Ce n’est pas franchement de cette façon que la rencontre de Jordan avec ta famille aurait dû se passer. Ce n’est pas comme ça que les choses auraient dû se dérouler. Mais c’est ainsi qu’elles se poursuivent. Elles te donnent le souffle nécessaire pour combler un manque et un mal intérieur qui va te ronger et te poursuivre pendant longtemps. Sûrement à tout jamais. Pour l’instant, tu as l’impression que Jordan est ton unique souffle d’air, une bulle agréable qui te fait (presque) oublier ce qu’il s’est passé à l’extérieur. Le déni et la confusion sont puissants, ils sont aussi logiques vu le traumatisme. Mais Jordan t’offre un échappatoir, un monde parallèle que seuls ses bras peuvent t’apporter. Tu préfères te concentrer sur lui, sur ses baisers contre toi, sur sa façon toute douce d’être avec toi. Il est juste là et c’est ce qui compte.

« Can I kiss you more…? » La confusion se lit presque sur tes lèvres car tu ne comprends pas pourquoi il te demande ça. Il peut sans te le demander, non ? Ou pas ? Tu es confuse, aussi bien par ce que vous êtes en train de former qui n’a aucune entité pour l’instant car tout s’est passé si vite, mais aussi parce que sa requête est intrigante et tu ne vois pas où il veut en venir. « Or not… We can just… Kiss like we just did… » Seulement, ton cœur a l’air de comprendre avant ta tête, là, car il tourbillonne en loopings dans ta poitrine. Est-ce que c’est parce que t’es si émotionnelle depuis la veille que tu ressens si fort les choses ? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais en guise de réponse, ta main passe de son cou à sa joue et ta bouche s’approche de la sienne. Si tu es sage au début, tu finis par entamer ce baiser qu’il semble quémender. T’appréhendes un peu au moment où ta langue frôle la sienne, tes paupières closes laissant entrevoir des flashs de la veille. Des cris, surtout, au loin, que tu n’entendais pas vraiment car engourdie par Jordan. Jordan contre qui tu t'appliques à accentuer un peu plus votre baiser. Tu veux oublier, tu ne veux te laisser submerger que par ton affection, ton attachement à lui. I think I’m in love. Est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est un fantasme ? Seul l’avenir le dira. Mais ton coeur, lui, n’arrête pas ses loopings alors que tu continues la danse de vos lippes et de vos langues. Kiss me more, kill me with your kisses…

Tu vois la confusion sur ses traits et tu te reprends bien vite. Pas que tu sois presser d’aller un poil plus loin déjà mais à ton sens c’est pas grand chose. Sauf que y’a les souvenirs accrochés à ce même geste et tu te sens presque coupable de vouloir la presser c’est juste que… t’as envie et ça te changera totalement les idées. Tu t’es trop attaché à elle et ton corps d’adolescent parle plus pour toi que ta conscience. Tu te dis que c’est mort mais voilà que sa main va se placer sur ta joue et ses lèvres sur les tiennes. Elle te donne ce que tu as demandé… tu crois. Car elle commence doucement mais tu as la sensation qu’elle y va bien dans cette direction. Et c’est le cas. Quand tu retrouves la chaleur de sa langue contre la tienne tu sens un frisson te parcourir le corps. Tes bras qui se serrent un peu plus autour d’elle comme si tu voulais la retenir dans ce baiser que tu t’appliques à répondre avec douceur même s’il est un peu plus amplifié. Tu essaies avec force de ne pas repenser à l’autre soir qui est aussi votre premier et unique gros baiser jusqu’à maintenant.

Tu n’oses pas le faire durer trop longtemps. Tu te détaches pour la regarder. « You’re okay?  » Tu murmures. Tu n’as clairement pas envie qu’elle aille au delà de ses possibilités. Tes mains qui caressent doucement son dos et sa cuisse comme pour déjà t’excuser si jamais elle n’est pas ok. Ton cœur bat si vite… Ta tête n’arrête pas de se demander pourquoi tout est toujours compliqué quand tu t’entiches de quelqu’un. C’est tellement pas juste. T’as jamais demandé à naître et y’a toutes ces merdes hors de ton contrôle qui te tombent sur le coin de la figure depuis que tu as vu le jour.

