@ALBANE DUMAS & ELEONORA PARKER ☽ How long you been asleep at the wheel? Out of control, gathering up speed. Your heart is on the dashboard, head's in the street. I hope that you wake up in time to scream. So take another turn on the merry-go-round. Your numbers are come up now your king of the town. So buckle up and chase yourself a new thrill. You're never gonna feel like before. You keep coming up for air. To find your own foot pushing on your head. Say man you are the saddest thing I know. I see the dried up blood that's in your hair. You got the old kaleidoscopic stare. Say man you are the saddest thing I know
Tu n’as pas vu la bouteille venir. Tu aurais peut-être dû. Ou peut-être que tu n’aurais pas dû te la jouer grande gueule fendante devant un mec trois fois ta taille avec son regard enragé. Ou même plus simplement, peut-être que tu n’aurais pas dû faire des avances à sa date du soir alors qu’il est assis juste à côté. Avec des si et des peut-être, tu pourrais refaire un monde, mais pour ce soir, tu ne pourras pas te départir des nombreux morceaux de vitres qui se sont logés dans ton bras, et tu ne pourras non plus effacer la jolie scène bruyante que vous venez d’offrir au beau milieu du bar. Tu as crié, lui aussi, tu ne te souviens pas trop clairement de ce qui a été dit, mais tu en sais assez pour savoir que ça n’a pas d’importance. Il s’est fait sortir du bar, tu t’es retrouvée dans l’arrière d’une ambulance, encore bien trop énervée pour rendre la tâche des ambulanciers faciles et agréables. Il a essayé de te calmer, le mec avec son uniforme et son sourire colgate, ses paroles qu’il espérait rassurante et sa main sur ton épaule alors que ton bras continue de pisser le sang, mais ça n’a pas fonctionné, au contraire. Tu n’es qu’un peu plus agitée alors que l’alcool continue de couler dans tes veines et que la perte de sang te fait sentir plus étourdie que tu ne devrais l’être. La soirée a été difficile, mais elles le sont toutes, en ce moment puisque c’est la colère qui guide tes actions, le besoin constant de faire le vide dans ta tête qui mène tes décisions et qui pousse toujours un peu plus à empiler ton nombre de conneries ne serait-ce que pour un peu d’attention.
Ton arrivée à l’urgence se fait dans cette éternelle agitation alors que tu cherches à te sauver de cette civière sur laquelle tu n’as jamais demandé à être et qu’on ne cesse de t’intimer de te calmer, consigne que tu refuses de suivre, bien évidemment. Chaque coup d’œil que tu portes à ton bras ensanglanté te donne envie de vomir et ce n’est clairement pas parce que tu as trop bu ce soir. La blessure n’est pas belle à voir, il y a des morceaux de verre qui semblent bien coincés là et ça te fait un mal de chien, ce que tu n’arrêtes pas de scander à chaque nouvel employé qui s’approche de toi hésitant et qui semble avoir envie de courir en sens inverse dès que tu ouvres la bouche pour gueuler toujours un peu plus fort. Tu n’as jamais aimé les hôpitaux et on ne peut pas dire que ton dernier souvenir dans cet endroit ait aidé à augmenter ton appréciation de l’endroit, bien au contraire. Les images de la scène causée avec Caitriona te reviennent constamment, et de penser à la Regan ne fait que t’énerver un peu plus. Jusqu’à ce que tu décides que c’est elle, qui devrait gérer avec toi ce soir, parce que c’est en partie de sa faute (ou alors pas du tout) si tu ne te gères plus en ce moment. C’est que tu es particulièrement douée pour ça Eleonora, porter le blâme constamment sur le dos des autres, toi l’éternelle victime, toi l’abîmée, toi la malchanceuse, comme si ce n’était pas toujours toi qui te foutais dans les pires merdes pas possibles. Tu en veux au monde entier, mais surtout, surtout, c’est à toi que tu en veux vraiment, mais ça, tu ne l’acceptes pas. Ça, tu refuses de le voir, parce que tu fais quoi de toute cette rage, si tu n’as personne sur qui la déverser? « REGAN J’AI DIT! » que tu scandes à nouveau alors qu’un infirmier tente de prendre ton bras pour faire le point sur ta blessure. « Caitriona Regan! Ça doit ben lui arriver de servir à quelque chose ici! » Elle fait quoi déjà dans cet hôpital, ta demi-sœur? Tu n’es plus certaine de t’en souvenir et tu n’es pas certaine que ça ait la moindre importance quand personne autour de toi ne semble réellement se donner la peine de répondre à ta requête qui est, de toute façon, tout sauf raisonnable. Tu es tellement occupée à crier et à empêcher quiconque de t’aider avec ton bras que tu ne remarques pas la silhouette familière qui se trouve pourtant dans ton champ de vision, celle d’une fille que tu t’efforces d’éviter depuis quelques temps parce que c’est plus simple comme ça. Plus simple Leo, really? Si simple que prétendre que tu ne penses jamais à elle n'est qu’un mensonge de plus d’une très longue liste. Un de plus, un de moins, quelle différence ça fait vraiment, après tout?
Oh you lie next to me, heart is beating heavily. Blood in your ear through blood on your shirt. It's too late to say you're sorry. Say you're sorry still. I stepped out with heavy heart to bail you out again. Oh those things you do...
Albane ne disait jamais non aux shifts de nuit. L’hôpital le savait parfaitement ; elle était l’infirmière à l’emploi du temps malléable, celle toujours prête à se plier aux besoins et à arranger les autres. Cela la faisait passer pour une personne serviable quand en réalité, elle ne voyait que des avantages à travailler de nuit. Son rythme de sommeil était de toute façon un lointain souvenir, l’épuisement était constant et les pilules cachées non loin de sa table de chevet. Et au vu des derniers événements, elle savait qu’être à l’hôpital la nuit ferait en sorte qu’elle ne croiserait ni Winston, ni Jake. Elle n’arrivait pas à regarder le premier dans les yeux et se sentait encore en colère contre le deuxième. Elle qui pourtant était si demandeuse d’attention au quotidien préférait qu’on la laisse tranquille et qu’on lui fasse confiance pour être une personne tout aussi capable de s’occuper d’elle que des autres. La soirée avait son lot de cas, pour ne pas changer. Il y avait beaucoup d’alcool impliqué, beaucoup d’accidents au pied du lit aussi. Une fréquentation soutenue qui avait le don de changer les idées à la française qui déambulait d’un lit à l’autre, attrapait dossier après dossier, voyait les noms défiler sans trop y prêter attention. Elle en avait sorti des sourires, des paroles rassurantes et des instructions sur les soins dans les jours à venir. C’était mécanique, sous contrôle. Et à la voir aussi à l’aise, on pouvait se risquer à dire que tout allait bien. Puis, il y eut des cris à l’entrée des urgences, un brancard amené dans un vacarme monstre. Une voix féminine qui sortit Albane de sa torpeur machinale, qui activa quelque chose dans son esprit sans qu’elle ne comprenne trop. « Albane. Le devoir t’appelle. » L’un de ses collègues passa à côté d’elle pour lui refourguer le cas de cette patiente, et la française eut droit à des sourires aussi amusés que compatissants. C’était sa réputation, celle qui murmure à l’oreille des patients. Tous les cas difficiles lui étaient attribués sans discuter parce qu’elle savait y faire. Dans un soupir, elle retrouva son sourire professionnel et se rendit dans le hall pour voir de quoi il s’agissait. La vision qui l’accueillit la fit piler sur place, déchira sa conscience. D’une part, elle voulait juste faire demi-tour, mettre autant de distance que possible entre la braillarde et elle. D’une autre… la vision du bras en sang suffisait à l’infirmière pour avoir envie d’aider. Le fait que ce visage soit aussi familier n’aida pas son inquiétude. Pourquoi réclamait-elle Regan ? Vu l’heure, Cait n’était certainement pas dans le coin. Qui plus est, les urgences n’étaient pas exactement son département, sauf cas spécifiques. Leo se débattait comme un beau diable. Bane pouvait lire l’exaspération d’ici, voir les regards se lever discrètement au plafond. Ce n’était pas habituel de la part de la Dumas de traîner autant des pieds. « Une bagarre dans un bar. Un bras entaillé par des débris de verre. » Le contexte fut glissé d’une voix morne par l’un des ambulanciers. « Je vais prendre le relais. Merci, tout va bien. » glissa-t-elle aux brancardiers avec un sourire empathique, les congédiant par la même occasion. « Leo. Regan n’est pas là, et on ne va pas l’appeler. Si tu continues de crier, on va devoir te sédater. Et c’est le genre qui te file la nausée au réveil, pas le genre qui fait planer. » Quoique vu son état, cela aurait probablement été la meilleure option. « On va la mettre au lit 3. » Elle lança la directive à l’un de ses collègues pour qu’il l’aide à amener le brancard jusqu’à ce fameux lit où elle fut installée. Il ne posa pas de questions, disparut dès qu’il le put. Et Albane décida de ne prendre aucun risque en fermant les rideaux pour qu’elles aient un peu d’intimité. « Un médecin va venir t’examiner après. Mais tu veux bien me montrer ? » Elle enfila des gants avant de récupérer l’avant-bras de la blonde, qu’elle le veuille ou non en réalité. Et ce fut une grimace qui déforma ses traits. La plaie était large, constellée de bouts de verres brillants. « Ce n’est peut-être pas plus mal que tu sois alcoolisée. Ça risque de piquer. » Elle fouilla dans les tiroirs pour en sortir alcool, compresses, pinces, bandages. Tout le nécessaire pour pouvoir procéder à cette chasse aux trésors sanglante. « J’ai deux questions. Comment c’est arrivé ? Et pourquoi est-ce que tu réclames absolument Regan ? » Et durant tout ce temps, Bane était bien incapable de croiser le regard de la blonde de peur d’avoir à ressentir quelque chose.
« Fuck. » Est-ce que tu l’as murmuré ou bien tu l’as dit si fort que tout le monde autour de toi a entendu? Tu n’es pas certaine, mais à voir les regards que certains membres du personnel soignants t’offrent, tu dirais plutôt qu’ils ont entendu. Ou peut-être que ce sont seulement des regards en lien avec ton agitation qui ne cesse pas depuis le moment où tu as atterri dans cette salle d’urgence plutôt bondée pour un samedi soir. Tu n’es sans doute pas la seule personne intoxiquée ici présente ce soir, mais tu es certainement la plus bruyante. Et depuis que tu as croisé le regard d’Albane, la plus exaspérée. Tu n’avais pas prévu que ton chemin croise sa route de sitôt, tu n’avais pas mis les pieds à leur appartement depuis cette soirée sur le toit, même si elle t’avait dit que tu pouvais revenir, si tu voulais. Ça avait d’ailleurs créé un flux intense de questions dans ton esprit, cet échange texto qui pouvait sembler des plus banals en apparence, mais derrière lequel se cachait beaucoup trop de sous-entendus. Des questions qui te viennent et qui repartent aussitôt dans ton esprit alcoolisé, alors que tu fermes lourdement les yeux dans l’espoir qu’une fois qu’ils seront ouverts à nouveau, elle ne sera plus là, la française. Peut-être même que si tu es chanceuse, tu ne seras plus dans cet hôpital et l’élancement dans ton bras et tout ce qui s’est passé avant ne sera qu’un mauvais rêve. Trois, deux, un. Meilleure chance la prochaine fois. C’est toujours la voix de la française qui s’élève alors que cette fois-ci, elle s’adresse directement à toi. « Leo. Regan n’est pas là, et on ne va pas l’appeler. Si tu continues de crier, on va devoir te sédater. Et c’est le genre qui te file la nausée au réveil, pas le genre qui fait planer. » « T’en sais quelque chose. » Le commentaire, il est sorti tout seul, sans que tu n’y réfléchisses, trop fort aussi sans doute alors qu’il y a encore des gens qui s’agitent autour de toi, des hommes qui essayaient de te tenir en place quand tu gueulais que tu voulais voir ta demi-sœur. Ton regard croise celui d’Albane, tu te pinces les lèvres. Personne n’a rien compris de ce que tu viens de dire de toute façon, pas vrai? T’es qu’une pauvre fille intoxiquée qui ne sait plus ce qu’elle dit. Ouais, c’est ça. Rien de plus que ça. « Lâchez-moi. C’est bon, j’suis calme-là. » que tu t’exaspères alors que tu tentes tant bien que mal de te défaire du contact des autres, ton regard concentré sur le visage de la Dumas alors qu’elle prend en charge la situation et c’est sans trop de résistance que tu les laisses te placer dans ce qui doit être le lit 3.
