire, toi qui as si longtemps crier haut et fort que tu n’avais besoin de rien ni de personne, que tu pouvais très bien t’occuper de toi-même toute seule. Tu prends une longue inspiration et tu les détestes, les larmes qui s’invitent dans le coin de tes yeux, celles que tu essuies tout aussi rapidement du revers de la main. « Je sais que c’est beaucoup te demander mais juste… » Tu retournes enfin la tête dans sa direction, les lèvres qui tremblent légèrement et ta vulnérabilité qui s’étend partout sur ton visage même si tu te retiens de toutes tes forces de te remettre à pleurer encore une fois. « Lâche moi pas, okay? » Peu importe ce que ça veut dire, peu importe la forme que ça prend, tu as besoin de savoir qu’il est derrière toi, qu’il est là, qu’il te supporte et que ça ne va pas changer du jour au lendemain. C’est tout ce qu’il peut faire, tout ce qu’il peut dire, tout ce dont tu as besoin.
Si tu savais à quel point j’ai besoin de toi. |
| | | | (#)Dim 20 Fév - 11:54 | |
| N’y a-t-il rien de plus paradoxale que deux écrivains, incapables de trouver les mots justes ? À danser autour de la vérité sans jamais être capable de se l’avouer les yeux dans les yeux, qu’importent les années écoulées et les épreuves surmontées. Gabriel a amené une nouvelle union entre nous, en dehors du statut évident de nouveau parent, quelque chose que je serais bien incapable de retranscrire avec des mots, mais qui s’en vient à redéfinir notre relation tout entière. Les habitudes ont la vie dure, mais force est de constater que nous sommes bien loin des deux amants de l’année passée. Pour la première fois depuis ce qui semble être une éternité, nos décisions ne sont pas régies par un unique désir de vengeance qui ne pouvait flancher que le temps de quelques heures à flirter entre les draps. Exit les rancœurs et la colère, nous voilà à ne plus savoir comment s’adresser à l’autre lorsque les cris et la volonté de blessé, par pur plaisir, s’en sont allé aux oubliettes. Tant de choses ont changé en douze mois qu’à y penser ne serait-ce que quelques minutes me filent un tournis inexpliqué. Je n’avais jamais eu autant envie de la sortir de ma vie, le désir était ancré, stable, cracher avec force. Je pensais tout lui avoir dit, que plus rien ne serait capable de nous raccrocher l’un à l’autre. Je n’ai jamais cru à toutes ces conneries sur les âmes sœurs, sur cette personne qui sera dans ta vie quoiqu’il arrive, quoique tu décides. C’est le genre de bullshit que l’on raconte aux petites filles pour leur permettre de rêver encore un peu, c’est ce qui aide à tenir les adultes désespérés d’un jour trouver une relation qui en vaille la peine. Il est stupide de croire à ce genre d’histoire, bercer par le destin, chamboulé par des événements qui ne cesse de ramener deux personnes sur le même chemin. Je me refuse de nous définir ainsi, quand bien même l’existence de Gabriel semble se tenir à un tour de force du Destin qui m’amène désormais à grappiller des instants aux côtés de Rosalie, effrayé à la simple idée qu’elle s’en aille pour de vrai, sans jamais faire marche arrière. Mais les mots manquent à l’appel. Il serait si simple de les coucher sur le papier, mais impossible à formuler pour les adresser à la jeune mère. Ils renferment bien trop de fragilité inavouée, des sentiments qui nous obligerais à tout redéfinir, nous plongeant dans une relation toujours trop intense et éternellement fragilisée par les années de blessures en tout genre. Les gestes se veulent remplacements temporaires de tout ce que je suis incapable de prononcer, mes bras lui demande de rester encore un peu quand mon regard la supplie de ne pas pousser la conversation. Les choses justes viendront en leur temps.
Le coucher de soleil qui se joue à l’extérieur interviens comme énième distraction, juste assez pour l’entraîner sur le balcon. Les verres de vin sont abandonnés sur le comptoir tandis que l’on prend place sur les transats dans le silence que nous offre la nuit tombante. Sans même la regarder, je peux entendre les rouages de son esprit qui courent à pleine allure, laissant son regard tomber sur l’horizon, absent de toute émotion. J’ai eu l’habitude de voir Rosalie réfléchir au cours des années, voir ses sourcils se froncer, ses lèvres s’agiter sans prononcer le moindre mot. Tout se joue dans son regard, lorsqu’elle laisse ses pensées l’envahir, on pourrait y voir se dérouler un film. En revanche, je n’ai jamais réellement vu Rosalie doutée d’elle-même. La scène se veut différente, ses expressions changeantes. Je n'ai pas la sensation de la connaître cette femme qui lutte contre ses émotions au point de ne plus savoir quel masque enfilé afin de faire perdurer l’illusion. Le charme se brise et l’avantage des années passées à ses côtés me laisse entrevoir au travers de chacune de ses fissures le bordel incessant qui la garde éveiller malgré sa fatigue constante. Je n’ai pas besoin de tourner la tête pour savoir qu’elle est en train de se ronger les sangs pour ne jamais laisser paraître la moindre émotion, pour tenter de conserver ce rôle de perfection qui n’a jamais fonctionné dès l’instant où elle se retrouve à mes côtés. Je lui laisse le temps, mais le silence devient aliénant quand tout cela se devait d’être une bonne soirée, un moment de répit où Gabriel à décider que dormir semble finalement être une activité assez chouette pour lui. Elle a su lancer les premiers pas d’une conversation que l’on a trop cherché à éviter, à moi de tendre la main dans sa direction avant de la voir se noyer sans ne plus pouvoir aider.
