La vie est un jeu de hasard ft @Deklan Lewis

In the game of life ; The strong survive ; We're on a one-way street ; We gotta make it out alive ; And never let 'em drag us down ∆ Scorpions, The game of life

Si les premières semaines de vie de Rosalie, Mabel était peu sortie - à part pour les rendez-vous médicaux -, profitant de chaque instant de sommeil de sa fille pour faire le ménage ou essayer de dormir elle aussi, elle profitait d'avoir enfin trouver un rythme dans sa vie de nouvelle mère pour faire quelques excursions hors de la maison. Dans des endroits qu'elle connaissait, histoire de pas être trop perdue si Rosie décidait que rien n'allait et commençait à pleurer.

Elle avait décidé de profiter du dimanche matin pour faire un saut au Death before decaf, se disant que le café devait être plutôt vide et tranquille, le moment idéal pour aller y prendre sa drogue préférée tout en voyant autre chose que les quatre murs de son salon - joliment décorés mais qui commençait à être lassant depuis novembre, quand elle avait commencé à avoir du mal à se déplacer sans aide, encombrée par son ventre gonflé de femme enceinte. Elle ne s'attendait pas pour autant à être reconnue.

« Monsieur Lewis, ravie de vous rencontrer ! »

Et pas seulement parce qu'il était gérant du café. Elle se souvenait qu'il était sortie avec Marceline des années auparavant, à peu près à l'époque où elle-même fréquentait Rhett Hartfield. Et toutes les deux pour profiter de leur notoriété de l'époque - à croire que la pomme ne tombait jamais loin de l'arbre, et qu'elles n'étaient pas cousines pour rien, même si déjà au milieu des années 2010, elles ne se parlaient quasiment plus.

« J'aime beaucoup l'ambiance de ce café, je me suis dit qu'il était temps de le faire découvrir à ma fille, qu'elle sache apprécier els bonnes choses ! »

Il n'était pas question que Rose boive du café, mais Mabel pouvait apprécier une petite tasse tranquille, avec sa fille lovée contre elle dans l'écharpe de portage. Juste un petit moment de "vie normale", comme avant que sa grossesse ne bouleverse tout.

« Je prendrais un mocha s'il vous plaît » commanda-t-elle avant d'aller s'installer dans la salle.

La plupart des tables étaient libres, ce qui lui permit de s'installer devant la fenêtre, laissant Rosie, qui chouinait déjà un peu, avoir vue sur le trafic et les passants.

« Easy peasy, baby girl. Pas besoin de râler, on fait juste une pause dans la promenade » promit-elle.

Elle se sentait encore parfois comme une grenouille observée par un serpent, terrifiée par ce petit bébé qu'elle n'arrivait pas toujours à comprendre. Et encore, ces dernières semaines, elle avait réussi à apprendre à décoder les pleurs de Rose, mais il y avait toujours ceux, terribles, du soir, où sa fille déchargeait sans qu'aucun de ses parents ne sachent comment réagir. Là, la petite se calma rapidement en constante que sa mère bougeait juste pour s'asseoir mais ne la reposait pas pour autant, profitant du câlin.

Elle ôta le petit chapeau avec des dessins de singe du crâne de Rosalie, le rangeant précieusement dans le sac de lange pour ne pas le perdre. La petite répondit par des borborygmes incompréhensibles, agitant ses mains - pour rattraper le chapeau ou au contraire le repousser un peu plus loin ?

« C'est de la saucisse pour moi, ce que tu essayes de dire » lui indiqua-t-elle gentiment, en recoiffant rapidement ses cheveux de bébé. « Vivement que tu saches parler. »

Rosie la regardait, de son regard profond qui donnait l'impression de tout comprendre. Mabel devait parfois se rappeler que ce n'était qu'un petit bébé observateur, même si l'air sérieux de sa fille quand on lui parlait l'amusait énormément.

« Alors, petit chat, t'es dans un mauvais lait pour faire la tête comme ça ? » demanda-t-elle en voyant Rose froncer des sourcils.