Le petit oiseau n’a pas les mots pour tout ce qui se passe en elle. Il y a la désolation qui rôde toujours mais à ce moment précis, dans les bras de Jordan qui resserrent autant que le baiser qui s’accentue de la plus agréable des manières, il y a autre chose. Il est ton remède, ton apaisement, ta lumière au milieu du chaos. Tu n’en as pas conscience, tu ne réalises pas, tout est si confus, tout est arrivé si vite et tout continue à tourner sans s’arrêter. Dans le bon comme le mauvais, sans savoir ce qui prend le dessus de l’autre. L’oiseau espère que le bon va revenir, que tu vas te réveiller de ce cauchemar - qui a un doux goût de rêve alors que ta langue caresse celle de Jordan avec appétit. Oh ironie de ne pas avoir faim de nourriture mais d'avoir faim de lui. De sa présence, de ses baisers dont tu ne vas plus savoir comment t’en passer. Pire qu’une addiction, meilleure qu’une drogue, est-ce que c’est comme ça qu’on tombe amoureuse ? Tu es prête à t’y laisser engloutir avec bonheur si ça te permet d’oublier. Chose que tu peines encore à faire ceci dit car ce n’est que votre deuxième vrai baiser et qu’il a un goût spécial malgré tout. Les souvenirs affluent mais… Mais il suffit que vous vous embrassez plusieurs fois pour que ça finisse par s’apaiser. N’est-ce pas ?

C’est Jordan qui s’éloigne et tu ne bouges quasiment pas, les paupières toujours closes, alors que tu tentes de comprendre. Il y a de l’humidité au bord de tes yeux, tu la sens, mais tu te force à les ravaler. « You’re okay? » T’y arrives pas, évidemment que t’y arrives pas. La respiration saccadée, la langue passant sur tes lèvres, tu secoues fébrilement la tête. “Perfectly fine.” just trying to figure out if I want to cry or express how much I might love you. Parce qu’adolescente que tu es, tu penses que c’est ça. Tu es en train de vivre la détresse et l’amour en même temps. C’est cohérent à tes yeux. Cette envie qu’il t’étouffe d’absolument tout. Tes prunelles qui se révèlent enfin, de très fines larmes en tombant, peu mais présentes, mais aussi un léger sourire alors que ton pouce caresse sa joue. “I don’t wanna stop kissing you…” Tu espères que Jordan ne va pas se laisser fourvoyer par la brève humidité de tes joues - la traîtrise de ton corps. Ce n’est pas à cause de lui. Tes yeux et ta tête pleurent ton amie mais ton coeur, lui, il danse pour Jordan. Tu le sens. Tu ne veux pas qu’il se fourvoie. Keep going, Jordan, please, I need you.

Birdie a l’air pas mal à cran et ton coeur bat vite mais c’est parce que tu as peur d’avoir fait quelque chose qu’il ne fallait pas. Est-ce qu’elle est en train de faire une crise de panique ? Elle respire fort. Mais elle fait signe que oui. Ca va. “Perfectly fine.” Et elle dit ça en plus pour que tu l’entendes et elle a bien fait parce que vu les larmes dans ses yeux quand les ouvre enfin… Tu sais pas trop ce que tu dois croire. Are you sure you’re fine? T’es inquiet pour elle et tu sais qu’il va falloir de la patience pour bien des choses là. La tragédie est trop fraiche dans vos esprits. Heureusement y’a un sourire qui s’affiche sur son trop beau visage et tu te sens rassuré. Elle vient caresser ta joue également. “I don’t wanna stop kissing you…” Oh. Ca c’est une très bonne chose. Une très très bonne réponse. « This is… Great. » Tu es maladroit, tu es juste soulagé et très heureux.

Tu vas poser tes deux mains sur ses joues pour les essuyer ses larmes de tes pouces doucement. Ton visage qui se rapproche ensuite du siens pour embrasser une de ses pommettes. Puis l’autre. Pour terminer sur ses lèvres avant de glisser de nouveau tes bras autour d’elle plutôt que sur son visage. I don’t want to stop kissing you either… Car plus tu le fais, plus tu te rends compte que sa proximité te fait du bien… Et plus tu espères fort que le pire est déjà derrière vous. Qu’est ce qui pourrait être pire que ce qu’il s’est passé de toute façon ? Tu ne sais pas non. A part que toi ou elle meurt. Ou d’autres morts qui sont proches… Ce que tu ne souhaites pour rien au monde. Ce que tu souhaites et elle aussi c’est vos langues qui se mélangent et tu fais durer ce baiser là cette fois ci. Un joli baiser tel les deux ado que vous êtes, essayant d’oublier les problèmes avec l’amour que vous vous portez.