« Un médecin va venir t’examiner après. Mais tu veux bien me montrer? » Tu n’as même pas le temps de refuser qu’elle attrape déjà ton avant-bras pour faire l’inspection des dégâts. Tu voudrais lui dire que tout va bien, que tu n’as pas besoin d’aide, que ce n’est qu’une petite coupure de rien du tout, mais même l’esprit complètement dans les vapes, tu sais que ce n’est pas le cas. Ton top est tâché de sang et bientôt, tu ne doutes pas que les mains nouvellement gantées d’Albane le seront aussi. Elle ferme le rideau dès le moment où vous vous retrouvez seulement toutes les deux et tu n’as pas besoin d’être complètement lucides pour savoir que ça, c’est encore une fois une très mauvaise idée. « Ce n’est peut-être pas plus mal que tu sois alcoolisée. Ça risque de piquer. » « J’sens rien. » Un haussement d’épaules. La Leo en crise d’il y a deux minutes à peine a laissé place à une Leo amorphe qui fait de son mieux pour ne montrer aucune faiblesse, sauf peut-être une grimace sur ton visage alors qu’elle examine les différents morceaux de vitres logés dans ta chaire. C’est qu’elle en a déjà trop vu, Albane. Déjà trop entendu aussi, quand elle risque de te questionner au sujet de Caitriona Regan d’une seconde à l’autre. Parce que c’est qui elle est, Albane. Même si tu as été odieuse avec elle la dernière fois que vous vous êtes vues, même si ça semble toujours dégénéré lorsqu’elle s’approche un peu trop de toi, elle s’inquiète, la française. Et vu ton état, tu es certaine qu’elles sont nombreuses, ses questions. « J’ai deux questions. » Évidemment. « Comment c’est arrivé? Et pourquoi est-ce que tu réclames absolument Regan? » « Tu la connais? » Sûrement que oui. Elles travaillent dans le même hôpital. Tu n’avais pas pensé à ça, quand tu scandais le nom de ta demi-sœur comme une perdue. Tu n’aurais jamais cru tomber sur Albane of all people. C’est l’univers qui se moque de toi, encore et encore, pas vrai? Le karma pour ta connerie de ce soir, peut-être? Fuck off. « Il a dit qu’il voulait pas frapper une fille, mais il a pas hésité avec sa bouteille. » que tu relates avec un léger fou rire, ne réalisant pas trop que tu es en train de commencer par la fin de la soirée plutôt que de lui expliquer ce qui a provoqué la poussée de rage de l’homme. « Un mec au bar. J’ai dragué sa copine devant lui. Elle avait l’air d’apprécié, lui pas tellement. » Un léger sourire se pose au coin de tes lèvres. Tu te trouves drôle en plus. Oh mais c’est seulement pour camoufler à quel point tu le sais, dans le fond, que c’est toi la plus pathétique des deux.
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Le karma avait un drôle de sens de l’humour. Albane ne savait même pas pour qui d’elles deux cette rencontre aux urgences était la pire. Pour Leo, dont les soins dépendaient de la française ? Pour Bane, qui n’avait d’autres choix que de s’occuper de la blonde en dépit des mots qui avaient été balancés quelques jours plus tôt ? C’était une belle manière de retourner le couteau dans la plaie. Car elle ne pourrait pas nier y avoir repensé plus d’une fois, avoir tourné et retourné la discussion dans son esprit pour comprendre ce qu’elle avait fait de travers. Elle n’avait jamais su être rancunière -il suffisait de voir sa relation nocive avec Lou-. Pourtant, elle avait été blessée. Bien plus qu’elle n’acceptait de l’admettre. Certainement parce qu’il y avait une part de vrai dans tout ça ; elle était pathétique à se cacher derrière une image parfaite quand en réalité, elle naviguait d’une faiblesse à l’autre. Elle se permettait de faire la morale, de donner des conseils et des lignes de conduite quand elle était celle que l’on pourrait accabler de reproches. Non, elle n’avait pas envie de voir Leo. Elle n’avait pas envie de passer à nouveau par ce roller coaster d’émotions, à s’efforcer de ne pas lui accorder la moindre importance. Elle ne voulait pas à nouveau de ce foutu troubler que Leo laissait derrière elle chaque fois qu’elle déposait son regard sur elle. Si aux yeux du personnel hospitalier, il ne s’agissait que d’une pauvre fille bien alcoolisée sur ce brancard, Albane y voyait une langue trop déliée et prête à balancer vérité sur vérité. Comme cette attaque directe sur le fait de la sédater. « C’est mon métier. » répondit-elle avec un flegme crédible pour ses collègues, se refusant en revanche à regarder la blonde dans les yeux. C’était inutile de se battre. Pas ici, pas ce soir.
Plus vite la fauteuse de troubles serait rafistolée, plus vite elle pourrait disparaître du paysage. Elles n’auraient pas à en reparler, pourraient retourner à cette ignorance qui régnait entre elles. Ce n’était pas faute d’avoir tendu la main, encore. D’avoir proposé son aide, encore. Éternellement naïve, victime parfaite pour se faire piétiner. Tellement gentille qu’elle ne pouvait pas réfréner l’inquiétude à voir autant de sang sur les vêtements, sur le bras grossièrement bandé. La plaie était moche. Peu profonde mais à vif, le genre de blessure qui risquait de sacrément piquer durant les jours à venir. La conséquence de ses erreurs ancrée dans sa chair. Même avec tout ce qu’elle avait pu dire, Albane n’arrivait pas à penser que c’était mérité, ou que c’était un retour de bâton. Elle se contentait juste de continuer à fuir le regard, se concentrer plutôt sur cet avant-bras qui allait lui occuper une vingtaine de minutes de sa soirée. Dans le meilleur des cas. Des soins qui pourraient être complètement impersonnels si la blonde se décidait à jouer le jeu, qui pourraient ne pas être une nouvelle source de regrets. Les questions qu’Albane posa étaient légitimes, presque professionnelles. « Oui. » Elle connaissait Regan, se souvenait d’avoir ri sous sa barbe en l’entendant pester contre Winnie à quelques occasions. Mais pourquoi elle ? Pourquoi réclamer une personne qui avait bien d’autres choses à faire que de recoudre un bras ? « Tu n’as pas répondu à la question. » souligna-t-elle finalement d’une voix calme. Étaient-elles amies ? La française se retrouvait à espérer que non. Ce serait une amitié franchement ingrate vu son comportement dans le couloir des urgences. Sa deuxième question, elle se devait de la poser. Pour le dossier médical, pour s’assurer que le bras était la seule blessure à relever. Les doigts fermement serrés sur la pince à épiler, prête à commencer sa tâche, le rire de Leo eut le don de la crisper. De faire naître ce mélange subtil d’agacement, de colère, et d’une pointe de jalousie. Elle ne cautionnait pas la violence, peu importe la forme qu’elle prenait. Mais cela ne l’enrageait pas autant que les comportements qui étaient des appels aux problèmes. Elle était allée draguer la copine d’un type, sous son nez, jusqu’à se faire profondément entailler le bras au tesson de bouteille. Quand quelques jours plus tôt, c’était la française qui avait toute son attention. Sur ce toit, la Parker lui avait donné l’impression d’être l’objet de tous ses désirs. Ce baiser, son regard sur elle, sa manière de laisser penser qu’elle s’intéressait sincèrement. C’était un jeu. Albane le savait, lui avait reproché. Mais c’était bien plus difficile à constater aussi brutalement. « J’espère qu’elle en valait le coup. » Que cela justifiait qu’elle termine sa soirée ici. « Leo, je vais pas réussir à bosser si tu t’agites. Rends-moi la vie facile, rien qu’une fois, et reste immobile. » Bane alluma la puissante lampe au-dessus d’elle, puis attrapa le poignet de la blonde, la fit déposer son avant-bras sur l’accoudoir. Précautionneusement, elle tira une compresse qu’elle imbiba de désinfectant et tapote sur la plaie. Elle sentit le frémissement de Leo, alcool ou non. « Je suis désolée, ça va être désagréable. L’alcool ne fait pas bon ménage avec les anesthésiants. » Ceux qu’elle avait sous la main, en tout cas. On le leur déconseillait sur des bobos aussi minimes. Puis, elle fit voler la pince, opta pour l’un des plus gros morceaux de verre qu’elle délogea, abandonna dans le ramequin métallique à côté d’elle. « En temps normal, j’aime faire parler mes patients pour qu’ils pensent à autre chose. Mais je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée entre nous. » Parce qu’elles oscillaient déjà entre les moments où elles en disaient trop puis pas assez, en avaient certainement trop dit pour leur bien, pas assez pour se comprendre. Les mots pouvaient être aussi tranchants que ces bouts de bouteille plantés dans la chair. Albane ne se sentait pas prête à prendre un tel risque à nouveau.
« C’est mon métier. » Tu te pinces légèrement les lèvres. Personne ne pourra comprendre les sous-entendus qui se cachent derrière ces quelques phrases, mais tu sais toi, que tu n’aurais pas dû dire ça. Si elle te connaissait bien Albane, elle verrait peut-être dans ton regard cette lueur de regrets, ce désolée que tu ne sais pas verbaliser. Mais il est là le problème : elle ne te connaît pas la française. Elle ne connaît que des parcelles maladroitement partagées entre deux états intoxiqués, elle n’a vu que tes pires comportements, tes pires caprices, les parties les plus détestables de ta personne quand tu n’as fait d’elle qu’un jeu, une attraction dans laquelle tu voulais te perdre, te foutant bien des conséquences que pouvaient avoir tes actions. Et malgré tout ça, elle était là à continuellement te tendre la main, t’offrir de l’aide que tu ne méritais pas, t’offrir une chance et puis une autre de rédemption sur lesquelles tu ne faisais que cracher, éternelle ingrate. Y avait-il plus de toi que ça? Toi-même, tu commençais à en douter. La pente glissante sur laquelle tu te trouvais depuis quelques semaines était des plus dangereuses, quand tu perdais toujours un peu plus toute considération pour autrui, mais pour toi-même aussi. Si tu ne pensais pas tout ce que tu avais dit à Albane sur ce toit l’autre jour, il y a au moins une chose qui demeurait plus vrai que jamais : elle devrait se tenir loin de toi. Pour que tu ne puisses pas la faire flancher avec toi, elle qui semblait déjà difficilement en équilibre, sans que tu ne connaisses les détails sordides de son histoire. Et tu en voulais toujours un peu plus à l’univers de la mettre sur ton chemin ce soir, elle qui était déjà bien trop souvent dans ta tête dans les derniers jours. Vous vous retrouvez seules trop rapidement et si le regard de la brune s’attarde seulement sur ta blessure, ça ne l’empêche pas de se faire curieuse sur ce qui s’est passé, et surtout de vouloir comprendre pourquoi tu tenais tant à voir Caitriona cette nuit. « Oui. Tu n’as pas répondu à la question. » Et tu n’as pas vraiment envie d’y répondre non plus. Pas sans savoir quelle relation existe entre la française et l’irlandaise. « Vous êtes proches? » Faites qu’elle dise non, faites que ce soit une simple connaissance, une collègue de loin de qui elle ne connaît rien et de qui elle ne veut rien connaître. Juste ça, ça te simplifierait la vie, ne serait-ce qu’un petit peu. « Je la connais pas, pas vraiment. » Est-ce que ça suffirait pour l’infirmière? Tu en doutais, mais c’était le mieux que tu puisses lui offrir, sans savoir à quoi t’en tenir de son côté.