« Tu peux rien faire. » La réponse est se veux tranchante de vérité. En un instant, elle sait me remettre à ma place de spectateur, celui qui ne pourra jamais réellement se placer dans sa dynamique de mère. Elle réclame à corps et à cri la moindre de mes réactions, quelque chose qui lui prouverait par n’importe quel moyen mon implication et lorsque je tends la main, elle crache dedans. Mon caractère entier voudrait déjà me voir en train de claquer la porte pour mieux s’en aller, refusant l’échec cuisant et ce rejet qu’elle n’a de cesse de formuler. . Mes jambes s’agitent dans la volonté de me retirer de cette conversation avant que les mots ne s’enflamment et que mon ego se veuille de lui rendre la pareille. Pourtant, je reste allongé, à triturer cette cigarette entre mes doigts, le regard fixé sur l’horizon, à attendre la sentence finale. « Tu en fais déjà beaucoup, avec le petit… » Je voudrais contester, lui rappeler que tout cela n’est en rien le résultat d’un effort insurmontable, mais juste une normalité qui est désormais devenu la nôtre. Gabriel est tout autant mon fils que le sien et je ne serais pas de ces pères qui restent assis dans le canapé les bras croisés, alors que leurs enfants ont besoin d’eux. Alors clairement, il me faut plus de temps qu’elle pour changer une couche ou donner le bain, je ne suis jamais vraiment sûr de ce que je fais dès qu’il s’agit de s’occuper des soins, mais j’essaye, avec toute ma volonté. « C’est normal. » C’est tout ce qu’un père se doit de faire pour son enfant. Tout ce que le mien n’a jamais réellement fait pour nous quand il passait son temps au travail ou à élaborer une liste de reproches que ce soit envers ma mère ou, plus tard, envers moi.
C’est d’entendre Rosalie batailler envers ses larmes qui me ramènent à l’instant présent. Lorsque je relève les yeux vers elle, son regard fuit le mien dans l’instant. On n’avance jamais vraiment dès qu’il s’agit d’étaler nos faiblesses, mais je ne lâche pas son visage du regard, conscient qu’elle cherche à me dire quelque chose. « Je sais que c’est beaucoup te demander mais juste… » Lorsqu’elle tourne enfin son visage vers le mien, je réalise que le masque est tombé. Il ne reste que Rosalie, la vraie, celle qui ne, c’est plus se situer dans son rôle de mère, celle qui se cherche un peu de sursis pour mieux naviguer au travers de toute cette vulnérabilité. « Lâche moi pas, okay? » Mon cœur se serre tandis que je me redresse à un instant. Sans hésiter, sans même vaciller une seule seconde, je m’assois en face d’elle, la main déjà tendue dans sa direction. « Eh… Regarde-moi. » Pour une fois, Rosalie regarde-moi. Si les mots me font probablement encore défaut, il y a bien des choses que l’on a toujours su se dire au travers d’un regard. Un léger sourire se dessine sur mes lèvres tandis que ses prunelles entrent en contact avec les miennes. Dans un silence qui semble nécessaire, je relève la main dans sa direction, lui présentant mon petit doigt en l’air. « Promis. » Ce geste-là, elle m’a vu le faire une dizaine de fois avec Ariane et probablement un millier de plus avec Leo. On ne sait pas se parler sans hurler, on ne sait pas se dire que l’on s’aime et que l’on sera toujours présent les uns pour les autres, alors on a des codes à notre manière. Les pinky promises se veulent religion sacré, une promesse que personne ne pourra briser qu’importe les horreurs balancées. Pour la première fois, dans un sens de l’exception qui me semble traduire tout ce qui restera non-dits entre nous, j’offre cette promesse à Rosalie. Quoiqu’il arrive elle pourra s’appuyer sur moi, mon épaule sera toujours là, je lui promets. Il n’est plus question de vouloir arrêter, de voir l’autre s’échapper. Il s’agit d’apprendre à vivre ensemble, pour notre fils, et en déraisons de tout ce qui nous anime. J’ose imaginer que l’on a encore besoin de temps pour s’avouer pleinement que cette dynamique s’ancre bien plus loin que deux parents qui tentent de co-exister. Mais pour le moment, c’est bien ce que nous sommes, deux parents qui apprennent ensemble.