« This is… Great. » Ton sourire se fait presque amusé par sa réponse qui l’est dans toute sa maladresse. Le contraire aurait surpris et étonné vu son empressement à vouloir passer sa vie sur tes lèvres. Ce dont tu ne vois aucun inconvénient majeur. Au contraire. Bien au contraire. Tu le réclames de toutes tes forces. Silencieusement mais ça se sent dans ta façon de garder tes mains sur lui, d’agripper ses doigts avant qu’il les enlève pour les poser sur ton visage. Tu espères que le karma va être doux avec vous parce que vous n’avez rien fait qui mériterait qu’on s’acharne autant. Le sort devrait s’acharner sur Iris et tu n’en possèdes aucun remords, aucun scrupule.

Les caresses de Jordan suivi de ses baisers sur ton visage, sur tes joues agissent toujours comme des douceurs apaisantes. Tu fermes de nouveau les yeux en expirant un léger souffle, comme si c’est la seule façon pour toi d’ôter toutes ces mauvaises ondes qui peuvent t’envahir. Jordan les tient à distance par sa présence, par son affection. Par son amitié. Est-ce que c’est le terme adéquat alors qu’il vient prendre possession de ta bouche une nouvelle fois ? Ce n’est pas le goût ni la saveur de l’amitié, ça. Mais en tout cas, tu plonges de nouveau sans regarder en arrière, profitant de tout ce qu’il te donne et, surtout, tout ce qu’il te fait ressentir. Un certain bien être, une petite euphorie, une tendresse inavouée, une bouée de sauvetage en pleine mer.

Tu ignores combien de temps vous restez dans le tracteur à vous embrasser, parler brièvement et juste profiter de la compagnie de l'autre mais quand tu relèves la tête de l’épaule de Jordan, le soleil est en train de partir de l’autre côté du globe. L’avantage de l’été, les journées sont longues. Le paysage est beau à Elimbah. “Est-ce que t’as faim ?” Parce que toi, pas vraiment, mais il va bien falloir que tu te nourrisses un moment ou un autre. Tu n’as rien avalé depuis le bal et si tu n’en ressens pas le besoin, ton estomac grommelle le contraire. Technique de fourbe que de demander à Jordan son avis, que tu suivras quoi qu’il choississe.

Elle sourit de plus en plus et t’es content de la voir sous ce jour là. Tu retournes l’embrasser en la gardant contre toi car si elle ne veut pas s’arrêter, tu vas lui donner ce qu’elle désire. Tu espères que c’est un bel échappatoire pour elle aussi. Comme ça vous êtes dans la même optique pour vous changer les idées ensemble jusqu’à la fin des temps. Et que cette fin soit le plus loin possible.

“Est-ce que t’as faim ?” Tu réfléchis plus par politesse qu’autre chose car la réponse est toujours la même en réalité. « Nan… » T’es bien là contre elle dans ce tracteur. Tu ignores si ses soeurs et son frère sont venu dans le coin pour essayer de vérifier ce que vous êtes en train de faire. Vous faites rien de bien méchant. Tu gardes tes mains à des endroits appropriés. Y’a juste ta langue et tes lèvres qui sont dans sa bouche ou sur son visage entre deux câlins et conversations pour ton plus grand plaisir.

******

Deux jours plus tard,  une veillée a été organisé au lycée. Tu n’as pas remis les pieds au lycée et tu as promis à Birdie que tu serais là naturellement. Tu as un léger contre temps et quand tu arrives enfin sur le lieux de la veillée tu trouves le dos de ton oiseau très facilement parmi tout le monde. Tu accélères le pas. Tu as une vingtaine de minutes de retard sur l’horaires que vous aviez dit. Tu restes silencieux car tout le monde est en train de payer ses respects aux défunts. Tu glisses tes bras autour de Birdie, collant ton torse à son dos et tes lèvres trouvant sa joue bien rapidement. « Sorry… My manager has been an ass today. » Tu murmures tout tout tout bas, tu ne veux pas déranger quoi que ce soit. Ton boss t’a retenu alors que tu avais prévenu que tu devais partir à l’heure. Tu as une veste en jeans sur toi avec un t-shirt blanc - tâché - à l’effigie du dinner. L’uniforme de travail ce t-shirt.