C'était drôle comme les bébés faisaient parfois des têtes étranges, n'ayant pas appris à assortir leurs visages à leurs émotions. Rosalie semblait énervée, son front plissé et ses yeux noirs, alors qu'elle était juste en train de bouger pour s'installer plus confortablement contre le torse de sa mère - son visage se détendit d'un coup quand elle eut trouvée la bonne position, son petit nez tout pressé contre le t-shirt, ses mains tirant sur le tissu pour s'y agripper.

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Connaître Deklan était un bien grand mot... Marceline n'avait pas dit grand chose de lui, et Mabel savait juste qu'il était sportif et gérant d'un café. Même quand elle sortait avec Rhett, elle n'avait pas réussi à s'intéresser vraiment au rugby, et connaissait à peine les règles. Elle avait beau être née en Australie, elle tenait à peine sur une planche de surf - une honte, elle le savait bien.

« J'ai entendu parler de vous » se contenta-t-elle de lui répondre, un léger sourire aux lèvres.

Enfin, elle avait entendu les remarques de Marceline, qui ne l'avaient pas tant choquée que ça à l'époque, parce qu'elle faisait exactement la même chose avec Rhett. Presque sept ans plus tard, avec un mari et ses retrouvailles avec Rhett, elle voyait les choses autrement. Elle savait que ce n'était pas bien, et qu'elle avait merdé. Et le fait qu'elle ait été une gamine n'était pas une excuse suffisante.

Alors qu'elle attendait son café, ses doigts triturant le lange à imprimé de petits lapins sautillants de Rose, elle se demanda comment Marceline voyait les choses maintenant. Se dire qu'elle n'en avait aucune idée, alors qu'elle avait fait les quatre cent coups avec sa cousine quand elles étaient adolescentes, lui donnait le vertige.

Elle s'installa confortablement avec Rosie, essayant de garder le bébé détendu même si elles avaient arrêté de bouger. C'était quelque chose qu'elle avait vite appris : sa fille aimait être dans les bras et aimait encore plus être en mouvement. Même blottie contre l'un de ses parents, elle n'appréciait pas de rester immobile trop longtemps...

Quand Deklan revint avec sa commande, elle sursauta presque, trop concentrée sur Rose pour faire attention à ce qu'il se passait autour d'elle. Elle avait encore du mal à s'occuper de son bébé tout en faisant attention à son environnement.

« Une perle je ne sais pas, un petit singe qui se tortille dans tous les sens et agrippe tout ce qu'elle peut en griffant avec ses ongles, ça c'est sûr ! » rétorqua-t-elle gentiment.

Mabel essayait de ne pas être trop fière de son bébé, même si elle pensait que Rosalie était le plus mignon au monde. Les mères n'étaient pas connues pour leur objectivité après tout... Imperturbable sous le regard d'un inconnu, Rosalie continuait d'essayer de jouer avec la chaîne que Mabel portait au coup de puis des années - et qu'elle pensait à enlever depuis que sa fille était née.

« Je n'étais jamais venue aussi tôt un dimanche, mais c'est agréable ce calme ! »

Mabel était plutôt adepte des horaires de soirées, avant sa grossesse, quand le café était plein de gens sortants du travail et venant décompresser. Des cochons qui laissaient derrière eux leurs vaisselles sales et des tâches de café sur les tables. Là, un dimanche, l'endroit était plus familial, et bien nickel, les employés devant avoir un peu plus de temps pour tout remettre en place quand quelqu'un partait.

« Pas trop dur de passer d'une carrière de surfeur à celle d'un barista ? » demanda-t-elle curieuse, quand elle vit que Deklan avait l'intention de rester poser avec elle.

Enfin, de barista parce qu'elle le croisait au Death before decaf. Pour ce qu'elle en savait, il pouvait être parieur dans les courses de chevaux ou animateur de combats clandestins. (Ça ne semblait pas être le genre du jeune homme, mais elle ne le connaissait pas, et elle doutait que Marceline ait pris le temps de le connaître et de donner des informations fiables quand elle l'évoquait...)