Sans un mot de plus, alors que nos petits doigts sont toujours attachés l’un à l’autre, je viens m’allonger à ses côtés. Le transat est un peu petit pour deux corps d’adultes, mais il est aisé d’emmêler nos jambes et de la laisser s’allonger sur mon flanc. À quoi bon se voiler la face, quand la proximité semble nous apaiser autant l’un que l’autre. J’allais fermer les yeux, pour profiter du moment, pour réaliser tout ce que l’on venait de se promettre silencieusement, mais Gabriel se met à gazouiller. Je crois que mon souffle se coupe en même temps que celui de Rosalie tandis que nos regards se tournent vers le moniteur qui nous montre un bébé qui s’agite. Quelques secondes défilent avant que Gabriel finissent par lever les bras au-dessus de sa tête pour mieux se rendormir et m’arracher un léger rire. « Ce pacha. » Je l’imite bras en l’air, avant de finir par les laisser retomber autour de la silhouette de Rosalie. « Il est comme toi à prendre toute la place. » La pique se veut gratuite pour mieux détendre l’atmosphère.
Les minutes défilent sans qu’aucun d’entre nous ne bouge, le soleil a terminé sa course et bientôt, il fera complètement nuit, mais les lumières de l’appartement diffusent juste ce qu’il faut de lumière. Juste assez pour deviner les courbes de son visage contre mon torse, mais pas assez pour voir l’expression de son regard. C’est toujours plus simple pour se lancer… « Si tu veux pas m’en parler à moi… » Je souffle, ne voulant en rien la vexer. « Il faudrait que tu en parles à quelqu’un. » De tout ce qu’elle ressent depuis la naissance de Gabriel, de tout ce qui l’a fait pleurer dès que la journée a été un peu trop intense. Je tente de penser à notre quotidien depuis ces deux derniers mois, on a su entrer dans une routine qui paraît fonctionner, mais le moindre grain de sable pourrait tout venir faire dérailler. Il a été acté qu’elle allait rester ici, sans date de départ déterminée. On dort déjà dans le même lit sans jamais avoir adressé la situation. En dehors de tout ce qu’elle semble traverser qui lui appartient proprement, je comprends désormais qu’elle a réellement besoin d’entamer cette autre conversation. Celle qui nous concerne. Et bizarrement, une fois dans la pénombre et avec le calme assurée, cette promesse qu’elle m’a demander de lui tenir, je me sens capable d’aller sur ce terrain. « On devrait peut-être… » Peut-être quoi ? Se parler ? Être franc ? Arrêter de jouer aux idiots ? « Établir quelques règles ? » Ce serait probablement un bon début, un commencement tout du moins. |
| | | | (#)Dim 20 Fév - 14:11 | |
| « C’est normal. » « J’ai pas l’impression de te dire assez merci pour tout ce que tu fais. Vraiment. »
Sans doute parce que tu ne les prononces jamais comme ça, ces mots-là. Ils ne te viennent pas naturellement, pas plus dans les moments de tous les jours que maintenant, et pourtant, ce n’est pas pour autant que tu ne les penses pas. Que tu ne le trouves pas merveilleux dans son rôle de père, ce rôle qu’il ne s’attendait certainement pas à porter un jour, encore moins dans de telles conditions. Un rôle qu’il incarne néanmoins de la plus belle des façons quand bien même les débuts ont été catastrophiques et que c’est loin d’être de tout repos à tous les jours. Tu te caches toujours derrière Gabriel pour ne jamais avoir à dire comment tu lui es reconnaissante de sa présence, de ce support qu’il t’offre même si rien n’est jamais vraiment défini entre vous deux, que rien n’est clair et que tout laisse place à bien trop d’interprétations qui te font tourner la tête plus souvent qu’autrement. Tu tergiverses sans cesse quand vient le temps d’essayer de dire ce que tu penses vraiment, ce que tu ressens, de lui donner cet accès au fond de tes pensées comme lui avait su le faire – par mégarde, mais quand même – il y a déjà plusieurs mois de ça. Tu essayes, tu hésites, aucun mot ne te semble assez bon, assez juste. Ils sont tous trop révélateurs d’une vulnérabilité que tu n’assumes pas, exposent en bien trop de profondeur tous les sentiments, qui sont pourtant juste là à porter de la main, que tu te refuses de nommer. C’est compliqué quand ça ne devrait pas vraiment l’être. C’est effrayant, pire que de sauter dans le vide sans savoir s’il allait te suivre, si sa main resterait attachée à la tienne, quand bien même il était là et qu’il avait toujours trouvé le moyen d’être là depuis le moment où vous aviez décidé de poursuivre cette grossesse, de garder ce bébé. Votre beau Gabriel, ce petit bonhomme qui avait su tout chambouler dès le début, pire encore dès l’instant qu’il avait pris son premier souffle et que tu étais persuadée de prendre ton dernier. L’histoire ne s’était pas arrêtée là pour toi, mais tu étais consciente plus que jamais de la fragilité de la vie, prisonnière quelque part entre l’envie de vouloir la vivre à fond maintenant que tu sais à quel point c’est précieux et ton incapacité à sortir de ce trou noir qui te rapproche toujours un peu plus de cette mort que tu as frôlé du bout des doigts.
