Kieran n’en a pas conscience, resté trop à l’écart de la civilisation (ou ce qu’il en reste) depuis quelques mois (années ?), mais se confronter à un autre être humain, c’est aussi prendre le risque de voir les règles établies voler en éclats. Bon, en l’occurrence, s’il était dehors, il s’agirait plutôt d’imposer sa dictature sans lui demander son avis à l’aide de quelques os brisés ou menace touchant aux gens qu’il affectionne et qui sont encore en vie (personne, en réalité). Ici, dans son cas précis, Jina menace la règle des bains interdits, autant dire qu’il y a bien pire comme problème à l’extérieur, mais Kieran ne s’en rend pas vraiment compte alors qu’il désire seulement préserver le peu de ressources qu’il arrive à récupérer. « Ok… » Le problème, surtout, c’est qu’il est faible, Kieran et qu’une seule supplication, des yeux humides et une voix brisée suffisent à le faire craquer. « juste une fois ? » Il pince les lèvres pour rivaliser avec sa moue de chien battu alors qu’un instant, il tente de détourner le regard pour ne pas céder – mais c’est déjà trop tard. « J’en sortirai tellement fripée que… j’aurai plus envie d’un deuxième. » L’argument lui provoque un sourire amusé et ça y est, il est foutu, le gamin. « Euh. Oui... bon d’accord, un, alors... » Et peut-être un deuxième, ou un troisième si elle joue la même comédie – vraiment, c’est toujours aussi surprenant qu’il ne se soit pas encore fait bouffer.

Ça l’est d’autant plus alors qu’il accorde sa confiance avec autant de facilité, en témoigne la présence de la jeune femme alors qu’il ne la connait même pas, dans le fond. Elle pourrait être la pire des psychopathes qu’il ne s’en douterait pas – la faute à une garde-robe qui a le don de lui faire oublier les vrais problèmes pour se focaliser sur l’essentiel : Star Wars. Il se détend légèrement et vient même à tenter une petite plaisanterie et lorsqu’elle comprend qu’il s’agit d’une vanne, qu’elle vient heurter son épaule, Kieran baisse la tête, le rouge qui lui monte déjà aux joues. ELLE LUI A TOUCHE L’EPAULE. Jamais personne ne lui a touché l’épaule (à part pour lui la déboîter au lycée, c’est pas son meilleur souvenir) alors là, il est aussi choqué qu’émerveillé. SA MAIN A TOUCHE SON T-SHIRT ET SOUS SON T-SHIRT Y’A SA PEAU, si on cherche bien, c’est un contact indirect, c’est quand même pas rien, n’est-ce pas ? SON PREMIER CONTACT (indirect) MAIS MERDE, SON PREMIER CONTACT. « C’est pas drôle. » Quand même, elle lui a touché l’épaule, c’est pas un signe universel pour dire que c’est drôle ? « Tu rentrerai même pas dedans, de toutes façons. » « Bah t’as pas essayé non plus. » MAIS POURQUOI IL DIT CA ? « Enfin, tu fais ce que tu veux hein, c’est juste que peut-être qu’ils t’iraient bien, mais pas... pas que je veux le savoir, non, enfin, voilà. » Il y était presque. Il avait presque réussi à ne pas avoir l’air ridicule pendant... cinq minutes, allez, un exploit. Et il enchaîne, en plus. « Ca s’pourrait bien que j’en ai déjà un ! » « Oh euh bah ici, t’as pas de soucis à te faire, t’en auras plus. » Parce qu’il voit plus la lumière du jour depuis très longtemps, et qu’il limite les sorties à l’extérieur : le soleil n’est donc absolument pas un problème. Au contraire, c’est un allié pour lui permettre de lui proposer un festin digne de ce nom. « Ca m’donne trop d’émotions, regardes ! » Ses yeux glissent sur son bras et un sourire se dessine sur ses lèvres. Wow, c’est lui qui lui provoque ça ? (oui non bon, ce sont les tomates, mais les tomates sont produites dans son jardin, qu’il entretient, c’est donc un peu sa responsabilité, n’est-ce pas ?). « Attends ! » Il relève la tête pour lui accorder toute son attention. « T’as un jardin ici ? » Kieran hoche doucement la tête en désignant l’arrière de la maison. « Une serre, dehors. C’est pas ouf, mais ça fait le taf. Faut juste aimer manger la même chose toute l’année. » Mais, à l’heure où certains sont devenus cannibales (c’est les séries qui le disent), lui, il mange des tomates tous les jours s’il le faut. « Un jour, peut-être, je pourrai faire pousser des Tuber Melanosporum ou produire du caviar, ça m’aiderait vachement pour tester les recettes des livres qu’Hugh a. » Comme quoi, c’est pas des conneries, les stars vivent vraiment sur une autre planète. « Je mets la table ? » Il hoche la tête une nouvelle fois. « Ouais, ouais, cool, merci. » Ils vont manger les deux. En tête à tête. Lui et un autre être humain. Il n’est pas sûr d’avoir assez de sujets de conversation pour tenir un souper entier, autant dire que c’est la panique la plus totale.

