Though I guess that presupposes that there is a wine I wouldn’t drink. @Caleb Anderson
Theo jeta un dernier coup d’œil à son reflet dans le miroir en fermant sa veste de cuisine. Elle marqua une légère pause, un fin sourire au coin des lèvres, en songeant qu’elle n’avait jamais l’air aussi sérieuse que quand elle venait travailler à l’Interlude. D’un point de vue comportemental, dans sa façon de se tenir, dans le soin qu’elle apportait à sa tenue. Mais aussi dans sa façon d’être, de réfléchir, d’interagir avec les autres. Elle avait une sincère envie de se montrer irréprochable quand elle était en présence de Caleb et dans l’enceinte du restaurant de manière générale. Et c’était pourtant bien là quelque chose qui lui faisait défaut au quotidien dans sa vie personnelle. Theo était habituée à chercher les ennuis, à se vexer pour tout et n’importe quoi et à se laisser facilement guider par ses envies de vengeance. Pourtant c’était toujours une toute autre personne qui passait les portes de l’Interlude. Une personne que ses proches n’auraient pas reconnue. Une personne que quiconque ayant déjà croisé son chemin d’une manière ou d’une autre n’aurait pas reconnue. Evidemment, elle n’arrivait pas pour autant à effacer complètement son tempérament sanguin et il lui arrivait de laisser échapper une ou deux réflexions douteuses. En revanche, s’il lui arrivait de s’énerver, ça n’était jamais contre les autres mais toujours contre elle. Quand elle loupait un plat, qu’elle oubliait un ingrédient, qu’elle se rendait compte que l’assiette n’était pas exactement comme elle l’avait imaginée au départ. Theo se découvrait des traits de personnalité et des compétences qu’elle ne soupçonnait pas quand elle était en cuisine : professionnalisme, calme, précision, écoute, attention. Caleb lui avait offert une place de choix dans son restaurant en même temps que sa confiance et il était hors de question qu’elle lui fasse regretter d’une quelconque manière que ce soit sa décision. Si les sports de combat étaient sa première passion, elle s’en était découverte une autre par l’intermédiaire de la cuisine. L’une comme l’autre lui permettaient à leur manière très différente et singulière d’évacuer un trop plein d’énergie. Quand le sport lui offrait la possibilité d’évacuer violemment ses sentiments, la cuisine représentait quant à elle une échappatoire qui lui permettait de se concentrer suffisamment pour oublier tous ses tracas. Peu surprenant dans ces conditions de toujours la voir débarquer le sourire aux lèvres dans les cuisines du restaurant, prête à affronter les prochaines heures de travail et toujours avide de savoir quelle serait sa mission culinaire de la journée. C’était d’un pas décidé qu’elle s’était dirigé vers Caleb, n’hésitant même pas une seule seconde à en rajouter un peu trop, venant coller le côté de sa main droite à son front avant de l’écarter d’un geste vif pour imiter les meilleurs saluts militaires. « Quel est le programme aujourd’hui chef ? » Cette façon de l’interpeller accompagnée de son geste n’était-elle pas du pur génie puisqu’il était justement…chef ? Bon, son humour était certainement à revoir, surtout quand elle se montrait si enthousiaste. « Escargots au beurre persillé sur son lit de cuisses de grenouilles, accompagnés de son steak tartare supplément câpres ? » Elle avait tout donné pour énumérer les clichés les plus français et les assembler pour une indigestion garantie. Elle avait vraisemblablement beaucoup d’énergie à revendre aujourd’hui. Mieux valait que Caleb lui donne rapidement quelque chose à faire s’il ne voulait pas subir d’autres blagues et remarques douteuses trop longtemps.
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La journée se passe sans encombre. Lena se réveille tôt, ce qui veut dire qu’Alex et moi nous nous réveillons tôt également. Elle se fait entendre en pleurant toujours un peu plus fort, Lucy et elle partagent la même chambre alors bien entendu que ses pleurs réveillent sa sœur qui elle aussi se met à sangloter. Les grasses matinées sont rares, elles n’existent plus même et le temps où nous pouvions dormir jusqu’à ce que ce soit notre corps qui décide qu’il est temps de se réveiller me manque beaucoup. Ce n’est pas pour autant que je regrette mes deux petites princesses bien au contraire. Elles sont toutes les deux mon rayon de soleil et ma motivation première à me lever chaque matin. C’est aussi pour elles que je travaille toujours autant, je veux pouvoir leur offrir tout dont elles ont besoin, je ne veux pas qu’elles puissent manquer de quelque chose un jour. J’aime mes filles plus que tout au monde, et ma femme également. Quand nos filles commencent à pleurer à chaudes larmes je l’embrasse sur le coin des lèvres tout en lui signifiant de rester au lit. Moi me lever tôt me dérange pas vraiment, j’ai plus l’habitude qu’elle, je ne suis pas un lève tard alors je lui laisse la possibilité de se rendormir alors que je quitte la chaleur des draps, j’enfile un pantalon et pars directement en direction de la chambre des jumelles qui se calment presque à l’instant même où je franchis la porte. Lena tend les bras vers moi en m’appelant sans s’arrêter jusqu’à ce que je la prenne contre moi pour la faire sortir du lit. J’en profite pour l’embrasser sur le front et je fais la même chose avec Lucy qui elle préfère rester dans mes bras comme toujours. Je les installe sur leur chaise haute et leur sert leur petit-déjeuner. Elles sont de plus en plus autonomes sur la prise des repas bien qu’elles fassent toujours tomber autant d’aliments à côté de l’assiette, j’en profite pour prendre le premier repas de la journée avec mes filles. Je bois un premier café tout en mangeant mes œufs alors que les jumelles parlent toutes les deux dans un langage bien à elles. Elles ont bientôt un an et demi, elles commencent à parler mais sans prononcer de réelles phrases pour le moment, ce qui les rend vraiment adorables. Je passe ensuite un moment à jouer avec elles après leur avoir donné leur bain. J’essaie toujours de les faire rire parce qu’il s’agit de loin de la plus belle mélodie qui puisse exister selon moi. Alex finit par se lever et j’en profite pour prendre d’assaut la salle de bain et me doucher à mon tour. Si j’ai demandé à mon second de me remplacer ce matin pour réceptionner une livraison je dois tout de même assurer le service de midi. J’ai allégé mes horaires depuis la naissance de Lucy et Lena, je travaille un peu moins et je passe plus de temps à la maison avec les trois femmes de ma vie et ce n’est pas pour me déplaire.