Tu prends un peu trop plaisir à relater les évènements de la soirée et à analyser le visage d’Albane changer avec chaque morceau d’informations que tu lui offres. Est-ce qu’elle fronce le nez parce qu’elle est jalouse là, ou bien c’est quelque chose que tu t’imagines purement parce que c’est ce que tu voudrais? Pourquoi est-ce que tu veux qu’elle soit jalouse? De l’attention, toujours un peu plus d’attention. Surtout de celle que tu ne devrais pas tant vouloir. « J’espère qu’elle en valait le coup. » Un nouveau rire de ta part. « Tu penses pas que si c’était le cas, je serais dans son lit et pas ici? » Oh, tu savais parfaitement que cette histoire ne se serait pas terminée avec une roulade entre les draps d’une inconnue. C’est sans doute pour cette raison d’ailleurs que tu t’étais concentrée sur elle et pas sur une autre, quand tu la savais complètement inaccessible, mais que tu avais envie de tester les eaux, juste pour voir jusqu’où tu pourrais aller avant de faire réagir son mec. Tu avais pu mettre ta main sur sa cuisse et tes lèvres dans son cou avant que ça ne dégénère, un franc succès dans ton esprit tordu, évidemment. Ce que tu évitais de dire, c’est que ça avait été aussi un succès parce que tu avais pu oublier la française, le temps de quelques heures, avant que la vie ne se charge de te remettre les deux pieds dans la réalité ferme avec un twist des plus désagréables. « Leo, je vais pas réussir à bosser si tu t’agites. Rends-moi la vie facile, rien qu’une fois, et reste immobile. » « Rien qu’une fois. » que tu ne peux t’empêcher de répéter en échappant un léger rire sarcastique, alors que tu sais pourtant que c’est loin d’être drôle et surtout, que c’est loin d’être faux. Un paquet de trouble, c’est tout ce que tu étais, et c’est sans grande surprise qu’Albane le réalisait enfin. « Je suis désolée, ça va être désagréable. L’alcool ne fait pas bon ménage avec les anesthésiant. » « Arrête de t’excuser Bane et fais ce que t’as à faire, qu’on en finisse. » Pourquoi chercher à prolonger un moment qui semblait être aussi pénible pour elle que pour toi après tout? C’était sans compter que le premier retrait d’un morceau de verre viendrait t’arracher un gémissement de douleur que tu ne pus pas retenir sous le coup de la surprise, tes lèvres s’enfonçant dans ta lèvre inférieure pour tenter de changer le mal de place. « En temps normal, j’aime faire parler mes patients pour qu’ils pensent à autre chose. Mais je ne sais pas si c’est une bonne idée entre nous. » « Pourquoi? T’as peur de pas être capable de t’empêcher de me révéler tous tes secrets? » que tu lances comme une pique qui se veut plus joueuse qu’agressive cette fois. « T’es sobre ce soir, ça devrait aller, non? Du moins, j'espère que tu l’es. » Ou bien avait-elle plongé la main dans un de ces flacons qu’elle tenait tant à garder cacher? Elle arrache un nouveau morceau de verre de ta chaire, ce qui provoque de nouvelles grimaces et de nouveaux gémissements de ta part. « Je retire ce que j’ai dit tantôt sur le fait de rien ressentir. S’il-te-plaît, parle-moi de n’importe quoi, c’est vraiment désagréable ton truc. » que tu plaides, ton regard cherchant désespérément celui de l’infirmière.
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Albane aurait aimé s’en moquer. Elle aurait aimé pouvoir traiter Leo comme si elle était n’importe quelle patiente un peu pénible à cause de l’alcool. Elle aurait aimé ne pas se sentir aussi vulnérable à son contact. Parce que la blonde en savait trop, que sa langue était aussi pendue qu’acérée quand elle le désirait. A force, la française avait réussi à le comprendre ; ce n’était pas dans la nature de la jeune femme d’être mauvaise. C’était juste un réflexe d’auto-défense quand quelqu’un s’approchait d’un peu trop près, une manière de transformer sa faiblesse en venin. Cela aurait bien plus simple de réussir à lui en vouloir pour cela, mais malheureusement pour l’infirmière, ses sentiments à l’encontre de la Parker étaient bien plus complexes. Elle aurait juste voulu ne pas se souvenir combien elle avait été blessée, l’autre soir. Car aussi regrettable ces paroles avaient pu être, et malgré les messages qui s’accordaient pour juste les oublier, Bane s’en sentait incapable. Les mots continuaient de tourner dans son esprit dès qu’il se mettait à s’égarer. Tout ce qu’elle pouvait faire ce soir, c’était de prendre soin de la blonde et de la laisser retourner à sa vie. Si elle tenait bon, elle ne lui enverrait même pas de message plus tard pour savoir si tout allait bien. Regan n’aurait qu’à le faire, bien que la française n’était pas certaine de saisir le lien qu’elle pouvait avoir avec Leo. Les réponses étaient évasives, autant que le regard. « Tu la connais assez pour avoir fait un scandale pour qu’elle vienne s’occuper de toi. » pointa la brune en hochant des épaules. Si Leo ne lui répondait pas, elle irait demander à l’autre concernée.
Peut-être que celle-ci serait plus à même de défendre le comportement de la Parker, que ce soit à l’égard du personnel hospitalier, ou des gens qui croisaient sa route au quotidien. Comme ce couple. Evidemment que manquer aussi ouvertement de respect à un type aurait des conséquences. Sur ce point, elle voyait bien pourquoi Leo et Win étaient amis. La même capacité que l’autre à se mettre dans de sales draps avec leur caractère trempé. Et Albane aurait voulu ne pas autant tiquer sur le détail de cette nana, sur le fait qu’elle avait attrapé l’attention de la blonde durant la soirée. A quoi ressemblait-elle ? Qu’est-ce qui avait plu à Leo, chez elle ? Est-ce qu’elle avait fait une bonne distraction ? « Tu l’as cherché. » La voix était remplie de remontrances, ce qu’il fallait pour ne pas laisser transparaître que Bane préférait la savoir aux urgences que dans le lit d’une autre demoiselle en couple. « Je vais finir par croire que tu as un genre. » Et un goût prononcé pour prendre ce qui ne lui appartient pas, semer le chaos et laisser les responsabilités à d’autres. C’était peut-être plus simple finalement de se côtoyer en restant réalistes sur les vices de l’autre. Elles avaient leurs faiblesses mais surtout étaient vraiment trop différentes l’une de l’autre.
Et que ce soit par ego blessé ou par conscience professionnelle, Albane n’était pas décidée à s’embarrasser de trouver les bonnes paroles. Le souvenir serait probablement diffus dans son esprit le lendemain, de toute façon. Tant que les gestes étaient précis, c’était tout ce qui comptait. Les lèvres pincées, la française ne releva pas ses propres paroles. Parce qu’elle pensait exactement ce qu’elle venait de dire. Leo rendait tout difficile, en permanence. « Je ne demande que ça. » Qu’elles en finissent. Ici, entre elles. Qu’elle arrête d’être un poison insidieux qui hantait bien trop son esprit ces dernières semaines. Que le destin cesse de les mettre sur la route l’une de l’autre, aussi. Quoiqu’il en soit, le retrait des bouts de verre ne fut pas aussi indolore que la brune l’aurait espéré, et le gémissement de la Parker réussirent à la faire culpabiliser instantanément. « Je ne pense pas avoir envie de partager des secrets avec toi à nouveau. » souffla-t-elle d’une voix douce, et pourtant ferme. Elle ne savait plus si elle pouvait attribuer la moindre confiance à la jeune femme après les derniers événements, et ce n’était pas un pari qu’elle pouvait se permettre de prendre. Celui des cachetons lui planait déjà bien trop au-dessus de la tête. Qu’elle le mentionne n’aida en rien. Bien évidemment que non, Albane n’était pas sobre. Cela faisait des mois qu’elle ne l’avait plus été. C’était la dose minimum pour se tenir loin des symptômes de manque, la dose maximum pour être encore capable de faire son boulot correctement. « On dirait que l’absence de confiance est mutuelle. » Elle n’affirmait pas, n’infirmait pas. Se contentait juste de piocher les bouts de verre dans la plaie, s’agaçant intérieurement dès que la pince ripait sur la peau abîmée. Les bouts étaient enfoncés plus profondément qu’elle ne l’aurait pensé. Elle pouvait sentir la Parker frémir à chaque contact. C’était loin d’être agréable, c’était certain. Sans le passage du médecin de garde, elle ne pouvait de toute manière pas aviser pour lui prescrire quoique ce soit. Elle voulait parler, très bien. Bane fouilla dans tout ce qui lui passait par l’esprit, de la conversation sur le beau temps à tout ce qui lui encombrait l’esprit ces derniers temps. « Il y a quelques temps, j’ai passé un entretien à Byron Bay. C’est à deux heures d’ici. Ils m’ont appelé hier pour me dire que j’avais le poste. » Elle l’avait fait dans un moment d’égarement quand tout commençait à être compliqué, qu’elle avait dû prendre des jours de congés parce que Jake menaçait de la reporter au conseil d’administration. Elle s’était sentie prise dans un étau. « J’hésite à le prendre. Je crois que… ça me ferait du bien de quitter Brisbane. » De recommencer à zéro et de couper contact avec tout ce qui était toxique dans sa vie ici. Elle n’en avait parlé à personne encore, mais vu le beau bazar qu’elle avait semé autour d’elle, ce n’était peut-être pas plus mal de garder cela comme un secret. Pour l’instant.
De tout le personnel hospitalier disponible, il fallait que tu tombes sur Albane. La seule personne que tu n’avais pas envie de voir, ou du moins, c’est ce que tu essayais de te faire croire depuis plusieurs jours avec beaucoup trop d’insistance. De toutes les personnes risquant de se retrouver ici ce soir, il fallait que ce soit elle qui se retrouve avec la tâche de gérer ta blessure, il fallait que tu te retrouves seule avec elle derrière ce drap qui ne couvrait pas grand-chose, certainement pas le son de vos voix, mais qui donnait tout de même un semblant d’intimité auquel tu ne devrais pas avoir accès avec la française, et qui pourtant te faisait bien plus plaisir que tu ne saurais l’admettre. C’est Caitriona que tu avais réclamé comme une perdue, c’est Albane qu’on avait mis sur ton chemin, un coup du karma assez puissant pour que même toi tu commences à vouloir y croire. Tu avais beaucoup de dettes à payer, ça, tu le savais. Et devoir parler de la Regan avec Albane semblait être que le simple commencement. « Tu la connais assez pour avoir fait un scandale pour qu’elle vienne s’occuper de toi. » Oh si seulement c’était si simple. « C’est que je la connaisse pas, le vrai scandale. » Tu te pinces les lèvres, t’en voulant déjà d’en avoir trop dit sans pourtant être le moindrement claire et c’est après un long soupir que tu rectifies légèrement le tir. « Elle est ma demi-sœur. Je viens de l’apprendre. » Il y a beaucoup plus à l’histoire que ce simple fait, mais c’est le début de quelque chose. Une transparence que seule Albane semble être en mesure d’obtenir, mélangé aidé de l’alcool qui coule encore dans tes veines et ce je-ne-sais-quoi chez elle qui te pousse toujours un peu plus loin dans des extrêmes que tu ne contrôles pas toujours, que tu comprends encore moins.
Comme ce jeu débile de flirter avec cette fille ce soir, devant son mec, simplement pour pouvoir effacer l’image de la brune de ton esprit. « Tu l’as cherché. » Ça t’arrache un simple haussement des épaules. Oui, tu l’as cherché. C’était un jeu, un autre, parce que c’est à ça que se résume la grande majorité de tes interactions sociales. Des gens que tu prends, que tu consommes, que tu consumes et que tu jettes ensuite. Parce que c’est plus simple, parce que ça fait moins mal sur le long terme. Parce que c’est un contrôle que tu n’as pas envie de lâcher, mais qui t’échappes toujours un peu plus lorsqu’il s’agit d’Albane Dumas, à ton plus grand dam. « Je vais finir par croire que tu as un genre. » Un sourire narquois transparaît sur tes lèvres. « C’est vrai qu’à bien y réfléchir, elle te ressemblait un peu. » Un aveu? Une faute? Pourquoi est-ce que tu viens de lui dire ça? Pourquoi est-ce que tu en es si fière et pourquoi est-ce que ça te rend complètement folle en même temps? Pourquoi est-ce que ça ne pouvait pas être quelqu’un d’autre qui s’occupe de ton bras ensanglanté? Pourquoi, pourquoi, pourquoi? Peut-être que le mieux dans cette situation serait qu’elle comme toi arrêtiez de parler. Que tu te contentes de prétendre qu’elle est n’importe qui d’autre, qu’elle se convainque qu’elle ne te connaît pas et que vous passiez ce moment des plus pénibles dans un silence qui l’est encore plus. Oui, ce serait sans doute la solution la plus raisonnable, mais il semblerait que vous ne sachiez pas faire dans la raison en présence de l’autre, peu importe ce que vous vous entêtez à dire et à répéter. « Je ne demande que ça. » Elle ne veut plus jouer, Albane, et ça ne devrait pas te surprendre et surtout, ça ne devrait pas te faire mal. Ou bien est-ce que c’est seulement les pinces qui s’enfoncent dans ta chaire? Tu ne sais plus faire la distinction, mais ça importe peu. Quand tu quitteras cette urgence, ce sera la fin. C’est bien ce que vous venez de convenir, non?
Ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini, le verre est toujours logé dans ton bras, elle est toujours là et toi aussi et prétendre au contraire ne se peut tout simplement pas. « Je ne pense pas avoir envie de partager des secrets avec toi à nouveau. » « Pourquoi? J’ai rien dit à Reese, ni à Win. » Concernant ses flacons, concernant cette dépendance qui la ronge, concernant les médicaments qui coulent probablement dans ses veines à l’heure actuelle, même si elle n’hésitera pas une seconde à le nier. « On dirait que l’absence de confiance est mutuelle. » Tu avais réussi à perdre la confiance de la fille qui accordait sa confiance à quiconque les yeux fermés et on ne pouvait pas dire que tu te sentais particulièrement fière de ton coup. Tu te contentas de déglutir difficilement, de grimacer de douleur à la suite d’un nouveau morceau de verre déloger de ton bras et de tourner la tête légèrement en direction d’Albane. « Le prend pas personnel, j’offre ma confiance à personne. » Non, Albane n’était pas une exception dans ce cas-là. Qu’une parmi tant d’autres, tout ce qu’elle devrait être et pourtant, tout ce qu’elle n’était pas vraiment. Surtout quand dans un moment de désespoir et de douleur, tu l’incitais à te parler de tout et de n’importe quoi, ne t’attendant certainement pas à une confidence qui risquait de te faire plus mal que les pinces contre ta chaire. « Il y a quelques temps, j’ai passé un entretien à Byron Bay. C’est à deux heures d’ici. Ils m’ont appelé hier pour me dire que j’ai le poste. » Pendant quelques secondes, tu ne bouges plus du tout, ton regard perdu sur le visage de la française. « J’hésite à le prendre. Je crois que… ça me ferait du bien de quitter Brisbane. » « Tu veux partir? » Ce sont les premiers mots qui quittent tes lèvres, ceux que tu ne sais pas retenir et qui trahissent sans doute un peu trop comment cette nouvelle te fait réellement sentir. Elle veut partir et tu es sans doute l’une des raisons sur sa liste qui lui donne envie de laisser Brisbane derrière une bonne fois pour toute. Mais certainement pas la seule. « Qu’est-ce que tu cherches à fuir? » que tu reprends, avec un peu plus d’arrogance cette fois, comme si tu tentais un peu trop fort de camoufler ta réaction initiale. « Les recommencent, les changements de vie, c’est de la bullshit. » Suffit de regarder ta cousine qui a pris la poudre d’escampette pendant six mois, simplement pour revenir exactement au point de départ, avec beaucoup plus de problèmes que ceux qu’elle a fui. « Tu seras pas miraculeusement différente là-bas. » Pas soudainement clean, pas soudainement heureuse, pas soudainement entière et réparée. Non, elle restera exactement la même, seulement loin de ta portée et ce serait sûrement pour le mieux, mais ça sonne comme le pire pour toi.
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Dans un sens, Albane regrettait le jour où elles avaient été présentées, où elle avait instinctivement tenté de se faire apprécier par la blonde. Elle n’aurait jamais pensé qu’elles seraient amenées à se fréquenter ensuite, encore moins que les commentaires sur combien elle était ennuyeuse laisseraient place à des raisons plus cruelles de lever les yeux au ciel. Leo était un poison insidieux, un dont l’infirmière ne parvenait pas à se débarrasser. Elle avait essayé d’arrêter d’y penser, mais même le destin décidait de les ramener ensemble. Condamnées à ne pas pouvoir juste s’éviter, ce qui serait le mieux pour tout le monde. Dans le milieu professionnel, la française avait une raison de s’inquiéter, de faire preuve d’empathie concernant cette blessure. Mais elles savaient toutes les deux que c’était bien plus profond que cela. Elles n’étaient pas si différentes qu’elles voulaient le faire croire et la confession de Leo sur le lien qui la liait à Regan rajouta un argument à cette liste. Inévitablement, la compassion prit le dessus, le pincement au cœur aussi. Parce que Albane ne savait que trop bien ce que c’était, de subitement se découvrir une fratrie. Une autre problématique de son existence qu’elle endormait sous la morphine. Elle n’avait parlé à personne de sa découverte quant à sa famille paternelle, sur la présence d’un demi-frère en ville. Elle se tenait loin de lui et de la vérité parce que c’était bien plus simple. « Je comprends. C’est une bonne raison d’être en colère. Mais garde ça pour tes parents. Regan n’a rien demandé. » Et ce n’était pas un reproche, loin de là. Bane aurait aimé avoir assez de force de caractère pour crier, faire déferler sa colère. A la place, elle avait opté pour le mutisme et la distance.
Le problème avec Leo, c’était que tout avec elle ressemblait à un roller coaster d’émotions. La sympathie avait à peine eu le temps d’apparaître qu’elle disparaissait pour se muer en un mélange complexe de jugement, de lassitude, d’agacement et de jalousie. Rien de ce que la française n’expérimentait, d’habitude. Mais imaginer la blonde dans ce bar aller vers cette nana, qui qu’elle soit, l’imaginer la draguer et lui sortir le même numéro de charme auquel la brune avait cédé bien trop facilement n’avait rien pour aider. Les deux femmes ne se devaient rien, c’était un fait. C’était l’histoire d’un soir. Pourtant, pendant un temps, Bane avait eu la naïveté de croire qu’il y avait quelque chose de spécial, qu’elle n’était pas juste une conquête parmi d’autres, un nom en plus sur un tableau sans fin. Un jeu rapidement joué. La réflexion de Leo lui fit lever la tête, ouvrir la bouche sans qu’aucun son n’en sorte. Elle chercha une réplique, chercha à comprendre. Mais rien ne vint. Ça servait à quoi, cette réflexion ? A la provoquer, à se moquer, à lui tendre une perche à sa manière un peu tordue ? « Je n’ai pas l’espoir que ça te serve de leçon. » finit-elle par lâcher dans un soupir en fuyant son regard, retournant à ses gestes mécaniques. Plus vite la plaie serait traitée, plus vite elles pourraient retourner vaquer à leurs vies, avec un peu de chance loin l’une de l’autre.
Et ce ne serait pas une mince affaire, que ce soit pour le verre ou pour la probabilité de ne plus se rentrer l’une dans l’autre à nouveau. Bane préférait ne pas se faire d’illusions. Elles gravitaient dans le même cercle, un qui tenait à peu près debout tant que leur vilain petit secret était enterré. Elle s’était trahie trop de fois en présence de la blonde, se demandait malgré elle quand est-ce que cela viendrait lui péter au visage. Elle n’avait rien dire, en effet. Et la française ne put que soupirer. Cela ne lui faisait pas plus facilement ignorer l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de sa tête. « Et je t’en remercie. » Mais les événements avaient bien prouvé qu’être trop proches ne leur faisait pas de bien, ne faisait que les mettre dans une situation toujours plus glissante. Elle ne pouvait pas avoir confiance en Leo. Sa raison, son instinct lui criaient de ne pas le faire. Les drogues et l’alcool en décidaient souvent autrement, malheureusement. Les yeux plantés dans la chair abîmée de la blonde, l’infirmière ne fit que hausser les épaules. Elles étaient deux complets opposés ; l’une méfiante envers le monde entier et capable de tous les coups pour se protéger de toute forme de sentiment. L’autre partant du principe que quiconque méritait sa confiance à partir du moment où ils ne la bafouaient pas. « Je ne m’attendais pas à avoir de traitement de faveur. » Elle aurait aimé le mériter, mais tout était flou, maintenant. Elle n’avait même plus la prétention de pouvoir dire qu’elle était une meilleure personne que Leo, à force. C’était bien pour cette raison qu’elle s’était imaginée partir, à un moment. Plier bagage, quitter la ville, recommencer à zéro dans un endroit où elle n’aurait pas à reproduire les mêmes erreurs, les mêmes vices. Plus d’implication dans une organisation illégale, plus d’addiction, plus de vols, plus de secrets qui lui colleraient à la peau. Elle pourrait faire table rase et ne plus avoir à s’inquiéter que l’une de ses erreurs ne la rattrape. « Y a pas grand chose qui m’en empêche. » souffla-t-elle en feintant l’indifférence, sa pince à épiler piochant nerveusement dans la chair pour déloger les bouts qu’elle pouvait trouver. Est-ce qu’elle le voulait réellement, elle ne saurait trop dire. Ce qui était certain, c’était que chaque nouvelle journée semblait plus compliquée que la précédente. Ce n’était pas quitter Brisbane en réalité, c’était quitter toutes les misères dans lesquelles elle était empêtrée. C’était bien plus que ce que Leo pouvait bien imaginer, si bien que sa question inquisitrice valut à le brune de riper sur l’un des débris. « J’en sais rien Leo, à ton avis ? » Elle aurait adoré que ce ne soit qu’une histoire de cœur, que les affaires entre Win et la blonde soient sur le haut de la liste. Mais ce n’était pas comme ça. Mais elle touchait un point sensible. Parce que si Bane avait envie d’être lucide le temps d’un instant, elle trouverait d’autres démons en partant. Elle se retrouverait seule, devrait trouver commencer gérer son addiction car incapable d’arrêter. Elle pourrait se faire prendre. Elle n’en demeurerait pas moins dans ce froid avec sa famille, et Blanche serait toujours morte. Il n’y avait que la morphine pour atténuer sa détresse quotidienne, et c’était bien ça, son cycle infernal. « Je pensais que tu comprendrais. T’as l’air d’être le genre capable d’envoyer chier ta vie entière du jour au lendemain. » Boulot, relations, responsabilités quelles qu’elles soient. « Ou alors, c’est que tu as déjà essayé. » Une supposition inquisitrice. Albane n’avait aucune idée d’où venait la Parker, si elle était de la ville ou d’ailleurs, si elle avait fui à un moment donné. Mais si elle avait des arguments, alors c’était le moment de les avancer.
Lorsqu’il était question de Caitriona Regan, tu n’avais que deux réactions possibles et complètement à l’opposées l’une de l’autre : soit tu avais envie de hurler ta haine et ta rage face à ce secret de famille, son existence tout entière même à quiconque voulait t’entendre, soit tu préférais faire comme si tu n’avais jamais rien su. Ce soir, l’alcool dans le sang et la douleur au ventre, c’était sans grande surprise la haine qui l’avait emporté, qui t’avait poussé à cette scène des plus ridicules à laquelle tu aurais préféré qu’Albane ne soit pas témoin. Tu n’avais pas l’intention de te confier à la française, pas l’intention de lui en dire plus sur le sujet, mais comme toujours, tes intentions et tes actions ne semblaient pas s’aligner lorsqu’elle était non loin de toi. Elle avait posé des questions et tu avais fini par lui offrir des réponses, et tu n’étais pas certaine de bien lire ni de bien comprendre sa réaction face à ce que tu considérais être l’une des pires découvertes de ta pitoyable existence. « Je comprends. C’est une bonne raison d’être en colère. Mais garde ça pour tes parents. Regan n’a rien demandé. » Tu échappes un rire mauvais alors que par réflexe, tu bouges ton bras blessé pour créer une distance entre Albane et toi, ce qui ne fait qu’intensifier la douleur déjà ressentie. Autant celle de ta blessure de ce soir que celle de cette blessure que tu portes depuis trop longtemps sur la moitié de ton identité manquante. « Tu comprends rien Bane! Tu peux pas comprendre. » que tu t’exclames avec force alors que les traits de ton visage se déforment sous une émotion que tu ne parviens pas à contrôler aussi bien que tu le voudrais. « Cait était au courant de mon existence depuis des années et elle a jamais cherché à me retrouver. Elle a jamais voulu de moi. » Et présentement, tu étais en train de lui donner toutes les raisons du monde de ne pas vouloir joindre son existence à la tienne de quelconque façon qui soit. « Et mes parents, pffff. Quels parents? Les deux ne sont que des corps enterrés quelque part six pieds sous terre. » Et ton père ne sera jamais que ça pour toi, puisque tu n’auras jamais eu l’occasion de le rencontrer, encore moins de le connaître. Tu ne garderas de lui que ces stupides lettres que tu as trouvé et quelques photos trouvées sur internet, rien de bien concret pour te former une image de l’homme qu’il a pu être. Tes lèvres tremblent de ce nouvel éclat de colère et tu te forces à poser ton regard partout ailleurs que sur la jeune femme pour retrouver un semblant de calme, pour lui redonner ton bras. Que cette nuit finisse bordel, que tout s’arrête avant que tu n’éclates en mille morceaux sans possibilité aucune de rabibocher les morceaux.