« Ca fait combien de temps que t’es ici ? et comment ça se fait que t’es tout seul aussi ? » Est-ce que c’est le moment où il dit qu’il est un grand lâche et que la seule raison pour laquelle il est encore en vie c’est parce qu’il court vite (et qu’il a peut-être poussé une ou deux personnes au milieu des zombies pour s’assurer une avance dans sa fuite ? Non ? Bon) ? « Super longtemps. J’ai perdu la notion du temps. » C’est un peu le problème, des journées lui semblent durer des mois, et des mois passent comme une seule journée. « Et euh, j’ai pas vraiment trouvé de groupe et puis mes amis et ma famille, ils sont... tu vois. » Les seuls qui auraient pu le supporter – et encore. Mais Kieran a survécu quand ils sont morts et avec leurs décès, l’assurance de ne jamais avoir personne sur qui compter, à part lui-même (et ses jambes et sa lâcheté, on a dit). « Alors j’ai fait ce que je fais de mieux, je me suis planqué à la première occasion et, comme quoi, c’est pas des conneries que les nerds allaient dominer le monde, un jour. Fallait juste attendre la bonne occasion. » Voilà, ils sont où, tous ceux qui se moquaient de lui au lycée parce qu’il passait ses journées devant son ordinateur ? Ils sont morts aux portes de la résidence quand lui arrivait à y entrer, KARMA. « Je sais pas trop comment c’est, dehors. » Qu’il conclut, un peu pensif. Parfois, il a envie de partir à l’aventure, ne serait-ce que pour dire qu’il a fait et par nécessité de ne plus être seul. Et puis, après, il se souvient qu’il ne franchirait même pas la clôture avant d’être bouffé ou abattu, ce qui sont des arguments suffisants pour qu’il se planque ici depuis (trop) longtemps.

« Bah t’as pas essayé non plus. » oh, à en croire le regard qu’elle vient de me lancer, on dirait que ça ne lui plait pas trop. Elle répond pas. Est-ce que j’ai dit quelques chose qu’il fallait vraiment pas ? « Enfin, tu fais ce que tu veux hein, c’est juste que peut-être qu’ils t’iraient bien, mais pas... pas que je veux le savoir, non, enfin, voilà. » elle esquive encore, elle va me prendre pour un psychopathe c’est sur… ou pas, j’en sais rien, elle me parle de son coup de soleil qu’elle doit avoir au cul… à cause du trou qu’elle avait sous son pantalon. « Oh euh bah ici, t’as pas de soucis à te faire, t’en auras plus. » sauf si elle se décide à partir demain. Enfin, je crois pas, elle a parlé de bain… dans les jours à venir. On croirait qu’elle se plait déjà ici, Jina. « Je pars plus tant que la trace à pas disparu alors ! » et elle croise les doigts devant moi, ca veut dire quoi ? « J’ai tendance à rester bronzée assez longtemps, en général. » ca veut dire qu’elle restera longtemps ? Tant qu’elle essaie pas de me tuer dans mon sommeil…
Elle a les poils qui s’hérissent quand elle sent la le plat que j’ai préparé. Elle sourit même ! C’est donc ça le secret pour plaire aux femmes ? pour les charmer ? Par des tomates qui viennent d’une serre en pleine apocalypse ? J’devrais peut être lui faire visiter la serre, non ? « Une serre, dehors. C’est pas ouf, mais ça fait le taf. Faut juste aimer manger la même chose toute l’année. » J’ai l’impression de lui faire l’annonce du siècle, voir même de la demander en mariage. C’est quoi ces étoiles qui brillent dans ses yeux soudainement ? « Un jour, peut-être, je pourrai faire pousser des Tuber Melanosporum ou produire du caviar, ça m’aiderait vachement pour tester les recettes des livres qu’Hugh a. » ok, elle a aucune idée de quoi je parle, là, c’est des points d’interrogations qui ont chassés les étoiles. Merde, j’suis en train de laisser filer ma place au paradis là ! J’deviens tellement chiant qu’elle a juste envie de mettre la table, maintenant. Je lui fais signe où sont les couverts pour qu’elle puisse faire.