C’est donc après un court moment passé avec Alex et les filles que je quitte le domicile familial pour rejoindre l’interlude qui est déjà ouvert. Le ménage est en train d’être fait en salle quand j’arrive, je salue tout le monde et une fois arrivé en cuisine c’est Theo la première personne que je vois. « Quel est le programme aujourd’hui chef ? » Sa main droite se colle à son front, elle se tient droite faisant ainsi un parfait salue militaire. « Escargots au beurre persillé sur son lit de cuisses de grenouilles, accompagnés de son steak tartare supplément câpres ? » Je lâche un petit rire amusé face à toute l’énergie de Theo, et je l’envie à ce moment précis parce que moi aussi j’aimerais déborder d’énergie mais je pense que je n’ai clairement pas assez dormi pour ça. « Je sais ce que tu vas pouvoir faire. » Que je lui dis tout en m’avançant vers la chambre froide que j’ouvre l’espace de quelques secondes me permettant ainsi de vérifier que nous avons bien reçu la livraison de ce matin. « On a reçu une livraison complète ce matin, je pars me changer et en attendant je te laisse réfléchir au menu du jour qu’on pourrait mettre à la carte aujourd’hui. Ça te va ? » Elle a carte blanche, ou du moins, presque. « Je compte sur toi pour m’impressionner. » Je souris, je lui fais un clin d’œil et avant de quitter la cuisiner je la tapote doucement sur l’épaule. J’ai une confiance aveugle en Theo et aujourd’hui je lui laisse une grande responsabilité ; choisir le menu du jour, ou au moins le plat principal qui sera affiché ce midi. Je reviens vers elle à peu près dix minutes plus tard après avoir fumé et en tenue. « Alors ? Je t’écoute. »
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Theo bouillonnait à l’idée de la nouvelle journée de travail qui l’attendait. Elle avait hâte de découvrir ce que Caleb lui réservait. Hâte de pouvoir se consacrer entièrement à un nouveau plat. Hâte de faire en sorte que chaque assiette qu’elle dresserait soit aussi parfaite que possible. « Je sais ce que tu vas pouvoir faire. » Son sourire s’élargit un peu plus encore lorsqu’il énonça cette information. Elle était à la limite de l’excitation qu’un enfant pouvait ressentir le matin de Noël avant d’ouvrir ses cadeaux. Ce qui, somme toute, s’apparentait presque à la sensation que lui procurait la découverte des produits qu’ils avaient reçus et qu’ils allaient pouvoir travailler. « On a reçu une livraison complète ce matin, je pars me changer et en attendant je te laisse réfléchir au menu du jour qu’on pourrait mettre à la carte aujourd’hui. Ça te va ? » Son sourire disparut brusquement. La surprise du matin de Noël venait de tourner court. C’était surprenant considérant son caractère et sa façon de se comporter dans son quotidien, mais Theo aimait pouvoir suivre des consignes et des ordres lorsqu’elle était à l’Interlude. Elle savait que chaque conseil prodigué par Caleb était un petit pas de plus vers le perfectionnement de sa pratique. Et elle savait aussi qu’elle n’arriverait pas à son niveau en jouant la sourde oreille. Si elle avait tendance à considérer pouvoir se hisser d’elle-même au sommet de n’importe quelle activité qu’elle entreprenait dans sa vie privée, il ne faisait aucun doute à ses yeux que ça n’était pas envisageable dans sa vie professionnelle, pour le domaine ô combien précis et challengeant que représentait la cuisine. « Heu… » Elle était prise au dépourvu. Elle aurait certainement dû sauter de joie à cet honneur qui lui était fait, mais pour l’heure Theo ne pouvait pas penser à autre chose qu’à la pression qui venait de s’abattre sur ses épaules. Caleb lui faisait confiance et elle en était plus qu’honorée…mais elle se rendait aussi bien compte qu’il était justement le seul à jamais lui avoir fait confiance. Et si les autres, ses proches, les personnes qui la côtoyaient au quotidien et qui la connaissaient mieux que personne, si ces gens évitaient de lui confier une quelconque responsabilité…c’était certainement pour une bonne raison. Et la raison était plus qu’évidente : Theo avait tendance à tout gâcher. Très vite. Tout le temps. Elle ne prenait jamais rien au sérieux, elle ne prêtait pas attention aux états d’âme des autres et avait tendance à faire preuve d’une puérilité sans nom. Sachant tout cela, quelle personne saine d’esprit aurait choisi d’accorder sa confiance à quelqu’un se comportant comme une enfant de cinq ans ? Si Caleb était loin de tout savoir des frasques de Theo, il n’était tout de même pas sans ignorer le comportement qu’elle pouvait avoir en dehors du restaurant. Alors pourquoi lui confier une telle responsabilité ? « Je compte sur toi pour m’impressionner. » Elle l’observa quelques secondes. Son clin d’œil, son sourire, son ton rassurant. Il ne semblait vraiment avoir aucun doute sur la décision qu’il venait de prendre. « Merci. Je ne te décevrai pas. » Son expression était quant à elle sérieuse, presque grave. Elle n’avait effectivement aucunement l’intention de le décevoir. Elle devait se montrer à la hauteur de ses attentes, quitte à subir et supporter une angoisse sans nom pendant…les dix prochaines minutes ? Comment allait-elle pouvoir trouver une proposition digne de ce nom en si peu de temps ? Theo observa Caleb quitter la pièce avant de s’emparer rapidement d’un calepin et d’un stylo, puis de se diriger d’un pas décidé vers la chambre froide. Son regard balaya la pièce pour prendre connaissance des différents produits qu’elle allait pouvoir utiliser. Puis elle ressortit pour se pencher sur le comptoir, armée de son carnet sur lequel elle griffonnait tour à tour des dessins puis écrivait des mots pour venir les raturer quelques secondes plus tard. « Alors ? Je t’écoute. » Theo sursauta tout en se redressant pour faire face à Caleb. Elle était trop plongée dans ses réflexions pour l’avoir entendu revenir. « Je…heu… » Décidément, elle avait vraisemblablement perdu sa capacité à s’exprimer correctement aujourd’hui. Elle l’observa avant de prendre une profonde inspiration, s’emparant de son carnet qu’elle serra fort entre ses doigts crispés sur le papier. « Je te propose un….croque-monsieur ? » Elle n’était définitivement pas sûre de son choix final, d’où le fait qu’elle venait de présenter son idée sous forme de question. Peu convaincant. Elle se racla la gorge pour reprendre contenance et reporta son attention sur la feuille de papier sur laquelle elle avait couché ses idées. Elle reprit avec un peu plus d’assurance cette fois-ci : « Un croque-monsieur revisité, gourmet. Moutarde à l’ancienne, oignons caramélisés, comté, parmesan râpé, et des copeaux de truffe noire, le tout frit dans du beurre pour les brunir et les rendre croustillants. Et son pendant côté mer avec du thon, du crabe en miettes et de la mayonnaise pour remplacer la moutarde. » A titre personnel, Theo adorait revisiter des classiques simples pour level up les recettes d’origine. Mais qu’en était-il de Caleb ? Qu’allait-il penser de son idée ? Elle avait relevé la tête pour l’observer anxieusement, à la limite de retenir son souffle en attendant son verdict.
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L’interlude c’est mon premier bébé et c’est avec grand soin que je choisis les personnes que je veux dans ma brigade. Je veux les meilleurs pour qu’ils puissent m’aider à m’améliorer et faire grimper toujours un peu plus la réputation de l’établissement. J’ai une confiance aveugle en chacune personne que j’ai accepté d’engager et Theo en fait partie. Elle est encore en formation mais elle est douée. Elle est même très douée, déterminée, elle apporte une touche de fraîcheur dans l’équipe et c’est donc en lui faisant confiance que je lui laisse la lourde tâche de choisir une idée de plat du jour à proposer ce midi. Elle a toujours de bonnes idées et qu’elle se rassure je ne compte pas la laisser complètement seule. Aujourd’hui je serai derrière elle pour la guider et lui donner des idées et surtout pour la conseiller. « Merci. Je ne te décevrai pas. » C’est toujours avec un petit sourire à l’attention de la jeune fille que je quitte la cuisine lui donnant sur le passage une petite tape sur l’épaule comme pour lui donner un peu plus de courage dans ce geste. Je ne doute absolument pas qu’elle ne me décevra pas, je la connais Theo et je sais qu’elle est pleine de ressources, raison pour laquelle je me permets de lui laisser cette responsabilité ce midi. Je prends donc tout mon temps pour me préparer afin qu’elle puisse avoir le temps nécessaire pour elle pour réfléchir à ce qu’elle pourrait me proposer. Avant tout je sors quelques minutes pour fumer une cigarette, pour moi le meilleur moyen de commencer la journée. Le tabac me donne cet impression d’effet myorelaxant qui me permet de me détendre et de me préparer pour tout le stress et toute l’adrénaline qui envahira les cuisines du restaurant d’ici quelques heures quand l’heure du coup de feu aura sonnée. J’essaie de fumer moins depuis qu’Alex est de nouveau enceinte et c’est plus souvent ma cigarette électronique qui se retrouve dans ma main mais ce matin c’est une cigarette normale que je m’autorise. C’est ensuite vers les vestiaires que je me dirige pour me mettre en tenue délaissant ainsi mon pantalon et la chemise que j’ai enfilé ce matin. Je laisse encore un peu de temps à Theo et j’en profite pour réceptionner le courrier, tout un tas de factures à payer, tout ça sera certainement vu avec le comptable lors du rendez-vous que nous avons demain matin. Je pose les lettres sur mon bureau que je ferme à clés et je décide enfin de rejoindre l’apprentie cuisinière dans notre lieu de prédilection ; la cuisine. « Je…heu… » J’ai l’impression de la prendre au dépourvu par surprise et ne voulant surtout pas lui mettre la pression je ne dis pas un mot de plus et la laisse reprendre ses esprits. C’est donc accoudé au grand plan de travail que mon regard se pose sur elle. « Je te propose un….croque-monsieur ? » Le croque-monsieur, un classique de la cuisine française. De base quelque chose de très simple mais pas pour autant mauvais, au contraire. Mais peut-être trop simple pour le restaurant ? Le challenge et le défi qui s’est ajouté sur mes épaules quand on m’a attribué une première étoile est de toujours rester original pour se démarquer des autres. Mais je ne dis toujours rien de plus, persuadé que Theodora est allée bien plus loin que ça dans sa réflexion et c’est avec un regard bienveillant que je l’invite à continuer. « Un croque-monsieur revisité, gourmet. Moutarde à l’ancienne, oignons caramélisés, comté, parmesan râpé, et des copeaux de truffe noire, le tout frit dans du beurre pour les brunir et les rendre croustillants. Et son pendant côté mer avec du thon, du crabe en miettes et de la mayonnaise pour remplacer la moutarde. » Je l’écoute avec attention et quand elle termine de me présenter sa revisite du croque-monsieur c’est avec un grand sourire que j’accueille sa proposition. « C’est une très bonne idée. » Voilà qui devrait la soulager et lui permettre de souffler un peu. Je me redresse alors que les paumes de mes mains se frottent entre elles. « Prends confiance en toi, tu as toujours des supers idées tu sais. » Bien que je sois tout à fait conscient que ce n’est certainement pas aussi facile pour elle. Moi aussi je suis passé par la case apprenti et je me souviens à quel point tout était terriblement stressant. « Dis-moi par quoi tu veux commencer ? » J’ai déjà quelques idées de dressage et d'organisation mais c’est son plat, son idée alors je l’écoute et je la suis quoi qu’il arrive.