Tu plonges enfin, le cœur pesant, battant bien trop fort contre ta cage thoracique. Ce n’est pas grand-chose, presque rien vraiment vu d’un point de vue extérieur, et pourtant, vous savez tous les deux à quel point c’est un pas de géant pour toi. Il le sait aussi bien que toi quand il se redresse pour s’asseoir face à toi, son regard momentanément plongé dans le tien sans que tu ne parviennes à le soutenir. « Eh… Regarde-moi. » Tu fais l’effort toutefois, tes lèvres tremblent et elles se font sournoises, les stupides larmes qui ne cessent de mouiller ton regard sans que jamais tu ne t’autorises à cligner des yeux pour les laisser couler sur tes joues. Un sourire vient habiller ses lèvres et tu respires déjà un peu mieux, le silence traduisant une fois de plus tout ce que vous n’osez pas dire. Tu es surprise toutefois lorsqu’il soulève son petit doigt dans ta direction, un geste à la signification bien particulière, mais qui n’a jamais été utilisé avec toi par le passé. « Promis. » Sans la moindre hésitation, tu viens joindre ton petit doigt au sien, dans cette gestuelle qui peut sembler un brin enfantine, mais qui a son lot de signification pour Wyatt. Tu ne comptes plus le nombre de fois où tu as jalousé amèrement sa sœur ou sa cousine d’avoir droit à de telles promesses, quand entre vous, ce sont bien trop souvent les cris et les insultes qui ont pris le dessus, sans la conviction derrière que vous seriez toujours là l’un pour l’autre. Tu sais ce que ça veut dire, tu sais surtout ce que ça vaut et si tu es incapable de répondre quoique ce soit, il saura lire dans tes yeux toute la reconnaissance qui t’habite dans le moment, le soulagement que tu ressens de savoir que la guerre est bel et bien derrière vous et que devant vous se dessine peu à peu une ère où vous tentez maladroitement de faire équipe.
Sans un mot, il délaisse son transat pour venir prendre place sur le tien, son corps se collant contre toi alors que vos jambes s’emmêlent pour trouver un peu de confort, que tout ton être semble se mouler le plus naturellement du monde contre le sien, parce qu’il n’y a pas un endroit au monde où tu as plus ta place qu’à cet endroit précis, peu importe tout ce que vous vous décidez de taire, peu importe ce que vous tentez de vous faire croire. Tu échappes un long soupir, prête à faire tomber ta tête contre son torse lorsqu’un bruit venant du babyphone t’arrête dans ton mouvement, alors que dans un geste presque parfaitement synchronisé, vous accordez votre attention à l’image pixelisé d’un Gabriel qui chigne un petit peu avant de s’étirer et de se rendormir paisiblement, bras bien allongé au-dessus de la tête. « Ce pacha. » Tu échappes un rire, ton regard toujours porté sur le petit écran bien que Gabriel soit de nouveau complètement immobile, dans un sommeil qui semble anormalement paisible pour votre fils qui normalement n’enchaîne pas très bien les heures assoupis. Ce sont les bras de Wyatt qui t’entourent qui te ramènent dans le moment présent, qui t’obligent à profiter de ce sursit, consciente que ce dernier pourrait se terminer à tout instant. « Il est comme toi à prendre toute la place. » Sans force, tu frappes son torse tout en relevant la tête légèrement. « La journée où il se mettra à ronfler comme toi, c’est là qu’on sera vraiment dans la merde. » que tu répliques plutôt d’une voix enfantine, reconnaissante de cette accalmie plus douce, moins sérieuse. « Il te ressemble tellement qu’on est dans la merde peu importe je crois. » que tu souffles ensuite, toujours aussi amusée. Gabriel est un véritable copier-coller de son père qu’il t’est parfois difficile de trouver des ressemblances entre vous deux. Tu te demandes si ça veut dire qu’il aura un peu plus de ton caractère ou bien si tu es condamnée à partager ta vie avec deux Parker aux opinions bien tranchées et aux caractères plus qu’explosifs, une idée qui te fait ricaner ce soir, mais qui risque bien de te faire sacrer dans les années à venir.
