Le choix des mots. Elle pourrait souligner la différence entre écouter et entendre. Deux verbes faisant appel à l’ouïe, ce sens surexploité ce soir à défaut d’avoir la vue, mais qu’elle estimait bien différents. Entendre un bruit, écouter quelqu’un. Entendre sans prêter d’intérêt, écouter avec attention. Une différence bien notable pour Debbie qu’elle ne prenait pourtant pas le temps d’expliquer, à la fois amusée par l’ironie dont il faisait preuve et à la fois trop focalisée sur autre chose. Sur lui, plus précisément. Sur les sensations qu’il a laissé traîner sur sa peau d’un simple baiser dans son cou. Des frissons qu’elle n’avait plus ressenti depuis un moment parce qu’elle ne fréquentait pas d’autres Hommes que Camil et que ces frissons-là faisaient appel aux premiers émois. Il n’y avait pas de sentiments amoureux à y voir, seulement une forte attirance incontestable qui rendait l’air presque palpable. Elle n’était pas dupe et se rendait bien compte que l’ignorance sur son identité contribuait aussi à la rendre toute chose, dans le bon sens du terme. Des sensations nouvelles que sa maturité d’adulte savait comprendre sans prendre ça à l’excès, là où la jeune Deborah d’une époque pas si lointaine aurait probablement fuit comme la peste. Ce soir, l’effet était inverse. Il lui donnait envie de tout sauf de fuir et la suite des événements n’y contribuerait pas non plus.

La douceur de son baiser et le simple contact de sa main contre sa nuque faisaient poindre un sourire à la commissure de ses lèvres quand l’occasion lui était donnée. L’échange n’était pas innocent mais loin d’être fougueux en dépit de sa durée. Un équilibre naturellement trouvé dans la sensualité, de quoi la rendre agréablement surprise. Sa messagerie Tinder en était témoin : elle aurait plus parié sur une précipitation guidée par leurs instincts animaux que par cette douceur relative, l’un et l’autre faisant preuve d’un respect mutuel évident. De son côté, c’était aussi une question d’envie : celle de prolonger cette nuit pour profiter de cette parenthèse qu’il ouvrait malgré lui dans le bordel de sa vie. Un moment suspendu dans le temps que rien ne semblait pouvoir perturber, un peu comme si elle retrouvait celle qu’elle était encore il y a quelques mois. Un apaisement qu’elle ressentait jusque dans son ventre. S’il n’était pas question des papillons mythiques des amoureux, ça n’empêchait pas cette boule de chaleur agréable et enveloppante. Un doux foyer là où elle s’était attendue à un vrai feu de paille. Une surprise séduisante qui lui faisait presque regretter l’arrêt de ce premier baiser.

C’était d’abord le rire de la jeune femme qui se faisait entendre avant les mots, stupéfaite par cette affirmation inattendue à ce moment précis. « Je sais pas si je dois être flattée par le compliment ou vexée que ce soit ce que tu retiens en premier. » La réalité voulait surtout que ça l’amusait beaucoup tant c’était inopiné. « Tu remercieras la maison de parfum Heeley pour ça. De vraies petites merveilles en flacon. » Quand bien même chaque parfum était différent compte tenu de la façon qu’ils avaient de tourner au contact de la peau. Une fragrance unique qui marquait son partenaire, un constat plaisant pour la brune, bien plus habituée qu’on s’attarde sur ses courbes – plus généralement celles de son décolleté – que sur un élément olfactif. Raison de plus de se persuader d’avoir fait le bon choix dans ce face-à-face nocturne et énième preuve qu’il était effectivement un homme observateur jusque dans les détails.

A sa question dissimulée, elle retrouvait son sérieux. La poupée, comme il aimait la surnommer, en devenait une le temps d’une seconde. Sans brutalité et, il lui semblait, presque sans effort, il la rapprochait de lui. Instinctivement, l’une de ses mains s’agrippait à lui, enveloppant avec une certaine tendresse l’avant-bras de sa main toujours sur sa nuque, devinant les muscles puissants qui s’y cachaient et expliquaient sa capacité à la déplacer. Pourtant loin d’être mince comme un clou, ainsi dans ses bras, elle avait l’intime conviction qu’il pourrait la briser s’il le souhaitait. Si elle n’était pas capable de les voir, elle devinait aisément ses yeux dans les siens, visiblement encline à le laisser entrevoir la réflexion dans laquelle il l’avait mise. Elle n’était pas sûre de ce qu’elle devait lui répondre. Elle n’avait pas envie de lui donner son prénom mais elle ne se voilait pas la face non plus. Sa libido était éteinte depuis des mois – avec Camil tout du moins – et elle ne voulait pas le décevoir ou le frustrer. Quand bien même elle l’autorisait maintenant, elle savait aussi qu’il n’était jamais trop tard pour dire non si elle changeait d’avis en cours de route. Elle savait au fond d’elle-même qu’il respecterait ça, même si c’était la garantie de jeter un froid glacial.