Se séparer de lui avait été dur. Retourner au lycée l’avait été encore plus. Tu es restée toute la matinée dans les toilettes à pleurer. Et l'après-midi, tu l’as passé dans le parc à côté. A errer, à regarder le vide, à sentir beaucoup trop et rien à la fois. Tu es restée car il y a une veillée prévue après la journée. Sinon, tu aurais déjà rebroussé chemin jusqu’à Elimbah. Autant dire que tu ne prendras sûrement pas la peine de te déplacer pour le reste des cours restants. C’est la fin de l’année, de toute façon. Les examens sont passés, à quoi bon venir ? Tu n’as pas la tête à rester penchée sur des devoirs quand l’établissement est encore un lieu d’horreur à tes yeux. Ils ont réussi à tout remettre en place, à l’école. Mais les souvenirs sont impérissables.

Il a dit qu’il serait là. Mais il ne l’est pas et plus le temps passe, plus tu perds espoir de le voir lui aussi. Le sentiment d’abandon est énorme. Tu n’arrêtes pas de pleurer. Tu t’en fous que tu n’es pas à l’aise de le faire en public ; là, y’a rien qui compte. Tes yeux ne quittent pas la photo de Rebecca et ton cœur se brise mille fois à chaque minute qui passe. Jordan n’est pas là et tu n’as personne vers qui te tourner. Tu te sens cruellement seule, laissée à l’abandon, comme un petit animal dont on ne veut plus. Ce n’est pas très juste mais tu n’as pas les idées cohérentes.

Jusqu’à ce que tu sentes des bras s’enrouler autour de toi, un torse se coller et des lèvres embrasser ta joue. « Sorry… My manager has been an ass today. » Enfin, enfin, enfin, que tu répètes dans ta tête. Putain, il est là. Pour une chose, dans un autre état d’esprit, tu l’aurais engueulé. Mais là, tu te contentes de passer tes bras par-dessus les siens et de blottir un peu plus contre la forme de Jordan qui t’a cruellement manqué. “You’re finally here…” Tu souffles dans un soupir apaisé, tes paupières s’abaissant sur tes yeux rougis. “I was scared you didn’t want to come anymore.” Tu bredouilles doucement. Il est là, il est là, tout va un peu mieux. Juste un peu.

“You’re finally here…” Tu aurais dû partir plus tôt. Tu t’en veux de l’avoir fait attendre. C’était clairement pas le moment et tu la sens encore plus petite que d’habitude dans tes bras. Elle se colle à toi, ses bras sur les tiens et tu la gardes avec toute ta douceur possible. Ton geste est possessif et tu voudrais pouvoir la protéger encore mieux que ça. “I was scared you didn’t want to come anymore.” Tu fais non de la tête même si elle ne peut pas te voir de là, ton nez est sur le dessus de sa tête, elle peut sentir ton mouvement. « I’m here… Sorry… » Elle est bien plus importante que ton job, tu aurais dû partir sans attendre. Jamais tu n’aurais osé la laisser seule pour cet évènement là. Tu es déjà impressionné qu’elle soit de nouveau dans l’enceinte du lycée. C’est beaucoup. Le danger n’est plus mais les souvenirs seront éternels.

Y’a quelques regards sur vous deux alors que vous êtes enlacés comme deux anguilles. Tes lèvres qui embrassent le dessus de sa tête encore et encore. C’est vrai que vous n’avez pas été affiché ensemble ici depuis que vous avez commencé à être plus que juste des amis. Tu en as clairement rien à faire d’être un divertissement pour certains. Tu ne penses qu’au bien être de Birdie. Tu murmures doucement à son oreille. « I’m gonna go lit a candle… » Tu déposes un baiser sur sa joue. Tu ne sais pas si elle a envie ou si elle y a pensé mais toi tu veux le faire. Pour elle, pour Rebecca, pour tous ceux qui ont perdu la vie ce jour là. Tu prends peut être ce rôle sur les épaules pour épargner Birdie de devoir bouger. Elle est bouleversé, tu le sens, tu le vois, tu l’entends. Tu veux faire le plus possible pour elle même si t’as aucune idée si y’a réellement quelque chose qui peut l’aider vu l’horreur de la situation. Ta phrase était aussi une sorte d’avertissement que tu vas te détacher d’elle pendant quelques instants. Elle peut venir avec toi également. Mais tu ne seras pas loin dans tous les cas… Tu seras toujours dans son champ de vision.