C’est une tentative puérile de reprendre le contrôle qui te force à jouer de cette jalousie que tu penses – veux? – percevoir chez Albane, qui te pousse à donner des détails insignifiants sur cette fille que tu as abordé ce soir, celle avec qui tu as flirté sans gêne aucune en sachant pertinemment que ça te créerait des problèmes. « Je n’ai pas l’espoir que ça te serve de leçon. » Tu ricanes légèrement, elle se faisait de plus en plus lucide sur l’état de ta personne, l’incapacité que quiconque avait de te changer de ce que tu étais réellement : une ratée qui n’en faisait qu’à sa tête, qui s’entêtait constamment à prouver au reste du monde qu’elle n’en avait rien à foutre des conséquences ou de l’opinion des autres. Bien trop occupée à se dénigrer elle-même pour laisser les paroles des autres venir faire le moindre dégât. La dernière chose que tu souhaitais était de devenir le cas de charité d’Albane, cette fille qu’elle se mettait en tête de sauver alors que clairement, l’infirmière peinait à se sauver elle-même. C’est ce que témoignaient les bribes de secrets que tu avais découvertes à son sujet, ces raisons pour lesquelles elle ne souhaitait pas partager la moindre information supplémentaire à son sujet avec toi, quand bien même tu n’avais pas réellement trahi sa confiance, malgré ton comportement des plus désagréable. « Et je t’en remercie. » « T’as presque l’air sincère. » Elle ne l’est pas, sans doute parce qu’elle sait maintenant que tu pourrais risquer de t’échapper à tout moment, comme lorsque tu avais fait ce commentaire peu subtil il y a quelques minutes à peine devant certains de ses collègues. Et pourtant, alcool ou pas, grande gueule ou pas, tu ne comptais pas trahir sa confiance, tu ne comptais pas être celle qui expose ses secrets. Tu restais persuadée qu’elle finirait bien par le faire elle-même, volontairement ou non. « Je ne m’attendais pas à avoir un traitement de faveur. » « C’est pas ce que tu disais la dernière fois. » Tu y repensais beaucoup trop souvent, à ce que la brune avait sous-entendu sur ce toit pour oublier les derniers mots que vous y aviez échangé, malgré vos messages échangés par la suite. Ce n’était pas une bonne idée de ramener le sujet sur la table, pas une bonne idée d’agir comme si tu cherchais des explications derrière ce qu’elle avait dit, même si c’était un peu le cas, même si ça t’obsédait pour être bien honnête. Tu n'avais rien de bon à lui offrir, le mieux était d’espérer que cette rencontre soit la dernière qu’après cette nuit, vos chemins se recroisent le moins possible, même si c’était bien naïf de croire que cela était possible désormais.
Sauf si elle part. Comme elle vient de te le dire. De cette opportunité qu’elle est allée chercher dans une tentative de mettre de l’espace entre son malheur à Brisbane et potentiellement quelque chose de mieux ailleurs. Byron Bay. 1 heure et demi de route. Bon débarras. C’est ce que tu devrais dire, c’est ce que tu devrais ressentir. T’en foutre, c’est ce pour quoi tu es la meilleure après tout. Fuck, pourquoi ça pince autant, soudainement? « Y’a pas grand-chose qui m’en empêche. » Non, sûrement pas. Ce n’est pas Winston qui allait la retenir une fois qu’il saurait pour ce qui s’est passé entre elle et toi. Ce n’est certainement pas toi qui allais te mettre à genoux non plus pour la supplier de rester. Elle avait sûrement des amies, de la famille? Tu réalises que tu ne connais rien d’elle, ou alors que tu ne connais que sa noirceur, ce qu’elle cache aux autres, mais rien de bien tangible, en surface. Vous faites tout à l’envers. Vous ne faites rien comme il faut. C’est toxique et il faut que ça finisse. Oui, mais. « J’en sais rien Leo, à ton avis? » « Éclaire-moi si c’est si évident que ça! » On repassera pour le rôle de la fille complètement détachée et qui n’en a rien à faire, alors que le ton de ta voix s’élève et que ton regard se fait toujours un peu plus insistant sur la française. Qu’elle les étende, ses raisons pour partir, pour fuir, si c’est réellement ce qu’elle veut. Elle a choisi ce sujet, qu’elle parle. C’est bien ce que tu as demandé après tout et elle est bonne pour faire tout ce que les autres veulent, n’est-ce pas? « Je pensais que tu comprendrais. T’as l’air d’être le genre capable d’envoyer chier ta vie entière du jour au lendemain. » Tu viens mordre l’intérieur de ta joue avec force alors que la brune s’acharne sur ton cas, autant par les pinces sur ta chaire que par ses paroles. C’est exactement ce qu’Ariane avait dit, qu’un jour, tu serais celle qui ferait tout voler en éclat pour mieux te casser et laisser derrière les quelques personnes qui comptent encore pour toi. Non, tu n’es pas cette fille-là. Tu refuses de l’être. Tu es beaucoup de choses, rien de bien reluisant quand on prend tout en compte et qu’on s’approche de trop près, mais tu es loyale jusqu’au bout pour ces rares êtres humains qui savent percer pleinement la carapace que tu t’efforces de porter. « Ou alors, c’est que tu as déjà essayé. » « J’ai pas grand monde dans la vie, mais j’suis pas le genre à abandonner ceux que j’ai. » Tu penses inévitablement à Wyatt et à Ariane, même si cette dernière avait prouvé qu’on ne pouvait pas en dire autant à son sujet. « Et j’pense pas que t’es ce genre-là non plus, Bane. »
Et pour une fois, rien qu’une fois, tu voudrais qu’elle ne te fasse pas mentir.
Oh you lie next to me, heart is beating heavily. Blood in your ear through blood on your shirt. It's too late to say you're sorry. Say you're sorry still. I stepped out with heavy heart to bail you out again. Oh those things you do...
Peut-être qu’essayer de raisonner avec une Leo alcoolisée était un combat perdu d’avance. Peut-être que le simple fait de lui offrir une oreille attentive et de la compassion ne servait absolument à rien. Albane aurait sincèrement voulu pouvoir l’ignorer, ne pas prendre en compte ses sentiments pour juste passer aux soins et en terminer là. Mieux encore, elle aurait voulu que la blonde ne cède pas à ses émotions, ne décide pas de se battre contre elle à lui assurer qu’elle ne comprenait rien. Une manière de la rabrouer qui fit laissa la française silencieuse, la vérité sur le bord des lèvres. Elle n’aurait jamais imaginé que ce serait Leo qui viendrait ici ce soir et ranimerait tous les mensonges que l’infirmière tentait désespérément de digérer depuis de trop nombreuses semaines. Elle se refusait d’y penser, de l’exprimer, de faire face à ses propres émotions. Celles qu’elle ne comprenait pas elle-même, les mêmes probablement qui poussaient la Parker à exprimer ce désarroi si puissamment. Il y avait une certaine ironie à réaliser qu’elles étaient sans doute les deux personnes les mieux placées pour se comprendre mutuellement sur ce genre d’affaire, même si leur situation était différente. Bane ne savait que depuis peu qu’elle avait une famille en Australie. Elle était celle qui s’était présentée à son présumé demi-frère avant de disparaître des radars. Mais si c’était à refaire, elle opterait certainement pour le silence. Parce que c’était plus simple, qu’elle n’avait pas la force de se heurter à des désillusions. Quant à ses parents, ils pourraient être morts de ce qu’elle savait. Elle n’était pas sûre de pouvoir un jour pardonner à sa mère, et son père avait été incapable de lui adresser la parole depuis qu’il avait appris qu’il n’était pas le géniteur de son aînée. Dans tous les cas, ces dernières semaines, elle avait cette cruelle impression d’être orpheline, ce qui ne rendait pas si difficile le fait de se mettre dans les chaussures de Leo. « Et tu comptais solidifier vos liens en faisant savoir à l’hôpital entier qui elle est pour toi ? Super plan. » Elle ne pouvait pas s’avancer, ne connaissait pas les raisons de Caitriona. Mais elle était quasiment certaine qu’elle pourrait les comprendre. « Ma grand-mère est décédée en février et a fait savoir à mon père qu’il n’était pas mon géniteur. J’ai découvert au passage que j’avais un demi-frère en Australie. Donc si tu veux parler de drames familiaux, je serais ravie qu’on aborde le sujet quand tu seras sobre. » Elle n’avait pas cette énergie, pas ce soir, pas en public.
Pas alors que Leo jouait aussi ouvertement avec ses nerfs dans un mélange subtil de provocation, sous-entendus, et faux-semblants. Albane ne parvenait pas à la percer, à comprendre ce qui pouvait vraiment se jouer derrière ce beau visage. Savoir ce qu’il s’était passé ce soir relevait de la question professionnelle au début, mais c’était inévitablement devenu personnel. Elle ne pouvait juste pas s’empêcher d’imaginer la scène, de comparer, de se demander si elle effleurait l’esprit de la blonde parfois. Et si oui, dans quels moments. Une pente certainement glissante qui lui ferait plus de mal que de bien, compte tenu du fait qu’elle était la première à assurer qu’il ne se passerait plus rien. Autant de paroles qui avaient prouvé ne pas tenir à grand-chose, de détermination qui n’allait pas de pair avec les émotions. Elles n’étaient pas supposées être liées de quelque manière que ce soit. Il n’y avait qu’un tas de secrets, une attraction interdite, et le destin qui s’amusait irrémédiablement à les pousser l’une vers l’autre. Leo était comme une grenade à ne surtout pas dégoupiller de peur des dégâts qu’elle pourrait causer. Ce n’était pas de la reconnaissance qu’elle éprouvait envers la blonde mais une crainte perpétuelle qu’un jour, elle cracherait le morceau. Volontairement ou non, Bane ne parvenait juste pas à lui offrir ce genre de confiance. C’était notamment lié au fait qu’elle n’arrivait pas à cerner la Parker, comprendre qui elle était réellement une fois qu’elle laissait tomber le masque de l’anticonformiste cruellement indépendante. A quelques reprises, elle avait cru avoir droit à enfin un peu d’honnêteté, de vulnérabilité. Aujourd’hui, elle n’était plus si sûre. « Tu veux vraiment qu’on reparle de tout ce qui s’est dit la dernière fois ? » souffla-t-elle en levant un regard vers Leo. Un coup bas, elle en avait bien conscience.
Mais qu’avaient-elle à perdre, au fond ? Elles ne se devaient rien. Tout comme Albane avait l’impression de ne plus rien devoir à qui que ce soit. Elle avait l’impression que ces derniers mois, toutes ses relations avaient tourné au vinaigre, toujours à cause de sa faute. Elle avait enchaîné les mauvais choix, accumulé les secrets qui l’avaient obligée soit à mentir, soit à prendre de la distance. Elle cherchait tellement à fuir qu’elle en oubliait qu’on pouvait potentiellement compter sur elle. Si elle devait être honnête, elle se voyait plutôt comme un boulet pour ses amis les plus proches. Ce n’était probablement pas la réalité, reflétait juste l’état d’esprit dans lequel elle se trouvait depuis sa dispute avec Jake. Mais quoiqu’il en soit, cela l’avait poussée à aller passer cet entretien, obtenir ce job et ne pas savoir quoi faire avec. C’était loin d’être un caprice, surtout un élan de survie. Un dont Leo ne connaissait pas les raisons, et une lanterne que la française se refusait d’éclairer. « C’est inutile. » Elle haussa les épaules en continuant ses soins, la voix basse, le regard concentré. Parce que quoiqu’elle puisse décider, ce n’était pas la Parker qui la ferait changer d’avis. Pire encore, si Bane devait dresser une liste, elle se tiendrait certainement dans la liste des arguments pour partir, à côté du nom de Winston. La réelle question était de savoir si ce serait bénéfique pour elle, si ça ne la ferait pas plus profondément tomber dans ses démons. Elle ne savait pas à qui en parler, à vrai dire, pas quand elle avait autant de secrets et de zones d’ombre à éviter. Elle n’était même pas sûre de vouloir qu’on la retienne. Pour une fois, elle aurait aimé savoir qu’elle prenait une bonne décision pour elle. C’était juste compliqué. Et entendre la loyauté palpable dans la voix de la blonde n’étais pas pour l’aider. Albane se considérait comme une personne fidèle à ses amis, à ses proches. Mais l’infirmière était lâche, devenue incapable de faire face aux conséquences de ses actions. « Y a encore trois ans, je n’aurais pas été le genre à abandonner qui que ce soit, à consommer la moindre substance, à tromper l’homme que je fréquente avec une de ses amies. J’aimerais que tu aies raison Leo, mais si je dois être honnête, je ne sais plus qui je suis. » Et c’était tout le problème, l’impact que les événements dans cette foutue ville avaient eu sur elle. « C’est même pas 2h de route. » Elle ne parlait pas de rentrer en France, de changer de continent. Un nouveau bout de verre fut retiré, tinta dans le récipient métallique. Méticuleusement, Bane désinfecta la zone à nouveau pour dégager un peu le sang et mieux voir ce qu’il restait à faire. « J’imagine que ça fera quand même loin si t’as besoin d’un canapé pour la nuit, par contre. » Est-ce que ça lui manquerait ? Peut-être. « J’ai bientôt fini. » annonça-t-elle comme une bonne nouvelle en piochant un nouveau bout.