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Etait-elle en train d’exagérer la situation qu’elle était en train de vivre ou bien sa respiration s’était-elle bel et bien stoppée en attendant le verdict de Caleb ? Elle savait bien qu’elle n’était pas en train de jouer sa vie pour une idée de menu, mais ça ne l’empêchait pas pour autant de lui accorder une importance considérable. Enfin, c’était surtout à l’avis de son mentor qu’elle accordait de l’importance. Et si sa réponse se faisait attendre, Theo risquait de tomber d’inanition d’ici quelques secondes. Elle avait l’impression que son idée n’était pas mauvaise…mais était-elle à la hauteur du restaurant et de l’honneur qu’il lui faisait pour autant ? Rien n’était moins sûr. « C’est une très bonne idée. » Un soupir de soulagement lui échappa alors que ses épaules s’affaissèrent de quelques centimètres. Elle était moins crispée, mais pas moins stressée. « Prends confiance en toi, tu as toujours des supers idées tu sais. » Un fin sourire vint étirer le coin de ses lèvres. « Merci. » L’avis et les conseils des autres n’étaient pas des éléments qu’elle avait l’habitude de prendre en compte. Sauf quand elle était dans son environnement professionnel. Theo était toujours avide d’en apprendre plus aux côtés de Caleb, et ces mots raisonnaient d’autant plus pour elle qu’ils provenaient de sa bouche. Quand il disait quelque chose, elle l’écoutait. Et il était bien l’une des seules personnes sur terre à avoir ce pouvoir. « Des fois je me demande…ce qui se passe pour que je puisse faire preuve d’une confiance insolente dans ma vie perso, et me retrouver aussi démunie face aux doutes dans les cuisines. » Insolente. C’était le mot. Elle était au moins bien consciente de ce qu’elle était. Ca n’était peut-être pas la meilleure des idées d’évoquer ce genre de questionnements avec son employeur, mais si elle avait beau se comporter plutôt bien dans l’ensemble quand elle travaillait, Caleb n’était pas non plus sans ignorer ses frasques en dehors des cuisines. Son caractère faisait qu’elle pouvait facilement dépasser les limites, et ça n’était malheureusement un secret pour personne. « Dis-moi par quoi tu veux commencer ? » Elle se pinça les lèvres, se laissant une nouvelle fois envahir par le doute. « Par quoi je veux commencer ? Hum…par hyperventiler, paniquer, angoisser ? » Elle aurait pu continuer sa liste de synonymes encore longtemps. Il allait donc vraiment lui laisser le champ libre du début à la fin ? Et si elle se loupait complètement ? Et si le résultat n’était pas à la hauteur ? Et si les clients détestaient son idée ? Et si tout cela se répercutait négativement sur la réputation du restaurant de Caleb ? Pause. Elle prit une profonde inspiration avant de se rappeler ce qu’il venait de lui dire : « Prendre confiance en moi, c’est ça ? » Elle balaya toutes ses interrogations pour se reconcentrer sur le plat. Baby steps. Ca n’était pas encore le coup de feu. Les clients n’étaient pas en train d’attendre. Elle avait le temps, et elle était épaulée par le meilleur. Il serait toujours temps de vraiment paniquer plus tard. Pour l’heure, il s’agissait de mettre le menu sur pied avant de décider si oui ou non son idée s’avérait être un fiasco. « On commence par la pâte du pain de mie maison ? » Elle l’observa, cherchant son approbation, toujours aussi hésitante. Et puis elle se reprit et se fit un peu plus affirmative, cherchant à suivre ses conseils : « On commence par la pâte. Et pendant qu’elle monte, on prépare toute la garniture en grande quantité pour ne plus avoir qu’à assembler le tout le moment venu. » Son idée avait probablement un million de défauts dont elle ne s’était pas encore rendue compte, elle n’en doutait même pas…mais pour l’instant elle venait surtout de considérer un avantage non négligeable : la possibilité de tout préparer en amont et la rapidité -théorique- avec laquelle l’assemblage des croque-monsieur pouvait se faire.
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Mes débuts en cuisine n’ont clairement pas été parfaits. Comme tout le monde j’ai douté, j’ai paniqué et j’ai même eu envie de tout arrêter en voyant ô combien il me semblait compliqué en plein coup de feu de savoir gérer l’adrénaline le stress sans que toutes ces émotions ne viennent interférer avec ma technique. C’est tout un exercice et je me souviendrais toujours du savon que m’avait passé le chef après une soirée très chargée au restaurant qui jugeait que mes performances ce soir-là n’avaient pas été à la hauteur de ses attentes. Je n’étais encore qu’étudiant à ce moment-là, j’étais là pour apprendre et perfectionner ma technique mais il ne faisait pas parti des personnes les plus compréhensives au monde. Certainement c’est depuis ce jour-là que je me suis promis de toujours faire preuve de bienveillance que ce soit avec les serveurs, les cuisiniers ou les apprentis qui passeront dans mon restaurant. Jusqu’ici je pense avoir respecté mon vœu, Theodora devrait pouvoir me le confirmer, elle est douée et aujourd’hui j’ai décidé de lui donner encore plus de responsabilité qu’à l’accoutumée. « Des fois je me demande…ce qui se passe pour que je puisse faire preuve d’une confiance insolente dans ma vie perso, et me retrouver aussi démunie face aux doutes dans les cuisines. » Si la passion et l’envie d’apprendre de l’apprentie cuisinière me fait aisément penser à moi-même quand j’étais plus jeune, je sais que dans la vie de tous les jours nous ne nous ressemblons pas du tout. « Parce que la cuisine c’est important pour toi. Enfin je suppose que ça doit jouer. » Normalement tout le monde se montre bien plus appliqué en travaillant sur des projets qui leur tiennent à cœur. « La cuisine c’était un peu un échappatoire pour moi quand j’étais plus jeune. » que je lui avoue. Parce qu’on ne peut pas dire que j’étais l’adolescent le plus épanoui au monde. Je me suis toujours senti de trop, pas à la hauteur et surtout on ne peut pas dire que mes camarades de classe aient été tendres avec moi. Mais je veux justement montrer à Theo que je lui fais confiance faisant ainsi le contraire de ce que certains de mes mentors ont pu faire à mon égard. « Par quoi je veux commencer ? Hum…par hyperventiler, paniquer, angoisser ? » L’honnêteté de sa réponse me fait rire, encore une fois j’ai l’impression de me voir à sa place il y a quelques années. « Ça me semble comme étant une bonne idée, oui. » Est-ce que je suis en train de me moquer d’elle ? Oui, clairement, mais rien de méchant de ma part je la taquine en espérant que cela pourra l’aider à se détendre. « Prendre confiance en moi, c’est ça ? » J’acquiesce d’un simple signe de tête, je la regarde, je la laisse faire le vide dans son esprit pour se concentrer sur sa recette et sur l’ordre dans lequel il faut commencer les choses. Elle le sait, je n’en ai aucun doute mais elle se laisse simplement envahir par la panique. « On commence par la pâte du pain de mie maison ? » Voilà. Je lui souris d’une manière qui se veut rassurante et surtout un sourire qui lui montre que je suis plutôt d’accord avec la première étape de sa recette. « On commence par la pâte. Et pendant qu’elle monte, on prépare toute la garniture en grande quantité pour ne plus avoir qu’à assembler le tout le moment venu. » Theodora me prouve une fois de plus que je peux lui faire confiance. Son idée est claire, précise et surtout totalement faisable voire même logique. « Exactement. » Un mot. Un simple mot qui devrait l’aider à relâcher la pression qui semble peser sur ses épaules. « Tu vois c’était pas si compliqué que ça. » J’essaie de la rassurer tout en commençant à sortir tous les ingrédients dont nous allons avoir besoin pour la confection de la pâte pour le pain de mie. « L’avantage avec ta recette c’est qu’une fois la pâte à pain prête, elle sera assez rapide à préparer. Tu pourras t’en occuper pendant le service si tu veux. » Est-ce que je suis en train de lui proposer de s’occuper seule du plat du jour pendant le service de ce midi ? Oui, totalement et je pense qu’elle en est clairement capable. « Mais ne te mets pas la pression, si ça va pas, si tu as un doute, si tu ne t’en sors pas je ne serai jamais loin. » Parce que je me souviens combien ce genre de responsabilité peut être affreusement stressante les premières fois. C’est tout en essayant de la rassurer que nous ajoutons un par un les ingrédients nécessaires pour la pâte à pain dans la machine à pétrir. « Tu te sens comment ? » Stressée, certainement mais je veux savoir si elle s’en sent capable.