« I’m here… Sorry… » Ca a été si dur sans toi, sans elle, sans personne. Mais Jordan a une vie, il a une existance qui lui est propre, avec des responsabilités et il va bien falloir que tu apprennes à gérer comme une grande, et toute seule. Tu as l’impression de revenir à la case départ, avant ta rencontre avec Rebecca. Où tu n’étais qu’une originale dont on se moquait. Est-ce que tu vas vraiment avoir les nerfs et le courage d’affronter tout ça avec le même aplomb qu’auparavant ? Rien n’est moins sûr. Il n’y a qu’à voir à quel point t’es complètement recroquevillée contre Jordan. Tu ne vois pas les regards sur vous car t’en as à rien à foutre.

Tu préfères te focaliser sur l’étreinte de Jordan ainsi que ses baisers que tu sens s’éparpiller sur tes cheveux. « I’m gonna go lit a candle… » C’est touchant de sa part. Tu n’en vois pas l’utilité car ça n’aidera pas les morts à revenir mais tu hoches la tête alors qu’il embrasse ta joue et commence à ôter ses bras de toi. Tu le laisses partir vers les bougies, tes yeux ne le quittant pas d’un instant. Tu profites pleinement de sa présence même visuelle autant que tu peux.

“Birdie…” Par contre, celle d’Iris dont tu entends la voix avant de voir la forme, tu t’en serai bien passée. Ta main se serre un peu plus contre ton bras que tu as croisé contre toi alors que tu persistes à garder la tête baissée. “Birdie, je sais que tu ne veux pas me voir mais je… Je suis désolée.” Faites-la taire, faites-la taire. Jusqu’à présent elle savait très bien t’ignorer, pourquoi est-ce qu’elle ne le fait pas aujourd’hui plus que n’importe quel autre jour. “Va-t’en, Iris.” Que tu marmonnes à voix basse. “Je voulais juste que tu saches que je m’en veux. Je n’ai jamais voulu que ça arrive.” Tu mords ta lèvre. "Dégages.” Mais Iris persiste et elle commence même à poser sa main sur ton épaule. “Je suis désolée.” Et là, tu vrilles. “JE T’AI DIT DE DÉGAGER, ESPACE DE POUFFIASSE!” Et tu la gifles sans pouvoir te retenir, pas plus que l’intonation vive et forte de ta voix alors que t’es prête à l’attaquer encore plus. “C’est de ta faute, c’est entièrement de ta faute! C’est toi qui aurais dû y rester, elle le méritait pas!”

Tu allumes la bougie et même si tu veux faire ça rapidement pour retourner aux côtés de Birdie, tu prends le temps. Tu l’allumes pour Rebecca et tous les autres qui sont parti y’a quelques jours. Tu l’allumes aussi pour tes proches qui sont partis trop tôt. Tu penses surtout à eux et à Birdie. Elle est pas décédée dieu merci mais tu ne peux juste pas t’empêcher de penser à elle et à lui souhaiter d’aller mieux et que du bon parce qu’elle est trop jeune pour déjà être brisée… Tu espères que tu reverras celle qui avait osé t’embrasser la joue sur la plage y’a une année de ça… Il y a une éternité.“JE T’AI DIT DE DÉGAGER, ESPACE DE POUFFIASSE!” Tu te retournes en entendant ces cris déchirants et tu es déjà en chemin pour la retrouver. Tu la vois la claque. “C’est de ta faute, c’est entièrement de ta faute! C’est toi qui aurais dû y rester, elle le méritait pas!” Tu attrapes Birdie comme si elle n’était qu’une marionnette. Elle est si petite, c’est simple et l’intensité du moment décuple tes forces si jamais elle cherche à se débattre.

Tu t’éloignes de tout le monde en gardant Birdie contre toi, la portant toujours. Quand vous êtes assez éloignés tu la reposes par terre pour la prendre mieux dans tes bras. Tu restes silencieux mais ton coeur se brise toujours un peu plus quand tu vois la détresse de Birdie. Tu lui laisses tout le temps qu’elle veut pour se calmer ou pour quoi que ce soit. Vous êtes pas loin du stade de rugby, vos pieds dans l’herbe. Tu voudrais t’assoir par terre mais tu n’oses rien encore. Tu voudrais aussi partir plus loin du lycée mais encore une fois, tu préfères attendre après elle, qu’elle se calme… Si ça arrive, ce que tu espères fortement. Tu ne comptes pas la décoller de toi si elle ne le fait pas elle. Tu ne comptes pas arrêter de lui donner de la douceur et de l’amour. Ton coeur bat si vite dans ta poitrine. Ta mine est triste… C’est dur de voir quelqu’un qu’on aime souffrir.