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Marceline n'avait pas été très généreuse en parlant de Deklan - au point que Mabel avait à peine été étonnée du coming out de sa cousine quelques années plus tard. Marcel n'avait jamais été très agréable avec les garçons, et n'avait jamais semblé très amoureuse ou très appréciative des moments qu'elle pouvait passer avec. Mais dans leur famille, ce n'était pas quelque chose qui se disait - la bisexualité de Mabel était gentiment rangée sous le tapis, et l'homosexualité de Marceline était bien ignorée, du moins tant que la jeune femme ne ramenait personne officiellement.

Autant d'informations qu'elle gardait pour elle et ne partagerait pas avec Deklan. Surtout qu'elle ne savait pas vraiment ce qu'il pouvait ressentir de sa brève histoire avec Marcel. Ils n'avaient sans doute pas été ensemble assez longtemps pour qu'il soit tombé amoureux - pas comme Rhett avec elle. Mais elle n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait savoir ou penser des Griffiths.

Il semblait cependant vouloir rester vers elle pour qu'ils discutent, il ne devait donc pas avoir trop d'a priori sur le reste de la famille. Et Mabel, jamais très douée quand il s'agissait de discuter avec les gens sans idées derrière la tête, vaquait d'un sujet à l'autre tout en essayant de garder Rosie calme - personne n'appréciait les pleurs d'un bébé quand on voulait juste un bon café, en milieu de matinée un dimanche.

« Avant d'avoir un bébé, je n'étais pas levée assez tôt pour voir les cafés à cette heure-là » observa-t-elle en souriant.

Et si tant était qu'elle se lève le dimanche, c'était généralement pour prendre une boisson à emporter au Starbucks et retourner couver sa gueule de bois chez elle. Avoir un enfant avait bouleversé pas mal de ses habitudes - pour le mieux, puisqu'elle avait désormais un vrai rythme quotidien, même s'il était encore plein de réveils nocturnes desquels elle avait encore du mal à se rendormir. Elle avait cependant du mal à croire que le dimanche matin puisse être agité - mais peut-être que Deklan pensait plutôt à l'après-midi, quand parents et enfants venaient prendre une boisson réconfortante après une grande promenade dans l'un ou l'autre des parcs de la ville.

Pour autant, elle se demandait ce qui avait pu amener le jeune homme à devenir gérant d'un café. Pas le genre de carrière qu'elle imaginait après avoir été sportif professionnel - peut-être parce qu'elle transposait sur lui ce qu'elle savait de Rhett, à savoir devenir entraîneur ou commentateur sportif, mais rester dans la branche. Une question encore douloureuse pour Deklan, si elle devait se fier à la posture tendue de son interlocuteur.

« J'imagine que gérer un café est plus compliqué que de retenir toutes les recettes de café de votre carte. Entre les stocks, les emplois du temps, la publicité... Ça ne doit pas être une partie de plaisir. »

Parce qu'elle n'avait pas voulu sous-estimé son travail. Après avoir vu Amaya gérer son magasin-boutique d'elle ne savait quoi, elle savait que gérer sa propre entreprise demandait un gros engagement personnel. Elle était juste curieuse de ce qu'il avait choisi à la fin de sa carrière de surfeur.

Sa question à elle semblait pourtant avoir ouvert les vannes des questions plus personnelles. Une partie où elle n'était pas vraiment à l'aise mais où elle avait près de trente ans d'expérience pour tourner autour de la vérité ou cacher ce qu'elle pensait vraiment.

« J'ai eu le temps de m'y préparer, et je sais aussi que je retrouverais le chemin du travail rapidement. »

Elle avait déjà fait une excursion chez Weatherton pour présenter Rosie au reste de l'équipe, plus quelques jours de tournage avec son bébé jamais très loin d'elle. Elle n'était jamais très loin des caméras - et elle avait l'habitude de vivre avec puisqu'elle vivait ça depuis petite.

« Et même si je ne voulais pas reprendre le travail... Les caméras savent venir me chercher chez moi. »

Une mention aux paparazzis qui venaient parfois camper devant chez elle - moins nombreux qu'à la naissance de Rosalie. A croire que les quelques photos postées sur son instagram ne suffisait pas à assouvir leur curiosité. (Surtout qu'à part quelques photos de bébé, elle ne comptait pas poster la bouille de Rose quand elle grandirait, pour que les gens ne la reconnaissent pas en la croisant dans Brisbane).