Elle devient curieuse, ca doit être comme ça qu’il faut faire, pour s’intéresser aux gens avec qui on va dormir sous le même toit. « Super longtemps. J’ai perdu la notion du temps. » on devient fou quand on habite seul. « Et euh, j’ai pas vraiment trouvé de groupe et puis mes amis et ma famille, ils sont... tu vois. » elle fronce les sourcils et se frotte les avant bras, hoche la tête comme pour me faire part de son empathie. J’avais pourtant l’impression qu’elle avait rien ressenti en m’annonçant que sa mère était décédée, tout à l’heure. Mais, elle a peut-être perdu d’autres personnes plus importantes ? « Alors j’ai fait ce que je fais de mieux, je me suis planqué à la première occasion et, comme quoi, c’est pas des conneries que les nerds allaient dominer le monde, un jour. Fallait juste attendre la bonne occasion. » ca la fait rire. Enfin, j’ai l’impression qu’elle rit, quand elle souffle par le nez comme ça, non ? « Je sais pas trop comment c’est, dehors. » elle termine de mettre la table en posant le dernier couteau ( arrondi, je risque pas grand-chose avec ça, tant mieux) et elle fini par s’assoir. « Je crois que si t’as la chance de rester ici et faire pousser des tomates dans ta serre… reste autant que tu peux. » elle baisse les yeux, touchant l’assiette devant elle, comme si ca faisait des années lumières qu’elle en avait pas vraiment vu. « Dehors, ca pue la mort. Ici, on dirait que la vie continue… » elle hausse les épaules, elle me regarde pas. « Ca fait quoi… deux mois… peut être trois ? j’crois que j’ai perdu la notion du temps aussi… » ses yeux se relèvent enfin vers moi et j’me demande si elle va pas se mettre à chialer la, maintenant ? « j’habitais dans une caravane, près de l’aéroport, j’pensais qu’on était tous soudés la bas, mais quand les morts ont commencés à revenir à la vie, c’était chacun pour sa gueule ou si t’écoutais pas les chefs autoproclamés, tu prenais une tarte dans la gueule… et mes amis, j’en ai retrouvé aucun… ca fait des jours que je rode, en allant d’adresse en adresse, à chaque fois, y a personne… »

« Je pars plus tant que la trace à pas disparu alors ! » Je croise les doigts devant son nez et l’air ahuri sur son visage me fait comprendre qu’il n’a pas vraiment l’air de capter ce que je suis en train de faire. J’ai pas l’impression qu’il capte grand-chose, ce mec, et peut-être que je devrais me méfier parce qu’il a quand même l’air chelou par moment, mais j’ai trop besoin de mon bain pour renoncer au luxe qu’il m’offre. J’ai pas connu ça depuis longtemps, entre les caravanes et les chiottes communes derrière un arbre, alors vous imaginez bien que je vais pas lâcher la maison de Hugh Jackman, même si pour ça je dois m’habituer à la présence d’un paumé qui a pas l’air d’avoir vu un autre être humain de sa vie – oui, y compris avant l’apocalypse. « J’ai tendance à rester bronzée assez longtemps, en général. » Je lui annonce, signe qu’il va devoir s’habituer à ma présence car j’compte pas me barrer et j’suis même pas désolée pour ça. « Euh ok, d’accord, c’est... bien. » Il sourit un peu et je crois que c’est sa façon de me dire que c’est ok pour lui. Je sais toujours pas si je vais mourir parce que c’est le mec qui a trop joué aux jeux vidéos quand il était ado et qu’il attend que le moment de mettre ses connaissances en pratique, mais au moins, je vais dormir au chaud pendant quelques temps et ça me fait encore plus kiffer. Mais pas autant que le bain, faut pas déconner. Ou le repas qu’il m’annonce et je pourrais en chialer tellement j’ai pas vu le moindre légume depuis des mois. J’ai bouffé des conserves pourries et peut-être même des écosystèmes en développement, alors une tomate, même si selon