Though I guess that presupposes that there is a wine I wouldn’t drink. @Caleb Anderson
« Parce que la cuisine c’est important pour toi. Enfin je suppose que ça doit jouer. » Elle hocha doucement la tête. Etait-ce pour cette raison qu’elle se comportait correctement et limitait tout potentiel faux pas quand elle passait les portes du restaurant ? Probablement. Mais par extension, est-ce que cela signifiait aussi que les gens qui l’entouraient dans sa sphère privée n’étaient pas suffisamment importants à ses yeux pour qu’elle daigne adopter un comportement acceptable envers eux ? A cette hypothèse, n’importe qui lui aurait certainement répondu qu’elle exagérait et sortait complètement les propos de Caleb de leur contexte. Il y avait pourtant fort à parier pour qu’il y ait une part de vérité là-dedans. Theo ne tenait pas suffisamment aux personnes qui l’entouraient pour faire preuve du minimum syndical en matière de savoir-être. Ou plutôt : elle tenait à elles mais refusait catégoriquement de laisser quiconque le réaliser. Parce que c’était dans son caractère de vouloir se montrer forte et indépendante, de prouver qu’elle n’avait besoin de personne pour faire sa vie. Mais cette vérité était bien différente dans les cuisines ; l’aide et les conseils de Caleb étaient toujours les bienvenus et extrêmement précieux à ses yeux. « La cuisine c’était un peu un échappatoire pour moi quand j’étais plus jeune. » Surprise, ses sourcils se haussèrent légèrement avant qu’un sourire n’étire ses lèvres. « Et ça fonctionne toujours aujourd’hui comme échappatoire ? Enfin non pas que je sous-entende que t’en aies besoin…je me renseigne juste pour plus tard. » Elle se rendait compte un peu tard du côté maladroit de sa question, mais loin d’elle l’idée de vouloir s’immiscer d’une façon ou d’une autre dans sa vie personnelle. Elle se demandait tout simplement et sincèrement si elle pourrait toujours compter sur le sport et la cuisine pour lui permettre d’échapper à son quotidien. Et elle espérait que cela serait le cas. Pour l’heure, cet instant léger avait très vite laissé à nouveau la place au stress avant que Caleb ne parvienne à la rasséréner à l’aide d’un efficace : « Exactement. » Ses muscles, crispés jusqu’alors, se détendirent instantanément. « Tu vois c’était pas si compliqué que ça. » Oh cette boule au creux de son ventre était toujours en partie présente, mais le sourire qu’elle affichait était preuve de sa reconnaissance envers lui pour ses mots et sa patience. « Je me sentirai véritablement soulagée et satisfaite quand le coup de feu sera passé. » Car si elle avait l’impression d’avoir passé une étape importante en concevant ce menu, elle n’oubliait pas que le pire (mais aussi le plus excitant) était encore à venir. « L’avantage avec ta recette c’est qu’une fois la pâte à pain prête, elle sera assez rapide à préparer. Tu pourras t’en occuper pendant le service si tu veux. » Elle hocha la tête, effectivement rassurée par cette information. Avant de percuter sur ce qu’il sous-entendait par là. Elle releva la tête rapidement vers lui, moins paniquée que tout à l’heure mais toutefois très proche d’un nouveau moment prêtant à l’hyperventilation. « Heu… » Est-ce qu’il voulait bien dire ce qu’elle pensait qu’il voulait dire ? Jusqu’à présent elle avait pu se cacher derrière les vrais professionnels et les observer faire, se rendant utile malgré tout mais sans jamais risquer de mettre à mal un service complet si jamais elle commettait une erreur. Or les enjeux semblaient soudain bien plus importants qu’en temps normal. « Mais ne te mets pas la pression, si ça va pas, si tu as un doute, si tu ne t’en sors pas je ne serai jamais loin. » Ha oui. Elle avait donc bien compris ce qu’il voulait dire. « T’es sûr de toi ? » Il l’était probablement. C’était elle qui devait se montrer davantage sûre d’elle bon sang. « Tu te sens comment ? » Excellente question. Elle n’était pas sûre de bien le savoir elle-même. Elle réfléchissait à la question tout en aidant Caleb à concevoir cette maudite pâte à pain. « De nouveau paniquée et stressée. Mais du bon stress…enfin je crois ? » Oui. Le genre de stress qui précédait un combat important, quelques secondes avant de monter sur le ring. « C’est grisant comme sensation. Je suis à la fois extrêmement honorée qui tu m’accordes cette responsabilité et excitée de faire mes preuves…et en même temps je crains que l’Interlude ne finisse fermé des suites d’un service désastreux. » Peu probable. Un restaurant ne fermait pas comme ça et elle en était bien consciente. Toutefois elle réalisait aussi que le moindre faux pas pourrait entacher durablement l’image du restaurant. Il y avait mille et une chose auxquelles elle allait devoir penser et elle craignait à présent d’en oublier une. Ou plusieurs. Ou absolument toutes. « J’ai un peu de mal à faire le tri dans toutes les pensées qui se bousculent dans ma tête…tu promets que tu restes pas loin ? » Pas de blagues du type "Promis je te lâche pas" comme les parents savaient si bien les faire à leurs enfants quand ils apprenaient à faire du vélo et qu’ils finissaient toujours invariablement par rompre leur promesse pour les lâcher. Theo avait présentement l’impression d’avoir oublié son casque, sa sonnette, et que ses pneus étaient mal gonflés. Et pourtant, malgré tout ça, elle restait excitée à l’idée de monter sur ce foutu vélo.