Tu mets quelques secondes avant de réaliser que tu viens de t’emporter de la sorte, à lever la voix sur Albane, clamant haut et fort qu’elle ne peut pas te comprendre, qu’elle n’a pas la moindre idée de ce que tu peux ressentir face à Caitriona. Tu n’imagines pas une seule seconde qu’elle peut avoir son propre passé des plus nébuleux, si différent mais si similaire au tien. Tu ne sais pas pourquoi tu ne parviens pas vraiment à te défaire de l’image d’une Albane à la vie parfaite, comme s’il était tout simplement impossible que des merdes ne cessent de lui tomber sur la tête à elle, miss peau de porcelaine, personnalité de douceur et d’arc-en-ciel, à la carrière prometteuse et à la vie sans doute impeccable. Tu sais pourtant que sa vie n’a rien de ce scénario que tu t’es inventée lors de vos premières rencontres. Tu sais qu’il y a une noirceur chez elle qui t’intrigue, qui te fascine, qui semble te ramener constamment à sa proximité sans que tu ne parviennes réellement à t’en empêcher, ni à le contrôler. Elle parvient à rester calme Albane alors que ta respiration est toujours haletante, elle ne fait que te fixer et tu ne pourrais dire ce qu’elle pense, si elle te juge, si elle te prend en pitié ou si elle est simplement armée de son éternelle compassion. « Et tu comptais solidifier vos liens en faisant savoir à l’hôpital entier qui elle est pour toi? Super plan. » Tu ne lui offres qu’un air renfrogné alors qu’elle reprend tranquillement le travail sur ton bras, maintenant que tu as cessé de t’agiter dans tous les sens. La vérité c’est que tu n’as pas la moindre idée de ce que tu fais, de ce que tu veux, ni même de ce que tu espères de la part de Caitriona, ou même de la part d’Albane. Tu agis sous des compulsions qui finissent toujours par te coûter trop cher, à te mettre constamment dans des situations qui virent à la catastrophe et à te demander comment ça se fait que tout fait toujours trop mal. « Ma grand-mère est décédée en février et a fait savoir à mon père qu’il n’était pas mon géniteur. J’ai découvert au passage que j’avais un demi-frère en Australie. Donc si tu veux parler de drames familiaux, je serais ravie qu’on aborde le sujet quand tu seras sobre. » Tu es quelque part entre figée de la confidence de la française et amusée par cette idée de discuter tout bonnement de vos vies familiales en étant sobres, comme si avoir la moindre conversation ensemble était quelque chose dont vous étiez capables sans la présence de substances illicites en tout genre. « Tu l’as cherché, ton demi-frère? » Ou a-t-elle décidé de fermer les yeux sur cet héritage découvert sur le tard, comme l’avait fait Caitriona? Plus calme, plus réceptive aussi, tu lèves les yeux vers la brune. « Je suis désolée, pour ta grand-mère. » Tu n’oses même pas imaginer l’effet de la bombe qu’elle a dû ressentir, de non seulement perdre un membre de sa famille, mais d’apprendre que tout ce qu’elle a toujours cru certain ne l’était pas finalement.
Le problème, c’est que chacune de tes émotions n’étaient que passagères, que l’éclair de compassion que tu venais d’offrir à Albane fut remplacer par des commentaires piquants et cette envie éternelle de provoquer, de voir jusqu’à quel point tu pouvais pousser les boutons de la française avant qu’elle n’explose complètement. Un jeu tout aussi dangereux que cette attirance qui persistait entre vous deux, qui aurait déjà dû être remisée depuis longtemps, mais qui comme tout le reste, semblait toujours revenir se faire une place. Quelque part entre les commentaires pleins de sous-entendus ou les regards qui s’appuient trop longuement sur son visage, sur son corps, par cette jalousie qu’elle laissait deviner à la mention d’une autre fille, tout n’était qu’ambiguïté et complication qui n’avait pas lieu d’être. « Tu veux vraiment qu’on reparle de tout ce qui s’est dit la dernière fois? » Elle ne t’avait pas pardonné pour ce que tu lui avais dit, tu pouvais le voir dans le fond de ses yeux. « Tu m’en veux encore pour mon commentaire. » Ce n’est pas une question, c’est une constatation tout simplement. « T’espérais quoi au juste, en me disant ça? » En sous-entendant qu’elle espérait peut-être plus de toi que des baisers volés et un jeu aussi malsain qu’addictif. Oh non, tu n’aurais pas dû poser la question, mais voilà qu’il est bien trop tard pour faire marche arrière alors qu’il n’y a qu’elle et toi, perdues derrière ce drap au milieu des urgences, à tenter de faire du sens d’une situation qui n’en fera probablement jamais, du sens. Tout dérape constamment et tu ne sais plus à quoi te raccrocher. La douleur dans ton bras est insoutenable, tout comme les nausées qui te prennent soudainement alors qu’Albane te parle de cette envie de partir, de ce boulot pour lequel elle a été embauché à Byron Bay. Non, les nausées n’ont rien à voir, c’est la faute de l’alcool tout ça. Bien sûr, bien sûr. « C’est inutile. » Elle se défile la française et tu roules des yeux, au fond bien peu surprise de son silence. « De quoi t’as peur? De réaliser que tu connais peut-être déjà la réponse à ta question mais que ça te plaît pas? » Ou peut-être que c’est à toi que ça ne plaira pas, Eleonora. Qu’importe. On a déjà établi que tu t’en foutais, de ce qu’Albane fait, d’où elle vit, de qui elle voit, de sa vie et de son univers en entier. Continue comme ça Leo, peut-être bien que tu vas finir par te croire réellement.
Ce n’est pas que tu ne comprends pas l’envie qu’elle a de vouloir fuir, au contraire. Tu la connais parfaitement, cette envie, pour l’avoir ressenti par le passé, pour avoir acté dessus une fois, pas longtemps après la mort de ta mère. Mais tu restes persuadée que ce n’est pas une réponse, que ce n’est pas une manière de faire qui apporte quoique ce soit de bénéfique. Tu vas même jusqu’à croire que c’est plutôt lâche, et si tu considères avoir un éventail de défauts plutôt varié, ce n’est pas un que tu souhaites ajouter à la liste. Et tu ne peux t’empêcher de croire qu’Albane non plus n’est pas lâche, pas comme ça. Que peu importe ce qui lui donne envie de fuir, elle peut finir par y faire face et assumer, même si ça lui semble impossible présentement. « Y a encore trois ans, je n’aurais pas été le genre à abandonner qui que ce soit, à consommer la moindre substance, à tromper l’homme que je fréquente avec une de ses amies. J’aimerais que tu aies raison Leo, mais si je dois être honnête, je ne sais plus qui je suis. » Étrangement attentive, tu finis par secouer la tête doucement. « Qu’est-ce qui t’est arrivé, Bane? » Pour que la version de la française devant toi soit si différente de celle qu’elle disait être il y a trois ans? « C’est même pas 2h de route. » Ce n’est pas grand-chose, non, mais tu sais que si elle part, rien ne t’emmènera vraiment à faire tout ce chemin jusqu’à elle. Pas alors que tout est si compliqué entre elle et toi. Tu grimaces alors qu’elle arrache un nouveau morceau de ta chaire, même si cette douleur semble bien secondaire à tout le reste désormais. Pour des filles qui ne voulaient rien se dire, vous aviez réussi à aborder beaucoup trop de sujets sensibles à ton goût. « J’imagine que ça fera quand même loin si t’as besoin d’un canapé pour la nuit, par contre. » Un léger sourire vient prendre place sur tes lèvres. « J’suis pas certaine que ma voiture survivrait la route jusque-là. » Non, ton tas de ferrailles rendrait sûrement l’âme avant même que tu ne sois sortie de la ville. Mais voudrais-tu que je vienne quand même, si tu partais, Bane? « J’ai bientôt fini. » « Okay. » Et bientôt, elle partira, poursuivre sa nuit à l’urgence, en tentant d’oublier cet accrochage avec toi. Et dans une semaine, dans un mois peut-être, elle partira à Byron Bay et ce sera comme si elle n’était jamais entrée dans ta vie, et ce sera pour le mieux. Parce que tu es toxique pour elle, et qu’elle est létale pour toi. De ça, tu devrais être persuadée. À ça, tu devrais te raccrocher. Mais quand ton regard trouve le sien une énième fois, tu n’as qu’une envie : mémoriser chaque trait de son visage. « Tu me diras, si tu décides de partir? » Elle ne te doit rien et pourtant, tu ressens le besoin d’avoir cette confirmation. Cette finalité, d’une manière ou d’une autre. Le contrôle du jeu soudainement entre les mains de la française.
Oh you lie next to me, heart is beating heavily. Blood in your ear through blood on your shirt. It's too late to say you're sorry. Say you're sorry still. I stepped out with heavy heart to bail you out again. Oh those things you do...
Cela devenait difficile pour Albane de prétendre qu’elle s’en moquait. Si Leo avait vraiment été comme n’importe quel patient, elle aurait opté pour les paroles génériques jusqu’à la calmer, aurait attrapé le premier médecin de grade pour lui administrer un calmant le temps des soins. Elle n’aurait pas essayé de la comprendre, ne se serait pas lancée dans cette conversation trop sincère qu’elle regretterait peut-être à un moment donné. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi la blonde réussissait à lui délier la langue, pourquoi elle était la personne qui avait le plus obtenu de la sincérité de la française ces derniers mois. Probablement parce qu’elle était brisée, elle aussi. Bane ne savait juste pas à quel point ; c’était un peu comme un puzzle dont on aurait associé des pièces sans voir l’image finale. Leo pouvait la comprendre, leurs vies se croisant étrangement sur les sujets qui comptaient. L’infirmière avait cette tendance à se comporter comme un Saint-Bernard, à vouloir être présente et aider le monde entier. Au point de parfois oublier qu’elle était arrivée au point où elle était celle qui avait besoin d’aide. Chaque interaction avec la Parker était un risque à prendre, celui de mettre de l’huile sur le feu. Ironiquement, dans certaines circonstances, le feu pouvait cautériser les plaies. C’était certainement la raison pour laquelle la rancune ne parvenait pas à s’accrocher entre elles. Pour le meilleur comme pour le pire. Avec un peu de chance, elles ne reparleraient jamais de tout cela. Quand la sobriété reprendrait le dessus, elles préfèreraient nier avoir baissé la garde. Encore une fois. Parce les secrets étaient toujours mieux enterrés. Bane hocha lentement la tête en repensant à cette unique rencontre avec son demi-frère, où le malaise avait pris le pas sur le courage. Elle était arrivée comme une tempête, avait fait ses dégâts avant de disparaître dans la nature. Il n’y avait plus eu de contacts depuis ; elle n’était certainement pas difficile à trouver, pourtant. Peut-être qu’il ne voulait pas d’elle, peut-être qu’il préférait la laisser faire à son rythme. Le silence était plus simple à gérer que la réalité. Elle ne voulait pas repenser à la manière dont sa grand-mère avait détruit le mince équilibre qu’il restait dans son monde sur son lit de mort. « Tu sais, ce n’était pas vraiment ma grand-mère. » Leur lien n’avait jamais été si fort, elle comprenait pourquoi aujourd’hui. Un jour, elle se pencherait sur ce deuil-là aussi. Ce n’était juste pas sa priorité dans cette liste qui continuait de s’allonger. Tout ce qu’il lui restait d’elle serait cette collection de timbres à la valeur tristement impersonnelle.