lui c’est pas dingue comme repas, c’est un peu comme s’il m’invitait dans un restaurant gastronomique. Et c’est même pas un hasard, une tomate qu’il aurait trouvé comme ça, par surprise, non, le mec m’annonce qu’il a une vraie plantation dans le jardin et j’ai presque envie d’y courir pour le voir de mes propres yeux. Je reste quand même civilisée et je me contente de rester face à lui en retenant mes larmes de joie, qui disparaissent pas alors qu’il me parle pourtant de trucs que je connais pas. Je comprends rien à son charabia, là, et j’espère juste qu’il est parfois capable de se la fermer, parce qu’il parle beaucoup pour rien dire, quand même. Je me concentre à mettre la table et à faire la conversation, faut quand même que je prenne la température pour savoir s’il va me tuer dans la nuit – ou pire, hein, parce qu’il a quand même l’air affamé, le gars et je parle pas du besoin de remplir son estomac. Il a toujours été seul, donc, et je dois dire que ça m’étonne qu’à moitié quand on le voit. J’ai l’impression qu’il a jamais vraiment été doué pour parler aux gens et que ça a l’air d’être une grande première pour lui, là, et j’imagine qu’aucun groupe censé l’aurait voulu dans les pattes. Je peux pas les blâmer, puis pour le coup ça m’arrange, s’il avait été intégré parmi un clan, il serait pas dans cette baraque que je compte bien squatter. Je ris quand même à son discours, parce qu’entre les informations chiantes et celles qui servent à rien, il est quand même drôle par moment, ce gars – d’ailleurs, il s’appelle comment ? Je m’asseye après avoir mis la table alors qu’il reste debout pour finir de préparer le repas et je baisse les yeux, le regard perdu dans l’assiette devant moi. « Je crois que si t’as la chance de rester ici et faire pousser des tomates dans ta serre… reste autant que tu peux. » Il se rend pas compte de la chance qu’il a. Je comprends que ça lui manque, les interactions, tout ça, mais il est en sécurité et ça, c’est quelque chose que beaucoup d’autres n’arrivent plus à trouver. « Dehors, ca pue la mort. Ici, on dirait que la vie continue… » Je le regarde pas, mais j’observe un peu autour de nous et mise à part le manque de lumière, on ne dirait pas que le temps s’est arrêté, ni que la mort rôde comme elle le fait dehors. « Ca fait quoi… deux mois… peut être trois ? j’crois que j’ai perdu la notion du temps aussi… » J’ai jamais été douée pour me repérer avec le soleil, alors sans montre au poignet, sans smartphone pour m’indiquer la date, je suis paumée. Mes yeux se relèvent vers lui et j’ai la gorge serrée. « j’habitais dans une caravane, près de l’aéroport, j’pensais qu’on était tous soudés la bas, mais quand les morts ont commencés à revenir à la vie, c’était chacun pour sa gueule ou si t’écoutais pas les chefs autoproclamés, tu prenais une tarte dans la gueule… et mes amis, j’en ai retrouvé aucun… ca fait des jours que je rode, en allant d’adresse en adresse, à chaque fois, y a personne… » Ça me fait mal de parler de ça, de parler de comment les choses ont changé, de penser à tous ces gens que j’ai perdu et que je reverrai probablement jamais. Je crois qu’il perçoit mon malaise alors qu’il reprend la parole. « Je vois jamais personne dans le coin. Ou alors je me cache avant qu’ils s’intéressent au quartier, mais ils ont jamais l’air... très commodes. » Je relève les yeux vers lui, je comprends pas où il veut en venir. Je crois qu’il essaie juste de me dire que mes amis doivent pas être dans le coin, s’il voit personne. « Je veux dire, je crois que tout le monde a déserté. Je sais pas ce qu’il y a ailleurs, parfois je me dis que, si ça se trouve, je passe à côté d’un refuge tout aussi sécurisé qu’ici, le genre de