Alors comme elle le faisait depuis le début avec lui, elle jouait la carte de l’honnêteté. « Pour diverses raisons qui ne t’incombent pas, ça me stresse de ne pas arriver à aller au bout des choses et d’être dans l’obligation de te frustrer et pourtant, paradoxalement, j’ai aucune envie que ça s’arrête pour autant. » La chaleur qu’elle avait ressentie pendant le baiser ne venait pas de nulle part, elle en avait bien conscience mais était-elle suffisante pour glisser dans une pente plus intime encore, plus précisément celle du fantasme de coucher avec une inconnue ? Se sentir bien à l’instant T ne lui garantissait malheureusement pas que le stress ne prenne pas le dessus plus tard. « Il y a des chances que ça marche et des risques que non. C’est toi qui vois si tu veux prendre ces risques-là ou si tu préfères attendre une autre fois. Tout ce que je sais, c’est qu’il n’est pas question de mon côté que je te donne mon prénom aujourd’hui. » Parce qu’elle était consciente d’être une véritable bombe à retardement, elle préférait qu’il soit au courant que s’ils s’engageaient sur ce chemin, ça pouvait ne pas finir comme prévu. Mais elle voulait aussi qu'il comprenne qu'elle n'abandonnait pas l'idée pour autant, seulement ça ne se ferait peut-être pas ce soir. Ça faisait trop longtemps qu’elle n’avait pas couché avec un autre homme que Camil, encore moins avec un homme ignorant cette grossesse nerveuse qui de visu ne se voyait pas mais qu’il était aisé de constater au toucher s’il était un homme capable de faire le distinguo entre un petit ventre dodu d’après repas et un ventre légèrement arrondi et en tension d’une grossesse. Dans le second cas, soit il allait s’en foutre, soit ça allait potentiellement le bloquer et/ou il allait lui poser des questions. Des questions dont elle ne voulait donner aucune réponse. Des questions qui briseraient la parenthèse à laquelle elle tenait sûrement un peu trop.

Spoiler:

Elle s’en voulait. Instantanément, elle s’en voulait d’avoir parlé, même si elle était persuadée que c’était pour le mieux, pour tous les deux d’ailleurs. Peut-être qu’elle aurait dû présenter les choses autrement. Au lieu de parler de risque, de parler de chance. Essayer, voir ce que ça donnait et, avec la chance, ça serait passé sans que quoi que ce soit de négatif arrive. Elle lui avait dit : elle avait mis du temps à mûrir mais aujourd’hui, en tant qu’adulte responsable, elle n’était plus dans l’utopie. Les risques étaient plus grands que les chances parce qu’avec les années elle avait appris à se connaître et reconnaître les signes avant-coureurs d’un malaise. Ne serait-ce que de s’être posé la question, c’était déjà trop quand on connaissait son impulsivité passée. L’interrogation lui avait fait réaliser qu’elle se devait d’être franche avec lui quand bien même ce n’était pas agréable à entendre. Elle détestait ça, elle détestait se sentir comme ça mais elle ne se voyait pas non plus céder pour céder et être obligée de le repousser. Ça serait pire que maintenant. Pire que le malaise qui était en train de se créer entre eux.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça. Elle aurait probablement fait la même chose à sa place. Prendre un peu ses distances sans couper le contact. Son silence était révélateur d’une patience poussée au-delà de ses limites habituelles. Il était normal qu’il retienne avant tout le négatif avant de prendre en compte le désir de la brune que les choses ne s’arrêtent pas pour autant. Remis à plus tard sans qu’elle ne soit capable d’estimer quand. Ce n’était plus vraiment de son fait désormais, le subconscient en maître sur chaque instant. Elle espérait sincèrement qu’il allait s’en rendre compte à un moment donné, pas forcément ce soir parce qu’elle comprenait la contrariété mais plus tard. Il restait sa parenthèse salvatrice même si la réalité venait de brutalement les rattraper. C’était très certainement égoïste mais elle n’était pas prête à perdre ça, ça serait trop à supporter. « Je déteste les clichés mais je tiens vraiment à ce que tu comprennes que ça n’a rien à voir avec toi, que ce n’est pas avec toi que je ne suis pas à l’aise. » Le fameux c’est pas toi, c’est moi. C’était la situation plus exactement. Sa propre situation. Elle n’aimait pas l’idée mais il fallait se rendre à l’évidence qu’ils étaient en plein dedans et que ce n’était en rien une excuse toute faite. Il était parfait dans ses imperfections. Elle avait merdé, sans que cela ne soit de son fait mais elle en prenait l’entière responsabilité. Le timing, les effets de sa grossesse nerveuse, elle ne s’attendait sincèrement pas à ce que ça dure si longtemps ou même que ça puisse aussi la bloquer avec un autre homme que Camil. C’était un loupé et il piquait farouchement celui-là.