Tu n’es rien. Iris encore moins. Vous n’êtes absolument rien sur l’échelle mondiale. Qu’une accumulation d'atomes forme quelque chose qui parle, marche, agit, réfléchit. Enfin, sauf Iris. Cette espèce de garce, de pourriture de première, petite prétentieuse à la noix qui fait genre elle est désolée. Tu espères qu’elle a la mort de Rebecca sur la conscience parce que c’est de sa faute, entièrement et simplement. Tu as envie d’exploser son nez, de lui faire mordre la poussière - this isn’t you, this isn’t you, mais là maintenant, si, c’est toi. C’est toi dans ta forme la plus naturelle, la plus sauvage. Celle qui ne se retient pas. Qui veut jouer le juge, le jury et le bourreau. Tu veux t’occuper de son cas. La faire à tout jamais comme elle l’a fait avec Rebecca.

Mais on t’en empêche. Des bras viennent te prendre et te décoler du sol alors que t’es focalisée sur cette pouffiasse. Tu continues de l’insulter, de la menacer, de cracher ton venin même à distance. Tu as la fureur dans les yeux. Tu tapes même du poing sur Jordan en même temps que des larmes commencent à fuser. Lui qui t'emmène loin. Loin des regards curieux, de ceux de pitié, de ceux de jugement. “Je veux la buter, je veux la buter, elle mérite pas d’être en vie!” Tu continues à t’égosiller même quand il te pose, même quand il t’enveloppe dans son étreinte. Jordan ne dit rien. Mais il a pitié de toi, lui aussi. Tu te remets à pleurer. Doucement alors que tu le frappes au torse car il aurait dû te laisser, t’en aurais fait qu’une bouchée. Mais tu finis par avoir les forces qui s’épuisent. Ton front contre le tronc de Jordan, tes paupières closes, tu te remets à pleurer. De longues secondes avant que tu tapes du pied par terre et passe tes mains sur ton visage. “Putain, fais chier, merde!” T’en veux à la terre entière, mais surtout à Iris. Plus jamais elle ne doit croiser ta route. Ou sinon, elle finit encastrée dans un mur. Et ce n’est même pas qu’une image.

“Je veux la buter, je veux la buter, elle mérite pas d’être en vie!” Tu cherches pas à la calmer réellement ou à l’arrêter. Tu veux juste pas que Iris se prenne des coups alors qu’au fond tu sais bien que ce n’est pas de sa faute à elle. Tu cherches réellement pas à imaginer son état d’esprit à elle, t’as assez dans ta tête entre toi et tout ton amour pour Birdie. Birdie qui te brise le coeur à chaque fois que tu la vois dans une rage folle comme là. T’en as rien à foutre de Iris, t’en as jamais rien eu à foutre, ça va pas changer aujourd’hui nope. Ce sur quoi tu t’attardes c’est que Birdie ne se retrouve pas à être une bête de foire avec son étalage devant tout le monde. Tu fais pour elle ce que tu aimerais qu’on fasse pour toi si tu étais à sa place car le ciel sait que tu pourrais l’être. Péter des cables, vriller comme ça, t’as déjà goûté, tu recommandes pas.

Ton oiseau se met à pleurer et tes yeux se ferment alors que ton coeur se brise par milliers de nouveau. Elle te met quelques coups que tu encaisses sans problème. Tu comprends. Tu espères que ça l’aide en même temps. Tu la gardes si fermement contre toi. Please help her. Someone help her. Please let her calm down please… Tu pris les cieux et tu ne sais réellement pas si tu vas savoir être assez fort pour elle tellement ça te brise le coeur à chaque fois. C’est tout frais. Tu essaies de te rassurer que ça va doucement mais sûrement aller mieux. Tu espères fort. Mais elle est tellement agité…“Putain, fais chier, merde!” T’as les larmes aux yeux car c’est beaucoup d’émotions. La voir si mal te brise et elle n’aura même pas profité de la veillée. Tu as allumé une bougie mais tu n’as pas eu le temps d’aller au bout de tes paroles silencieuses. Tu as été coupé et t’as vraiment l’impression que y’a rien pour aider… Même pas pouvoir avoir une pensée collective pour toutes les victimes. Birdie est dans une autre bulle où sa rage tempête à tous les instants. Tu t’essuies les yeux alors que tu restes de bout à la regarder taper du pied.