« La célébrité, ça ne nous quitte jamais vraiment, n'est-ce pas ? » lui demanda-t-elle, un léger sourire en coin.

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Mabel avait été curieuse de découvrir que Deklan avait délaissé le sport pour tenir un café. Les deux activités n'avaient absolument rien à voir, à part si le Death before decaf' avait été sponsor d'une compétition de sport - ce dont elle doutait, parce que si elle avait appris une chose dans sa relation avec Rhett, c'était bien qu'il fallait avoir des millions pour soutenir une telle compétition.

Malgré tout, elle trouvait intéressant de l'entendre raconter son parcours. Elle avait un peu de mal à imaginer Deklan, qui lui paraissait plutôt sage - et assez naïf pour être tombé quelques temps dans les mains de Marceline -, jongler avec les bouteilles du bar. Elle avait une idée de l'effet que ça pouvait faire, pour avoir longuement fréquenté les bars londoniens, même si son taux d'alcoolémie à l'époque ne lui permettait pas de profiter pleinement du spectacle.

« Je suis déçue de pas pouvoir venir un soir pour vous voir faire ! » admit-elle cependant. « Déjà, voir le DBD en bar, ça doit changer la vision qu'on doit en avoir, mais si je peux apprécier de vous voir bouger derrière le comptoir, ça vaut son pesant d'or ! »

Mais avec bébé Rosalie, il était hors de question qu'elle sorte. Il allait lui falloir attendre encore quelques mois, quand elle la sèvrerait de l'allaitement, en espérant que Deklan soit encore, à ce moment-là, à vendre du rêve à ses clients avec son shaker et ses bouteilles !

« Ma plus grande prouesse a aussi lieu dans un bar, ceci dit ! J'ai découvert quand je vivais à Londres, que je savais parfaitement danser en talons aiguilles. Le cliché de la petite blanche riche, non ? Mais j'ai un bon équilibre, et je sais enchaîner les danses avec, que ce soit des trucs lents ou de la salsa ! Ils font même des cours pour ça, maintenant, et ça coûte une blinde. Il me suffit d'une bonne musique et quelques verres pour m'empresser de monter sur le comptoir et d'enchaîner les pas ! »

Quoi que vu l'état de son dos depuis son troisième trimestre de grossesse, Mabel n'était sans doute pas prête à retenter de marcher avec des talons de treize centimètres ! Et donc encore moins de danser avec.

« J'avoue que ça paraît un peu puéril, mais vous vous rendez pas compte d'à quel point les très hauts talons sont particulièrement inconfortables. Surtout dans les marques de luxe, parce qu'ils savent que leur nom fait vendre. Réussir à grimper sur le bar et à enchaîner les pas, sans se tordre une cheville, ça relève du miracle ! Mais c'est pas vraiment une prouesse insoupçonnée, c'est des mois d'entraînement à marcher sans se dandiner, quel que soit l'état de fatigue, surtout sur les surfaces de bar. C'est fait de manière assez lisse, et c'est très glissant. D'ailleurs, les gens qui arrivent à envoyer un verre dessus et le faire s'arrêter pile là où ils veulent m'impressionnent ! »

Les barmen des bars les plus côtés de Londres en avaient fait une spécialité, et si Mabel avait essayé quelques fois, elle n'y était jamais arrivée. Soit son verre faisait quelques centimètres à peine, soit il se brisait au bout du comptoir, mais il n'y avait pas d'entre eux.

« Bref, mon truc à moi, c'est de danser juché sur des échasses ! Ça laisse rêveur hein ? Le pire, c'est qu'il y a des écoles de danse qui proposent des cours avec talons, et c'est ouvert aux très jeunes filles, même pas adolescentes ! »

Le genre d'activité qu'elle refuserait à Rosalie, même si elle était pour aller au bout de ses passions. Déjà parce que les talons n'étaient pas très bons pour les enfants en pleine croissance, mais aussi parce qu'avec l'hypersexualisation des enfants, elle n'était pas très à l'aise pour mettre sa fille dans ce genre de position.