Elle devait se concentrer sur ce qui était réel, sur ce qui n’était pas encore brisé. Ce qu’elle était encore capable de gérer, comme les soins de la blonde. Les sentiments entre elles n’entraient pas dans cette case. Albane ne comprenait juste pas comment la Parker pouvait l’atteindre autant, susciter en elle un savant mélange de jalousie, de fascination, d’agacement, de déception, d’attraction. Ses mots n’auraient pas dû avoir autant d’importance et pourtant, ils n’avaient jamais vraiment quitté son esprit. Tous les détails de cette soirée revenaient la hanter dès qu’elle arrêtait de se noyer sous les responsabilités. De là à lui en vouloir ? Oui. Non. « Je t’en veux pour le baiser. Pas pour les mots. » L’honnêteté brutale faisait toujours mal. Ce n’était pas le problème de Leo si la française ne parvenait pas à l’encaisser. Même si les mots avaient été balancés sous le coup de l’émotion, il y avait une part de vrai, et c’était là tout le problème. Bane dut se mordre la langue pour ne pas trahir ses émotions quand la jeune femme la confronta à ses propres paroles. Elle n’était même pas sûre elle-même de ce qu’elle attendait, espérait. Des réponses, probablement. Se dire qu’elle n’avait pas pris le risque de foutre en l’air sa relation avec Winston pour rien. « Je ne suis pas du genre à jouer avec les sentiments des gens parce que je sais que ça a des conséquences. J’aurais juste aimé que ce soit ton cas. » Il s’agissait peut-être de cela, au final ; cette atroce sensation d’avoir été une source d’amusement, le genre qui n’engage à rien. Ce serait mentir que de dire que tout allait bien avant que la blonde débarque dans sa vie mais au moins, elle avait quelque chose de stable dans sa vie. Maintenant, ce n’était plus qu’une question de jours avant que cela vienne lui exploser à la tête. Et ça, Albane n’était pas certaine de pouvoir le supporter. C’était pour cela qu’elle voulait fuir, partir loin, ne pas avoir à faire face au quotidien à cette vie qui ne ressemblait qu’à un chaos permanent. C’était juste trop. Partir ne changerait rien à ce qui était arrivé, aux mauvais choix qu’elle avait fait. Elle n’aurait juste pas à y faire face jour après jour, à subir les souvenirs liés aux lieux. Un bien faible réconfort qui lui fit relever un regard triste vers la Parker. Elles ne se connaissaient pas. Alors pourquoi ne pas accepter de la lâcheté ?
En vérité, plus le temps passait, plus la française prenait peur de cette pente glissante dans laquelle elle était. A la mort de Blanche, elle s’était demandé comment sa vie pourrait empirer. Et jour après jour, elle trouvait de nouvelles réponses à cette question. Elle perdait complètement pied sans savoir où cela finirait par la mener. C’était comme se retrouver proche de la noyade mais continuer de se débattre pour avoir accès à ce qu’il restait d’oxygène. Crier à l’aide serait certainement la meilleure option, mais à la place, elle s’obstinait à penser qu’elle pourrait se débrouiller seule. Elle en avait trop dit pour ce soir. « Tu es la patiente, Leo. Ce n’est pas à moi de t’exposer mes problèmes. » Un sujet clôt, subtilement mais définitivement dans un sourire bien trop maîtrisé, les mains expertes terminant de se démener avec la chair abîmée. Peu importe les raisons qui la pousseraient à partir, Byron Bay ne serait pas si mal. Elle pourrait revenir sur ses jours de repos, sauver les relations qui méritaient de l’être. Elle ne disparaissait pas de la surface du globe, saisissait juste une opportunité. Elle pourrait peut-être se mettre au surf, vu la réputation de l’endroit, découvrir de nouveaux récifs à explorer. Elle réussit même à rire du fait que la vieille voiture de la Parker soit la seule à décréter que la route était bien trop longue. Il y a des bus, eut-elle envie de répondre, mais les mots se heurtèrent contre ses dents. Serait-ce réellement une bonne idée, au fond ? De continuer d’entretenir ce lien entre elles ? Elles ne s’apportaient rien de vraiment positif, seulement des troubles grandissants. Ce serait du tout ou rien, et elles n’étaient probablement pas capables de la première option. « Oui. Je te dirai. » Quand ce sera trop tard pour faire demi-tour. L’infirmière sentit son cœur se serrer à cette idée alors qu’elle croisa à nouveau les iris de Leo. Est-ce que son départ lui ferait quelque chose ? Son moral en prit un coup, la força à baisser les yeux sur son travail. Du bout de la pince, elle dégagea les derniers débris qu’elle voyait, mais la plaie lui paraissait clean, maintenant. « Je vais te bander le bras. Un médecin va venir te voir pour te faire une prescription et te donner une décharge de sortie. Il t’expliquera pour les soins. » Une dernière désinfection, et Bane s’empara des compresses et bandes. « Tu as quelqu’un pour venir te récupérer ? Pour te ramener… » Où, au juste ? Avait-elle trouvé une solution, depuis leur dernière discussion ? « Je peux appeler Reese. » Qu’il la ramène à l’appartement. Pour ce soir au moins, la brune préférerait la savoir entre de bonnes mains. L’invitation n’avait jamais cessé de tenir.
Les montagnes russes d’émotions différentes dont tu faisais preuve cette nuit étaient étourdissantes, pas seulement pour Albane, mais pour toi aussi, alors que tu tanguais constamment entre des sentiments bien trop extrêmes comme ta colère et ton désarroi, et ceux que tu ne savais pas réellement maîtriser, comme cette inquiétude qui semblait toujours refaire surface lorsqu’il était question de la française. Tu en étais à te dire que la vie semblait drôlement s’amuser, à vous mettre constamment sur le chemin l’une de l’autre, à forcer les coïncidences sur vos parcours et créer cette compréhension que personne d’autre ne semblait pouvoir détenir. Alors oui, tu les pensais, tes plates excuses pour cette grand-mère qui n’en était pas vraiment une alors que la française elle, se contentait d’esquiver le sujet comme elle savait si bien le faire. Elle avait cette manie d’ouvrir la porte, de commencer quelque chose, t’offrir des parcelles d’informations avant de tout refermer et prétendre que ce n’était pas important, ou que ce n’était pas le temps ni l’endroit pour discuter de tout ça, comme si vous alliez vraiment vous retrouver autour d’un café dans les jours à venir. Non, vous ne faites pas ça. Pourquoi faire si simple quand tout entre vous deux semblait vouer à être extrêmement compliqué? En partie parce que tu ne savais pas te tenir. Pas ce soir, pas au bar, pas l’autre soir non plus sur le toit de l’appartement d’Albane et de Reese. Tu pensais que c’était la dureté de tes paroles qui avait blessé la brune, mais peut-être était-ce moins ce que tu avais dit, plutôt ce que tu avais fait? « Je t’en veux pour le baiser. Pas pour les mots. » Tu hausses les épaules. Tu en avais envie, de ce baiser. Tu lui avais demandé de t’arrêter, mais ce n’était pas ce que tu voulais vraiment, à ce moment-là. Elle t’avait écouté toutefois, et tout avait dégénéré si vite que le simple fait d’y repenser venait créer des nœuds dans le fond de ton estomac. Pourquoi est-ce qu’elle avait le pouvoir de créer toutes ces réactions chez toi? « Je ne suis pas du genre à jouer avec les sentiments des gens parce que je sais que ça a des conséquences. J’aurais juste aimé que ce soit ton cas. » Et ces paroles-là vinrent te rappeler avec brutalité à quel point non seulement vous étiez différentes, mais surtout qu’elle ne te connaissait pas, mais alors pas du tout. « J’vais pas m’excuser pour faire ce dont j’ai envie. » Non, tu n’avais jamais vraiment su comment. Tu préférais prendre et prendre encore et te foutre complètement des conséquences. Tu avais eu envie de l’embrasser ce soir-là, tu l’avais fait, point final.
Really? Oh well.
Non, ce n’était pas aussi simple que ça, même si tu persistais à vouloir te le faire croire. Tu t’accrochais tant à cette idée qui allait pourtant en pleine contradiction avec ta réaction face à cette annonce de boulot à Byron Bay. Tu cherches des réponses qu’elle ne veut pas te donner, à des questions que tu n’aurais sans doute jamais dû poser de toute façon. Il est trop tard pour faire marche-arrière désormais, trop tard pour prétendre que ça ne t’affecte pas. Mais le verra-t-elle comme ça, ou simplement comme ton incessante curiosité mal-placée, des munitions de plus à faire languir au-dessus de sa tête? Toi-même, tu n’es plus certaine de savoir faire la distinction et ça te fait terriblement peur. « Tu es la patiente, Leo. Ce n’est pas à moi de t’exposer mes problèmes. » « Tu penses pas qu’il est un peu tard pour dire ça? » Elle t’expose des trucs et quand vient le temps de t’expliquer ce qui se passe, elle se rétracte complètement. Elle utilise la carte de l’infirmière alors que toutes les cartes sont brouillées depuis la seconde où elle a pris tes soins en charge. Certes. Tu ne vas certainement pas te mettre à la supplier pour te confier ce qui ne va pas. Tu as assez de tes problèmes à gérer. Tu n’es pas celle qui s’inquiète pour les autres. Elle a Winston pour ça, pas vrai? Elle a Winston. Voilà. Alors pourquoi tu la supplierais presque de te dire si elle part ou pas? Qu’est-ce que t’en as à chier, qu’elle reste ou qu’elle décide de disparaître du jour au lendemain? C’est ce que tout le monde fait après tout. Mais promets-le quand même Albane, s’il-te-plaît. « Oui. Je te dirai. » Pourquoi est-ce que tu respires un peu mieux, soudainement? Ce n’est pas comme si elle venait de te confirmer qu’elle restait. Elle a juste dit qu’elle te tiendrait au courant, si elle décidait de lever les pattes. C’est déjà plus que d’autre, mais le trou restera le même, tu le sais très bien ça Leo, pas vrai? Elle te sort de tes pensées lorsqu’elle dépose les pinces sur sa table de travail avant de reprendre sa voix plus formelle, celle qui force à rappeler le rôle qu’elle tient ici cette nuit. « Je vais te bander le bras. Un médecin va venir te voir pour te faire une prescription et te donner une décharge de sortie. Il t’expliquera pour les soins. » Tu hoches la tête. Tu risques de ne pas les prendre, les antibiotiques. Tu risques d’oublier, ou de même pas avoir de quoi te les payer en vrai. Pas qu’elle ait besoin de le savoir, ça. « Tu as quelqu’un pour venir te récupérer? Pour te ramener… » Tu secoues la tête. Elle n’a pas besoin de s’inquiéter pour ça. Vous avez déjà établi que tu n’étais pas son problème, alors pourquoi est-ce qu’elle continue de te tendre la main comme ça? « Je peux appeler Reese. » « Non, ça va. J’vais marcher. » Un bol de grand air, ça ne peut que te faire du bien, après cette nuit de merde. Tu la regardes faire le bandage, et tu veux dire quelque chose, mais tu n’es pas certaine quoi. Tu veux la remercier, t’excuser, ou simplement faire un commentaire pour faire passer l’ambiance qui semble lourde soudainement, tu n’es pas certaine. Qu’importe ce que c’est, les mots ne viennent pas alors que le rideau s’ouvre et si tu t’attendais à y découvrir le médecin dont elle t’avait parlé pour la prescription et la décharge, c’est plutôt la silhouette de Caitriona qui se dessine sous tes yeux fatigués. « Fuck. » que tu murmures alors que ton regard passe de la rouquine jusqu’à la brune. « T’avais dit qu’elle était pas là. » Il y a un reproche dans le fond de ta voix alors qu’une fois encore, tu es prête à mordre avant même que ta demi-sœur n’ait eu le temps d’ouvrir la bouche. « Que nous vaut l’honneur de ta présence? » T’es un cas impossible à gérer, et t’es bien certaine qu’elles sauront s’accorder sur ce point-là rapidement.