Docile – et parce que ça n’avait rien de désagréable surtout – elle le laissait dessiner dans sa main, davantage attentive à ses prochaines paroles. Ça serait mentir que de dire qu’elle ne ressentait pas une petite pointe d’amertume parce que ses dires sonnaient comme une punition à une bêtise. Elle n’avait pourtant jamais promis de coucher avec lui le premier soir, ayant seulement émis le souhait de le rencontrer. L’erreur venait peut-être de ce baiser qu’elle avait elle-même initié en sachant pertinemment toute l’attirance qu’il peut avoir pour elle et ce que ça pouvait déclencher. Néanmoins, elle n’en faisait pas part. Les échanges entre eux étaient si simples jusqu’ici, le chemin était presque tracé d’avance jusqu’à cette légère embûche qui les bloquait dans la course. Alors là non plus, elle ne lui en voulait pas, compréhensive malgré tout. « Tout ce que tu voudras. Tant que tu n’essaies pas littéralement de me plier en quatre, je pourrais faire tout ce que tu veux. » disait-elle en référence à cette histoire de course et de concours de souplesse, souhaitant détendre un peu l’atmosphère parce qu’au fond, il n’y avait pas mort d’Hommes non plus. Ils étaient assez adultes pour ne pas s’en formaliser trop longtemps et bouder comme des ados. Elle était déjà rassurée qu’il fasse référence à un futur même si c’était sous couvert de menace et de promesse de la tester sur la distance. « Je peux te proposer un dessert pour déjà commencer à me faire pardonner ? » disait-elle en penchant légèrement la tête sur le côté, une moue invisible sur le visage mais facile à entendre dans la voix. Elle ne savait pas si ce genre de contrariété pouvait lui couper l’appétit mais à défaut d’être le dessert, elle comptait bien continuer à faire de cette soirée une bonne soirée en dépit du reste.


@Jackson Mills

Passer à la suite pour essuyer le malaise, pour penser à autre chose surtout. Tout la ramenait maladroitement à cette dépression dans laquelle elle s’enfonçait déjà sans même s’en rendre compte. Le manque de confiance en soi, l’envie de rien, l’absence d’appétit qui s’installe. Elle apprendra par la suite que ce n’était que le début. Pour le moment, elle tentait tant bien que mal d’y faire face et de laisser un souvenir d’une agréable soirée d’anniversaire au concerné en dépit du petit incident. Dans cet objectif, elle lui proposait du gâteau, met typique d’une soirée d’anniversaire, impossible d’y échapper. Il acceptait, sans demander son reste. Ça ne l’étonnait que peu compte tenu de l’appétence dont il avait fait preuve jusque-là. En échange de bons procédés, elle s’occupait du gâteau, il s’occupait de la boisson. Beaucoup moins évident qu’il n’y parait dès lors qu’on est privé de lumière pour l’un comme pour l’autre. Quelle idée elle avait eu de ne pas le prédécouper.