Surtout que les paparazzis avaient déjà plein de photos d'elle plus ou moins alcoolisée à faire les quatre cent coups, elle n'avait pas besoin qu'ils transposent sur Rosie le comportement qu'elle avait eu en devenant adulte. Ils passaient déjà bien assez de temps à essayer d'avoir des photos inédites de sa petite bouille - et Mabel remerciait les écharpes de portage de réussir à cacher Rosie quand elle sortait avec.

« Attendez de vous marier et d'avoir des enfants, ils reviendront vers vous ! A croire qu'ignorer la vie privée des tous petits, c'est encore plus drôle pour eux ! »

Alors que si Mabel avait décidé d'avoir un travail sous le regard des gens, ce n'était pas le cas de sa fille. Mais la laisser décider de ce qu'elle voulait ou non montrer était apparemment trop demander...

« Mais je ne vous le souhaite pas. Ça doit être cool d'avoir une vie plus tranquille, et sans avoir besoin de vérifier que personne ne nous suit ! »

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Les mots de Deklan la firent rougir un peu. Mabel savait, théoriquement, que ce n'était pas une honte de ne pas pouvoir laisser son bébé, surtout si petit. Mais en même temps, c'était aussi un rappel sur le fait qu'elle n'avait pas grand monde à qui confier Rosalie, même si elle avait voulu la laisser quelques heures.

« C'est compliqué de laisser un si petit bébé, surtout qu'elle râle pas mal quand elle est loin de moi. Privilège de bébé allaité, on va dire ! »

Parce que c'était aussi ce petit point qui posait problème : elle était la seule à pouvoir nourrir Rosalie, qui refusait les tétines et les biberons quand elle y était exposée. Et ça ne la dérangeait pas, parce qu'elle appréciait ce moment en tête à tête avec sa fille, et que ça lui donnait aussi une bonne excuse pour se poser un moment, sans rien faire d'autre que d'admirer le profil de Rosie, et son adorable nez retroussé.

L'occasion de rêvasser devant des reportages animaliers, aux musiques douces parfaites pour assurer une transition entre repas et sieste pour Rosalie. Et pendant ce temps, Mabel râlait intérieurement contre la télécommande toujours trop loin, l'empêchant de zapper quand l'image se focalisait sur un serpent.

Pour une Australienne née et ayant grandi à Brisbane, Mabel gardait une sainte horreur de ces reptiles. Enfant, elle en avait vu remonter dans leur baignoire, et depuis, elle gardait une terreur sourde chaque fois qu'elle en savait à proximité. Elle évitait donc de trop se balader dans la campagne environnante, dans la crainte d'en croiser un par mégarde, et elle faisait aussi en sorte de rester loin des vivariums quand elle allait au zoo. Une année, pour un photoshoot de mode, les mannequins devaient porter des pythons royaux sur leurs épaules - elle avait été la seule à en être exempté, incapable de s'approcher de la bête sans paniquer.

Heureusement, le Death before decaf ne proposait pas de serpents dans sa décoration ou en exposition dans un terrarium, et Mabel pouvait apprécier son café en paix. Elle discutait facilement avec Deklan, même s'ils ne se connaissaient pas et avaient juste entendu parler l'un de l'autre.

« Danser sur talon, ce n'est pas non plus quelque chose que j'ai envie de voir ma fille faire... Je préfère la voir en tutu sur Casse-Noisette, qu'à se dandiner sur Single Ladies. Et pourtant j'adore Beyoncé mais juste... C'est pas le bon âge ! »

Elle avait fait partie de ces enfants trop mis en avant, participant à des concours de mini-miss avant même qu'elle n'apprenne à lire. Et en voyant les photos ou les vidéos de l'époque, et en les comparant aux images de Toddlers et tiara, elle voyait bien comment les présentations avaient changé, et pas dans le bon sens... Voir des petites de quatre ans défiler en bikinis, ça l'alarmait plus qu'autre chose.