« Si tu veux pas m’en parler à moi… » Wyatt brise doucement le silence confortable dans lequel vous étiez en train de vous perdre, et tu n’oses pas bouger alors que tu devines déjà où il veut en venir avec ce début de phrase. « Il faudrait que tu en parles à quelqu’un. » Tu soupires doucement, te retiens de toutes tes forces de secouer négativement la tête, même si ce n’est pas l’envie qui manque. « À un psy? » Non. Tu n’es pas une fille comme ça, tu refuses d’être ce genre-là. Oh, ils sont stupides, tous les préjugés que tu portes aux gens qui consultent, comme si c’était un défaut, une faille dans un système que tu veux croire encore et toujours parfait alors que tu le sais pourtant que rien ne va et que tu ne pourras pas te garder la tête dans le sable éternellement. « J’suis pas ma mère. » est pourtant la seule chose que tu parviens à dire de plus sur ce sujet-là, seule et unique justification que tu oses donner, comme si ça expliquait le comment du pourquoi alors que vraiment, s’il y a bien une raison pour laquelle tu devrais voir une psy – et ce depuis bien longtemps – c’est bel et bien ta génitrice. Femme malheureuse autant dans sa vie professionnelle que dans sa vie familiale, qui panse ses blessures à coups de bouteilles de vins hors de prix et de fort qu’elle n’essaye même plus de cacher depuis fort longtemps. Oh mais tu lui ressembles bien plus que tu ne veux l’admettre, à ta mère, même s’ils semblent très loin, les mois dans lesquels tu pansais ton cœur brisé dans l’alcool. Toutes tes blessures sont encore trop fraîches, trop à vif pour que tu te sentes capable de les gérer à l’aide de quoi que ce soit ou de qui que ce soit. Et tu espères sincèrement qu’il ne poussera pas davantage sur le sujet car tu sais que tu es loin d’avoir la force ou l’énergie à mettre sur ça ce soir. Tu sais qu’il veut bien faire, mais tu as besoin de temps, d’encore un peu de temps. Ses doigts dansent contre ton bras, les tiens contre son torse et tu es encore prise entre cette envie que tout reste simple et celle qui te dit que les vraies choses doivent tout de même se dire. « On devrait peut-être… » Il plonge le premier, et tu attends autant que tu crains la suite. « Établir quelques règles? » « La dernière fois qu’on a essayé ça, ça nous a pas trop réussi. » Sans doute parce qu’il était idiot de penser que vous pourriez vous côtoyer autant sans que l’ambiguïté ne vienne reprendre sa place attitrée entre vous. Deux mois que vous cohabitez désormais et que tu ne sais jamais réellement sur quel pied danser face à tout ça d’ailleurs. « Tu penses à quoi comme règles? » Si tu es tentée de relever la tête pour croiser son regard, tu restes toutefois immobile, les yeux portés vers la lune qui brille désormais dans le ciel sombre, la nuit ayant finalement remplacé le jour, tirant sur les dernières heures de cette journée d’anniversaire. « J’avoue que je sais plus trop comment agir avec toi, et que je suis tannée de me poser la question, à savoir si j’ai le droit ou non de te toucher, si t’as envie que je le fasse ou non… » Tant qu’à être incapable de parler de sentiments, aussi bien plonger directement dans ce que tu t’autorises à partager, soit cette frustration grandissante de ne jamais savoir si oui ou non, tu peux te permettre ce qui a longtemps été considéré comme des écarts à son égard. |
| | | | (#)Dim 20 Fév - 17:42 | |
| La promesse est là, renfermée dans un geste terriblement enfantin, mais à la signification mille fois plus puissante à mes yeux que tous les discours que l’on pourrait se faire. Ce n’est pas une promesse de mots jetés à la volée pour mieux éviter le conflit. C’est un accord silencieux qui n’appartient qu’à nous, auquel on saura donner la valeur nécessaire pour que cela puisse faire sens dans cette nouvelle relation à construire. Aucun de nous deux ne sait réellement de quoi demain sera fait, mais à cet instant précis, on se promet de ne pas se lâcher. Tant qu’elle se sentira vaciller, je serais là pour assurer ses arrières. Peu importe si elle souhaite verbaliser son mal-être ou non, peu importe si je suis en capacité réelle de lui venir en aide de manière concrète, elle sait désormais que je ne compte pas l’abandonner et j’ose espérer, de toutes mes forces, que la réciproque se veut simplement évidente. Je sais que je n’ai aucunement besoin d’expliciter le geste tant elle en connaît toute sa signification et la promesse qui en découle. Tout se confirme en un seul regard, les insultes et les cris font place à une étrange complicité retrouvée. Après avoir passé tant de temps à jouer l’un contre l’autre, il est désormais le moment d’apprendre à se serrer les coudes pour mieux avancer. Notre équipe part avec quelques fragilités, il nous faut encore tatillonner pour trouver le parfait équilibre, mais Rome ne s’est pas créé en un jour, et il y a bien des fondations à retravailler. Jour après jour.