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« Et ça fonctionne toujours aujourd’hui comme échappatoire ? Enfin non pas que je sous-entende que t’en aies besoin…je me renseigne juste pour plus tard. » Les justifications que donne Theo pour s’assurer que je ne prenne pas mal sa question me font rire. « Tu sais on a tous besoin d’un échappatoire, même quand on est vieux comme moi. » Je commence par une réponse sur le ton de l’humour lui montrant ainsi que sa question ne me semble clairement pas inadaptée. « Mais…oui ça fonctionne toujours pour moi aujourd’hui. » Si ma vie peut ressembler à une vie de rêve et la vie parfaite à l’heure qu’il est, il y a quelques années ce n’était pas le cas. Veuf à même pas trente ans je passais mes journées entières au restaurant. Pour cuisiner ou penser des nouvelles recettes ou des revisites originales des plats typiquement français. Je me perdais dans le travail pour m’éviter de penser au vide que je ressentais ou à la profonde tristesse en moi, pour essayer de chasser ces idées noires qui devenaient par moment extrêmement envahissantes. Pour moi la cuisine reste encore aujourd’hui une excellente échappatoire même si ma vie est bien plus simple maintenant, je sais que cuisiner m’a beaucoup aidé dans la période la plus sombre et la plus difficile de ma vie, sans aucun doute. « Je me sentirai véritablement soulagée et satisfaite quand le coup de feu sera passé. » Et si je l’encourage vivement à chasser cette boule dans son ventre je ne peux que comprendre la peur que Theodora ressent en ce moment-même. Elle débute tout juste dans le métier. La voir stressée et anxieuse de bien faire peut même s’avérer rassurant. Je préfère ça plutôt que de la voir partir bien trop confiante sans douter de la moindre chose. Theo est perfectionniste, elle veut bien faire, comme moi quand j’ai commencé dans ce métier et je la sais capable de tout ça. Raison pour laquelle je lui suggère l’idée de la laisser s’occuper de son plat lors du coup de feu. Je sais qu’elle peut le faire et qu’elle s’en sortira comme une cheffe je n’en ai aucun doute. Je la sens hésitante, ce qui me semble toutefois totalement normal. Elle ne refuse pas mais n’accepte pas non plus mais sans lui mettre aucune pression je lui laisse le temps de peser le pour et le contre. « T’es sûr de toi ? » J’hoche rapidement la tête lui montrant ainsi que je n’ai aucun doute sur sa capacité à gérer seule son plat tout à l’heure. « De nouveau paniquée et stressée. Mais du bon stress…enfin je crois ? » Oh que oui c’est du bon stress, l’adrénaline est très présente dans notre métier et si on veut réussir il faut apprendre à la gérer. « Si je pensais que tu n’étais pas prête je ne te le proposerai pas. » Jamais je ne prendrai un tel risque qui pourrait nuire à la réputation de l’Interlude qui est, mon premier bébé ne l’oublions pas. « C’est grisant comme sensation. Je suis à la fois extrêmement honorée qui tu m’accordes cette responsabilité et excitée de faire mes preuves…et en même temps je crains que l’Interlude ne finisse fermé des suites d’un service désastreux. » Je vois d’ici les titres des journaux en gros : Une revisite du croque-monsieur n’ayant pas plu aux clients : l’Interlude ferme. Je ris franchement en entendant sa réponse, pas un rire moqueur mais simplement sincèrement amusé. « Si à chaque fois qu’un service est compliqué ou désastreux le restaurant ferme, on aurait plus beaucoup de choix pour manger sur Brisbane. » Des services qui se sont mal déroulés, il y en a eu. Même à l’Interlude. Surtout au début. « J’ai un peu de mal à faire le tri dans toutes les pensées qui se bousculent dans ma tête…tu promets que tu restes pas loin ? » Cette fois c’est d’un air aussi sérieux que je ne le peux que je lui réponds. « Promis. » Je la regarde en lui prononçant ces mots lui montrant ainsi qu’elle pourra compter sur moi. « Je te lâcherai pas. » J’ai de toute façon toujours un œil sur les assiettes avant qu’elle ne parte en salle, par habitude et surtout par souci du détail et envie de la perfection. « Déjà on peut commencer la préparation ensemble si tu veux. » Bien que je compte la laisser faire le principal, c’est son idée, son plat et je veux qu’elle puisse découvrir le plaisir et la satisfaction de faire sortir des assiettes qui viennent d’elle et uniquement elle.
Though I guess that presupposes that there is a wine I wouldn’t drink. @Caleb Anderson
« Tu sais on a tous besoin d’un échappatoire, même quand on est vieux comme moi. » Elle ne put retenir un rire amusé et spontané. Elle avait tendance à considérer toutes les personnes plus âgées qu’elle (même de seulement quelques mois) comme des grabataires ; mais avait-elle déjà sous-entendu cela devant Caleb ? Elle aimait à croire qu’elle avait su faire preuve de suffisamment de discipline pour que cela ne soit pas le cas, mais ça n’était pas vraiment l’une de ses qualités principales (quelles étaient d’ailleurs ses qualités principales ? La question méritait d’être posée). « Mais…oui ça fonctionne toujours pour moi aujourd’hui. » Cette affirmation avait en revanche un côté rassurant. Comme si elle avait la certitude qu’à défaut de pouvoir compter sur son entourage, Theo aurait toujours une porte de sortie au travers du sport et de la cuisine. Sa curiosité n’avait par ailleurs pu s’empêcher de dévier quelque peu, l’amenant à se demander pour quelles raisons Caleb pouvait bien encore avoir besoin d’un échappatoire. Elle l’avait peut-être positionné sur un piédestal, mais sa vie lui semblait objectivement réussie et équilibrée d’un point de vue professionnel comme privé. Evidemment que si quelque chose n’allait pas, il n’allait pas le crier sur tous les toits. Encore moins auprès de l’oreille de son apprentie. Mais elle aimait à le considérer comme un modèle dont elle pourrait peut-être un jour s’approcher. « Ca me rassure de le savoir. J’ai hâte d’être aussi vieille que toi pour vérifier tout ça ! » Ha oui. Elle avait définitivement abandonné la discipline et le respect. Mais son sourire amusé faisait foi qu’elle avait pour une fois dit cela pour plaisanter et sans la moindre trace d’insolence. Comme quoi, tout arrivait. Mais les blagues étaient de courte durée et Theo s’était rapidement trouvée rattrapée par le stress de la tâche que Caleb avait choisi de lui confier. « Si je pensais que tu n’étais pas prête je ne te le proposerai pas. » Oui mais que se passait-il si ELLE pensait qu’elle n’était pas prête ? Considérant qu’elle aurait certainement tendance à se considérer comme incompétente jusqu’à la fin des temps face aux talents qui cohabitaient au sein de l’Interlude, elle ne pouvait qu’être une nouvelle fois reconnaissante envers Caleb de lui laisser sa chance. Mais bon dieu qu’est-ce qu’elle était stressée. Et si elle faisait tout foirer ? « Si à chaque fois qu’un service est compliqué ou désastreux le restaurant ferme, on aurait plus beaucoup de choix pour manger sur Brisbane. » Pas faux. Elle se rendait bien compte qu’elle ne faisait que repousser l’échéance avec ses incertitudes, mais elle remerciait intérieurement son mentor de prendre le temps d’abattre ses craintes les unes après les autres. « J’avais pas vu les choses comme ça, c’est vrai. C’est fou ce qu’on peut être aveugle quand on se laisse envahir par la panique, non ? » avait-elle demandé d’un ton mi angoissé, mi amusé. Elle tentait de faire ce qu’elle pouvait pour relativiser et se calmer. A défaut de pouvoir taper dans un sac de boxe, elle s’essayait à l’humour. Et puis Caleb venait de lui promettre de ne pas s’éloigner. « Je te lâcherai pas. » Elle l’avait fixé de longues secondes, silencieuse, avant de finir par hocher la tête et de prendre une profonde respiration, prête à se lancer. Elle l’espérait. « Déjà on peut commencer la préparation ensemble si tu veux. » Oui. Un bon début. Elle avait vivement acquiescé avant de se retourner pour se saisir de la farine pour préparer la pâte à pain…mais son mouvement trop ample avait envoyé immédiatement une assiette trainant sur un bord de comptoir valser par terre. Theo avait esquissé un geste en vain en direction du sol pour tenter de la rattraper avant la chute fatale…Peine perdue. La blonde contemplait à présent les tristes restes d’une très belle assiette. Elle avait relevé son visage en direction de Caleb. « Me vire pas pitié…. » puis s’était emparée d’un balais pour réparer ses bêtises. « Toujours sûr de ta décision ? » Une fois le sol nettoyé, elle avait rapidement récupéré les différents ingrédients pour préparer leur pâte à pain. Maintenant qu’elle était en mouvement, elle préférait ne plus s’arrêter par peur que cette décision soit définitive et anéantisse définitivement le peu de courage qu’elle avait trouvé pour préparer son plat. Si Caleb regrettait effectivement sa décision, il serait toujours temps pour lui de l’arrêter en plein vol. Elle irait bouder silencieusement dans un coin de la cuisine. « Tu as un ingrédient secret à me faire ajouter à la pâte pour qu’elle soit réussie ? » Des souvenirs lui revinrent instantanément en mémoire au moment où elle posa sa question. « Ma mère essayait souvent de me faire croire qu’un plat fait avec amour avait toujours meilleur goût… » quelle ironie quand elle n’avait en réalité que très peu de souvenirs de sa mère faisant la cuisine. Pas surprenant donc qu’elle ne se soit pas sentie particulièrement aimée en grandissant l’un dans l’autre. « …quelle connerie. L’amour pourra jamais rattraper un plat trop salé, si ? » Elle était pragmatique Theo. Et elle avait aussi un langage fleuri en toutes circonstances.