Disons que ce n'était plus vraiment des animations pour enfant, où il fallait imiter le tigre pendant deux minutes, et où une dizaine de petites filles se retrouvaient à marcher à quatre pattes en faisant semblant de rugir. (Elle savait maintenant grâce à ses nuits passées devant la télévision que les tigres ne rugissaient pas mais feulaient, comme de très gros chats, mais elle gardait un bon souvenir de cette mise en scène faisant très kermesse d'école.)

« J'ai du mal à me dire qu'un influenceur donne assez d'informations » reprit-elle, chassant de son esprit ses souvenirs d'enfants pour se concentrer sur ce que lui disait Deklan. « La plupart des gens les suivent ou suivent les célébrités pour continuer de voir leurs inspirations mode, ou lifestyle, ou sport... Selon les intérêts. Ça leur donne l'impression de faire partie de nos vies, et ça leur suffit. Mais j'ai l'impression qu'un petit nombre n'en a jamais assez, et voudrait savoir ce qu'on fait en permanence, connaître les gens avec qui on travaille ou qu'on voit sur nos temps libres... »

Peut-être avait-elle plus de demandes en ce sens de la part de ces followers parce qu'elle était une femme ? Mais le nombre de messages privés ouvertement dragueurs qu'elle pouvait recevoir quand elle postait une photo avec ou de son mari était tout bonnement impressionnant. Et la naissance de sa fille avait peut-être empiré le phénomène - à moins qu'elle y soit juste plus sensible, maintenant qu'elle était responsable de la sécurité d'une autre personne qu'elle.

« Il y aura toujours des gens pour qui être derrière un écran est un espèce de passe-droit pour dire ou faire ce qu'ils sont incapables de réaliser dans la vie réelle. Que ce soit des insultes, des propositions indécentes ou autre... »

Mabel les voyait comme des petits coqs dans une basse-cour, persuadés que le monde n'existait que dans ce poulailler et qu'il n'y avait rien d'autre autour. Persuadés, aussi, que tout le monde les admirait, eux qui réveillaient la populace à l'aurore d'un cri reconnaissable entre tous. Mais la vérité, c'était qu'en dehors de leur toute petite ferme, personne ne savait qui ils étaient.

« Le fait est que j'ai été exposée depuis que je suis enfant. Les gens ont parfois l'impression de me connaître et ont des idées sur qui je suis alors qu'ils ne m'ont vu que sur des écrans ou des pages de magazines... »

Les mauvaises rumeurs circulaient vite dans la presse à scandales, surtout quand elles n'étaient pas fondées. Et Mabel n'avait pas été particulièrement angélique quand elle avait débuté en tant que mannequin et avait eu besoin de se détacher de l'image familiale pour se forger la sienne. A dix-huit ans, on ne faisait pas toujours les meilleurs choix, bien qu'on ait l'impression d'avoir toujours raison et que les autres n'étaient que de vieux aigris.

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Ton interlocutrice souriait toujours quand elle parlait de son bébé, son regard un brin plus doux. L'amour profond d'une mère pour son enfant, qui transparaissait dans le regard de Mabel. Le genre d'image qui pouvait te faire comprendre combien un bébé pouvait changer la vie - l'amour inaltérable qui perdurait dans ses yeux malgré les cernes de fatigue.

Ça ne l'empêchait pas d'avoir des principes qui rejoignaient les tiens quant aux activités qu'on pouvait laisser faire à une petite fille. Peut-être un tantinet plus forts que les tiens, parce qu'elle était une femme et qu'elle avait une fille - elle connaissait mieux que toi les dérives de l'hypersexualisation des enfants.

« Ça me rappelle la pub Evian, avec les adultes qui s'arrêtaient devant des miroirs, et leur réflexion c'était eux en bébé » reprit Mabel, inspirée semble-t-il par ton commentaire sur Single Ladies.

Tu voyais aisément de quelle publicité elle parlait, celle-ci ayant été très populaire quelques années plus tôt. Mais l'usage manifeste d'effets spéciaux et le ton humoristique de la pub rendait le tout plus drôle que malaisant. Ce qui n'était pas le cas des petites imaginaires que tu imaginais avec le déhanché de Beyoncé.