Caitriona était sur le point de commencer une nouvelle garde. Elle venait d'arriver à l'hôpital, venait à peine de franchir la porte des vestiaires quand une première personne l'avait alpaguée. C'était Lucy, une de ses collègues internes dont elle prenait le relais. Cette dernière portait un air amusé, et c'est ce qui avait fait tiquer l'irlandaise. « C'était animé cette nuit, t'as loupé quelque chose. » La rousse l'aimait bien, Lucy. Elle était sympa, intelligente, pleine d'empathie et de joie de vivre. À tel point que parfois, c'était trop pour la rousse. La joie de vivre, oui, mais 24h/24, fallait pas déconner... Quoi qu'il en soit, généralement, passer du temps avec la blonde, c'était agréable. Les deux jeunes femmes avaient prit l'habitude de discuter régulièrement, de prendre leurs pauses ensemble quand leur planning le leur permettait. Ce qui en ce moment, était plutôt rare. Récemment, leurs emplois du temps étant en opposition, Lucy travaillant la journée quand Cait était de nuit, et inversement. Comme c'était le cas cette semaine. En attendant, Cait n'avait pas eu son café, et converser était donc encore au dessus de ses forces. Elle s'était donc contentée d'adresser un sourire poli à sa collègue blonde, attendant qu'elle continue sur sa lancée. « T'étais pas là, et pourtant, tu étais le centre de l'attention. » La rousse s'était figée, les mains dans son casier. Fronçant les sourcils, elle avait finalement levé les yeux vers Lucy, interrogative. « Quoi? » Elle ne comprenait pas. Pourquoi est-ce qu'on aurait parlé d'elle, alors qu'elle n'était même pas là? Est-ce que c'était encore un sale coup de Winston, qui lui aurait mis une connerie sur le dos? Non, il n'aurait pas osé...? La jeune femme avait secoué la tête. Non, il ne serait pas allé jusque là, alors qu'elle ne pouvait pas répliquer. Même si elle n'excluait pas qu'il soit impliqué là-dedans. « Aux urgences, ils ont eu une nana blessée. Une blonde. Elle te réclamait à corps et à cris, elle a bien failli en assommer quelques uns. Je pense qu'elle était vaguement saoule. » La rousse avait eu un soupir. « Vaguement, t'es sûre de toi? » Du tableau que lui dépeignait Lucy, elle-même aurait parié sur "carrément" plutôt que sur "vaguement". En attendant, elle ne savait pas trop qui pouvait bien être cette fille qui semblait à tout prix vouloir la voir, et qui était prête à casser les oreilles de tout le monde pour pouvoir arriver à ses fins. Sa collègue interne toujours dans son dos, Cait avait commencé à se déshabiller, abandonnant ses vêtements de ville pour pouvoir revêtir sa blouse. « J'me trompe peut-être, je l'ai pas bien vue, mais je trouve qu'elle ressemble à cette fille là, celle qui t'avait tapé un scandale dans le hall de l'hôpital. » Merde. L'irlandaise s'était figée une nouvelle fois. Est-ce que ça pouvait réellement être Eleonora? Celle qui effectivement lui avait fait tout un cirque en public quelques mois plus tôt? La même qu'elle avait sorti - avec plein de mauvaise volonté - d'une cellule quelques jours auparavant, quand c'était Jina qui l'avait appelé? La même qui lui avait dit qu'elle ne voulait plus rien avoir à faire avec elle, et sa putain de famille d'égoïstes? Ce n'était probablement pas ce que Lucy cherchait à faire, mais maintenant, la rousse oscillait entre une sorte de colère froide, et une inquiétude aussi inattendue que déstabilisante. « Tu sais si elle est toujours dans le coin? » La jeune femme ne savait pas à combien de temps ça remontait. À dix minutes, ou à des heures plus tôt? Si c'était le cas, elle ne devait plus être dans les parages depuis un bon moment. « Aux dernières nouvelles, elle est toujours là. C'est Albane qui l'a prise en charge. » Caitriona connaissait assez peu la française, elles n'avaient pas l'occasion de travailler régulièrement ensemble. Mais elle en savait assez sur elle pour pourvoir se dire que sa demi-soeur était entre de bonnes mains. Mais aussi pour pouvoir affirmer que c'était la brune que l'on envoyait quand le cas était compliqué. Est-ce comme ça que l'on considérait Eleonora?
Elle avait fini de se changer en vitesse, et après avoir remercié sa collègue interne pour les infos, elle s'était ruée dans le couloir. Elle brûlait d'envie de savoir ce que la blonde lui voulait, alors qu'elle avait juré de plus vouloir voir sa tronche. Que vu leurs relations tendues, la jeune femme aurait dû demander n'importe qui, du moment que ce n'était pas elle. Et pourtant, ça avait été le contraire. Pourquoi? Elle avait regagné l'étage des urgences sans trop de problèmes. À cette heure-ci, les couloirs n'étaient pas bondés. Elle s'était adressée au bureau des infirmières quand elle était finalement arrivée. « Je cherche Albane Dumas? » Plutôt, elle cherchait sa patiente. Mais ça... La chef infirmière lui avait jeté un regard étrange, mais lui avait indiqué un box de soins. Dans lequel un interne des urgences s'apprêtait à entrer. Elle l'avait arrêté, alors qu'il avait la main sur le rideau. « C'est bon, je m'en occupe. » L'autre lui avait adressé un regard outré. « Ils ont demandé un médecin! » qu'il avait couiné. Le regard noir que lui avait lancé l'irlandaise avait eu pour effet de le convaincre, et il avait déguerpi en maugréant, après un regard sur la couleur de la blouse de la rousse, qui l'avait assuré qu'il ne risquait pas grand chose à la laisser intervenir. Il trouverait bien quelqu'un d'autre à aider, ce n'est pas ce qu'il manquait, dans le coin... Le rideau écarté, deux silhouettes s'étaient dessinées sous les yeux de l'interne en chirurgie. Celle d'Albane, qu'elle reconnaissait sans peine et... « Fuck. » Celle de sa demi-soeur. Le murmure qu'elle articule n'échappe pas à la rousse. « T’avais dit qu’elle était pas là. » La blonde avait donc bel et bien demandé après elle. Une chose qui étonnait toujours la rouquine. « Que nous vaut l’honneur de ta présence? » Préférant pour le moment ignorer la blonde, Caitriona avait préféré s'adresser à la française. « Salut Albane. Comment tu vas? » Elles ne se connaissaient pas vraiment, mais leurs relations étaient cordiales. Et de toute façon, tout était bon pour retarder le moment où elle devrait confronter Eleonora. Mais puisqu'elle devrait tôt ou tard passer par là... Elle avait avisé sa soeur, son bras bandé, son air maussade et l'odeur de l'alcool qui semblait l'imprégner. « Si je suis là, c'est pas par plaisir, mais parce que t'as informé absolument tout le personnel de l'hôpital sur le fait que tu voulais me voir. Je me demande pourquoi, d'ailleurs. » Elle s'était rapproché des deux autres femmes, adressant au passage un hochement de tête à Albane, accompagné d'un fin sourire, pour la remercier. De quoi, elle ne savait pas bien. Mais elle se sentait redevable. Puis elle avait projeté toute son attention sur la deuxième. « Deux questions. Qu'est-ce que t'as foutu? Et qu'est-ce que tu me veux? » C'était des questions simples. Et la rousse espérait qu'Eleonora répondrait sans détour, sans chercher à faire de l'esprit. Elle n'était plus d'humeur.
Oh you lie next to me, heart is beating heavily. Blood in your ear through blood on your shirt. It's too late to say you're sorry. Say you're sorry still. I stepped out with heavy heart to bail you out again. Oh those things you do...
Tout aurait été tellement plus simple si la française s’était accrochée à ses valeurs, avait repoussé Leo quand elle s’était approchée trop près la première fois. Elles n’auraient pas eu l’occasion de laisser le trouble s’installer, s’en seraient tenues au malaise. La blonde aurait continué de lui reprocher d’être trop coincée, trop rabat-joie, et Albane aurait évité de rajouter un problème sur cette pile qui n’en finissait plus. Elle aurait pu voir la Parker comme une personne vaguement familière ce soir, en aurait plaisanté avec Reese en rentrant, aurait pris un malin plaisir à tout raconter à Win à la prochaine occasion. A la place, mentionner la jeune femme revenait à se brûler les lèvres tant elle était accompagnée de son lot de secrets et de reproches. La situation n’avait plus rien de drôle, pas alors que l’infirmière se sentait juste dépassée par cette douce inquiétude qu’elle n’arrivait pas à ravaler. A l’instar des confessions, qui avaient pour défaut de couler un peu trop facilement en sa présence. Quoiqu’elle ait pu s’imaginer de toute façon, cela n’irait jamais nulle part entre elles deux. Cela avait juste été un jeu sur le moment, une partie de plaisir dont elle avait été la cible. Cela aurait pu être n’importe qui d’autre. Le plus tôt elle s’en convaincrait, le plus simple ce serait. Car Leo ne chercha pas à démentir, n’est-ce pas ? Toujours fidèle à elle-même, l’alcool anéantissant le peu de savoir-vivre qu’elle pouvait avoir en temps normal. Bane ne pouvait pas faire face à ce genre de tempérament insolent, indomptable, incorrigible. « Ravie de savoir que j’étais à ton goût, alors. » Elle était au sien aussi. Peu importe l’énergie qu’elle pourrait mettre à le nier. Leo était comme ces parfums entêtant qui s’imprégnaient de partout, ceux qu’on ne parvenait pas à ignorer, qui faisaient tourner la tête dès qu’on avait l’impression de les sentir. Elle s’était insinuée dans son esprit sans que Bane ne parvienne à y faire quoique ce soit. Et au lieu de résister, d’essayer de sauver ce qui pouvait l’être, elle s’y abandonnait. Elle partageait trop, flirtait trop facilement avec ces portes qu’elle devrait tenir à garder fermées. Un jour probablement, elle le regretterait. La française n’était pas vraiment sûre de ce qu’elle imaginait comme issue, dans cette histoire. Soit ses confessions resteraient sous silence, prenant la forme de ce genre de secrets qui résonnaient un peu trop facilement chez elles deux. Soit Leo finirait par cracher le morceau, par maladresse, vengeance, sadisme, bienveillance, peu importe. Et alors il faudrait y faire face. « Je pense surtout que ça a été une bonne distraction pour toi. » souffla-t-elle avec un demi-sourire, ignorant complètement ce que la jeune femme voulait dire. Elle avait déjà trop parlé, quel bien cela leur ferait de continuer ? Surtout si c’était pour partir, au final. Une question qui restait en suspend dans son esprit. Il faudrait qu’elle finisse par se décider mais s’il y avait une chose qu’elle avait démontré récemment, c’était que sa prise de décisions avait tendance à ne plus se baser sur la meilleure rationalité depuis. Tout ce qu’elle pouvait promettre, c’était de donner le verdict final à un moment donné.
L’excuse des soins pour rester à ses côtés arrivait à ses fins. La plaie était nettoyée, propre, et si la blonde faisait le minimum pour s’assurer que cela ne s’infecte pas, elle n’en garderait qu’une vilaine cicatrice. Ce n’était rien de grave en soi, et elle aurait dû être soulagée de savoir que la jeune femme pouvait être déchargée sans aucun problème. Surtout maintenant qu’elle était calmée. Pour autant, l’alcool continuait de courir dans ses veines, ce qui ne faisait pas bon ménage avec une Leo fidèle à elle-même. Evidemment qu’il ne fallait appeler personne et qu’elle comptait se débrouiller seule. Elle avait certainement survécu à pire et irait très bien, mais Albane ne put s’empêcher de soupirer en secouant la tête. « J’imagine que rien de ce que je pourrai dire ne te fera changer d’avis. » Cela ne l’empêcherait pas d’envoyer un message à Reese pour qu’il s’assure qu’elle aille bien dans les jours à venir. Ce serait mieux venu de sa part que de la sienne. Le bruit du rideau la fit tourner la tête. Pour découvrir Caitriona. Parce que cette soirée ne pouvait juste pas se terminer sans un drama supplémentaire, de toute évidence. Le juron de la blonde ne lui échappa pas, le reproche non plus. Albane n’avait aucune idée de si Regan était dans l’hôpital ou non, à vrai dire, et elle n’avait pas fait l’effort d’aller demander. Si la rousse n’était nulle part aux urgences, c’était qu’elle avait autre chose à faire. « Il faut croire que je me suis trompée. » glissa-t-elle à la patiente sans la moindre forme de culpabilité. « Salut Caitriona. Ça va, on a fini ici. Je suis désolée, je ne savais pas si c’était une urgence qui demandait vraiment ta présence. » Vu ce qu’elle savait sur le lien qui reliait les deux femmes maintenant, elle n’en était toujours pas convaincue. La française retira ses gants, jeta les déchets médicaux dans la poubelle. Elle ne se sentait plus à sa place ici, comme ayant l’impression d’être au milieu de comptes à régler. La Regan lui faisait une parfaite diversion pour filer sans demander son reste. Leurs histoires de famille ne la regardaient clairement pas, leurs règlements de compte non plus. « Je vous laisse… terminer. Je vais aller mettre à jour le dossier et préparer les papiers de décharge. Et Leo… » Arrête tes conneries. Les mots cognèrent néanmoins contre ses dents sans oser être prononcés. Elle n’était personne pour lui dire quoi faire. « … Non, rien. Bonne nuit. » Elle adressa un sourire à la rousse, un regard un peu plus perturbé sur la blonde, puis quitta enfin le box avant de dire, faire, ou entendre quelque chose qu’elle pourrait encore regretter. Leo n’était pas son affaire.