Tu comptes attendre le temps qu’il faudra avant de bouger d’ici. Le temps qu’elle se calme ou qu’elle veuille s’en aller. Tu aurais envie de marcher avec elle jusqu’au bout de la nuit. Sur la plage ce serait bien. Tu verras si elle a l’air encline. Peut être que vous irez simplement chez toi. Tu sais pas. Peut être que tu devrais appeler une de ses soeurs pour venir la chercher. Si elle ne se calme pas, c’est ce que tu feras. Tu sais pas de quoi Birdie pourrait être capable mais tu es là et tu feras tout pour ne pas qu’elle se fasse de mal physiquement.

La colère est torniturante dans ta cabosse. Le sang tourne, tourbillonne, tu trembles de rage, tu pleures de rage aussi. Tu n’as pas pu t’en empêcher. De laisser exploser ton mal être à la gueule d’un public malsain qui ira dire que tu es vraiment plus folle qu’ils ne le pensaient. Comment pourrait-on être aussi cruel avec toi ? Les circonstances sont plus qu’atténuantes ; tu as toute légitimité de réagir de la sorte. Ta meilleure amie, ta fidèle alliée, ta soeur de cœur n’est plus. Tu n’en as rien à faire de te prendre de nouvelles étiquettes. Tes poings sont si serrés alors qu’ils frappent. Non plus Iris mais Jordan. Tu n’y prête pas forcément attention en premier lieu. Tu es dans une transe sordide, absurde, obscure. Tes yeux sont embués et tes nerfs sont tendus. Tu l’aurais tabassé si on t’en avait laissé l’opportunité. Tu es une lionne qui tourne. Pourtant, tu n’es pas en cage mais c’est tout comme. Ton désarroi, ta mélancolie, ta tristesse, ton deuil sont remplacés par quelque chose de plus fort, de plus profond, de plus intense. Comme une tempête qui sévit.

Loin des bras protecteurs de Jordan, tu as la tête qui tourne. Ton intérieur crie à l’aide mais tu n’y prends pas garde. Tes yeux sont baissés vers le sol alors que tu te mets à marcher. En rond, en ligne, en lançant des insultes à voix basse à l’encontre d’Iris. L’eau a laissé la place au feu en toi et ça fait peur, c’est effrayant de te voir comme ça. “I need something to drink.” Que tu dis abruptement en t’arrêtant. Comme si c’est la conclusion fatale. Non, pas une conclusion mais une solution. Temporaire. Ton corps entier se tourne vers Jordan. Il est majeur, n’est-ce pas ? “I need something to drink.” Comme s’il n’aurait pas entendu la première fois mais cette fois, c’est à lui que tu parles. Ce n’est même pas une question. L’éthanol peut apaiser tes pensées. Il peut aider à te contrôler, à atténuer la peine. La colère. La rage. Tes tremblements. “Please.” Que t’ajoutes quand même, comme si ça va aider à ce qu’il accepte. S’il te le refuse, tu trouveras un moyen. Ton coeur bat beaucoup trop fort dans ta poitrine. Tes prunelles ne quittent pas la forme de Jordan. Please…

Tu la regardes aller venir tourner. Un vrai lion en cage et tu sais pas quoi faire pour l’apaiser. T’es littéralement là juste pour être sûr qu’elle ne se fasse pas de mal. T’es son garde du corps. Tu n’autoriseras pas à ce qu’elle s’abîme le corps. Son coeur et son âme sont bien assez déchiré comme ça. “I need something to drink.” Oh. Tu n’aurais pas cru qu’elle irait de ce côté là mais tu comprends. Elle se met face à toi. “I need something to drink.” Elle te demande l’autorisation ? T’es pas trop sûr. Non elle te demande de lui fournir l’alcool. T’es son serviteur. T’es là pour elle. Oui. Tu sais que tu ferais n’importe quoi pour elle mais tu as peur qu’elle se perde si c’est ça la direction qu’elle veut prendre pour penser ses blessures. “Please.” Mais une cuite n’a jamais fait de mal à personne. C’est pas comme si elle était une alcoolique. Elle a juste besoin ce soir, maintenant.