Parler de bébés et d'enfant vous amena doucement à discuter de leur exposition sur les réseaux sociaux et de leur rapport à la vie privée. Tu t'estimais plutôt bien loti, puisque tu partageais surtout ta passion sportive et ton travail au café, des sujets importants pour toi, dans ton quotidien, mais n'engageant pas vraiment ton jardin secret. Le fait que tu sois célibataire et sans enfants était certainement un plus - tu n'avais pas à faire attention quand tu filmais ou prenais des photos, pour t'assurer qu'il n'y avait pas un objet ou une main qui ne t'appartenaient pas dans le champ de son téléphone.

« Effectivement, c'est plus compliqué avec une famille » regrettait d'ailleurs Mabel, faisant écho à tes pensées. « Surtout avec un nouveau-né je dirai. L'attrait de la nouveauté, le fait de vouloir tout savoir sur ce petit être tout neuf et tout mignon... Alors que vraiment, je ne vois pas l'intérêt de la filmer quand elle est en colère ou de partager ses cacas sur mes stories. Et avant de rire, sachez que j'ai vraiment vu des mères plutôt connues faire ça sur instagram. Ça rapporte de balancer toute la vie privée de son bébé ! »

Tu n'aurais pas imaginé qu'on puisse avoir l'idée de donner ce genre d'informations, mais tu comprends la moue dégoûtée de la jeune mère en face de toi. Il y a des informations qui touchent à l'intime d'un être qui n'a pas encore la possibilité de donner son consentement.... Et il y avait des données qui ne devraient pas être sur internet, que la personne soit enfant ou adulte ! Et le fait que les followers soient friands de ces faits te dépassaient. Certaines personnes n'étaient pas juste détraquées et déconnectées de la réalité, beaucoup trop impliquées dans la vie d'inconnus pour se rappeler de ce qu'était le sens commun et le respect des autres.

« Mais c'est peut-être parce que je suis une femme que j'ai droit à autant de messages étranges. Certains semblent avoir subi une lobotomie, quand on les voit, à vivre dans un monde virtuel où ils peuvent contacter toutes les femmes qu'ils veulent et en étant persuadés que c'est tout ce qu'elles demandent » reprit Mabel en semblant frissonner. « Vous n'avez pas de messages de femmes de ce genre ? Autre que les tentatives d'arnaques avec des personnes magnifiques coincées sur je ne sais quelle île du Pacifique et ayant besoin d'argent pour rentrer en Australie ! »

Le phishing finissait dans les boîtes mail de tout le monde. Heureusement pour toi, la plupart des messageries ou des réseaux sociaux repéraient le spam et les arnaques par mot-clé et permettaient d'éviter de trop tomber sur ce genre de messages. Mais si tu t'aventurais dans ta boîte de spams, tu en trouverais certainement beaucoup - entre deux propositions pour agrandir ton pénis et une publicité te promettant d'économiser sur tes prochaines vacances à Bali.

Et sans parler des arnaques, il y avait aussi toutes les personnes pensant te connaître parce qu'ils lisaient tes publications. Une attitude que tu trouvais irritante, parce que si tu partageais sa vie, tu ne lisais pas en retour celle de tous tes abonnés, qui restaient des inconnus pour toi. Il y avait forcément quelques pseudonymes que tu reconnaissais parce que tu les voyait souvent revenir, mais tu ne connaissais pas pour autant les personnes derrière.

« On ne se sent jamais en sécurité face à de telles personnes » approuva Mabel. « Surtout quand je me balade avec ma fille, qui elle n'a rien demandé et qu'en plus, je ne veux pas exposer ! Mais les gens ont souvent du mal à le comprendre, et nos réactions peuvent être vite mal interprétées et montées en épingle. »

Tu voyais sa frustration à l'idée de ne pas pouvoir protéger sa fille aussi bien qu'elle l'aurait voulu. Une attitude plus que compréhensible, parce que tu imaginais sans trop de mal la pression que pouvait exercer les réseaux sociaux, même quand on voulait s'en protéger. Ce n'était pas toujours simple de séparer vie privée et vie professionnelle quand on ne souhaitait en exposer qu'une partie.