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« Ca me rassure de le savoir. J’ai hâte d’être aussi vieille que toi pour vérifier tout ça ! » Mon nez se fronce légèrement mais en même temps elle n’a pas vraiment tort, Theo. Je commence à vieillir et ce ne sont pas les cheveux blancs déjà présents sur mon crâne qui pourront prendre ma défense à ce sujet. Bien heureusement que je fais attention au ton léger dans sa voix quand elle me dit ces mots me montrant ainsi qu’il n’y a pas une once de méchanceté dans ses propos. Elle est encore jeune, Theodora et je me souviens de la passion et l’envie d’apprendre à son âge. Je voulais toujours tout savoir, tout maîtriser et il était pour moi hors de question qu’un de mes plats ou une recette tout droit sortie de mon imagination ne soit pas parfaite. Ça c’est encore un peu le cas aujourd’hui mais c’est sans aucun doute mon côté perfectionniste et exigeant avec moi-même qui ressort. Mais j’ai tendance à croire que sans ces traits-là de ma personnalité je n’aurais pas réussi à amener l’Interlude aussi loin. « J’avais pas vu les choses comme ça, c’est vrai. C’est fou ce qu’on peut être aveugle quand on se laisse envahir par la panique, non ? » On peut facilement déceler de l’amusement et aussi de l’angoisse dans sa voix ce qui est plutôt normal pour une jeune femme de vingt-et-un an qui vient d’apprendre que dans quelques heures les clients du restaurant gouteront au plat dont elle vient tout juste d’avoir l’idée. C’est stressant mais en même temps terriblement excitant. « Oui, je connais ce sentiment. » que je lui avoue un peu perdu dans mes pensées et dans les souvenirs de mes débuts en cuisine.
Theo a toute ma confiance mais je lui ai promis de ne pas la lâcher et d’être là pour elle et ça commence par la préparation de sa revisite du croque-monsieur. Je la laisse gérer, aujourd’hui c’est elle la cheffe et je suis son commis l’observant de loin pour ne pas être trop oppressant. Je la laisse gérer ne faisant même pas attention à l’assiette qui est envoyée par terre par un mouvement trop brusque de la jeune cuisinière. Mon regard suite la chute de la vaisselle et si j’aurais aimé la rattraper dans sa chute j’en suis trop loin mais Theo tente sa chance, en vain. « Me vire pas pitié…. » Je secoue la tête lui signifiant qu’une casse n’est pas si grave que ça. Elle nettoie, je la laisse faire. « Toujours sûr de ta décision ? » Si elle savait le nombre d’assiettes ou de verres que j’ai pu casser moi aussi. « C’est pas entièrement de ta faute, l’assiette n’avait rien à faire là. T’inquiètes pas, c’est pas grave. » Je n’étais pas très doué moi, à l’époque, de la casse j’en ai fait beaucoup mais aussi mon manque de confiance était tellement important qu’il m’empêchait de montrer ce dont j’étais vraiment capable. Le sol est entièrement nettoyé, les ingrédients de la pâte à pain déposés dans la machine. « Tu as un ingrédient secret à me faire ajouter à la pâte pour qu’elle soit réussie ? » Je secoue doucement la tête. « Le secret c’est de pas y aller trop vite pour le pétrissage. Règle la machine à vitesse moyenne au début et puis tu la baisses à vitesse plus légère. » Mais ça, elle le savait peut-être déjà. C’est en tout cas l’une des premières choses que l’on a revu lors de mon stage en France. « Ma mère essayait souvent de me faire croire qu’un plat fait avec amour avait toujours meilleur goût…quelle connerie. L’amour pourra jamais rattraper un plat trop salé, si ? » Je ris en écoutant son questionnement qui n’en est pas vraiment un mais pourtant je lui réponds quand même. « Techniquement non. » Il est difficile de rattraper un plat trop salé alors de l’amour ne pourra clairement y faire. « Mais oui, parce qu’il y a un mais. quand tu fais un plat avec amour tu y donnes plus d’attention et en général ça veut dire que tu veux vraiment le réussir, donc peut-être qu’il y a moins de chance pour que tu le loupes ? » C’est une simple théorie après tout. « La mienne aussi me disait ça. Ça doit être un truc de mère ? » que j’ajoute en lâchant un petit rire.
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Une assiette cassée, un regard paniqué et des suppliques plus tard, Theo était parvenue à retrouver son calme. La catastrophe n’avait pas été évitée, mais elle avait été nettoyée assez rapidement. « C’est pas entièrement de ta faute, l’assiette n’avait rien à faire là. T’inquiètes pas, c’est pas grave. » Elle lui était reconnaissante de la rassurer, mais elle savait que ça n’était ni la première ni la dernière assiette qui ne se trouverait pas à sa place. Et pourtant, le reste de l’équipe ne les faisait pas tomber pour autant. Theo était trop dure avec elle-même, pour la simple et bonne raison qu’elle ne voulait pas décevoir. Elle s’affairait à présent avec application à la préparation de la pâte, non s’en s’enquérir au passage d’un potentiel ingrédient secret qui lui permettrait assurément de réussir son plat sans plus qu’aucune fausse note ne vienne entacher la préparation avant le coup de feu. « Le secret c’est de pas y aller trop vite pour le pétrissage. Règle la machine à vitesse moyenne au début et puis tu la baisses à vitesse plus légère. » Tout en l’écoutant, elle jeta un coup d’œil à la vitesse de la machine qu’elle venait tout juste de régler. Elle hocha inconsciemment la tête : ok, tout était bon de ce côté-là. Pas de catastrophe en vue pour l’instant. « Techniquement non. » Elle osa quitter sa préparation du regard (craignant que celle-ci ne s’auto-détruise si elle cessait de la surveiller trop longtemps) pour reporter son attention sur Caleb. Ha ? Il y avait une suite à l’histoire. « Mais quand tu fais un plat avec amour tu y donnes plus d’attention et en général ça veut dire que tu veux vraiment le réussir, donc peut-être qu’il y a moins de chance pour que tu le loupes ? » Si c’était vrai alors elle était foutue. Comment une personne aussi énervée et révoltée qu’elle pouvait-elle être capable de mettre de l’amour dans son plat ? Elle n’était pas certaine de jamais être capable de pouvoir accorder ce sentiment à une personne…alors un objet inanimé ? « Je suis pas sûre d’être capable de donner de l’amour à l’une de mes préparations…mais je donne définitivement tout ce que j’ai niveau application. Et puis une grosse dose de stress, est-ce que ça ne compenserait pas une petite dose d’amour ? » Parce que pour le stress et l’application, il ne faisait aucun doute qu’elle était au taquet. Elle pouvait aussi ajouter toutes ses angoisses, ses peurs et ses craintes à la recette bien que Caleb ait réussi l’exploit de parvenir à les atténuer depuis le début de leur conversation. « La mienne aussi me disait ça. Ça doit être un truc de mère ? » Theo ne put retenir une expression dubitative et une légère grimace. « Certainement, j’imagine… » Son ton était loin d’être convaincant. Parce qu’il était effectivement possible que cette phrase fasse partie des clichés que les mères pouvaient dire à leur enfant. Et c’était précisément pour cette raison qu’elle était étonnée que May lui ait un jour dite. Parce qu’elle n’était pas ce qu’on pouvait appeler la mère parfaite aux yeux de sa fille. Et ça n’était pas ce qu’elle lui demandait car après tout elle était elle-même bien loin de la fille parfaite. Mais elle était malgré tout bien trop éloignée de l’image qu’on avait d’une mère. Pour la simple et bonne raison que Theo n'était pas certaine qu’elle ait jamais eu envie de le devenir et qu’elle avait passé la majeure partie de sa vie à se dire que sa présence n’était pas vraiment désirée. Et si elle n’irait jamais à justifier son comportement actuel et ses mauvaises décisions en mettant tout sur le dos de sa mère, une grande partie de sa personnalité restait toutefois très dépendante de ce ressenti. L’air absent, elle avait reporté son attention sur la machine, changeant mécaniquement la vitesse sans réellement réaliser ce qu’elle était en train de faire. Perdue dans ses pensées familiales, elle n’avait pu s’empêcher d’ajouter : « Du coup c’est étonnant que May ait un jour dit ça. Parce que les trucs de mère ça lui ressemble pas vraiment. » Tout comme appeler sa mère "maman" ne lui ressemblait pas à elle. Sa phrase avait été glissée un ton plus bas que le reste. Comme ne faisant plus vraiment partie de la discussion. Ne sachant pas si elle s’adressait à Caleb ou à elle-même.