Celui qui nous permet de se balancer sur une base solide semble s’agiter dans son sommeil, mais comme s’il avait senti que ses parents ont besoin d’une pause, Gabriel se rendort tout aussi vite. C’est assez marrant de le voir installer ainsi, étaler en longueur, dans une pose qui me paraît inconfortable, mais qui semble le ravir. Il nous offre une légère distraction nécessaire le petit bonhomme, juste assez pour ne pas laisser le temps à nos esprits de relever la facilité avec laquelle nos deux corps ont su trouver la position adéquate sur cet unique transat. « La journée où il se mettra à ronfler comme toi, c’est là qu’on sera vraiment dans la merde. » A quoi prétendre le contraire quand elle n’a de cesse de me faire ce genre de remarques. « Je te ferais dire qu’il fait déjà des bruits bizarres quand il dort. » Il paraît que c’est normal, que les nouveaux nés ont bien souvent l’habitude d’émettre ce genre de petits bruits lors de leur sommeil. Si d’un côté cela se veut particulièrement rassurant, autant dire que ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable lorsque l’on cherche à grappiller des minutes de sommeils à ses côtés. « Il te ressemble tellement qu’on est dans la merde peu importe, je crois. » J’échappe un rire face à sa résignation si évidente. « Correction : tu es dans la merde. » Il est vrai que physiquement, il me sera dur de renier Gabriel, tant il semble être mon portrait craché et que son caractère tend à se familiariser avec le sang des Parker qui coulent dans ses veines.
Nos sourires se transforment en un silence réconfortant, laissant place à une étreinte qu’aucun de nous ne va chercher à adresser. Juste la simplicité de savoir se retrouver ainsi, l’occasion de laisser Rosalie se reposer, malgré les pensées qui ne cessent de s’agiter. Je cherche à relancer la conversation tant, le moment semble opportun, dans le calme, à la lueur d’une nouvelle nuit qui nous accueille en douceur. « À un psy? » Par habitude, je m’apprête à hausser des épaules, avant de lui offrir bons nombres d’options en tout genre. « Un psy, Talia, une plante verte, ton frère, ta sœur, la mienne, dans tes écrits, à la sage-femme, à n’importe qui en fait… » Tout paraît envisageable tant qu’elle adresse ses maux, tant qu’elle cherche à ne pas tout enfouir sous les gravats pour mieux s’en servir plus tard. « J’suis pas ma mère. » Sa réponse tranche dans le vif, amène une conclusion qui se veut indiscutable et me laisse sous le coup de la surprise. « Tu sais que je n’ai jamais dit ça. » Ce n’était pas mon intention, cela ne m’a même jamais frôlé l’esprit que de me permettre une telle comparaison. Elle n’a rien de semblable à sa mère. Je pourrais utiliser l’instant pour forcer, renverser la tendance et utiliser les stratagèmes qu’elle prenait un malin plaisir à mettre en place lorsque je me refusais à son aide. J’ai appris de nos erreurs pourtant et préfère laisser le sujet ouvert. « Juste penses y… » Je ne la forcerais à rien, mais il paraît évident que Rosalie à besoin d’extérioriser ses émotions que ce soit par la parole ou une tout autre forme d’expression.
Et quitte à plonger tête baissée, il est nécessaire de revenir au premier sujet que l’on se doit d’aborder. « La dernière fois qu’on a essayé ça, ça nous a pas trop réussies. » J’approuve d’un signe de tête en soupirant légèrement. « Je te l’accorde. » On avait essayé, en pensant que cela nous serait salutaire. On aura foncé droit dans le mur quelques jours après. Pourtant, on se doit d’établir quelque chose de stable et non pas une zone de non-droits qui ouvre tous les champs des possibles et notamment celui des conflits. « Tu penses à quoi comme règles? » De manière distraite, mes doigts continuent à courir le long de son bras. L’ambiguïté se devrait d’être proscrite, mais c’est bien là que réside le problème. « En fait, j’aime pas ce terme. » Des règles. Comme si nous étions des enfants qui ont besoin de suivre un règlement pour mieux vivre ensemble. « Plutôt… » Et une fois de plus, les mots viennent à me manquer, au point de créer une certaine frustration. « Je sais pas. » Me voilà à taper du pied, incapable de trouver l’expression qui saura matérialiser mes pensées d’une façon propre et qui pourrait nous guider. Je voudrais simplement que l’on cesse de marcher sur des œufs, que l’on soit capable de vivre ensemble en sachant se dire qu’il existe probablement des limites à ne pas franchir. On connaît tout ce qui pourrait potentiellement nous faire sombrer, il suffirait juste de savoir adresser les choses correctement. « J’avoue que je sais plus trop comment agir avec toi, et que je suis tannée de me poser la question, à savoir si j’ai le droit ou non de te toucher, si t’as envie que je le fasse