trucs où on peut espérer que la vie reprenne, tu vois ? » Je secoue la tête pour lui dire que c’est le cas. J’imagine oui, qu’il y a des gens qui essaient de faire repartir le monde tel qu’on l’a connu même si ça me paraît impossible. « Je suis désolé pour toi, pour tes amis, pour tout ça. » J’ai pas besoin de sa pitié. « Et j’sais que ça changera rien à ta vie et que, même, tu t’en fous peut-être. » Je sais pas si je m’en fous ou si, juste, ça me touche plus. « Alors je vais pas te dire que la vie redeviendra comme avant, parce que c’est pas le cas, ou te promettre que tu retrouveras tes amis, parce que j’en sais rien. » Il essaie de me rassurer là ? Parce qu’il s’y prend mal. « Par contre, je peux partager tout ça avec toi et juste te garantir que j’ai toujours été en sécurité jusqu’ici, que j’arrive à manger à ma faim et que... j’ai une collection impressionnante de films. Et même une salle de cinéma. » Il a un sourire sur les lèvres alors qu’il pose les plats sur la table ; et je crois que le programme de la soirée est actée. Une douche, à manger et un film, j’ai presque l’impression que tout est normal à nouveau.

Passée à table, la brune se confie sans trop de difficultés sur comment ca se passe dehors, à l’extérieur de cette maison qui semble être déconnectée de la réalité. Dans cette maison aux fenêtre calfeutrées, tout semble être normal, si ce n’est qu’un peu trop sombre, mais à part ça ? L’électricité fonctionne, on peut y faire chauffer des aliments, prendre un bain et des vêtements presque jamais portés qu’elle pourrait changer à volonté… du grand luxe !
Elle l’écoute attentivement, Jina, elle écoute ce qu’il lui dit à son tour, qu’il est seul et qu’il n’a jamais vraiment vu du monde dehors. Est-ce qu’il lui arrive de sortir vraiment d’ici ? Elle avait l’impression qu’il ne manquait de rien, mais à force, les vivres finiraient forcément par manquer… Elle préférait ne pas penser à ce moment-là. Pas maintenant. Sa gorge se nouait déjà lorsqu’il évoqua ses amis que peut être elle ne reverra jamais. Il ne lui faisait aucune promesse d’une croisade à travers les rues de Brisbane pour l’aider à les retrouver. Il n’avait pas l’air d’être ce genre-là, Kieran. Il avait sans doute bien raison. Elle devait peut-être se faire à l’idée qu’elle ne les reverrait plus et que de courir derrière eux la conduirait sans doute à sa propre perte. La brune regardait ce plat face à elle, le plat devant lequel elle bavait juste avant et soudainement, elle n'avait plus faim. Ses yeux s’humidifiaient à mesure qu’il continuait de parler et presque encore plus quand il lui offrait vraiment l’hospitalité. D’un seul signe de la tête, elle voulait le remercier et lui faire entendre toute sa reconnaissance. La brune ne touchera même pas son plat mais elle restera, silencieuse à côté de Kieran. « On y va, dans cette salle de cinéma ? » fini-t-elle par dire, plutôt une invitation qu’une question, maintenant qu’il avait mangé, elle voulait aussi se poser, voir de quoi ça avait l’air. Elle finirait sans doute par s’endormir devant le film, elle était épuisée, mais elle n’avait pas envie de s’endormir seule dans son lit.
La brune n’en revenait pas de ce qu’elle voyait, une vraie sale de cinéma, qui serait plongée dans le noir, rien que pour eux deux. Bon, bien sûre, il n’y avait pas trois cents places, juste une dizaine, pour des séances très privées sans doute. « quelle folie… » oh oui, de la folie ! Qui pouvait se venter d’avoir ça chez lui ? « choisi le film, j’te fais confiance. » elle était prête à le laisser mettre Star Wars même, elle le sentait venir comme une maison. En attendant, elle s’asseyait dans son siège, le temps qu’il mette tout en place.