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L’éternel pessimiste que je suis se transforme en son total opposé à chaque fois qu’il s’agit de rassurer quelqu’un ou se montrer comme étant une oreille attentive. Quand je suis celui qui se retrouve face à des problèmes ou des doutes j’ai toujours l’impression qu’il est impossible d’en sortir ou d’y trouver quelques petits points de lumière. J’ai toujours eu assez peu confiance en moi et en mes capacités ce qui explique sûrement ma tendance à broyer du noir à chaque étape de la vie difficile. S’il y a bien un trait de caractère que je semble partager avec Theodora c’est bel et bien l’exigence élevée qu’elle a pour elle-même. Pourtant elle est douée et je suis sûr qu’elle pourrait avoir un grand avenir dans la cuisine. Elle s’en veut quand elle fait tomber l’assiette : j’aurais fait pareil à son âge. Elle panique quand je lui propose de gérer seule le plat du jour ce midi lors du coup de feu : j’aurais également eu exactement la même réaction. C’est peut-être pour ça que je mets un point d’honneur à essayer de tout dédramatiser, je n’ai pas eu la chance d’être formé par des chefs compréhensifs et bienveillants et j’essaie donc d’apporter à l’apprentie ce que je n’ai pas pu avoir quand j’étais à sa place il y a plusieurs années de ça. « Je suis pas sûre d’être capable de donner de l’amour à l’une de mes préparations…mais je donne définitivement tout ce que j’ai niveau application. Et puis une grosse dose de stress, est-ce que ça ne compenserait pas une petite dose d’amour ? » Sa question me fait sourire parce qu’on peut sentir une vraie interrogation derrière celle-ci et c’est d’abord en levant les épaules que je lui apporter une première réponse avant d’ouvrir la bouche pour lui répondre. « Sûrement, oui. Et puis tu sais après tout, c’est peut-être des conneries ces histoires de mettre de l’amour dans son plat pour le rendre meilleur. » que je lui avoue d’un ton léger. Parce qu’on ne peut techniquement pas mettre un sentiment dans un plat alors finalement, ce n’est sûrement qu’un vieux mythe. Je ne doute de toute façon pas des capacités de Theodora pour sortir un plat délicieux ; elle s’applique totalement et elle a tellement envie de bien faire qu’elle semble même n’avoir pas de mal à se surpasser. Je ne connais pas très bien sa vie personnelle mais il me semble savoir qu’elle pratique des sports de combat et je me dis que dans ce genre de discipline savoir se dépasser être primordial, elle doit donc pouvoir appliquer ça dans la cuisine. « Certainement, j’imagine… » Je n’insiste pas, la laissant surtout se concentrer sur sa préparation. Et c’est finalement elle qui fait tout, ou presque. Je reste un peu en retrait pour la supervision et je pense surtout un acte de présence cruellement rassurant pour la jeune apprentie qui a du mal à assez confiance en ses talents culinaires. Mais elle a l’air absente maintenant, Theo. Je vois ses doigts pianoter sur la machine pour en changer la vitesse sans prêter attention à celle qu’elle venait de choisir. « Du coup c’est étonnant que May ait un jour dit ça. Parce que les trucs de mère ça lui ressemble pas vraiment. » Sans reproche je passe derrière elle pour adapter la vitesse dont la pâte va avoir besoin pour être parfaite. « May c’est ta mère ? » Je ne pense pas que cette question soit trop intrusive parce que c’est finalement elle qui vient d’en parler. Mes sourcils se froncent légèrement alors que je prends appui sur un plan de travail pour y poser mes coudes. « Je connais pas cette May mais tu sais un parent aime toujours ses enfants, même s’ils ne sont pas tous très doués pour le montrer. » Je peux me permettre de dire ce genre de chose ; je suis père moi aussi maintenant et même si je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi le sens de sa phrase il me semble important de lui dire ces quelques mots.
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Qui lui avait donc un jour dit de se concentrer sur sa respiration pour se détendre et prendre du recul face à une situation stressante ? Quel conseil désastreux. Elle respirait tout court, et c’était déjà une victoire en soi. La seule chose qui pouvait déstresser la blonde était un bon combat ou la possibilité de se défouler en cassant quelques objets sans importance. Une perspective compliquée au beau milieu d’une cuisine donc. « Sûrement, oui. Et puis tu sais après tout, c’est peut-être des conneries ces histoires de mettre de l’amour dans son plat pour le rendre meilleur. » Elle releva la tête vers Caleb, surprise par ses paroles, et resta silencieuse quelques secondes avant qu’un rire sincère ne lui échappe. Il se ralliait donc à son avis ? Le pensait-il vraiment ou bien la voyait-il si désespérée qu’il s’était résolu à abonder dans son sens pour tenter de la rasséréner ? Elle avait en tout cas envie de croire qu’il était lui aussi sincère. « C’est parti pour une bonne grosse dose de stress dans le plat du jour alors. On l’indique sur le menu en ingrédient mystère ? » Le dessert offert pour tout client qui devinerait ledit ingrédient : un bon coup marketing non ? Non pas que le restaurant en ait besoin puisque sa réputation le précédait et qu’il se remplissait sans difficulté. Et puis Theo avait divagué, gardant sa mission à l’esprit mais une partie de son cerveau s’étant égaré ailleurs, lui faisant faire des erreurs sans même s’en rendre compte. Le regard perdu dans le vide, elle avait entraperçu Caleb rectifier la vitesse du robot avant de remettre brutalement les pieds sur terre, lui adressant une légère grimace en guise d’excuse. La concentration. C’était ça l’ingrédient synonyme de réussite. Elle ne devait pas se laisser distraire si facilement. « May c’est ta mère ? » Elle hocha sobrement la tête, ses yeux restant cette fois-ci rivés sur sa préparation avec obstination. « Je connais pas cette May mais tu sais un parent aime toujours ses enfants, même s’ils ne sont pas tous très doués pour le montrer. » Elle se permit un coup d’œil rapide dans sa direction. Elle n’avait pas vraiment besoin de voir son visage pour entendre la sincérité dans sa voix. Il ne faisait aucun doute qu’il aimait ses enf ants, et elle en était déjà convaincue à la façon qu’il avait de se comporter avec elle et de la prendre sous son aile, de l’aider à avancer et à aller plus loin, à chaque jour s’améliorer. Un homme pareil ne pouvait qu’être aimant et attentionné envers ses enfants et toute sa famille. Mais en ce qui concernait sa mère à elle ? Rien n’était moins sûr. Elle était tout le contraire de Caleb et Theo n’avait pu retenir un sourire crispé. Ce genre de sourire que l’on affichait à la suite d’une mauvaise blague. « Elle est résolument pas très douée pour ça mais en plus… » Oh non. Elle ne devait pas se lancer dans un long soliloque. Pas maintenant. Pas alors qu’elle était censée réussir à cuisiner le plat du jour. Elle n’avait jamais envie de parler de sa mère. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi auprès de Caleb ? Peut-être parce qu’il avait été plus présent auprès d’elle et disponible en quelques mois que sa mère ne l’avait été durant les vingt-trois années de sa vie. « …en plus je suis pas sûre qu’elle ait jamais eu envie de devenir parent. » Partant de là, la situation ne pouvait qu’être compliquée. C’était sa manière détournée à elle de lui faire savoir qu’elle n’avait pas été prévue dans la vie de ses parents et qu’elle remettait souvent en question la place qu’elle occupait au quotidien dans la vie de sa mère. Elles ne se parlaient pas énormément, et pourtant elle avait l’impression d’avoir toujours été et d’être encore aujourd’hui de trop pour cette mère qui, à ses yeux, avait fait passer sa vie professionnelle avant sa vie de famille. La recette gagnante pour pondre une blonde sarcastique, butée et colérique qui avait toujours du mal à accepter et exprimer ses sentiments calmement.