Débrouillards, ils parvenaient néanmoins à s’en sortir, le claquement des verres marquant la fête. « Bon anniversaire. » Sans se poser plus de questions, elle prenait une gorgée de champagne avant d’attaquer le gâteau. Aucun problème pour elle. Même s’il était moins réussi que ceux de sa mère, le goût ne la dérangeait pas mais justement, les goûts, ça ne se discute pas. Le silence sonnait pour elle comme une alerte et pour cause, depuis le début de la soirée, il s’exclamait par des mots ou des onomatopées pour exprimer combien la cuisine Irlandaise lui plaisait. « J’ai quelques fruits si tu préfères, je t’en voudrais pas. » proposait-elle sans animosité, bien consciente qu’on ne pouvait pas tout aimer.

« Je t’ai un peu menti tout à l’heure… il y a pas que le pique-nique, j’ai autre chose pour toi. Je voulais que ce soit une totale surprise, c’est quand même ton anniversaire quoi. » Elle cherchait pendant un instant dans son sac à main – et dans la glacière s’il avait choisi de prendre des fruits – avant de se tourner de nouveau vers lui et lui tendre une enveloppe. « C’est pas grand-chose mais j’espère que ça va te plaire et que c’est pas trop tard non plus. » L’enveloppe était légère, elle semblait presque vide et pour cause, elle ne contenait qu’un petit carton qui pourrait s’assimiler à une invitation. Ce n’était pas le cas. Avec le peu de temps qu’elle avait eu devant elle pour appréhender son anniversaire, il s’agissait clairement d’un truc fait maison et non officiel. « Si tu veux lire maintenant je peux m’éclipser derrière un arbre pour que tu utilises ton téléphone en lampe torche. » C’était à lui de voir selon la curiosité qu’il avait.

Contenu de l'enveloppe

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Il était complètement dans le vrai : Deborah n’aurait pas su attendre. Il le savait et ce n’était un secret pour personne, elle était d’une curiosité presque maladive – qui parfois la mettait dans de beaux draps, preuve en était avec leur réelle première rencontre. Néanmoins elle reconnaissait un avantage à ne pas l’ouvrir de suite : si le cadeau ne lui plaisait pas ou était obsolète pour x ou y raison, ça ferait une déception de moins pour la soirée. Deux étaient largement suffisantes et si jamais il ne la contactait pas pour monter ce projet, elle ne saura jamais la raison du pourquoi : une autre personne déjà engagée ? L’absence d’envie de collaborer avec elle ? Des questions qui resteraient suspendues et c’était peut-être mieux ainsi. « Je t’en pries, c’est normal, ça m’a fait plaisir. » disait-elle simplement concernant la cuisine. Il était vrai qu’elle y avait passé du temps, des heures même mais l’un comme l’autre n’avait pas conscience que cette activité aussi simplette soit-elle avait contribué à ce qu’elle aille bien aujourd’hui. Occupée à cuisiner puis à préparer le pique-nique pour ne rien oublier avant de se préparer elle-même : c’était chouette et ça faisait longtemps que ce n’était pas arrivé. Une motivation spontanée et réelle à lui faire plaisir lui avait redonné le sourire pour quelques heures. L’un dans l’autre, ils en ressortaient déjà gagnants, sans même compter l’idée de cette simple rencontre et de mettre une voix sur quelqu’un – et une odeur vraisemblablement.

Ce sourire, il ne l’avait pas quitté pour le reste de la soirée. Tantôt dans un rire, tantôt dans un mince étirement. Les heures étaient passées plus rapidement qu’attendues et il était déjà temps de se dire au revoir. « T’es bête. » disait-elle non sans rire en le poussant un peu avant de répondre réellement à sa question. « Je n’ai absolument pas peur que tu me suives mais il me faut un minimum de lumière pour pouvoir ranger tout ça, so. » Il connaissait la suite. Elle n’allait pas abandonner ses affaires et le souhait de l’anonymat restait toujours le même. Instinctivement, elle se levait avec lui et les au revoir se déroulaient comme l’accueil : dans une accolade sincèrement ravie de cette rencontre. « Passe une bonne nuit, on se revoit bientôt. » enfin bientôt, tout était relatif et dépendait d’eux et de leurs envies respectives, il l’avait sûrement compris sans précision. « Je te la laisse, en petit souvenir. » la bouteille de pomme pétillante qu’ils n’avaient finalement pas ouverte. Un dernier échange avant qu’ils ne s’évaporent dans la nuit : lui et son sourire. Demain matin, elle retrouverait sa réalité, la parenthèse était fermée.

FIN DU SUJET
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