ou non… » Paradoxale quand on sait qu’elle est actuellement dans mes bras, sur un fauteuil ridiculement petit, nous mettant dans une situation de véritable proximité. Mais soit, son honnêteté a le don de me laisser sans voix. Dans le peu d’espace que nous accorde le transat, je cherche à me contorsionner pour attraper son regard. « Depuis quand tu te retiens de faire quoi que ce soit ?! » La question peut paraître brute en retour, mais j’ai du mal à saisir la soudaine envolée de Rosalie. Elle qui a toujours été droit au but, qui ne s’est jamais gênée pour entreprendre tout ce qu’elle voulait, voilà qu’elle me reproche d’avoir imposé certaines distances entre nous quand cela me paraissait essentiel. Je n’ai jamais verbalisé de refus, mais il est m’arriver de m’éloigner pour ne pas créer une situation qui nous aurait mené tout droit vers les erreurs que l’on avait tant l’habitude de répéter. On ne sait pas se contenter d’une étreinte ou même d’un baiser, il faut toujours que les choses dérapent à un point où l’on finit par ne plus rien contrôler du tout. « Qu’est-ce que tu veux Rosalie ? » La question n’est plus vraiment de savoir ce que je pourrais lui laisser faire ou non, la question est de savoir pourquoi elle se tanne à se retenir ainsi ? Tant qu’à plonger directement dans le cœur du sujet, autant qu’elle pousse à bout son honnêteté sans détour déguisé. Est-ce qu’elle souhaite une étreinte passagère ou c’est autre chose qu’elle se retient de faire ? J’ai besoin de savoir, de comprendre, sans devoir jouer aux devinettes. Les jeux d’enfants ont bien trop duré. |
| | | | (#)Dim 20 Fév - 22:51 | |
| « Je te ferais dire qu’il fait déjà des bruits bizarres quand il dort. » Le commentaire est tout ce qu’il y a de plus honnête. Combien de fois est-ce que tu as cru que votre fils était réveillé alors qu’il ne faisait que marmonner bruyamment dans son sommeil? « Ça t’empêche de dormir, toi aussi? » Comme si c’était vraiment ça qui t’empêchait de trouver le sommeil, comme si c’était vraiment ça qui rendait la perspective de lâcher prise complètement impossible. C’est si facile de te trouver des excuses pour tout et rien, c’est la base même de cette Rosalie qui ne s’autorise aucune faiblesse, même quand ces dernières prennent toute la place et qu’elles s’étendent sous tes yeux, sous vos yeux même sans ta permission. Tu balaies le tout sous le tapis encore un peu, parce que tu es bien juste là, que c’est beaucoup plus agréable de parler de Gabriel et du fait qu’il risque d’être une terreur exactement comme son père, de commenter sur toutes les ressemblances qui existent entre le père et le fils. « Correction : tu es dans la merde. » La précision t’arrache un rire, même si tu ne doutes pas un instant qu’il devra lui aussi gérer avec un tempérament bien trop inspiré du sien et tout ce que ça implique.
La soirée se veut pleines de promesses faites à demi-mots, d’ententes que vous passez sans pourtant jamais avoir à prononcer le moindre mot. C’est cruellement à votre image quand vous cherchez éternellement la présence et le réconfort de l’autre sans toutefois être capable de baisser complètement la garde et d’admettre ce qui pourtant se manifeste de toutes les façons possibles et imaginables et ce, depuis bien longtemps. C’est un instinct de survie sans doute, quand se faire mal a trop longtemps été la norme et que cette dernière ne s’applique plus. C’est maladroitement cherché à faire balancer votre vie de famille d’une manière ou d’une autre avant de pouvoir s’autoriser à penser plus loin. C’est un fonctionnement qui fait défaut toutefois, quand penser plus loin s’impose inévitablement dans les petites actions du quotidien. C’est de dormir à côté de lui à toutes les nuits, sans savoir si tu as le droit de venir mêler tes jambes paresseusement contre les siennes, sans savoir si tu as le droit de lui dire bonne nuit d’un baiser sur la joue ou contre ses lèvres. C’est de passer à côté de lui cent fois par jour sans jamais savoir si tu peux t’autoriser un rapprochement quelconque qui n’implique pas Gabriel. C’est de vouloir proscrire l’ambiguïté quand bien même cette dernière est l’essence même de ce que vous êtes, de ce que vous serez toujours. C’est vouloir se faire croire qu’être parent ensemble suffit quand pourtant, tout laisse croire que ça ne peut pas être le cas, que ce ne sera jamais le cas, juste à a façon dont vos corps se retrouvent et se complètent même quand vous ne cherchez pas à le faire. C’est de chercher des réponses à des questions que tu n’oses pas poser et te surprendre de cette frustration qui grandit petit peu par petit peu, sous la surface, loin de ce qui se prend vraiment de la place présentement, soit Gabriel et ta santé mentale chancelante.