Elle a l’air encore en train de bouillonner. Tu hésites mais tu vas doucement prendre sa main. « What do you want to drink ? » Que tu lui demandes alors que tu commences à prendre la marche vers l’épicerie la plus proche. C’est pas à côté mais tu te dis que marcher va faire beaucoup de bien. Tu tiens sa main plus pour être sûr qu’elle s’en aille pas en courant. Tu es positif que Birdie est capable de tout sous le coup de la colère et des émotions qui la rongent. « Let’s go drink at the beach. » Que tu proposes. Le bruit des vagues et l’immensité de l’océan qui te fait toujours du bien à toi et tu espères que ça fonctionnera sur Birdie aussi. Ca fait du bien de t’entendre parler Jordan, t’as été très silencieux. There isn’t much I can say right now… Tu attends juste que la tempête passe…

Il y a une brève hésitation. Je la sens et je la vois. Sur son visage et dans sa position. Dans son expression aussi. Je ne suis pas dupe. En colère, oui. Mais pas stupide. Ma demande n'a pourtant rien d’anormal. J’ai besoin d’apaiser mes maux. J’ai l’impression d’être capable du pire et il ne faut pas que ça arrive. Je pourrai envoyer chier le monde entier. Juste parce qu’Iris m’a parlé. Je suis pitoyable. Mais je suis irréfléchie. ‘ai conscience de ne pas être rationnelle mais qu’est-ce que je m’en fous à ce moment précis. Je pleure depuis trois jours, j’ai le cœur en mille morceaux, mon esprit passe en boucle les cris et le sang, je suis plus à cran que je ne l’aurai supposé. C’est sûrement le fait de ne pas avoir été avec Jordan. Et d’être revenue ici. Sans lui. Jordan que j’observe avec une moue suppliante malgré ma colère. Jordan qui reste stoïque depuis le début, qui est le témoin malheureux et silencieux de toute cette putain de détresse. Il ne mérite pas ça. Il n’a rien demandé. Je devrai le laisser partir au lieu de m’accrocher. Je ne suis pas un cadeau dans cet état-là. Avec ce poids sur mes épaules.

Mais je suis égoïste. Je veux le garder près de moi parce qu’il est mon socle. Mon être tout entier se centralise sur lui parce qu’il est là. Il est en vie et il me couvre de baisers, de tendresse que je ne peux même pas apprécier à leur juste valeur parce que les circonstances m’en empêchent. Pourtant Merlin sait à quel point j’en ai rêvassé toute l’année de les embrasser, ces lèvres. Son affection arrive au pire moment - ou au meilleur ? Je sais juste que je ne devrai pas le laisser s’attacher à moi. Pas comme ça en tout cas. Mais il est mon seul allié, à présent. Et si j’ai pas le droit à ses bras et ses étreintes, qu’est-ce qu’il me reste pour me raccrocher à cette foutue existence ? Exactement comme quand sa main vient prendre la mienne. J’ai l’impression de mieux respirer. Il a un pouvoir dingue sur moi. « What do you want to drink ? » Il m’attire à sa suite et je suis docilement ses pas. Qu’il m’emmène où il veut. Ce n’est pas moi qui vais retourner à l’intérieur pour croiser ces idiots. Ces imbéciles qui ne m’ont toujours vu que comme une bête de foire. Seule Rebecca avait un minimum d’estime pour moi. Une sœur que j’ai aimé, sûrement beaucoup trop. Vu à quel point la douleur est vive. “Qu’importe tant que ça me fait oublier.” Au moins pour ce soir. Il faut mettre de l’alcool quand on se fait une coupure, non ? Quand la coupure est dans la tête, la solution est pareille à mes yeux. « Let’s go drink at the beach. » Je serre un peu plus mes phalanges autour de sa main. “As long as it’s far away from this place… You can take me wherever you want.” Je préfère voir la plage comme le premier lieu de ma rencontre avec Jordan et non celui où j’y ai passé de bons moments avec Rebecca à la sortie des cours ou même en séchant quelques heures ici et là. “I don’t wanna go there anymore. Ever. Everyone is an ass. I’m the fucking april joke for them. I hate them all.” J’ai la hargne dans les veines et rapidement, j’emmêle mes doigts avec les siens. “But not you. Never you. I’m sorry for… Punching you.” Je n’avais pas les idées claires et ma tête imaginait Iris à sa place. Même si j’aurai été bien plus violente avec cette garce. Qu’elle aille chier en enfer, celle-là. C’est tout ce qu’elle mérite.