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Les responsabilités, l’adrénaline, le stress, je me souviens de toutes ces choses que j’ai ressenties quand j’ai commencé dans la cuisine. L’adrénaline parce qu’il faut faire les choses vite et bien afin que tous les clients soient servis en temps et en heure dans un délai de temps plus que correct. La pression et l’agitation qui règnent dans une cuisine en pleine heure de pointe, tout le monde n’est pas fait pour ça tout le monde n’arrive pas à gérer ses émotions. Ça s’apprend mais pour avoir accueilli Theo au sien de l’Interlude il y a déjà un petit moment j’ai pu observer plusieurs choses qui me montrent qu’elle en est capable. Les responsabilités parce qu’en tant que chef – et en plus, patron – si un plat ne plait pas, si un client sort de table sans être gustativement satisfait, c’est notre nom qui ressort. La cuisine n’est pas un milieu facile et pour une personne angoissée comme moi c’est très étonnant que je m’y sente si bien. Parce que j’ai l’impression d’être chez moi et dans mon élément quand je cuisine et peut-être également que malgré tout le stress et les poussées d’adrénaline tout ça m’apporte une certaine sérénité dont j’ai cruellement besoin. « C’est parti pour une bonne grosse dose de stress dans le plat du jour alors. On l’indique sur le menu en ingrédient mystère ? » Vendre un repas comme ayant été stressant et angoissant à préparer est certainement le pire coup de marketing possible et je doute que cela donne envie aux clients d’y goûter. Mais après tout le stress ressenti par Theo est totalement naturel voire même humain et il est même presque rassurant de la voir ainsi plutôt que partir trop confiante ; un excès de confiance est toujours une vraie catastrophe. « Et le dessert gratuit pour toutes les personnes trouvant cet ingrédient secret. Ou bien une bouteille de vin offerte lors de la prochaine visite. » Au moins cette option pousserait les clients à revenir une prochaine fois. Même si finalement, le dessert gratuit lors de la prochaine visite serait sans doute plus judicieux, tout le monde n’apprécie pas le vin.
Notre discussion prend une tournure plus qu’inattendue. Theo est quelqu’un de réservée elle ne parle pas beaucoup de sa famille ou de sa vie personnelle ce que je respecte totalement mais aujourd’hui le nom de sa mère s’invite dans la conversation. Elle ne parle pas de sa mère un sourire aux lèvres, elle ne parle pas d’elle pour me raconter une anecdote amusante mais j’ai presque l’impression de sentir une pointe de tristesse dans sa voix ce qui m’attriste énormément. Le sourire qu’elle affiche en dit long, elle n’a même pas besoin de parler pour que je comprenne que sa relation avec sa mère n’est pas la plus jolie ou la plus approfondie. « Elle est résolument pas très douée pour ça mais en plus… » Mais en plus ? J’ai l’impression qu’elle a envie de parler un peu plus, qu’elle en a lourd sur le cœur et qu’elle a besoin de déposer ce qui la pèse tant. Mais je ne la pousse pas à la discussion, je ne l’oblige pas à me parler je ne l’oblige pas à m’en dire plus. Sa phrase non terminée reste en suspens mais c’est avec un regard bienveillant que je l’invite à continuer si elle le souhaite. « …en plus je suis pas sûre qu’elle ait jamais eu envie de devenir parent. » J’ai eu la chance d’avoir des parents aimants, une mère exigeante mais qui aime ses enfants un père présent et attentif aux besoins de ses progénitures. Alors je ne peux pas comprendre le ressenti de la jeune fille mais je sais que ma femme a eu le même ressenti vis-à-vis de ses parents et que grandir sans amour peut s’avérer difficile. « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? » En espérant que ma question ne soit pas trop personnelle, en tout cas. « Tu sais dans ma famille on a jamais été du genre à exprimer ses sentiments mais…quand j’ai vu pour la première fois Lucy et Lena l’amour que j’ai ressenti pour elles s’est directement décuplé. Ce que je veux dire c’est que même si elle ne te le dit pas, ou si elle a du mal à te le montrer elle t’aime sûrement. À sa manière. » Même si après tout je ne la connais pas, mais ne pas aimer ses enfants me paraît juste impossible.
Though I guess that presupposes that there is a wine I wouldn’t drink. @Caleb Anderson
Theo était bien consciente du fait qu’elle avait tendance à avoir recours à l’humour (à défaut de pouvoir utiliser ses poings. Cela ne semblait pas très adapté en contexte professionnel) pour dédramatiser des situations dans lesquelles elle ne se sentait pas à l’aise. Elle ne s’attendait toutefois pas à ce que Caleb rentre dans son jeu : « Et le dessert gratuit pour toutes les personnes trouvant cet ingrédient secret. Ou bien une bouteille de vin offerte lors de la prochaine visite. » Elle stoppa son geste pour le regarder silencieusement, les sourcils arqués et toute son expression reflétant son étonnement. « Je savais que je faisais bien de travailler ici. » Enfin qu’elle avait de la chance que Caleb la laisse travailler ici plutôt. « Je trouve que c’est une excellente idée, il y a peut-être quelque chose à exploiter ? » Quelque chose d’un peu plus positif, sans parler d’ingrédient mystère synonyme de stress. Mais pour l’heure elle s’était remise au travail un sourire aux lèvres, bien consciente de la chance qu’elle avait d’avoir ce mentor à ses côtés. Peut-être était-ce grâce à cette réalisation qu’elle avait fini par se confier un peu plus, s’aventurant sur un sujet pour lequel très peu de personnes parvenaient à lui soutirer des informations : sa famille. Et pourtant Caleb n’avait en rien cherché à lui soutirer quoique ce soit. Et bien qu’il pose les bonnes questions pour qu’elle aille plus loin dans sa réflexion, il ne l’avait pas initialement invitée à partager ses plus noirs secrets. Il s’était contenté d’être là, de lui prêter main forte, de lui faire confiance, et de continuer à répondre présent maintenant qu’elle avait besoin d’une oreille pour l’écouter. Theo continuait d’ailleurs de parler sans même se rendre compte qu’elle avait justement davantage besoin d’évacuer qu’elle ne l’imaginait. Elle gardait toujours tout pour elle, enfoui au fin fond de sa tête dans un espace qui commençait sérieusement à devenir trop exigu pour tout ce qu’il contenait actuellement. Mais ça ne l’empêchait pas de continuer inconsciemment à se poser des questions et à nourrir des rancœurs qui n'auraient eu aucune raisons d’exister si elle avait su s’ouvrir et discuter. « Qu’est-ce qui te fait dire ça ? » Absorbée par ce qu’elle était en train de faire, elle ne réalisait pas bien ce qui était en train de se jouer entre elle et Caleb. La blonde avait toujours la ferme impression d’être concentrée sur ce qu’elle était en train de faire pour mener à bien la mission que Caleb lui avait confiée, et pourtant son esprit divaguait complètement et sa langue se déliait. « J’étais pas prévue. Elle était vraiment super jeune quand elle m’a eue. » « Tu sais dans ma famille on a jamais été du genre à exprimer ses sentiments mais…quand j’ai vu pour la première fois Lucy et Lena l’amour que j’ai ressenti pour elles s’est directement décuplé. Ce que je veux dire c’est que même si elle ne te le dit pas, ou si elle a du mal à te le montrer elle t’aime sûrement. À sa manière. » C’est cette parenthèse qui lui fit prendre pleinement conscience de la conversation qu’ils étaient en train d’avoir. Elle se stoppa dans son mouvement pour se tourner à nouveau vers lui, l’air médusé en réalisant qu’elle était en train de parler de sa vie privée. A son chef. Sur son lieu de travail. Y avait-il moins approprié et moins professionnel que ça ? Adieu l’image de la (presque) parfaite apprentie qu’elle tentait de refléter. Bonjour la fille unique mal-aimée aux problèmes existentiels bien ancrés. Et puis elle prit le temps d’entendre et d’écouter ce qu’il venait de lui confier à son tour. Une grimace crispée étira ses lèvres avant de finalement se transformer en sourire à la fois attendri et triste. Elle aurait donné cher pour avoir l’impression que sa mère la regardait comme Caleb regardait ses enfants. « Elles ont énormément de chance d’avoir un père comme toi, et je pense qu’elles doivent déjà le savoir. » mais ? Au point où elle en était, que risquait-elle a vraiment dire ce qu’elle avait sur le cœur au sujet de sa relation avec May ? « Sa manière de m’aimer m’a toujours donné l’impression de ne pas être désirée et d’être la source de beaucoup de regrets. Je l’ai jamais directement confrontée au sujet de ce ressenti mais ça reste…très dur à porter. » Elle resta silencieuse quelques secondes encore, la portée de ses propres mots raisonnant en elle. Puis elle soupira simplement avant d’hausser les épaules comme pour signifier qu’elle s’était faite une raison face à cette sorte de fatalité et à son impuissance.