Ta santé mentale qui l’inquiète, tu le vois bien, dans cette façon qu’il a d’abordé le sujet avec prudence. « Un psy, Talia, une plante verte, ton frère, ta sœur, la mienne, dans tes écrits, à la sage-femme, à n’importe qui en fait… » Les options se veulent variées et si certaines t’arrachent une grimace (ta sœur? quelle sœur? dans un cas comme dans l’autres tu ne t’imagines pas t’ouvrir ni à l’une, ni à l’autre de tout ce qui se passe dans ta tête) tu sais qu’il ne propose que pour ton bien. Mais la vérité, c’est qu’aucune de ces options ne peut réellement faire l’affaire à tes yeux, pas quand c’est lui qui était là quand tout à vaciller, pas quand c’est lui qui doit en gérer toutes les conséquences au quotidien. « T’es la personne à qui je veux en parler. » que tu admets dans un murmure, comme si de ne pas le dire trop fait rendait la confidence moins importante. « Quand je serai prête. » Ce qui n’est pas le cas, pas tout de suite, pas comme ça. Ce sont des confidences que tu ne peux pas forcer, il te faut encore fait un cheminement particulier pour être capable d’admettre ce qui ne va pas, pour être capable de te détacher de cette image de la femme faible que ta mère représente en tout point à tes yeux. « Tu sais que je n’ai jamais dit ça. » Bien sûr que tu le sais, ce sont seulement les connexions que toi tu fais dans ta tête, quand jamais tu ne souhaites prendre exemple sur ta mère pour élever votre fils. Parce que tu veux faire tellement mieux qu’elle, mais tu ne t’en donnes pas les moyens, tu ne possèdes pas les outils. « Juste penses y… » Dans le silence, tu te contentes de hocher la tête. Tu as déjà dit tout ce que tu étais capable de dire à ce sujet pour ce soir, et tu ne peux qu’espérer que pour cette fois, ce soit suffisant.
« Je te l’accorde. » Vouloir imposer quoi que ce soit entre vous, c’est pratiquement une invitation à repousser les limites. Vous ne savez pas faire autrement, malgré toute la bonne volonté du monde. « En fait j’aime pas ce terme. » C’est lui qui vient de l’utiliser pourtant, mais tu laisses couler parce que tu le connais assez pour savoir qu’il cherche ses mots sans trouver ce qui fait plus de sens entre vous. « Plutôt… Je sais pas. » Il tape du pied et naturellement, tu viens poser l’une de tes mains contre son genou, pour calmer le mouvement même si tu n'es pas tout à fait en mesure de calmer son esprit. « Y’a pas besoin de mettre les mots. » Sur ça et puis sur tout le reste aussi, quand vous donner une définition est l’essence même de ce que vous n’osez pas faire. Tu n’as pas besoin d’une définition, pas besoin de vous coincer dans la moindre boîte qui ne ferait pas de sens, mais tu as besoin de quelque chose, d’un accord tacite qui permet de comprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, de quoi sont constituer ses envies ou peu importe, quand constamment, tu as l’impression de retenir le moindre geste d’affection à son égard, malgré ce que votre position actuelle peut laisser croire. « Depuis quand tu te retiens de faire quoi que ce soit?! » « Tu me poses vraiment la question? » Tu échappes un rire quand toujours, tu t’assures d’éviter son regard, même si tu le sens qui bouge sur le transat, à la recherche d’une position qui pourrait lui donner un accès à tes yeux. « Combien de fois est-ce que tu m’as reproché de pas me retenir justement? » Des centaines, des milliers peut-être quand toujours, tu prenais tout ce que tu voulais sans jamais rien offrir en retour. Tu voulais faire les choses bien, faire les choses mieux et peut-être que tu t’y prenais maladroitement, mais tu croyais bien faire, en imposant cette retenue quand bien même ce n’était pas exactement ce que tu voulais. « Qu’est-ce que tu veux Rosalie? » Si seulement tu le savais. Si seulement t’étais capable de mettre les mots exacts toi aussi, ça simplifierait peut-être les choses. « J’hais ça quand tu fais ça. » Tu te relèves légèrement, de manière à te retrouver assise à côté de lui plutôt que sur lui. « Quand tu trouves le moyen de retourner la question sans y répondre. » Le ton n’est pas agressif, ce n’est même pas un reproche ou du moins, ce n’est pas vraiment l’intention derrière le commentaire. Ce n’est qu’une simple constatation quand toujours, vous semblez être les maîtres dans l’art de se défiler sans jamais aller au bout de vos pensées. « J’veux pas faire semblant qu’on est rien l’un pour l’autre. » C’est une façon de dire les choses sans les dire, non? Le commencement d’un aveu quelconque, d’un pas dans la bonne direction ou peu importe. C’est quelque chose, et c’est déjà bien plus que ce que vous vous permettez depuis plusieurs mois déjà. |
| | | | | | | | (craker #22) let us lose ourselves in the moment |
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