Rhett Hartfield apparut dans ton champ de vision, gagnant un regard intéressé de la part du bébé et un sourire amical de la part de la mère. Manifestement, Rhett et Mabel étaient en meilleure relation que ne le laissaient entendre les tabloïds - assez pour qu'il ait même un surnom pour la petite fille toujours blottie contre la mannequin.

« Passe une bonne journée ! » rétorqua-t-elle, vaguement amusée semblait-il par l'apparition express du footballeur.

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Mabel sourit en entendant Deklan parler de sa gestion des réseaux sociaux. Elle essaya de noter dans un coin de sa mémoire d'aller voir ce que ça donnait sur son instagram - mais il y avait une chance sur deux pour qu'elle ait oublié d'ici à ce qu'elle soit rentrée chez elle et qu'elle ait enfin recouché Rosalie. Sa fille avait du mal à rester longtemps dans son berceau, ce qui la laissait fatiguée et avec une mémoire à trous...

« Pas trop de commentaires de fans transies d'amour ? » demanda-t-elle quand même, par curiosité.

Il devait en avoir. Après tout, il était surfeur, plutôt mignon - et des yeux clairs qui devaient lui attirer beaucoup de compliments. Il ne pouvait pas être épargnés par des commentaires demandant à l'épouser, ou autres dingueries que certains inconnus trouvaient complètement normal de poster sur internet. (Mabel et ses copines mannequins avaient toutes eu des demandes de types pas nettes pour des sous-vêtements ou des chaussettes utilisées, avec parfois rémunération en échange...)

Des demandes qui l'avaient toujours mise mal à l'aise, et ce n'était pas l'arrivée de Rosalie dans sa vie qui arrangeait les choses. Elle voulait au contraire protéger son bébé tout innocent de tout ça, et éviter que la petite ne soit un jour abordée dans la rue parce que des inconnus l'auraient reconnue. Ce qui l'obligeait à être encore plus sélective sur ce qu'elle partageait sur ses réseaux.

« Ça déchaîne les passions, mais j'espère que si je ne déroge pas de mes décisions, je recevrais de moins en moins de messages la concernant. C'est peut-être utopique, mais je me dis que si je recentre un peu les choses sur mon travail, ce sera plus facile. Quoi que je risque de me prendre des remarques comme quoi je ne suis pas une assez bonne mère... »

La balance entre travail et maternité était difficile. Surtout que personne ne venait reprocher au père de Rosalie de continuer de travailler - et ce double tranchant avait tendance à réveiller le militantisme féministe de Mabel.

Le passage éclair de Rhett autour d'eux la força cependant à ne pas trop entrer dans ce sujet. Elle sourit rapidement à son ex, s'amusant qu'il vienne voir Rosie, lui qui n'était pas à l'aise avec les bébés. Deklan, s'il sembla reconnaître le joueur de football, semblait en revanche se demander comment Mabel et lui pouvaient se connaître - ce qui surprit un peu la mannequin. Après tout, leur rupture avait été étalée un peu partout, et elle se souvenait encore douloureusement de la façon dont Penny avait retourné le couteau dans la plaie quand elles s'étaient croisées à Londres à l'époque.

« On est amis. On est sorti ensemble il y a quelques années, et maintenant on est amis » avoua-t-elle.

Elle ne pouvait pas vraiment cacher leur relation, ça devait être la première chose qui ressortait quand on tapait leurs deux noms dans un moteur de recherches. Autant mettre l'emphase sur leur amitié - même si elle était encore toute récente.

« C'est dingue comme le destin peut nous remettre sur la route de personnes qu'on avait pas vues depuis longtemps. J'ai recroisé Marceline à Noël et voilà qu'on se croise aujourd'hui. Brisbane est vraiment une petite ville ! »

Une façon pas très subtile de savoir si Deklan et Marceline s'étaient croisés ces derniers mois. Parce que finalement, à part deux phrases échangées autour du sapin - et les photos honteuses prises par sa mère -, Mabel n'avait pas su grand chose de ce que faisait sa cousine... Elle espérait presque que Deklan en sache un peu plus, même si elle avait peu d'espoirs étant donné l'historique entre les deux.