Alors que le film commence depuis presque dix minutes, la brune se sent déjà partir vers un autre monde. Elle se laisse alors glisser dans le fauteuil confortable tandis que sa tête se pose sur l’épaule de Kieran. Juste pour être bien calée. « J’dors pas. » qu’elle dit, tentant de luter.

Kieran s’abstient du mieux qu’il peut de se confronter au monde extérieur, bien conscient que celui-ci le dévorerait tout cru s’il s’y attardait – et c’est déjà un miracle que ça n’ait pas déjà été le cas. Le monde extérieur fait peur ; et puisqu’il a tout ce qu’il faut ici, pour quelle raison s’imposer ce danger ? Il l’avoue à Jina, ce n’est pas seulement de l’espace, du confort, de la sécurité qu’il a trouvé ici, c’est aussi des vivres et de l’énergie qu’il économise, certes, mais dont beaucoup ne bénéficient plus. Il a conscience de sa chance, le jeune homme, autant qu’il est raisonnable quant au fait que ça ne durera pas éternellement. Mais ce soir, c’est jour de fête et au-delà du bain et du repas, il invite Jina à profiter de la salle de cinéma. Il n’y va pas souvent, encore une fois parce qu’il s’agit de quelque chose dont il ne peut se permettre de profiter à outrance, mais au diable les limitations, ce soir. Pourtant, Jina semble soudainement prise d’un malaise, ne touchant même pas à son assiette et ses yeux humides. À plusieurs reprises, il a envie de s’assurer de son bien-être, avant de se rétracter : elle a évoqué brièvement des moments compliqués et il s’imagine que c’est lié. « On y va, dans cette salle de cinéma ? » Comme il l’a proposé, à défaut de sa pitié, il peut lui offrir de se changer les idées, même si ce ne sera que le temps d’une soirée. Terminant son assiette, il finit par hocher la tête, la vaisselle attendra à plus tard alors qu’il l’invite à la suivre.

La salle n’était pas très grande, une dizaine de places tout au plus, mais quand Kieran était tout seul, ça semblait déjà énorme. Ça l’est déjà un peu moins ce soir, alors qu’il s’installe dans un fauteuil au centre. « quelle folie… » « Ça donne envie d’être riche. » Il s’amuse, bien conscient que ce n’est plus vraiment possible dans le monde actuel. « choisi le film, j’te fais confiance. » « Vraiment ? » C’est une très mauvaise idée, Jina, alors qu’il arrive difficilement à se contenir quand il est seul, alors à deux – elle ne va pas passer un bon moment. Fouillant dans les films à disposition, il se dit qu’un peu de bonne humeur devrait faire l’affaire, mais, malgré son allure, Kieran n’aime pas les films qui finissent bien. Et puis... et puis, le choix est en réalité acté depuis que c’est un running gag (qui n’existe que depuis dix minutes, hm) entre eux : ce sera Star Wars. Se calant dans son siège une fois le film lancé, il ne met pas longtemps avant de s’exciter tout seul sur son siège. « La République Galactique est en pleine ébullition. La taxation des routes commerciales reliant les systèmes éloignés provoque la discorde. Pour régler la question, la cupide Fédération du Commerce et ses redoutables vaisseaux de guerre imposent un blocus à la petite planète Naboo. Face à ce dangereux engrenage, alors que le Congrès de la République s’enlise dans des débats sans fin, le Chancelier Suprême charge en secret deux Chevaliers Jedi, gardiens de la paix et de la justice dans la galaxie, de résoudre le conflit…. » Il lance, en même temps que le texte défile sur l’écran, la main sur le cœur et l’intonation assurée. Cette confiance disparaît rapidement quand il sent la tête de Jina qui s’appuie contre son épaule et que, soudainement, tous ses muscles se figent. « J’dors pas. » « Hm, hm. » Soudainement à court de mots, Kieran reste immobile, allant jusqu’à maîtriser sa respiration par peur de déranger la jeune femme. Oh, oui, il pourrait la réveiller et l’inviter à rejoindre une des nombreuses chambres de cette maison. Mais elle dort. Sur. Son.  Épaule. C’est la première fois que ça lui arrive et il sent le rouge qui lui monte aux joues, et bientôt, il sentira les fourmillements dans son corps immobile alors qu’il n’ose pas la déranger – mais, promis, ça en vaut le coup.